L'audition débute à onze heures.
Nous poursuivons nos travaux par cette table ronde consacrée aux actions menées par les collectivités territoriales en faveur de la transition énergétique.
Pour nous faire part de leurs expériences dans ce domaine, nous accueillons ce matin : M. Philippe Pichery, président du conseil départemental de l'Aube ; Mme Anne-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère à l'Assemblée des départements de France (ADF) ; M. Jacky Aignel, maire du Mené, dans les Côtes-d'Armor, et M. Laurent Gaudicheau, directeur général des services ; M. Louis Donnet, maire de Domazan, vice-président de la communauté de communes du Pont du Gard, président du pôle d'équilibre territorial rural (PETR) Uzège-Pont du Gard, et M. Didier Vignolles, conseiller municipal d'Aramon, délégué à l'urbanisme.
Je laisse d'abord la parole au rapporteur pour préciser les contours généraux de notre mission, qui arrive bientôt à son terme. Ensuite chacun d'entre vous pourra s'exprimer pendant une dizaine de minutes.
Madame, messieurs, merci d'être présents ce matin. Cette mission d'information sur les freins à la transition énergétique a commencé en septembre dernier et s'achèvera au mois de juin. Nous l'avons structurée autour de sept thèmes : la vision, c'est-à-dire la lisibilité et la visibilité de ce que sera le monde dans dix, vingt ou trente ans compte tenu de la transition vers de nouvelles énergies et de nouvelles consommations. Deuxièmement, le développement des filières d'énergies renouvelables : nous avons regardé, filière par filière, ce qui se passait dans l'éolien, le solaire, la méthanisation, etc. Troisièmement, les économies d'énergie dans le bâtiment, l'industrie et le tertiaire. Quatrièmement, les mobilités, qui sont le contributeur le plus important. Cinquièmement, la transformation des grands groupes de l'énergie : comment des entreprises comme EDF ou Engie envisagent-elles leur transformation à l'horizon de dix, vingt ou trente ans ? Sixièmement, donc, les territoires, qui jouent un rôle prépondérant dans cette transition d'une énergie distribuée de façon centralisée à une énergie produite et utilisé localement. Enfin les financements et la fiscalité.
La question des territoires a donc été abordée tout au long de la mission, mais il était important que nous organisions une table ronde sur ce sujet. À titre indicatif, nous nous sommes rendus à Dunkerque, nous avons reçu la communauté urbaine d'Arras, nous sommes allés au Danemark sur l'île de Samsø.
C'est un sujet d'intérêt général, dans lequel la politique n'y a pas sa place. Pour l'anecdote, je dois être le seul président de conseil départemental qui n'ait jamais été encarté politiquement.
La transition énergétique, dans nos départements, est une préoccupation quotidienne et les économies d'énergie en particulier. Nous avons un parc de bâtiments, nous rénovons les collèges, nous gérons des réseaux routiers qui consomment des hydrocarbures, nous étudions des formules qui permettent de restaurer ce réseau en utilisant des produits plus respectueux de l'environnement. Nous avons une politique forte en matière de logement, qui fait intervenir les organismes du logement social et le Fonds social du logement pour traiter la précarité énergétique. Nous sommes aussi interpellés régulièrement sur les mobilités, qu'il s'agisse de la réalisation d'aires de covoiturage, de l'installation de bornes pour véhicules électriques, ou encore des « vélo-voies » et de toutes les infrastructures douces. Enfin, nous devons agir sur nos réserves foncières, nécessaires pour créer des installations importantes en matière de photovoltaïque ou de circuits courts.
Donc, la transition énergétique, c'est vraiment le quotidien des départements. C'est encore plus vrai dans l'Aube, département où il y a deux établissements nucléaires majeurs, la centrale de Nogent et le centre de stockage des déchets de Soulaines, un parc éolien qui est l'un des plus importants de France, ainsi que, depuis peu, la « Biogaz Vallée » : nous sommes en train de réaliser, avec une communauté de communes, dans le cadre du projet « Certiméthane », un démonstrateur qui permettra de faire de la certification dans ce domaine.
Nous avons aussi une grosse activité en matière de stockage d'énergie puisque le département a accompagné le développement d'une start-up qu'il abrite désormais et qui a créé des volants d'inertie : ce sont des volants qui tournent dans le vide et qui permettent de stocker de l'énergie à grande dimension, comment on en stocke dans les batteries. Nous avons enfin un champ photovoltaïque très important, installé sur une propriété départementale, et même un site d'extraction d'hydrocarbures.
Concernant plus précisément les freins à la transition énergétique, mon propos s'articulera autour de trois thématiques : les freins liés au cadre réglementaire, ceux liés aux moyens financiers et aux compétences, ceux liés aux comportements et aux réticences des citoyens.
Sur le plan réglementaire, le frein principal, pour moi, ce sont les rigidités de la loi « NOTRe », auxquelles je suis confronté tous les jours en tous domaines. Le département de l'Aube a la chance de disposer encore de quelques moyens, mais nos EPCI ont des compétences qu'ils n'ont pas les moyens d'exercer. Heureusement, nous avons une collaboration extrêmement efficace avec le préfet, et nous avons pu faire des montages très compliqués pour que le département apporte les moyens en les faisant transiter par des tiers, mais tout cela allonge considérablement les choses. Bien souvent, nous contournons la loi NOTRe, à la demande du préfet lui-même, dans des dossiers économiques ou d'intérêt général, parce que le département est le seul qui ait à la fois les moyens et les compétences
J'ai eu l'occasion, lors de la rencontre avec M. le Président de la République, d'attirer son attention sur ce point et j'ai eu l'outrecuidance de demander qu'on rétablisse la clause de compétence générale pour tous les niveaux de collectivités l'on m'a répondu que ça conduirait à un nouveau développement trop important des financements croisés. D'abord, c'est faux : on n'a jamais fait autant de financements croisés qu'aujourd'hui. Ensuite, ces financements croisés ne sont pas une tare mais une vertu : ils permettent d'unir les forces, les intelligences et les initiatives. Or nous avons besoin de confiance, de liberté d'action et de capacité d'initiative.
Il y a une mesure qui pourrait être assez simple, puisque la loi NOTRe va être toilettée – je prêche dans le désert, je le sais bien, en redemandant la clause de compétence générale – ce serait d'y inscrire la compétence partagée en matière de transition énergétique afin que chacun puisse se saisir des sujets en fonction des caractéristiques de son territoire. Nous sommes dans une grande région qui, par souci d'équité, est obligée de définir un standard général et qui ne peut pas traiter les spécificités locales. C'est le département, collectivité de proximité connaissant bien son territoire, qui peut agir en ce domaine.
À mes yeux, le plus important dans le cadre réglementaire c'est donc de corriger les rigidités liées à la loi NOTRe. Par ailleurs, quand les porteurs de projets viennent me voir, ils ont besoin de lisibilité quant au modèle économique. Les projets prennent souvent plusieurs années. Aujourd'hui, par exemple, pour un projet éolien, les gens qui viennent me voir me disent : on se lance mais c'est pour dans cinq ans, tant le parcours est compliqué. Les certificats d'économie d'énergie ne sont tout de même pas très simples, les fonds européens non plus – mais ce n'est pas propre à la transition énergétique. On a vu se développer les appels à projets, les appels à manifestation d'intérêt en tous domaines : c'est bien, mais cela doit être réservé à des opérations à grande échelle, qui nécessitent de gros moyens. Il faut aussi permettre à des projets plus modestes, plus locaux de se développer.
S'agissant des moyens, il faut stabiliser le modèle économique et le cadre fiscal. Ne pourrait-il y avoir de nouvelles incitations fiscales ? Je sais bien qu'elles n'ont pas le vent en poupe, mais faut quand même se poser la question.
Concernant les finances, je rappelle que les actions en faveur de la transition énergétique engendrent des dépenses de fonctionnement vertueuses, qui vont produire de la ressource et donc s'équilibrer. Mais nos collectivités sont dans un dispositif de contrat financier avec l'État, qui encadre et plafonne les dépenses de fonctionnement. Il serait dommage de devoir renoncer à des projets vertueux parce qu'ils nous feraient sortir de l'épure. Il y a probablement une réflexion à mener pour faire sortir les dépenses réalisées en faveur de l'environnement du cadre de ces contrats.
Autre sujet : les compétences et l'ingénierie. Porter un projet est compliqué, et nécessite des moyens au stade du montage du dossier. Les départements sont en première ligne auprès des communautés de communes en termes d'ingénierie, au titre de chef de file pour la solidarité territoriale. C'est important, mais le problème demeure pour des territoires qui ont un vrai potentiel et qui n'ont pas de moyens d'agir.
Troisième thématique, enfin : les comportements et les réticences. Les porteurs de projets s'interrogent et sont inquiets : aujourd'hui tout projet, même très vertueux par rapport à la transition énergétique, qu'il s'agisse d'éolien ou de biogaz, donne lieu à la création d'associations d'opposants. C'est la démocratie, et on ne va pas l'empêcher de s'exprimer, mais il faudrait vraiment réfléchir à un cadre réglementaire qui permette cette expression tout en la contenant dans le temps. On ne peut pas continuer à avoir des projets sur lesquels il y a des recours et un ensemble de procédures qui font qu'au bout de plusieurs années les porteurs du projet abandonnent. Il faut vraiment arriver à réduire tout cela.
Il faut aussi que les acteurs publics soient vraiment plus actifs. Je pense à des sociétés comme Engie, comme Total. On n'a pas le sentiment qu'ils fassent preuve d'un réel enthousiasme par rapport à cette transition énergétique. Il y a un acteur important avec lequel c'est compliqué : c'est Météo France, à cause des radars et de l'éolien. On ne trouve jamais à qui il faut s'adresser, on n'a jamais le bon interlocuteur. Et si on le trouve, on nous dit : « c'est comme ça », sans justification. Dans l'Aube, nous avons un champ éolien qui a pu s'installer grâce au fait que le porteur du projet a attaqué l'avis de Météo France devant le tribunal et a a gagné car l'avis n'était pas motivé. Il faut donc mobiliser les grands acteurs publics autour de cet enjeu et les sensibiliser. Voilà, en préambule, quelques éléments d'éclairage qui constituent mon vécu quotidien de président de conseil départemental.
Monsieur le président, mesdames, messieurs, merci pour votre invitation. Je suis maire de la commune nouvelle du Mené, qui a regroupé sept petites collectivités, et qui compte 6 500 habitants sur 163 kilomètres carrés. C'est un territoire atypique, assez vaste mais peu peuplé. Laurent Gaudicheau, directeur général des services, présentera la partie administrative, puisqu'il a en charge le montage des dossiers, et je vais vous présenter ce que nous avons fait sur le territoire et notre volonté politique.
Notre développement, depuis cinquante ans, est le résultat d'une volonté du territoire, d'une volonté des habitants de « faire ensemble ». Si nous en sommes là aujourd'hui, sur un si petit territoire avec si peu de moyens, c'est grâce à la volonté des gens, des habitants et des élus.
Nous n'avons pas attendu ces dernières années pour envisager la transition énergétique. Nous y sommes engagés depuis 1995, et surtout depuis 1999 avec l'idée de construire une usine de méthanisation, l'usine de Géotexia, qui fonctionne. Nous nous trouvons dans une région très agricole, très agroalimentaire, donc avec beaucoup de déchets à traiter, et avec de nombreux paysans – dont je fais partie – qui sont accusés par nos amis côtiers d'apporter des algues vertes dans la Manche. C'est ainsi que les agriculteurs se sont mobilisés, avec des associations, et que cette volonté de transition énergétique a démarré chez nous en 1999. On n'a pas attendu que ça vienne d'en haut pour le faire. On s'est relevé les manches, comme on sait le faire au Menée depuis cinquante ans. Nous sommes un territoire pauvre, et si nous ne mettons pas la main à la pâte, il ne se passe pas grand-chose. Tous mes prédécesseurs et tous les gens qui sont engagés là-dedans peuvent être fiers du résultat. Aujourd'hui, nous possédons le premier outil de méthanisation en France, qui a mis – je rejoins Philippe Pichery sur la question des délais – plus de dix ans à aboutir.
Nous avons aussi de l'éolien participatif : ce sont 147 familles qui se sont investies dans ce parc participatif depuis 2011, et nous sommes en train de monter un deuxième parc.
La collectivité, avec ses bâtiments publics, a mis en place des chaufferies pour les sept anciennes communes. Nous avons cinq chaufferies qui chauffent des bâtiments publics mais aussi des bâtiments privés. Nous avons également du photovoltaïque. Même en Bretagne où, comme on dit plaisamment, il fait beau plusieurs fois par jour, on peut faire du photovoltaïque. La collectivité a aussi construit des maisons solaires dont le chauffage et l'eau chaude sont assurés par 20 m2 de maisons solaires. Voici donc la preuve que c'est possible. Aujourd'hui, nous avons un projet de station biogaz d'un type assez nouveau, sur une fosse à lisier qui permet de récupérer directement le biogaz à partir du méthane.
Il y a un potentiel énorme en Bretagne. On va épurer ce méthane, et puis on va faire tourner des véhicules : ceux de la collectivité mais aussi ceux de La Poste, avec laquelle nous avons un partenariat. La Poste est très intéressée par ce projet, et nous, La Poste nous intéresse parce que ce sont des gens qui font des circuits et un nombre régulier de kilomètres chaque semaine. C'est donc très intéressant aussi pour nous et pour le « business plan ». Ce sont nous, les collectivités et les agriculteurs, qui avons été le fer de lance de ces différents projets. Chez nous, l'associatif est très dynamique et les gens n'hésitent pas à s'engager.
Je laisserai Laurent parler des freins, mais selon moi – je rejoins Philippe Pichery – il faut absolument lâcher la bride aux territoires, qui savent de quoi ils ont besoin. Je comprends l'encadrement des crédits, je comprends l'encadrement des subventions, je comprends tout à fait qu'il y ait besoin de contrôle, mais, de grâce, lâchons la bride aux territoires ! Les besoins de mon territoire ne sont pas identiques à ceux des autres territoires. Nous, les élus, sommes bien placés, avec nos représentants, pour savoir de quoi nos territoires ont besoin.
On peut appeler cela décentralisation ou autrement, mais cette question est un des principaux freins à cette transition énergétique. Au niveau politique, il faut quand même définir une ligne, un fil rouge. Ensuite, on travaille dessus, on s'y tient et puis c'est tout. Il faut arrêter d'aller un coup à gauche, un coup à droite, car à force de zigzaguer on ne sait plus trop où on va. Il faut regarder en face et puis y aller. Si nous n'avions pas mis ce développement en place sur le territoire, nous serions aujourd'hui à la remorque pour ce qui est de la transition énergétique. Or, on en a énormément besoin parce que l'agriculture est en pleine transition, tout comme l'économie. Si l'on veut réussir demain une vraie transition énergétique, il va falloir se poser les bonnes questions. Si l'on continue à faire fonctionner notre économie comme aujourd'hui, jamais on n'y arrivera.
Les freins ayant déjà été exposés, je vais plutôt parler de ce qui fonctionne.
Ces six derniers mois, le Mené s'est engagé dans un travail avec trois autres communes de France, Grande-Synthe, Loos-en-Gohelle et Malaunay, pour réfléchir à ce qui fonctionne. Certaines politiques sont engagées depuis maintenant dix ou quinze ans, donc on regarde ce qui marche et ce qui ne marche pas, et pourquoi.
La première chose, c'est d'avoir une approche systémique. La transition, ce n'est pas saupoudrer de petites choses. C'est avoir une vision globale. Au Mené, on a écrit un plan d'action pour devenir autonomes en énergie dès 2004, et en octobre 2005 – vous voyez, ce n'est pas hier –, le conseil communautaire – car à l'époque, nous étions une communauté de communes – a délibéré pour se fixer un objectif de transition énergétique. Quand on relit ce document-là, quinze ans plus tard, on constate que les ressources sont toujours les mêmes, que le vent n'a pas tourné, que l'agriculture produit toujours autant de déchets mais qu'on peut les valoriser, que le soleil n'a pas changé tant que ça, que les gens se déplacent toujours. En revanche, l'habitat et sa réglementation ont évolué, et c'est un point sur lequel il faut avoir une action.
Le problème, c'est qu'en face de cette approche systémique, il y a des moments où se présentent des opportunités. Il peut y avoir une entreprise, une collectivité, un groupe d'habitants qui souhaitent faire quelque chose. Mais, en face, l'État nous propose de la contractualisation. Cela crée un décalage dans le temps entre le moment où naît l'initiative et l'appel à projets qui peut avoir lieu deux ans après. Il est alors trop tard, l'entreprise est partie et c'est terminé. Il y a donc quelque chose à revoir. Cette logique de contractualisation – qui est intéressante parce qu'elle oblige à avoir une vision globale – a tendance à placer les territoires en concurrence. C'est dommage parce que tout le monde n'est pas « premier de cordée », mais peut pour autant souhaiter avancer.
La deuxième condition observée au sein de notre groupe de travail, c'est l'engagement des habitants. Pour que ça fonctionne et que ça se pérennise, il faut que les gens, les collectivités, les habitants et les entreprises d'un territoire y croient, s'engagent et s'approprient la démarche. Cela signifie qu'il faut reconnaître le bien-fondé des petites choses, qui peuvent commencer au bout de la rue et pas forcément pas avec des unités de méthanisation ou des parcs éoliens à 15 millions d'euros. C'est le petit comportement et l'accompagnement de la petite chose qui font que, au final, ça fait système et que ça fonctionne. Or, aujourd'hui ce n'est pas connu, reconnu, intégré dans les politiques nationales.
Concernant la question de temps, de stabilité juridique, effectivement, il faut avancer là-dessus.
Philippe Pichery a évoqué la clause de compétence générale. Moi, je peux parler du principe de subsidiarité. Là encore, on peut faire des choses sur une petite échelle sans renoncer à faire des choses sur une plus grande échelle. Il ne doit pas y avoir de règle. Créer une règle revient à créer des blocages. Par exemple, alors que nous étions une communauté de communes, nous avons pu répondre à des appels « Territoires à énergie positive pour la croissance verte ». Aujourd'hui, nous sommes le même territoire, mais nous sommes une commune et nous ne pouvons pas signer de contrat d'engagement transition énergétique de sûreté. Nous sommes le même territoire, avec les mêmes élus, les mêmes habitants, le même diagnostic, mais du seul fait que nous avons changé de catégorie, nous ne pouvons plus faire. Ça démontre l'absurdité des choses.
Les représentants de la Communauté de communes du Pont du Gard vont maintenant nous expliquer comment celle-ci a mis en place un contrat de transition écologique à la suite de la fermeture d'une centrale thermique au fioul.
Je vous remercie de nous donner la parole. Je vais d'abord laisser Didier Vignolles, conseiller délégué à l'urbanisme de la commune d'Aramon, intervenir, après quoi je reviendrai sur le volet d'ensemble et détaillerai la démarche mise en place dans le cadre du contrat de transition écologique (CTE).
Notre commune a effectivement été concernée par ce contrat de transition énergétique et par la fermeture de sa centrale électrique.
Aramon est une commune à la fois rurale et urbaine, dotée d'un grand dynamisme démographique. Aujourd'hui, nous comptons 4 300 habitants contre 1 800 en 1954, et nous sommes à un quart d'heure d'Avignon.
Aramon a une vocation industrielle, à la fois du fait des projets de la région Occitanie, mais aussi en raison de son histoire, avec l'implantation de Sanofi et d'Expansia, qui sont des entreprises performantes avec des grosses productions.
Concernant les freins – mon collègue insistera sur les points plus positifs –, je m'attarderai sur notre ressenti local relatif au CTE et aux transports.
Concernant les freins liés au CTE, l'ambition de l'État est clairement énoncée et c'est une ambition ambitieuse, si j'ose dire. Je cite ce que Mme Wargon, secrétaire d'État, a déclaré lorsqu'elle est venue à la signature en décembre dernier et a écrit dans son communiqué de presse : « La dynamique Cleantech Vallée s'inscrit dans une démarche d'économie circulaire grâce à la valorisation et à la maîtrise des ressources et le développement d'une écologie industrielle territoriale. Le projet vise à faire de la Cleantech Vallée le leader au niveau national dans le domaine, en s'appuyant sur le passé industriel du territoire et sur les compétences à la fois existantes et à développer. » Je n'oublie pas que nous ne sommes pas la seule commune concernée par le CTE : il y a également la communauté de communes de Bagnols-sur-Cèze, qui est concernée par le site nucléaire.
Mais cette ambition peut générer quelques inquiétudes – qui ne remettent pas en question les bonnes volontés qui se sont exprimées – quant à l'impact fiscal. Le député de la circonscription et les services de la communauté ont agi pour que l'impact soit retardé. Mais l'impact existera si le CTE ne nous offre pas de possibilité de développement. C'est là-dessus que notre inquiétude est forte.
Concrètement, je suis chargé de l'urbanisme, nous sommes en train d'achever notre plan local d'urbanisme (PLU), qui doit être approuvé par le conseil municipal mardi prochain. Dans la phase finale, EDF a demandé que la totalité du site – dont il est propriétaire, qui est actuellement clôturé et que nous souhaitons dédié à ce contrat de transition écologique – puisse accueillir des panneaux photovoltaïques. Pour nous, cela obérerait toute l'ambition citée précédemment. Nous avons besoin qu'EDF, propriétaire, joue son rôle, car s'ils ont l'intention de mettre des panneaux, on ne pourra pas aller au-delà du simple accompagnement de fermeture de sites, et c'est justement ce que nous ne voulons pas. Nous avons toutes les installations pour évacuer l'énergie, nous avons toutes les lignes haute tension, nous avons un port sur le Rhône, etc.
Donc, nous avons peur. Nous voyons bien que ce service public d'EDF, tel que nous le connaissions et qu'il existait lorsque j'ai modestement participé au programme nucléaire, n'existe plus. Nous aurions besoin des mêmes moyens, de quelque chose d'équivalent. Or, nous voyons bien qu'il n'a plus d'outils pour le faire et que nous avons besoin de retrouver un service public de l'énergie.
Nous avons aussi besoin d'intelligence et de bienveillance de la part des services de l'État. Pour un territoire comme le nôtre, nous aurions besoin, et le préfet est d'accord avec nous, d'un plan de prévention du risque d'inondation afin d'évaluer les dispositions à prendre.
Venons-en aux transports. Nous attendons depuis des années la réouverture aux voyageurs de la gare SNCF d'Aramon. Il y a une forte dynamique associative, qui a pris en charge ce dossier. Depuis des années, la région s'est engagée, y compris financièrement. La région Rhône-Alpes, qui est concernée par la même rive du Rhône, est également très engagée depuis décembre. Nous avons travaillé sur un écoquartier avec des cabinets. On a travaillé notre plan d'urbanisme en fonction de ce projet. Là aussi, nous butons sur une SNCF qui n'a pas les moyens. Elle freine donc le projet, et cela reporte la réouverture de cette gare qui nous serait bien utile du point de vue de la transition énergétique.
Pour conclure : ces deux projets ont fait naître beaucoup d'espoir et d'attente mais aussi beaucoup de scepticisme de la part de la population et des élus car on ressent les freins et les limites qui font craindre un grand décalage entre les intentions affichées et les moyens octroyés pour les mettre en œuvre.
Je vais vous resituer le contexte dans lequel le CTE a été mis en place entre nos collectivités et l'État. La Communauté de communes du Pont du Gard (CCPG) compte 17 communes, 26 000 habitants, et Aramon est la plus grosse commune de ce territoire. Cette collectivité est située aux confins de l'agglomération d'Avignon, de celle de Nîmes, de celle de Bagnols et, plus au nord, de la communauté de communes de l'Uzège. Elle s'appuie économiquement, comme d'ailleurs celle de l'agglomération du Gard rhodanien, sur trois piliers : l'agriculture, l'industrie et le tourisme.
L'industrie, ce sont les usines dont a parlé M. Vignolles, la centrale d'Aramon, ainsi que le secteur de Marcoule et son parc nucléaire situé dans le bassin rhodanien.
Pour nous, tout a commencé en avril 2016 lorsqu'EDF a arrêté l'exploitation de la centrale avec sept ans d'avance par rapport à la date prévue initialement. Très rapidement, notre collectivité s'est rapprochée d'EDF et des partenaires institutionnels – conseil régional, ADEME, DIRECCTE, DTTM – pour travailler à un projet de reconversion du site. Sont alors nées les « Cleantech Booster », initiative d'EDF et de la CCPG autour de la transition énergétique et de la Cleantech Vallée. Le but est de faire émerger des start-up dans le domaine de l'économie circulaire et du recyclage. Début 2018, l'agglomération du Gard rhodanien est entrée dans le projet pour élargir la démarche. C'était au moment où le Gouvernement souhaitait mettre en place les contrats de transition écologique. Nous nous sommes donc intéressés à cette thématique et nous nous sommes rendu compte que nous entrions bien dans le dispositif, de sorte qu'en l'espace de quelques mois nous avons signé le troisième contrat de transition écologique au niveau national. L'idée de ce contrat – et on reprend là les idées et le concept de bottom-up développés par M. Aignel – est de partir des acteurs locaux pour faire émerger des idées et des actions, puis d'aller chercher auprès de l'État les moyens de les faire naître et de les mettre en œuvre.
Aujourd'hui, nous avons plusieurs « fiches actions » qui découlent de ce CTE, et cela représente 200 millions d'euros. L'État contribue pour 1,7 million d'euros via l'ADEME, et la région contribue aussi, bien que plus modestement. Tous les acteurs du territoire sont engagés. C'est un réel outil, qui permettra de passer le cap. Avec la fermeture d'Aramon, en effet, la communauté de communes du Pont du Gard s'est retrouvée privée de 30 % de ses recettes fiscales. Aujourd'hui, elle ne survit que parce qu'elle avait un bas de laine. Nous espérons, avec ce contrat de transition écologique et toutes les actions qu'il permet en faveur de l'éolien, du photovoltaïque et du recyclage, pouvoir développer l'économie et redynamiser le territoire.
On a parlé des freins réglementaires, et je rejoins M. Pichery. Il y a effectivement la loi NOTRe, mais lorsqu'on rencontre des porteurs de projets, on comprend que tout ce qui est lié à la protection de l'environnement et à la biodiversité peut être source de grandes difficultés dans l'élaboration des projets.
Le manque d'acceptation par le tissu social est effectivement le frein principal pour nos projets, aussi bien pour l'éolien que pour le photovoltaïque. Même lorsque l'on s'y prend suffisamment en amont les projets, on se rend compte qu'il existe de grandes difficultés à les faire accepter. Ce sont donc des sujets très importants.
Merci pour vos interventions. J'ai trois types de questions.
La première porte sur le rôle qui pourrait être le vôtre en matière de planification. Avant, par exemple, il y avait des zones de développement éolien. Une discussion s'engageait au niveau des communautés de communes, puis avec la population, et à la fin on pouvait dire : des éoliennes, on peut en mettre là, là et là. Ça permettait de cadrer, d'avoir une vision, et de préparer ensuite la population au développement. Mais on a supprimé cela. Je voudrais savoir ce que vous en pensez et à quel niveau on peut le rétablir : au niveau des départements, des communautés de communes ? C'est la même chose pour la biomasse. Aujourd'hui, le département de Maine-et-Loire s'interroge sur les moyens de développer la méthanisation sans prendre sur les terres agricoles alimentaires. Il a fait réaliser trois études et a conclu que, pour le seul Maine-et-Loire, 49 méthaniseurs, soit un tous les 12 ou 13 kilomètres, seraient nécessaires. Est-ce que ce n'est pas aussi le rôle d'un département de réfléchir à cela ?
La même question se pose aussi pour le solaire si l'on veut éviter d'utiliser des terres agricoles. Ce rôle de planification des territoires me paraît donc important.
Concernant le biogaz, vous parliez de son utilisation pour la mobilité. Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable d'utiliser l'électrique sous forme de pompes à chaleur pour le chauffage et de réserver le biogaz pour la mobilité ? On ne remplacera jamais tout le gaz de pétrole par du biogaz, et on se trouve donc limité. Il faudra donc faire des choix. Vos réflexions vous conduisent-elles vers cette éventualité ?
Vous nous aviez dit vous être rapprochés des communes de Grande-Synthe et de Loos-en-Gohelle, dont j'ai rencontré le maire récemment. Ils ont eux aussi une grande expérience dans le domaine de la transition et s'appuient sur leur passé énergétique pour aller vers la nouvelle énergie. Est-ce que, du côté d'Aramon, vous faites également cette démarche ?
Ces échanges entre collectivités sont importants et me conduisent à formuler une quatrième question. Lors de cette mission, nous nous sommes rendu compte que de nombreux territoires se prenaient en main et faisaient de belles choses. Que faut-il faire pour que ces acteurs avancent ensemble, motivent ceux qui n'ont pas encore avancé dans ce domaine ?
Sur le premier point, je partage votre questionnement : il faut que l'on concrétise une planification. Si les opérations prennent tant de temps, c'est parce qu'à chaque fois on recommence de zéro. Une planification permettrait de ne pas reprendre sur chaque dossier des préalables et des considérants déjà traités collectivement. Les choses pourraient certainement avancer plus vite, et l'on pourrait jouer sur les complémentarités d'usages. Concernant le choix du type d'énergie par rapport aux types de consommation, tels que véhicules et chauffage, la planification est vraiment indispensable et fait aujourd'hui défaut.
À quel niveau cette planification devrait-elle être envisagée ? Je représente les départements et je constate que les atouts et les caractéristiques de nos territoires sont très divers. Cette diversité fait la richesse de notre pays. C'est un atout exceptionnel et si l'on veut le valoriser, il faut pouvoir prendre en compte ces caractéristiques différentes au plus près du terrain. Je pense que l'échelon départemental est totalement pertinent grâce à sa proximité, à son rôle de solidarité territoriale. Je sais qu'il ne s'agit pas d'un cadeau : cela veut dire qu'il va falloir prendre des décisions, faire des arbitrages, et que cela fera des satisfaits, mais aussi des déçus. Mais, honnêtement, si on veut avancer… J'appelle de mes vœux cette planification au niveau du département.
Sur le dernier point que vous avez évoqué, l'effet d'entraînement, il y a un rôle pédagogique à développer. Régulièrement, on découvre de nouvelles initiatives qu'il serait pertinent de reproduire. Pour moi, la base, c'est l'échange d'expériences, qui existe déjà entre nos collectivités mais qu'il faut renforcer et animer. On ne va pas réinventer chacun de son côté ce qui a déjà été réalisé à proximité. Il vaut mieux se rencontrer, en parler, et on gagnera ainsi beaucoup de temps.
La planification est certainement ce qui nous manque aujourd'hui. Nous, nous l'avons faite en 2005, Laurent Gaudicheau l'a expliqué tout à l'heure. Je regrette les zones de développement éolien (ZDE), car elles avaient le mérite de positionner un territoire : les choses étaient claires. Ce n'était pas du « n'importe quoi » comme aujourd'hui, où les entreprises démarchent pour obtenir des terrains, signer des baux, avant de constater que le projet ne peut avancer au niveau administratif. C'est une perte de temps et d'argent monumentale. Je suis donc favorable à un retour de ce type de schéma, qui est indispensable. C'est moins vrai pour le photovoltaïque, surtout dans notre région. Mais ça l'est pour l'éolien. C'est quand même assez vallonné par chez nous, et l'habitat très diffus ne permet pas de « caser » facilement un projet éolien, compte tenu de la règle des 500 mètres.
Pour la méthanisation, c'est exactement la même chose. À plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de rencontrer Mme Royal quand elle était ministre et qu'elle parlait d'installer 1 500 méthaniseurs en France. Cela ne veut rien dire ! Ce qu'il faut d'abord, c'est faire un diagnostic. Le Maine-et-Loire l'a fait, mais il faut analyser les choses à l'échelon régional. Aujourd'hui, chez nous, les agriculteurs montent leur propre méthaniseur parce qu'il y a des fumiers et des lisiers, mais ce sont des produits qui ne sont pas tous méthanogènes. C'est donc la course aux intrants auprès des industries agroalimentaires de la région, qui, demain, se feront payer ces déchets pour les valoriser dans le digesteur. Le modèle économique du digesteur risque donc de plonger, et c'est pourquoi on a besoin d'un bon diagnostic, d'une bonne autopsie du territoire ; il faut absolument que les collectivités soient partenaires et amènent leurs déchets. Il y a une quantité de déchets dans nos collèges, dans nos lycées, qui sont méthanisables. Quand je pense au pain qui est gâché dans les restaurants scolaires, c'est incroyable ! Là aussi, il faut absolument planifier car on court à l'échec.
Sur l'essaimage, je laisserai la parole à Laurent Gaudicheau dans quelques instants. Au Mené, en 2010, nous avons mis en place le premier « territoire à énergie positive » (TEPOS). L'an prochain, c'est chez nous que se déroulera la rencontre pour le dixième anniversaire, car cela tourne chaque année : l'an dernier nous étions à Montmélian, cette année nous serons à Clamecy. Je crois qu'aujourd'hui nous sommes une centaine de territoires engagés dans cette démarche. Ce n'est donc pas rien en termes de mobilisation.
Il faut surtout éviter de faire deux fois les mêmes erreurs. Avec cette usine de méthanisation de Géotexia, nous avons attendu deux ans que l'ANSES valide le digestat qui allait être répandu. Pendant deux ans, l'entreprise a donc perdu de l'argent, car il fallait exporter ce digestat qui n'était pas homologué chez nous alors qu'il l'était depuis belle lurette en Allemagne et en Belgique. Mais le lisier de porc, qu'il soit belge ou allemand, c'est à peu près la même chose… Aujourd'hui, malheureusement, pour beaucoup d'appels à projets, il faut dépenser 20 000 ou 30 000 euros en études. Mais des études, il y en a partout qui sont en train de pourrir dans les tiroirs ! C'est d'action que nous avons besoin !
Il faut revaloriser l'expérience et mettre en mouvement les gens afin de réaliser des choses. Je suis agriculteur et je crois à la vulgarisation « par-dessus le talus » : c'est en faisant des choses et en les montrant qu'on mobilisera les gens et qu'on avancera.
Il faut aussi aller voir ailleurs. Nous avons « fait » tous les pays d'Europe depuis 2005. Tous les ans, au niveau de la commune, on se fait un petit voyage. On va voir ailleurs ce qui se fait, ce qui se fait de bien, ce qui se fait de mal, parce que c'est comme chez nous : tout n'est pas bien. Mais il faut absolument bouger et je crois que c'est un des leviers indispensables : amener les gens à regarder par-dessus le talus, à aller voir ailleurs ce qui se passe, et puis à avancer en suivant le fil rouge.
Les exemples le démontrent, il faut effectivement planifier. La première question à se poser est donc : à quel niveau ? Là encore, je pense que nous retombons dans nos travers, en disant que seule la région, ou seul le département, peut planifier. Il y a des ressources à gérer sur des périmètres différents.
Des logiques adaptées doivent être trouvées en fonction des ressources, des besoins et de l'engagement des gens. La planification ne doit pas freiner cette volonté des gens de s'impliquer, de s'engager. Quand il y a un acteur qui veut faire quelque chose quelque part, il ne faut pas que, sous prétexte de planification, ce soit impossible et que rien ne soit fait.
Sur l'idée de réseau, tout a été dit. Le réseau des TEPOS fonctionne depuis maintenant dix ans. Il reste à développer les échanges de pratiques, afin d'éviter de réinventer la roue à chaque fois. Pour cela, il faut permettre aux différents niveaux de se rencontrer : le maire parle au maire, l'habitant parle à l'habitant, le président d'association parle au président d'association, le chef d'entreprise parle au chef d'entreprise, le DGS parle au DGS. C'est indispensable, puisque ce sont des gens qui parlent le même langage.
En ce moment nous réfléchissons à notre régime indemnitaire. Cela n'a rien à voir avec la transition énergétique, mais cela illustre le fait que l'implication des populations était déterminante. C sont ces petites choses-là qui font que les choses peuvent avancer et que le travail en réseau est indispensable.
Faut-il affecter le biogaz à la mobilité, et l'électricité au chauffage ? Là encore, pour moi, il n'y a pas de réponse. Il y a des territoires qui ont un potentiel biogaz important mais pas de potentiel électrique. Le Mené n'est pas dans une logique autarcique : nous n'avons aucune envie de couper le réseau EDF et de nous fermer. Pour autant, il faut accepter que le Mené n'ait pas un mix énergétique identique à celui de l'Aube ou du Gard, parce que les ressources naturelles, les comportements des gens, la densité de l'habitat ne sont pas les mêmes.
Je suis président du PETR Uzège-Pont du Gard, qui porte le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du territoire. Pour la partie « production d'énergie renouvelable », nous arrivons à mener des actions de planification. Celanous est demandé – voire quasiment imposé maintenant – par les services. Nous allons finaliser notre SCoT début juin, et nous avons identifié des zones qui seraient favorables à l'éolien ainsi qu'au développement du photovoltaïque au sol. Mais nous nous apercevons qu'il existe un antagonisme entre notre projet et l'État, puisque les énergies renouvelables sont favorisées mais qu'en même temps l'usage de panneaux photovoltaïques est limité en zone forestière. On a cependant réussi à trouver une solution intermédiaire en proposant des surfaces maxima d'utilisation de photovoltaïque réparties sur deux secteurs, de telle sorte que les communes du territoire, en fonction des projets, pourront produire.
En termes de planification, les SCoT peuvent être des solutions. Évidemment, tous les territoires français ne sont pas couverts par des SCoT. Dans le Gard, il y en a trois ou quatre, qui couvrent quasiment le département et qui permettraient de remonter une planification consolidable au niveau régional, puisque la région Occitanie souhaite devenir d'ici 2030 la première région française à énergie positive.
S'agissant du retour d'expérience, il y a encore beaucoup de travail. Nous le faisons dans le cadre de l'assemblée des territoires de la région Occitanie, où se tissent des liens assez récurrents et fréquents entre territoires. Nous partageons nos expériences aussi bien sur la transition écologique que dans d'autres domaines.
Je siège au conseil syndical du PETR, où nous avons abordé cette question des freins. Bien des élus – qui participent au débat et sont très volontaires pour le photovoltaïque – le sont plus pour des considérations financières et fiscales que pour des considérations de transition énergétique. Souvent, j'ai vu à cette réunion des maires dire : « Nous avons des entraves pour la protection de la biodiversité, etc. ». Mais quand on creuse un peu, on s'aperçoit que ces communes qui ne s'en sortent plus s'engagent dans le projet photovoltaïque pour des considérations financières et non en raison d'une véritable adhésion à la transition énergétique. Ce n'est pas sans fausser parfois nos débats…
Quant à la question sur la biomasse et la production de combustible à partir de déchets et sur nos attentes vis-à-vis du CTE, nous espérons que ce partage d'expérience, notamment avec l'ADEME et les grands acteurs publics, nous permettra d'innover et d'investir vraiment. C'est pourquoi nous souhaitons maintenir une partie du territoire non neutralisée par du photovoltaïque, afin de pouvoir développer les activités industrielles qui découleraient du CTE.
Cette question de la planification est très importante, et j'abonde dans le sens des autres interlocuteurs. Du fait de la diversité de nos territoires, il faut une certaine proximité, et le SCoT, si je prends l'exemple de mon département, pourrait être pertinent. Il ne faut pas forcément définir un niveau de responsabilité, car il vaut mieux laisser les acteurs locaux s'organiser. En revanche, il me semble important de définir le niveau de prescription. Veut-on un document prescriptif, ou un document de cohérence qui organise les choses ? C'est une question très importante, à laquelle il faudrait réfléchir entre acteurs locaux. Quand on saura à quel niveau organiser les choses en termes de prescriptions et de contraintes, on pourra préciser le niveau ou le document adapté. Aujourd'hui, il y a le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) au niveau de la région, il y a les SCoT, il y a les plans départementaux. Ce n'est pas une question de pouvoir : c'est une question liée aux caractéristiques du territoire et à la nécessité de trouver la meilleure organisation entre les acteurs. J'insiste sur cette mise en question du prescriptif : j'ai vécu l'émergence et l'évolution des documents d'urbanisme, et je me suis rendu compte que les documents les plus précis sont loin d'être toujours les meilleurs, car ils ne cadrent pas forcément avec les contraintes que l'on s'est données. C'est la même chose pour les PLU, et il faudra bien réfléchir à cela pour la planification.
Dernière question, qui conclura notre table ronde : quel est le lien entre transition énergétique et développement économique ? On entend souvent dire que l'une favorise l'autre. Comment percevez-vous et vivez-vous les choses ? Constatez-vous vraiment un regain économique local grâce à cette transition énergétique ?
Ma réponse est : oui, mais pas nécessairement dans la gestion régulière. S'agissant du photovoltaïque, par exemple, il y a une activité économique importante quand on le crée, mais ensuite, cela ne représente pas un nombre d'emplois très important. En revanche, il y a des effets indirects : des retombées fiscales qui permettront de générer d'autres activités économiques. Je suis convaincu, en tout cas, que ce lien entre transition énergétique et développement économique est une réalité.
Pour en revenir aux freins que nous évoquions, mon département, qui n'a plus la compétence du développement économique, se trouve face à des incohérences. Ainsi, je pourrais favoriser la création d'un champ photovoltaïque en mettant gratuitement à disposition un terrain qui ne sert pas. Ce serait une excellente opération, qui aurait des retombées fiscales. Eh bien, je n'en ai pas le droit car, aux termes de la loi NOTRe, ce serait une aide économique. Il faudrait adapter la loi NOTRe à la transition énergétique.
C'est un sujet très vaste. Il n'y aura pas de transition écologique réussie sans de remise en cause de l'activité économique globale : pas simplement au niveau d'une commune, ni d'un département, ni même d'un pays, mais au niveau de la planète. Va-t-on continuer de faire circuler des camions de marchandises du sud au nord de l'Europe ? Souvent, on a les ressources chez soi mais on ne s'en satisfait pas parce qu'on sait qu'on va trouver un peu plus de valorisation ailleurs.
Tout ça, c'est le commerce, on ne va pas le remettre en cause. Regardez ce qui se passe en Bretagne : on fait venir, depuis des années, des tourteaux de soja du Brésil ou d'Argentine pour nourrir un bétail que nous avons ensuite du mal à vendre. Les agriculteurs périclitent parce qu'il y a chez nous une transition agricole très, très, très profonde. On en parlera encore dans quelques années, car cela va être très compliqué pour les agriculteurs qui vont rester. Dans notre petite commune, nous avons construit une huilerie où l'on triture du colza. Pas besoin, donc, d'acheter ces tourteaux qui viennent d'Argentine ou du Brésil : nous avons tout !
La richesse est dans les territoires. Nous l'avons sous les pieds. Donc, réorganisons-nous. Les transports représentent 40 % des dépenses énergétiques. C'est sans doute un vœu pieux, car ce n'est pas moi qui vais le faire, mais il faut réorganiser les transports. Tout dépend de ça. La Bretagne importe aujourd'hui du lait qui vient du Danemark. Toutes les semaines, il entre en Bretagne 53 camions de poudre de lait qui arrivent du Danemark et de Hollande. Et nous, les producteurs laitiers bretons, nous envoyons notre lait en Espagne, en Suisse, etc. Il faut arrêter tout ça, mais je sais bien que ça ne va pas être réglé tout de suite.
Je l'ai valorisée dans mon tracteur quand le pétrole était cher, tout simplement. Et aujourd'hui, je la valorise en alimentaire parce que c'est avec l'huile que je mettais dans mon tracteur que ma femme fait la salade. L'huile Cauvin est produite chez nous, en Bretagne. Je dis souvent qu'il n'y a pas besoin d'avoir fait Saint-Cyr pour trouver les bonnes solutions. Il suffit d'être un peu pragmatique et d'avoir un petit peu de bon sens. La richesse, elle est là, elle est dans les territoires. C'est cela qu'il faut bien comprendre. Il faut lâcher un peu la bride et vous verrez que ça marchera.
Nous avions fait un rapide diagnostic en 2005. La facture énergétique de notre petit bout de territoire, c'était 9 millions d'euros par an. À l'époque, on considérait qu'on ne produisait rien. Aujourd'hui, nous en sommes à 39 % d'autonomie énergétique sur le territoire, c'est-à-dire que 39 % de l'énergie qui y est consommée y est produite. On voit bien, donc, que ça génère de la richesse sur un territoire, et on peut s'amuser à le traduire en emplois. Sur les dix dernières années, plus de 30 millions d'euros ont été investis : à l'échelle d'une métropole, c'est peu, mais à l'échelle d'un territoire de 6 500 habitants, c'est important. Donc, effectivement, cela représente de l'activité pour les entreprises et de l'argent pour les ménages, puisqu'un parc éolien où les gens ont investi, c'est aussi une petite épargne.
Ce que nous attendons du CTE, ce sont des réponses économiques, industrielles et créatrices d'emplois. La fermeture de la centrale électrique nous a coûté très cher en emplois et en emplois induits.
Concernant les transports, nous sommes bordés par une route départementale, où une véritable noria de camions porte-conteneurs arrive du port de Fos en faisant du contournement autoroutier qui les fait passer devant la centrale, qu'on a arrêtée parce qu'elle émettait trop de CO2. Vous ne le savez peut-être pas, mais cette centrale, qui avait une grosse capacité de production et avait été conçue durant le tout-pétrole des années 1970, ne tournait que quelques heures dans l'année. En termes de pollution, son impact était faible comparé à celui que génère le transport dans la commune. La route passe entre le site qui fait partie du CTE et le Rhône, sur lequel passe seulement un porte-conteneurs de temps en temps. La personne que nous avons rencontrée au port autonome de Marseille nous dit que le transport fluvial représente 5 % du trafic observé sur le port autonome…
Messieurs, je pense que vous avez tous pu répondre aux questions du rapporteur. Je crois que le bon sens et l'intelligence des territoires feront que c'est depuis eux que se fera la transition énergétique. Il y a en effet des incohérences dans les choix actuels, qui montrent qu'on arrête souvent des orientations avant de se rendre compte un peu plus tard que ce qu'on a fait n'était pas pertinent.
Merci de vos contributions, qui alimenteront naturellement notre rapport. Nous tiendrons compte de vos préconisations afin d'avancer davantage et, surtout, plus vite, car les territoires sont souvent en attente de réglementations dont l'absence entrave la bonne fin de leurs projets.
L'audition s'achève à douze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique
Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 11 heures
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Bruno Duvergé
Excusé. - M. Guy Bricout