Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Mercredi 10 novembre 2021
La séance est ouverte à seize heures trente.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête procède à l' audition des représentants de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête en recevant les représentants de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) :
– Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, sa directrice générale ;
– Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires,
– et M. Stéphane Vignot, conseiller médical innovation.
Mesdames, Monsieur, je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Ratignier-Carbonneil, M. Vignot et Mme Le Saulnier prêtent serment.
Je vous remercie de donner l'opportunité à l'ANSM d'être entendue par votre commission d'enquête. Le rôle de l'ANSM réside tant dans l'accès à l'innovation des patients que dans la garantie de leur sécurité, en tout point et en tout temps de l'utilisation des produits de santé. L'ANSM est engagée dans l'accès à l'innovation depuis de nombreuses années, comme en a témoigné la mise en place, il y a de nombreuses années, des autorisations temporaires d'utilisation (ATU), ancêtres de l'accès précoce. Ces ATU permettaient aux patients et notamment à ceux en impasse thérapeutique d'avoir accès à des produits avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM).
L'ANSM est impliquée dans tous les cycles du médicament, depuis les essais cliniques (notamment sur les thérapies innovantes et biotechnologies) jusqu'aux AMM. L'évolution des procédures européennes et notamment des procédures centralisées participe fortement à faire parvenir les innovations auprès des patients. L'ANSM est très présente au sein de l'Agence européenne des médicaments – European Medicines Agency (EMA). L'ANSM assure également le suivi, la surveillance et la sécurité du patient concernant les effets indésirables des produits ainsi que la sécurité de leur approvisionnement. Elle vise à garantir au patient un accès pérenne à son traitement. En cas de tensions ou de ruptures de stock, il est nécessaire de pouvoir offrir aux patients et aux professionnels de santé des alternatives face à la non-disponibilité d'un médicament. La localisation de la production est donc un enjeu important, notamment celle des traitements thérapeutiques complexes pour lesquels la France dispose d'une réelle valeur ajoutée.
L'accélération de l'accès à l'innovation, la sécurité des patients et l'accompagnement des professionnels de santé est au cœur de notre mission afin d'assurer la prise en charge la plus optimale possible aux bénéficiaires des traitements thérapeutiques. Les accès précoces rendent l'équilibre difficile entre l'efficacité présumée du médicament et la garantie de sécurité pour le patient.
Quel est le rôle de l'ANSM dans le cadre de l'EMA ? Qui sont vos interlocuteurs privilégiés ? Formez-vous un binôme avec l'Allemagne ? Quel est votre fonctionnement au niveau européen ?
L'EMA est une agence de coordination de l'ensemble des agences sanitaires nationales. Lorsqu'une demande d'AMM est soumise au niveau centralisé, ce qui est obligatoire pour tous les produits de biotechnologie, et que l'EMA y répond favorablement, la commercialisation du produit sera possible dans l'ensemble des États membres. Quand un industriel dépose une demande, deux agences sanitaires nationales sont désignées en tant que rapporteur et co-rapporteur afin d'évaluer en profondeur le dossier de demande d'AMM. Ainsi, la France a été désignée co-rapporteur du dossier pour le vaccin anti-Covid-19 Comirnaty de Pfizer. Le rapport émis par les deux agences nationales comporte des milliers de données concernant la qualité de la production, les essais précliniques sur l'animal et les essais cliniques. Ce rapport est ensuite adressé aux vingt-cinq autres États membres afin de recueillir leurs commentaires qui sont envoyés avec des listes de questions à l'industriel.
Un certain nombre de représentants de l'ANSM sont présents de manière constante au sein de différents comités européens qui se réunissent tous les mois. Il existe par exemple un comité sur les AMM, sur la sécurité, sur la pédiatrie ou encore sur les maladies orphelines. Chaque agence nationale envoie des délégués dont les évaluations sont échangées et discutées au niveau de l'EMA. Cette agence de coordination s'appuie sur l'ensemble des expertises des agences sanitaires nationales.
Il n'existe pas de couples de rapporteurs et co-rapporteurs prédéfinis, mais certaines agences sont spécialisées dans des champs spécifiques. La France est ainsi spécialisée en oncohématologie, en virologie, dans les maladies infectieuses et orphelines, lorsque certains États sont davantage spécialisés et compétents en cardiologie ou autres. L'hématologie et l'oncologie représentent entre 30 % et 35 % des AMM, car ce champ thérapeutique fait l'objet de nombreuses innovations. En amont, il existe également des avis scientifiques européens pour les industriels qui déposent des demandes pour de futurs développements. La stratégie intégrée et intégrative du groupe « avis scientifique » – Scientific Advice Working Party de l'EMA permet ainsi d'orienter les designs de développement des industriels.
Cette part européenne de procédures européennes évolue-t-elle ? Est-elle croissante en France ? Avez-vous le sentiment que tous les États fonctionnent de la même manière en Europe, ou observez-vous des tendances différentes ?
La part des procédures européennes est de plus en plus importante. Le règlement européen sur les médicaments impose une obligation de demande d'AMM en procédure centralisée pour tous les produits de biotechnologies. Ces derniers sont de plus en plus nombreux par rapport aux médicaments purement chimiques. Cette obligation concerne également les produits chimiques de certains champs thérapeutiques, comme l'oncohématologie, la virologie, ou les maladies neurologiques et orphelines.
Ces procédures européennes centralisées ont donc une place prépondérante, mais deux autres procédures européennes existent. Il s'agit de la reconnaissance mutuelle et de la procédure décentralisée. L'obtention d'une AMM dans un État peut permettre de commercialiser un produit dans d'autres États européens. Les industriels plébiscitent davantage les procédures européennes que les procédures nationales uniques. L'évaluation en procédure décentralisée est massivement utilisée. Un seul avis permet d'obtenir une autorisation dans plusieurs États à la fois. En 2020, un peu moins de 12 % des 973 AMM et enregistrements délivrés par l'ANSM relevaient d'une procédure nationale. La tendance s'est inversée depuis une vingtaine d'années. Notons que ces procédures centralisées ne lèsent pas la France qui est impliquée dans les évaluations.
Au cours de nos différentes auditions, nous avons entendu que les délais de délivrance des AMM étaient parfois trop longs en France par rapport à nos partenaires européens. La critique reste-t-elle valable si elle ne concerne que 12 % des AMM ?
Nous cherchons constamment à améliorer les délais d'AMM pour les procédures nationales même si seul un petit nombre de demandes sont concernées. Concernant les demandes centralisées, l'AMM étant délivrée par la Commission européenne, le délai n'incombe pas à l'ANSM. Cependant, les deux autres procédures européennes de reconnaissance mutuelle et décentralisée comportent une phase nationale de notification. Après la décision de l'ensemble des États membres suit une phase nationale d'appropriation et de notification de l'AMM. Nous avons mis en place un dispositif pour accélérer le délai de notification, qui s'élevait en moyenne à 19 jours en 2020 après que l'avis européen a été rendu. Ce délai, qui concerne 80 à 90 % des AMM, permet de vérifier l'ensemble des éléments tels que la notice ou le résumé des caractéristiques du produit. Les AMM nationales, dont nous cherchons à améliorer les délais, concernent très majoritairement les médicaments génériques.
Merci pour vos propos. Vous avez parlé des AMM. J'aimerais vous entendre sur le sujet des ATU, qui ont fait l'objet de nombreuses critiques de la part des industriels qui soulignent la complexité de la démarche française par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne. Ce sujet concerne également les patients, car il soulève la question de l'accès à l'innovation.
Les ATU ont fait l'objet d'une réforme de l'accès précoce déployée le 1er juillet 2021 dans le cadre de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021. La France avait été la première à mettre en place le dispositif d'ATU en 1994, au moment de l'arrivée des premiers traitements antirétroviraux pour le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Il avait alors été considéré qu'il n'était pas possible d'attendre des AMM pour offrir aux patients un accès précoce à ces traitements. L'accès précoce repose sur l'identification d'une présomption de bénéfice risque pour le patient, permettant d'indiquer qu'un délai dans la mise à disposition engendrait une perte de chance. Le dispositif préalable comportait une phase autorisation d'ATU par l'ANSM, mais également une phase de prise en charge, qui ne relevait pas de l'ANSM et n'était pas nécessairement octroyée. Or, ces produits innovants, qui permettent de répondre à un besoin thérapeutique non couvert, ne peuvent être accessibles aux patients s'ils ne sont pas pris en charge. La réforme de l'accès précoce à partir du 1er juillet 2021 met en place une décision intégrée avec la Haute autorité de santé (HAS) et l'ANSM. Les évaluateurs de l'ANSM rendent un avis sur la présomption de bénéfice risque avec le quantum de données limitées sur l'efficacité et la sécurité dont ils disposent. L'avis de la HAS sur la prise en charge est ensuite intégré. La décision finale est encadrée dans un délai de 90 jours.
Cette réforme permet une accessibilité réelle du patient aux produits innovants, facilitée par plusieurs dispositifs. Les ATU de cohorte sont déposées par un industriel, dans un délai généralement proche du dépôt de l'AMM ou de l'évaluation en cours de l'agence européenne. Elles concernent majoritairement des produits innovants. Les ATU nominatives, qui incombent uniquement à l'ANSM, sont demandées par des professionnels de santé pour des patients donnés. L'ANSM octroie un peu plus de 40 000 ATU nominatives, relevant du dispositif d'accès compassionnel, chaque année. Ces demandes de prescription peuvent concerner des molécules anciennes, pour lesquelles il n'existe pas de développement dans l'indication, ou des molécules en accès précoce.
Nous avons entendu dans notre commission que les procédures d'AMM sont trop longues en France. Il nous a également été rapporté que le délai entre la première démarche administrative et les essais cliniques s'élève à 204 jours en France contre 189 jours en Espagne. De votre point de vue, l'ANSM fait-elle des progrès sur ce sujet ? Quelles simplifications pourraient être mises en œuvre ?
90 % des AMM étant européennes, le délai, qui relève de la réglementation européenne, est le même pour tous.
Le nouveau règlement européen (UE) n°536/2014 du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain entrera en vigueur le 31 janvier 2022. Le système d'évaluation est aujourd'hui national. J'ai connaissance des chiffres que vous mentionnez. Différentes phases se succèdent entre la demande d'autorisation d'essai clinique et le premier patient inclus. Concernant les demandes d'autorisation des essais cliniques, la directive européenne indique un délai réglementaire de 60 jours entre le dépôt de la demande, l'avis de l'ANSM et des comités de protection des personnes (CPP). L'objectif de l'ANSM est de délivrer les autorisations d'essais cliniques en infra-réglementaire, c'est-à-dire moins de 60 jours. Il faut prendre en compte les différentes typologies d'essais cliniques. L'indicateur utilisé par nos homologues européens pour définir ces délais n'est pas identique. En France, l'indicateur utilisé est l'autorisation d'essai clinique signée par l'ANSM. Après l'évaluation d'une demande d'autorisation d'essai clinique, des questions sont adressées aux promoteurs. Il peut s'agir de questions bloquantes sur des effets majeurs, ou d'autres questions nécessitant une réponse pour permettre l'autorisation. Il s'agit du premier courrier de questions. Dans le cadre du nouveau règlement, il est recommandé de n'avoir qu'un seul courrier. Dans d'autres États, ces échanges peuvent être plus fréquents. En Espagne ou en Allemagne, les délais communiqués correspondent au délai de ce premier courrier, et non de l'autorisation. Une fois le courrier envoyé, le promoteur doit transmettre ses réponses à l'autorité nationale qui évalue les essais cliniques. Le règlement européen sur les essais cliniques rendra les délais homogènes pour tous les États, de manière précise en fonction de la phase d'évaluation.
Il existe de grandes différences entre un essai clinique de pharmacocinétique mobilisant 20 patients et des essais sur des médicaments innovants de design très complexe, adaptatif, nécessitant 1000 patients et mettant en œuvre des produits différents. Les indicateurs ne reflètent pas la profondeur de l'évaluation des essais cliniques. Or, la France est plutôt spécialisée sur ces évaluations d'essais de designs complexes, qui nécessitent un investissement de la part des promoteurs, de l'ANSM et des CPP plus important. La Belgique est au contraire très spécialisée sur des essais de pharmacocinétique sur des volontaires sains. La différence entre ces essais devrait être prise en compte. Pour autant, l'ANSM cherche à améliorer la profondeur de l'évaluation et proposer un mécanisme d'accompagnement. Avant la crise sanitaire, l'ANSM a mis en place des dispositifs de circuits courts ( fast track ) pour accélérer les autorisations d'essais cliniques. Le premier dispositif consiste en un soutien à l'innovation pour des designs complexes, innovants, en mobilisant des rencontres précoces avec les promoteurs. Les échanges en amont avec les porteurs de projets leur permettent de présenter un dossier de la manière la plus adéquate pour l'évaluation. Ce dispositif a pour objectif de proposer des délais courts, qui s'élèvent à environ 40 jours pour le premier et 25 jours pour le deuxième dispositif de soutien au développement. Ces rencontres de pré-soumission sont très importantes. En Europe, la France est leader sur les essais cliniques à promotion académique, comme nous l'avons vu lors de la première vague de Covid-19.
La chute de la France de la troisième à la quatrième place européenne en matière de participation aux essais cliniques s'expliquerait donc par sa spécialisation dans les essais cliniques en profondeur : le pourcentage ne serait donc pas représentatif de la qualité de nos essais.
Les chiffres concernent uniquement les essais cliniques à promotion industrielle. En France, le nombre d'essais cliniques à promotion académique est plus important que dans les autres États. Les chiffres montrent une relative stabilité des demandes d'autorisation d'essais cliniques en 2020. La France a pour spécificité une typologie particulière en termes de promotion académique et de complexité dans ses essais. Les équipes de l'ANSM sont attentives à la profondeur de l'évaluation. Des progrès restent indispensables dans le cadre du futur règlement européen de janvier 2022 et de la nécessaire articulation avec les CPP. Au moment de la crise de la Covid-19, nous avons pu octroyer des autorisations dans des délais extrêmement courts.
Ces délais ont varié selon les périodes. Les autorisations ont été délivrées en moins de vingt jours lors des trois premiers mois de la pandémie, de façon conjointe par l'ANSM et les CPP.
Vous nous demanderez sans doute pourquoi nous ne pourrions étendre cette capacité à tous les essais cliniques, puisque nous avons su le faire pendant la crise sanitaire. Nous avons été contraints de fortement prioriser nos ressources sur l'ensemble des essais cliniques concernant la Covid-19. Aujourd'hui, nous ne pourrions assurer un délai de traitement aussi rapide. En 2020, environ 1000 demandes d'essais cliniques ont été adressées à l'ANSM.
Vous citez un délai de 20 jours à la fois pour l'ANSM et le CPP, qui sont englobés ensemble pour la première fois. Pensez-vous que des améliorations seraient plus aisées de la part de l'un ou de l'autre ?
Les CPP se sont mobilisés dans le cadre de la crise de la Covid-19. Dans notre organisation globale, nous travaillons en lien avec les CPP pour nous préparer au règlement européen. Les délais du règlement européen s'appliqueront également aux CPP, avec quelques différences d'organisation dans la constitution des dossiers. L'ANSM est responsable de la partie coordonnée avec les autres États membres et les CPP sont responsables de la partie nationale. En effet, les comités d'éthique doivent pouvoir se prononcer sur les lettres d'information et le respect des droits des patients. L'harmonisation des délais du règlement européen entre l'ANSM et les CPP rendra la problématique du délai d'autorisation presque secondaire par rapport à la discussion entre les États membres. Elle sera également bénéfique aux promoteurs qui disposeront d'une meilleure prédictibilité.
Vous avez mentionné l'indicateur du délai et du nombre d'essais cliniques en fonction des pays. Il sera intéressant de trouver de nouveaux indicateurs en matière d'attractivité. La question du délai sera normalisée et tous les pays seront soumis aux mêmes contraintes. Ces délais sont par ailleurs maximaux : au-delà de ce délai, il est sous-entendu qu'il existe un accord sur le protocole. Un pays ne pourra retarder une procédure. Cet indicateur sera donc moins intéressant à comparer, tandis que celui du nombre d'essais peut être discuté. Un indicateur pertinent devrait sans doute tendre vers le nombre de patients effectivement inclus dans un pays par rapport à l'accès possible. Cette information pourrait être déterminée a priori en fonction du nombre de patients inclus dans un essai, grâce au retour des promoteurs sur les pays où ils ont pu mettre en place un essai. Cet indicateur permettrait de revenir sur le dynamisme de la recherche académique, qui peut contribuer à l'attractivité d'un pays.
Vous avez mis en place un guichet innovation permettant au porteur du projet d'effectuer les demandes d'accompagnement. Quand avez-vous mis en place ce guichet innovation et quels enseignements pouvez-vous en tirer ?
Le guichet innovation a été mis en place en septembre 2020. Face à la complexité du système de soins, il est important qu'un porteur de projet de pouvoir s'adresser à un interlocuteur unique pour bénéficier d'avis réglementaires, d'avis scientifiques, de réunions de pré-soumission, et de présentation de portfolios. Ce guichet innovation et orientation semble avoir rencontré un succès important. Nous nous attendions à recevoir 200 demandes pour les produits de santé incluant les médicaments, les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Nous avons reçu 345 demandes. Les porteurs de projet, dont beaucoup sont de petites entreprises ou des jeunes pousses ( start-ups ), ont un intérêt à disposer d'un point de contact identifié lorsqu'ils ont besoin d'un accompagnement sur des questionnements réglementaires et scientifiques.
Des échanges préalables sont indispensables pour accompagner les promoteurs dans le respect total de la déontologie. Leurs interrogations portent par exemple sur le développement de solutions numériques, les dispositifs médicaux connectés ou le positionnement de leurs produits. Le nouveau règlement sur les dispositifs médicaux est entré en vigueur en mai 2021 et rend nécessaire cet accompagnement, davantage encore dans le cadre d'innovation santé 2030.
Avez-vous le sentiment que votre mission de sécurité favorise la localisation de la production en France ? Vous avez rappelé l'importance de localisation de la production de matière première pour la sécurisation, notamment des médicaments innovants.
Les facteurs des matières premières, des excipients et du produit fini doivent être pris en compte. La production est aujourd'hui mondialisée. Il faut garantir l'accès du patient à son traitement ou à des alternatives pour couvrir son besoin en cas de difficultés d'approvisionnement. L'inspection française est reconnue en Europe et à l'international. Nos équipes inspectent régulièrement des fournisseurs de matière première, d'excipients et des fabricants de produits finis sur le territoire national et dans le monde entier.
Une organisation robuste sur les essais cliniques et sur la surveillance représente un gage de qualité pour les promoteurs et pour les industriels. Elle permet également une meilleure sécurisation. Concernant la production, la France bénéficie d'une valeur ajoutée dans le développement de médicaments complexes grâce aux partenariats de recherche publique privée. Ces partenariats mobilisant des start-ups pour développer des thérapies innovantes et des médicaments complexes sont un atout pour les patients.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les missions d'inspection régulières menées en dehors de France ? Dans quels pays vos équipes se rendent-elles ?
Les ruptures sont en hausse dans l'ensemble des médicaments et notamment ceux présentant un intérêt thérapeutique majeur. Quelles sont vos préconisations pour résorber cette situation qui ne peut continuer de croître ?
Nous vous transmettrons des chiffres précis sur les inspections. Nous nous rendons partout où cela est nécessaire. Lorsqu'une demande d'AMM au niveau centralisé concerne un médicament produit en Asie ou en Amérique du Sud par exemple, une agence et une inspection sont désignées pour se rendre dans le pays en question. Les inspections à l'international découlent très souvent de demandes d'AMM en procédure centralisée. Des binômes d'inspection sont créés.
Concernant les ruptures, l'ANSM a une mission importante de sécurisation des traitements des patients. Dans le cadre de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020, un certain nombre de dispositifs que vous avez votés ont été mis en place pour optimiser la garantie de la couverture des besoins des patients. Ces dispositifs ont été déclinés dans un décret mis en place il y a quelques mois. Ils garantissent notamment la couverture en médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. Il s'agit d'environnement 6000 des 12 000 spécialités commercialisées, dont la moindre indisponibilité ou absence entraîne une perte de chance pour les patients. Ce corpus de dispositifs intègre une obligation de déclaration par les industriels au plus tôt des signes de tension et de rupture, accompagnée de sanctions financières. Ces déclarations de rupture sont en forte hausse et nous permettent une meilleure anticipation. Certaines déclarations ne se traduisent pas par une rupture effective. 5 à 10 % des 2000 signalements de déclarations de tension aboutissent à des ruptures effectives. Des mesures sont alors nécessaires : lorsque l'industriel ne peut fournir d'approvisionnement et que les volumes à disposition sont réduits, des contingentements quantitatifs et qualitatifs peuvent être mis en place. Des importations de produits à l'étranger évalués au préalable peuvent également être prévues. Il faut alors accompagner le professionnel de santé et le patient lorsqu'il doit changer de traitement, car le sien n'est plus disponible. La LFSS pour 2020 et le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 ont par conséquent prévu l'obligation de constituer des stocks de sécurité de deux mois pour tout médicament d'intérêt thérapeutique majeur en produit fini. Ces stocks de sécurité peuvent faire l'objet de dérogations à la baisse selon les circonstances et les délais de péremption, mais également à la hausse : lorsque les produits ont fait l'objet de tensions importantes lors des deux années précédentes, des stocks de quatre mois peuvent être requis. Ce dispositif permet d'amoindrir au maximum l'impact pour le patient et pour l'organisation des soins par les professionnels de santé.
Je préférerais voir vos inspecteurs en France plutôt qu'à l'international.
Quelles suggestions proposeriez-vous pour relocaliser une partie de la production du médicament en France ?
L'activité majoritaire de nos inspecteurs est située en France, malgré des missions régulières à l'international.
Concernant la localisation, il est nécessaire que la dépendance qui existe à l'international soit réduite. La relocalisation sur le territoire national est intéressante, mais la maille européenne est importante. Les médicaments concernés par les signalements de tension ou par les ruptures effectives sont essentiellement des produits dits matures, dont le brevet a expiré et qui sont donc tombés dans le domaine public. Peu de produits innovants dont le brevet est encore en cours sont concernés par ces tensions, sauf en cas d'incident industriel. En oncohématologie, des ruptures récurrentes ont lieu sur des médicaments de chimiothérapie dits de première ligne, tombés dans le domaine public. Il s'agit de molécules anciennes, mais dont la valeur ajoutée clinique est indéniable. Les antibiotiques sont également souvent en situation de tensions, de risques de rupture voire d'arrêts de commercialisation. La demande pourrait être fédérée au niveau européen : des antibiotiques anciens, notamment les injectables, indispensables pour certains types d'indications limitées, pourraient faire l'objet d'une demande en volume suffisamment important pour que les industriels continuent à les produire. Lorsqu'il n'existe plus qu'un seul fournisseur au niveau européen ou mondial pour un produit, un risque majeur de rupture s'ensuit. Une fédération des demandes me semble un objectif important à mettre en œuvre pour garantir la production de ces médicaments anciens, mais nécessaires.
Notre commission d'enquête a auditionné le Comité économique des produits de santé (CEPS) au sujet du facteur prix comme facteur de désindustrialisation. L'une des inquiétudes portées par la réforme des ATU concernait les conditions des remises octroyées aux industriels qui attendent la fixation du prix du médicament tant que l'AMM n'est pas délivrée. Cette réforme a-t-elle représenté un frein pour les industriels dans l'accès au marché et la présentation de nouveaux produits ?
Nous n'avons pas observé de ralentissement des demandes depuis le 1er juillet 2021, mais nous manquons de recul. Dans le cadre de la LFSS pour 2020, la réforme des ATU d'extension d'indication a précédé la réforme de l'accès précoce. Nous n'avons pas identifié de frein dans le nombre de demandes d'extension d'indications qui était important. La position de la France est pionnière dans un certain nombre de sujets, tels que la Covid-19, les anticorps monoclonaux, les antiviraux, l'oncologie. Nous avons été le premier État au niveau européen à permettre l'accès précoce aux anticorps monoclonaux, qui présente un intérêt majeur pour les patients immunodéprimés, à la fois de manière préventive et curative.
Vous avez répondu à ma question en parlant de maille européenne. Nous sommes ici très pro-européens. Cependant, la présence de l'Italie, de l'Espagne, du Royaume-Uni, de Pologne ou de la Bulgarie ne donne pas toujours l'avantage à la production française. Vous avez cité le partenariat performant de la recherche publique privée. À travers cet exemple, pensez-vous qu'il existe des possibilités de regagner des parts de production du médicament en France dans ce concert mondial et européen ?
La production du médicament comprend la matière première, l'excipient et le façonnage du produit fini. La France possède des entreprises de façonnage impliquées dans la mise à disposition du produit fini pour différents vaccins, y compris pour la Covid-19. Une mobilisation encore plus importante de ces entreprises serait intéressante. Les industriels l'ont démontré lors de crise sanitaire en procédant à des réorganisations de ligne et en adaptant leur production. La France pourrait être davantage présente sur les médicaments dits complexes, de biotechnologies ou de thérapies innovantes à très haute valeur ajoutée.
Vous parliez de conditions de sécurisation. L'organisation, le sérieux et la robustesse de notre recherche, qu'elle soit scientifique, fondamentale, translationnelle, clinique, sont des gages importants de sécurité pour une entreprise. Un terreau important en matière de recherche clinique et notamment académique représente une valeur ajoutée très importante. Le Président de la République a annoncé un objectif de production de 20 biomédicaments à horizon 2030. Cet horizon semble atteignable sur ces segments à très haute valeur ajoutée.
Lors des réunions au sein de l'agence européenne des médicaments, constatez-vous que la perception de la France au niveau européen reste dynamique ?
Je constate en effet cette perception, qu'il est de mon devoir quotidien d'entretenir vis-à-vis de l'EMA. L'expertise française est reconnue dans certains champs thérapeutiques, notamment l'oncohématologie, l'immunologie, les maladies infectieuses et la virologie. La voix de la France compte, à la fois sur les essais cliniques, les AMM ou les avis scientifiques. Je m'emploie à ce que la présence française au sein de l'EMA soit toujours plus forte.
Vous êtes très présent au sein de l'EMA. Êtes-vous associée aux travaux préparatoires de l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire – European Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA) ?
Nous y sommes associés dans le cadre des échanges avec l'EMA et de la réglementation avec la Commission européenne. Nous sommes impliqués dans l'ensemble des sujets, et également dans la nouvelle réglementation pharmaceutique.
Nous sommes associés à l'écriture et la réflexion des textes. La voix de la France compte en effet dans la création de cette agence, à la fois sur le volet innovation, mais également sur les sujets de crise et d'entraide entre les pays. Nous avons abordé le sujet des ruptures de stock. Nous bénéficions d'une expérience dans ce domaine, car nous sommes le seul pays européen à avoir mis en place ces notions de stocks sur les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur.
N'identifiez-vous pas un flou sur les éléments de la chaîne dans cette rupture ? Ne faudrait-il pas disposer d'une base de données permettant de mieux repérer les éléments défaillants de la chaîne d'approvisionnement depuis les matières premières jusqu'au produit final ?
Nous nous y employons au niveau national au travers des états des lieux transmis par les industriels à l'ANSM pour cartographier avec précision les éléments de sensibilité. Nous avons connu une situation de tension importante sur les corticoïdes oraux. Avant la crise de la Covid-19, la France comptait douze titulaires de spécialités à base de corticoïdes oraux. Or, sous cette diversité apparente, il n'y avait qu'un seul fournisseur de matière première. Il ne s'agissait pas d'une dépendance internationale, mais nationale. Des investissements importants sont réalisés sur les systèmes d'information pour collecter l'ensemble de ces données. Des travaux sont en cours au sein du Haut-commissariat au plan pour identifier ces points de sensibilité qui permettraient d'identifier les zones de fragilité.
Je souhaiterais revenir sur l'exemple symptomatique des corticoïdes. Les Français sont de gros consommateurs de médicaments. Lors de cette situation de tension, nous avons constaté que la consommation de corticoïdes oraux en France est trois à quatre fois supérieure à celle de nos voisins, en tenant compte de la population. De manière plus précise, les posologies utilisées étaient trois à quatre fois plus importantes qu'en Italie pour la même indication. Cette consommation tend de manière importante la situation en cas de tension, car la demande est d'autant plus importante. Je ne peux que plaider pour une utilisation raisonnée et adéquate des médicaments.
Est-il pertinent de créer une agence d'innovation en santé ? Quel serait son rôle ? Ne faudrait-il pas plutôt consolider les moyens de l'ANSM ?
Je serais bien sûr favorable à une consolidation de nos moyens.
Le parcours est complexe et soulève, outre l'autorisation d'essais cliniques ou d'AMM, des questions de prise en charge et d'organisation des soins. La création d'une agence d'innovation en santé permettrait de fédérer l'ensemble de ces dimensions en se reposant ensuite sur les agences en charge en matière de missions et compétences. Il serait bénéfique aux porteurs de projet de pouvoir s'adresser à un interlocuteur capable de l'orienter. Ce constat est d'autant plus vrai pour les dispositifs médicaux où le rythme d'innovation est encore plus rapide que celui des médicaments. Les structures porteuses de projets sont hétérogènes et nombre d'entreprises ont une taille très réduite et souffrent parfois d'une méconnaissance de la réglementation. Cette agence offrirait une vision intégrée en un lieu unique de l'autorisation en matière d'accès, de la prise en charge par la HAS, de la fixation du prix par le CEPS, et de l'accès aux établissements de santé ou à l'ambulatoire. Il est également indispensable de mettre en place des échanges aussi précoces que possible avec les autorités sanitaires et les institutions en charge des autorisations pour que le porteur de projet ne s'engage pas dans une voie possiblement sans issue. Une rencontre n'implique pas toujours un avis positif, mais elle permet aux porteurs de projet d'avoir l'ensemble des champs du possible pour proposer le dossier le plus adapté qui suivra son cours en termes d'évaluation. L'agence d'innovation en santé pourrait offrir ce service multicompétence et orienter les porteurs de projets vers les institutions en charge des différents segments de la vie d'un produit de santé.
Je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête.
L'audition s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du mercredi 4 novembre 2021 à 16 heures 30
Présents. – M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, M. Denis Masséglia, M. Jean-Marc Zulesi
Excusés. – M. Éric Girardin, M. Jacques Marilossian