L'audition débute à dix-sept heures.
Nous recevons M. François Houllier, président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et M. Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint.
Monsieur Houllier, vous êtes ingénieur général des ponts, des eaux et forêts, et vous présidez l'Ifremer depuis septembre 2018. Après avoir occupé différentes fonctions à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), vous en avez été le président-directeur général de 2012 à 2016. Vous avez également présidé, de 2016 à 2018, la communauté d'universités et d'établissements Université Sorbonne Paris Cité.
L'Ifremer est un établissement public placé sous la tutelle des ministères chargés de la recherche, de la transition écologique et de l'agriculture. Il concourt à l'accroissement des connaissances fondamentales sur les processus régissant les écosystèmes et leurs changements. Il appuie le déploiement des politiques maritimes, en ce qui concerne notamment la stratégie nationale relative à la biodiversité et les politiques de santé humaine et de santé animale. L'institut est donc à la fois un organisme de recherche pluridisciplinaire et une entité d'expertise en appui aux politiques publiques. Vous intervenez notamment sur les enjeux de préservation de la biodiversité et sur l'impact du concept One Health, lequel figure parmi les thèmes d'intérêt de notre commission d'enquête.
Monsieur Wilfried Sanchez, vous êtes quant à vous docteur en écotoxicologie au Muséum national d'histoire naturelle et directeur scientifique adjoint de l'Ifremer. Votre périmètre d'activité concerne les activités scientifiques de l'institut dans la région Occitanie et par extension en Méditerranée. Les thématiques sur lesquelles vous travaillez concernent les contaminants et leurs effets sur le milieu marin et l'interface entre la politique scientifique de l'Institut et sa politique européenne et internationale.
(M. François Houllier et M. Wilfried Sanchez prêtent serment.)
L'Ifremer travaille au service de trois grands objectifs. Le premier d'entre eux, c'est la connaissance de l'océan et des mers, qui vise à la préservation de ce bien commun. Nous travaillons aussi bien sur les interactions avec le climat que sur la biodiversité marine. Nous abordons également, lorsqu'ils ont été dégradés, la restauration des écosystèmes marins. Notre deuxième objectif, c'est l'exploitation durable des ressources marines, qu'elles soient biologiques – poissons, mollusques – ou physiques – minéraux, énergies marines renouvelables. La troisième grande finalité de nos travaux concerne la gestion des données que nous collectons sur l'océan, et tous les services dérivés, notamment numériques, que nous fournissons pour les citoyens, les administrations, les collectivités et les entreprises, sur la base de ces données.
Pour mener à bien ces finalités, nous menons trois grands types d'activités : en premier lieu, des activités de recherche, plus ou moins fondamentale ou appliquée. En deuxième lieu, nous développons une expertise scientifique en appui aux politiques publiques, à laquelle nous consacrons des moyens importants. Environ un tiers des personnels de l'institut sont, à un moment ou un autre de l'année, concernés par des expertises scientifiques en appui aux politiques publiques. En troisième lieu, nous tissons des partenariats avec les acteurs économiques, ce qui constitue une activité de transfert et d'innovation inscrite dans nos statuts. Ces acteurs économiques peuvent être des professionnels de la mer ou des entreprises.
Nous menons nos activités dans une perspective de science ouverte et de développement durable. La « science ouverte » n'est pas, en ce qui concerne la santé environnementale, une vaine expression, car elle signifie que nous avons une politique de données ouvertes. Nous avons vocation à ce que ces données soient largement partagées, aussi bien avec la société qu'avec les décideurs publics. En pratique, par exemple, le 9 juillet dernier à Nantes, nous avons fait pour la première fois une conférence de presse sur la surveillance des eaux littorales et côtières et sur la qualité de ces eaux. Nous avons, à cette occasion, traité de la dimension sanitaire de l'environnement.
Par ailleurs, nous sommes concernés par tous les objectifs du développement durable, pas seulement par ce qui concerne l'océan – l'objectif 14 – mais aussi par les questions connexes, comme la sécurité alimentaire ou les problématiques liées aux énergies marines nouvelles.
Enfin, nous sommes présents sur toutes les façades maritimes de l'Hexagone, de Boulogne-sur-Mer à Bastia, avec des forces inégalement réparties selon les lieux. Une très grande partie du dispositif de l'Ifremer se situe à Brest, en Bretagne, mais nous sommes aussi présents à Boulogne, à Port-en-Bessin, à Concarneau, à Dinard, à Lorient, à Arcachon, à La Tremblade, à Sète, à La Seyne-sur-Mer et je dois en oublier. Nous sommes aussi présents dans la plupart des territoires ultramarins, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Martinique, à La Réunion, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Je pense que c'est important sur ces questions de santé environnementale.
En matière de santé de l'environnement, l'Ifremer est actif de deux manières. Nous étudions intensément les questions de pollution d'origine chimique, physique ou biologique. Nous avons mis en place toute une série de réseaux sur ce sujet qui concerne la santé des écosystèmes et des milieux. Nous sommes aussi concernés par les questions relatives aux conséquences sanitaires de ces pollutions, via l'alimentation essentiellement. Pour faire le lien entre, d'une part, la santé de l'environnement ou de l'océan pris globalement et, d'autre part, la santé humaine, nous passons principalement par le biais de l'alimentation. Nous avons donc un certain nombre d'unités de recherche, situées essentiellement à Nantes et sur la façade atlantique mais pas uniquement, qui travaillent sur les questions de santé de l'environnement et de microbiologie, sur des questions d'écotoxicologie et de biochimie, sur la bancarisation de l'ensemble des données que nous rassemblons sur les façades. Nous avons également en Occitanie une unité de recherche spécialisée dans les interactions entre les hôtes, les pathogènes et l'environnement. Enfin, nous disposons de toute une série de stations ou de laboratoires de façade, que nous appelons les « laboratoires Environnement Ressources », présents dans tous ces lieux que j'ai mentionnés précédemment et qui rassemblent des données sur la qualité des eaux, aussi bien sous l'angle biologique que chimique.
Ces réseaux rassemblent environ 130 équivalents temps plein. En en excluant une quarantaine qui sont spécialisés dans l'halieutique, un peu plus de 80 équivalents temps plein travaillent donc vraiment sur la question de la surveillance de l'environnement, de la surveillance sanitaire en général et de la surveillance sanitaire de l'eau. Cela peut être pour rassembler des données, pas nécessairement pour conduire des recherches. Nos réseaux rassemblent des données et, selon les sujets, accomplit des tâches d'observation ou de surveillance. Les données issues de ces réseaux sont bancarisées par un service basé à Nantes. Elles sont restituées, mises en forme et peuvent être partagées, par exemple via des cartes. Ces travaux sont menés en étroite interaction avec un certain nombre de directions d'administration centrale, notamment la direction générale de l'alimentation.
Lors de la conférence de presse que nous avons tenue à Nantes le 9 juillet dernier, nous avions présenté un certain nombre de résultats, dont certains sont issus de trente années de suivi de ces réseaux d'observation et de surveillance, dans le domaine des pollutions chimiques ou biologiques et de leurs impacts éventuels. Ce bilan a été largement partagé et repris.
La question de la santé de l'environnement est donc une question importante pour l'Ifremer mais ce n'est pas la seule question sur laquelle nous travaillons. Nous nous intéressons aussi aux ressources halieutiques, à l'interaction entre l'océan et le climat, à la biodiversité des grands fonds, aux mollusques marins et à leurs pathologies. Je me suis centré sur l'objet de votre mission mais nous pouvons répondre à d'autres questions.
Votre institut n'est ni pilote ni partenaire du plan national santé environnement (PNSE) 3. Avez-vous été associés à sa mise en œuvre ?
L'Ifremer n'est effectivement ni pilote formel ni partenaire mais est impliqué dans un certain nombre d'actions qui se font au titre du PNSE 3.
Nous ne participons pas au pilotage du PNSE 3 et nous ne serons pas non plus présents dans le pilotage du PNSE 4 qui se met en place. Un certain nombre de sujets évoqués dans ces PNSE sont néanmoins des sujets qui nous mobilisent au quotidien, le premier d'entre eux étant celui de l'exposome, puisque l'océan est le réceptacle ultime de toutes les contaminations. Le concept d'exposome nous préoccupe largement, plutôt sous l'angle environnemental que sous l'angle de la santé humaine.
Au niveau territorial, votre institut et ses centres devaient être impliqués dans certains plans régionaux santé environnement (PRSE). À quel point et sous quelles modalités cette implication a-t-elle été effective ?
Nous disposons de laboratoires Environnement Ressources sur les différentes façades et dans différentes régions. Ces laboratoires sont au contact des acteurs locaux, notamment des services de l'État en région. Les PRSE étant des programmes à vocation territoriale, nous pouvons effectivement, sur certains territoires, être amenés à y contribuer. Par exemple, dans une région où le PRSE traite des questions de contaminations des ressources marines, l'Ifremer est mobilisé dans le cadre des plans soit pour apporter des données, soit pour participer à des actions d'échantillonnage. Je ne peux pas pour autant vous dresser un panorama exhaustif de notre contribution, région par région, à chaque PRSE.
Je n'étais pas président de l'Ifremer à l'époque de la mise en place du PNSE 3. Il est exact que la question des milieux marins n'est que modestement présente dans les documents du PNSE 3. En faisant une analyse textuelle de la fréquence des mots, les occurrences des qualificatifs « marin » ou « maritime » sont peu nombreuses dans ce PNSE.
Pourtant, un très grand nombre de pollutions continentales ou d'activités à terre, même loin de la mer, se traduisent in fine par des effets en mer, que ce soit à la côte ou plus loin. Nous trouvons par exemple des plastiques partout, y compris dans des endroits improbables. Il me semble donc que la dimension maritime devra être importante dans les plans à venir. Le premier point serait donc de savoir si la mer apparaît dans le PNSE, avant de savoir si l'Ifremer y apparaît en tant qu'organisme. Les impacts en milieu marin sont essentiels, et une présence forte de la mer dans le PNSE correspondrait à cette réalité. L'Ifremer représente entre un quart et un sixième des compétences en sciences et technologies marines en France, toutes disciplines confondues, de l'océanographie physique à la biologie marine, à l'écologie marine et aux sciences portuaire. Il faudrait donc d'abord que la mer apparaisse dans les PNSE futurs et, ensuite, il faudra s'assurer de la manière dont la communauté scientifique, l'Ifremer notamment mais pas seulement elle, participe aux travaux qui sont nécessaires.
Les autres organismes qui jouent un rôle important dans le domaine marin sont le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) au niveau international, pour les pays en développement et les pays du sud. Ce sont les principaux acteurs et, ensuite, certaines écoles d'ingénieurs peuvent également intervenir sur tel ou tel sujet. L'Ifremer est néanmoins le seul institut à avoir un mandat spécifiquement marin, et constitue donc naturellement un point focal à ce sujet.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez avec les autres instances européennes ? Voyez-vous des axes d'amélioration possibles dans votre collaboration avec ces instances ? Quelles informations pouvez-vous nous donner s'agissant des institutions européennes ?
Il existe, dans le cadre du futur programme Horizon Europe, une mission européenne nommée « Santé des océans, des mers et des eaux côtières et continentales ». Cette mission est présidée par l'ancien commissaire européen et directeur général de l'Organisation générale du commerce (OMC), M. Pascal Lamy. Il est assisté d'un conseil de quinze experts qui l'accompagnent dans la définition des orientations de cette mission. Parmi ces experts se trouve un chercheur de l'Ifremer, M. François Galgani, spécialiste des plastiques. C'est l'un des premiers chercheurs en France et probablement en Europe à s'être intéressé à la question des pollutions plastiques dès les années 1990. Cela rentre donc typiquement dans le cadre de ce dont nous parlons.
M. Pascal Lamy a souhaité nous rencontrer et visiter l'Ifremer. Il a passé une journée à Brest – de mémoire, le 3 février 2020 – et, parmi de nombreux sujets potentiellement intéressants en termes de santé des océans au sens large, nous avons mis l'accent sur la notion d'exposome. Les milieux côtiers et les estuaires sont très exposés à toutes les pollutions et aux contaminations d'origine continentale. Nous disposons aujourd'hui d'outils d'analyse dont nous ne disposions pas il y a cinq ou dix ans, ce qui a permis à la notion d'exposome d'émerger dans les années 2010, alors qu'auparavant nous n'aurions pas été en mesure d'étudier cette notion avec une grande profondeur.
Nous avons exposé ces points à M. Lamy, et lui avons dit que c'était, à notre avis, un sujet sur lequel la mission qu'il préside devrait se focaliser. C'est un sujet important pour les populations, qu'elles peuvent comprendre et saisir. C'est aussi un sujet sur lequel la communauté scientifique doit maintenant pouvoir avancer ; nous disposons en effet de méthodes, de technologies et d'outils nouveaux et plus performants qu'il y a dix, quinze ou vingt ans. Voici donc un exemple d'actions que nous avons eues, et que nous avons encore, puisque la commission Lamy a remis son rapport. Il sera maintenant soumis à la consultation des différents États-membres de l'Union européenne, et se traduira par un programme d'actions. Le rapport a déjà fait des propositions et le sujet que nous venons d'évoquer a été au moins partiellement repris. Cet exemple illustre la façon dont nous nous sommes mobilisés, en portant la parole auprès des collègues français qui interagissaient avec ce conseil, auprès du secrétariat général à la mer. Cela reste un sujet d'actualité.
Au niveau européen, les forces de recherche sont structurées au travers d'un outil, les initiatives de programmation conjointes (IPC), qui sont des actions de programmatique conjointe qui rassemblent différents États européens. En France, trois organismes participent à l'IPC consacrée aux océans : le ministère chargé de la recherche, l'Agence nationale de la recherche et l'Ifremer. L'idée en est d'identifier un certain nombre de sujets d'intérêt et de mettre en place des actions communes, qui peuvent être des actions de réflexion ou des programmes de recherche. Dans ce cadre, les sujets liés à la santé des océans ou aux liens entre les océans et la santé humaine sont portés par cette initiative.
Il existe également une structuration par des associations scientifiques. L'une des plus connues et des plus visibles est le European Marine Board, qui rassemble différents organismes européens à peu près similaires à l'Ifremer, dans l'optique de favoriser la prospective et le positionnement sur différents sujets en jeu dans le domaine des sciences marines.
Il existe par ailleurs différents réseaux scientifiques qui s'intéressent à des sujets particuliers. Par exemple, l'action Seas, Oceans & Public Health in Europe (SOPHIE) s'intéresse spécifiquement aux liens entre océans et santé humaine. L'Ifremer est directement présent dans un certain nombre de réseaux. Lorsqu'il n'y est pas, des structures dont il est membre en font partie, ce qui permet à l'institut de bénéficier de retours d'informations ou de prendre part à certaines activités. La structuration est donc assez dense au niveau européen et l'Ifremer essaie de s'y impliquer, voire d'être proactif dans cette structuration.
J'ajoute que nous voyons émerger au niveau européen une série de questions qui concernent l'océan, la santé des océans et la santé humaine. L'initiative SOPHIE est un excellent exemple d'une structuration de la communauté européenne et de la définition d'une feuille de route qui permettent de dire quels sont les grands sujets qui peuvent être traités à l'interface entre océan, santé de l'océan et santé humaine. Au sein de l'Ifremer, nous commençons à afficher des thématiques du type « mer et santé ». Les Occitans et le site de Montpellier s'y intéressent, mais cette question est surtout portée à Nantes pour des raisons historiques liées au dispositif de l'Ifremer, parce que c'est là que se trouvent les laboratoires adéquats.
Par ailleurs, toute une série de projets européens passés ou en cours ont traité des questions de santé des eaux. Nous avons accueilli l'an dernier à Brest la conférence de fin d'un projet européen majeur, VIVALDI, qui portait sur la santé des mollusques. Il est impossible de regarder la santé des mollusques sans étudier de façon un peu générale la qualité des eaux et de l'écosystème. L'Ifremer était coordonnateur du projet VIVALDI et avait donc structuré la communauté scientifique autour de cette activité, avec une dizaine de pays parties prenantes.
Un autre projet, nommé VEO, vient de démarrer. Il s'agit d'un observatoire polyvalent des maladies infectieuses émergentes. Nous n'en sommes pas le coordonnateur, mais nous en sommes partie prenante. À l'occasion du démarrage de ce projet, juste après le début du confinement, nous avons fait des travaux pour vérifier l'absence du coronavirus SARS-CoV-2 dans les eaux marines et dans les mollusques. Il s'agissait de vérifier l'absence de danger à aller en mer, que ce soit pour des raisons touristiques ou professionnelles.
Nous pourrions ainsi présenter de nombreux projets sur les questions sanitaires et les questions de santé de l'environnement au niveau européen.
Nous avons accueilli précédemment des représentants de l'Institut national de l'environnement et des risques (Ineris) qui nous ont dit qu'ils disposaient de méthodologies et de capacités insuffisantes pour faire des analyses. Au contraire, vous nous dites donc que vous êtes plutôt satisfaits de vos capacités et des méthodes en place ?
Je ne dis pas que nous sommes satisfaits des moyens, mais que nous avons les outils conceptuels et les méthodes pour étudier la notion d'exposome. Nous avons les outils pour quantifier, qualifier et caractériser la diversité des contaminants que nous pouvons trouver dans l'eau de mer. Nous avons donc les capacités de faire cette exploration, mais il faut effectivement avoir les moyens correspondants. Lorsque nous disions à Pascal Lamy que cette question de la santé des eaux continentales et côtières devrait être une priorité, nous lui demandions aussi d'y allouer des moyens. Nous ne sommes donc pas, de ce point de vue, en rupture avec l'Ineris.
Je pense que nous pouvons actuellement traiter cette question alors que, il y a cinq ou dix ans, nous ne disposions pas des outils analytiques nécessaires pour le faire. Il nous faut cependant acheter ces outils et les installer. Il faut des compétences, mais la communauté scientifique a la capacité potentielle de se saisir de ces questions d'exposome en milieu marin.
Par ailleurs, nous avons avec l'Ineris une cellule commune, de petite taille, basée à Nantes, qui travaille spécifiquement sur les risques chimiques.
Les questions d'alimentation, concernant notamment la sécurité des fruits de mer, apparaissent très souvent dans les médias, avec notamment des interdictions de pêche à pied ou de consommation de certains coquillages. Nous voyons aussi émerger les problématiques liées à l'eutrophisation, en particulier en ce qui concerne les algues vertes. Où en sommes-nous sur ces sujets et quels sont les axes de progression que vous pouvez identifier ?
C'était pour partie l'objet de la conférence de presse que nous avons faite à Nantes en juillet dernier. Pour résumer le message que nous avons voulu faire passer, la situation en matière de santé de l'environnement côtier s'est améliorée depuis une trentaine d'années mais, bien qu'elle se soit améliorée, elle n'est pas satisfaisante. L'image que j'ai utilisée est celle d'un verre à moitié plein, qui a tendance à se remplir, mais qui n'est pas encore plein. Tant sur la question de la surveillance microbiologique que sur celle des contaminations chimiques, sur la question des microalgues et de l'eutrophisation, nous avons montré ce qui avait progressé et quels étaient les points de vigilance qui demeurent.
Je vous communiquerai le dossier de presse. Pour vous en résumer l'essentiel, sachant que nous avons à l'Ifremer les données nécessaires pour documenter plus précisément la question, nous travaillons sur ces sujets en lien avec les agences de l'eau et avec l'Office français de la biodiversité. Les données sont acquises soit dans le cadre de la directive-cadre sur l'eau du Parlement européen et du Conseil prise le 23 octobre 2000, soit dans le cadre de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin du Parlement européen et du Conseil prise le 17 juin 2008. Cela répond également à votre question sur l'Europe : au-delà des questions de recherche que nous avons déjà évoquées, nous assurons également la surveillance de l'environnement marin dans un cadre national inspiré du cadre européen.
Sur la surveillance des microalgues et de l'eutrophisation, nous avons montré comment la qualité de l'étang de Thau en Méditerranée a pu être restaurée en une cinquantaine d'années grâce à des stations d'épuration, à des travaux scientifiques, à la réduction des apports de phosphore et d'azote et à la reconstitution progressive de l'écosystème. Cela est donc faisable mais prend beaucoup de temps. Nous avions par ailleurs noté, parmi les points de vigilance, l'existence d'épisodes d'eaux colorées dans l'estuaire de la Loire, dans la baie de Vilaine et globalement en Bretagne-Sud. Nous avons aussi évoqué des proliférations en Manche et en mer du Nord d'une microalgue qui peut générer des mousses assez épaisses, atteignant presque un mètre de hauteur.
Ces éléments montrent donc à la fois des points qui restent à traiter et peuvent clairement être améliorés, et le fait que nous avons été capables d'améliorer la situation. Nous avons précisé que 7 % des eaux côtières métropolitaines n'atteignent pas encore le bon état écologique en termes d'eutrophisation. Nous pouvons donc à la fois nous réjouir du fait que 93 % l'atteignent et nous désoler du fait que 7 % ne l'atteignent pas.
De la même manière, sur la contamination chimique, nous avons tracé un certain nombre d'améliorations et certains points de vigilance datant parfois de longues années. C'est par exemple le cas du cadmium dans l'embouchure de la Gironde, qui demeure encore après avoir été détecté à la fin des années 1970. Nous en trouvons encore les traces presque cinquante ans plus tard. Ce cadmium se trouve dans les sédiments et est remis en suspension périodiquement.
Nous avions présenté lors de la conférence de presse des précisions sur certains sujets particuliers. De manière générale, nous disposons d'indicateurs au niveau national.
Quelles sont, en matière d'environnement côtier, les actions spécifiques qui pourraient être conduites, et par qui pourraient-elles être menées ? Quelle est votre expérience sur les actions qui ont fonctionné ?
Dans le cas de l'étang de Thau, c'est un long travail de multiples acteurs. Comme nous le disions, la mer est le réceptacle ultime des contaminations terrestres. Les eaux de transition telles que celles d'un étang ou d'une lagune n'échappent pas à la règle. C'est en intervenant en amont que nous pouvons avoir un impact positif sur la qualité chimique ou biologique, parfois physique, de l'eau, ce qui permet à son tour une reconquête du milieu. Cela passe notamment par l'évolution des pratiques agricoles, des évolutions dans le traitement des eaux usées dans les stations d'épuration, ou encore l'amélioration des pratiques de gestion des déchets à terre. Il faut mobiliser tout un ensemble d'éléments pour pouvoir réhabiliter un milieu en un temps assez long.
Dans votre champ de compétences, quelles actions spécifiques pourraient-elles être menées à destination des enfants ou des jeunes ? En conduisez-vous déjà ? Avez-vous des partenariats à ce sujet avec l'Éducation nationale ?
De façon générale, j'ai indiqué que nous inscrivons notre politique dans une perspective de science ouverte et de développement durable. Qui dit science ouverte, dit développement des sciences participatives, qui peuvent amener des citoyens à contribuer à des projets de recherche aux côtés des chercheurs professionnels, dont ceux de l'Ifremer, à égalité de droits et de devoirs, même si chacun n'a pas les mêmes compétences et les mêmes talents. Cela fait partie d'une politique générale qui nous amène à avoir des projets dits de « sciences participatives ». Nous en avons notamment sur l'océan profond, comme sur les microalgues dans l'Atlantique.
Même si cela ne répond pas à vos questions sur la santé environnementale, je sors d'un événement organisé par la fondation Dassault Systèmes, l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep), le rectorat de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), la direction du numérique de l'Éducation nationale et le réseau Canopé. Nous montons actuellement un corpus d'outils numériques à visée pédagogique pour les enfants des collèges. Nous le testons en région PACA et nous l'étendrons ensuite à l'ensemble du territoire national. Ce projet vient d'être lancé, à quatorze heures trente, à Vélizy.
Ce n'est pas vraiment de la science, c'est plus de la médiation scientifique. Six axes sont traités, dont l'un porte sur la restauration écologique. Par exemple, nous voyons des enfants se servir d'imprimantes 3D afin de créer des récifs artificiels, qui peuvent ensuite être mis en place là où cela est utile. L'Ifremer a déjà commencé à le faire dans la rade de Toulon, pour étudier comment favoriser le retour de certaines espèces en leur fournissant des habitats. Nous transportons donc dans le contexte de l'Éducation nationale des actions que nous menions déjà. Ce projet contient également un axe sur la pollution. Il s'agit dans cet exemple d'intervenir au niveau du collège, l'idée étant ensuite de passer au niveau du lycée. La fondation Dassault Systèmes est très portée sur le numérique et la 3D, mais nous pouvons imaginer de faire le même type d'actions dans d'autres circonstances.
J'ai un autre exemple d'action participative, qui ne concerne pas directement les élèves. Un des navigateurs solitaires de la course Vendée Globe embarque des filtres pour détecter des microplastiques dans des endroits improbables, rarement traversés du sud de l'océan Pacifique. Comme le montre cet exemple, nous menons de multiples initiatives en direction des jeunes ou des moins jeunes pour acquérir des données intéressantes. D'autres actions permettent une activité plus proactive : ainsi, ce que nous faisons avec les jeunes en Méditerranée relève davantage de la restauration que de l'observation. Les jeunes qui ont témoigné ont eu des retours plutôt positifs. Le sujet les intéresse et le fait de travailler avec des professionnels et d'apprendre autrement leur paraît tout à fait positif.
Pouvez-vous, au niveau de l'Ifremer, hiérarchiser et prioriser tous les impacts maritimes en rapport avec la santé environnementale ? Je pense en particulier à la diminution des ressources halieutiques, qui pourrait avoir un impact direct sur la souveraineté alimentaire des populations, ou à la création du continent plastique. Je pense aussi à la multiplication des microplastiques en suspension ou à l'absorption du CO2 par la mer, qui serait, d'après ce que nous lisons dans la presse, a priori sous-estimée. Quelles sont les relations entre les activités humaines et cette capacité d'absorption du CO2 ?
Je pense également à la prolifération, due à l'activité humaine de façon indirecte, de toutes les espèces nuisibles, en particulier, en Méditerranée, ces grosses anémones qui dévorent les posidonies et font diminuer la photosynthèse locale, ou encore les méduses.
Pouvez-vous établir une hiérarchie des combats ? L'un des combats à mener implique-t-il réellement l'avenir de la mer comme ressource pour l'humanité ? Dans le nom de votre institut, figure l'exploitation de la mer : ce nom, peut-être un peu agressif, montre à quel point vous êtes les experts de ces ressources.
Par ailleurs, je suppose que vous étiez partie prenante de la conférence internationale sur les sargasses. Presque un an après cette conférence, un bilan se dégage-t-il ? Elle était, d'un point de vue politique, destinée à amener les petits et grands pays des Caraïbes à s'emparer du sujet environnemental, mais elle a finalement été réduite à cette thématique des sargasses. Les pays des Caraïbes se sont certes retrouvés autour de cette thématique essentielle, mais ils l'ont fait en oubliant un peu toutes les autres thématiques propres aux Caraïbes.
Votre première question est redoutable, car la diversité des sujets qui concernent l'océan est colossale. Nous commençons aujourd'hui à avoir une vue synthétique, sur les zones côtières et littorales, de l'état de la qualité des eaux, des principales menaces, des points d'alerte rémanents et de l'amélioration générale. Nous arrivons donc à caractériser un certain nombre de points. En revanche, il est compliqué de hiérarchiser entre le travail que nous faisons sur le côtier et le changement climatique, le stockage du carbone, l'acidification de l'océan qui en découle, les risques pour la santé de l'océan et pour certaines espèces. Les deux sujets sont importants et je peine à les hiérarchiser.
J'ai été récemment invité à intervenir à Monaco dans une conférence organisée par la fondation Albert 1er sur le thème « santé de l'environnement et santé de l'homme ». Cette conférence organisée par les Monégasques et par le journal L'Obs est en ligne. J'ai insisté sur le fait que les activités humaines, que ce soit la pollution ou la surpêche et la surexploitation, peuvent se traduire par la diminution des populations de poissons, d'où en résulte un risque pour l'alimentation humaine. Les poissons fournissent des protéines et des composants de bonne qualité pour la nutrition. Il est exact que la question de la pêche, de la nutrition et de la souveraineté alimentaire se pose, mais il est difficile de hiérarchiser ce sujet par rapport à celui de l'acidification de l'océan.
L'Ifremer étudie l'ensemble de ces questions et, en l'état actuel des connaissances, je répète que j'ai du mal à les hiérarchiser. J'ai aussi dirigé l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), et mon sentiment est que nous en savons davantage sur ce qui concerne l'agriculture et l'alimentation d'origine continentale que sur l'océan, même si les deux sont interconnectés. Que vous appeliez de vos vœux cette hiérarchisation est légitime, mais j'aurais du mal à la produire. Par exemple, les impacts des microplastiques sur la santé des animaux marins sont en cours d'étude. L'Ifremer vient de publier un document sur l'impact des nanoplastiques sur la fécondation des huîtres – c'est un sujet très pointu. Vous posez de façon très légitime une question d'une certaine ampleur alors que nous avançons de façon pointue. Toute une série de questions se posent sur les nanoplastiques ; elles sont traitées par l'Ifremer, par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), par des universités.
Sur les algues nuisibles, nous avons organisé en 2019 la grande conférence sur les efflorescences algales toxiques. Nous pensons que de nombreux travaux sont à mener sur cette question et que c'est plutôt une priorité. Au vu des connaissances, nous abordons actuellement « en râteau » plusieurs questions, plutôt que nous ne hiérarchisons les sujets.
Pour préciser, quels sont les secteurs sur lesquels vous nous alertez ? Quels sont les sujets sur lesquels vous estimez qu'il est indispensable et urgent d'agir afin de ne pas basculer dans une situation de non-retour ? Il est tout à votre honneur de travailler sur tous les sujets, mais le sens de ma question est de savoir si certains sujets sont essentiels.
Je souhaite compléter la question de ma collègue, en demandant s'il existe des marqueurs significatifs, des repères d'alerte sur ces sujets. Nous avons compris qu'il est difficile d'avoir une vue d'ensemble, et que vous êtes obligés de focaliser vos démarches sur certains éléments. Pouvez-vous plus facilement intervenir sur certains symptômes de mauvaise santé de l'océan liés aux pratiques humaines ?
Un rapport a été remis en 2019 par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui est, grosso modo, le groupe d'experts internationaux sur la biodiversité. Une collègue française en fait partie et un collègue de l'Ifremer de l'unité sétoise a pris le relais. Nous sommes donc présents dans ces évaluations internationales. La France n'est pas complètement absente de ces sujets.
Dans la partie marine du rapport sur la biodiversité, la surpêche apparaît comme un sujet majeur. Toutefois, même si la situation mondiale des pêches se dégrade, la situation européenne s'est améliorée en qualité. La politique commune des pêches a permis une restauration progressive de populations qui sont maintenant gérées de manière durable, ce qui n'était pas le cas il y a vingt ans. Cependant, comme pour la question des pollutions, le verre n'est pas plein ! De mémoire, actuellement, la moitié des populations de poissons pêchés par les pêcheurs français sont gérées de manière durable, ce qui signifie que l'autre moitié ne l'est pas. Cependant, la situation est tout de même nettement meilleure que celle d'il y a vingt ans.
En revanche, au niveau mondial, la tendance est inverse, avec une dégradation. Alors que l'effort global de pêche augmente, la quantité de poisson pêchée n'augmente pas, ce qui traduit le fait que nous exploitons sans doute cette ressource de manière non durable. Certaines espèces sont durablement pêchées mais d'autres ne le sont pas du tout. Cela renvoie aux questions sur la souveraineté alimentaire, au fait que des millions de petits pêcheurs, surtout dans les pays en développement, vivent de cette activité et que les populations, surtout côtières, ont besoin de ces protéines. Cela induit des questions sur le développement de l'aquaculture, qui posera toutefois d'autres problèmes.
Un deuxième sujet important est celui de la pollution. Nous parlons beaucoup des plastiques mais ce n'est pas la seule pollution. Il s'agit aussi bien de pollutions au sens strict par des contaminants chimiques que de pollutions organiques telles que les excès de phosphore ou de nitrates. Le rapport de l'IPBES fait également apparaître une sorte d'addition des effets. Nous pensions que chaque risque avait un effet, mais nous voyons maintenant que, dans certaines zones, il se produit une addition des différentes pollutions ou une addition de pollutions et de la surpêche. Se pose alors la question des impacts cumulés. Nous sommes à ce sujet dans une zone incertaine. En effet, nous ne savons pas si les impacts, lorsqu'ils sont cumulés, deviennent synergiques et encore plus dévastateurs, ou si, au contraire, il existe entre eux des formes de compensation.
Il est très difficile de hiérarchiser entre d'un côté la question du changement climatique, de la montée des eaux et de leur réchauffement, et de l'autre celui de la biodiversité marine. Leurs effets sur la santé humaine et la santé de l'environnement ne sont pas complètement caractérisés. J'ai de la peine à dire s'il faut privilégier la biodiversité par rapport au climat ou l'inverse. Ces deux questions sont majeures.
L'Ifremer suit le sujet des sargasses puisque nous avons une implantation à la Martinique et une implantation en Guyane. Ce sont des territoires concernés au premier chef par ces problématiques. Nous ne sommes toutefois pas les acteurs les mieux positionnés sur cette question. L'Institut de recherche pour le développement (IRD), par exemple, est fortement mobilisé. Nous intervenons plutôt en appui aux communautés scientifiques, auxquelles nous apportons des compétences spécifiques en modélisation ou par certaines de nos infrastructures de recherche.
Vous alliez un peu plus loin que les sargasses en évoquant les autres sujets propres aux Caraïbes. Certains de ces sujets mobilisent les équipes de l'Ifremer, notamment en Martinique, en particulier la chlordécone et la ciguatera. L'Institut mène une action visant à renforcer en interne nos compétences en Martinique pour pouvoir se saisir de ces enjeux. Nous agissons en termes de moyens en nous appuyant sur nos installations expérimentales sur place. Nous faisons aussi le lien entre des équipes en métropole et les équipes en Martinique, afin que les compétences déployées en métropole sur certains sujets puissent être transférées dans les régions ultramarines, notamment en Martinique, pour traiter par exemple le sujet de la chlordécone. Typiquement, nos équipes de chimie environnementale et d'écotoxicologie basées à Nantes ont des compétences qu'elles peuvent mobiliser. Notre équipe qui s'intéresse aux algues toxiques, également basée à Nantes, a des compétences sur le thème de la ciguatera. Les deux sujets recroisent celui des sargasses puisque, dans l'océan, c'est une joyeuse soupe de multiples stress mélangés. En Martinique, nous avons sargasses, chlordécone et ciguatoxine, ainsi que d'autres stress qui attirent moins l'attention des médias.
J'ai une question complémentaire et naïve : comment pouvons-nous nettoyer la mer ? Je pense notamment au problème de la chlordécone, car j'ai entendu dire que nous en avions, avant que les pêcheurs puissent pêcher des poissons à peu près sains, pour plusieurs générations. Techniquement, le laboratoire de recherche de Nantes travaille beaucoup sur ces questions, et je voudrais savoir quel est l'avenir pour les Antillais, pour la qualité de leur pêche et de leur nourriture en général.
Ce sont rarement des actions de nettoyage de l'océan. Dans l'environnement marin, la chlordécone a une durée de vie assez longue. Les actions que nous menons à l'Ifremer visent à caractériser le danger et le risque. Elles visent aussi à assurer la maîtrise de ce risque par des recommandations de non-consommation du poisson, de fermeture de zones de pêche. Il peut même s'agir d'accompagner la puissance publique dans la mise en œuvre des plans d'adaptation des flottilles, dont l'objectif est de permettre aux populations d'aller pêcher sur des zones plus éloignées que celles où elles pêchent habituellement avec des petites flottilles. Les contaminations dans ces zones seraient moindres voire non détectables.
La recherche, pas uniquement à l'Ifremer et pas majoritairement à l'Ifremer, essaie de trouver des solutions de nettoyage en s'appuyant sur des moyens technologiques ou biotechnologiques, mais cela reste actuellement expérimental. Ainsi, sur les plastiques, la presse parle régulièrement d'actions de nettoyage de l'océan, et il y a débat un peu critique sur l'efficacité de ces actions, et notamment sur le risque de ramasser en même temps que le plastique toute la biologie qui l'accompagne, ce qui engendrerait des déséquilibres dans les écosystèmes. Il reste de nombreuses questions et, à ma connaissance, nous n'avons rien de bien probant.
Certaines contaminations provenant d'activités vieilles de trente ou quarante ans ont diminué, mais sont encore présentes dans l'environnement. Cela nous indique clairement que la première des choses à faire est de prévenir plutôt que de guérir. Il n'existe pas, à ma connaissance, de méthode robuste, pratique, simple ou industrielle de destruction de la chlordécone lorsqu'elle est dans l'environnement. Des chercheurs travaillent à son altération par des microorganismes, mais nous n'avons aujourd'hui rien d'opérant, surtout dans le milieu marin qui est hautement connecté et peu accessible.
Dans le cas des plastiques, environ 8 millions de tonnes de plastiques arrivent chaque année à la mer, chiffre qui peut aller même jusqu'à 12 ou 15 millions de tonnes. Des quantités importantes sont déjà accumulées en mer, pas en surface mais au fond. Une publication dans la revue Science, faite par des collègues britanniques et des collègues de l'Ifremer, montre que, en Méditerranée, pas loin de la Corse, se trouvent des sortes de canyons au fond desquels du plastique s'accumule. Ce n'est pas forcément dramatique. Même si cette accumulation n'est pas souhaitable, nous n'irons jamais chercher ce plastique.
Ma première réponse est qu'il faut, surtout, éviter à l'avenir les contaminations de la mer par la terre et parfois de la mer par la mer, puisque 20 % des pollutions sont supposées être dues aux activités marines. Ce n'est malheureusement pas une réponse très positive.
Vous semblez dire que certains phénomènes sont irréversibles. Pouvons-nous quand même intervenir et avoir l'espoir que nous puissions contrôler les interactions entre la terre et la mer ?
C'était le sens de notre intervention lors de la conférence de presse à Nantes. Certes, il reste du cadmium dans l'embouchure de la Gironde, mais moins qu'avant. Certes, il reste du plomb dans la baie du Lazaret à Toulon, mais moins qu'avant. L'étang de Thau était en piteux état, et il est maintenant dans un état satisfaisant. Un certain nombre d'actions peuvent donc être menées. Elles sont d'autant plus faciles à mener qu'elles sont menées en milieu côtier ou littoral, où l'accès est plus facile. Ainsi, la restauration écologique que nous menons avec des élèves se fait dans la rade de Toulon. Nous avons donc des actions concrètes pour améliorer la situation.
Malheureusement, sur certains sujets, mon devoir est de dire que je ne vois pas de solution à court terme. C'est le cas pour la chlordécone. Sur les ciguatoxines et la ciguatera, l'une de nos jeunes collègues, qui est post-doctorante, reçoit demain un prix Jeunes Talents de la fondation L'Oréal-UNESCO. C'est typiquement un sujet sur lequel nous travaillons, pour l'instant plutôt pour enrichir nos connaissances que pour agir contre les ciguatoxines, mais c'est la première étape de l'action future.
Vous avez évoqué la montée des eaux. Vous avez un centre à La Réunion, mais vous n'en avez pas en Antarctique. Je crois que vous affrétez le Marion Dufresne. Où mesurez-vous la montée des eaux et l'impact qu'elle a sur le trait de côte et sur les populations, en particulier lorsqu'elle modifie les sols et la biodiversité ? Nous le constatons peu en métropole. Est-ce plus visible dans les Outre-mer ? Le constatez-vous dans vos stations dans les Outre-mer ? Le constatez-vous grâce à la flotte que vous affrétez dans les îles Éparses de l'océan Indien comme Bassas da India ou Tromelin ?
S'agissant de la montée des eaux, l'essentiel des travaux sont plutôt réalisés sur la base de données satellitales. La mesure de l'élévation du niveau de la mer est faite principalement par satellite, ce qui explique d'ailleurs que nous ayons un partenariat fort avec le Centre national d'études spatiales (CNES). Dans le cadre de l'Observatoire spatial du climat du CNES, toute une série de sujets concerne l'élévation du niveau de la mer.
Pour comprendre la raison de l'élévation du niveau de la mer et savoir si elle provient plutôt de la fonte de l'Antarctique, de la fonte de glaciers ou de la dilatation, nous avons besoin de mesures in situ. Ces mesures sont peu liées à la flotte océanographique française, mais plutôt à un très grand réseau constitué de 4 000 flotteurs dans le monde, nommé Argo. La France est le deuxième contributeur à ce réseau, après les États-Unis. Chacun de ces flotteurs coûte de 10 000 à 100 000 euros selon le modèle, et ils ont une durée de vie de trois ans. Ainsi, nous suivons l'élévation du niveau de la mer depuis l'espace et nous en comprenons les mécanismes grâce à ce réseau de flotteurs. La flotte sert à mettre à l'eau ces flotteurs.
Je ne peux pas vous répondre en ce qui concerne l'impact par exemple dans les îles Éparses ou dans des îles Australes. Nous n'avons pas d'observatoire à terre dans ces îles qui nous permettrait de le qualifier.
À ma connaissance, la modification de la biodiversité lorsque la mer avance en modifiant les sols et donc la biodiversité a peu été étudiée jusqu'à présent. Les études ont plutôt porté sur le risque physique lié à l'érosion du trait de côte et sur le risque sociologique et humain sur l'aménagement du territoire. Le ministère des affaires étrangères nous a posé cette question pour ses coopérations internationales, et nous avons constaté qu'il n'existe que peu de travaux sur le lien entre montée des eaux et biodiversité.
Nous avons produit une étude prospective intitulée La mer monte, que nous pouvons vous adresser, produite dans le cadre de l'alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) qui regroupe tous les organismes de recherche environnementale, dont l'Ifremer, et en particulier l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), qui s'est fortement mobilisé pour cette étude. Cette étude présente le paysage général de la montée des eaux et s'est attachée à regarder trois situations particulières, une en Asie au Vietnam, une en Europe aux Pays-Bas avec les polders, et une en France en Nouvelle-Aquitaine. Le travail porte plutôt sur les stratégies d'adaptation, ce qui peut être intéressant, notamment pour les collectivités territoriales, même si elles n'ont pas attendu cette étude pour se saisir du sujet. Les stratégies y sont étudiées selon les méthodes d'anticipation de la montée des eaux et de redéfinition des plans d'aménagement du territoire. L'étude constitue une aide à la réflexion pour les collectivités concernées. J'en ai parlé à Régions de France et nous nous tenons à leur disposition pour la partager.
Je vous remercie pour toutes ces explications. Nous avons pris grâce à vous un grand coup d'air du large, ce qui est à la fois dépaysant et instructif pour les citadins que nous sommes. Nous sommes très demandeurs du dossier de votre conférence de presse, qui semble comporter des éléments complémentaires intéressants.
L'audition s'achève à dix-huit heures vingt.