L'audition commence à dix heures vingt.
Mes chers collègues, nous recevons à présent, et sous la forme d'une table ronde, les représentants de quatre parmi les grands groupes présents dans la distribution en France.
Pour le groupe Leclerc, M. Frédéric Gheeraert, directeur de la Scamark qui produit les marques des distributeurs du groupe, M. Stéphan Arino, directeur de la qualité et du développement durable et M. Alexandre Tuaillon, chargé de mission auprès du président.
Pour le groupe Carrefour, M. Hervé Gomichon, directeur de la qualité et du développement durable, M. Lionel Desence, directeur des affaires scientifiques, réglementaires et de nutrition, et M. Éric Adam, directeur des affaires publiques.
Pour le groupement « Les Mousquetaires » Intermarché : M. Jean-Marc L'Huillier, administrateur responsable du développement durable, M. Olivier Touzé, directeur « développement durable ».
Pour Système U coopérative « U Enseigne » : M. Laurent Francony, directeur « qualité, sécurité, sociétal et environnement », et M. Thierry Desouches, responsable des relations extérieures.
Sans prétendre à l'exhaustivité dans la représentation de la grande distribution, vos quatre groupes réunis constituent, messieurs, un panel représentatif de ce secteur, ne serait-ce qu'en termes de parts de marché – je serai d'ailleurs intéressé de connaître la part de marché de chacun d'entre vous en France – et de répartition sur le territoire.
Nous sommes satisfaits de constater ici la présence de responsables de haut niveau dans les domaines « qualité », « développement durable » ou « environnement ». Je vais d'ailleurs vous poser une première question commune : quelles sont les caractéristiques de la notion de développement durable, telle que comprise par chacune de vos entreprises, au regard du thème de réflexion qui est celui de notre commission, à savoir l'alimentation industrielle et ses impacts, en termes de santé, d'environnement et sociétaux ?
Concernant le domaine de la qualité, la perception première est plus évidente. Nous allons toutefois vous interroger sur les autocontrôles que vous réalisez tout au long de la chaîne économique qui caractérise votre activité : c'est-à-dire de la production, y compris sur les matières premières, jusqu'à vos rayons.
Messieurs, nous allons dans un premier temps vous entendre au titre d'un bref exposé liminaire de dix minutes au maximum pour chaque groupe. Puis, nous engagerons un échange, et d'abord avec les questions que vous posera notre collègue Michèle Crouzet, en sa qualité de rapporteure de la commission d'enquête.
Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.
Les personnes auditionnées prêtent serment.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de nous accueillir pour débattre d'un sujet cher à tous les participants de cette table ronde.
Le groupe Leclerc est un rassemblement de 600 chefs d'entreprise et commerçants indépendants. M. Frédéric Gheeraert, directeur de Scamark, qui produit les marques des distributeurs du groupe, vous expliquera nos actions, à la fois en termes d'autocontrôle et de surveillance de qualité de la production. M. Stéphan Arino, qui pilote la direction de la qualité et du développement durable, évoquera le volet « marques nationales » et la collaboration que nous avons avec les grandes marques.
Scamark est une entité du groupement Leclerc en charge de la marque de distributeur (MDD). Retenez qu'il s'agit de 3,5 milliards de produits vendus par an et de 7 500 références ; nous avons donc une grande responsabilité dans les produits que nous mettons sur le marché.
Vous parliez de parts de marché : concernant la MDD, sur 100 euros ou 100 kilos vendus en France, 20 % sont issus de Scamark.
Concernant l'aspect qualité, le cahier des charges comporte des certifications et une définition de ce que nous attendons. Des contrôles sont réalisés et des tests effectués avant le lancement d'un produit sur le marché. Effectivement, des autocontrôles sont réalisés sur les produits déjà commercialisés. Enfin, nous avons mis en place une veille de nos produits qui tient compte des avis des consommateurs.
En moyenne, nous effectuons 40 000 analyses par an, 600 audits d'usine, et 53 personnes suivent ces dossiers.
S'agissant de la sécurité et de la santé, nous nous sommes engagés à réduire les pesticides. D'une part, en démocratisant le bio, et, d'autre part, en nous engageant dans les filières, avec les producteurs, pour une agriculture raisonnée. Nous travaillons avec le ministère de l'agriculture sur le label HVE – haute valeur environnementale – pour inciter les grandes filières, comme celle des fruits et légumes, à changer de pratiques agricoles. Nous le faisons sur la première gamme, mais également sur les produits surgelés. Nous travaillons directement avec les grands producteurs et les coopératives.
Concernant les additifs, nous avons travaillé avec une organisation non gouvernementale (ONG) pour aller au-delà de la réglementation sans être dans le marketing de la peur. ! Nous avons étudié les législations de Nouvelle-Zélande, d'Australie et du Canada, qui sont plus avancées, et les propositions de différentes ONG. Nous avons ensuite défini une liste de produits à supprimer ; le dioxyde de titane, les acides gras « trans » et les colorants azoïques ont déjà été supprimés.
Nous sommes également conscients que les additifs ne doivent être utilisés qu'en cas de nécessité absolue – pour la conservation, par exemple.
Nous avons également travaillé avec l'ONG Foodwatch, qui a attiré notre attention sur le problème des encres minérales, afin de les éliminer – même si aucune législation n'a été adoptée sur cette question. Nous avons en effet appris que les emballages comportent du carton recyclé provenant de journaux imprimés avec de l'encre minérale. Par ailleurs, il a été démontré que nous pouvons aussi trouver de l'encre minérale à la source du produit et non pas sur l'emballage ; les cacaos de Côte-d'Ivoire, par exemple, en contiennent.
Nous nous sommes engagés sur la nutrition dès 2009, à travers le programme national nutrition santé (PNNS), à réduire le sucre, le sel et le gras – 4 250 tonnes par an de sucre, 200 tonnes de sel et 1 400 tonnes de gras. Comme tous nos concurrents, les actions que nous menons sont forcément massives, puisque nous vendons beaucoup de produits.
Voici quelques actions emblématiques : en 2008, notre Cola contenait 11,6 % de sucre, aujourd'hui il n'y en a plus que 9,5 %, soit une réduction de 31 grammes – c'est six morceaux de sucre en moins. En 2007, nos crèmes desserts contenaient 12 % de sucre ajouté, elles n'en contiennent plus que 9 %, et nous sommes passés, en sucres totaux, de 15 % à 13 %, soit une diminution de 2,5 points. La marque Danette est 34 % plus sucrée.
La loi nous interdit de faire de la publicité sur ces baisses, le règlement européen imposant l'affichage à partir de moins 25 % et de moins 30 %. Or nous avons pris le parti de réduire le sucre, le sel et le gras dans les produits de consommation courante, et non pas de faire une catégorie allégée. En revanche, grâce au Nutri-Score, un indicateur indiquera que tel produit est meilleur que tel autre.
Enfin, nous n'allons pas jusqu'à moins 25 % ou moins 30 %, car si le consommateur veut consommer mieux, il veut aussi du plaisir.
Nous sommes les seuls à avoir supprimé, depuis dix ans, les emballages des dentifrices ; or nous constatons que les clients achètent plutôt les marques concurrentes, le packaging étant probablement attirant. Par ailleurs, nous informons le consommateur depuis 2004 sur la nutrition.
Nous avons aussi mené une réflexion sur le e-commerce : l'image vue par les internautes correspond-elle au produit livré ? Tous les produits de Scamark ont un code-barres de 15 positions et non pas de 13. Pourquoi ? Parce que les deux dernières positions nous permettent de charger la photo et de communiquer sur la recette. Le consommateur doit être livré du produit qu'il a commandé sur le site. Par ailleurs, quand nous changeons une recette, la photo doit correspondre au produit. Nous voulons que le consommateur soit bien informé. Or aujourd'hui, selon les règles standard, le code-barres reste le même alors que la recette a été changée. Nous allons donc plus loin que ce qui est exigé pour l'information du consommateur.
La qualité et la nutrition sont des enjeux majeurs pour notre enseigne. Ce que vous a expliqué M. Gheeraert est la traduction opérationnelle de l'engagement que nous avons pris, au niveau de l'enseigne, en 2017, dans le cadre de notre manifeste « Leclerc pour la planète ». Nous y parlons de la suppression d'un certain nombre de molécules indésirables, des emballages, ainsi que d'une information nutritionnelle simplifiée qui aidera le consommateur à mieux décrypter les étiquettes des produits qu'il achète.
Nous avons participé aux discussions au ministère de la santé sur le Nutri-Score, nous l'avons testé sur nos drives, en complément d'un autre dispositif que nous avions identifié, d'origine australienne, le Nutri Mark. Nous tenons les résultats de l'étude à votre disposition : une étude que nous avons menée pendant trois mois sur plus d'un million de paniers. Nous avons pu constater, en conditions réelles, son impact positif sur la qualité nutritionnelle des paniers des consommateurs de nos drives.
Avec cependant un bémol. Si les produits sont bien notés, les clients les achètent, mais lorsqu'ils sont notés D ou E, les clients se reportent sur des produits concurrents qui n'ont pas le Nutri-Score, pensant sans doute qu'ils sont meilleurs dans leur catégorie. Or, en général, nous avons tous les mêmes profils, donc tous les mêmes notes.
D'où l'importance d'avoir une démarche globale, obligatoire, commune à tous les distributeurs et surtout à toutes les marques nationales. Notre enjeu est de pouvoir être comparé à toutes les marques ; d'où l'utilisation du Nutri-Score dans nos drives pour toutes les marques, afin que le consommateur puisse faire un choix éclairé.
Nous respectons bien évidemment la réglementation relative aux aspects qualité, sécurité sanitaire et hygiène. Néanmoins, les lanceurs d'alerte, ONG ou scientifiques, mettent en avant un certain nombre de problématiques ; la science est toujours en avance par rapport à la réglementation et aux politiques, ce qui nous place dans des situations un peu compliquées quand il n'y a pas de règles.
M. Gheeraert l'a évoqué pour les huiles minérales. Nous devons jongler avec les enjeux environnementaux et de réduction des emballages et les enjeux de sécurité sanitaire, avec la migration des huiles pour laquelle il n'existe pas de norme, mais pour laquelle on nous demande de prendre position. D'où la nécessité d'avancer tous ensemble sur ces sujets et au-delà du principe de précaution, vers la définition de normes et de règles communes à tous.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous vous remercions pour cette invitation. Elle nous permet d'échanger ensemble sur la question de l'alimentation industrielle. Cela nous donne l'opportunité de partager avec vous les actions qui sont aujourd'hui engagées par l'entreprise Carrefour et de présenter son ambition, annoncée par son PDG, en janvier dernier, de devenir le leader de la transition alimentaire pour tous.
Quand on parle d'alimentation et de qualité, on évoque d'abord la sécurité ; or la sécurité des consommateurs et des produits, et le respect de la réglementation sont des éléments intangibles, de base, sur lesquels nous construisons notre processus.
Ce processus de développement est assez générique. Nous avons des cahiers des charges, des audits d'usine, des plans de contrôle, mais surtout, le processus a été élaboré à partir d'une analyse de risques de ce processus de développement. Nous avons choisi la méthode HACCP, généralement utilisée dans la gestion des risques alimentaires. Nous avons appliqué cette méthode d'analyse de risques à notre processus produit. Nous avons ainsi identifié cinq points à maîtriser pour maîtriser l'ensemble du processus.
Premier point : que voulons-nous ? Un cahier des charges, le respect des réglementations, le respect des différentes normes, des niveaux de nutrition et des compositions.
Deuxième point : les fournisseurs. Il est essentiel que les fournisseurs qui fabriquent les produits de notre marque soient au plus haut niveau d'exigence de sécurité et de confiance dans les pratiques qu'ils vont mettre en oeuvre.
Troisième point : le plan de contrôle des produits. Si nous ne les contrôlons pas, nous ne pouvons pas garantir la sécurité et la qualité, ni procéder aux éléments de gestion des risques en cas de découverte ou de survenue d'un risque.
Quatrième point : les hommes. La compétence, l'expertise, la connaissance de la politique et des réglementations par nos équipes – 70 personnes travaillent sur ces questions.
Cinquième point : les data, l'information. Etant donné que nous ne pouvons pas contrôler le produit sans le dégrader, il est essentiel d'accumuler de la connaissance sur les produits, sur les fournisseurs, sur l'historique des contrôles et de pouvoir ainsi réagir de façon la plus pertinente possible en cas de problème.
L'entreprise Carrefour représente près de 20 % de parts de marché en France et compte plus de 5 600 points de vente sur le territoire français, tous formats confondus – hypermarchés, Carrefour Market, et tous les magasins Proxy qui portent différents noms.
S'agissant du niveau de transformation des produits et des aliments, nous proposons des produits différents que l'on peut classer en deux grandes catégories : les produits bruts et les produits transformés. Les produits bruts sont issus directement des productions agricoles. Il s'agit des produits se trouvant dans les zones de marché sur lesquelles nous portons le plus d'attention ; c'est sur ces produits que nous voulons faire la différence. Le consommateur, qui les achète régulièrement, est capable de juger de leur fraîcheur et de leur qualité.
C'est sur ces produits bruts que nous avons établi, en 1992, le programme des « filières qualité Carrefour », un programme qui prévoit un contrôle sur toute la chaîne de production. Quand nous annonçons que tel produit est élevé sans traitements antibiotiques, nous l'avons contrôlé à la ferme, avec un organisme indépendant.
Nous menons aussi, au sein de ces filières, des projets sur l'absence de traitements aux pesticides ; nous avons des fraises, des kiwis, des brocolis, des pommes, des pommes de terre sans pesticides. C'est parce que nous travaillons avec nos partenaires que nous pouvons fixer ces éléments par contrats et que nous les contrôlons. Nous les payons plus cher, ce qui nous permet de maîtriser ces produits bruts. C'est également au sein de ces filières que nous avons travaillé le sujet blockchain pour garantir la traçabilité et le code-barres sur l'emballage.
S'agissant des produits transformés, il me semble que leur définition reste floue. Ce qui n'est pas un alibi pour ne pas agir. Néanmoins, elle gagnerait à être précisée et partagée.
Nous avons, pour ces produits, plusieurs programmes, tels que le programme d'amélioration des recettes ou le programme d'élimination des additifs. Pour les éliminer, il est nécessaire de travailler sur le mode de production et la durée de conservation. Par exemple, en traitant un jus d'orange par haute pression, on ne dégrade pas ses qualités nutritionnelles. La recherche de processus est un sujet important pour la qualité nutritionnelle. C'est aussi une façon d'éliminer des additifs dits de confort.
Depuis 1985, nous menons un programme de réduction du nombre des additifs. Aujourd'hui, plus d'une centaine sont exclus de nos produits. S'agissant des nanos, nous avons été interrogés par l'ONG Agir pour l'Environnement, qui souhaitait connaître notre position et nos actions lorsque nous en trouvions dans nos produits. Après six mois de travail avec cette ONG et le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), nous avons compris que certaines matières premières étaient des nanos sans que personne ne le sache – le dioxyde de titane, le dioxyde de silice… Nous avons entièrement retiré ces additifs depuis l'année dernière.
Par ailleurs, s'agissant des emballages, nous avons pris parti d'être 100 % recyclables. Le sujet de la migration des encres a été évoqué, c'est la raison pour laquelle tous nos emballages en carton sont imprimés avec des encres végétales, cela évite d'enrichir le circuit de recyclage avec des huiles minérales. Ensuite, puisqu'il n'y a pas de normes françaises, s'agissant des emballages, nous utilisons les normes allemandes BFR, qui sont extrêmement strictes. Si le produit est contaminé au-dessus des seuils de la norme BFR, nous le retirons du marché et nous modifions l'emballage.
Enfin, en ce qui concerne la nutrition, notre programme de réduction de sel, de sucre et de gras a été lancé en 2000. En 2003, nous avions lancé la gamme « J'aime » parce que, si cette gamme était nutritionnellement bien faite, son goût n'était pas très bon – nous avons donc essayé de forcer le trait. Cette gamme n'a pas marché.
Si nous n'avançons pas par itération, si nous ne sommes pas capables d'aller progressivement vers la réduction de sel, de sucre et de gras, nous n'arriverons pas à adapter le goût pour qu'il plaise au consommateur.
Autre sujet que je pourrai vous détailler si vous le souhaitez, les acides gras saturés et insaturés et la politique de l'huile de palme. Nous avons banni les acides gras partiellement hydrogénés, source d'acides gras « trans », de nos recettes. Par ailleurs, selon les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation et du travail (ANSES), nous avons une politique de réduction à moins de 1 % des acides gras « trans » dans nos formules – nous réalisons régulièrement des contrôles.
S'agissant du Nutri-Score, nous l'utilisons sur nos sites marchands, conformément à la décision de l'administration française. Nous sommes l'une des enseignes les plus internationales, nous exportons les produits que nous produisons en France vers des pays comme l'Italie, l'Espagne, la Belgique ou la Pologne. Or certains de ces pays ne souhaitent pas que les éléments nutritionnels soient indiqués sur les emballages. De sorte que le guide d'application de la marque Nutri-Score, aujourd'hui, nous pénalise pour répondre à cette demande. Serge Hercberg a proposé de nous aider à utiliser le Nutri-Score sans que cela nuise à nos exportations. En attendant, le Nutri-Score est bien présent sur nos sites internet.
En conclusion, nous avons deux engagements. D'une part, doubler les ventes de produits bio d'ici à 2022, ce qui démontre le soutien de l'entreprise à l'agriculture biologique. Nous avons développé un programme de soutien aux agriculteurs qui souhaitent se convertir, sachant qu'ils prennent un risque : 500 agriculteurs bénéficieront de notre soutien d'ici à 2022. C'est la raison pour laquelle, nous nous engageons, par contrat, à réduire le risque, à fixer des prix et des volumes pendant toute la période de reconversion.
D'autre part, notre ambition est d'afficher une croissance trois fois plus importante de nos produits frais par rapport aux produits grande consommation.
Je voudrais d'abord vous féliciter pour avoir réuni autour d'une table les meilleurs spécialistes qualité !
Je suis chef d'entreprise, adhérent au groupement « Les Mousquetaires » Intermarché, j'exploite un Intermarché et un Netto dans le centre de la France, près de Bourges, et je suis par ailleurs président du conseil d'administration de la direction « développement durable » du groupement.
Le groupement Intermarché, ce sont plus de 3 000 chefs d'entreprise, 3 000 petites et moyennes entreprises (PME) sous quatre enseignes, alimentaires – forte valeur ajoutée – et non alimentaires, et un point de vente tous les 15 kilomètres.
Ce qui constitue notre posture et notre statut unique, c'est bien d'être à la fois producteur et commerçant au travers de notre filière agroalimentaire « Agro Mousquetaires », le cinquième groupe industriel français ; 71 unités de production et 11 000 collaborateurs qui fabriquent au quotidien un peu plus de 45 % de nos marques propres. Bientôt, un produit sur deux en grande distribution sera un produit en marque propre, d'où l'importance de la démarche et des relations qui ont été évoquées.
La matière première brute sera demain l'une des composantes essentielles pour la santé de nos consommateurs. Nous travaillons donc sur plusieurs questions : l'agro-écologie, l'agriculture biologique, le bien-être animal, la pêche et l'aquaculture durable.
Sous l'égide d'une politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), sous le socle d'une véritable politique de développement durable, nous avons développé trois axes forts, dont le premier est le client ; le sujet qui a été évoqué dans les différents ateliers des États généraux de l'alimentation (EGA). Construire une relation forte avec nos consommateurs et pour nous essentiel.
Tous nos points de vente maîtrisent parfaitement la démarche « hygiène, qualité, sécurité en environnement » (HQSE) et vendent des produits sains, sûrs et loyaux.
Deuxième axe : porter une attention constante à nos collaborateurs, qui sont le maillon fort – avec l'employabilité et la santé.
Enfin, le troisième axe est la proximité ; être un acteur de la construction du territoire. C'est bien sûr le terrain que se traitent les vraies problématiques, quelles qu'elles soient. Le client consommateur a besoin d'un accompagnement sur la nutrition, la sensibilisation et l'éducation.
En 2006, nous avions initié un véritable étiquetage nutritionnel avec le seul code de couleurs qui existait en France, le Nutripass ; un véritable management de la qualité repris, partagé et soutenu par le Nutri-Score. Nous avions travaillé sur plus de 2 200 références. C'est un outil exceptionnel de reformulation des recettes. Plus de 1 000 produits avaient ainsi été revus – moins de sucre, de sel et de gras – avec des performances de moins 10 % à moins 12 % sur le sel et le sucre et, de mémoire, de moins 20 % sur le gras.
Notre organisation intervient à deux niveaux. Une direction centrale « qualité, développement durable », qui gère la veille, l'élaboration des cahiers des charges, la mise en oeuvre des bonnes pratiques et la gestion des alertes. Et 37 ingénieurs qualité, sont positionnés dans différentes catégories d'achat, en charge du développement, de la qualité et de la sécurité alimentaire, jusqu'au management dans la composition et le contenu de nos produits.
Nos cahiers des charges évoluent depuis trente ans. En 2013, nous avons décidé de faire évoluer notre démarche de suivi de la qualité en développant un baromètre qualité dans lequel ont été intégrés différents critères.
Le premier critère est la qualité sensorielle. On ne peut fabriquer un bon produit alimentaire sans se préoccuper du goût et de la perception des consommateurs. Quelque 5 000 tests auprès des consommateurs sont réalisés par an, soit 300 000 avis. Nous positionnons notre baromètre par rapport à une cible et un objectif de marché, et 94 % de nos produits atteignent ou dépassent cette cible.
Plus récemment, nous nous sommes intéressés à la composition des produits de marques propres. Nous suivons le taux d'ingrédients nobles et mesurons le positionnement de nos marques par rapport au marché. Nous suivons également le nombre d'additifs, dits ingrédients négatifs. Voici un résultat : sur 4 200 produits testés, 2 200 sont dans la cible que nous visons, voire supérieurs pour 750 d'entre eux qui ne contiennent pas d'additifs.
Enfin, nous nous sommes engagés sur la performance nutritionnelle. En relais du Nutripass, que nous avons développé en 2006, nous nous sommes engagés sur le Nutri-Score et 90 produits étiquetés sont déjà présents sur nos points de vente ; il y en aura 289 de plus d'ici à la fin de l'année, notamment des produits quotidiens comme les plats cuisinés, les compotes, les confitures, les produits frais de traiteur, des produits laitiers et bien évidemment des produits bio. Notre objectif est d'étiqueter dans nos rayons, avec le Nutri-Score, au cours du premier semestre de 2019, environ 650 produits.
Le Nutri-Score est un véritable accélérateur d'amélioration nutritionnelle. Il nous permet d'améliorer nos recettes. Je vous citerai un exemple pour vous montrer l'impact qu'il peut avoir sur la démarche de nos équipes. Nous avons réussi à réduire de 46 % les acides gras saturés dans la salade piémontaise, qui est un produit plutôt gourmand, en changeant la mayonnaise ; par ailleurs, le taux de sel a été réduit de 56 %.
Parallèlement à cette démarche nutritionnelle, nous avons voulu définir les cibles qui pourraient être intéressées par nos produits ; nous nous sommes ainsi intéressés à la « cible enfant », l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ayant émis en 2014 un rapport selon lequel un enfant sur six en France est en surpoids ou obèse entre trois et dix ans.
Nous avons ouvert un cahier des charges spécifiques sur les produits destinés aux enfants. Nous travaillons sur environ 192 références de marques propres qui feront l'objet d'un cahier des charges dédié aux besoins nutritionnels de l'enfant et à l'approche spécifique des ingrédients sensibles. Nous avons décidé de supprimer, sur cette gamme, les ingrédients suivants : les organismes génétiquement modifiés (OGM), les viandes mécaniquement séparés, les colorants azoïques, les matières grasses végétales hydrogénées, les nano matériaux, les additifs à risque nanos particules, les sucres ajoutés et les édulcorants.
Outre cette démarche historique, nous avons lancé des gammes tournées vers le « mieux manger » – depuis un an notre slogan est « Mieux produire pour mieux manger ». La première est appelée « L'Essentiel », elle est composée de 45 références, et sortira d'ici à la fin 2018, avec un cahier des charges très strict, n'autorisant ni additif, ni colorant, ni arôme. Un yogourt à la framboise ne sera composé que de framboise et de sucre.
Nous avons également entendu la demande du consommateur concernant le sucre. Nous avons donc réalisé des tests en proposant une crème dessert chocolat avec moins 10 % à moins 50 % de sucre. Sachant le consommateur n'appréciera plus la crème dessert si elle n'est pas suffisamment sucrée. Nous avons donc lancé une gamme appelée « Le moins 30 % de sucre » ; d'ici à la fin de l'année, 13 produits seront présentés – yogourts, fraises, pêches pâturage, musli, boissons au thé, etc.
Nous avons une autre gamme appelée « Bleu-Blanc-Coeur », et enfin notre gamme bio se développe rapidement, avec 546 références, soit 160 en plus depuis 2017.
Nous avons également une approche relative à la réduction des pesticides, étant bien conscients de l'impact sur l'environnement et de l'impact sanitaire. Nous nous sommes donc engagés sur la haute valeur environnementale, avec un cahier des charges qui nous poussera vers les filières amont. Nous disposons d'un programme avec les producteurs de blé, sur le pain, et les viticulteurs.
En conclusion, ce sont environ 300 références qui seront, d'ici à la fin 2018, remises à jour dans nos rayons, en fonction de l'axe « alimentation sûre et responsable ».
Je ne reviendrai pas sur l'énumération des actions menées par les groupes. J'évoquerai le consommateur.
Le consommateur a perdu confiance dans la qualité des produits qu'il achète. Outre les doutes, il apparaît parfois un certain fatalisme.
Comment le consommateur oriente actuellement sa consommation ? Il achète de plus en plus de produits bios et de produits « sans », des produits de proximité – il fait davantage confiance aux cultivateurs des champs proches de chez eux que ceux plus lointains. Nous voyons également se développer de nouvelles formes de distribution : associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), circuits courts, achats à la ferme. Tel est le constat que nous pouvons poser aujourd'hui, après une réflexion menée depuis 2008.
J'évoquerai la démarche que nous avons mise en place il y a huit ou neuf ans, conçue comme structurante pour nos équipes qui ont besoin, au quotidien, d'outils et de méthodes pour la fabrication de meilleurs produits.
L'audition d'aujourd'hui repose sur deux éléments. Le premier est la diminution de la qualité des produits agricoles de base, utilisés dans nos recettes. Le second est d'avoir voulu compenser cette qualité, pendant de nombreuses années, par l'ajout d'ingrédients, tels que les additifs et les conservateurs.
Par ailleurs, l'évolution des modes de consommation a été déterminée par la recherche de produits pouvant se garder le plus longtemps possible et pas nécessairement au frais, ce qui nous a conduits à ajouter des arômes, des additifs et des conservateurs.
Au lancement de cette démarche structurée appelée « la chasse aux substances controversées », nous avons choisi d'éliminer environ 90 de ces substances – aussi bien du sel et du sucre que des additifs et des conservateurs.
Nous devions pour cela travailler de manière différente. D'abord, nous devions oublier la notion d'effet de seuil ; beaucoup de substances sont autorisées jusqu'à un seuil donné. En acceptant de dépasser cette notion, nous voulions travailler sur le fameux « effet cocktail » – de façon très humble, bien entendu, car nous pourrions difficilement prétendre avoir théorisé le sujet. Mais, en travaillant sur une liste de nombreuses substances, il a été possible d'éviter un certain nombre de collusions entre les substances et donc d'effets néfastes.
Nous avons dû, pour cela, aller plus loin que les réglementations qu'elles soient françaises ou européennes, mais surtout, nous avons pris conscience que nous ne pourrions pas le faire seul, en tant que distributeur. Nous sommes des producteurs de marques distributeurs, nous n'avons pas d'usines ; nous travaillons avec des industriels, cette transformation ne peut donc se faire sans eux.
Nous avons donc mis en place une méthode qui vaut ce qu'elle vaut, mais dont l'essence est d'être positionnée dans le temps et remise à jour chaque année.
Nous avons mis en place un premier indicateur d'alerte sanitaire. Nous avons noté de zéro à quatre tous les additifs, tous les ingrédients controversés. À partir de cette notation, nous avons défini les effets auxquels ces ingrédients pouvaient être associés – cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR) – et les avons classés.
Le second indicateur est l'indicateur d'alerte réglementaire. Nous réalisons systématiquement un benchmark international des endroits où les ingrédients sont limités ou interdits, de manière à obtenir une vision de l'ensemble des pays, notamment des pays producteurs de ces ingrédients.
Enfin, nous avons créé un indicateur d'alerte sociétal, que nous avons tenté d'objectiver en prenant en compte les avis des ONG, des associations de consommateurs et en étudiant, par des outils modernes d'écoute, tels que le web social, les inquiétudes des clients à travers le monde.
Nous avons ainsi pu noter chaque ingrédient et commencé à travailler pour éliminer les 90 premiers. Cette liste évolue, nous l'ajustons chaque année. En effet, nous pouvons avoir remplacé un ingrédient par une substance qui, elle-même, est controversée un peu plus tard. Je rappellerai d'ailleurs que les scientifiques n'ont pas résolu le sujet, sinon nous n'en discuterions pas aujourd'hui et des règles auraient été adoptées.
Nous avons mis en place cette démarche depuis environ huit ans, et nous tenons à votre disposition un certain nombre de documents et de résultats. Elle s'est traduite par une seconde action, qui correspond à mon premier constat : les filières agricoles doivent évoluer.
Dans le cadre de cette démarche, nous avons lancé un travail avec les filières agricoles pour nous assurer que, lorsqu'on fait le choix de dépolluer l'un de nos produits d'une substance, celle-ci est supprimée dans l'ensemble des familles de produits intégrant cet ingrédient. Il s'agit donc d'un travail long et fastidieux, parfois compliqué, mais qui a l'avantage de nous permettre de nous projeter sur le long terme.
Notre démarche contenait deux volets : un volet santé et un volet environnement. Le sujet des pesticides a été traité de plusieurs manières par les industriels ces derniers mois. La première a consisté à proposer des produits contenant zéro résidu de pesticides. Si cela est une bonne avancée sur le plan de la santé, elle ne vaut rien sur le plan environnemental. Nous avons donc initié des rencontres annuelles systématiques avec les producteurs pour mettre en place des points de progrès sur la diminution de l'usage des pesticides ; l'enjeu environnemental exigeant que nous travaillons sur ce sujet.
Je conclurai sur les difficultés rencontrées pour mettre en oeuvre notre démarche. Nous l'avons lancée, je vous l'ai dit, suite aux nombreuses demandes des clients, alors qu'ils n'avaient pas la même conscience des problèmes qu'aujourd'hui. Nos premiers pas ont été extrêmement compliqués, nous en sommes à deux procès pour avoir retiré – en informant nos clients de ce retrait – un certain nombre de produits : conservateurs, huile de palme, etc. Il y a donc un besoin explicatif de toutes ces démarches visant à fabriquer des produits plus sains et dont l'impact environnemental est réduit.
Par ailleurs, nous avons été qualifiés, par certains, de lanceurs d'alerte. Or notre démarche n'avait pas cette vocation ; nous voulions instaurer une forme de transparence de nos produits – qui se traduira par une application.
Messieurs, je vous remercie.
Vous nous avez en quelque sorte présenté un monde idéal de la grande distribution, ce qui est normal. Vous avez fait mention des États généraux de l'alimentation et de votre situation, qualifiée d'oligopolistique, et qui est critiquée en ce qu'elle permet de faire pression sur les producteurs. Vous avez parlé de contrats, mais la pression existe bien. Elle permet d'imposer notamment des conditions de prix et de qualité aux producteurs, à la fois sur la matière brute et les produits transformés.
N'est-ce pas la structure de ce marché – vous êtes les intermédiaires, peu nombreux, entre un grand nombre de producteurs et les consommateurs – qui est responsable des dérives, que vous avez évoquées, de l'industrie alimentaire ?
Les producteurs ont mené des actions fortes pour que des contraintes réglementaires soient adoptées concernant les contrats qui les lient aux distributeurs, et pour revaloriser la valeur – financière et de qualité – de leur production.
Par ailleurs, des chercheurs rendent l'industrie agroalimentaire responsable de l'utilisation excessive d'intrants par les agriculteurs du fait de cahiers des charges stricts. Or, par effet de cascade, vous avez un poids auprès des industriels.
Concernant votre première question, je dirai que le monde a changé et qu'il change très vite. On parle de transformation de la société, de transformation de l'entreprise ; en réalité il y a eu une transformation de toutes les pratiques.
Aujourd'hui, on va chez les producteurs et on discute avec eux ; nous sommes dans l'échange. On est dans la coconstruction. C'est la raison pour laquelle j'ai parlé de territoires, de filières et de confiance. Tout cela fait partie du cycle de vie des produits, mais également du cycle des acteurs.
Le passé est terminé, personnellement je suis dans le présent, voire déjà dans le futur. Ce qui s'est fait avant a été fait parce qu'il s'agissait d'une autre époque, d'une autre génération.
Nous nous rendons aujourd'hui chez des producteurs de tomates qui nous annoncent zéro pesticide, pour voir comment ils procèdent. Nous ne sommes plus dans du marketing, mais dans un schéma de confiance.
Cela n'empêche pas la dissymétrie qui existe avec les producteurs, étant donné le poids de la grande distribution. Comment peuvent-ils s'en sortir ?
Nos groupes représentent plus de 66 % de parts de marché. Nous devons faire avec la puissance de chacun et sa capacité à rendre cette transformation possible – épauler, accompagner, guider.
J'ai bien entendu que vous alliez voir les producteurs. Et si vous êtes réunis aujourd'hui, vous êtes néanmoins concurrents, ce qui joue sur les prix – les producteurs n'ont en fin de compte que peu d'alternatives.
En effet, la guerre des prix a des conséquences sur la qualité des produits ; c'est indéniable.
La grande distribution alimentaire française, depuis son origine, s'est fondée sur cette guerre des prix. En 1950, Édouard Leclerc a lancé son groupe avec cet argument et, jusque très récemment, nos principaux arguments ont été les prix bas.
Aujourd'hui, nous devons changer et trouver d'autres arguments. Or certains annoncent dans leurs prospectus des réductions de 120 % ! Nous devons donc, nous les distributeurs, inventer le nouveau modèle, le nouvel élément qui va intéresser les consommateurs.
Par ailleurs, reconnaissons que le consommateur a parfois des attitudes un peu schizophréniques. Il veut à la fois des produits de qualité, tracés et pas chers, l'alimentation étant souvent le point d'arbitrage du budget de la famille. Nous les avons habitués à une alimentation toujours moins chère. Contrairement au logement et à l'énergie, pour lesquels le consommateur absorbe les augmentations.
Nous devons donc, effectivement, ensemble, trouver la nouvelle voie. Il s'agit, à mon avis d'une question qui est à l'échelle d'une génération. Ce sont les jeunes consommateurs qui sont sensibilisés aux sujets environnementaux, de développement durable, qui se traduiront dans leurs achats. Pour ma génération, le mal est fait. Pour certaines personnes, ces questions n'en sont pas, elles ne pensent qu'à réaliser des économies sur leur budget alimentation pour s'offrir le dernier i-Phone, d'une valeur d'environ 1 000 euros.
S'agissant de votre seconde question, monsieur le président, concernant le poids des distributeurs, le constat sur l'alimentation est le résultat de trente ou quarante ans de mauvaises pratiques. Un changement de paradigme s'est produit, ainsi qu'un changement d'acteurs.
Je veux simplement témoigner de la difficulté de ce changement, quand nous avons engagé nos démarches. Par exemple, quand nous avons décidé de supprimer l'aspartame de nos boissons, aucun des trois industriels avec qui nous travaillions n'étaient d'accord. Nous avons donc dû lancer un appel d'offres, dans lequel était indiqué que la prochaine boisson U ne contiendrait pas d'aspartame. Le premier a affirmé que ce n'était pas possible ; le second que nous étions trop petit – on ne pesait que 10 % de son quota ; seul le troisième est revenu sur sa position et s'est engagé avec nous. Il avait commencé à réfléchir à la question, et nous avons pu développer ce produit en une année.
Aujourd'hui, tout le monde étant dans une démarche à peu près similaire, nous pouvons penser qu'il y aura une accélération, au travers de nos cahiers des charges, sur la marque de distributeur, qui représente entre 35 % et 40 % des produits dans les magasins. Nous pouvons donc créer cette impulsion.
Une impulsion importante et qui sera différente de celle qui était donnée par les grandes marques nationales. Système U dispose de 6 000 produits. Si vous enlevez, dans ces produits, un peu de sucre et de sel et que finalement cela ne plaît pas aux consommateurs, on peut corriger le tir. Alors qu'une grande marque célèbre et connue, qui n'a qu'un produit, ne va pas pendre le risque.
En revanche, la création de pâtes à tartiner sans huile de palme est un bon exemple, car tout le monde a travaillé dessus et tout le monde a trouvé des solutions.
Non, monsieur le président, nous ne vous avons pas présenté le « monde idéal » de la grande distribution ; il s'agit d'une réalité identique pour tous les grands distributeurs. Nous sommes perpétuellement accusés de mal faire, nous sommes victimes de food bashing. Or nous avons peu d'occasions de dire que nous menons des actions et des actions positives, que nous sommes des partenaires du monde agricole, d'ONG, des pouvoirs publics. C'est la raison pour laquelle il était important de vous rencontrer dans un cadre dépassionné.
Par ailleurs, les médias traitent de problématiques sans les prendre dans leur globalité. Par exemple, nous n'achetons pas la grande majorité de nos produits à la ferme, et quand nous en achetons – nous avons des partenariats – cela se passe très bien. Hier, j'étais à Argentan, des producteurs locaux sont nos partenaires depuis vingt ans ; les enfants ont repris le contrat que leurs parents avaient avec nous. La part de ce type de productions commence, chez nous, à concurrencer, en termes de part de marché, les premiers prix.
Par ailleurs, concernant le blé, le lait, le sucre, vous savez bien que tout ne dépend pas de la grande distribution s'agissant de la détermination des prix.
Enfin, et c'est l'un des objectifs de cette commission, il convient de travailler sur un modèle agroalimentaire et industriel, auquel nous avons tous répondu à un moment donné : une demande sociétale visant à développer la consommation. Aujourd'hui, les aspirations du consommateur changent. Nous devons tous nous adapter pour lui donner satisfaction.
Cela prendra du temps, comme cela en a pris pour construire une industrie agroalimentaire performante qui a permis d'exporter. Tout le monde aujourd'hui est engagé dans cette mutation et chacun est prêt à faire des efforts.
C'est le point positif : nous sommes tous partenaires et nous nous sommes tous engagés dans des transformations de méthodes – et ce n'est pas uniquement de la communication. Les mentalités doivent changer, les pratiques aussi, mais nous sommes tous de bonne volonté, puisque ce changement répond aussi aux aspirations de nos clients.
Nous avons effectivement changé de paradigme. Et la majorité des critiques sont aujourd'hui justifiées par les pratiques du passé.
L'indépendance alimentaire décidée après la guerre et la recherche agricole française, agronomique, quand elle s'est orientée vers le rendement, la production, les intrants, les pesticides, ont créé le paradigme aujourd'hui tant décrié. Nous savons maintenant qu'il n'est pas durable et probablement pas sain.
Par ailleurs, nous avons tous adhéré – puis subi – au hard discount ; la tendance a longtemps été d'acheter les produits les moins chers possibles. Nous ne sommes plus dans ce paradigme, même les hard discounters effectuent un gros travail sur la qualité.
Aujourd'hui, nous nous battons tous pour une agro-écologie. Les produits sans antibiotiques connaissent une croissance des ventes phénoménale. Nous avons lancé, il y a quatre ans, le poulet sans antibiotiques et maintenant nous trouvons du porc, du poisson, du veau, du lait et des oeufs sans antibiotiques dans de nombreuses enseignes. Les animaux et la nature sont respectés, tout comme les producteurs. Cela nécessite un travail de suivi pour lequel nous payons, mais qui est justifié. Tout ce travail, qui est réalisé par tous les distributeurs, crée un nouveau paradigme.
Par ailleurs, nous voulons tous travailler avec des producteurs locaux. La concurrence est bénéfique au producteur. Enfin, grâce à la blockchain, qui est en train de se diffuser très largement, il est possible de communiquer directement entre le producteur et le client ; elle permet d'identifier qui produit quoi pour qui et qui consomme quoi. Une relation de confiance a été rétablie entre le producteur et le consommateur.
Au sein de nos programmes « filières qualité Carrefour », nous comptons 18 000 producteurs, dont la plupart sont engagés depuis l'origine. Aucun d'entre eux ne souhaite nous quitter. Les accords passés le sont dans la durée, ils sont transparents et justifient que l'on paie un surcoût pour les actions qualité que nous demandons : la diminution de la densité d'élevage, l'absence de traitements, une surveillance accrue…
Nous avons été à l'origine du lancement de la marque « C'est qui le patron ». Une marque que nous avons soutenue et dont le succès montre que nous sommes bien dans un nouvel environnement. Le consommateur accepte de payer la qualité.
Nous avons pris note de ce nouveau paradigme. Nous regarderons la négociation des prix, cet automne, avec attention.
Je ne prétendais pas qu'il s'agissait uniquement de communication : je souhaitais vous faire réagir car, comme M. Desouches l'a dit avec honnêteté, la recherche du prix le plus bas est l'argument premier depuis des décennies.
En ce qui concerne la qualité nutritionnelle des produits, je voudrais revenir sur les engagements volontaires. Vous dites tous avoir la volonté de supprimer du sel, du sucre et du gras, mais il convient de se mettre d'accord sur le point de départ, car il n'est pas bien difficile de réduire de 60 % un produit hyper-sucré ! Des progrès ont certes été réalisés, mais nous sommes encore loin des recommandations ; les objectifs n'ont pas été atteints.
L'exemple du dentifrice sans emballage a été cité, mais il en va de même pour une crème dessert : si l'un d'entre vous met en vente un produit avec un taux de sucre réduit, et que les autres ne suivent pas, le consommateur achètera la crème la plus gourmande. Donc l'un d'entre vous sera perdant et le consommateur mangera toujours autant de sucre.
Comment envisagez-vous les engagements volontaires ? Y croyez-vous sincèrement ? Ne pensez-vous pas que, pour que la concurrence soit loyale, le législateur doit imposer des seuils ? Nous faisons le constat qu'il est vraiment difficile d'atteindre les objectifs nutritionnels alors que l'on nous répète depuis 15 ans que l'engagement volontaire suffit. Non il ne fonctionne pas.
Nous nous sommes engagés dans le cadre du PNNS à réduire le sel, le sucre et le gras, et nous avons atteint nos objectifs. Nous sommes, pour cela, conseillés par le docteur Chauliac depuis 2009.
Vous avez pu constater l'engagement des distributeurs concernant le Nutri-Score, un indicateur qui permettra au consommateur de choisir. Il traduit, finalement, le moins de sucre, de sel et de gras.
Vous nous avez dit que le Nutri-Score devrait être obligatoire, notamment pour éviter la concurrence entre les distributeurs.
Si toutes les personnes autour de cette table se mettaient d'accord pour appliquer le Nutri-Score à tous les produits – nous détenons, ensemble, environ 50 % des parts du marché français –, les choses seraient plus simples. Mais il possible que les marques nationales refusent, au motif qu'elles sont parfois positionnées sur un seul segment du marché. En ce qui nous concerne, si nous vendons moins de crèmes dessert, nous pouvons nous rattraper sur les fruits et légumes.
Concernant l'étude que nous avons menée sur 1 400 000 paniers, nous avons constaté ce rééquilibrage. Le Nutri-Score sera sur tous nos produits vendus en e-commerce, et il me semble que rien ne nous empêchera de le faire figurer également sur les marques nationales, puisque nous devons informer le consommateur ; nous devrons seulement nous assurer que les informations sont bonnes.
Le e-commerce nous permettra, étant donné que nous ne pourrons pas appliquer le Nutri-Score sur les marques nationales telles que Danone ou Nutella dans nos magasins, d'afficher leurs notes si les ingrédients sont publics. Et il en sera de même pour les autres distributeurs – je dis bien : sur la partie électronique – ce qui entraînera une concurrence saine.
Je vous citerai trois points de repère. Le premier, c'est qu'on se focalise, et on a raison, sur le produit.
Cependant, les nutritionnistes sont unanimes pour dire que ce qui compte, c'est le comportement alimentaire. Un consommateur peut acheter un yogourt nature et y mettre 40 % de sucre chez lui. Nous ne devons donc pas oublier de travailler sur la diète, le comportement alimentaire, un sujet peu évoqué. Il serait nécessaire que nous en discutions, tous ensemble, avec les pouvoirs publics. Bien évidemment, pour que le consommateur ait un comportement sain, il doit pouvoir lire clairement la composition des produits.
Le deuxième concerne le produit. Nous avons évoqué l'étiquetage nutritionnel, et pas les applications – la plus connue est Yuka – qui simplifient énormément la vie du consommateur. En effet, il scanne le code et obtient instantanément une réponse. Ces applications pourraient intégrer le bio, les additifs…
C'est à la fois nouveau et très intéressant, car nous avons toujours eu du mal à simplifier les étiquettes pour une meilleure compréhension du consommateur. Je suis persuadé que ces applications changent la donne. Des applications qui ne peuvent fonctionner que si elles ont accès aux datas ; nous avons donc décidé de rendre toutes les datas de nos produits transparentes. Nous voulons que la composition d'un produit Carrefour soit connue, accessible et publique.
S'agissant de l'engagement volontaire, notre expérience a démarré en 2006 avec un étiquetage nutritionnel volontaire. Les chartes d'engagement nous donnaient des conseils, mais nous avons décidé d'accentuer notre action sur l'étiquetage, afin d'éduquer le consommateur, notamment les enfants. Nous ne l'avons pas évoqué, mais nous avons un programme sur les fruits et légumes de saison qui tourne en France, dans les écoles élémentaires.
Concernant le Nutripass que nous avons mis en place, nos équipes ont mené une formidable action sur l'amélioration nutritionnelle des recettes. Vous avez raison, certains produits, comme les soupes, contenaient un taux de sel très important, et il a été très simple de le diminuer.
Ensuite, il a fallu équilibrer cette diminution du sel, sucre et gras, avec la perception consommateur ; notre démarche se fait étape par étape. Cette expérience que nous avons menée l'année dernière, que nous avons appelée, un peu par provocation, « Détox », et qui s'appelle maintenant « Moins 30 % de sucre », a bien démontré que nous ne pouvions pas descendre au-delà d'un certain seuil.
Cet étiquetage nutritionnel, pour lequel nous sommes volontaires, a prouvé que nos équipes avaient la volonté de réduire et de limiter les couleurs D et E de nos produits. Certains produits gourmands resteront D ou E, et nous expliquerons pourquoi, mais les autres bénéficieront du Nutri-Score, ce qui permettra une amélioration nutritionnelle engageante et volontaire de notre part.
Je vous remercie pour toutes ces explications qui nous réconfortent. Vous le savez, nous avons une crainte s'agissant de la grande distribution, les industriels se défaussant sur cette dernière.
Je reviendrai d'abord sur les procédures de contrôle que vous effectuez. Si j'ai bien compris, vous les effectuez essentiellement sur vos marques de distributeurs, mais vous devez également en réaliser sur les produits des autres marques que vous vendez. Comment les mettez-vous en oeuvre ? Jusqu'où pouvez-vous aller ?
Nous avons auditionné les laboratoires qui nous ont dit que la distribution devait contrôler les produits qu'elle vend ; tout le monde se renvoie la balle. Quelle est votre expertise sur les contrôles des produits de vos fournisseurs ?
S'agissant du Nutri-Score, vous êtes unanimes sur ses effets positifs. Avez-vous senti un changement de comportement depuis la sortie de l'application Yuka ? Avez-vous vu des personnes utiliser cette application ? Les téléphones sont-ils bloqués dans vos magasins ?
Vous l'avez dit, plus ce type de mesures se mettra en place, plus le consommateur aura accès à l'information, et ce de façon rapide, et plus la grande distribution devra s'adapter.
Dans les pays étrangers, notez-vous, malgré l'interdiction du Nutri-Score, des changements de comportement des consommateurs, favorisant des produits plus sains, des produits bio ?
La blockchain de Carrefour est une bonne initiative. Huit produits sont concernés cette année. Comment allez-vous évoluer ? Les autres distributeurs sont-ils dans la même démarche, qui permet la traçabilité à tous les niveaux ?
Système U a indiqué que la baisse de la qualité des produits agricoles aurait incité à l'ajout d'additifs. N'est-ce pas plutôt la guerre des produits, qui fait que l'on achète moins de produits bruts et que l'on ajoute des additifs pour mettre moins de produits nobles dans les produits transformés, qui a transformé notre agriculture ? Je voudrais que vous nous apportiez des précisions sur cette question. Vous avez également indiqué que la réglementation devait aller plus loin.
J'aimerais évoquer les promotions qui vous permettent de vendre davantage – vous avez même parlé de 120 % de remise ! Même si de nombreux consommateurs n'ont pas un budget suffisant pour acheter certains produits, la surenchère des promotions entraîne un énorme gaspillage. Pensez-vous arrêter ces promotions pour vendre des produits, peut-être un peu plus chers, mais de meilleure qualité ? Vous êtes, avec les industriels, les acteurs principaux qui peuvent inciter les gens à consommer différemment.
Par ailleurs, si certains d'entre vous mettent en vente des produits moins sucrés, moins salés et contenant moins de gras, mais que vous ne pouvez pas en faire la publicité, il est certain que les consommateurs, qui sont habitués au goût, achèteront les produits concurrents, plus riches. Il s'agit donc d'une question qui vous concerne tous, et sur laquelle vous devez tous agir. Vous êtes les derniers maillons de la chaîne, nous comptons donc beaucoup sur vous.
Comment fabrique-t-on un produit de marque de distributeur ? Il y a dix ans, nous avons lancé, grâce à une start-up, un système de numérisation du cahier des charges – « Trace one » –, pour être sûr que nos demandes soient comprises et validées par nos fournisseurs. Ils doivent signer ce cahier des charges, et chaque modification est enregistrée et signée. On peut ainsi s'y référer lors de la réalisation des contrôles. « Trace One » est un outil transversal utilisé par de nombreux distributeurs.
Le cahier des charges, qui peut contenir la demande suivante, « absence de résidus, absence de glutamate ou de dioxyde de silicium », est signé par le fournisseur et Carrefour, et annexé au contrat commercial.
Ensuite, le fournisseur. Il y a également dix ans, nous avons décidé, au sein de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), de partager les audits de nos fournisseurs. Nous avons créé la norme International Food Standard (IFS), codétenue par la FCD et d'autres pays comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne. Il s'agit d'une certification tierce-partie, totalement indépendante de la distribution – c'est le fournisseur qui demande cette certification. Le laboratoire externe, indépendant, garantit que le process est respecté, en photographie, le jour de l'audit, et en film – tous les enregistrements réalisés dans l'usine sont également audités. Un produit est pris au hasard – une bouteille fabriquée quatre mois auparavant – et l'auditeur contrôle toutes les informations de sa fabrication.
Ces contrôles, que nous n'estimons pas suffisants, sont aussi challengés par toutes les normes internationales. Plusieurs distributeurs français, dont Carrefour, participent à la Global Food Safety Initiative (GFSI), une initiative mondiale rassemblant des industriels et des distributeurs du monde entier, et qui, en permanence, élabore des standards de sécurité des produits, au niveau le plus sûr – le niveau de base pour tous les audits. De sorte que l'IFS, périodiquement, vérifie si ses normes y sont conformes, ce qui apporte une véritable garantie que sont appliquées les meilleures pratiques mondiales.
Le contrôle est réalisé à deux niveaux. D'abord des contrôles effectués tous les ans chez l'industriel – par nos visites et cet audit, mais également par des indépendants. Ensuite, les contrôles sur les produits, acheté en magasin, et contrôlés par des laboratoires externes indépendants qui ont accès au cahier des charges. À qui nous demandons d'être sérieux et sévères.
S'agissant des fruits et légumes, le système de contrôle employé est différent, chaque lot étant distinct. Ils sont réalisés dans les entrepôts où arrivent les fruits et les légumes ; des contrôles visuels, sanitaires et des analyses. Tout cela est consigné dans des bases de données afin de pouvoir détecter les éventuels producteurs, transformateurs, industriels qui dérivent et les alerter.
Concernant les applications, oui, certains de nos clients utilisent Yuka. En revanche, non, il n'y a pas de blocage du wifi dans nos magasins, mais la coque d'un magasin est une cage de Faraday. Nous sommes donc en train d'installer le wifi gratuit dans nos magasins. Non seulement la transparence sur nos produits est indispensable, mais un jour les clients ne se rendront que dans les magasins équipés de wifi.
Pour ce qui est de la blockchain, effectivement, huit filières seront traitées cette année – les huit typologies de grandes filières : le fromage, le lait, la viande, les fruits et légumes, le poisson, les oeufs, le steak haché et la volaille.
Nous établissons cette année les règles de traitement de ces filières en blockchain, notre ambition étant de traiter la totalité des « filières qualité Carrefour » du groupe d'ici à 2020, soit 600 blockchain. Ainsi, la transparence sera totale. Le plus complexe n'est pas tant la technique blockchain elle-même que la traçabilité physique. Nous sommes donc en train de mettre à jour, de vérifier et de sécuriser la traçabilité physique.
Enfin, concernant la communication, nous avons un programme ludo-éducatif appelé « Fraich'Kids Carrefour », diffusé dans cinquante écoles.
Nous exploitons les mêmes processus que nos collègues, je ne reviendrai donc pas dessus. J'évoquerai la marque de distributeur.
Nous sommes considérés comme des producteurs, puisque nous sommes propriétaires de marques ; notre responsabilité est donc entière. Nos plans de contrôle sont identiques à ceux des autres distributeurs.
Pour la blockchain, qui est un outil de stockage et d'immuabilité des données, il convient de parler de traçabilité. Reconstituer la traçabilité sur une filière courte est assez simple, mais le processus se complique pour les filières longues et les produits très transformés.
Aller rechercher la matière première est un travail de longue haleine. Il n'existe ni codification ni normalisation dans ce domaine. Il convient donc de la créer – nous l'avons évoqué à propos de l'affaire Lactalis. Elle servira, non seulement dans la gestion des alertes, mais également dans la traçabilité de l'origine des matières premières, de sorte que nous saurons comment elles sont fabriquées, transportées, et que nous connaîtrons leurs impacts sur l'environnement.
Un groupe de travail doit être mis en place sur ce sujet. Nous sommes tous adhérents au groupe GS1, qui doit être le leader et mettre en place cette normalisation pour que nous puissions tous nous appuyer sur le même système.
Concernant les promotions, penser que les distributeurs pourraient, dans une démarche raisonnable, temporiser leurs opérations et retrouver une sorte d'autorégulation est illusoire. Sur le terrain, la concurrence est extrême ; seule une loi pourra interdire ces promotions, l'expérience nous le prouve. Car avec la meilleure volonté du monde, cela ne fonctionne pas.
En ce qui concerne l'agriculture, les comportements de pression à l'achat ont effectivement amené une agriculture de masse, mais elle permet de trouver une offre de fruits et légumes frais de très bonne qualité.
Lorsque nous travaillons sur des produits MDD avec des PME – et non pas avec des usines de grands groupes internationaux –, nous sommes sur une segmentation de l'offre. Ce ne sont donc pas les mêmes filières qui alimentent les usines de transformation et celles qui alimentent nos étals. Une donnée qui nous a beaucoup surpris quand nous avons voulu travailler de manière transversale ; à la fin, nous ne retrouvions pas les mêmes agriculteurs. Il s'agit là d'un véritable sujet sur lequel il convient de travailler.
Si, tous ensemble, nous souhaitons promouvoir une certaine pratique, qu'elle s'appelle agro-écologie, diminution des pesticides, ou autre, nous ferons rebasculer le système vers une meilleure agriculture, l'agriculture unique. Aujourd'hui, il y en a plusieurs.
Enfin, s'agissant de la blockchain, un plan d'investissement pour les agricultures en matière de technologie est nécessaire – et les politiques pourraient y tenir un rôle important. Il n'y aura pas de blockchain sans développement des technologies d'information et d'enregistrement au niveau de l'agriculture.
Concernant la promotion, le prix est l'élément déclencheur d'achat ; on peut tout faire, on n'ira pas contre.
Alors que la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages était naguère d'environ 15 % voire 16 %, elle tourne aujourd'hui autour de 12 %. À l'inverse, la part de nos promotions, qui était de 12 % ou 13 %, sera bientôt de 18 % ou 20 %. Ces promotions sont réalisées à l'initiative des distributeurs, à la demande des consommateurs, mais également à l'initiative des industriels qui ont besoin, de temps en temps, d'écouler des volumes.
Le poids de ces promotions n'a jamais été aussi fort qu'aujourd'hui. Je suis responsable de deux points de vente, je puis vous affirmer que c'est phénoménal. Comment allons-nous pouvoir, tous ensemble, limiter ces promotions ? Je n'ai pas de réponse à cette question, et elle concernera certainement la génération suivante, car celle-ci n'imagine pas qu'elles s'arrêtent.
Cela fait écho à ce que nous disions tout à l'heure : le consommateur a été poussé à réduire toujours plus la part qu'il réserve à son alimentation.
Une disposition a été introduite dans le projet de loi relatif à l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agroalimentaire, visant à supprimer toute notion de gratuité ; qu'en pensez-vous ? Ne serait-ce pas une première étape dans la philosophie globale d'achat des consommateurs ?
M. Gomichon indiquait par ailleurs que tous ses produits étaient sans pesticides. Avez-vous les mêmes exigences avec vos producteurs étrangers ?
Enfin, concernant l'évolution de la MDD dans les rayons, comment envisagez-vous l'évolution de ce modèle dans vos magasins ? Y aurait-il de plus en plus de produits de marques de distributeurs dans les rayons, lesquels disposent d'une meilleure traçabilité ?
La France n'est pas capable aujourd'hui de fournir des produits bio à la hauteur de la demande ; quel cahier des charges appliquez-vous à vous fournisseurs étrangers de produits bio ?
La disposition concernant la gratuité est une bonne mesure, mais je fais aussi confiance à l'imagination des services marketing de toutes les enseignes pour trouver, dans le dictionnaire, un autre mot que « gratuité ». C'est bien, mais pas suffisant.
« Gratuité » n'est qu'un mot ! Le problème est plus complexe que cela. J'ai évoqué la difficulté des enseignes à s'autoréguler. Une règle doit être définie, appliquée et vérifiée.
Nous devons faire comprendre au consommateur que, justement, les produits ne sont pas gratuits ; tout a un coût. Dire qu'un produit est gratuit est une illusion ; l'utilisation de ce terme ne valorise pas les produits d'alimentation.
De la même façon, quand de la viande de porc ou du jambon, ramené au kilo, coûte moins cher que de la nourriture animale, on ne valorise pas l'alimentation. Nous sommes là dans la consommation. Or nous devons revenir à l'alimentation.
Toutes les promotions sont en réalité des promotions déguisées : « moins 30 % », « moins 40 % », remises immédiates, carte de fidélité, gratuité du « 2+1 »...
Nous restons des commerçants, nous sommes obligés d'avoir un niveau de rentabilité suffisant pour investir. Chacun – le producteur, le distributeur, le fabricant, etc. – doit donc revisiter son business model tout en continuant à faire des affaires.
Mais comment faire ? Car nous devons, à un moment donné, récupérer nos pertes. Si, demain, nous ne faisons plus de promotions, si nous perdons du chiffre d'affaires dans des proportions importantes, si les actes d'achat se font sur la Toile ou chez les discounters ou dans d'autres formes de commerce qui commencent à arriver en France, comment allons-nous faire ? Nous restons des commerçants, vous ne devez pas l'oublier.
La loi élaborée à la suite des États généraux de l'alimentation va encadrer de façon stricte les pratiques promotionnelles. Nous ne devons pas oublier que les promotions sont souhaitées par le consommateur. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, beaucoup de gens n'achètent de la viande que lorsqu'elle est en promotion. Comme cela a été évoqué, les industriels nous demandent aussi de faire des promotions pour évacuer des stocks. Par ailleurs, la concurrence entre les producteurs est également forte et la promotion est un outil permettant de prendre des parts de marché à son concurrent.
Enfin, comment tout cela va s'appliquer à une nouvelle forme de commerce qui préoccupe les pouvoirs publics, le e-commerce, et notamment les pure players qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que nous ? Nous ne devons pas introduire de distorsions de concurrence ou d'effets négatifs par des décisions qui ne s'appliqueraient qu'à une partie du monde de la distribution.
Concernant la gratuité, un débat est en cours entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Nous ne sommes pas contre le fait de supprimer la référence à la gratuité. Comme l'a indiqué M. Touzé, des innovations marketing diront la même chose avec d'autres mots. Mais cela doit aussi s'appliquer aux élus, qui promettent, dans leur programme électoral, par exemple, la cantine gratuite dans les écoles ; rien n'est jamais gratuit, il y a toujours quelqu'un qui paie. Pardonnez-moi ce petit clin d'oeil…
Sans vouloir me défausser sur les industriels, je n'ai pas eu l'impression que, dans nos interventions, nous les mettions en cause. Nous avons tous connu des difficultés – le Fipronil, le « Horsegate », etc. Il y a aussi une volonté de fraude dont nous sommes également victimes.
Toutes les enseignes ne sont pas concernées par ce problème, même quand elles se livrent une guerre des prix. Et dans l'affaire du Fipronil, il y avait une réelle volonté de fraude de la part des producteurs.
Je veux juste indiquer que le chiffre d'affaires du site Alibaba est de 22 milliards de dollars par jour, justement parce qu'il propose des promotions à moins 50 %, voire à plus. Par ailleurs, le Prime day d'Amazon ne marchera, lui non plus, qu'à moins 50 %. Nous profitons tous des soldes à moins 50 % : ce n'est donc pas uniquement un problème alimentaire. La notion de gratuité est commune à tous les commerces.
Concernant les contrôles, nous sommes tous préoccupés par les fraudes. Nous travaillons avec Eurofins, un laboratoire leader en Europe, sur la détection, par exemple, des ajouts de sucre dans les jus « purs ». Nous mettons également des puces sur les viandes pouvant détecter douze ADN différents, car nous devons détecter les viandes qui pourraient être mises à la place du boeuf ou du cheval, par exemple. En Chine, ils mettent du renard !
Pour le miel, nous sommes les premiers à avoir mis en place la résonance magnétique nucléaire pour s'assurer qu'un ajout de sucre ne remplace pas le miel.
Nous faisons donc tout notre possible pour éviter les fraudes.
En ce qui concerne l'importation de produits étrangers « bio », je ne vous cache pas que nous sommes inquiets. Nous avons lancé une étude sur la traçabilité des produits à marque propre « Bio » pour déterminer d'où provenaient les matières premières et les certificats. Une pizza bio contient plusieurs matières premières dont on ne connaît pas la provenance. Nous travaillons donc sur cette question.
L'administration doit également collaborer, notamment sur la partie réglementation et reconnaissance des certificats. Le label européen en agriculture biologique a ses qualités, mais nous ne savons pas ce qui se passe en dehors de l'Europe. Les laboratoires ne sont pas toujours connus, des certificats circulent dont nous ne connaissons pas la provenance.
Nous devons donc avoir une reconnaissance internationale – c'est l'objectif de l'IFS. Nous étions très inquiets concernant l'approvisionnement et la sécurité alimentaire dans les pays non européens. Aujourd'hui, nous le sommes moins, des référentiels ayant été mis en place. Je renvoie la balle à l'administration pour que ces référentiels soient communs à tous les pays, qui disposent d'ailleurs, eux aussi, d'organismes d'accréditation.
Enfin, s'agissant du « sans pesticides », nous ne pouvons pas vendre que des produits sans pesticides. L'agriculture se transforme, l'agro-écologie est un bon système qui regroupe le bio, la HVE, des démarches plus performantes telles que la démarche Demeter ou Nature et Progrès, la permaculture ou encore l'agroforesterie.
Mais les agriculteurs qui ont choisi un certain mode de culture il y a trente ans ne peuvent pas le changer du jour au lendemain : les investissements sont trop lourds. Dans la transformation du marché de l'oeuf de poule, par exemple, nous sommes passés du code 3 au code 2 ; c'est une transformation qui doit également être appréciée au niveau économique.
L'agroécologie, avec certaines techniques, permettra d'évoluer sur la question des pesticides, mais il n'y aura pas uniquement des cultures « sans pesticides ». Le hors-sol n'est pas accepté, par exemple, dans le référentiel bio mais pourrait être une solution à la limitation de certains intrants. Le référentiel sans pesticides, c'est du hors sol.
Je réagirai pour ma part sur la question de la transparence et de la traçabilité, en revenant sur l'affaire de la viande de cheval.
Suite à ce scandale, la France a obtenu une dérogation de l'Union européenne lui permettant d'indiquer l'origine des viandes et du lait dans les plats transformés. Celle-ci est actuellement remise en cause – un recours a été intenté devant le Conseil d'État qui a interrogé le Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Le groupe Carrefour souhaite la prorogation de ce décret, la transparence sur l'origine des viandes permettant de valoriser le savoir-faire des producteurs. C'est par ailleurs, une demande du consommateur.
Nous partageons l'inquiétude sur le bio lointain qui a été évoqué par M. Touzé. Nous avons deux méthodes pour éviter de subir le risque. D'abord, tous les produits Carrefour bio, quelles qu'ils soient, les volailles, le lait et les oeufs, sont d'origine française, ce qui impose de réduire les assortiments sur ces marques.
Pour les autres produits bio, nous procédons à des analyses de détection de pesticides, notamment en vue d'une obligation de résultat.
Mais il est vrai que la question se pose sur la reconnaissance et les niveaux d'exigence des certifications bio qui ne sont pas européennes.
Concernant le « sans pesticides », j'ai dû aller trop vite. Nous voulons que toutes nos filières excluent progressivement les pesticides. Certaines n'en font déjà plus usage. Je vous ai cité la fraise, le kiwi, la pomme et la pomme de terre. Pour la filière pommes, nous avons une certification HVE niveau 2 – le plus haut niveau technique. Le niveau 3 nous permet de communiquer à nos clients que nous sommes certifiés HVE – ce n'est pas une différence technique : elle signifie que chaque petit producteur doit payer pour pouvoir communiquer.
Le Gouvernement travaille actuellement sur la question de la HVE. Si nous arrivons à rendre la certification HVE transparente et visible, nous irons dans le sens de l'agro-écologie, de l'élimination progressive des pesticides.
Nous partageons les inquiétudes de nos collègues concernant le bio, même si notre groupe est 100 % français. Nous avons fait le choix, en complément du label bio, d'ajouter un pictogramme à nos produits pour indiquer que les ingrédients de nature agricole étaient d'origine française.
Comme cela vient d'être dit, le décret sur l'indication de l'origine est important. Nous savons que des contrôles et des études ont été menés par l'Europe qui ont tendance à remettre en cause cette expérimentation française, au motif qu'elle pourrait nuire à la libre circulation des marchandises ; on sent bien que la radicalisation de certaines lois sur l'alimentation est contrebalancée par la non-prorogation de ce décret.
Monsieur L'Huillier, vous avez rappelé que vous faites tous du commerce et que vous devez faire un chiffre d'affaires ; nous le comprenons bien. Nous avons parlé de prix, mais nous n'avons pas évoqué les marges que vous faites sur les produits alimentaires ; pouvez-vous nous les communiquer ?
Je n'entrerai pas dans les détails des différents segments et des différentes familles.
Le budget global de mon point de vente Netto, en marge produite, est de 16,5 %. La marge moyenne des grandes distributions est de 20 %, sur laquelle se greffent toutes les charges.
Je ne parlerai que de mes commerces : fruits et légumes, 21 % ; boucherie, 21 % ; charcuterie libre-service, 22 % ; crémerie, 18 % ; épicerie, 10 % à 12 %. Nous sommes dans une recherche de performance concernant le chiffre d'affaires, et dans une volonté d'innovation dans le développement des produits ; c'est essentiel.
L'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) produit régulièrement un rapport dans lequel vous trouverez, rayon par rayon, les marges moyennes des distributeurs. Les données sont fournies par les distributeurs à M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire.
Les marges du magasin de M. L'Huillier sont à peu près les mêmes que les nôtres – nous sommes sur les mêmes territoires.
L'indicateur de l'Observatoire est fiable, puisqu'il est construit à partir des éléments fournis par tous les distributeurs.
Il s'agit de marges brutes.
L'audition se termine à midi heures trente.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 12 juillet 2018 à 10 h 15
Présents. - Mme Michèle Crouzet, Mme Zivka Park, M. Loïc Prud'homme
Excusés. - M. Julien Aubert, M. Christophe Bouillon, Mme Sandrine Josso, Mme Bérengère Poletti