La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Depuis plusieurs semaines, les parlementaires membres de la mission d'information de la Conférence des présidents sur l'incendie de Lubrizol à Rouen, auditionnent des acteurs de cet événement, pour identifier, à partir de leur retour d'expérience, les améliorations législatives et réglementaires possibles. Aujourd'hui, nous accueillons différents médias normands présents sur le territoire.
L'objectif de notre audition est d'appréhender la communication de crise.
Lors des précédentes, nous avons constaté qu'elle posait un certain nombre de questions : quelle est la meilleure façon d'appréhender un événement de cette nature, son déroulé mais aussi les suites à donner ? À quels niveaux d'information pouvons-nous avoir confiance au vu de l'importance des réseaux sociaux aujourd'hui et des fake news qui apparaissent de plus en plus dans l'actualité ?
Vous êtes un vecteur essentiel de cette communication. Nous avons jugé utile de vous recevoir pour que vous puissiez nous décrire la façon dont vous avez suivi l'événement et le rôle qui est le vôtre dans la communication de crise ; pour savoir également si vous avez des pistes d'amélioration de cette communication. Votre contribution est essentielle.
Nous nous sommes beaucoup intéressés à l'émetteur d'informations, notamment aux autorités publiques, c'est-à-dire à toutes celles et tous ceux qui ont géré en direct l'événement. Nous nous sommes aussi intéressés aux récepteurs, c'est-à-dire aux élus, au public, aux différentes professions. Cependant, il est également intéressant de voir comment les médias que vous représentez peuvent intervenir, quel rôle ils peuvent jouer dans cette relation entre un message qu'il faut diffuser, la façon dont il est diffusé et la façon dont il est perçu et reçu.
Cette crise et cet incendie de l'usine Lubrizol sont intervenus dans un contexte très particulier, avec notamment deux éléments qui ont participé au besoin de nous rencontrer aujourd'hui. Cet incendie s'est produit de nuit, vers trois heures du matin, ce qui a nécessairement impacté la capacité des services de l'État à intervenir rapidement et celle de la presse à avoir rapidement accès à des informations.
Cet événement est aussi intervenu quelques heures avant le décès d'une personnalité politique très importante dans ce pays, le Président Jacques Chirac. Cela a eu un impact sur le ressenti de la population et sur le traitement de l'information. En effet, le jeudi 26 septembre à partir de midi, il n'y a quasiment plus aucune presse et aucune télévision en continu qui traitent de manière régulière de l'incendie de Lubrizol, celles-ci se concentrant sur le décès du Président Chirac. C'est notamment cela qui nous amène à vous rencontrer aujourd'hui. Pour vous écouter, pour voir ce que vous avez ressenti face à cette situation, en tant qu'acteurs de terrain, face aux critiques et aux inquiétudes de la population qui ont été nombreuses et qui ont été exprimées sur France Bleu, sur France 3, sur Radio Cristal et également dans la presse écrite.
Un autre sujet porte sur l'articulation entre votre mission d'information et la nécessité qui est la vôtre d'avoir de l'audience. Par exemple, nous avons vu certaines Unes de journaux ou certains titres d'articles avec des informations formulées sous la forme de questions, alors même que nous avions les réponses. Nous pouvons par exemple citer la Une de Paris Normandie d'aujourd'hui, qui mentionne sous une forme interrogative les termes de « sols pollués ? ». Or, dans l'article de presse, il est bien précisé qu'il n'y a pas de pollution particulière, que les pollutions constatées se situent en deçà des seuils et qu'elles n'ont a priori aucun rapport avec Lubrizol. En tant que média, vous avez une responsabilité dans le traitement de l'information et la diffusion d'une information en toute objectivité. Aujourd'hui, est-il possible de mettre cela en rapport avec l'audience ? N'existe-t-il pas parfois des problématiques en lien avec ces sujets ?
Dernier point, le sujet des fake news. Dans le cadre de l'incendie de Lubrizol, il y a eu quelques fake news qui ont pu être véhiculées sur les réseaux sociaux. Comment pouvons-nous lutter contre ces fake news de manière efficace ? Au niveau national, nous savons que certains organes de presse ont mis en place des outils de lutte contre les fake news. Ne serait-il pas intéressant de travailler sur le sujet au niveau local ? Bien évidemment, vous pouvez le faire sur certains sujets spécifiques qui vous sont remontés. Cependant, ne pourrions-nous pas travailler sur ce sujet en particulier ?
Merci de la façon dont vous avez traité l'incendie, parce qu'il était important de pouvoir vous suivre et de pouvoir suivre l'évolution de cet accident. Si nous sommes réunis dans le cadre de cette mission, c'est aussi pour apporter des améliorations dans le cas où un autre événement se produirait. Comment avez-vous ressenti votre lien avec les différentes institutions qui étaient censées pouvoir vous donner de l'information ? Plus précisément, comment avez-vous ressenti votre lien, direct ou non, avec la préfecture, le préfet et les différentes instances ?
Merci de venir partager avec nous la manière dont vous avez vécu votre rôle d'informer le public dans une telle situation et la manière dont vous avez été associés au processus officiel de diffusion et donc de rediffusion de l'information.
J'ai une question précise qui s'adresse davantage à Paris Normandie.
Nos auditions sont ouvertes à la presse. Lorsque nous avons reçu l'entreprise Normandie Logistique, vous avez titré le lendemain de cette audition, le 7 novembre : « Si vous êtes près d'un Seveso, fuyez ! ». Cet article a créé beaucoup de remous sur les réseaux sociaux et il a suscité beaucoup d'inquiétudes auprès de la population. Certes, ce titre, qui se voulait accrocheur, a atteint son objectif. Cependant, il n'était pas tout à fait complet puisque les propos tenus lors de cette audition étaient plus exactement les suivants : « Confrères logisticiens, si vous êtes près d'un Seveso, fuyez ! ». Cette précision était ensuite apportée dans le corps de l'article, mais vous le savez mieux que moi, les gens restent souvent focalisés sur le titre d'un article. Cela m'interpelle et je veux bien que vous m'expliquiez ce point qui est à côté de la justesse de l'information selon moi.
Dans le cadre de l'information aux populations lors d'une situation de crise, j'aurais aimé en savoir plus sur le rôle des médias locaux et leur capacité à vérifier l'information et à mettre en place des systèmes dits de fact-checking, notamment pour relayer ou démentir les communications données par les réseaux sociaux, dont certaines peuvent alimenter le doute sur la parole et l'action des pouvoirs publics. Quels sont les systèmes que vous mettez en place pour vérifier les informations ?
Dans le cadre de votre rôle primordial de l'information aux populations, avez-vous pu constater, de la part des administrés, une mise en doute des informations que vous avez pu communiquer ? En effet, cette crise a été très révélatrice de la suspicion qu'ont pu avoir certains administrés vis-à-vis des informations relayées par la préfecture. Avez-vous vécu également une défiance de la part de vos lecteurs et de vos internautes sur les articles traitant de l'incendie Lubrizol ?
ATMO Normandie diffuse de l'information sur la qualité de l'air. Je connais bien cette association, puisque je préside le Conseil national de l'air. J'ai d'ailleurs reçu la directrice d'ATMO Normandie au dernier Conseil national de l'air, pour qu'elle nous explique de quelle manière a été traitée l'information. Quelle est la nature des relations que vous avez avec ce type d'organisme en matière de reprise d'informations et généralement de communication ? En effet, cela est extrêmement important. ATMO Normandie est une association agréée de surveillance de la qualité de l'air. Ce ne sont pas des voitures qui se promènent avec des capteurs lambda !
D'une manière générale, dans vos équipes, comment abordez-vous la question du doute et de l'incertitude ? Face à un doute, comment votre démarche se met-elle en oeuvre ? Qu'est-ce qui préside votre choix de donner ou non telle ou telle information ?
Dans vos relations avec vos auditeurs et vos lecteurs, avez-vous reçu des courriers particuliers à la suite de l'événement ? Comment cette relation directe avec la population s'exerce-t-elle ? Est-ce qu'il y a une remontée ? J'aimerais avoir votre avis et votre retour d'expérience à ce sujet.
La presse, en particulier la presse régionale, a joué un rôle déterminant dans la diffusion des informations sur les risques et les consignes à suivre pour nos concitoyens. Nous avons pu constater, sur le réseau social Twitter, des live tweet émanant des comptes de vos journaux. J'ai eu beaucoup de témoignages de nos concitoyens m'expliquant ne pas s'être rendus sur le site de la préfecture, mais directement sur les comptes de vos rédactions. De ce fait, il est important de savoir si vous avez disposé des informations essentielles dans l'immédiat, ou si vous avez dû enquêter pour évaluer la véracité des informations. J'aimerais aussi savoir si la préfecture a joué le jeu de la transparence notamment avec vous et cela dès le départ de l'incendie, afin de favoriser la diffusion des informations nécessaires à la sécurité aux habitants.
Par ailleurs, un grand nombre de rumeurs et de fake news ont circulé pendant plusieurs semaines après l'incendie. Plusieurs de vos rédactions se sont penchées sur les rumeurs qui ont été ainsi répandues. Comment avez-vous procédé pour vérifier ces fake news visibles un peu partout sur les réseaux sociaux ? Avez-vous fait appel à des experts privés ? Si oui, lesquels ?
Je voudrais savoir si vous avez obtenu toutes les informations des diverses administrations en temps réel, pour couvrir l'incident. Vous a-t-il été permis de diffuser l'ensemble des informations que vous avez pu avoir ? Votre rôle a été important dans la couverture de cet événement et la transmission des informations à la population. Il faudrait voir ensemble de quelle manière nous pouvons améliorer la diffusion de ces informations. J'ai fait une vingtaine de permanences sur des communes impactées. Aujourd'hui, nous nous rendons compte que des informations qui existent n'arrivent pas jusqu'aux citoyens. Qu'est-ce qu'il serait possible de mettre en place avec l'administration, avec l'État, avec les différents représentants de la presse pour que ces informations arrivent jusqu'aux citoyens ?
Clément Chapusot et moi représentons Radio Cristal qui est une radio régionale. Elle émet dans l'Eure, la Seine-Maritime et le Calvados. Pour ma part, je suis chargée de présenter les informations. Je suis « matinalière » pour les départements de l'Eure et de la Seine-Maritime. J'ai couvert cet événement avec Clément depuis les premières heures de l'incendie jusqu'à maintenant. J'étais à l'antenne et Clément était sur le terrain. C'est lui qui m'apportait les informations du terrain, en plus des informations que nous pouvions recevoir des autorités et de la préfecture par e-mails.
est une petite rédaction. Avec Julie, nous avons vraiment fonctionné en binôme. Je suis sur le terrain. J'habite à Rouen et de ce fait, je me rends assez rapidement sur les lieux. Toute la journée, j'alterne les conférences de presse, les interviews, à partir de l'incendie. Julie est en studio. Nous sommes vraiment un binôme, même si des journalistes d'autres départements viennent nous donner un coup de main le jour même et le suivant. Nous n'étions pas tout seuls, mais au moment de la crise, dans la gestion de l'incendie, pendant les 10 à 15 premiers jours, nous sommes vraiment en binôme : elle en studio et moi sur le terrain.
Par rapport à l'amélioration de la communication de crise, je pense qu'il est difficile, que ce soit pour les politiques ou pour les journalistes, de contrer les fake news, Dans l'affaire Lubrizol, elles occupent la place que n'ont pas les services publics sur les réseaux sociaux. Lorsque l'on tape « Lubrizol Rouen » sur Twitter, ce qui apparaît pendant dix jours, c'est l'eau soi-disant contaminée, les oiseaux et les poissons morts…
À l'heure des réseaux sociaux, où tout le monde a un smartphone, quasiment tout le monde a un compte Facebook ou un compte Twitter ou les deux, la communication a été d'un autre temps. Elle ne prend pas en compte le fait qu'aujourd'hui, tout le monde a un smartphone, tout le monde a accès aux réseaux sociaux. Ce n'est peut-être pas 100 % de la population, mais la grande majorité en tout cas.
Je suis arrivé le matin très tôt sur le site de l'incendie. Dans le périmètre de sécurité ou juste à côté, il y avait des mères de famille, des enfants qui sortaient, des personnes qui allaient travailler. Il y a même une personne qui m'a demandé si les autobus passaient ! Il y avait aussi quelqu'un de France Bleu. Quand ils nous ont vus, ils nous ont demandé : « Que savez-vous ? Avez-vous des informations ? ». Ils n'étaient pas du tout au courant, alors que nous étions au milieu du périmètre de sécurité. Au moment même du déclenchement, les populations qui habitent à 100 mètres ou à 200 mètres de l'usine sont donc moins au courant que nous.
Ce que dit Clément s'est vérifié aussi à la radio. Nous étions vraiment le relais de l'information pratique auprès des populations : « Puis-je emmener mon enfant à l'école ? Nous n'avons pas d'information. Je vis à côté du site. Puis-je aller au travail ? Est-ce qu'il y a des consignes de confinement ? ». Pour le confinement, nous n'avions pas encore reçu l'information. Nous avons essayé de répondre tant bien que mal, mais nous n'avions pas les informations essentielles en temps et en heure, dans les premières heures de l'incendie.
Cela rejoint aussi le sujet des fake news qui ont eu le temps de proliférer, parce que nous n'avions pas d'information à communiquer. Nous n'avons pas eu d'interlocuteurs tout de suite, comme ATMO Normandie. Nous les avons rapidement contactés, on nous a vite renvoyés vers la préfecture mais celle-ci ne nous communiquait pas d'information sur la qualité de l'air. La communication officielle d'ATMO Normandie est arrivée plus tard.
Vous dites que la communication est venue plus tard. J'aurais simplement voulu savoir quand. Qu'entendez-vous par : « plus tard » ? À quelle heure avez-vous eu les premières informations de la préfecture et des différentes administrations ?
Quand j'arrive à la radio, il est à peu près quatre heures trente. Les premières informations que nous avons sont celles de nos collègues. Je commence toujours par faire un tour de l'actualité et je vois en premier un article de Paris Normandie. Dans la foulée, j'ai les auditeurs qui m'appellent très tôt. Nous sommes informés et nous avons les informations comme cela.
De mémoire, il y a une conférence de presse de la préfecture par téléphone, à laquelle j'assiste entre cinq heures trente et six heures. Il s'agit de la première. Cependant, sur la page Facebook de notre radio, nous avions déjà reçu énormément de messages, de photos, de témoignages. Je crois que dans ton flash de six heures, le premier de la journée, nous avons déjà quelqu'un qui nous dit ce qu'il voit en direct.
Normandie. Je suis directeur de France Bleu Normandie à Rouen. Je suis accompagné de Catherine Doumid, directrice des relations extérieures de Radio France. France Bleu est une des marques du groupe Radio France, radio de service public. Je suis également accompagné de Delphine Garnault qui est la rédactrice en chef de la station de Rouen. Notre radio couvre les départements de la Seine-Maritime et de l'Eure. Nous avons plus de 200 000 auditeurs par jour et la radio est leader sur la ville de Rouen.
Nous sommes alertés très vite de l'incendie par les premiers collaborateurs qui rejoignent la radio. Nous sommes aux premières loges, puisque nous sommes géographiquement en face de l'usine : il y a juste la Seine à traverser. Les premiers journalistes qui arrivent sur place voient l'incendie et vont commencer à donner un certain nombre de coups de téléphone, comme nous avons l'habitude de le faire dès trois heures du matin, dans le cadre de ce que nous appelons la tournée : nous appelons les pompiers et la police. Nous mettons en place une série d'actions d'équipe pour intervenir la nuit sur France Info, avant que nous prenions l'antenne et dès cinq heures dans le journal national de France Bleu. Nous décidons de prendre la main à cinq heures et demie au lieu de six heures. Démarre alors toute une série d'émissions spéciales. Nous mobilisons le plus de gens possible autour de l'incendie pour couvrir l'événement.
Normandie. La force que nous avons eue est que les journalistes sont arrivés au moment où se déclarait l'incendie. Le journaliste était sur le pont Guillaume à deux heures cinquante a commencé par appeler les pompiers, qui venaient juste d'arriver sur site, puis le commissariat de police et la préfecture. Il a fait cela tout en allant à la radio. Celui qui était sur le pont Flaubert a pris une vidéo très rapidement mise en ligne.
La première réponse aux fake news est d'être présent et de tout mettre sur le web. Nos journalistes ont eu l'excellent réflexe d'appeler France Info en expliquant la situation. L'information était donnée dès quatre heures sur le réseau national, dès cinq heures sur le réseau de France Bleu et lorsque nous prenons l'antenne à cinq heures et demie.
Des auditeurs nous ont appelés. Mon collègue a joint la permanence de Lubrizol et obtenu des informations essentielles, selon lesquelles c'étaient des hydrocarbures entreposés sur une zone de stockage qui brûlaient et qu'il n'y avait pas de victime. Toutes ces informations ont été données dès quatre heures sur France Info et sur les réseaux sociaux, dès cinq heures et demie sur France Bleu Normandie. Plusieurs journalistes de notre antenne et de Paris Normandie ont eu une première conférence téléphonique avec le préfet à six heures cinq – une conf call déjà mise en place lors du mouvement des Gilets jaunes. Le préfet est intervenu en direct sur notre antenne à six heures vingt-quatre. Il a tenu une deuxième conf call à six heures quarante-cinq devant tous les médias.
Je précise que je suis arrivée à la radio à cinq heures. Je n'habite pas très loin. En sortant, j'ai vu l'incendie et je me suis dit que nous allions vivre un événement exceptionnel. Mon réflexe a été d'appeler du renfort. Je me suis référée à ce que nous pouvions faire dans le cas d'événements climatiques. J'ai essayé de me dire que là où cela ne marchait pas, il fallait que nous rectifiions. Il y avait déjà un journaliste sur place à Lubrizol, notre adjoint. Il me fallait quelqu'un en plus. Les informations pratiques, celles sur les écoles, allaient être essentielles. Il fallait aussi quelqu'un sur le web, parce que je ne pouvais pas me permettre de renseigner le web et d'assurer la coordination comme cela nous arrive de le faire. Nous avons appelé tout le monde rapidement. Nous avons tout de suite pris la dimension, l'ampleur, du phénomène.
Je suis le directeur de 76Actu. Jean-Baptiste en est le rédacteur en chef. Il s'agit d'un site affilié au site Normandie Actu et qui couvre la Seine-Maritime. Nous avons à peu près 4 500 000 visites par mois. Ce jour-là, nous avons commencé à travailler sur Lubrizol dès six heures du matin mais nous n'étions pas à la conférence de six heures cinq. En revanche, nous étions à celle de six heures quarante-cinq. En toute transparence, nous avons eu un petit cafouillage au début. Il a fallu que nous prenions la mesure de cette catastrophe. Notre site étant sur Internet, nous avons ouvert un direct et nous l'avons alimenté tout de suite par les informations que nous avions récupérées de la préfecture et de différentes sources.
Nous avons vu très vite des fake news apparaître. Nous avons pu en démentir certaines tout de suite sur Twitter, mais nous avons pris le parti de traiter l'information la plus urgente, notamment tout ce qui concernait la dangerosité de la catastrophe, puisque cela pouvait avoir des conséquences dans la ville. Nous avons vraiment commencé à alerter nos internautes sur ces fake news dans un deuxième temps, dans l'après-midi.
Pour nous, le vrai sujet a été celui des fake news. Les questions à leur propos sont de fait pertinentes. L'un d'entre vous a souhaité savoir comment l'on pouvait démonter une fake news. Il faut déjà comprendre qui en est l'émetteur. Sur un fil Facebook, nous sommes en concurrence directe avec les fake news. Il y a un vrai enjeu à les déconstruire. Nous nous livrons une bataille algorithmique avec leurs auteurs pour être ceux qui vont être affichés en premier sur le fil de nos lecteurs. Quand nous nous y sommes attaqués, nous avons facilement réussi. Sur le web, la tâche est plus difficile.
Généralement, plusieurs personnes mettent en ligne au même moment une photo fake news, mais il est extrêmement difficile de retrouver l'émetteur parmi elles. Lorsque nous n'y parvenons pas, cela est généralement mauvais signe. Il y avait une fake news avec des oiseaux morts au pied d'un bar. Nous avions beaucoup de mal à nous faire confirmer la véracité de cette photo, parce que nous n'arrivions pas à savoir qui l'avait prise. Nous avons essayé de joindre les personnes concernées, celles qui ont réseauté ce cliché. Nous avons essayé par ailleurs d'appeler la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), les organismes compétents en la matière qui pourraient avoir recensé des oiseaux. Il est beaucoup plus difficile de prouver qu'une information est fausse que d'expliquer une information réelle.
Nous avons eu un interlocuteur légitime à la métropole, qui a pu nous dire qu'il n'y avait pas de problème avec l'eau potable. Nous étions légitimes à le dire sur les réseaux et cela a beaucoup marché, parce que les gens attendent des déconstructions de fake news.
Nous avons une problématique un peu différente, puisque nous ne sommes pas sur le territoire rouennais. Nous sommes aux frontières. Nos lecteurs se sont retrouvés un peu piégés, malgré les bonnes informations de nos confrères. En effet, des gens de Barentin, de Duclair, sont allés travailler à Rouen, parce qu'il n'y avait pas d'information officielle à ce sujet. Ils se sont retrouvés dans des situations très différentes. Quelquefois, leur employeur leur ont dit : « Nous ne travaillons pas dans ces conditions, cela peut être dangereux ». D'autres employeurs ont indiqué qu'il n'y avait pas d'information officielle de la préfecture.
Le jeudi matin, nous pouvions donner des informations sur ce qui se passait sur l'incendie mais nous étions incapables de dire : « Ce n'est pas dangereux » ou « Ne venez pas, faites attention ». Nous ne pouvions relayer que la parole officielle. Nous ne pouvions pas interpréter cela directement. Le fait que nos élus locaux n'ont pas été informés avant huit heures, neuf heures, voire dix heures a posé un problème supplémentaire. Chacun a eu sa réponse aux questions des administrés qui leur demandaient : « Est-ce que nous pouvons aller à Rouen ? Est-ce que des bus pour Rouen partent de Caudebec, de Duclair ? ». Je parle de l'information officielle, je ne parle pas des informations journalistiques. Nous sommes sur la vallée de Seine, nous ne sommes pas rouennais. Les gens concernés auxquels nous nous adressions étaient, dans un premier temps, ceux qui vivent autour des zones de Port-Jérôme et de Gonfreville puis, dans un second temps, ceux exposés aux retombées des fumées.
Je suis rédacteur en chef adjoint de Paris Normandie qui est un quotidien régional qui couvre la Seine-Maritime et l'Eure. Il compte cinq éditions en Seine-Maritime et deux dans l'Eure. Nous disposons d'un site Internet, d'une section vidéo et d'une rédaction d'environ 90 journalistes professionnels.
La nuit de l'incendie, le 26 septembre, Baptiste Laureau, le rédacteur en chef-adjoint chargé des faits divers, a reçu un coup de fil aux alentours de trois heures, trois heures dix du matin. Aussitôt prévenu, il a envoyé une première équipe sur place, composée d'une journaliste « fait-diversière », d'un vidéaste et d'une photographe. Très rapidement, moins d'une heure après le début de l'incendie, nous avons pu mettre en ligne un premier papier. Jusqu'à six heures du matin, heure de la première conférence de presse audio, nous n'avons pas eu besoin de la préfecture. Nous avons fait nous-mêmes nos vérifications en allant sur place. Ensuite, nous avons suivi toutes les conférences de presse de la journée. Deux journalistes de la rédaction web sont restés à la préfecture pour les diffuser en direct, dans un souci de transparence totale par rapport aux lecteurs et aux internautes qui étaient vraiment en recherche d'informations. La fréquentation de notre site Internet a fait un bond ce jour-là, puisque les gens se demandaient ce qu'il se passait.
Vous parliez de fake news. Il nous appartient de les vérifier et d'aller sur le terrain pour apporter l'information la plus juste et c'est ce que nous avons fait. Très rapidement, nous avons expliqué dans un article paru sur le web qu'il fallait se méfier des fake news. Mes collègues ont parlé tout à l'heure des fake news d'oiseaux morts et de poissons morts. Nous les avons toutes vérifiées et contrecarrées. Dès les premières heures du jour, nous avons vu apparaître des vidéos. Vous avez tous vu celle d'une explosion. En fait, il s'agissait d'une explosion en Chine, qui n'avait rien à voir avec Lubrizol.
Ghislain a souligné la particularité de cette journée, puisqu'à midi, nous apprenons le décès de l'ancien Président de la République. Évidemment pour nous, il s'agit d'une information importante. Nous étions déjà lancés sur Lubrizol avec une mobilisation formidable et exceptionnelle de toute la rédaction. À midi, il a fallu faire des choix. Notre direction a fait le choix de faire deux cahiers ce jour-là – ce qui est techniquement une prouesse. Nous avons délégué une équipe au supplément sur Jacques Chirac.
Il s'est ajouté une autre difficulté, puisque nos bureaux étaient situés dans le périmètre de sécurité, celui des 500 mètres interdits. Il a fallu s'organiser autrement. Nous nous sommes délocalisés à la rédaction de la rue Grand-Pont, c'est-à-dire à la rédaction locale. Certains travaillaient à distance, ce qui a été mon cas. Il a fallu tenir compte de tous ces éléments.
France 3 Normandie fait partie du réseau régional de France 3. Deux antennes, une à Rouen et l'autre à Caen couvrent les cinq départements normands. L'antenne de Rouen est suivie dans les départements de la Seine-Maritime et de l'Eure par environ 70 000 téléspectateurs le midi et 115 000 en moyenne le soir. L'audience Internet de France 3 Normandie se développe et elle est suivie par une forte communauté Facebook.
Pour reprendre la chronologie, nous avons été avertis assez rapidement. Le nouveau centre de France 3 était sur la trajectoire du panache de fumée. Notre gardien de nuit a alerté le rédacteur en chef-adjoint de permanence. Au vu du côté hors normes de ce panache, une équipe de reportage a pris la route dès trois heures du matin et s'est rendue sur place assez rapidement. D'ailleurs, nous étions la première télévision. Les images vues sur toutes les chaînes de télévision, et notamment les explosions, venaient de notre équipe. Cette équipe a fait un premier Facebook Live à trois heures trente du matin. Ensuite, une deuxième équipe est partie à six heures trente. Nous faisons partie du groupe France Télévisions. Nous avons alimenté France Info télé et Télématin sur France 2 par des directs télévisés ou par téléphone. Notre site Internet répercutait toutes les informations que nous pouvions avoir. À dix heures quarante-quatre, nous avons pris l'antenne pour faire un flash info de cinq minutes. En temps normal, à cette heure, nous n'avons pas l'antenne pour de l'information, mais pour une émission de divertissement. Ensuite, nous avons fait deux éditions spéciales : une de 25 minutes à midi et une de 30 minutes le soir. Nous avons consacré 95 % du temps d'antenne de nos éditions spéciales à ce sujet et les 5 % restants à la mort de Jacques Chirac.
S'agissant des relations avec la préfecture, lorsque mon adjointe tente de l'appeler vers trois heures trente, trois heures quarante-cinq, le standard sonne occupé et elle n'arrive à joindre personne. Elle finit par avoir l'adjoint chargé de la communication vers quatre heures quinze. Il lui indique qu'une cellule de crise s'organise avec, dès que possible, un point en audioconférence. Il aura lieu à six heures. Ensuite, il y en a eu d'autres très régulièrement auxquels nous avons participé.
Au départ, la préfecture était en train de gérer une situation de crise. Elle n'avait pas tous les éléments et ne pouvait pas tout communiquer aux journalistes. C'est notre travail d'aller sur le terrain pour voir et pour prendre l'information. Le plus compliqué était le décalage entre un discours un peu édulcoré et apaisant, disant : « Tout va bien, l'air n'est pas pollué. Il n'y a pas de danger ! » et le ressenti de la population. Nous avons tous perçu ce décalage que la population a dénoncé en manifestant. Le personnel de France 3 était directement concerné. Nous étions sous le panache de fumée et au milieu d'odeurs qui provoquaient des migraines et, pour certains, quelques nausées. Nous avons ressenti le décalage entre une odeur forte, une fumée très importante et le discours officiel de la préfecture. Elle nous donnait les informations qu'elle avait, mais son discours avait ce côté « Tout va bien » de celui tenu pour ne pas affoler la population. D'ailleurs, c'est sans doute son rôle. Nous le relayions. Mais nous n'avons pas manqué de montrer les doutes que nous avions et que la population partageait. La suite a démontré que la population mettait vraiment en doute la parole officielle.
Je suis arrivé en Normandie un tout petit peu après le préfet. Son discours apaisant était en décalage avec les policiers que nous montrions portant des masques de protection, et aussi avec les odeurs que nous sentions. Nous avons essayé de les qualifier et de nous renseigner sur leur provenance.
Nous parlons beaucoup des fake news. La première des défenses est de ne pas les relayer et de commencer à faire son travail de vérification, sans forcément être dans la précipitation. À France Télévisions, en dehors de tout ce que nous mettons en place pour lutter contre les fake news, nous nous attachons beaucoup à donner une information vérifiée, quitte à la retenir lorsque nous n'en sommes pas complètement sûrs. Il faut prendre en compte les attentes de la population. Il est compliqué de ne pas participer à l'amplification des doutes, et en même temps, de s'interroger sur la « véracité » des termes parfois un peu flous des communiqués préfectoraux.
Nous avons eu à commenter l'événement tout en le vivant. Lorsque l'on est envoyé spécial, on arrive et on est un peu vierge de tout. Là, nous avons un personnel qui n'était pas seulement journalistique mais aussi technique, administratif, de paie et de gestion, composé de personnes qui avaient de la famille sur place, qui ont eu pas mal d'interrogations, qui ont reçu des informations des écoles et d'un certain nombre de sources différentes qui nous ont posé pas mal de problèmes. Nous nous organisions pour donner l'information la plus exacte possible, mais nous nous demandions aussi comment protéger les salariés de notre structure.
Comme nous étions directement sur la trajectoire du panache de fumée, nous avons fait le choix de quitter nos locaux et de nous organiser avec une autre station, à Caen, pour que toute l'information soit relayée avec un maximum de sécurité pour les populations. Nous avons demandé aux personnes exerçant des fonctions support d'évacuer et de rentrer chez elles. Cela a généré une petite incompréhension avec les services de la préfecture. Je peux comprendre le point de vue du préfet qui pense qu'en évacuant une station, nous pouvions paraître contradictoires et contribuer à un mouvement de panique ou d'angoisse. Cependant, pour moi, cela allait dans le sens d'une meilleure protection des salariés de France 3.
Nous avons fait le choix de nous délocaliser à Saint-Sever, sur l'autre côté de la rive gauche. Au début, il y a eu un peu de confusion dans les communications, mais sur le long terme, elles se sont plutôt bien déroulées. Nous avons eu un certain nombre d'informations des responsables de l'usine sur les produits qui brûlaient. Nous avons également interrogé un grand nombre de scientifiques sur les conséquences à long terme du panache de fumée. Tout n'est pas résolu pour l'instant. Notre difficulté était d'avoir un personnel qui, parti le matin « la fleur au fusil », s'est exposé. Il nous fallait donner de l'information tout en protégeant la sécurité de nos salariés. Les pistes d'amélioration doivent porter sur comment mieux travailler sur ce genre d'événement en offrant à nos salariés la plus grande sécurité qui soit.
L'article 8 de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile dit qu'en cas : « de risque majeur ou de déclenchement d'un plan d'Organisation de la Réponse de Sécurité civile (ORSEC) justifiant d'informer sans délai la population, les services de radiodiffusion sonore et de télévision sont tenus de diffuser à titre gracieux, dans les conditions fixées, les messages d'alerte et consignes de sécurité liés à la situation ». En 2006, puis en 2009, France Télévisions a signé des conventions nationales à ce sujet. Ensuite, nous les avons déclinées département par département. Celle de Seine-Maritime a été signée en 2013. Nous ne pouvons pas les décliner régionalement, parce que les préfets de région n'ont pas de compétence en matière de sécurité civile. Il s'agit d'une alerte de la population qui est totalement déconnectée de l'éditorial, c'est-à-dire que nous pouvons recevoir des messages et les diffuser sous forme de bandeaux sur les programmes nationaux en pleine journée. Hasard du calendrier, depuis cet été, nous sommes en train d'actualiser la convention nationale pour prendre en compte les nouvelles technologies et essayer de simplifier les process. Le dispositif qui existe déjà à France Télévisions et à Radio France peut être activé par l'autorité préfectorale, si elle le souhaite.
Je suis rédacteur en chef adjoint au Courrier Picard. Nous sommes présents sur la Picardie, l'Oise, l'Aisne et la Somme essentiellement, et puis sur une petite partie de Seine-Maritime, car nous avons un bureau à Mers-les-Bains, à 200 mètres du Tréport. À ce titre, nous couvrons ce secteur, mais cela est très résiduel. Nous sommes très excentrés par rapport à Rouen. Nous n'avons rien vécu dans les premières heures, si ce n'est le premier envoi d'e-mails de la préfecture de Seine-Maritime à cinq heures ou six heures moins le quart. Ensuite, nous avons été conviés à la conf call de six heures quarante-cinq. Nous avons réagi sur le web.
Je peux surtout vous parler des fumées qui ont atteint le nord de l'Oise et la Somme le jour suivant et de l'inquiétude qu'elles ont suscitée dans la population. Nous avons eu une communication d'ATMO Hauts-de-France le 27, vers treize heures dix sur le phénomène des suies, dont nous avions déjà commencé à parler, puisque nous avions déjà des lecteurs qui nous avaient interpellés à ce sujet. Des journalistes étaient partis constater qu'effectivement, il y avait des suies et que les réserves d'eau de certains particuliers étaient couvertes de suies. Cela inquiétait beaucoup les gens. Dans le communiqué d'ATMO, ces suies très anxiogènes pour la population n'étaient mentionnées ni dans le titre ni dans le corps du communiqué, mais évoquées seulement à la fin.
Nous nous sommes rendu compte qu'il était nécessaire d'éduquer la population au sujet des sites Seveso, parce que peu de personnes, y compris les élus et les maires qui sont en première ligne, savent ce qu'est un site Seveso « seuil haut » ou « seuil bas ». Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait un décalage. Comme d'autres confrères, nous avons publié des cartes des sites de notre région.
En ce qui concerne la préfecture avec laquelle nous avons communiqué, c'est-à-dire celle de la Somme, puisque le siège du journal est à Amiens, nous avons eu des refus que nous aurions préféré ne pas avoir. Nous avons demandé à assister à un prélèvement et cela nous a été refusé. Nous pensons qu'il n'était pas judicieux de le refuser. De plus, nous avons eu essentiellement des e-mails. La communication était donc assez impersonnelle sur cette affaire. Nous avions du mal à avoir des gens. Il y avait quand même un côté administration et parapluie !
Par ailleurs, un téléphone a été mis en place pour que les gens appellent. Nous voulions assister à cela pour savoir comment les gens répondaient, quelles questions les gens se posaient, mais cela n'a pas été possible non plus.
Nous avons surtout fait des papiers après l'événement, sur les problèmes des agriculteurs, parce que nous en avons beaucoup dans la région. Ils avaient le sentiment, à tort ou à raison, d'être un peu délaissés. Cela étant, tout ce qui est mis en place ne suffit jamais dans ce type de situation. Ils se demandaient ce qu'allait devenir leur production. Le temps des études et des analyses leur a semblé long. Christiane Lambert de la FNSEA était en visite dans l'Oise et dans la Somme. C'est elle qui nous a appris, le 14 octobre, que les producteurs de lait allaient pouvoir redémarrer leur activité. Ensuite, ce fut le tour des producteurs de fruits et légumes. Nous avons eu des cas très concrets d'agriculteurs qui se posaient les mêmes questions que nous. Je me souviens d'un monsieur qui était obligé de stocker la production d'un champ partagé entre deux communes dont l'une était dans le périmètre et pas l'autre. Il se demandait comment il allait ensiler et s'il devait séparer le champ en deux. Nous nous posions les mêmes questions que la population.
Nous avons beaucoup parlé à la fois dans les questions et dans les réponses des fake news. Au regard de l'expérience qui est la vôtre, avez-vous le sentiment que cela va plutôt en se dégradant, c'est-à-dire qu'il y a de plus en plus de fausses informations ?
Vous avez évoqué la dimension des réseaux sociaux. Vous y êtes présents, sous une forme ou sous une autre. Il existe, sur certains de ces réseaux sociaux, des forums qui sont un vivier de diffusion, de propagation de fausses informations. Vos forums ont-ils des régulateurs ? Avez-vous des personnes dédiées pour répondre aux questions posées ?
Le rôle que joue certains d'entre vous dans les dispositifs d'alerte, je pense notamment à France Bleu, a été rappelé. Des sirènes indiquent qu'il faut rester chez soi et écouter la radio. Quelle est la frontière entre l'acteur et le commentateur d'un événement ? Vous êtes un peu les deux à la fois. Comment voyez-vous cela ? Avez-vous eu des retours de la part de vos lecteurs, de vos auditeurs, des habitants en général, sur votre traitement de l'information ? À partir de ce retour, avez-vous le sentiment d'être un biais de confiance ?
Nous avons évoqué le comportement et les attitudes que chacun doit avoir. Avez-vous déjà été associés à des exercices d'alerte grandeur nature ? Comment cela se passe-t-il concrètement ? Si tel est le cas, avez-vous le sentiment qu'il y a encore des choses à améliorer ? L'approche de l'exercice correspond-elle à l'événement concrètement vécu à ? Pouvons-nous encore mieux faire ?
Les trois principaux organes de presse sont physiquement dans un périmètre de 500 mètres les uns des autres, ce qui, en cas de situation très particulière, peut poser un problème. En effet, s'il arrive un incident dans le coeur de Rouen, cela peut empêcher Paris Normandie, France Bleu et France 3 d'avoir les moyens d'informer la population. Je sais que vous avez des systèmes de redondance pour éviter ce genre de situation, mais c'est quand même un point qui est non négligeable.
De plus, vos salariés ont été victimes de cette situation en même temps qu'ils devaient relayer les informations et la situation. Même si le devoir du journaliste est de se mettre en déport de ses sujets et de garder son objectivité, cela doit quand même avoir un impact et jouer forcément sur l'état des personnes quand elles doivent écrire des articles.
Monsieur Lefèvre, vous avez dit que, selon vous, le préfet avait une communication très rassurante, sur le ton du « Tout va bien, Madame la Marquise ». Je voudrais savoir si ce sentiment est partagé par les autres organes de presse.
Si j'ai bien compris, la préfecture a d'abord communiqué avec la presse par des conférences de presse organisées de manière quotidienne pendant les 15 premiers jours, puis sur un fil plus détendu, quand l'actualité était un peu moins prégnante. Est-ce qu'il y avait une autre manière d'échanger avec la préfecture ? Aviez-vous un interlocuteur privilégié à qui vous pouviez poser des questions, parfois très techniques, et qui vous mettait ensuite en relation avec les bons interlocuteurs dans les services de l'État ? Comment avez-vous relayé l'information transmise par la conférence de presse ?
Nous avons bien vu que vous la communiquiez sur les réseaux sociaux. Mais ensuite, comment la communiquiez-vous dans vos différents organes de presse ? Lorsque l'on a des petites pastilles de trois minutes sur France Bleu ou sur France 3, comment peut-on condenser tout un tas d'informations diffusées, dans les premiers jours, sur l'ensemble des sujets qui sont à traiter ? Comment avez-vous pu mettre en place votre communication, au-delà des réseaux sociaux, pour que l'ensemble de vos auditeurs et lecteurs puissent être informés de ce qui était communiqué dans ces conférences de presse ?
En cas de situation de crise, vous êtes le relais des pouvoirs publics. J'habite à côté d'une centrale nucléaire, je sais très bien que si les sirènes se mettent à sonner, je dois allumer France Bleu. À ce moment-là, le Service interministériel régional des affaires civiles et économiques de défense et de protection civile (SIRACEDPC) doit transmettre des consignes à la population. Il peut s'agir de consignes de sécurité, de confinement, de déplacement, d'autres consignes relatives au fait de se rendre au travail ou encore d'accompagner ses enfants à l'école. Je voudrais savoir si vous aviez eu des consignes à diffuser, et dans l'affirmative, à quelle heure vous les aviez eues et si elles vous étaient données par audioconférences ou par d'autres canaux de communication.
Au-delà de cette catastrophe, pouvez-vous nous parler de l'expérience que vous avez et qu'ont vos équipes de la couverture de l'activité industrielle, et notamment de l'activité industrielle à risques ? Leurs problématiques ne relèvent pas forcément de l'exceptionnel. Les dirigeants et les salariés sont, dans ces milieux industriels, assez raides ! Comment, dans ces filières, avez-vous accès à la matière qui vous permet de traiter une question environnementale ou une question sociale ?
Dans les jours qui ont suivi l'accident, un certain nombre de résultats d'analyses ont été publiés sur le site de la préfecture, des résultats parfois assez denses et assez techniques. Je voulais vous demander si des experts ont été mis à votre disposition pour vous aider dans leur interprétation ou si, au sein de chacune de vos rédactions, vous avez soit des experts locaux, soit des experts nationaux qui peuvent venir vous aider dans une situation de ce genre où vous pouvez être amenés à faire des lectures de dossiers très techniques, très spécifiques.
Nous avons eu accès, comme tout le monde, aux différentes analyses qui sont des dossiers très épais. Aucun d'entre nous, en tout cas à Paris Normandie, n'est ingénieur, chimiste ou toxicologue. Comme vous nous lisez chaque jour, vous avez forcément constaté que nous avons interrogé des experts, M. Picot et M. Poitou notamment. Nous nous entourons d'experts, parce que nous ne savons pas analyser ce genre de résultats. D'ailleurs, c'est ce que nous avons fait pour la première liste de produits de Lubrizol. Nous avons tout fait analyser, nous avons tout décrypté et nous avons tout diffusé pour que les lecteurs et les internautes puissent avoir accès à cette information.
Que les rédactions de France 3, France Bleu et la nôtre soyons situés dans un périmètre de 500 mètres n'est pas un problème. Nos outils informatiques, en tout cas en presse écrite, en web et en vidéo, nous permettent de travailler de n'importe où. Nous en faisons chaque jour la démonstration. Pour nous, cela n'a pas été une difficulté supplémentaire. Les journalistes sont en général des gens habiles et agiles, qui savent s'adapter à toutes les situations. La rédaction de Paris Normandie a su en faire la démonstration sans difficulté.
Entre six heures et six heures et demie, le préfet a indiqué à l'antenne qu'il fallait limiter les déplacements et que les écoles étaient fermées dans 11 communes. D'autres établissements ont décidé de fermer d'eux-mêmes. Dans les appels de personnes et de chefs d'établissement, nous avions du mal à trier les initiatives personnelles et les communes qui étaient dans le périmètre décidé par la préfecture. Nous avons eu énormément d'appels puisque nous avions le préfet en direct. J'ai le souvenir d'une dame qui demandait : « Qu'est-ce que je fais pour la crèche ? », le préfet lui a répondu directement : « La crèche est fermée aussi ». Nous avons vraiment eu ce discours et cette interactivité entre nos auditeurs et la préfecture.
À France Bleu, nous avons un plan de continuité d'activité (PCA). Si nous sommes amenés à ne plus être en capacité d'assurer nos émissions de radio depuis le site au pied du pont Guillaume, nous avons des procédures pour les reprendre depuis Caen ou des relais comme la Maison de la Radio à Paris.
Nous avons travaillé sur les résultats d'analyse avec Radio France, France info et France Inter. Des journalistes dépêchés par Radio France sont passés à la rédaction et nous nous sommes réparti les sujets et les experts. Nous avons beaucoup échangé et cela a permis de rendre un travail de qualité.
Nous avons partiellement déclenché notre PCA lorsque nous avons fermé notre site de Rouen. Caen a pris le relais.
Concernant la frontière entre acteurs et commentateurs, les deux rôles sont, chez nous, bien dissociés. L'alerte de la population ne dépend pas de la rédaction. Si nous devions informer les gens, le bandeau serait « sourcé » au nom de la préfecture. Les rédactions pourraient enquêter et continuer à travailler de manière totalement autonome. Cela est un peu comparable à l'« Alerte enlèvement ». Il s'agit d'un message particulier, émis avec une charte graphique que nous sommes justement en train de remettre à jour dans la nouvelle convention qui doit sortir en début d'année prochaine.
Fréquemment, sur le territoire national, nous sommes associés à des exercices de simulation. Le dernier était à Strasbourg. Il s'agit de quelque chose qui fonctionne. Dans le cas présent, nous n'avons pas été activés par la préfecture pour passer des bandeaux d'information, de confinement ou autres.
Nous avons également relancé des formations. Nous avions, pour les journalistes, des formations sur des sites à risque, notamment sur les risques nucléaires ou chimiques concernant des sites classés en « SEVESO ». Nous sommes en train de les réinscrire dans les catalogues.
Nous nous sommes posé des questions sur la manière de protéger les équipes à Rouen. Couvrir ce type d'événement sans se mettre en danger est un travail mené notamment par mes collègues.
Nous n'avons pas du tout été alertés. Il n'y a pas eu de consigne officielle ou de message officiel donnés par la préfecture en ce qui nous concerne.
Comment faisons-nous si nous sommes impactés ? Grâce à notre site Internet et aux réseaux sociaux, nous pouvons travailler de n'importe où. Par ailleurs, nous avons la chance d'avoir une deuxième antenne en Normandie, celle de Caen. Avec les moyens techniques du direct, nous sommes capables relayer des directs de n'importe où depuis la régie de Caen.
Les résultats qui ont été donnés un peu tardivement sur le site de la préfecture étaient absolument illisibles pour nous. Nous étions incapables de les expliquer Dans ce type de situation, nous faisons appel à des experts. Nous en avons eu quelques-uns en invités. J'ai même envoyé une équipe au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour discuter, sur place, avec des experts. Nous avons fait une longue interview de trois minutes pour qu'ils nous expliquent ce qu'étaient ces produits, mais surtout – parce que cela n'était pas donné dans la communication officielle – ce que pouvaient donner ces produits une fois mélangés et après combustion. Deux spécialistes nous ont donné des informations précises.
Bien évidemment, nous prenions garde aux réseaux sociaux, comme nous le faisons régulièrement. Lorsque nous sommes face à un événement aussi important, qui peut donner lieu à des messages haineux et à des fake news, nous alertons les modérateurs du siège de France Télévisions qui peuvent intervenir à tout moment pour bloquer tout message haineux. Ils sont particulièrement vigilants.
Nous assistions régulièrement aux conférences de presse du préfet, parce que c'était une source d'information. Nous ne nous faisions pas forcément le relais de la parole du préfet, mais nous allions y chercher les informations dont nous avions besoin. Il y a plusieurs façons de les utiliser. Soit nous les utilisions pour gérer les sujets, soit nous en faisions état dans un direct avec un journaliste sur place, soit nous faisions quelques images et un bout d'interview du préfet sur des points précis. Les conférences de presse entre le préfet et le directeur de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) étaient un peu longues et souvent un peu techniques. La présence des équipes sur place permettait de dire : « Il y a telle ou telle information à retenir » ou « Il n'y a rien de nouveau ».
Ce jour-là, le département de Seine-Maritime devait siéger. J'étais ici et j'ai appelé mes collègues du Havre à six heures pour leur dire : « Ne partez pas ». Ils m'ont répondu : « Non, nous venons quand même ». À sept heures et quart, le département n'avait toujours pas l'information. Je partage votre avis sur un process alerte enlèvement, sur la culture du risque, sur la gestion de crise que n'ont pas forcément nos concitoyens et le réflexe de se mettre à écouter la radio ad hoc. À la lumière de tout ce qui s'est passé, je ne suis pas sûre que tout le monde écoute France Bleu ou encore Radio Cristal. Nous pensons que c'est notre mode de fonctionnement, mais si nous poussons un peu plus loin, je pense que tous nos concitoyens ne sont pas sur Twitter à longueur de temps. Je crois qu'il faut aussi prendre du recul pour avoir les bonnes informations et réfléchir à des mesures de culture de gestion de crise qu'il conviendrait de prendre. Il faut savoir où et comment aller chercher l'information. Selon vous, quels sont les moyens à mettre en oeuvre ? Nous voyons bien que le dispositif de l'« Alerte enlèvement » est quelque chose qui fonctionne assez bien. Il est important d'apprendre à gérer ces phénomènes.
De ce que j'ai pu entendre, vous n'avez eu aucune information du SIRACEDPC quant aux consignes à diffuser à la population. Les seules consignes diffusées l'ont été directement par le préfet, sur l'antenne de France Bleu, aux alentours de six heures trente, le jeudi matin. En tant que professionnel de la communication, par rapport à un retour d'expérience sur d'autres événements, pensez-vous que le mode de communication choisi directement par le responsable des opérations de secours était le bon ? N'aurait-il été pas été préférable de passer par un mode de communication lié à votre métier de journaliste ?
Les conférences de presse du préfet étaient prévues tous les soirs, puis elles se sont échelonnées un peu plus. De ce fait, lorsque nous avions des questions à poser à la préfecture en journée, ces questions étaient régulièrement notées et traitées le soir. Lorsque nous avions des questions sur des problèmes urgents, typiquement ceux posés par les fake news, la réponse de la préfecture ne nous était pas donnée dans l'instant. Nous devions attendre la réponse de la préfecture le soir pour pouvoir les démonter. Ce petit laps de temps fait que nous subissions la communication. La question du rôle des médias doit être débattue.
N'y avait-il donc pas d'interlocuteurs pour répondre à ces questions un peu plus rapidement ?
Tout à fait. Les questions étaient notées et traitées le soir en conférence de presse.
Ne serait-il pas judicieux de mettre en place un interlocuteur privilégié de la presse locale, qui aurait uniquement pour but de faire des allers-retours avec vous ?
En laissant de l'attente et donc de l'incertitude, nous créons des espaces propices aux fake news. Je pense qu'il faudrait fluidifier le dispositif pour que nous ayons plus rapidement les réponses aux questions formulées et ainsi répondre plus facilement aux internautes, en enlevant ces espaces propices aux fake news. Les fake news sont une conséquence de ces petits laps de temps. Ils ne sont pas énormes, mais ils sont, à mon sens, importants.
D'une façon plus générale, dans les premiers jours, j'ai eu l'impression que la communication de crise s'adressait plus aux secours et à l'industriel qu'aux habitants. Cela s'est vu lorsqu'il a été dit qu'il n'y avait pas de toxicité aiguë et que les sapeurs-pompiers pouvaient intervenir. Je ne sais pas si vous partagez mon ressenti. J'en ai discuté avec des gens travaillant dans la communication de médecine de catastrophe, celle sur la toxicité aiguë ne répondait pas aux questions des populations qui se demandaient : « Qu'est-ce que j'inhale ? Qu'est-ce que sont ces suies ? ».
Je comprends le fait de vouloir centraliser la communication de la préfecture. Cela étant, un jour, il y a eu une conférence de presse des sapeurs-pompiers à Yvetot, en même temps que la conférence de presse du préfet, et comme nous sommes à Yvetot, nous sommes allés au plus près. Nous avons envoyé un journaliste qui a attendu deux heures, tout comme les autres journalistes de médias nationaux, pour finalement entendre les sapeurs-pompiers dire : « Nous avons reçu un ordre d'au-dessus, nous ne faisons pas de conférence de presse. En effet, le seul qui est habilité à parler est le préfet ! ». Imaginez un peu le ressenti du journaliste qui a attendu deux heures et à qui l'on dit, dès qu'il interviewe une personne sur le terrain : « On nous ment, on nous cache des choses ». Vous ne pouvez pas vous demander pourquoi il ne relativise pas. Un journaliste est aussi un être humain. En presse locale, nous sommes particulièrement des acteurs de notre territoire et nous réagissons aussi par rapport à cela.
Pour terminer, nous avons une zone très large entre Gonfreville, Port-Jérôme et la centrale de Paluel. Effectivement, au quotidien, nous parlons beaucoup avec les industries et surtout la plupart de nos lecteurs sont des gens qui y travaillent directement comme salariés ou comme sous-traitants. Si nous prenons comme exemple une fumée chez Exxon Mobil ou un incident déclaré à Paluel, ce n'est pas toujours simple d'avoir un interlocuteur qui vous réponde rapidement, c'est-à-dire qui ne laisse pas le temps de latence aller jusqu'à l'interrogation. Nous sommes souvent confrontés à des « Tout va très bien, Madame la Marquise… ». C'est la manière dont Paluel a communiqué sur l'incident du générateur qui était tombé. Ils ont dit : « Cela peut arriver. Il s'agit d'un incident, mais personne n'a été blessé ». Tant mieux si personne n'a été blessé. Cela étant, je ne sais pas si vous imaginez ce que pensent des gens à qui l'on répète à longueur de journée : « Ne vous inquiétez pas, nous sommes sécurisés. Il n'y a pas de souci, continuez à aller à l'école, etc. », mais à qui l'on n'explique pas comment le générateur est tombé. D'un côté, nous disons que cette entreprise nous indique qu'il s'agit d'un incident qui ne remet pas en cause sa rigueur générale, et de l'autre, quand vous parlez aux habitants, on vous dit : « Très bien, vous me racontez cela, mais comment se fait-il qu'il soit tombé ? ». Nous parlions du rôle des médias, nous sommes entre les deux ; c'est-à-dire que nous vivons sur le territoire et nous parlons du territoire.
Il est vrai que le mercredi 16 octobre se tenait la conférence de presse quasi quotidienne du préfet. Toutes affaires cessantes, nous sommes partis au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) à Yvetot pour suivre cette soi-disant conférence de presse des pompiers. Nous n'avons pas d'explications sur l'annulation ou la non-tenue de cette conférence de presse des pompiers. En ce qui nous concerne, il y a également eu une demande de reportage pour lequel nous avons essuyé un refus. En effet, nous avions sollicité le SDIS pour faire un reportage auprès des pompiers qui ont couvert l'incendie. Le colonel Lagalle avait donné son feu vert, mais finalement le reportage n'a pas pu se faire. Nous ne connaissons pas les raisons, même si nous pouvons faire quelques supputations.
Hormis ces deux épisodes, nous n'avons pas eu de difficulté particulière à accéder aux gens qui étaient susceptibles de nous donner de l'information, que ce soit du côté industriel, puisque dès le lundi 30, nous avons publié l'interview du président en France de Lubrizol, ou que ce soit du côté de l'administration, où la préfecture nous a globalement répondu. Bien évidemment, le temps médiatique n'est pas forcément le temps de l'administration ni le temps politique. Nous sommes souvent impatients, parce que nous vivons aussi sur place avec nos familles. Nous sommes les relais des inquiétudes et des impatiences qu'il peut y avoir dans la population. Le temps n'est donc pas forcément le même.
Nous ne savons pas si nous avons eu l'information nécessaire. On nous a donné l'information que l'on a bien voulu nous donner. Chacun d'entre nous est allé chercher ses propres informations. Chacun d'entre nous a son propre réseau, ses propres contacts, ses propres experts pour faire avancer le dossier.
Frédéric Henry, le patron de Lubrizol, signale le lundi que le feu ne vient pas forcément de chez lui, mais de l'entreprise d'à côté et cite Normandie Logistique. Il a fallu attendre plusieurs jours pour qu'enfin, la préfecture cite Normandie logistique. Jusqu'alors, elle n'était pas apparue dans sa communication. Que s'est-il passé précisément ? Nous ne savons pas, c'est un constat que nous avons fait.
Les gens réclamaient, sur les réseaux sociaux, une transparence de l'information. C'étaient les commentaires que nous avions le plus. Les personnes nous disaient : « Soyez transparents, dites-nous tout ; vous nous cachez des choses ». Nous avons choisi de faire des Facebook Live pendant les conférences de presse du préfet, c'est-à-dire que nous filmions le préfet en direct. Le lien était direct entre les gens et le discours préfectoral. Je me pose la question : est-ce que c'est notre rôle de faire cela ou est-ce que c'est le rôle de la préfecture d'être plus transparent sur les réseaux sociaux ? Je me pose vraiment la question de la transparence. L'invisibilité de la préfecture sur les réseaux sociaux m'apparaît comme un problème important.
Sur la culture de sécurité civile, notre rôle est l'éducation aux populations. C'est dans l'ADN du service public. Nous sommes beaucoup plus en avance dans les départements et collectivités d'outre-mer (DOM-COM) que sur le territoire métropolitain. Pourquoi ? Parce que depuis plusieurs années, les DOM-COM sont confrontés à des risques de cyclones. Par exemple, si je regarde le site de Guadeloupe 1ère, il y a des conseils et des informations pratiques sur : Que faire en cas de cyclone ? Où dois-je aller ? Comment dois-je me comporter ? Dans les DOM-COM, nous sommes aussi beaucoup associés aux exercices du ministère de l'Intérieur, ce qui permet de faire des reportages et d'expliquer aux gens comment cela se passe en cas d'incident majeur. Cela fait partie de cette culture qu'il faut effectivement développer et nous essayons de le faire.
Sur les bandeaux qui peuvent être diffusés à la télévision, en savez-vous plus techniquement ? Ces choses peuvent-elles être gérées de manière géographique, en fonction des pylônes de la télévision numérique terrestre (TNT) ? Je ne parle que de la TNT, puisque j'imagine qu'il est compliqué d'avoir une donnée géographique lorsqu'il s'agit du câble ou autres.
Nous ne pouvons pas le faire par pylônes, nous pouvons le faire uniquement par zone de diffusion. Par exemple, sur la région de Rouen, il s'agit de toute la Normandie. Cela peut être fait aussi au plan national. En cas d'alerte nationale, nous pouvons très bien diffuser sur toute la France, simultanément. Régionalement, nous pouvons diffuser et incruster ce bandeau même s'il y a un programme national. Nous pouvons aussi couper le programme en cours pour faire une émission spéciale ou un flash du type alerte enlèvement sur lequel nous sommes en train de travailler.
Sur les délais, notamment en ce qui concerne Normandie logistique, il s'agit un peu la même problématique que pour l'amiante. En effet, nous n'avons su que le vendredi soir qu'il y avait de l'amiante et nous avons diffusé l'information le samedi matin. Elle est arrivée par des lanceurs d'alerte. Au début, nous ne l'avons pas retenue, car nous souhaitions la vérifier auprès de la préfecture. Nous avons essayé de creuser et la préfecture nous a confirmé l'information. J'ai trouvé que cela arrivait un peu tard. Les toits ont brûlé dans la nuit du mercredi au jeudi et l'information n'a été diffusée que le samedi.
J'avais l'impression, notamment lors des conférences de presse de M. le préfet, que c'est une fois qu'un média sortait une information que la conférence de presse avait lieu pour s'expliquer à ce sujet. Nous avions l'impression que la conférence de presse était en réaction aux informations communiquées par les médias. Il est compliqué de parler de transparence lorsque nous ouvrons le fichier PDF de la liste des produits. À Radio Cristal, nous sommes moins nombreux et nous avons eu du mal à trouver un chimiste. Nous avons essayé de passer par l'université de Rouen qui nous a dit de voir avec la préfecture.
Julie Desbois. Tous les organismes indépendants nous ont dit : « La communication officielle se fait via la préfecture ». Comment fait-on quand on est une petite rédaction ? Nous étions frustrés de ne pas arriver à faire notre travail correctement, alors que l'attente des auditeurs était grande. La charge qui pèse sur les journalistes d'une petite radio comme la nôtre est conséquente. Il s'agit là d'une difficulté que nous avons rencontrée.
Pouvez-vous me dire qui a déjà participé à un exercice d'alerte ? Vos organes de presse ont-ils participé, sous une forme ou sous une autre, à un exercice d'alerte dans votre région ?
Nous oui, plusieurs fois. Plus particulièrement, le nucléaire nous a associés à un exercice, dans lequel il y avait même une participation à un jeu de rôle journalistique. Nous nous doutons bien que cela ne sera pas pareil en vrai, mais oui, nous l'avons fait. Il y a quelques années, nous avons aussi fait l'exercice d'un plan particulier d'intervention (PPI) à Notre-Dame-de-Gravenchon. Cela fait une dizaine d'années que nous n'y sommes plus conviés, en réalité, depuis la mise en place du plan Vigipirate renforcé. En tant qu'acteurs, nous n'en avons plus fait depuis une période de 5 à 10 ans.
Il est obligatoire pour les municipalités d'organiser ces exercices. J'imagine qu'à Rouen, sous le tunnel de la Grand Mare, cela doit être obligatoire. En tout cas, cela est obligatoire au Havre, sous le tunnel Jenner. Dans ce cas-là, nous sommes dans un jeu de rôles, et bien sûr, la presse est conviée à participer, parce que la relation entre les élus, les forces de sécurité et la presse, dans la transmission de l'information, est importante. La presse est généralement conviée à ce genre d'exercice obligatoire pour certains édifices.
Pour France Bleu, je confirme avoir été associé à un certain nombre d'exercices : le tunnel de la Grand Mare avec un accident grave, un accident ferroviaire, des enfants confinés dans une école. Cela arrive assez régulièrement.
La séance est levée à seize heures.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen
Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 14 h 30
Présents. - M. Damien Adam, M. Xavier Batut, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jean-Luc Fugit, Mme Sira Sylla, Mme Annie Vidal, M. Hubert Wulfranc
Excusés. - M. Pierre Cordier, Mme Stéphanie Kerbarh