Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 10h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 15 septembre 2021

La séance est ouverte à dix heures trente

(Présidence de M. Fabien Gouttefarde, membre de la mission d'information)

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Après une table ronde sur les approvisionnements en pétrole et en gaz, nous abordons un autre sujet sensible qui revient régulièrement dans l'actualité lors des pics de consommation d'électricité en Europe, mais aussi lorsque des lignes à haute tension sont endommagées par des tempêtes ou par des feux de forêt : la résilience du réseau électrique français et européen.

Je remercie M. Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE) et M. Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E) d'avoir répondu à notre invitation. Ils nous expliqueront le fonctionnement du réseau français, fortement interconnecté avec l'ensemble de l'Europe, et en exposeront ses principales fragilités.

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je suis entouré de Pauline Le Bertre, directrice adjointe de mon cabinet, et de Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles de RTE. Cette audition étant publique, vous comprendrez que je serai parfois conduit à être lacunaire sur certains de mes propos et de mes réponses concernant les aspects de la protection du réseau de transport et du système électrique français.

RTE est tout d'abord chargée de gérer l'équilibre de l'offre et de la demande en France, en mettant en adéquation à chaque seconde la consommation des Français et la production. Elle gère également les flux en Europe et en France à travers nos interconnexions sur les réseaux de 400 000, 225 000, 150 000, 90 000 et 63 000 volts, soit la très haute et la haute tension.

Sa deuxième mission est d'être un gestionnaire d'infrastructures, puisque RTE possède le réseau de transport d'électricité.

J'entendrai dans mon propos le mot « résilience » comme la capacité d'un système à retrouver un équilibre après un choc ou un épisode traumatique. Eu égard au système électrique, la résilience se présente de trois manières.

Il s'agit tout d'abord d'une question de souveraineté en approvisionnement de combustibles, la France ne consommant pas uniquement de l'électricité.

Se pose ensuite une question de résilience technologique : la France maîtrise-t-elle les technologies qu'elle utilise sur son sol ?

Enfin, se pose une question de résilience technique, de protection du patrimoine contre des aléas, voire des actes de malveillance.

Dans la transition énergétique, RTE joue un rôle important sur trois plans.

Premièrement, éclairer la décision publique en publiant régulièrement des bilans prévisionnels sur l'équilibre offre-demande. Un important bilan prévisionnel est actuellement en préparation, dans la perspective de la neutralité carbone en 2050, visant à répondre au choix du mix électrique à cet horizon.

Deuxièmement, être un opérateur de cette transition : gérer l'équilibre offre-demande chaque jour et être un opérateur d'infrastructures qui change son réseau pour accompagner cette transition énergétique.

Troisièmement, avoir une fonction d'optimisateur : nous faisons non seulement attention à l'empreinte de notre propre réseau, mais aussi à l'empreinte économique de cette transition.

Notre premier métier est bien l'équilibre offre-demande et la gestion des flux. À ce titre, nous gérons chaque jour des aléas qui la plupart du temps ne sont pas des actes de malveillance, mais des défaillances de production ou du réseau lui-même.

Au titre de sa fonction structurante dans le système électrique, RTE dispose de nombreux plans de gestion de crise en fonction des aléas qui pourraient advenir. La sécurité des infrastructures est concernée, les lignes aériennes, les lignes souterraines, les postes électriques. Les crises pandémiques comme celle que nous traversons peuvent également l'être, avec la conception et la mise en œuvre de plans de continuité d'activité. Nous nous protégeons contre des attaques cyber. Nous disposons de documents et de plans de gestion d'aléas, notamment climatiques.

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

ENTSO-E est une association professionnelle qui réunit les gestionnaires de réseau européens sur un périmètre très large – trente-cinq pays – allant bien au-delà de l'Union européenne, des pays baltes au Portugal à la Turquie et aux îles britanniques.

L'objet de cette association qui a un historique très long est la coopération entre les opérateurs nationaux du réseau de transport d'électricité. Dès que les premières interconnexions sont apparues, il y a plus d'un siècle, les opérateurs ont dû se mettre d'accord spontanément sur des règles afin de gérer ensemble ce réseau de transport. On dit souvent que c'est le plus grand réseau interconnecté du monde : 500 millions de citoyens sont desservis. Une complexité est toutefois à souligner : il nous faut en effet respecter les préférences nationales tout en coordonnant l'ensemble en fonction des différents types de climat ou de consommation.

Cette histoire a commencé du temps des entreprises intégrées et s'est poursuivie lorsque la gestion des réseaux a été séparée des autres fonctions des opérateurs, notamment des fonctions dites de marché, c'est-à-dire d'approvisionnement des clients et de trading.

Je citerai quelques données majeures : environ 500 000 km de lignes, 1 200 gigawatts de puissance électrique installée. La France représente environ 1/10e de cet ensemble.

Historiquement, ENTSO-E intervient là où les opérateurs se donnent des règles d'exploitation communes du réseau. Avec le paquet « Énergie propre » de l'Union européenne, le rôle d'ENTSO-E est de proposer des règles qui deviendront des codes de réseau et qui auront force de loi. Ce qui dans le passé était un engagement volontaire devient un dispositif doté d'un autre poids légal, sans toutefois que sa nature en soit changée sur le fond.

L'association étant financée par les cotisations de ses membres, elle se doit de rendre un certain nombre de services qui vont du partage d'expériences ou de connaissances – par exemple en coordonnant des programmes de recherche et d'innovation – à des actions plus proches des responsabilités propres des membres, telles que l'analyse des fragilités et des incidents d'exploitation qui se produisent sur le réseau afin d'en tirer des leçons et de progresser sans cesse. Des études prévisionnelles sont produites pour mesurer les risques dans le futur à diverses échéances autour de l'équilibre offre-demande à la maille européenne. Il n'est plus possible désormais de concevoir un équilibre sans tenir compte des interconnexions, que ce soit pour alimenter ou pour recevoir du courant de l'étranger. En matière de flux, il s'agit de vérifier que l'infrastructure est bien capable de supporter les échéances saisonnières. Les moments sensibles se retrouvent en hiver, où certains pays ont toujours des problèmes de consommation, et en été, où des crises peuvent être dues à des sécheresses et à la chaleur. Une vision à moyen terme, à cinq ans, est élaborée. Au reste, un des rôles d'ENTSO-E est de préparer la planification du réseau en portant une vision à dix ans et à vingt ans.

L'esprit de notre association est de perpétuer de la solidarité. À partir du moment où on est interconnecté, on est lié pour le meilleur et pour le pire. Par foisonnement des aléas, on parvient à diminuer les risques. En revanche, la défaillance de l'un peut entraîner les autres. La solidarité se joue autour de ces aspects. Nous pouvons être satisfaits du résultat jusqu'ici puisque, même si des incidents se produisent, nous n'avons pas relevé de perte de contrôle par les opérateurs depuis très longtemps. Le grand danger, le blackout, ne tient pas à une défaillance ou à des coupures du côté des clients, mais peut arriver si les opérateurs perdent la main : s'ils ont épuisé toutes les parades à leur disposition, le système s'écroule en cascade et un pays, voire plusieurs, se retrouve dans le noir.

C'est pourquoi, en cas de casse dans un des réseaux, des moyens de secours sont spontanément proposés aux pays voisins.

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Monsieur Laffaye, pourriez-vous proposer un scénario présentant les causes d'un blackout  ? Quelles seraient les causes et le cheminement de la succession d'accidents en cascade que vous évoquez ?

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Je vais vous décrire un événement du passé où j'ai été partie prenante, le blackout d'Italie. Celui-ci est survenu à 2 heures du matin, alors que nous n'étions pas en situation de pointe de consommation exerçant des contraintes de flux sur le réseau.

L'Italie importe énormément d'électricité, notamment au travers de son interconnexion avec la Suisse .

Lorsque le courant qui passe dans une ligne augmente, celle-ci, étant en métal, s'échauffe, s'allonge et peut entrer en court-circuit avec ce qui est à proximité. Des automates la mettent alors automatiquement hors service et les flux qu'elle portait doivent trouver un autre chemin. De mauvaises prévisions météorologiques avaient été réalisées. Précisons qu'un réseau électrique est constitué d'électrons qui sont attirés d'un point à un autre et qui prennent les chemins existants les plus courts. Ils chargent donc à l'excès des lignes entre la Suisse et l'Italie. Elles-mêmes entrent en surcharge et s'interrompent ; un phénomène de cascade est ainsi amorcé et se poursuit jusqu'à la France. L'Italie, séparée du reste de l'Europe, se retrouve en déficit considérable de production par rapport à la consommation. La cascade a continué quasiment jusqu'à la Sicile.

Nous avons tiré des leçons de cet événement. ENTSO-E opère désormais pour ses membres une plateforme d'alerte : EAS – european awarness system. À l'époque, les opérateurs suisses n'ont probablement pas prévenu suffisamment rapidement leurs collègues français et italiens de ce qui se produisait. Les parades n'ont donc pas pu être déclenchées à temps. La plate-forme est désormais alimentée en temps réel, partagée dans tous les centres d'exploitation nationaux, ce qui évite cette difficulté de communication. En cas d'incident de ce genre, la priorité des opérateurs est de résoudre l'incident pour leur propre compte et pas forcément de s'occuper des conséquences pour les voisins.

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D'où viennent les infrastructures du réseau, comme les pylônes, les poteaux ou les lignes électriques en tant que telles ? Sont-elles importées ? Une rupture pourrait-elle être observée en la matière ?

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

M. Laffaye a indiqué que la gestion des flux était européenne. Pour le matériel, il en est de même : c'est une question de l'Europe. Nous achetons des cornières en France pour construire des pylônes treillis que vous voyez dans les champs, et 99 % des achats de RTE sont européens. L'essentiel des équipements que nous installons sur le réseau proviennent d'Europe. Il est bien évident que certains composants électroniques peuvent venir d'ailleurs, à peu près comme toute l'informatique mondiale. Mais les équipements d'électrotechnique que nous installons sont essentiellement européens.

En France, la fabrication de matériel électrique pour la haute tension subit le même genre de désindustrialisation que de nombreux autres secteurs. Des usines françaises ont disparu ou se sont réorganisées. Pour RTE, qui est un acteur central dans le fonctionnement du système européen, le sujet est bien l'achat européen et nous militons en ce sens.

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Quelle est votre relation aux autorités publiques, qu'elles soient nationales ou européennes. Vous avez affirmé que RTE éclairait la décision publique, rôle extrêmement important car le Gouvernement n'a pas forcément les capacités d'ingénierie nécessaires. Une discussion avec des tiers est toujours essentielle pour éclairer l'avenir. La résilience repose sur la capacité à avoir la vision la plus objective possible de la situation. De ce point de vue, quel est votre niveau d'indépendance par rapport aux autorités ?

Par ailleurs le périmètre d'ENTSO-E est plus large que l'Union européenne, incluant notamment le Royaume-Uni. Quelles sont vos relations avec l'Union européenne et les États non membres de l'Union ?

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

RTE est une société anonyme dont l'actionnariat est composé d'EDF et du groupe Caisse des dépôts à travers la Caisse des dépôts en direct et la CNP. RTE est cependant indépendant de ceux de ses actionnaires qui sont des producteurs d'électricité. Les règles européennes disposent en effet que lorsque les actionnaires de transporteurs d'électricité sont eux-mêmes producteurs d'électricité, et sont donc parties au marché, leur pouvoir est particulièrement amoindri afin d'éviter toute discrimination.

Ainsi, RTE est soumis à des règles d'indépendance à l'égard de ses actionnaires. Cette indépendance est très rigoureusement surveillée par la CRE, qui s'assure que RTE se comporte de manière indépendante chaque jour de son travail.

Comme le dit souvent M. Jean-Bernard Lévy, pour EDF, RTE est un actif. EDF n'exerce aucun contrôle stratégique sur RTE. Au reste, parmi les institutions françaises, nous tentons de parler à tout le monde : à la représentation nationale, où nous sommes régulièrement invités, à la CRE, notre régulateur qui fait notre modèle économique, au Gouvernement, puisque nous travaillons dans un environnement très réglementé. Nous sommes également en contact très étroit avec les services de l'État qui gèrent les questions de sécurité, notamment le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), l'Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

Je tiens à souligner que RTE a toujours réalisé et réalisera toujours ses bilans prévisionnels et ses projections sur le mix électrique en toute indépendance. Son statut le lui permet. Nous mettons sur la place publique un certain nombre de documents et de visions prospectives afin de documenter le débat public. À ce titre, il est important que nous soyons indépendants. Notre statut européen et notre statut de société anonyme nous permettent de l'être sans difficulté.

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Vous avez pointé une première difficulté : la différence de périmètre. Une des luttes constantes d'ENTSO-E est de mettre en avant la prévalence de son expertise technique validée et fondée sur l'action des opérateurs au jour le jour. Par ailleurs, il est essentiel de bien faire comprendre que des questions sont liées à la réalité physique des interconnexions, et que d'autres portent sur les règles de marché. Lorsque l'on confond les deux, cela devient compliqué. L'Union européenne ne peut pas imposer ses règles à tous les pays interconnectés.

Cette difficulté prend une couleur significative en ce moment du fait de deux événements.

Nous venons de recevoir des courriers de nos collègues britanniques qui sont sommés de quitter l'association. Nous aurons d'autres formes de coopération avec eux, mais, en tant que président, je considère que c'est très dommage. C'est là une des conséquences convenues de l'accord trouvé sur le Brexit.

D'autre part, la Suisse a récemment rompu les négociations qu'elle menait depuis longtemps avec l'Union européenne. Nous craignons des conséquences car la Suisse constitue un nœud du réseau européen. Cet aspect est très important pour nous du point de vue opérationnel.

Les relations avec l'Union européenne sont actives, parfois compliquées pour faire comprendre les différences d'enjeux techniques, opérationnels ou de fonctionnement du marché.

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Les gaziers et les acteurs du secteur des hydrocarbures ont des obligations de stockage : quatre-vingt-dix jours pour les hydrocarbures, un peu moins pour le gaz, ce qui leur donne une certaine résilience. En matière électrique, il est impératif d'équilibrer la production et la consommation à tout moment. Notre résilience repose donc sur notre capacité à faire les bons choix et à avoir une vision juste de l'évolution de la consommation dans les années qui arrivent.

Pour la France, la SNBC et la PPE retiennent une hypothèse d'augmentation de 30 % de l'électricité d'ici à 2050, ce qui semble plutôt faible quand on pense à l'électrification qui sera rendue nécessaire par la décarbonation des usages en matière de mobilité ou de chauffage. Ces 30 % interpellent d'autant plus que nos voisins anglais ou allemands prévoient plutôt des augmentations de l'ordre de 70 % à 80 %.

Quel rôle avez-vous joué dans l'élaboration de cette prévision ? C'était le sens de ma question concernant l'indépendance par rapport aux pouvoirs politiques. Les visions sont parfois un peu différentes au sein du Gouvernement sur l'avenir du mix énergétique. En fonction de l'attachement à une technologie, d'une sensibilité particulière en matière de transition énergétique, on peut avoir tendance à minorer ou à majorer ce que sera notre consommation électrique à l'horizon 2050, pour rendre plus ou moins prégnant l'intérêt d'ouvrir de nouvelles tranches de centrales nucléaires, par exemple.

Quel rôle RTE a-t-il joué dans l'établissement de la prévision, et la jugeait-il toujours réaliste ? Pensez-vous qu'elle puisse être réévaluée ? À l'échelle européenne, quelles sont les prévisions des différents membres d'ENTSO-E sur l'évolution de leur consommation électrique dans les prochaines années ?

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Les documents prospectifs de RTE sont technologiquement neutres. Nous ne prendrons jamais parti pour ou contre le nucléaire ou les énergies renouvelables. C'est un principe.

Vous avez évoqué le stockage du gaz. L'électricité est elle aussi stockable, mais cela est très coûteux. Pour autant, elle est produite en France. Les questions de souveraineté et de résilience au regard des chocs géopolitiques ne sont pas les mêmes pour le gaz et le pétrole.

Concernant les scénarios de consommation en 2050, le Gouvernement a élaboré en 2019 une stratégie nationale bas carbone prévoyant que la France se dispenserait du pétrole et de l'essentiel du gaz fossile en 2050. L'objectif est de nous retrouver avec deux grandes sources d'approvisionnement : l'électricité décarbonée, et les bio-énergies, d'autre part. C'est très important du point de vue de la souveraineté : en 2050, les Français consommeraient ainsi de l'énergie fabriquée presque totalement sur le territoire français. C'est loin d'être le cas aujourd'hui puisque le pétrole représente 40 % de la consommation d'énergie finale, le gaz fossile 25 %, l'électricité 25 % et le reste 10 %.

Le gain est donc considérable en matière de souveraineté. Par ailleurs, on peut considérer que les 650 térawatts-heure par an sont optimistes. Je n'émettrai aucun commentaire à ce propos ; je ne crois pas nécessairement ce que la SNBC prévoit. Notons que celle-ci retient l'hypothèse d'un gain de 40 % d'efficacité énergétique entre 2020 et 2050. Aujourd'hui, la France consomme à peu près 1 800 térawatts-heure d'énergie par an ; la SNBC prévoit un ordre de grandeur de 1 100 térawatts-heure en 2050, soit – 40 %, dont 650 térawatts-heure d'électricité décarbonée.

Nombreux sont ceux qui se demandent si cette proportion de 650 térawatts-heure est suffisante. C'est la raison pour laquelle, dans le bilan prévisionnel que nous préparons et dont les principaux enseignements devraient être rendus publics cet automne, nous avons retenu les 650 térawatts-heure comme une hypothèse. Nous avons construit d'autres scénarios de consommation, certains plus bas qui seraient des scénarios de sobriété, d'autres plus hauts qui seraient des scénarios de réindustrialisation du pays, ou encore des scénarios de très forte production d'hydrogène par électrolyse, ce qui nécessite beaucoup d'électricité.

Le travail prospectif que nous menons articule des scénarios de consommation jusqu'à 750 térawatts-heure en borne maximum et jusqu'à 550 térawatts-heure en borne minimum. Nous ne travaillons jamais sur un scénario unique, mais toujours sur des variantes qui s'articulent autour des 650 térawatts-heure.

Il est difficile d'affirmer que l'hypothèse de 650 térawatts-heure est faible. Vous avez évoqué l'électrification des usages. Mais les usages électriques gagnent en performance de manière considérable. Nous ne pouvons pas considérer que les équipements électriques actuels seront les mêmes dans trente ans. Dans tous les travaux que nous réalisons, nous intégrons la performance technologique qui génère des gains en consommation d'énergie.

Nous testons nos scénarios différenciés de consommation sur des mix différents, certains comportant du nouveau nucléaire, d'autres non en vue de les comparer. Nous n'avons pas une approche idéologique qui se centrerait de façon absolue sur les 650 térawatts-heure par an. Nous engagerons tous les tests de sensibilité permettant la tenue du débat au bon moment.

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Je n'ai pas véritablement compris quel est votre niveau d'indépendance. Sur le papier, il y a ce principe de neutralité que vous avez rappelé. Par ailleurs, votre actionnaire est l'État de manière indirecte. Lorsque vous évoquez les 650 térawatts-heure, je ne parviens pas à comprendre si c'est de manière totalement objective et indépendante par rapport à des critères propres à RTE, ou bien si vous prenez également en compte des orientations politiques pouvant être données par le Gouvernement. Selon vous, RTE est neutre pour ce qui est des modes de production et s'intéresse à évaluer la consommation. Or, le simple fait de l'évaluer est déjà non neutre. Un scénario de forts besoins en électricité induira forcément des choix stratégiques différents par rapport au scénario établi.

Au regard des délais de mise en œuvre des capacités de production, les 650 térawatts-heure représentent un chiffre très important : nous avons une faible marge d'erreur. Pour être résilient, je pense qu'il est préférable de viser un peu plus haut plutôt qu'un peu plus bas.

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je ne me suis jamais posé la question depuis que je suis président de RTE, mais je ne crois pas que l'État ait le pouvoir de me révoquer. Cela peut être considéré comme un gage d'indépendance.

L'État n'est pas actionnaire de RTE, même si un représentant de l'agence des participations de l'État siège à notre conseil de surveillance.

La neutralité carbone reste un choix méthodologique. Lorsque nous travaillons sur des scénarios de consommation et de mix électrique, il est nécessaire de partir d'une référence. Le document de la SNBC de la France existe et est de surcroît de qualité. Nous ne le suivons pas pour autant de manière aveugle. Nous avons décortiqué la SNBC et l'avons légèrement redressée dans nos études, ce qui nous permet par la suite d'élaborer des scénarios de consommation à la baisse et à la hausse en écoutant tout le monde.

L'ensemble de nos travaux prospectifs fait l'objet d'une gigantesque concertation. Dans le cas d'espèce, le bilan prévisionnel que nous allons publier à l'automne fait suite à un an et demi de concertations avec l'ensemble des parties prenantes du secteur : des acteurs de l'énergie, des ONG, des syndicats, le Gouvernement, la CRE, l'ASN. L'ensemble des hypothèses retenues pour nos scénarios a donné lieu à un consensus. RTE ne décide pas seul, mais organise des concertations en vue d'aboutir à des consensus sur les différents types de scénarios de consommation.

Le produit de la concertation induit une sorte d'éventail entre les scénarios de forte sobriété, de l'ordre de 550 térawatts-heure, à des scénarios de forte réindustrialisation et de forte production d'hydrogène, à environ 750 térawatts-heures

Toutes ces hypothèses sont techniquement documentées ; les scénarios de consommation le sont avec des éléments sur la performance technique des appareils.

En outre, je ne voudrais pas que l'on puisse sous-entendre que la France consommerait énormément en 2050 alors que nous n'aurions pas un mix de production suffisamment bien dimensionné pour répondre à cette demande. Je rappelle que nous prenons en compte des scénarios de consommation et testons des mix électriques. Les modèles que nous faisons tourner garantissent au pays la sécurité d'approvisionnement.

Dans nos études, nous simulons l'ensemble du système électrique français et de nos dix-sept voisins européens à chaque heure de chaque jour et de chaque année pendant trente ans pour vérifier que les mix électriques que nous testons avec les scénarios de consommation garantissent la sécurité d'approvisionnement des Français. Un mix électrique qui comporterait énormément d'énergies renouvelables demanderait des flexibilités, beaucoup d'interconnexions, de stockage stationnaire ou par hydrogène ainsi qu'une grande flexibilité de consommation. Nous le dimensionnons, nous le chiffrons, raison pour laquelle nos bilans prévisionnels se traduisent en euros. L'exercice auquel nous nous livrons est bien un exercice d'équilibre d'offre, de demande et de sécurité d'approvisionnement. Nous répondons à la question suivante : quels sont les chemins possibles pour que la sécurité d'approvisionnement du pays soit garantie, que vous choisissiez de faire du nouveau nucléaire ou non ? Tout se dimensionne.

Il s'ensuit une question de choix politique et de modèle de société qui n'est pas de notre ressort. Par nature, nos études simulent le système électrique et dessinent des chemins empruntables qui garantissent la sécurité d'approvisionnement des Français. Nos modèles sont conçus de la sorte ; nous agissons en respectant les règles actuelles. Le directeur général de l'énergie et du climat, que vous avez entendu, a évoqué ce que nous nommons de manière impropre le critère de défaillance. Nous respectons ce critère de défaillance dans l'ensemble de nos études, même pour 2050. D'ailleurs, sans dévoiler de secret, nous comptons faire mieux que trois heures en 2050 et nous procéderons à des tests.

Bien évidemment, les relations entre une tutelle technique et un opérateur donnent lieu à des discussions. Des échanges ont lieu lorsque le Gouvernement élabore des documents techniques : il peut avoir besoin de prendre appui sur notre expertise. RTE met alors son expertise à disposition. Mais c'est le pouvoir exécutif qui décide.

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Concernant le stockage, il faut relativiser la différence que l'on peut faire entre le gaz et l'électricité. Certes, l'électricité est surtout un vecteur énergétique, un médium, et n'a pas spontanément de possibilités de stockage. Mais les barres d'uranium dans une centrale nucléaire sont de l'énergie stockée pouvant immédiatement être convertie en électricité. Or le stockage du gaz que nous évoquons est bien la capacité des tuyaux de gaz à diminuer en pression. Cet « avantage » de stockage dure quelques heures, pas plus. En revanche, la question prend une couleur nouvelle avec le renouvelable ; nous constatons en l'occurrence une énergie surabondante. C'est ce qui donne une actualité nouvelle au stockage et aux technologies dont nous disposons. Ainsi, un barrage hydraulique est immédiatement transformable en électricité.

En matière de scénarios à l'échelle européenne, nous menons à peu près les mêmes travaux d'éclairage que les pouvoirs publics européens. L'exercice est très difficile. Entre les positions des États membres, celles du Parlement européen, de la Commission européenne et des différents lobbies, y compris nos collègues et amis gaziers, il n'existe pas de consensus sur les scénarios à retenir, même en ayant des éventails de possibilités très larges. C'est donc nous qui prenons la décision de mener les études à un moment donné. Je tiens à souligner que ces études tendent à expliquer ce qui est faisable du point de vue du réseau électrique.

La transition énergétique tend à changer les lieux de production de l'électricité, ce qui implique de changer le réseau. Un focus doit être fait sur les besoins de développement du réseau de transport d'électricité à l'échelle européenne selon les différents scénarios.

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De quelle manière les membres d'ENTSO-E évaluent-ils les prévisions d'évolution de consommation d'ici à 2050 pour leur propre compte et à l'échelle européenne ?

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Chaque pays, chaque gestionnaire de réseau a des méthodes semblables à celles de RTE, parfois moins élaborées. Nous avons quant à nous des méthodes probabilistes et explorons de très nombreux scénarios. Il arrive que notre approche soit un peu plus déterministe. Le sujet d'ENTSO-E est d'agréger ces aspects, puis de bâtir des scénarios à l'échelle européenne qui sont mis en consultation publique. Après cette consultation, l'association retient ceux qui seront les entrants des études destinées à ausculter leur faisabilité.

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Je comprends la méthode. À l'échelle de l'association, avez-vous un ordre d'idée chiffré de l'évolution du besoin en électricité à l'horizon 2050 ? Êtes-vous à + 30 %, ou plus, ou moins ?

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Je n'ai pas le chiffre exact en tête à l'échelle européenne. Le scénario central est celui de la Commission européenne à l'horizon 2050 autour duquel des variantes gravitent.

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Savez-vous si l'État et les entreprises en charge du transport et de la production d'électricité ont déterminé, au sein de la production totale d'électricité en France, un volume indispensable au fonctionnement des services essentiels à la nation ? Je me réfère aux opérateurs d'importance vitale (OIV) ; nous en recensons environ 250 dans douze secteurs d'activité.

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je ne dispose pas de cette information, j'ignore d'ailleurs si -elle existe et je ne sais pas si nous serions capables de faire l'exercice en ce qui concerne l'électricité. Il faudrait commencer par nous mettre d'accord sur les services essentiels à la nation. Je ne connais pas la liste des opérateurs d'importance vitale, qui n'est du reste pas publique. En revanche, nous connaissons les secteurs concernés. Pour autant, la crise du covid a montré que certains secteurs que nous considérions comme absolument vitaux ne le sont finalement pas tant que cela. Les référentiels évoluent beaucoup. Le ministère de la défense a peut-être connaissance du chiffre que vous demandez.

Précisons que l'électricité représente seulement 25 % de la consommation finale d'énergie pour le moment, contre 55 % à 65 % dans l'avenir. Ce bien est essentiel et structure notre vie numérique ainsi que les télécommunications. Tout le monde a bien conscience de ce que serait la gestion d'une crise ou d'un conflit sans moyens de télécommunication ou avec des moyens de télécommunication, et de manière générale des moyens numériques, fortement dégradés du fait de l'absence de l'électricité.

Je ne suis pas certain que l'approche par secteur puisse être un bon angle pour mesurer la place vitale de l'électricité qui peut aussi désorganiser la société si, du jour au lendemain, toute communication et tous moyens de transport électrifiés étaient coupés.

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À ma connaissance, RTE a la charge de la protection des grands réseaux d'interconnexion ou de transport à l'échelle nationale. Le réseau secondaire appartient aux collectivités, notamment aux communes. Qui a la charge de leur entretien ? Lorsque j'étais maire, j'ai été confronté à des coupures à plusieurs reprises qui relevaient notamment d'un mauvais entretien des végétaux autour des réseaux.

De manière plus générale, si l'électricité est bien nécessaire au fonctionnement d'internet et des réseaux informatiques, RTE saurait-il fonctionner sans internet ? Quel est votre niveau de dépendance au réseau internet et au numérique ? Dans le cadre de cette mission, nous nous interrogeons sur les conséquences d'une coupure électrique, mais aussi sur les conséquences d'une coupure d'internet, sur lequel nous avons moins la main au niveau national. Même si elle reste faible, la probabilité de cet événement est supérieure à celle de la coupure électrique.

La réalisation d'interconnexions est à mon sens formidable car elle accroît la résilience des réseaux. Mais quelles dispositions existent pour éviter le phénomène du passager clandestin ? Les pays étant interconnectés, chacun d'entre eux est un peu moins sensible à ses propres capacités internes et pourrait s'appuyer sur d'autres.

En matière de défense également, certains grands pays assurent la défense des autres. Les petits pays ont plutôt tendance à se comporter en passagers clandestins et investissent moins car ils peuvent s'appuyer sur les autres en cas de difficulté.

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

RTE est propriétaire de 100 000 km de lignes aériennes – 99 382 km précisément – et d'un peu plus de 6 000 km de liaisons souterraines. Ce patrimoine est soit implanté sur du domaine public, soit sur du domaine privé. RTE n'est pas propriétaire des terrains se trouvant sous les lignes qui ne sont pas protégées par des grillages. Les pylônes sont conçus pour qu'un enfant ne puisse pas monter dessus, mais ils restent toutefois escaladables par une personne agile. Le dispositif de protection et de résilience de RTE tend bien à pouvoir se passer d'une ligne à tout moment. C'est la raison pour laquelle le réseau est maillé. Nos dispositions constructives ne consistent pas à bunkeriser 100 000 km de lignes et un peu moins de 300 000 pylônes qui ne peuvent de toute façon être protégés et sont de surcroît implantés sur des terrains privés ou agricoles, mais bien à pouvoir nous passer d'une ligne et à gérer les flux d'une autre façon. Nous procédons de la sorte pour les lignes aériennes.

Les 6 500 km de lignes souterraines sont essentiellement utilisées en milieu urbain. On peut penser qu'une liaison souterraine est plus facilement protégeable qu'une ligne aérienne. Ce n'est pas toujours le cas. Si elles ne se voient pas et ne sont pas sensibles de la même manière à un acte de malveillance banal, les lignes souterraines subissent plus régulièrement des dommages, notamment de travaux publics. Il arrive qu'une entreprise de travaux publics fasse mal son travail et qu'un coup de pelle mécanique soit donné dans une ligne de 63 000 volts. La ligne est alors en avarie. Cela arrive régulièrement.

De plus, dans le monde urbain, les lignes souterraines passent souvent dans des galeries en béton qui disposent de tampons et qui sont très difficiles à sécuriser complètement. Elles sont souvent partagées entre plusieurs opérateurs ; tout le monde conçoit que nous n'allons pas consteller le sous-sol de Paris au-delà de tous les services qu'elles abritent – Enedis, l'eau, la téléphonie… Le fait que ces galeries soient en sous-sol ne rend pas le réseau substantiellement plus protégeable.

RTE exploite par ailleurs 2 800 postes électriques en France et en possède environ 650. Les autres sont cogérés avec la distribution, le plus souvent avec Enedis. Le gestionnaire de réseau qui possède le poste est chargé de le protéger.

Les 650 postes que RTE a en propriété n'ont pas tous la même importance stratégique sur le réseau. Ils font donc l'objet soit d'une protection très forte, soit d'une protection moins forte selon leur importance stratégique et selon la capacité de RTE à réalimenter les clients en cas d'avarie dans le poste, qu'elle soit accidentelle ou issue d'un acte de malveillance. L'audition étant enregistrée, je ne souhaite pas aller plus loin dans la description de ces dispositifs de protection.

Vous avez évoqué la possibilité de coupures locales. Je rappelle que les réseaux sont dimensionnés pour que le moins de coupures possibles surviennent. Le principe du maillage vise bien à assurer un fonctionnement correct lorsqu'un brin se coupe. Dans les benchmarks européens et mondiaux, la France est un des meilleurs pays en qualité d'approvisionnement en électricité, que ce soit en matière de transport ou de distribution. Nous pouvons en être fiers. Le domaine de compétence de RTE s'étend de 400 000 à 63 000 volts. Les tensions en deçà de 20 000 volts sont gérées par la distribution.

Il est exact qu'un arbre qui pousse trop près d'une ligne électrique peut créer un court-circuit en provoquant un arc électrique. Il s'agit en effet d'une question de maintenance. Tous les opérateurs de réseau ont des politiques pour entretenir la végétation sous les lignes. Il appartient au gestionnaire de réseau de s'assurer que les arbres sont coupés sous les lignes lorsque celles-ci passent au-dessus de propriétés privées. RTE dépense plusieurs dizaines de millions par an pour entretenir la végétation sous les lignes et pour que les arbres restent au bon gabarit, pour que le court-circuit ne se produise pas. Il est très rare qu'un tel incident survienne, en tout cas sur le réseau de 63 000 à 400 000 volts dont je m'occupe.

Vous nous avez également interpellés sur notre niveau de dépendance à internet. Tout comme pour la protection des postes électriques, nous mettons en place plusieurs couches de protection. Nous sommes tout d'abord soumis à la loi de programmation militaire. Dans ce cadre, nos relations avec l'ANSSI sont absolument remarquables, très fluides et très fréquentes sur les questions de cybersécurité.

Le cœur du système électrique français est géré par un système de conduite clos, privé, et sur lequel seules les données de RTE circulent. Il est donc exploité par un réseau étanche, ce qui n'écarte pas la question d'internet. En fonction de leur criticité, nos activités peuvent être plus ou moins connectées à des réseaux ouverts. La connexion la plus ouverte est mon ordinateur bureautique professionnel, comme le vôtre. Ces ordinateurs sont cependant plus protégés que la moyenne pour éviter des intrusions malveillantes.

La protection cyber est une question de préparation, mais également de réactivité lorsqu'un événement survient. RTE a récemment mis en place une salle de supervision de ses systèmes d'information et de lutte contre la cybercriminalité, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avec nos propres salariés présents pour vérifier que les systèmes d'information vont bien et pour gérer les éventuelles tentatives d'attaque et d'intrusion dans une des couches de protection évoquées précédemment. Cette disposition a été mise en œuvre il y a quelques mois dans le cadre de nos obligations fixées par la loi de programmation militaire.

Comme tout opérateur sensible, nous effectuons un grand nombre d'exercices d'attaque cyber, allant du hameçonnage sur un ordinateur à des attaques de grande ampleur, à l'instar de ce que nous menons sur le réseau pour prévenir des tempêtes ou des vagues de chaleur imprévues. Nous agissons soit seuls, soit avec nos collègues de la distribution, toujours en lien avec les pouvoirs publics compétents pour la protection des services essentiels de la nation.

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Le principe est le même au niveau de l'interconnexion des réseaux d'échange d'informations et de la gestion des plates-formes qui sont sur des réseaux privés. Quelques gestionnaires de réseau, dont RTE, sont chargés d'opérer des serveurs, et en particulier de les héberger. Ce principe se prolonge à l'échelle européenne.

Par ailleurs, lorsqu'un pays rejoint le concert de cette interconnexion, des règles lui sont appliquées. Prenons l'exemple des pays baltes en ce moment, qui sont en train de suivre ce chemin, et de l'Ukraine qui réalise des études avec la Moldavie pour se connecter non plus au système russe, mais au système européen.

Au-delà des études, des phases de tests sont entreprises au cours desquelles les pays doivent prouver leur capacité de fonctionner en stand alone. Les résultats ne permettront pas de déterminer la nature du bilan ; certains sont fortement exportateurs, d'autres fortement importateurs. Dans les études d'ENTSO-E, nous mesurons la capacité de chaque pays à couvrir la pointe de sa consommation au prix d'une désoptimisation économique. L'optimisation économique notamment opérée par le marché impliquera des échanges et des déséquilibres import-export dans chaque pays.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans les grandes plaques mondiales, les Russes et les Chinois ont plutôt tendance à chercher à s'isoler du réseau internet. En cas de conflit majeur, ils ont compris qu'ils se déporteraient sans doute sur les théâtres nationaux.

J'ai bien noté que le cœur de réseau de RTE était autonome. J'attire toutefois votre attention sur la nécessité de continuer à savoir fonctionner le plus possible sans internet. J'imagine que dans vos outils de gestion de réseau, de monitoring, de télésurveillance, vous n'avez pas de réseau dédié partout. J'ai du mal à évaluer ce qu'une coupure pourrait entraîner sur la distribution électrique. La résilience cyber est un vrai sujet de notre mission d'information. Il n'est pas anodin que toutes les marines de guerre soient en train de cartographier les câbles sous-marins sur lesquels repose la résilience d'internet. Il n'y a pas d'internet sans électricité, mais j'espère que l'électricité est organisée pour fonctionner sans internet.

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

J'ai évoqué le cœur de réseau sécurisé. Il est essentiel de qualifier les coupures d'internet cependant. Nous avons des réseaux privés, étanches et sécurisés du point de vue des télécommunications, des protocoles et des flux. Il arrive que nous utilisions des réseaux en prestation. Or, ce n'est pas parce que ces réseaux sont en prestation du point de vue de l'infrastructure que nous n'avons pas nos propres protocoles IP. Il y a une gradation du niveau de sécurité jusqu'à l'ultime, qui est complètement fermé. C'est bien la conduite du réseau qui est structurante dans la gestion d'une crise : donner au dispatcheur la vision de la situation et lui permettre d'avoir les commandes principales pour gérer les flux et pour manœuvrer.

RTE compte 9 500 salariés ; si l'entreprise était privée de web, vous et moi aurions l'impression que notre vie changerait. RTE se prépare bien à garantir ses missions principales dans de tels cas. Au reste, nous ne pensons pas uniquement à la protection ab initio. Le sujet est autant de se protéger en amont que de savoir agir et rétablir un fonctionnement au plus vite en cas de problème. Il est important que des collaborateurs soient de veille jour et nuit devant un écran, capables de rétablir le plus rapidement possible sept jours sur sept, de jour comme de nuit, un système d'information qui aurait été agressé par une personne malveillante. Chez RTE, nous donnons la même importance aux deux aspects : la protection en amont et le rétablissement le plus rapide en cas d'avarie. La démarche est identique à celle qui est prévue pour les avaries techniques.

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

Le site d'ENTSO-E a fait l'objet d'une attaque cyber au plus mauvais moment : lors des confinements sanitaires les plus sévères, lorsque nous avions le plus besoin d'échanges virtuels. Mais seul le site de l'association a été touché, les cloisons ont fonctionné. Les gestionnaires de réseau et d'ENTSO-E ont une obligation de transparence : publier le plus de données possible en vue d'informer. Celle-ci serait probablement affectée en cas d'attaque cyber, ce qui conduirait à une désoptimisation économique, mais pas forcément à une crise au sens opérationnel.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il conviendrait en effet de qualifier ce que représente une coupure internet, selon qu'il s'agit du web, des serveurs ou des réseaux. Je pressens cependant une convergence des sujets énergétiques et télécoms au vu de la décentralisation de certaines capacités de production, et donc des gestions d'équilibre au niveau local. Des optimisations ont lieu de toutes parts. Nous sommes en mesure de déconnecter des chauffe-eau par mesure d'effacement, des start-up se développeront pour permettre aux voitures qui se rechargent électriquement de réinjecter de l'électricité sur le réseau. Pour faire fonctionner tout cela, il sera nécessaire de s'appuyer sur les capacités des télécoms. Je crains toutefois qu'on ait la tentation de trop optimiser et que l'on se rende davantage dépendants de ces réseaux.

Êtes-vous plutôt confiants dans l'augmentation de la résilience de notre approvisionnement électrique dans le futur grâce à la technologie ? Ou restez-vous au contraire prudents, car à trop vouloir optimiser en saisissant les opportunités offertes par la technologie, on risque de se mettre en danger ?

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Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d'électricité (RTE)

La question est difficile. Tous les réseaux de transport ou de production d'électricité du monde s'hybrident : on y met de plus en plus de numérique, d'une part parce que c'est ce qui existe sur les marchés – les outils analogiques sont de moins en moins disponibles –, d'autre part en raison des gains de performance dans le pilotage des flux. L'Agence internationale de l'énergie travaille des mix électriques décarbonés à base d'EnR et de nucléaire. Du numérique est nécessaire pour les piloter.

L'outil numérique intégré au transport d'électricité améliore la gestion des flux, donc la performance du réseau. Le coût du système électrique se trouve ainsi optimisé. C'est bien ce que nous faisons lorsque nous mesurons la température sur une ligne en temps réel. Le numérique nous permet, alors de manière automatique, d'y faire circuler plus ou moins d'intensité, ce qui est un moyen d'optimiser le coût du système électrique pour les Français.

En tendance, le numérique permet de mieux prévoir et de mieux construire les modèles. La prévision est essentielle ; la prévision météorologique est structurante lorsque les EnR interviennent beaucoup. L'actif est mieux optimisé de fait. En revanche, l'outil SI crée une vulnérabilité en tant que telle. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que les couches de protection soient bien conçues pour qu'aucune porte d'entrée ne soit laissée.

Vous avez raison d'estimer que les installations de production décentralisées pourraient multiplier la présence de SI sur le territoire. Mais, je ne suis pas certain que ce soit le facteur déterminant : à mon sens, la concentration des installations de production d'électricité ne crée pas de la vulnérabilité. Le développement du numérique et de la data induit certes des vulnérabilités, mais il faut les mettre en regard avec l'ensemble de la performance engendrée sur les systèmes électriques ainsi qu'avec l'ensemble des choix politiques offerts aux pays qui se sont engagés dans la neutralité carbone. Offrir de nombreuses solutions de pilotage des flux d'électricité sur les réseaux c'est permettre de choisir son mix électrique. C'est une bonne nouvelle.

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Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E)

La multiplication des opérateurs implique de réfléchir à l'application de règles contraignantes en matière de résilience et de sécurité.

Vue de l'Europe, la transition énergétique n'est pas tant l'éolien décentralisé que l'arrivée d'un quart de puissance en plus en mer du Nord. Pour ENTSO-E, la question majeure ne porte pas sur la décentralisation, mais sur les flux qui traverseront l'Europe du fait de cette arrivée.

La réunion se termine à douze heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, M. Fabien Gouttefarde

Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle, Mme Sereine Mauborgne