Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Jeudi 20 juin 2019
La séance est ouverte à quinze heures.
Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents
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Bonjour à toutes et à tous. Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. Patrick Doutreligne, président de l'union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, et Mme Marie Lambert-Muyard, conseillère technique chargée des questions enfance, famille et jeunesse.
Votre audition complétera utilement certaines de nos précédentes auditions, mais également les visites de lieux d'accueil effectuées par les membres de notre mission. Ces déplacements sur le terrain nous ont permis de constater l'engagement d'organismes ou d'associations privées pour gérer les structures d'accueil dans les conditions les plus respectueuses possibles des droits des enfants et de leurs familles. Nous avons constaté la volonté de créer, dans des lieux de petite taille, un mode de vie collectif proche de la vie familiale.
Je vais vous céder la parole pour quelques minutes de présentation, puis nous engagerons la discussion avec la rapporteure et les membres de la mission.
Merci de votre invitation. L'UNIOPSS regroupe environ 25 000 établissements et services dans tous les secteurs, et pour tous les âges de l'enfance aux personnes âgées. Nous traitons ainsi que les questions liées au handicap, aux adolescents en difficulté, à la radicalisation, ainsi que les aspects de santé dans le secteur non lucratif avec un large volet de lutte contre les exclusions.
La mission d'information est très intéressante et se cumule avec d'autres missions actuelles qui compliquent votre tâche, mais permettent une convergence très utile. Nous avons rencontré le secrétaire d'État M. Taquet et intervenons sur d'autres sujets que nous évoquerons avec vous.
Je souhaite rappeler les grands principes sur lesquels nous appelons votre attention. J'interviendrai avec Marie Lambert-Muyard qui a l'avantage d'être plus jeune et spécialisée alors qu'un président est plus généraliste, même s'il s'agit d'un domaine qui me touche particulièrement. En effet, j'ai démarré comme éducateur avec des adolescents cas sociaux ou délinquants. M'en occuper a toujours été une passion pour moi.
Le premier critère majeur, quelles que soient les évolutions et la réforme, y compris celle de l'ordonnance de 45, consiste à garantir l'universalité de la protection de tous les enfants. En respect du droit international signé par l'État français, il nous semble qu'un mineur est avant tout un mineur avant qu'il soit en difficulté et avant qu'il soit étranger ou français. Il s'agit pour nous d'un principe d'universalité. C'est pourquoi nous avons quelques réserves vis-à-vis de l'évolution sur les mineurs non accompagnés où la prégnance légitime du ministère de l'Intérieur sur les aspects de nationalité ne peut en aucun cas primer par rapport à celle de l'enfance et de la fonction de protection due aux enfants par l'État ou le Département.
On parle des jeunes, mais il existe quasiment autant de situations que de jeunes. Par conséquent, il est extrêmement important de s'assurer de leurs besoins et d'offrir des réponses diversifiées. Vous disiez, Monsieur le président, que vous avez visité des structures qui se sont beaucoup humanisées par rapport à la période précédente. Pour l'avoir connue, je peux témoigner qu'il était absolument indispensable que certaines d'entre elles évoluent et qu'elles ne soient pas sur ce qui a été d'actualité et a eu quelques résultats après-guerre, mais qui était devenu obsolète dans son modèle.
Il faut absolument garder la diversification des réponses. Le placement en famille est une très bonne réponse. Le placement en institution et le suivi en milieu ouvert dans la famille restent une très bonne réponse pour certains. Privilégier obligatoirement l'une des solutions pour des raisons éthiques, sociales ou économiques constituerait une erreur fondamentale. La connaissance de ces jeunes nous montre que, dans certains cas, la rupture avec le milieu familial est importante. Je pense aux enfants battus, aux sévices et à la rupture avec le quartier qui est tellement prégnant et nocif aux jeunes que la mesure d'éloignement est indispensable. Ensuite, les formules, qu'elles soient famille d'accueil ou établissement, sont à adapter.
Le deuxième principe dans l'individualisation consiste à sécuriser le parcours. C'est pourquoi nous sommes déçus de l'évolution de la proposition de loi de Mme Brigitte Bourguignon car cette mesure nouvelle, fait rare, faisait l'unanimité des partis politiques. Ce dispositif intéressant remettait l'État au coeur de sa responsabilité. J'évoque souvent l'effet Wilkinson. La loi de décentralisation laisse la première lame aux Départements, mais à condition que l'État puisse s'assurer que cette contractualisation avec les Départements est bien tenue, ce qui n'est pas toujours le cas dans certains d'entre eux. Il est indispensable que l'État ait un regard non seulement sur la PJJ, mais aussi sur ce qui est offert car il est garant du respect des textes internationaux. Les émissions de télévision telles que diffusées sur France3 sont un peu caricaturales et sont le témoignage d'une période passée qui, malheureusement, pour certains perdure. La réalité est plus heureuse et plus évoluée que ce qui nous a été présenté.
Il nous semble indispensable que cette proposition de loi n'aille pas jusqu'au Sénat ou que nous revenions à un dispositif qui garantisse aux jeunes, y compris de 16 à 18 ans, la possibilité de continuer au-delà de leurs 18 ans. Cet âge est celui où se révèlent les troubles psychologiques et psychiatriques pour les adolescents, la prostitution pour les jeunes filles et les conflits avec les parents ou les beaux-parents pour les jeunes qui cessent leur scolarité. Imposer une prise en charge par l'ASE pendant un temps cumulé de 18 mois pendant les deux ans précédents leur émancipation ou leur majorité revient à priver tous les jeunes qui basculent à cette période fatidique et primordiale qu'est l'adolescence de la capacité de continuer au-delà de 18 ans.
Mon diplôme d'éducateur s'appelait « 18 ans et bonne chance » puisqu'il s'agissait des années 1975-1976 au moment de la loi Giscard-d'Estaing. On pressentait déjà que les jeunes de 18 ans les moins matures et les plus en difficulté profiteraient de cette majorité pour voler de leurs propres ailes et, éventuellement, se fracasser et que ceux qui étaient en formation, en scolarité, en recherche d'emploi ou stabilisés seraient très contents d'obtenir le petit coup de main supplémentaire pour aller jusque 18 ans et demi, 19 ans ou 20 ans.
Concernant le troisième aspect, il nous semble indispensable que vos préconisations proposent un renforcement des coopérations entre Départements et État. Confier l'enfance jusqu'à 18 ans aux Départements était très sensé et intéressant, mais il faut que l'État demeure le garant et établisse des liens entre l'ASE, qui est de l'ordre du Conseil général, et la PJJ qui relève de l'État. Les mondes ne sont pas hermétiques. Il nous faut renforcer ce lien, y compris dans des formations et des informations communes, puisque les adolescents et les jeunes sont les mêmes, à peu de chose près, comme le font le GIPED et le 119 en termes d'études et de modules de connaissance.
Le troisième principe consiste à ne pas mettre les différentes solutions en opposition. Parfois l'établissement sera meilleur. Parfois, il s'agira de la famille naturelle ou de la famille d'accueil. Les jeunes nous invitent à ne pas leur imposer pour seul objectif le retour à la famille. Ils ont parfois souhaité rompre ou ne veulent pas revenir sur la rupture qui a été provoquée. Sans penser, comme durant la période précédente, qu'une fois qu'ils n'étaient plus dans leur famille, tout lien pouvait être rompu, mais il ne faut pas avoir pour seul objectif le retour dans la famille. Ce n'est pas du tout adapté pour certains. La diversité des propositions qui sont à leur soumettre est indispensable.
L'un des derniers aspects porte sur la place du bénévolat. Nous y sommes très sensibles car nous défendons le secteur associatif, lequel est constitué du mélange du bénévolat et du salariat. C'est une façon d'amener la société civile de manière professionnelle ou bénévole pertinente à condition qu'il s'agisse de complémentarité. Il ne faut pas penser que le bénévolat peut être substitutif au modèle éducatif professionnel. Les bénévoles peuvent apporter une forme de stabilité et être un complément indispensable pour les professionnels, mais il faut laisser la responsabilité de ces enfants et de ces adolescents aux professionnels, lesquels ont besoin d'une formation, de références et de rendre des comptes aux juges, aux Départements et à l'État. Il est plus complexe de le demander aux bénévoles qui peuvent quitter l'association. Telle est la règle de la vie associative que nous valorisons, mais que nous subissons également. Lorsque le bénévole nous lâche d'une façon ou d'une autre, toutes les actions engagées sont compliquées.
Les évaluations et les contrôles en protection de l'enfance rentrent dans les questions de pilotage et de sécurisation du parcours des enfants. L'UNIOPSS porte le fait que les régimes d'autorisation et d'habilitation, le CPOM et les appels à projets se sont multipliés sur ce champ et ne répondent pas tous aux mêmes objectifs. Ce système mériterait d'être simplifié et repensé pour s'adapter au rythme de vie des établissements et redonner une place aux enfants et à leurs familles.
Nous souhaitons faire un point d'alerte sur les procédures d'appels à projets qui sont parfois conduites très diversement dans les Départements, voire utilisées de façon contestable. Pour rythmer la vie d'un établissement ou d'un service et s'assurer de la qualité d'accueil, la première réponse est le dialogue avec l'autorité de gestion et de tarification. Un appel à projets est une procédure très utile pour ajouter des places ou modifier un projet, mais pas pour contrôler les établissements.
La démarche du Maine-et-Loire me semble illégale au regard des textes et extrêmement maladroite. Nous ne sommes pas défavorables à ce que les associations soient challengées sur les objectifs, mais l'appel d'offres évoque des créations ou des extensions. Or le Maine-et-Loire a soudainement déshabilité les 11 associations d'aide à l'enfance pour en réhabiliter 9. Tout le monde se doute qu'il s'agissait d'en écarter une ou deux qui ne leur plaisaient pas. Les enfants se sont trouvés contraints de changer de structure, de ville et d'établissement scolaire uniquement pour une modalité administrative. Un ou deux autres Départements réfléchissent à la politique conduite par le Maine-et-Loire pour remettre les cartes sur la table. En plus d'être illégale selon nous – Le Conseil d'État tranchera sur notre recours – il ne s'agit pas de la bonne méthode en termes de co-construction, ce qui reste fondamental entre le secteur associatif et les pouvoirs publics d'État ou du Département. L'un a une connaissance des besoins et des personnes ; l'autre a une légitimité démocratique et financière et a évidemment son mot à dire.
Sur la démarche d'évaluation interne et externe, de nombreuses associations nous ont remonté la difficulté d'avoir un dialogue de qualité avec l'autorité de gestion et de tarification lorsque les structures sont de taille moyenne. Le sens même de la démarche évaluative est difficile à trouver en l'absence de dialogue. Le dialogue entre les Départements et les établissements et services doit se fonder sur cette démarche qualitative avec un raisonnement par objectifs plutôt que par résultat en matière de protection de l'enfance. Il convient que le projet d'établissement retrouve sa place dans cette démarche d'évaluation.
La position de l'UNIOPSS est le fruit d'un travail de co-construction avec le secteur associatif en général. La commission enfance est présidée par Jean-Pierre Rosenczveig que je ne vous ferai pas l'affront de vous présenter. Toutes les associations qui s'occupent d'enfance apportent leurs constats et leurs propositions. L'UNIOPSS a un rôle de synthèse, de consensus et de représentation.
S'agissant de la sécurisation des parcours, nous nous inquiétons de la situation de la prévention, laquelle est partie prenante de la protection de l'enfance comme le rappelle la loi du 14 mars 2016. La situation de la prévention spécialisée est assez critique dans plusieurs Départements. Les recommandations émanant de la mission d'information sur la justice des mineurs, s'agissant de rattacher la prévention spécialisée à la PJJ, nous semble assez dangereuse et ne pas répondre au défi de la prévention et aux difficultés budgétaires que peut rencontrer la prévention spécialisée dans certains Départements.
Merci de ces propos introductifs. À votre avis, quelles sont les mesures à prendre en compte en premier lieu pour améliorer la protection de l'enfance dans le cadre des associations ? En tant qu'acteur majeur, avez-vous établi avec vos associations un état des lieux des relations entre les Départements et les organismes d'État sur la protection de l'enfance ? Comment peut-on éviter les différences de traitement en fonction des Départements en faveur d'une prise en charge plus homogène ?
Vos questions sont liées aux sujets de gouvernance et de pilotage. L'évaluation de la loi du 14 mars 2016 montre une différence de mise en oeuvre entre les Départements. La question du pilotage doit être traitée au niveau national afin d'avoir des orientations stratégiques partagées. Le conseil national de la protection de l'enfance, qui nous semble être une instance intéressante, devrait être repensé de manière à occuper le poste de conseil et d'orientation stratégique tel qu'initialement prévu en attribuant une présidence indépendante. Aujourd'hui, le ministre est président, ce qui ne semble pas cohérent en termes de gouvernance. Il devrait s'agir d'une instance de réflexion.
Il conviendrait de repenser le rôle du GIPED qui nous semble aussi très intéressant dans sa gouvernance qui est paritaire et non départementale. Il s'agit d'une instance de réflexion et de discussion opérationnelle entre les parties prenantes en termes de gouvernance. Actuellement, le GIPED est sous-financé, comme le CNPE qui n'a pas vraiment les moyens de son action.
Les velléités de baisse du budget du GIPED lors du PLF 2019 nous ont beaucoup questionnés. L'évocation de la protection de l'enfance s'est accentuée avec la diffusion du reportage de France3. Ce sujet était déjà largement évoqué dès le dernier semestre de 2018. Aux côtés d'autres associations, l'UNIOPSS s'est fortement mobilisée pour que la baisse de 200 000 euros n'intervienne pas. Le GIPED nous semble constituer un système de dialogue et d'échanges entre l'État et les Départements qui fonctionne.
Il serait intéressant de mettre en place une commission de conciliation au niveau national en cas de difficultés entre l'État et les Départements pour que les sujets puissent remonter et être discutés avec des représentants tiers. Cette idée a été suggérée par la commission enfance, famille et jeunesse de l'UNIOPSS.
Tout n'a pas été détaillé pour le moment, mais l'idée a été développée pour la petite enfance en cas de difficultés entre des établissements et des PMI. Il s'agit de pouvoir remonter ces difficultés d'interprétation de normes ou de différences au niveau national. L'idée est également d'envisager le niveau local. Si un protocole prévention ou accès à l'autonomie n'est pas mis en place et si la discussion est sans issue sur le plan local, l'objectif est de la remonter au niveau national.
Un contrat d'actualisation est toujours préférable à la contrainte. Toutefois, lorsque la contractualisation ne fonctionne pas, en l'absence de contrainte, le constat est simplement fait qu'elle ne fonctionne pas. Le Département n'a pas la possibilité d'intervenir sur ces aspects. Seul le préfet, qui est le représentant de l'État, peut le faire. Il nous semble que des commissions départementales qui se réunissent sur ces problématiques seraient intéressantes. Si la conciliation n'est pas possible au niveau départemental, il conviendrait qu'une structure de niveau national permette d'exposer les difficultés afin de trancher. L'objectif est de s'assurer que les Départements ne se trouvent pas tels des continents à la dérive se débrouillant seuls de leurs problèmes.
Ce n'est jamais le problème d'une seule entité. La protection de l'enfance est suffisamment importante pour être partagée au niveau sociétal sur le plan de la responsabilité administrative et politique, mais également celle de l'État, ne serait-ce que parce que les textes internationaux sont signés par l'État français et parce qu'il existe une continuité dans ces parcours.
Nous avons évoqué les référents de parcours. On peut penser que, dans les propositions urgentes, la possibilité d'avoir un référent de parcours plus performant que pour le handicap, qui n'est pas encore très pertinent, est totalement utile. L'enfance, c'est aussi l'école, les loisirs, les sports et la santé. Que quelqu'un puisse avoir la capacité de réunir les intervenants et de trouver une cohésion à des difficultés ou à une dynamique est intéressant. Telle est la proposition d'une commission quasi-Départementale et d'une autre nationale de recours en cas de difficulté.
L'ADF n'a aucun pouvoir sur les Départements. Il faut qu'une commission puisse trancher comme pour la SRU avec les 25 % de logements sociaux. Certaines villes ne l'appliquent pas et s'en expliquent. Le préfet hésite, ce qui donne lieu à une commission nationale qui examine et tranche. Il s'agirait sans doute d'une bonne solution pour l'enfance en cas de désaccord sur le terrain.
S'agissant de l'état des lieux des relations, les Départements qui ne fonctionnent pas sont le Maine-et-Loire et l'Indre. Nous avons des Départements qui expérimentent ou prennent des décisions qui posent de sérieux problèmes et font l'objet de recours administratifs auprès du Conseil d'État.
Notre réseau peut tenter d'obtenir une remontée en trois ou quatre catégories. Certains Départements sont performants et pertinents dans leur approche. Dans d'autres, le problème de l'aide à l'enfance est vu comme la dépense principale qu'il convient de tenter de limiter. Cette approche n'est pas inintelligente, mais trop limitée quand elle concerne l'enfant. C'est comme s'il était décidé de cesser la scolarisation ou de fermer des sections médicales dans un hôpital en raison du coût engendré.
Si cette remontée vous intéresse, nous pouvons l'organiser. L'intérêt de l'UNIOPSS est de s'appuyer sur des réseaux de fédérations et des URIOPSS et d'avoir une remontée dans un court ou moyen terme des difficultés que nous avons évoquées.
La troisième question est complexe. Elle consiste à s'interroger sur la façon dont l'État revient sur une idée de cohérence par rapport à la différence de traitement dans les Départements. La commission de recours en est une. Nous avons écouté avec plaisir le Président de la République quand il redit que le secteur de l'enfance est aussi un secteur de l'État. Sa responsabilité financière ne peut être dégagée de sa responsabilité politique. Même si le financement et l'organisation incombent sur le terrain à des acteurs associatifs du Département, l'enfance est une politique régalienne, au moins au niveau de la garantie que les enfants sont protégés et bien traités.
Bien que la mission se concentre sur l'aide sociale à l'enfance, il faut citer la PJJ qui est intimement liée aux questions de protection de l'enfance. Même si elle s'est largement retirée des mesures civiles de protection de l'enfance, elle en exerce encore. L'expérimentation sur la double mesure ASE-PJJ est la preuve qu'elle revient sur certains sujets.
Je ferai un point d'alerte sur la réforme de l'ordonnance de 45. S'il a été acté une responsabilité pénale en dessus de 13 ans, se pose la question de la réponse aux actes réalisés par les enfants de moins de 13 ans qui, auparavant, auraient été jugés pénalement responsables. La PJJ pourrait jouer un rôle intéressant sur le plan civil pour ces enfants, faute de quoi ils risquent de se réorienter vers l'ASE. Un réel travail de complémentarité doit être renforcé entre ASE et PJJ sur les territoires.
Quel est le profil des bénévoles ? Par ailleurs, vous avez mis l'accent sur l'évaluation des projets par objectifs. J'aimerais que vous développiez. Existe-t-il des objectifs de référence comme le fait que le projet s'inscrive dans un ensemble ? Vous parliez de coordination avec les acteurs. Cela constitue-t-il un objectif ?
La place du bénévole est extrêmement importante. Elle est très connue sur la gouvernance. La professionnalisation des travailleurs sociaux et d'une direction ne doit pas faire oublier que le directeur ne peut être le seul responsable. Le responsable politique reste le Conseil d'administration avec l'élection de son président. Nous travaillons beaucoup sur le bénévolat en formant et en essayant de renouveler les équipes car il existe un phénomène de vieillissement, d'autant plus que l'on est davantage disponible au moment de la retraite en termes de temps et d'énergie pour ces missions.
Il existe une fonction de bénévole de terrain qui n'est pas obligatoirement dans la gouvernance et qui vient en complément des professionnels. Nous nous inquiétons d'entendre des discours selon lesquels il est possible de trouver des familles nourricières et de confier l'accompagnement de certains enfants à des bénévoles. Nous n'y sommes pas défavorables à condition que le référent soit un professionnel. Le bénévole est conçu comme un complément de temps et affectif car le professionnel doit toujours veiller à ce que l'affectif ne submerge pas son professionnalisme. Le bénévole peut se permettre des écarts. Si vous me permettez la comparaison, c'est la différence entre les parents, qui ont l'éducation et la responsabilité, et les grands-parents qui peuvent prendre du recul et faire de petits écarts. Le bénévole peut se permettre une attention et davantage de temps qu'un professionnel mais sous réserve de la référence, du reporting et de la recherche de complémentarité. Nous sommes très ouverts, mais à condition qu'il ne s'agisse pas d'un système palliatif, mais complétif.
S'agissant des évaluations, lorsque nous évoquons un raisonnement par objectifs plutôt que par résultat, il est question des objectifs définis en regard des besoins de l'enfant, ce qui répond en partie au sujet des outils de référence.
Définir une grille d'objectifs standardisée présente certains risques de standardisation des réponses pour les établissements, ce qui n'exclut pas la nécessité d'avoir des références communes sur lesquelles identifier ces objectifs et les besoins des enfants.
Nous préconisons la diffusion de davantage de documents ressources de référence comme le rapport de Marie-Paule Martin-Blachais sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance qui mériterait d'être mieux connu et diffusé auprès des professionnels, ainsi que pour construire les projets d'établissements.
Il est question d'outils de référence, mais non d'un cadre structuré limitatif ou opposable. La Haute Autorité pour la Santé effectue ce type de travail. La CNSA pour les personnes âgées commence à rentrer dans cette dynamique de conseil et de cadre de réflexion et d'orientation sans imposer, comme le souhaitent souvent les financiers ou Bercy, une grille où il convient de cocher toutes les cases. L'enfance est suffisamment variée et importante pour conduire cette réflexion globale sans rentrer dans une grille trop restreinte.
Ma première question concerne la proposition de loi de Mme Brigitte Bourguignon à laquelle vous vous êtes opposés et vous vous en êtes expliqués puisque les enfants qui en ont le plus besoin sont ceux qui n'ont pas été suffisamment pris en charge en amont. Peut-il s'agir d'une rupture d'égalité de chances et une question constitutionnelle ? Il pourrait s'agir d'une mesure discriminatoire entre personnes.
L'UNIOPSS a lancé le collectif Cause Majeure pour cet accompagnement des sortants, même si ce n'est pas vraiment l'objet de la mission. Je voulais vous demander ce que fait concrètement Cause Majeure pour aider ces enfants, notamment ceux qui n'ont pas de contrat jeune majeur.
Ma deuxième question concerne le fichier AEM auquel vous êtes également opposés. Vous ne vous êtes pas exprimés devant nous sur les dangers de ce fichier. J'aimerais entendre l'avis de l'UNIOPSS à ce sujet. Si le conseil constitutionnel déclare ce fichier comme étant constitutionnel, comment vous positionnez-vous vis-à-vis de l'Exécutif ?
Sur la PPL Bourguignon et votre suggestion, nous y pensons, mais dans un deuxième temps. Nous estimons qu'il s'agit vraiment d'une rupture d'égalité. Si l'on considère que l'enfant c'est jusque 18 ans, opérer une différenciation sous prétexte que l'on a été, avant 16 ans, placé ou qu'on ne l'a été que 18 mois sur les 24 derniers mois comme rédigé dans le nouvel article 1er pose un problème éducatif et social. On estime que cette mesure concernera entre un tiers et la moitié des jeunes. On enlève toute une portion des jeunes qui sont en capacité de demander un soutien supplémentaire après 18 ans. Il s'agit de la portion la plus en difficulté, à savoir celle qui aura eu la rupture la plus récente. Or, comme dans une rupture de couple, la première période est la plus difficile à vivre et à restructurer.
Personne n'est dupe. L'État et le ministère de l'Intérieur ont voulu éviter que les mineurs non accompagnés qui auront été reconnus mineurs ne puissent profiter de cette reconnaissance pour être maintenus après les 18 ans. La cible est étroite. On peut être ou non d'accord avec la légitimité ou l'interprétation du ministère de l'Intérieur, mais changer une loi sur l'aide sociale à l'enfance uniquement par le regard sur les mineurs non accompagnés qui auront été reconnus mineurs alors que l'État hésite sur cette reconnaissance n'en vaut pas la peine.
L'ADF était d'autant plus favorable que l'État prenait en charge le financement. Cette mesure est contradictoire avec l'engagement du Président de la République. Le 15 septembre 2018, il a présenté la stratégie sur la lutte contre la pauvreté en insistant énormément sur les enfants. Or cette proposition crée des milliers de sorties sèches alors que, même si elle avait quelques défauts, la proposition initiale présentait de vraies avancées, dont celle d'éviter une sortie sèche. C'est pourquoi Cause Majeure était un préalable, mais elle s'est nouée parce que Mme Bourguignon y travaillait depuis un an. Elle a déposé sa première proposition en juillet 2018. Il y a eu l'émission de France3 et la montée en puissance de l'association des jeunes de l'ASE qui profite de sa médiatisation pour faire valoir certains combats. Il nous paraissait important de ne pas mettre en opposition les structures associatives, y compris celles qui font de l'hébergement, avec ces jeunes.
La tendance facile serait de désinstitutionnaliser. Or, non seulement, ils ont conscience, mais sont du même avis. Des structures resteront totalement indispensables si elles opèrent leur aménagement, leur adaptation et leur propre résilience. Toutefois, il faut diversifier les solutions entre les familles d'accueil et les structures très légères comme les lieux de vie qui sont des solutions extrêmement intéressantes. On y reçoit six ou sept jeunes qui vivent une profonde désinsertion familiale et sociale. Ces structures aident avec l'équithérapie, un poulailler et une notion proche d'un système familial pertinente pour certains, mais qui ne l'est pas pour d'autres. Un jeune de banlieue que l'on placerait au fin fond de la Corrèze ou de la Creuse ne resterait pas dans ce type de structure.
C'est pourquoi il est intéressant d'y retrouver les apprentis d'Auteuil et SOS Villages d'enfants. L'UNIOPSS a la légitimité de regrouper les associations moins importantes qui mènent des actions très intéressantes au niveau de la protection de l'enfance.
La question de l'adoption de l'article 1er de la proposition de loi Bourguignon et celle du fichier sont assez liées sur le regard porté par l'État sur la question des MNA. On interprète le décret de janvier 2019 sur le fichier AEM et l'article 1er adopté à l'Assemblée en mai dernier par une tentative d'extraire les mineurs non accompagnés des dispositifs de droit commun de protection de l'enfance, ce qui nous semble très dangereux. L'annonce du secrétaire d'État M. Adrien Taquet sur la possibilité d'une circulaire prévoyant un entretien spécifique pour les mineurs non accompagnés à leurs 17 ans avec l'aide sociale à l'enfance et la préfecture nous semble aller dans le sens de cette confusion.
Un Département a tenté d'exclure les MNA des contrats jeunes majeurs en les ciblant directement. Constatant que cette mesure ne passerait pas du point de vue administratif, il avait pris l'option d'exclure tous les jeunes entrés à l'aide sociale à l'enfance après leurs 16 ans. Ce sont donc bien les MNA qui sont ciblés.
À l'exception de quelques associations plus radicales, nous n'étions pas opposés à la possibilité d'un fichier pour éviter d'avoir à faire le tour de certains Départements. Certaines associations sont très opposées par phobie du fichier, ce qui est respectable. En revanche, nous étions défavorables à ce que ce fichier soit mis en lien avec le ministère de l'Intérieur sur les majeurs reconnus comme devant être expulsés. On recoupe un fichier de mineurs ou qui ont demandé à l'être, mais qui ne sont pas reconnus comme tels, comme étant classés dans la rubrique des expulsables le jour de leurs 18 ans.
On a catégorisé une partie du public comme étant de futurs expulsables ou des jeunes qui tentent de frauder. La réalité est plus complexe. Ce n'est pas un député de Seine-Saint-Denis qui me dira le contraire. Si tous les Départements partageaient ne serait-ce que la moitié de la charge de ce seul Département, il s'agirait d'une avancée non négligeable. Évidemment, cela se concentre sur les Départements qui ont déjà des charges très importantes, des difficultés sociales et des ressources plus faibles que les Départements voisins. Il s'agit d'un cercle vicieux que nous dénonçons depuis 1983 quand la décentralisation prévoyait qu'à l'issue de trois ans intervienne un réajustement des dotations des Départements selon leur situation financière après cette période.
La clause de revoyure n'a jamais existé. Nous avons vu des Départements comme le Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis continuer à s'appauvrir en dépensant énormément dans les aides sociales, car il avait un public plus modeste et plus faible, et d'autres Départements s'enrichir parce que moins jeunes, moins en difficultés et avec des ressources supérieures.
Une QPC a été déposée. Quand vous avez en même temps le Défenseur des droits et le Défenseur des enfants qui estiment que nous commettons une erreur, nous avons un renfort de poids avec M. Toubon qui ne peut être taxé spécifiquement comme étant de gauche ou perturbateur.
Le collectif Jeunes Majeurs a commencé à se réunir en septembre 2018. Son objectif premier était de porter ce sujet haut et fort, et de le sortir de l'angle mort de la protection de l'enfance. Il s'agit d'un collectif très jeune. Nous sommes en train d'arrêter les lignes de plaidoyers communs. En dehors des actions de plaidoyer, il n'y a pas encore d'actions concrètes, mais le sujet est en cours de réflexion.
Je voulais vous interroger sur l'organisation avec la justice. Par ailleurs, vous avez effleuré le sujet du contrôle des institutions. Faut-il faire évoluer ces modalités de contrôle ? Le cas échéant, avez-vous des propositions ?
Le contrôle est indispensable et nous y sommes très favorables. Certains ont le fantasme de croire que le contrôle est tatillon et inquisiteur, ce qui n'est absolument pas notre cas. Nous pensons que le contrôle est la légitimité de l'action et la justification que des financements publics soient attribués. L'association ou l'établissement qui ne respectent pas cette procédure n'auront pas le soutien de l'UNIOPSS s'ils sont déshabilités ou en conflits. Nous n'aurons pas l'aveuglement d'une défense parce qu'ils sont association. Nous sommes favorables au contrôle.
Il nous semble que plus la « grille d'évaluation et de contrôle » sera co-construite, mieux ce sera. Le régime « Je paye donc je décide » est normal dans de nombreux domaines pour les pouvoirs publics. Dans le domaine de l'enfance, une vision triangulaire tripartite est nécessaire entre le pouvoir, l'association et le jeune lui-même par rapport à ce type de modalité. Nous sommes très favorables au contrôle et à l'évaluation, y compris aux sanctions qui doivent être prises en présence d'un écart excessif en termes de qualité.
Le monde de la justice est à part, très fier de son indépendance et avec lequel nous éprouvons les plus grandes difficultés à bâtir des collaborations. La PJJ est plus ouverte. Elle est consciente qu'elle ne s'en sortira pas seule. Si nous avions une proposition, ce serait d'adopter le modèle québécois de réunion de services qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble, à savoir la police, la justice, le travail social et le travail médical. Chez nous, il s'agit de mondes à part où des collaborations s'établissent uniquement quand les gens s'entendent et établissent des relations interpersonnelles, ce qui est insuffisant. Le système québécois est institutionnel et génère des résultats remarquables à Montréal ou à Québec où chacun est dans sa fonction, mais touche au domaine du voisin. Chaque domaine est indispensable, mais dans la mesure où l'on oblige les uns et les autres à travailler et discuter ensemble, et à trouver une sortie consensuelle, s'établit une vraie habitude de travail.
Il serait pertinent que l'État, en reprenant son rôle de garant, suggère ce fonctionnement selon le modèle québécois qui est en application depuis une quinzaine d'années et impose à ses propres services d'en faire partie. Si vous reprenez cette proposition, nous pourrons vous aider. De même si vous avez besoin d'exemples ou de références.
Sur la question du dialogue avec la justice, il nous est remonté un dialogue parfois difficile et, en amont, des ordonnances insuffisamment précisées sur les attendus des décisions, notamment en ce qui concerne les mesures à domicile.
Il s'agit de préciser ce qui a motivé une mesure et la décision de laisser ou non l'enfant à domicile, ce qui n'est pas forcément indiqué.
C'est plus facile dans le placement car il existe un dialogue direct, mais les autres mesures sont parfois floues ou arrivent six mois à un an après car il n'agit pas d'une priorité pour les greffes des tribunaux qui sont malheureusement surchargés. Lorsque vous arrivez après six à neuf mois de suivi d'AEMO ou de placement, vous avez déjà entamé ou commis des erreurs puisque vous ignoriez au démarrage ce que souhaitait précisément le magistrat. Nul ne peut lui en vouloir, mais le système administratif est gênant dès que l'on a une mission des pouvoirs publics.
Parfois, les recommandations des associations étaient insuffisamment entendues, notamment sur les visites médiatisées décidées par les magistrats alors que cela semblait peu pertinent pour le service ou l'établissement chargé de la prise en charge de l'enfant. Il conviendrait peut-être de renforcer le dialogue.
Sur le sujet de la contractualisation, nous avions suggéré que dans les conditions pour le versement des subventions, la réalisation du protocole d'accès à l'autonomie soit faite ou qu'il s'agisse d'une condition pour accéder au fonds un an après dans le cadre de la clause de revoyure. Nous n'avons pas été entendus sur ce sujet, mais nous essayons de faire en sorte que les dispositions nationales soient appliquées par les Départements.
Il s'agissait du fonds relatif à la contractualisation de la stratégie pauvreté sur la dimension jeunes majeurs.
Parmi les propositions, figure l'idée de favoriser les lieux de médiation. Je pense que des lieux de rencontre où les enfants peuvent retrouver un père, y compris violent, sont tout à fait pertinents en présence d'une tierce personne. Il faut éviter, dans des cas de violence et d'inceste, de remettre le contact direct entre l'agressé et l'agresseur. Par contre, si l'un et l'autre souhaitent maintenir des relations, ces lieux de médiation sont extrêmement intéressants. L'oeil tiers permet de calmer toute velléité et d'intervenir si les choses se passent mal. Nous commençons à le développer dans les conflits familiaux autour du divorce. Il ne serait pas inintéressant de le faire avec les mineurs qui se sont trouvés en difficulté avec leurs parents dans le cadre d'une remise progressive du lien si celui-ci est souhaité par chacun.
Il existe une problématique forte de tabou du secret professionnel. Les travailleurs sociaux, les travailleurs médicaux et les enseignants s'y accrochent, ce qui est compréhensible. Toutefois, si tout le monde reste dans des positions rigides, cela devient absurde. Il faut protéger l'intimité et le système de connaissance par écrit, mais si l'on veut travailler intelligemment et de façon collective autour de la situation d'un enfant, il faut accepter l'idée de partage d'une information. L'exemple du Québec a permis d'éviter cette difficulté. Le secret médical reste le secret médical. L'intimité reste l'intimité, mais quand vous êtes en échange quotidien, être muré derrière son secret est absurde. Nous avons une réelle marge de progression sur ce que l'on appelle désormais le secret partagé. L'État et la loi l'ont compris, mais il reste du chemin avant une application opportune de terrain. Pour qu'elle le soit, il faut accepter ces lieux institutionnels qui nous permettent de faire la rencontre entre les différents secteurs.
Il convient également de citer l'Éducation nationale, mais il faut qu'ils acceptent et se déplacent. Il est évident qu'il y a un véritable intérêt.
Sur le sujet d'échanges au niveau local, il est ressorti des travaux de la commission de l'UNIOPSS la réactivation des cellules mixtes réunissant ASE, PJJ et Éducation nationale, voire l'ARS, pour discuter des situations singulières des enfants. Je pourrai vous envoyer de plus amples détails sur ces cellules mixtes apparaissant comme étant l'une des solutions.
Une autre recommandation porte sur les observatoires départementaux de la protection de l'enfance dans lesquels figurent normalement ces différents acteurs, mais qui n'existent malheureusement pas toujours. L'une des questions abordées par le groupe de travail était la suivante : « Si la présidence de ces observatoires départementaux de la protection de l'enfance n'était pas occupée par les Départements, fonctionneraient-ils mieux et se réuniraient-ils davantage ? ». Lorsqu'il est présidé par une personnalité qualifiée, il fonctionne parfois mieux.
Sur l'Éducation nationale, on voit de bonnes pratiques dans certains établissements qui réunissent travailleurs sociaux et santé, mais il s'agit encore trop souvent de cas par cas, ce qui pourrait être de la diffusion de bonnes pratiques de la part de l'Éducation nationale et des rectorats.
La réunion s'achève à seize heures.
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Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 15 heures
Présents. - Mme Delphine Bagarry, Mme Perrine Goulet, M. Alain Ramadier.
Excusés. - M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas, M. Franck Marlin.