La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a entendu Mme Claire Landais, secrétaire générale à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) et M. Pascal Bolot directeur de la protection et de la sécurité de l'État (DPSE).
La séance est ouverte à quinze heures cinq.
Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), et M. Pascal Bolot, directeur de la protection et de la sécurité de l'État (DPSE). Placé au coeur de l'exécutif, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale assiste le Premier ministre dans l'exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. Il assure le secrétariat des conseils de défense et de sécurité nationale que préside le chef de l'État. Son champ d'intervention couvre l'ensemble des questions stratégiques, de défense et de sécurité dans les domaines de la programmation militaire, de la politique de dissuasion, de la sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale, de la sécurité économique et énergétique, de la lutte contre le terrorisme et de la planification des réponses aux crises.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées de déposer sous serment, je vous demande de jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Landais et M. Bolot prêtent successivement serment.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, ayant pris récemment mes fonctions, j'aborde devant vous le sujet de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires avec beaucoup d'humilité et de transparence, étant donné la faiblesse des connaissances et les quelques a priori que j'avais en la matière en arrivant à la tête du SGDSN il y a un mois. J'ai vu le documentaire diffusé sur Arte en décembre et, depuis, j'ai beaucoup écouté mes équipes et pris connaissance des positions des uns et des autres ; le 23 mars, j'ai aussi visité la centrale de Dampierre pour avoir une vision plus concrète de la situation. Cela ne suffit évidemment pas à faire de moi une spécialiste, raison pour laquelle je suis heureuse d'être accompagnée du préfet Pascal Bolot, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au SGDSN. Au besoin, je me permettrai de vous renvoyer à des productions écrites complémentaires.
À vrai dire, je ne crois pas que le SGDSN doive nécessairement être un spécialiste de la sécurité et encore moins de la sûreté nucléaires, pas plus d'ailleurs que de la politique énergétique de la France, qui est une prérogative politique. En revanche, il va de soi – comme j'ai pu le mesurer tout au long des cinq années que j'ai passées au ministère de la défense – que le SGDSN est le spécialiste de l'organisation de la réponse coordonnée qu'apporte l'État aux menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. À ce titre, le SGDSN a été fortement mobilisé depuis trois ans par l'organisation de la réponse à apporter à la menace terroriste, qui s'est une nouvelle fois concrétisée de manière dramatique à Trèbes. C'est à l'aune de cette menace terroriste et des enjeux qu'elle présente en termes de sécurité nationale que le SGDSN a traité la question de la sécurité des installations nucléaires.
Le SGDSN doit en effet pouvoir assurer les plus hautes autorités de l'État que les mesures de sécurité prévues sont pertinemment conçues, correctement comprises et exactement appliquées par l'ensemble des acteurs impliqués. Ceux-ci sont nombreux : la chaîne de réponse à la menace terroriste contre une installation nucléaire mobilise le renseignement en amont, passe ensuite par la surveillance, la détection, le retardement, l'interception, l'utilisation de la force – éventuellement armée – face aux attaquants et s'achève par la sanction judiciaire. Quant aux dispositions relatives à la conception des installations, dont j'ai pu mesurer la complexité lors de ma visite à la centrale de Dampierre, elles complètent les mesures de protection active mises en place par l'opérateur et par l'État.
Le SGDSN doit aussi, de manière plus périphérique mais, en réalité, tout aussi essentielle, garantir la bonne organisation de la sécurité des transports de matières nucléaires, la capacité de réponse de l'État à une crise – qu'elle soit liée à un accident ou à un attentat – ainsi que la lutte contre la prolifération nucléaire, l'identification des nouvelles menaces ou encore la protection du secret concernant les activités nucléaires afin d'éviter de donner des armes à nos adversaires.
Permettez-moi, depuis la position interministérielle que j'occupe, de faire trois constats liminaires.
Le premier est que la politique de sécurité des installations nucléaires repose sur une chaîne de responsabilité et de décision qui, quoique complexe, me paraît très claire : le ministère de l'écologie est responsable de la sécurité nucléaire ; le ministère de l'intérieur dispose des moyens de police, de prévention et d'intervention ; l'exploitant assure la garde de ses installations et la réponse en premier. Sous l'autorité du Premier ministre, le SGDSN coordonne les acteurs publics et privés, actualise les plans de réponse de l'État, organise les exercices et en tire les retours d'expérience qui nourrissent à leur tour la « moulinette » qui permet l'adaptation de la posture.
Ce rôle de supervision du SGDSN n'est donc pas un rôle opérationnel direct. Nous effectuons un travail de synthèse en plaçant l'ensemble de la capacité de renseignement et d'anticipation de l'État au service de l'amélioration continue de notre sécurité collective. Dans le domaine de la sécurité nucléaire comme ailleurs, la sécurité n'est pas un état définitif mais plutôt un processus qui s'adapte constamment à la menace. Ce n'est pas un idéal ; c'est une politique publique évolutive. Le rôle du SGDSN est donc de s'assurer que le système devienne toujours plus solide et plus résistant, qu'on enracine les réflexes et qu'on garde une vue haute sur les menaces de demain.
Deuxième constat : la sécurité des installations nucléaires me paraît assurée. Les démonstrations des militants qui parviennent à passer les deux premières clôtures ne sont tout simplement pas représentatives de la vraie menace – en l'occurrence la menace terroriste, et plus précisément la menace d'actes terroristes visant le coeur des installations nucléaires, leur zone vitale. C'est tout le sens du dispositif de réponse qui a été mis en place au sein des centrales électronucléaires. L'organisation que j'ai décrite, depuis le renseignement jusqu'à la riposte en passant par l'entrave, est construite contre cette menace. Les forces présentes au sein des installations sont conçues pour mener des actions de contre-terrorisme. Si l'humilité est de mise, je l'ai dit, et si le doute certainement salutaire puisqu'il permet de toujours chercher à améliorer les choses, j'ai été très convaincue – et à vrai dire rassurée, eu égard aux inquiétudes de citoyenne que m'avait laissées le documentaire d'Arte – par la robustesse du dispositif théorique et pratique qui m'a été présenté le 23 mars, et par le fait qu'il répond bien à la menace actuelle. Mes collaborateurs issus de l'ensemble des directions du SGDSN, qu'ils exercent dans le domaine de la sûreté aérienne, de la cyberdéfense ou de l'analyse des risques de malveillance interne, me confirment unanimement que les actions engagées vont dans le bon sens et qu'elles répondent aux recommandations que nous faisons après analyse des systèmes en place.
Cela étant, nous sommes pleinement conscients du fait que l'amélioration de la sécurité est un processus. Nous devons garder le véritable objectif en vue et ne pas nous laisser distraire. Si les terroristes choisissent principalement de s'attaquer à des cibles dites « molles », c'est-à-dire peu défendues, comme des écoles, des salles de spectacle, des supermarchés, des individus isolés, ils pourraient un jour décider de s'attaquer à des cibles mieux protégées ou plus complexes. Il faut donc continuer de s'y préparer.
Troisième et dernier point : l'intégration de la sécurité nucléaire dans les responsabilités du SGDSN. Les quelque mille personnes qui servent au sein des diverses entités qui constituent le SGDSN travaillent toutes dans le seul objectif d'améliorer le niveau de sécurité de notre pays face à tous les types de menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Leurs cultures et leurs compétences sont diverses, mais c'est l'ensemble de ces compétences qui est mis au service de la sécurité nucléaire et de tous les autres pans de la sécurité nationale. Dissocier la sécurité nucléaire de la sécurité nationale reviendrait à la priver de l'expérience accumulée dans d'autres domaines et donc affaiblirait la cause qui nous réunit tous : assurer la sécurité d'activités qui sont parmi les plus sensibles de toutes.
Je précise avant toute chose qu'un questionnaire vous a été adressé et qu'il va de soi que vos réponses écrites seront les bienvenues, sachant que nous mettrons ensuite l'accent sur quelques-unes des questions posées.
La chaîne de responsabilité et de décision est claire, nous dites-vous. Certes, mais tout de même un peu complexe… Comment votre action s'articule-t-elle avec les autres instances ? Et avec le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN), qui nous a également été présenté comme le coordonnateur de la sécurité nucléaire ?
J'ai tâché de décrire les différents aspects de la sécurité et de la manière le SGDSN la perçoit et la traite. L'analyse de la menace procède de nombreux échanges avec les services de renseignement : tous les progrès réalisés ces dernières années concernant les outils que la loi sur le renseignement et ses ajustements successifs ont mis à disposition de la communauté du renseignement accroissent les moyens des services. Surtout, la culture du partage de l'information entre les différents services progresse et permet d'alimenter le SGDSN, par le biais de groupes de travail ad hoc si l'actualité l'exige. En clair, nous avons l'habitude de travailler avec les services de renseignement en matière de sécurité nucléaire comme sur tous les autres volets de notre action.
Le SGDSN et la direction de la protection et de la sécurité de l'État ont une véritable culture de l'organisation de la réponse interministérielle, de la coordination des acteurs et de la planification de la réponse de l'État à une crise majeure. La DPSE a également l'habitude d'organiser des exercices qui relèvent des compétences classiques du SGDSN et qui portent notamment sur l'organisation de la réponse à un accident nucléaire. Ce à quoi viennent s'ajouter, sur un plan général, la professionnalisation des acteurs de la gestion de crise et l'attention particulière qui est portée à l'existence de technologies de sécurité qui permettent d'atteindre les objectifs fixés. Autrement dit, la sécurité est une coproduction dont le SGDSN est un acteur.
De ce point de vue, le positionnement du SGDSN est un peu différent de celui du COSSEN, qui est un opérateur placé sous la double tutelle du ministère responsable de la sécurité nucléaire – le ministère de la transition écologique et solidaire – et du ministère de l'intérieur. C'est à lui qu'il revient de gérer au quotidien la mise en place au quotidien des mesures de protection telles que la vérification des habilitations et des antécédents des personnes autorisées à intervenir dans les centrales nucléaires. Cela étant, il peut être mobilisé pour d'autres missions, comme il le fait en aval des vérifications que le SGDSN effectue, en s'assurant de la capacité des opérateurs à déployer des plans propres à chacune des installations, en particulier les plans de protection externe que les préfets doivent appliquer dans chaque installation.
Ma direction utilise plusieurs portes d'entrée vers la sécurité nucléaire. La première est interministérielle par nature : nous définissons des directives nationales de sécurité, c'est-à-dire les normes s'appliquant aux douze secteurs sensibles – dont l'énergie fait naturellement partie – qui, en cas de dysfonctionnement, présenteraient une difficulté majeure pour le pays. Des directives nationales de sécurité détaillent un certain nombre de prescriptions, notifiées aux opérateurs d'importance vitale ; notre rôle consiste à vérifier, à travers nos relais au ministère de la transition écologique et solidaire, qu'elles sont mises en oeuvre.
Ce cadre classique qui s'applique aux opérateurs d'importance vitale a été renforcé dans sa dimension de lutte contre les cyberattaques depuis plus de deux ans, en plus des prescriptions liées à la directive nationale de sécurité : y ont été ajoutées d'autres prescriptions relatives à « l'hygiène » et la sécurité informatiques.
Deuxième porte d'entrée : la planification. À partir d'évaluations de la menace constamment mises à jour sur la base des remontées provenant de la communauté du renseignement, nous formulons des recommandations intégrant des situations de référence et nous calibrons les réponses de l'État en veillant, à l'échelle interministérielle, à ce que les réponses des uns se concilient avec celles des autres et y apportent une valeur ajoutée. Nous disposons pour ce faire d'instances administratives dans lesquelles nous invitons les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité et les responsables techniques des ministères lors de réunions régulières qui sont naturellement l'occasion d'un suivi.
Enfin, dans l'hypothèse d'un accident lié à un problème de sûreté ou d'une attaque ayant provoqué des dégâts quelque part sur le territoire, nous planifions les premières mesures de réponse en lien avec le ministère de la transition écologique et solidaire et le ministère de l'intérieur, les états-majors zonaux et les préfets de département. Depuis Fukushima et le début des années 2010, les services de protection civile de tous les départements sont désormais concernés, et non plus seulement ceux des départements dans lesquels sont implantées les centrales nucléaires – car les effets d'un éventuel incident ne s'arrêteraient évidemment pas aux limites administratives des départements.
Ces mesures de planification sont achevées au niveau zonal, mais ne le sont pas encore au niveau départemental. Dans les départements abritant une centrale nucléaire, les préfets sont généralement plus que vigilants : avant même de prendre leurs fonctions, ils suivent une formation spécialisée en matière nucléaire. Mais le dispositif monte peu à peu en puissance dans les autres départements.
La DPSE joue en quelque sorte le rôle de tête de réseau ; d'autres directions du SGDSN sont également impliquées en matière nucléaire.
Nous y viendrons sans doute au fil des questions thématiques que nous vous poserons.
Un dernier point sur la gouvernance : la conception des installations complète les mesures actives de protection, dites-vous. On nous interroge régulièrement sur le rôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est notamment responsable de la gestion des risques d'accident. Or les questions de sûreté et de sécurité sont souvent imbriquées les unes dans les autres. Nous nous sommes penchés de manière approfondie sur la conception des piscines de refroidissement, par exemple, qui pourraient éventuellement être vulnérables en cas d'attaque au lance-roquettes. En l'occurrence, la conception a d'abord été pensée pour des raisons de sûreté, mais il faut désormais la penser aussi en termes de sécurité. L'ASN, comme d'autres autorités de sûreté nucléaire ailleurs dans le monde, a donc demandé qu'il lui soit également confié des compétences en matière de sécurité, arguant du fait qu'il lui est devenu difficile de faire cette distinction – de facto un peu artificielle. Qu'en pensez-vous ?
Nous avons bien constaté, à la lecture des comptes rendus de vos précédentes auditions, que cette question vous préoccupait légitimement. La sécurité nucléaire n'est qu'un des aspects de la sécurité nationale ; elle doit se nourrir de ce qui se fait dans les autres secteurs d'importance vitale. La réflexion sur la sécurité nucléaire partage en effet de nombreux éléments communs avec d'autres secteurs et en importe même d'autres : en matière de cybersécurité, par exemple, sur laquelle M. Poupard vous en dira davantage lors de son audition, il est indispensable de raisonner à l'échelle de l'ensemble du spectre des douze secteurs et de ne pas cloisonner la réflexion. Autre exemple : les recherches conduites pour repérer, à proximité des aéroports, les endroits d'où il était possible de tirer pour abattre un avion peuvent être reproduites autour des installations nucléaires pour identifier les points vulnérables ou, à l'inverse, établir que telle une zone ne présente aucun danger à cet égard. En clair, il existe une synergie entre la sécurité nucléaire et la sécurité nationale en général.
Quant à la sécurité passive, elle n'est elle-même qu'une composante de la sécurité nucléaire : si l'on voulait tout faire par la sécurité passive, il faudrait atteindre des niveaux de sécurité irréalistes – des doubles enceintes de confinement absolu, par exemple. Il n'est naturellement pas question de reprendre l'ensemble du parc existant en ne comptant que sur la sécurité passive. De ce fait, il faut combiner la sécurité passive avec les mesures de protection active – en particulier le déploiement et la coordination des personnels d'EDF et de ceux de l'État. C'est cette combinaison qui permet d'atteindre les objectifs fixés dans les directives nationales de sécurité et de répondre à la menace identifiée par l'État, suite à quoi les opérateurs peuvent prendre les mesures nécessaires en complément des services de l'État.
Il me semble donc difficile, en matière de sécurité nucléaire, de tracer une frontière entre sécurité active et sécurité passive ; les synergies y perdraient. À l'inverse, les interactions entre sûreté et sécurité sont nécessaires : l'identification des cibles, par exemple, est commune aux deux champs. Mais ces interactions existent déjà à plusieurs niveaux : le ministre de la transition écologique et solidaire est responsable de la sécurité et de la sûreté et, même s'il délègue une partie de ses compétences en matière de sûreté à une autorité administrative indépendante, il a tout de même une vision synoptique des deux dimensions. De même, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui travaille pour le compte de l'ASN, intervient lui aussi dans les deux champs. Le ministère de la transition écologique et solidaire et l'ASN ont conclu un protocole qui permet là encore de réfléchir aux interactions. En somme, ces différents champs d'interaction permettent d'assurer un lien entre les acteurs sans pour autant brouiller deux logiques qui demeurent distinctes – une logique de transparence forte et légitime pour l'ASN et une logique de confidentialité des informations en matière de sécurité.
Je ne m'étendrai pas davantage sur le sujet, n'étant pas certaine de maîtriser toutes les comparaisons internationales, quoique j'aie déjà eu auparavant à réfléchir à la nature d'une autorité administrative indépendante française par rapport à ses équivalents ailleurs, par exemple aux Etats-Unis – mais il m'a toujours semblé qu'il était difficile de dresser des transpositions et de réfléchir de façon comparée en matière d'organisation administrative.
Pour conclure, je dirai ceci : il arrive que sécurité et sûreté doivent donner lieu à des arbitrages. Une installation ouverte qui permet aux personnes exerçant à l'intérieur de sortir facilement, par exemple, garantira une meilleure sûreté mais compliquera la sécurité. Pour procéder à ces arbitrages entre sûreté et sécurité, on peut difficilement envisager de tout internaliser au sein d'une même entité. Le fait que l'autorité politique puisse arbitrer me semble offrir une garantie d'autorité et de responsabilité.
Celle-ci ne lui a pas été adressée, mais je suppose qu'elle a dû se la poser. Pour faire des arbitrages entre sûreté et sécurité, encore faut-il disposer des éléments d'information nécessaires. Or, depuis le début de nos travaux, nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés sur les questions de sécurité. On nous a certes donné des exemples, mais ce ne sont que des exemples. Vous évoquez le film d'Arte, qui vous a inquiétée, mais ce que vous avez constaté depuis votre prise de fonctions vous a rassurée, avez-vous dit. Mais nous, nous ne pouvons pas encore être rassurés car il nous est impossible d'accéder à certaines informations, rassurantes ou non. Nous avons par exemple demandé à EDF de nous fournir les plans des piscines de refroidissement : cela nous a été refusé, l'opérateur faisant valoir le secret de la défense nationale – alors même qu'Orano nous a accordé l'accès aux plans des piscines de La Hague ; c'est contradictoire.
Quoi qu'il en soit, seuls les députés membres de la délégation parlementaire au renseignement reçoivent l'habilitation permettant d'accéder à des documents de cette nature. Or, comme vous l'avez indiqué, il nous appartient de faire des choix politiques et de voter des budgets, et nous avons la légitimité démocratique nécessaire pour prendre ces décisions. Pourtant, à l'évidence, on nous demande de prendre des décisions et de rendre des avis fondés sur la seule confiance accordée à tel ou tel interlocuteur, à défaut d'avoir directement accès aux informations. Nous sommes naturellement convaincus de l'intégrité des administrations et du gouvernement, mais notre rôle de contrôle parlementaire nous interdit de nous satisfaire de seules paroles ; nous devons contrôler sur pièces.
C'est une difficulté majeure à laquelle se heurte le travail parlementaire, en l'occurrence la mission de contrôle qui incombe à une commission d'enquête. J'ai évoqué ce point avec le Premier ministre, qui a convenu qu'il fallait trouver le moyen de surmonter cette difficulté – qui touche au fonctionnement même de notre démocratie – tout en préservant, cela va de soi, la confidentialité des informations en nous gardant de mettre sur la place publique des documents qui pourraient menacer notre sécurité à tous.
Je vous pose donc la question : pouvez-vous, en tant que secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale, habiliter de manière provisoire, pendant la durée des travaux de la commission d'enquête, certains membres de la commission – idéalement tous, mais je comprendrai que ce ne soit pas possible – afin qu'ils mènent leurs investigations, consultent les documents nécessaires et, tout simplement, obtiennent des réponses à leurs questions ?
Question subsidiaire : vous avez évoqué la directive nationale de sécurité du sous-secteur nucléaire, monsieur Bolot, qui est précisément classifiée. Notre commission d'enquête n'y a pas non plus accès. Pourrions-nous prendre connaissance de son contenu ? Sinon, notre rapport final risque d'être assez vide…
Je ne saurais sortir de mon rôle de fonctionnaire et de technicienne, même si le SGDSN est en quelque sorte le gardien du secret de la défense nationale et, de ce fait, a une perspective particulière sur la question – similaire à celle que j'avais dans mes précédentes fonctions au ministère de la défense.
À mon sens, le Parlement bute sur la question du secret dans de nombreux champs. Il se trouve que le secret a été levé dans un cas particulier, celui de la politique de renseignement. Le fonctionnement du secret de la défense nationale repose sur deux volets : l'habilitation et le besoin d'en connaître. Les membres de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) sont en effet habilités ès qualités ; ils ne peuvent pas pour autant accéder à n'importe quelle information classifiée, mais seulement à celles qui leur permettent d'accomplir leurs missions de contrôle de la politique publique du renseignement.
Lorsque le Parlement est saisi, en vertu de l'article 35 de la Constitution, d'une demande de prolongation de l'intervention des forces armées à l'extérieur du territoire national, il va de soi que de nombreuses informations lui échappent parce qu'elles sont classifiées au nom de la sécurité opérationnelle de nos forces. Elles permettraient pourtant d'éclairer le paysage si les parlementaires tenaient à se prononcer au vu de l'intégralité des informations disponibles…
Je comprends parfaitement qu'il vous soit difficile de conduire des investigations alors que l'un des pans de votre champ d'enquête vous est largement inaccessible ; le problème n'est pas nouveau. Le Conseil constitutionnel en a lui-même été saisi et a clairement établi que le secret de la défense nationale est un des outils de défense du périmètre défini à l'article 5 de la Constitution fixant les prérogatives du pouvoir exécutif. Ne m'en voulez pas d'invoquer ces grands principes : il vous est arrivé, d'une audition à l'autre, d'amener certains de vos interlocuteurs à pousser un peu dans les détails ; mais tout le monde sait qu'en diffusant des informations classifiées, il prend un risque sur le plan pénal. Sans doute peut-on regretter un manque d'information des parlementaires, notamment au niveau de l'OPECST ; il y a sans doute des marges de progression, mais l'habilitation des parlementaires ne peut passer que par la loi. Encore n'est-ce réservé qu'aux parlementaires appartenant à la DPR ou à des autorités indépendantes telles que la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). En dehors de ces cas, et en l'absence de loi, je le répète, il n'y a pas d'habilitation possible. Mais j'ai eu vent de votre demande ; le premier ministre y accorde la plus grande attention et nous a demandé de réfléchir aux pistes possibles. Mais pour l'heure, je ne puis vous donner d'autre réponse.
J'entends bien. Il faudra tout de même qu'on avance sur ce sujet. Soit le Parlement a un réel pouvoir de contrôle, soit il n'en a pas. Dans une démocratie, il faut dire les choses : l'articulation entre sûreté et sécurité, telle que vous l'évoquez, est en effet nécessaire si le Gouvernement veut éviter de bunkériser la France entière. Mais cela suppose des choix, notamment des choix budgétaires, qui ne sont pas neutres – on sait qu'une bunkérisation coûte très cher. Mais ces choix ne peuvent aujourd'hui qu'être entérinés par le Parlement sans aucun moyen vérifier leur pertinence. Les choix de politiques énergétiques sont eux aussi essentiellement politiques. Doivent-ils revenir au seul Gouvernement ? C'est une vraie question.
Enfin, quelles informations pouvez-vous nous livrer sur la directive nationale de sécurité ?
Je ne peux que m'adosser à la réponse de Mme la secrétaire générale dans la mesure où ce document également est classifié… Quels que soient les douze secteurs d'intérêt, qui couvrent notamment l'alimentation, les activités civiles ou militaires de l'État, les activités judiciaires, les questions de l'énergie et d'espace, c'est toujours l'analyse des menaces qui constitue le fait déclencheur, ou le point de départ, d'une directive nationale de sécurité.
À tout le moins puis-je, sans risquer de me compromettre, vous lister les menaces qui déterminent les grands axes de la directive nationale de sécurité – à vrai dire, il suffit de faire la synthèse de vos auditions précédentes : la menace externe liée à des tirs extérieurs, courbes ou directs, vers des centrales nucléaires ; les intrusions malveillantes, qu'elles soient le fait d'ONG ou d'autres organisations – la notion de commando étant ici centrale, notion qui fut le point de départ de la création des PSPG ; les menaces internes, à l'origine de la création du COSSEN spécialisé dans le cryptage ; enfin, les menaces cyber.
Cette analyse de la menace est régulièrement actualisée : deux fois par an, la commission interministérielle de défense et de sécurité (CIDS), où siègent les hauts fonctionnaires de défense et un certain nombre d'experts, se réunit pour en rediscuter, confirmer la pertinence de la directive ou suggérer, le cas échéant, d'en reprendre tel ou tel point dès lors qu'un input paraît en invalider telle ou telle partie. La directive nationale de sécurité reste ainsi toujours un document vivant.
Avez-vous également identifié les menaces éventuelles qui pourraient venir du personnel, qu'il s'agisse des salariés des centrales ou des sous-traitants ? Au-delà des menaces liées à des processus de radicalisation, il peut en exister d'autres, plus insidieuses et plus difficiles à gérer, telles que les troubles d'ordre psychologique et psychiatrique. L'exemple récent le plus connu est celui du pilote de la Germanwings : des personnes qui ne vont pas bien peuvent ainsi devenir des menaces graves pour la sécurité. Avez-vous identifié des cas de ce genre ?
Les salariés des opérateurs font l'objet de criblages encore plus approfondis aujourd'hui que ce n'était le cas auparavant, notamment depuis l'instauration du COSSEN et la mise en facteur simultanée de plusieurs fichiers grâce à un algorithme spécial, dit « Accred », qui permet de constater très rapidement que telle personne figure sur tel fichier. Depuis que le COSSEN est en ordre de marche, c'est une plus-value importante, son commandant, le général Cormier, vous le confirmera : sur les 220 000 personnes intervenant dans le secteur, 150 000 ont déjà été criblées. Nous avons en effet décidé de repartir de zéro. Nous avons ainsi rendu 500 avis défavorables, dont une quinzaine de cas de suspicion de radicalisation. Il revient ensuite à l'employeur, qu'il s'agisse de l'opérateur ou du sous-traitant, de déplacer ces personnes ou de s'en séparer, selon des modalités qui lui appartiennent ; en tout cas, il a l'information.
Les risques liés aux affections de nature psychologique et psychiatrique sont évidemment un sujet de préoccupation qui nous mobilise au-delà du secteur de la sécurité nucléaire : cela vaut pour les conducteurs de train, par exemple, comme pour tous ceux qui ont à charge la responsabilité d'autrui et pourraient se livrer, sur un coup de folie, à des actes malveillants, en lien ou non avec une idéologie néfaste.
À notre instigation, plusieurs circulaires du ministère de l'intérieur et de la santé ont visé à améliorer les échanges des données psychiatriques entre agences régionales de santé (ARS) et préfets de zone ou de département, sans permettre pour autant d'interconnexions entre fichiers ; mais les procédures d'alerte, l'interrogation des bases de données et le rétrocriblage sont désormais plus aisés. Les renseignements sur les personnes souffrant de problèmes psychiatriques et sortant d'un établissement spécialisé sont désormais mis en commun au niveau national, alors qu'il n'y avait auparavant que des fichiers départementaux.
Au regard de la sécurité nucléaire, les questions touchant à la santé psychiatrique ne sont pas appréhendées dans une approche de niche ; elles procèdent au contraire d'une approche plus générale. L'analyse des passages à l'acte au cours des trois à quatre dernières années montre que, dans le vivier des gens dont nous avons eu à traiter le cas, 15 % à 20 % avaient des problèmes psychiatriques ou avaient fait l'objet d'un suivi psychiatrique. C'est le résultat de nos enquêtes ex post. Il n'y a donc pas, sur ce point, d'approche spécifique aux centrales nucléaires. Dans le cas de soupçons, la DGSI mobilise les équipes de management des centrales. Après une réunion tenue le 6 février 2018, nous avons leur avons demandé d'augmenter les cadences afin que les comportements inappropriés ou de changements de comportement soient signalés plus rapidement – dans le respect du secret médical s'entend.
Il n'y a aucune différence : ils sont soumis aux mêmes normes de sécurité.
Pour avoir visité une centrale, j'insisterai sur le fait que les personnels s'y observent beaucoup mutuellement. Cela commence par une vérification du caractère réglementaire de la tenue ou du bon état de rangement du matériel. Beaucoup de messages sont passés, qui encouragent les employés à repérer chez leurs collègues un éventuel mal-être, une fragilité psychologique ou encore des signes de radicalisation.
S'agissant des sous-traitants, comme on vous l'a dit, le mécanisme de criblage est bien en place : l'algorithme « Accred » du COSSEN donne accès à neuf fichiers, ce qui permet une remontée d'information dense et complète et un bon suivi des personnes de nationalité française. La situation est plus compliquée pour les personnels de nationalité étrangère, pour lesquels une marge de progrès est possible. Si le fichier Schengen était accessible autrement que dans le cadre de poursuites judiciaires, on ferait mieux en matière de personnel étranger.
Certes non ! Tous les personnels en activité ont été passés au crible par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et par ses équipes d'officiers de police. Le COSSEN a « repris le stock » et les retraites grâce au logiciel « Accred », en même temps qu'il examine les nouveaux fichiers. En huit mois, nous avons déjà criblé avec le nouveau système les deux tiers des 220 000 personnels en activité.
J'ajoute que le nouveau criblage est désormais valable seulement un an, et non plus trois.
Il y a un peu plus d'un mois, nous avons entendu à l'OPECST votre prédécesseur. Cédric Villani et moi-même avions en effet demandé l'autorisation au premier ministre d'obtenir plus d'informations. L'audition s'est déroulée à huis clos, mais aurait pu, à vrai dire, être publique : nous n'avons entendu qu'une présentation des différents textes régissant la sécurité des centrales nucléaires aujourd'hui, autrement dit un exposé plutôt théorique, sans beaucoup d'informations concrètes sur la manière dont des personnes extérieures entrent dans les centrales.
On nous a expliqué à longueur d'auditions qu'il existait deux systèmes de sécurisation des centrales. Dans le système français, dit « en profondeur », il faut franchir plusieurs barrières et les forces de sécurité interviennent au fil de l'intrusion pour arrêter les personnes qui entrent. Le système de bunkérisation est plus infranchissable : sitôt que l'intrus est détecté, on lui tire tout simplement dessus ! Ne peut-on mieux sécuriser les barrières du système français, tout en gardant le principe du système en profondeur ? Il ne s'agit en effet certes pas d'ouvrir le feu sans sommation, surtout si les intrus sont des militants. Mais pourquoi n'a-t-on pas encore réussi à rendre un peu plus infranchissables les premières barrières du système français ?
Vous qui êtes en charge de la coopération au niveau national, quel niveau de coordination jugez-vous le plus adapté au niveau international, par exemple lorsqu'il s'agit d'échanger des informations ou de lutter contre les trafics de matières radioactives ou d'autres menaces et projets d'attaque ?
Je ne voudrais pas revenir sur l'éternel dialogue des experts et du monde politique. Je fais partie des parlementaires qui considèrent que la politique étrangère et la politique de sécurité relèvent effectivement de l'exécutif : on peut voter le budget sans nécessairement avoir accès à toutes les informations. Se pose en revanche la question de la confiance dans le système qu'on élabore.
Peut-on envisager, dans un souci d'efficacité, que des membres de l'OPECST puissent être systématiquement habilités, quitte à revoir la composition de cet office, afin de disposer d'un pouvoir d'investigation poussé sur les questions techniques ?
L'un des enjeux éventuels de notre commission d'enquête est de donner une compétence à l'ASN en matière de sécurité, en suivant sur ce point des modèles étrangers. Mais nous retrouverions le problème de ce mur de Chine qui nous est opposé au nom de la sécurité nationale. Imaginons que l'ASN s'occupe demain, comme elle le fait aujourd'hui, de sûreté, mais aussi de sécurité. Au sein de l'ASN, les 483 agents pourraient-ils alors tous une habilitation de sécurité ? Ou bien y intégrera-t-on ceux qui s'étaient occupés jusqu'alors de sécurité, au risque de voir se croiser au sein d'un même établissement deux types de personnels qui ne sont pas habilités à accomplir les mêmes tâches. L'ASN devrait-elle alors être rattachée au SGDSN, au même titre que l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) ? Problème très administratif…
Sur un plan plus pratique, quels sont les risques pour nos installations d'un tir à distance au lance-roquettes ? Les auteurs d'un récent rapport soutiennent qu'il en existe un. Faut-il, comme ils le préconisent, construire des bâtiments boucliers susceptibles de gêner la visibilité des piscines nucléaires par rapport à des gens de l'extérieur ?
Enfin, dans votre travail de criblage, avez-vous accès aux fichiers S et y trouve-t-on des personnes actives dans le secteur nucléaire ?
S'agissant des incursions dans les centrales, je sais que vous allez bientôt vous déplacer. C'est sur place qu'on se rend le mieux compte.
Je crois d'ailleurs qu'il y a plus de deux modèles possibles de protection : entre le bunker et le système en profondeur, il y a également le modèle dit du château fort. Le modèle français repose effectivement sur le franchissement de barrières successives ; il vise à l'épuisement des ressources de l'attaquant. L'idée n'est pas d'arrêter l'intrus à la première clôture, qui n'est même pas détectrice, mais de le retarder et l'amener à se défaire d'une partie de leur matériel, sans même être une barrière détectrice. La deuxième clôture est quant à elle détectrice ; lors du dernier incident connu, c'est son franchissement qui a provoqué l'intervention des pelotons spécialisés de protection de la Gendarmerie (PSPG). Elle n'est toutefois pas non plus conçue pour arrêter définitivement l'attaquant. C'est après qu'on arrive à la zone vitale, au coeur du bâtiment. Et encore, les vraies cibles à protéger sont situées au coeur du coeur. Ce sont vers ces cibles que se dirigent les PSPG, non vers les attaquants : ce sont bien elles qu'ils vont protéger.
Il n'est pas du tout impossible de renforcer les barrières successives : au fil du temps et au fil de la mise en oeuvre du plan de 700 millions d'euros conduit par les opérateurs, le système en profondeur a ainsi été renforcé, mais pas jusqu'à rendre infranchissable la première barrière, comme dans le cadre de la stratégie du bunker. Au demeurant, que cette stratégie soit américaine ou allemande, c'est la présence de miradors derrière qui rend les premières barrières infranchissables. Quant à l'ouverture de feu, je rappelle qu'elle obéit en France à des règles très différentes de celles qui sont en vigueur aux États-Unis.
Oublions cette question : beaucoup de parlementaires de l'OPECST se sont offusqués de cette alternative simpliste. Entre laisser les gens entrer ou tirer à vue, il y a tout de même d'autres modalités d'action. Les investissements sécurisés et les mesures périmétriques visant à repérer les gens à l'approche des centrales laissent à désirer. Je suis tout de même étonnée de voir des activistes approcher aussi près une centrale, dans une totale impunité. Dans ces zones rurales, les attroupements ne sont pourtant pas si nombreux ; ils devraient pouvoir être repérés facilement. Quelles mesures comptez-vous déployer vous en amont des intrusions ? Cela fait tout de même plusieurs fois que les militants parviennent à entrer dans les centrales ; cela devient un peu irritant.
Des caméras de vidéosurveillance sont installées et l'arrêt des véhicules est interdit dans un rayon de cinq kilomètres autour des centrales : ces deux mesures ont été récemment ajoutées à l'arsenal législatif et réglementaire.
J'ajouterai que les capteurs des services de renseignement ne sont pas braqués sur Greenpeace, mais plutôt sur les terroristes. Cela peut expliquer qu'un groupe de trois personnes liées à des mouvances terroristes soit plus vite repéré qu'une quinzaine de militants de Greenpeace. L'orientation des capteurs de renseignement est donc un facteur à prendre en compte.
Des mesures physiques de surveillance peuvent aussi être prises, comme l'orientation de caméras, non plus vers l'intérieur, mais vers l'extérieur et vers la voie publique. Un renforcement des enceintes les rendrait également plus tôt détectrices qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Vous dites que le choix n'est pas binaire entre renoncer à une barrière infranchissable et tirer. Tout ce qu'il y a de sûr, c'est que personne n'a envie que les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) élargissent leur palette d'outils à des armes à létalité réduite, et se mettent à tirer au flash-ball, par exemple. Ils n'ont pas été formés à cela ; ils sont formés à lutter contre des terroristes, non contre des gens qui ne sont pas des spécialement malveillants et qui se considèrent comme des lanceurs d'alerte.
J'en viens à l'échange d'information international : les services de renseignement ont des contacts à tous les niveaux. Sans avoir accès aux fichiers étrangers, nous en apprenons ainsi beaucoup sur certains sous-traitants. Au niveau du ministère de l'intérieur et du ministère de la transition écologique et solidaire (MTES), il y a aussi des échanges internationaux. Nous passons en tout cas beaucoup de temps dans ces échanges. M. Bolot participait encore hier à une réunion, qui avait pour objet le traitement en commun de crises internationales avec des partenaires de pays limitrophes. Une crise ne s'arrête pas, en effet, aux limites du département, encore moins aux frontières nationales.
Ainsi, le plan établi en 2014 pour réagir face à un accident nucléaire majeur est public et a été traduit en anglais. Il fait référence aujourd'hui et nous en discutons avec nos partenaires internationaux. Ce sont autant d'informations que nous partageons avec eux.
L'habilitation de certains membres de l'OPECST nous ramène à au problème du secret défense : peut-être y a-t-il de possibles pistes de réflexion, mais, en l'état actuel de la législation, il n'est pas possible de l'envisager : les informations concernées sont protégées par le secret défense.
C'est la même chose.
En revanche, si l'ASN devait être en charge de certains aspects de la sécurité nucléaire, il faudrait recréer une partie de son personnel et l'habiliter du point de vue de la sécurité. Un cloisonnement serait à établir au sein du personnel de l'établissement, conformément aux règles applicables à la protection du secret défense, liées à ce que l'on appelle le besoin d'en connaître.
Ce qui poserait le problème de la coexistence, au sein des personnels de l'ASN, de gens dont certains auraient ce « besoin d'en connaître » et d'autres pas, alors que l'ASN a plutôt une culture de la transparence. J'y vois le risque d'effets de friction, voire de contradiction. C'est une difficulté qui est en creux dans votre question.
S'agissant des lance-roquettes, il faut interroger le service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (SDSIE), bras armé du MTES. Ils vous diront qu'ils ont en effet procédé à des tests en 2015, auxquels nous avons été associés, en utilisant des RPG-7 lance-grenades contre des épaisseurs reproduisant, par leur texture et par leur profondeur, les murs qui entourent les zones vitales des centrales nucléaires. Les tests ont permis de faire voir le niveau de pénétration. Ils ont été concluants dans la mesure où ils ont permis de montrer que les murs résistaient.
Parle-t-on des murs qui entourent les bâtiments de piscines ou les bâtiments de centrales ?
Des deux. Nous avons reconstitué des murs d'aéro-réfrigérateurs qui sont, si je puis me permettre, les plus faciles à toucher, puisqu'ils sont les plus grands dans le paysage. Les autres sont beaucoup moins aisés à atteindre…
On a également mesuré la pénétration dans deux murs successifs, entre lesquels sont ménagés des espaces vides dans lesquels la charge creuse se disperse – ce sont là des aspects techniques dont j'ai eu à connaître dans une phase précédente de mon parcours professionnel.
Nous avons aussi pu procéder à ces tests grâce à la capacité de coordination entre services de l'État, qui nous a permis d'utiliser de vrais engins militaires et de les tester dans de lieux réels, ce qui n'est pas toujours simple. Nous avons ainsi pu nous appuyer sur le GIGN et sur d'autres services, possesseurs de l'étude finale, elle aussi classifiée.
C'est la préoccupation d'éventuels tirs directs qui nous a amenés à procéder à ces essais. Il s'agissait en effet pour nous de tester les menaces et de trouver ensuite les parades appropriées. J'ai assisté évidemment à la restitution des résultats de ces études ; et ils étaient satisfaisants.
Nous ne sommes pas allergiques à la technique dans cette commission d'enquête…
Dans la mesure où nous n'avons pas accès à ces documents, nous allons tout simplement vous poser la question. Le rapport de Greenpeace, auquel nous avons eu accès, met en scène des scénarios et des menaces. À la suite de l'excellente question de notre collègue, pouvez-vous nous dire s'il n'y a pas de souci, si nous pouvons répondre aux menaces exposées par Greenpeace, si nos installations sont suffisamment protégées ? Les gens de Greenpeace ont-ils raison ou tort ?
Je préfère prendre la responsabilité de ne pas vous répondre, mais je crois que la question ne se pose pas entièrement dans ces termes. Je ne crois pas qu'il existe de risque zéro. Maintenant, au regard de ce que nous savons des types d'armes qui circulent sur notre territoire, nos installations sont-elles à risque ? À cette question, la réponse est : oui, ces armes ont bien été testées. Je n'ai pas non plus vu le rapport, mais je ne suis pas sûre que, si l'on me mettait sous les yeux le rapport très technique d'un service très technique, je serais plus capable de me faire ma propre opinion ; il y a un moment où il faut savoir faire confiance aux « sachants ». Je pense en tout cas que les tests ont été concluants sur le fait qu'il n'y a pas de danger pour les installations nucléaires du fait de ces armes.
Y compris des armements que des terroristes peuvent aujourd'hui se procurer au Moyen-Orient ?
À ce stade, nous pensons que ce qui peut être apporté à proximité de ces installations n'est pas de nature à la mettre en danger la sûreté nucléaire.
Après les attaques contre les murs, parlons des chutes d'avion… On nous dit que, depuis le 11 septembre, les enceintes des réacteurs sont bunkérisées et capables de résister à la chute d'un avion, mais les toits des piscines de la Hague, par exemple, n'ont pas du tout été conçus en pensant à un tel risque. Avez-vous des éléments pour nous assurer qu'une attaque du type du 11 septembre, avec un avion de ligne, ne permettrait pas un dénoyage de piscine et donc un accident nucléaire ?
La réponse relève davantage du ministère de la transition écologique et solidaire (MTES), qui est en charge de la sécurité des installations. Les plafonds ne sont en effet pas de nature à résister à la chute d'un aéronef, mais celui-ci se disloquerait et il est tout de même compliqué de faire tomber un aéronef dans la bonne enceinte. Le sujet, c'est, plus en aval, celui de la garantie de l'étanchéité des piscines. Et les moyens mis en place en termes de forces d'intervention rapide pour garantir l'alimentation en eau, en air et en électricité, m'ont tout à fait rassurée. Trois cents personnels sont dédiés à cette mission, et mobilisés tout au long de l'année.
Nous poserons la question au MTES. Un avion se disloque, j'entends bien, mais on a vu les dégâts que cela a pu causer sur le World Trade Center. J'imagine que nos installations sont bien plus résistantes, mais vous comprenez que l'on puisse se poser la question.
Il faut aussi tenir compte des efforts qui ont été déployés depuis en termes de sûreté aérienne. Les mesures de sécurité aéroportuaire ont connu une croissance exponentielle et les ressources mobilisées à cet égard n'ont plus rien à voir. On s'en rend bien compte avec les différentes mesures de filtrage, les questions aux voyageurs, le criblage des personnels autorisés à accéder aux avions, les personnes écartées des plateformes aéroportuaires… Avant de faire tomber un avion, il faut avoir pu monter dedans, en ayant échappé à tous les radars ; or ceux-ci se sont multipliés depuis le 11 septembre. Le contre-exemple, c'est bien sûr Germanwings, qui n'est pas exactement la même chose ; nous revenons à l'approche psychologique et psychiatrique. Et là encore, la sécurité nucléaire ne peut être dissociée de la sécurité nationale globale.
Avez-vous accès aux fichiers S et pouvez-vous nous garantir qu'il n'y a pas, dans le personnel que vous avez contrôlé, de fichés S ?
Nous avons travaillé en interministériel sur le sujet du criblage pour faire progresser l'accès aux fichiers ; mais n'étant pas opérateurs, nous n'avons pas accès aux fichiers eux-mêmes.
Les services de renseignement, à savoir le directeur général de la sécurité intérieure ou le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN).
Le reportage diffusé sur Arte, avez-vous dit, vous a marquée. Vous nous avez répondu sur la problématique Greenpeace ; mais ce reportage faisait également état des cibles potentielles que représentent les véhicules de transport de matériaux, notamment sur certains ponts non circulables mais accessibles. Une réponse est en train d'être apportée, qui est de nature à vous satisfaire, et donc à nous satisfaire.
Vous avez souligné qu'un PSPG était formé à sécuriser un certain périmètre, mais Greenpeace est tout de même parvenu jusque devant les piscines. Les piscines font-elles partie des zones à sécuriser par les PSPG ?
Au fil des auditions, j'ai tendance à penser qu'une bonne partie de ceux que nous auditionnons minimisent les intrusions, alors que nos concitoyens, eux, ne les minimisent pas. Selon vous, ces agissements sont-ils inévitables mais sans grandes conséquences du point de vue du risque ou bien sont-ils révélateurs de failles ? Estimez-vous que les effectifs de police sur site sont suffisants pour garantir la sécurité ?
Après avoir récemment visité une centrale, j'ai été plutôt rassurée par la succession des différentes barrières et par la notion de défense en profondeur, auxquelles s'ajoute l'interdiction de l'espace aérien autour des centrales.
Ma question porte sur la transparence. Serait-il envisageable que des statistiques soient publiées chaque année sur le nombre d'intrusions et les menaces que vous avez déjouées, y compris les menaces cyber, afin notamment de rendre ces phénomènes moins anxiogènes en faisant le tri entre les tentatives d'intrusion de militants identifiés comme tels avants de pénétrer dans l'enceinte et les agissements d'autres types, y compris à l'encontre des transports ? Il ne s'agirait évidemment pas de les détailler outre mesure, mais de les recenser en toute transparence en leur affectant, en quelque sorte, un coefficient de gravité.
J'ai moins d'expérience avec les transports ; mais on m'a expliqué que, du fait même qu'ils sont une occasion de contact avec le monde extérieur, ils sont considérés dès l'origine comme plus vulnérables et donc dotés d'une protection à la hauteur, avec des personnels formés et entraînés, des escortes spécialisées et équipées, des itinéraires minutieusement arrêtés, dont certains détails ne sont pas repérables : il y a, et c'est heureux, une face cachée de la protection qui n'apparaît pas forcément dans le reportage. Cela dit, il est compliqué de jouer l'imprévisibilité sur des transports qui nécessitent une énorme préparation. Même si le MTES y réfléchit, la question ne se résout pas en multipliant les itinéraires : le caractère très poussé de l'organisation implique une certaine permanence des trajets. Il faut faire avec cette prévisibilité et la compenser par d'autres mécanismes : ainsi les camions ne sont pas ceux que l'on achète sur le marché, ils sont dotés d'équipements particuliers, renforcés et testés. Et le personnel est soumis à un criblage approfondi.
Nous n'avons pas accès à ces tests.
Nous avons posé la question au réalisateur du film : il y a effectivement ce qu'on voit, et ce qu'on ne voit pas. Il nous a répondu qu'il avait passé beaucoup de temps à réaliser ce film et que s'il y avait des choses qu'ils n'avaient pas vues, cela pouvait vouloir dire que les forces de sécurité étaient vraiment excellentes et bien cachées… Sans oublier le fait que, depuis la Hague, il n'y a qu'une route, donc il n'y a pas le choix : la situation de l'installation pose de toute façon un problème insoluble, à moins de fermer l'usine. Cette route traverse des villages, il est facile d'y louer une maison. C'est pourquoi nous aimerions bien avoir les tests : si quelqu'un réussit à tirer sur le convoi…
Il faudrait qu'il soit lourdement artillé pour transpercer des fûts de plutonium… Cela n'a rien à voir avec les conteneurs de déchets à faible activité que l'on met dans les trains, par exemple. En tout état de cause, la solution de l'habilitation pour l'instant est exclue, mais il est peut-être possible de déclassifier certains éléments pour vous apporter les informations que vous souhaitez. Nous allons nous y pencher.
Ce matin, nous avons auditionné le président de la CRIIRAD et son analyse n'est pas tout à fait la même. Il nous a indiqué qu'un grand nombre de véhicules transportaient en France des matières radioactives, parfois en quantités très modestes mais néanmoins porteuses de risque. Non seulement il peut en résulter une exposition à la radioactivité préoccupante au regard des seuils d'acceptabilité, mais surtout, les petits véhicules sans escorte sont bien plus exposés que les grands convois, soumis à des protocoles rigoureux. Le confirmez-vous ?
Avez-vous déjà eu affaire à des vols de ce genre de matières, dont on peut se servir pour fabriquer des bombes sales ?
Selon le président de la CRIIRAD, les doses de radioactivité dégagées lors de ces transports, par exemple dans des trains qui s'arrêtent dans des gares de voyageurs, sont de deux millisieverts par heure. Autrement dit, quelqu'un qui stationne à côté de ces trains pendant une demi-heure peut se prendre la dose annuelle d'exposition recommandée…
Cela dépasse mon domaine d'activité. Je sais qu'il y a de nombreux transports de matières radioactives en petite quantité par le fait qu'elles servent dans des champs qui vont bien au-delà des installations nucléaires – les hôpitaux par exemple, où il faut parfois savoir aller très vite pour sauver des gens. Je ne suis pas une spécialiste de ces sujets ; nous vérifierons et, si nous sommes capables de vous répondre, nous le ferons. L'autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui a été chargée de la sécurité des sources de matériel médical et est mieux placée pour vous répondre.
C'est tout de même un vrai sujet de sécurité. Au regard du risque terroriste, les règles qui prévalent, y compris pour des matières à usage médical, ont-elles évolué et sont-elles adaptées ?
Elles sont en train d'évoluer : un décret actuellement au secrétariat général du Gouvernement prévoit un renforcement des dispositions de protection des sources radioactives, y compris civiles, en application d'une ordonnance du 10 février 2016. Mais cela ne concerne que les sources radioactives du « haut du spectre ». Et cela relève évidemment du domaine de l'ASN.
Pour répondre à vos autres questions, les piscines sont évidemment en zone vitale. Les PSPG étaient présents et n'ont pas tiré sur les militants de Greenpeace, et je crois que tout le monde s'en réjouit ; mais s'il avait fallu protéger la zone vitale, ils l'auraient fait. Du côté de l'État, personne ne minimise les choses : nous considérons que les intrusions sont dangereuses pour ces militants comme pour les PSPG, et surtout qu'elles brouillent l'appréciation des choses par les PSPG qui ne sont pas là pour faire du maintien de l'ordre ou de la dissuasion de manifestation. C'est la raison pour laquelle le SGDSN a plutôt poussé à la loi de juin 2015 sur le renforcement de la répression pénale sur les intrusions, afin que les mesures de protection se concentrent sur la vraie menace, en l'occurrence la menace terroriste.
Pour vous, l'intrusion de Greenpeace ne préjuge pas de ce que pourraient faire des terroristes ?
Disons que la fin de cette intrusion ne préjuge pas de ce qui pourrait arriver à des terroristes…
Les effectifs des PSPG sont de plus de mille, sous commandement du GIGN et peuvent être appuyés par des renforts. S'y ajoutent les cercles concentriques des personnels de sécurité qui relèvent d'EDF et des personnels de sécurité et gardiennage sous-traitants. Ce qui fait au total quelque 4 000 personnes qui se consacrent à la sécurité des installations nucléaires.
Soit 1 034 gendarmes pour les PSPG, plus le personnel de sécurité d'EDF, plus le personnel sous-traitant de sécurité d'EDF, soit des sociétés privées de sécurité, plus des personnes recrutées pour assurer le filtrage à l'entrée et le personnel de sécurité spécialisé d'Orano et du CEA. Cela représente un investissement collectif qui est loin d'être négligeable. En comparaison avec d'autres pays, nous sommes, en proportion du nombre de centrales nucléaires, dans le haut du spectre. C'est ce qu'a confirmé l'AIEA venue conduire, sept ans après la précédente, une inspection qui a duré quinze jours et s'est terminée il y a une dizaine de jours. Et l'agence a bien noté notre effort de coproduction collectif pour assurer la sécurité de nos installations.
Les chiffres, madame Pouzyreff, ont déjà été donnés. Nous pouvons les collecter pour vous fournir un état des lieux sur les intrusions : on en a enregistré quatorze en trente ans.
Il faudrait le faire de façon systématique pour informer la population, dans un souci de transparence. D'autant que, visiblement, tout porte à penser que la situation est sous contrôle.
Nous sommes assez conscients de ce besoin d'information, qui n'a pas été complètement comblé ces dernières années.
L'absence de communication après les intrusions conduit en général à penser beaucoup de choses. Sans porter atteinte au secret défense, certains éléments peuvent sans doute être communiqués pour atténuer les effets d'une perception exagérée.
Pour rassurer nos concitoyens, il faudrait en effet que nous le soyons nous-mêmes ; or vous constatez que nous nous posons beaucoup de questions. Au lendemain des intrusions, Éric Villani et moi-même avons écrit au premier ministre. Ce que propose Mme Pouzyreff serait de bonne pratique, même si c'est pour expliquer, lorsqu'une faille est détectée, que le problème est en train d'être résolu.
Il y aura forcément un décalage entre la réalité de la vulnérabilité et le moment où elle peut être annoncée, car mettre sur la place publique une vulnérabilité qui n'est pas encore corrigée représente un risque ; mais nous travaillons à ce que ce qui peut être mis sur la table le soit, sans pour autant servir du réchauffé.
Avez-vous pu élucider le survol de centrales par des drones en 2014 ? Les mesures de protection qui devaient être prises ont-elles été mises en place et sont-elles opérationnelles ?
Le phénomène observé à cette date lui-même n'est pas clair : après décantation, de nombreuses occurrences ont été disqualifiées ; il s'est produit un certain emballement, tout le monde voyait des drones. Je ne dis pas que ça n'a pas eu lieu mais, même sur le nombre de survols, nous n'avons pas les idées totalement claires. Nous ne pouvons pas non plus vous dire si c'était de la surveillance, du renseignement ou quoi que ce soit d'autre. Une chose est sûre : il n'est pas bon que des drones survolent nos installations car leurs images peuvent être beaucoup plus précises que des images satellites que l'on peut trouver sur divers sites. C'était donc un réel problème, qu'il fallait traiter. Le SGDSN a mobilisé tout le monde, à la fois sur le terrain législatif et sur la recherche de moyens d'action – brouillage, leurrage ou destruction en vol.
En 2014, nous avons eu l'occasion de nous expliquer sur ce sujet devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques – preuve qu'il nous arrive de nous rencontrer. Rappelons que notre copie à l'époque était encore vierge, puisqu'il n'existait aucune réglementation concernant les vols de drones. Or leur nombre a explosé pour passer de quelques milliers en 2012 à près de 500 000 aujourd'hui. Il a donc fallu mettre au point une législation en lien avec le Parlement et sur la base d'une expertise que nous avons conduite en nous appuyant sur la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et sur les dronistes eux-mêmes. C'est la mission interministérielle de sûreté aérienne qui a coordonné ce travail qui, après sa reprise par le Parlement, a donné lieu à la loi du 24 octobre 2016.
Ce texte prévoit pour les utilisateurs de drones dits « coopératifs » un certain nombre d'obligations d'information, de formation et d'enregistrement, qui entreront en vigueur l'été prochain. Ensuite, il nous faut travailler avec les producteurs de drones, ce qui est un peu plus compliqué : le marché étant détenu aux deux tiers par un fabricant chinois tandis qu'un fabricant français détient une partie de l'autre tiers. Des mesures sont en cours d'élaboration pour répondre aux questions du signalement électronique lumineux et de la limitation de la capacité des appareils. L'objectif est d'instaurer une sorte de permis de conduire afin que les personnes qui achètent ces drones en toute bonne foi ne les utilisent pas n'importe comment.
Se pose ensuite la question des drones utilisés à proximité ou au-dessus d'une centrale nucléaire ou d'autres installations sensibles – palais national, base militaire ou autres. Deux cas de figure sont possibles. Le premier est celui de l'erreur d'appréciation d'un droniste non malveillant, mais qui s'approche trop d'un site sensible. Nous allons mettre en place un système de détection des drones autour des différents sites à protéger, qui seront déterminés par chacun des ministères. Le système d'enregistrement permettra de retrouver le droniste grâce à sa signature électronique. Il a été testé et est opérationnel ; reste à le diffuser de sorte que les ministères ayant des sites à protéger s'équipent des détecteurs. Cela prendre du temps, mais le dispositif est d'ores et déjà au point.
Deuxième cas de figure : le drone malfaisant, dont le pilote cherche à faire des vols de reconnaissance ou à porter un coup à une installation. Nous avons travaillé sur les technologies avec des industriels français – des grands groupes mais aussi des PME innovantes – et cofinancé trois consortiums qui ont mis au point des produits agissant à trois niveaux : la détection, l'identification et la neutralisation des drones.
Sur les aspects « identification » et « neutralisation », les groupements industriels retenus ont rendu une copie très correcte : nous avons effectué des tests à Villacoublay avec l'ensemble des utilisateurs potentiels – l'administration pénitentiaire et les armées, par exemple. Les résultats obtenus sont satisfaisants. Un de ces groupements industriels a développé la séquence pratiquement jusqu'au bout – il a d'ailleurs vendu son produit au ministère de la défense, ce qui montre que la défense de nos bases les plus sensibles est opérationnelle. Le travail de développement a également porté sur des outils plus légers tels que des brouilleurs antidrones, d'ores et déjà commercialisés sur le marché et fabriqués par des industriels français. Certains de ces appareils ont été utilisés par les forces de police lors de grands événements comme la COP21 ou l'Euro 2016 ; ils permettent, en détectant le drone par radar ou à vue, de le faire tomber en prenant le contrôle de leur liaison Wifi ou en brouillant leur signal GPS.
Tout ce travail, alors que nous partions de rien, a été conduit en moins de trois ans. Nous avons pris les mesures législatives nécessaires et la plupart des décrets sont prêts et entreront en vigueur à partir de l'été prochain. Sur le plan technologique, nous avons développé plusieurs outils en favorisant la production française, dont certains intéressent le principal opérateur français de production d'électricité.
Les brouilleurs que vous évoquez ne sont-ils donc pas encore installés sur les centrales ?
Non, les centrales n'en disposent pas encore au quotidien, mais la gendarmerie nationale en est équipée, de même que l'armée de l'air et la préfecture de police de Paris. Selon l'évaluation de la menace et si une situation du type de celle que nous avons connue en 2014 se produisait, nous serions en mesure de déployer des brouilleurs. Je ne peux entrer davantage dans les détails, mais ces brouilleurs permettent de prendre la main sur le drone, soit par le biais du Wifi, soit par celui de la programmation GPS si le drone est programmé et fonctionne sans opérateur.
Je souhaitais vous poser de nombreuses autres questions sur la cybercriminalité, qui devient l'une des dimensions essentielles de la problématique de sécurité – pas seulement concernant les installations nucléaires. Dois-je comprendre que vous n'êtes pas les plus spécialisés sur ces questions ?
Elles relèvent du SGDSN mais il se trouve en son sein un important opérateur de sécurité, l'ANSSI, dont vous auditionnerez le directeur général le 19 avril. C'est lui le véritable spécialiste et il saura mieux vous renseigner.
Il nous reste à vous remercier pour votre disponibilité et pour la précision de vos réponses. Nous nous permettrons éventuellement de revenir vers vous si nous avons d'autres questions à vous adresser ; en attendant, n'hésitez pas à nous transmettre vos contributions écrites.
L'audition s'achève à 16 heures 45.
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Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 15 heures :
Présents. - Mme Bérangère Abba, M. Julien Aubert, M. Philippe Bolo, Mme Émilie Cariou, M. Paul Christophe, M. Jimmy Pahun, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Isabelle Rauch, M. Hervé Saulignac.
Excusés. – M. Xavier Batut, M. Christophe Bouillon, M. Fabrice Brun, M. Anthony Cellier.