Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Jeudi 25 novembre 2021
La séance est ouverte à seize heures cinq.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)
La commission d'enquête procède à l'audition d'une table ronde consacrée à « l'industrie du futur ».
Nous poursuivons nos auditions en tenant une table ronde consacrée à l'industrie du futur.
Je souhaite donc la bienvenue à :
– M. Frédéric Sanchez, président du groupe Fives, président de l'Alliance industrie du futur (AIF),
– M. Jean-Marie Danjou, directeur général de l'AIF,
– M. Sébastien Massart, directeur de la stratégie de Dassault Systèmes,
– M. Olivier Scalabre, directeur associé senior au Boston consulting group.
Messieurs, je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation et de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Sanchez, Danjou, Massart et Scalabre prêtent serment.
Je précise que plusieurs textes importants sont parallèlement en discussion dans l'Hémicycle, ce qui va obliger les députés à choisir entre la séance publique et nos auditions et à vous quitter en cours d'audition pour intervenir dans l'Hémicyle.
Depuis vingt ans, l'industrie française a été relativement mal traitée par la collectivité dans son ensemble, quels que soient les hommes et les femmes en charge des affaires publiques et privées. Ils semblaient imaginer que le pays pouvait trouver sa voie sans produire. L'industrie représente environ 80 % des exportations de notre pays. Notre balance commerciale est déficitaire en raison de la désindustrialisation massive que la France a vécue.
Le mérite revient à M. Arnaud Montebourg d'avoir parlé pour la première fois de l'industrie alors qu'il était ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique entre 2012 et 2014. Le Président de la République, M. Emmanuel Macron, a ensuite recentré les débats. Sous M. Arnaud Montebourg a émergé l'idée d'une nouvelle France industrielle et 34 plans ont été proposés.
La plupart de ces plans relevaient d'une seule et même initiative, qui était l'industrie du futur. Cette dernière ne réside pas seulement dans la digitalisation. Il s'agit aussi de nouvelles technologies, de nouveaux matériaux et de nouveaux procédés pour décarboner l'industrie. Notre industrie connaissait alors un certain rebond. En 2017, nous avons créé en France des emplois nets dans l'industrie, après de nombreuses années de suppressions. Les mesures prises à la fin du quinquennat de François Hollande et leur accélération au début du quinquennat d'Emmanuel Macron ont permis un rebond de l'industrie, dont l'élan a été freiné par la crise sanitaire. Le plan de relance et le plan France 2030 ont toutefois permis d'atténuer ce choc exogène et permettront de poursuivre cette dynamique.
Cette désindustrialisation s'est traduite par le faible pourcentage de valeur ajoutée que l'industrie représente dans le produit intérieur brut (PIB) français, et qui s'élève à 10 %. Si l'industrie se porte mieux et que le moral des chefs d'entreprises est meilleur, ne perdons pas de vue qu'après un recul de la production manufacturière en France en septembre de 1,4 %, cette production manufacturière reste encore 6 % en dessous de la période antérieure à la crise de la Covid-19. Contrairement au PIB, l'industrie n'a pas retrouvé son niveau de production de la période antérieure à la crise sanitaire. D'importants efforts doivent encore être fournis. Nos concurrents se sont également dotés de plans de relance.
Il me semble que vous devriez penser à l'industrie dans toutes les dispositions que vous votez. Il faut miser sur les technologies de rupture, et faire de la décarbonation de l'industrie un objectif majeur de notre politique économique. Ces enjeux passeront par la promotion de la digitalisation de nos systèmes de production, en travaillant sur la conception de nouveaux procédés et systèmes énergétiques. L'hydrogène est fréquemment évoqué. D'autres solutions doivent également être pensées, telles que la captation et la séquestration du carbone. Il faut aussi travailler sur notre indépendance énergétique. Le nucléaire constitue une partie de la réponse. Nous devons corriger nos faiblesses stratégiques dans les secteurs clés, en particulier celui des biotechnologies dans lequel nous avons pris du retard.
Il est possible de prendre une longueur d'avance parce que les cartes se redistribuent dans le domaine industriel. L'industrie du futur renvoie aux nouvelles technologies. Quand on parle de robotique, il faut aussi parler de cobotique, qui désigne la coopération entre le robot et l'homme, par exemple dans le cadre de logiciels embarqués. Les nouvelles machines intelligentes comme l'impression en trois dimensions (3D) « additive », tant pour le métal que pour le polymère, révolutionne les moyens et les modes de production en dehors de la production de masse. Pour des produits spécifiques, cette massification personnalisée caractérise la société postindustrielle que nous vivons et qui est une société « hyperindustrielle » de mon point de vue. Ces technologies sont parties prenantes de la transformation. De nouveaux matériaux entrent aussi en jeu. Pour élaborer un avion bas carbone, il faut penser à sa motorisation, mais également réfléchir aux moyens de l'alléger grâce à de nouveaux matériaux, qui vont au-delà des matériaux composites.
La réindustrialisation est possible. Tous les pays sont sur la ligne de départ. Relocaliser des industries qui ont déjà quitté notre territoire serait une erreur. Certes, certaines industries devraient être relocalisées à l'aune de notre indépendance, comme les principes actifs dans le domaine de la santé. Cependant, il faut avant tout localiser les industries de demain dans notre pays. Il ne s'agit pas simplement de produire de l'hydrogène en France, mais de produire sur notre territoire les différentes briques technologiques qui permettront de produire de l'hydrogène. Sinon, nous resterons dépendants de pays tiers pour des éléments clés de ce procédé comme l'électrolyseur.
La mise en place d'un écosystème favorable à cette réindustrialisation est indispensable. Il vous faut par conséquent poursuivre la baisse des impôts de production. L'entreprise Fives, que je préside, est une société née dans le nord de la France en 1811. Quand Fives décide d'investir à l'étranger, elle prend en compte les critères de qualité de la main-d'œuvre et des infrastructures, mais également l'attractivité fiscale. L'industrie française est pénalisée par ces impôts de production. Je comprends que les collectivités locales en vivent. En tant que députés, il vous revient de trouver des moyens originaux de compenser les collectivités locales. Taxer l'investissement et les salaires est dissuasif et pousse les industriels à délocaliser leurs usines. Il est possible de réindustrialiser notre pays si nous investissons dans les technologies de demain.
L'AIF est depuis sa création au cœur du projet « Industrie du futur », qui est un élément clé de la réindustrialisation de notre pays. L'AIF a été créée en 2015 sous l'impulsion de M. Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, de l'industrie et du numérique. Sa création faisait suite aux 34 plans industriels annoncés par M. Arnaud Montebourg pour simplifier l'organisation et soutenir la montée en gamme des petites et moyennes entreprises (PME) vers l'industrie du futur. Il s'agit d'une organisation souple, transverse et légère, qui dispose de 4 collèges. Les organisations industrielles ont été regroupées avec des syndicats, comme celui des machines, de l'électromécanique ou encore Numeum, des acteurs académiques, tels que l'Institut Mines-Télécom (IMT), l'École nationale supérieure d'arts et métiers (ENSAM) ou Centrale Supélec, et des centres techniques comme le centre technique des industries mécaniques (CETIM), le Laboratoire d'intégration des systèmes et des technologies (LIST) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA). Un quatrième collège est composé de financeurs comme la Banque publique d'investissement (Bpifrance). Nous avons produit des outils très concrets, à l'instar du guide des technologies clés de l'industrie du futur, qui est un référentiel utilisé par l'État pour sélectionner l'accompagnement vers l'industrie du futur.
Pour la première fois, la France adopte une approche transversale et non verticale. Au sein d'une même instance sont réunis des acteurs du monde du digital et de l'industrie lourde. L'industrie de demain est connectée et nécessite cette convergence.
. L'AIF est devenue la structure porteuse de cette nouvelle filière. L'organisation du Conseil national de l'industrie (CNI) a jugé pertinente cette filière transverse. L'offre française de machines et de solutions de production y est structurée. Je reviens brièvement sur la chronologie des différentes mesures. En mai 2015, la deuxième phase du projet « 34 plans – Nouvelle France industrielle » a été lancée et l'AIF créée. Le plan de transformation numérique de l'industrie qui a permis 10 000 accompagnements a été lancé en septembre 2018, dans le cadre du rapport Plateformes d'accélération vers l'industrie du futur : organisation, missions et financements des centres techniques industriels (CTI) et comités professionnels de développement économique (CPDE) de la mission dirigée par Mme Anne-Laure Cattelot, députée du Nord, et M. Bruno Grandjean, précédemment président de l'Alliance Industrie du futur. Un plan avait été annoncé le 20 septembre 2018 par le Premier ministre Édouard Philippe sur les centres techniques industriels. En septembre 2020, le plan de relance a été annoncé et comptait un volet industrie du futur. Il proposait un guichet industrie du futur qui a très bien fonctionné et a permis le soutien de 9 000 entreprises avec 900 millions d'euros. Le contrat stratégique de filière (CSF) a été signé en septembre 2021 par M. Frédéric Sanchez et la ministre Mme Agnès Pannier-Runacher. Enfin, le plan France 2030 annoncé le 25 octobre 2021 par le Président de la République comporte un volet robotique et machines intelligentes.
Nous avons décidé d'intégrer à ce dispositif la mise en place d'une plateforme, dont Dassault Systèmes est à l'origine, et qui permettra aux offreurs de solutions français de présenter leur offre afin d'attirer des clients issus des filières verticales dans l'objectif de favoriser une offre française. Les « vitrines » de l'industrie du futur sont également au cœur de notre projet. Elles constituent un témoignage de la capacité de transformation de nos industriels et de nos usines. Nous souhaitons aller plus loin encore, et délivrer notre label à la condition que ces usines exemplaires s'appuient sur des solutions françaises, voire européennes, et non étrangères.
Ces vitrines ont pour vocation d'afficher le savoir-faire français. Nous souhaitons qu'elles s'engagent à recruter des apprentis, pour que les élèves comprennent que l'industrie peut représenter un horizon de développement. L'industrie peut offrir des carrières formidables et plus enrichissantes que dans les services. Ces vitrines sont au cœur du succès passé et du succès de demain.
Dassault Systèmes est un champion mondial du numérique, né en France il y a 40 ans. Son histoire s'est construite et continue de se construire sur l'industrie, et notamment l'industrie du futur, dans tous les secteurs et dans le monde entier. Nous intervenons aujourd'hui en tant que Dassault Systèmes et en tant que membre créateur de l'AIF.
Nos univers virtuels permettent d'inventer l'industrie du futur et de créer les nouveaux produits du XXIe siècle en rapprochant différents métiers. Nous n'achetons plus des voitures, mais des « expériences de mobilité ». Un produit mobilise le territoire avec des infrastructures, des services et des opérateurs de maintenance. Cette coordination amène à une complexité nouvelle, car il n'est plus possible de séparer la filière mécanique, électronique, chimie ou biologie. L'AIF a engagé l'hybridation de ces filières depuis plusieurs années, grâce à des approches plateformes et par les univers virtuels. Il ne s'agit pas de relancer l'industrie du passé. C'est le point central de notre réflexion. Nous ne souhaitons pas seulement réindustrialiser, mais faire renaître une industrie nouvelle pour laquelle la France dispose d'atouts majeurs pour se positionner de façon unique dans la décennie à venir, dans un contexte où se posent de nouvelles exigences vis-à-vis de la société, de l'écologie et du numérique. La caractéristique économique du XXIe siècle est l'entrée dans l'économie de l'expérience. Cette économie reste mal comprise à la fois par la science économique et plus largement par la société et l'action publique. L'expérience est au cœur de la valeur produite avec de nouvelles lois : les distances et les temps sont réduits à zéro tandis que la connexité entre les personnes au niveau mondial est devenue une réalité. Les possibilités tendent de plus en plus vers l'infini.
L'industrie doit donc se repositionner dans ces nouvelles lois économiques afin d'imaginer la valeur attendue par les citoyens, les patients et les consommateurs. Les nouvelles lois économiques doivent encore être découvertes et formulées. La valeur du virtuel a dépassé la valeur des produits réels : par exemple, le poids de Wikipédia dans le PIB mondial s'élève à environ 100 millions de dollars. L'impact économique de Wikipédia en matière d'accélération, d'apprentissage, de découvertes, de recherche scientifique et technique, et d'appropriation au sein des métiers est au moins 1000 fois supérieur à cette somme. La science économique peine encore à décrire cette valeur nouvelle.
Les orientations de l'action publique doivent imaginer ce que signifie cette dimension virtuelle. Dans le monde de la santé, nous restons concentrés sur les industries existantes comme celles du médicament et du dispositif médical. Elles possèdent de réels enjeux de transformation de compétitivité, mais il faudrait également créer des services orientés sur la santé des personnes. La difficulté est d'intégrer entre eux des produits dans une expérience de soin au sein d'un territoire. L'industrie nouvelle est celle qui fait coopérer différentes dimensions, comme l'organisation du soin, les structures et les personnes dotées des compétences. La filière santé n'est pas l'industrie du médicament ou du dispositif médical mais inclut des acteurs publics et privés. L'AIF dépasse les silos entre les filières traditionnelles et entre les acteurs publics et privés. Le service apporté aux citoyens doit intégrer ces éléments et également se situer dans un contexte de compétitivité mondiale.
L'innovation radicale reste présente. Dans la santé, nous imaginons avec Urgo le pansement du futur composé de peau régénérative qui constitue la meilleure façon de soigner une blessure. On pourrait mentionner d'autres domaines comme les matériaux générés à partir du vivant, l'avion bas carbone, les nouvelles énergies biosourcées ou les nouveaux modes d'alimentation et d'agriculture. La révolution de la santé est aussi une révolution industrielle qui va nous conduire à inventer l'industrie de demain en s'inspirant du vivant et en utilisant le vivant différemment.
Je vous prie de m'excuser, je dois quitter la commission d'enquête pour intervenir dans l'Hémicycle. Je cède donc ma place à M. Philippe Berta.
(Présidence de M. Philippe Berta, membre de la commission d'enquête)
La France a des atouts pour se positionner dans l'industrie du futur. Elle possède des leaders mondiaux et est capable de faire croître des « jeunes pousses » ou start-ups et de reconsidérer les écosystèmes traditionnels. La France est en outre positionnée de façon unique dans le triangle arts, sciences et industrie. Cet élément est reconnu mondialement comme une marque du savoir-faire français. La France est capable de générer dans ce triptyque une compétitivité mondiale et une transformation public-privé.
La France doit cependant faire face à quatre enjeux.
Tout d'abord, notre pays doit apporter tout son soin à la création des nouvelles filières des industries de l'expérience. Les industries de l'automobile ou du médicament doivent être reconsidérées dans l'action publique et dans la perception économique et sociétale par rapport à l'expérience qu'elles apportent. Il serait préférable de parler de filière mobilité, santé ou énergie. Ces notions de filière dépassent des savoir-faire disciplinaires ou en silo. Elles nécessitent des connexions de type plateforme. L'AIF est engagée dans ces nouvelles dynamiques permettant de connecter entre eux des acteurs et des offres.
Cette transformation ne peut se faire sans un investissement massif dans des infrastructures. Il s'agit d'un paradoxe de l'industrie du futur. La virtualisation est essentielle, mais elle repose sur des infrastructures massives afin de répondre aux défis énergétiques et écologiques. La sobriété environnementale nécessite d'importants investissements pour créer de nouvelles infrastructures plus durables à l'échelle des villes.
Concernant la valeur, j'ai expliqué la transformation économique profonde de l'économie de l'expérience. Les nouvelles modalités de production comme la fabrication additive ou les aspects robotiques permettent de rapprocher la production de valeur de l'endroit où elle est utilisée et consommée. Elles se rapprochent des paradigmes de l'économie circulaire. Toutefois, nous manquons des concepts d'un point de vue scientifique et de leviers d'action au niveau du territoire pour imaginer de façon industrielle comment ces solutions seront apportées. Il faut encourager ces nouveaux modes de production plus décentralisés alliant formation, création de valeur effective et industrielle, recherche scientifique et dimension politique.
Enfin, au sujet de la transformation du travail, nous soutenons l'idée selon laquelle produire est la meilleure façon d'apprendre. La France dispose désormais de centres importants, comme CampusFab à Bondoufle. Il s'agit à la fois d'une mini-usine et d'un centre d'apprentissage exceptionnel qui permet d'intégrer l'ensemble des connaissances. Pour des jeunes qui souhaitent se former à l'industrie, ces centres représentent une opportunité. Ce type d'initiative permet de travailler sur la dimension culturelle. Nous avons parlé des vitrines qui donnent à voir l'industrie et de nouvelles façons d'envisager la formation. L'AIF propose ce contact entre industriels et écoles. Les industriels peuvent ainsi donner à voir ce qu'ils font et créer des envies au niveau de la société.
. CampusFab réunit plusieurs grands groupes dont Safran et Fives. Des apprentis issus de quartiers difficiles accèdent à une formation qui leur offrira la compréhension des outils digitaux et de leur utilisation au service de la maintenance prédictive.
M. Massart évoque de nouveaux écosystèmes. La France dispose de solutions originales pour valoriser l'intégralité des déchets de construction béton. Une société qui fait partie de notre périmètre a développé des brevets. Elle permet à partir d'un béton de reconstruction de reconstituer les gravats d'origine pour réduire l'impact en dioxyde de carbone (CO2) de l'industrie cimentière. Le problème est que le sujet rassemble des filières différentes : les bâtiments et travaux publics (BTP), les cimentiers ou encore l'économie circulaire de valorisation des déchets. L'ambition de notre plateforme consiste à générer des écosystèmes qui dépassent les silos traditionnels. Le monde de demain associera le digital et différentes filières pour transformer le pays et lutter contre le changement climatique.
Je travaille avec de grands groupes industriels en France et en Europe. J'ai aussi été rapporteur pour l'Institut Montaigne d'un rapport sur l'industrie du futur, publié en septembre 2018, dont certaines recommandations avaient été reprises par le Gouvernement.
Les conditions d'une réindustrialisation de la France sont plus favorables que jamais sur le plan macroéconomique. Les chaînes de valeur se sont délocalisées pendant de nombreuses années. Les flux des chaînes de valeur allaient des pays émergents pour servir les pays matures industrialisés. Nous assistons désormais à une tendance de régionalisation des flux, tirée par des tendances macroéconomiques : produire en Chine est aussi coûteux pour les pays européens que de produire en Pologne. Des pays émergents offrent désormais la même compétitivité que la Chine dans chaque aire géographique. Chacun régionalise sa chaîne de valeurs pour ne pas être dépendant de guerres tarifaires ou commerciales. Enfin, la décarbonation des chaînes de valeur pousse tous les industriels à mettre en place des chaînes plus locales moins émettrices de carbone en raison du transport. La crise de la Covid-19 a accéléré ce phénomène en révélant le risque de faire dépendre les chaînes de valeurs d'un seul pays. Les industriels révisent aujourd'hui leur empreinte industrielle pour parvenir à faire en sorte que dans chaque région une usine puisse prendre le relais d'une autre. Ils se posent donc la question du pays européen de localisation des industries du futur.
Quatre critères sous-tendent les choix d'implantation géographique. Tout d'abord, les choix prennent en compte l'accès à une énergie décarbonée. La France est bien positionnée sur ce critère. L'accès à une population formée et compétente forme un deuxième critère sur lequel il faut réinvestir. Les deux derniers éléments sont la présence d'un tissu industriel compétitif et productif, ainsi que d'un tissu industriel agile capable de s'adapter rapidement. Sur ces points, l'industrie du futur permet un saut quantique pour que la France se situe dans les premiers choix d'implantation géographique des industriels. L'industrie du futur permet des gains de productivité de 10 % à 20 %. La France n'a pas connu de gains de productivité dans l'industrie depuis dix ans, par opposition aux autres pays européens. L'industrie du futur contribue à diminuer les temps de changement de série, voire à les réduire presque à zéro grâce à la production additive. Elle permet donc de disposer d'usines flexibles et agiles. Des respirateurs ont ainsi été produits dans des usines automobiles pendant la crise sanitaire.
Nous avons besoin de l'industrie du futur car nous avons accumulé un certain retard dans plusieurs domaines. L'indice de relocalisation du BCG mesure la compétitivité de la France par rapport à ses principaux voisins européens pour livrer le marché français. Nous figurons parmi les trois premiers pays dans le secteur agroalimentaire, derrière les Pays-Bas. Cependant, dans les secteurs électronique et biopharmaceutique, qui sont stratégiques pour la France, nous occupons les 15e et 16e places, derrière la Thaïlande, l'Indonésie, l'Inde, mais également le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne. Même si une taxe carbone à 75 euros ou 200 euros était instaurée, nous ne serions pas plus compétitifs. Nous devons donc devenir plus productifs.
L'industrie 4.0 constitue l'un des leviers principaux dans ce cadre. Lorsque nous observons le déploiement de l'industrie du futur en France par rapport à ses voisins européens, nous ne constatons pas de retard. La course vient de commencer. Dans les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), 25 % des entreprises avaient commencé en 2018 à avoir de premiers pilotes avec des impacts quantifiés en France, contre 20 % en Allemagne et en Angleterre. Le plan de relance a contribué à ce que la France reste dans la course, voire à ce qu'elle gagne une certaine avance. 30 % des 100 milliards d'euros du plan ont été consacrés à l'industrie du futur, pour partie afin de combler des retards. En comparaison des plans de relance d'autres pays, la France fait partie de ceux qui ont le plus dépensé pour l'industrie au moment du plan de relance. Elle a investi 1,5 fois plus que l'Italie, 2 fois plus que l'Espagne et également davantage que l'Allemagne. Il y a donc eu un effet de rattrapage plutôt salutaire pendant la crise sanitaire.
Trois leviers permettent d'accélérer l'adoption de l'industrie du futur par les PME et les ETI.
Il faut tout d'abord favoriser l'émergence d'une offre adaptée à disposition des PME. L'AIF y contribuera.
De plus, une mise à niveau des compétences est nécessaire. Les ETI et les PME sont désarmées par le manque de compétences pour embrasser ce changement. Enfin, l'accompagnement et le financement sont nécessaires pour moderniser l'outil productif. Dans le cadre de l'Institut Montaigne, nous avions proposé la création de 10 à 20 centres d'accélération pour l'industrie du futur sur les trois volets suivants : l'innovation, la formation notamment des dirigeants des ETI et des PME et de ceux qui portent dans les usines la transformation, et l'accompagnement et le financement. Nous imaginions un ou deux centres par région, en lien avec les grandes filières industrielles, ouverts sur les écosystèmes et connectés avec les usines, les vitrines, les offreurs de solutions sous le pilotage de l'industriel. L'objectif et l'enjeu de ces centres sont d'atteindre 80 % des ETI et 40 % des PME, soit 25 000 entreprises, pour former 100 000 dirigeants à l'industrie 4.0. Ces propositions ont été reprises en septembre 2018 par le gouvernement et intégrées à un cycle d'élaboration de cahiers des charges et d'appels à candidatures. 10 plateformes ont été sélectionnées et seront annoncées demain si ma compréhension du calendrier est exacte. Cette première étape est satisfaite, bien que ces 10 centres ne suffiront pas. Ces centres doivent bénéficier d'un ancrage important dans des régions tout en restant proches des grandes filières industrielles. Il n'en existe pas encore sur la santé. Il convient également de veiller à ne pas ajouter une nouvelle couche au mille-feuille existant.
Au-delà de ces centres d'accélération, une mise à niveau générale est nécessaire. Il faudra « surindexer » quelques filières stratégiques. Le gouvernement a dressé une première liste de filières d'accélération, sur lesquelles les moyens devront être concentrés dans le cadre d'une vraie politique industrielle. Concernant l'offre, de grands orchestrateurs d'écosystèmes doivent émerger pour contribuer à digitaliser le reste de la filière. En Chine, par exemple, des acteurs comme Alibaba ou JD.com ont pris le leadership de transformation et de digitalisation de toute la filière de la distribution. Insilico Medicine digitalise également toute la production de médicaments. Des orchestrateurs français ou au moins des grandes plateformes localisées en France doivent eux aussi émerger pour permettre de digitaliser toute une filière.
Je suis enseignant-chercheur en génétique et en biotechnologie. Je découvre vos activités respectives. Je suis content d'entendre votre enthousiasme. L'un des prérequis pour répondre aux objectifs qu'étudie notre commission d'enquête est de susciter l'intérêt de notre jeunesse pour le monde de l'industrie. Vous parlez de transversalité, dans un pays où le système éducatif fonctionne totalement en silo. M. Danjou a parlé de l'institut Mines-Télécom (IMT). Depuis vingt ans, un projet de formation d'ingénieurs médecins ou pharmaciens est évoqué sans qu'aucune avancée ne soit initiée. Pour que le succès soit au rendez-vous, une autre problématique semble résider dans la capacité à faire interagir le public avec le privé : nous avons vu à quel point cela a pu nous pénaliser dans le secteur de la santé pendant la crise sanitaire. Quel est votre sentiment sur ces différents prérequis ? Comment pourrions-nous être encore davantage acteurs sur l'acculturation technologique et scientifique dans notre pays ?
. Je partage vos observations. Lors d'une intervention récente au palais de l'Élysée, je soutenais que nous devions travailler à la remise en cause du baccalauréat général. En convainquant la population qu'il n'existe pas d'autre issue que le baccalauréat général, nous oublions que d'autres métiers sont possibles et nous engendrons des échecs. Je suis atterré d'apprendre que dans tous les classements internationaux, à la sortie de l'école primaire, nos enfants figurent parmi ceux qui ont acquis le moins de compétences générales en mathématiques et dans l'écriture et la compréhension de la langue française. Nous le constatons au quotidien dans nos entreprises. Il est fréquent que des jeunes que nous recrutons ne parviennent pas à lire des instructions de sécurité. Il faut donc travailler sur la formation de base.
La France a pris un tournant en développant l'apprentissage. CampusFab résulte d'une collaboration entre le public et le privé mobilisant la région et des entreprises. Nous offrons du travail à des jeunes que nous formons à Bondoufle, souvent issus de quartiers difficiles. Ces initiatives privées pallient la faiblesse de l'initiative purement publique. Il faut désormais que le monde éducatif et l'éducation nationale accepte davantage ce type de démarches. Le problème est ici d'ordre culturel.
L'organisation en silo de l'enseignement supérieur est un autre problème. Aux États-Unis, à la sortie de l'équivalent du baccalauréat, l'enseignement est multidisciplinaire. Les vitrines industrie du futur doivent devenir des lieux d'apprentissage et de connaissance de l'industrie pour les jeunes. L'AIF s'efforce de créer ces écosystèmes. Vous avez raison de souligner que certains résultats ne sont pas satisfaisants. Après le rapport de l'Institut Montaigne, trois années ont été nécessaires pour créer les plateformes d'accélération dans les régions. Les procédures sont lentes et nécessitent d'être simplifiées.
Nous devons réinventer la raison d'être de l'industrie pour attirer de nouveau les jeunes. Deux pistes existent. La première concerne la décarbonation de l'industrie. La jeunesse veut aujourd'hui s'investir dans le développement durable. C'est un vecteur d'attraction car on peut choisir d'être utile là où les émissions de carbone se passent pour contribuer à trouver des solutions pour les limiter.
Le deuxième vecteur réside dans l'innovation. L'innovation s'est longtemps déroulée loin de l'industrie. Nous revenons dans un cycle où l'innovation va de pair avec la science dans l'industrie. L'innovation ne se fait plus uniquement dans les plateformes internet, mais dans le monde industriel et par la science.
Sur ces deux vecteurs, une vraie campagne de recrutement et de communication est nécessaire. Je pense à Thomas Pesquet, dont la présence sur les réseaux sociaux suscitera probablement la vocation de toute une génération d'astronautes. Nous devons procéder de la même manière pour l'industrie.
. Il faut disposer pour cela des moyens suffisants. Le développement d'une plateforme ne coûte pas très cher. Dans l'industrie, le passage au stade de démonstrateur est coûteux. Des start-ups françaises porteuses de bonnes idées ne trouvent trop souvent pas de financement pour parvenir au stade démonstrateur. Elles sont alors rachetées par des investisseurs américains ou chinois qui bénéficient de cette capacité. En outre, les investissements ne donnent pas toujours lieu à des résultats dans ce domaine. C'est une faiblesse de notre dispositif. Bpifrance fonctionne très bien en amont des projets lors des séries A et B, mais nous manquons ensuite de financements. Le privé doit bien entendu être mobilisé, mais le public doit participer, comme l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense – Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) aux États-Unis. Dans une entreprise, j'ai constaté qu'un démonstrateur de décarbonation du ciment substituant d'autres matériaux au clinker coûtait 15 millions d'euros. Il faut trouver des clients. Dans ce cas, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a contribué à 40 %. Cependant, les financements manquent souvent et les idées partent ailleurs.
. Je vous remercie pour vos propos. Vous avez parlé de l'enseignement primaire. L'essentiel de l'apprentissage se joue en effet entre zéro et douze ans selon les neuroscientifiques.
Merci d'avoir rappelé la nécessité d'intéresser les jeunes à l'industrie, et de réinventer le monde de l'industrie afin de les réenchanter. Je m'excuse de devoir rappeler des évidences. Vous soulignez à juste titre qu'attirer les jeunes dans l'industrie est une gageure. Il doit pourtant s'agir d'un travail collectif, alliant la puissance publique, l'éducation nationale, mais aussi l'ensemble des industries elles-mêmes et leurs représentants syndicaux. Je vois pour ma part peu d'initiatives d'entreprises pour faciliter l'apprentissage.
La chute du nombre d'emplois dans l'industrie, passant de 25 % à 10 % des emplois, a provoqué un grand traumatisme. De nombreuses familles françaises ont souffert de cette désindustrialisation et n'encouragent donc pas spontanément leurs enfants à s'orienter vers ce secteur. Il est nécessaire de reprendre un dialogue vertueux. Vous avez évoqué la nécessité pour les jeunes de donner du sens, de l'utilité, du respect et du dialogue à leur activité. Nous devons collectivement retrousser nos manches pour réconcilier une partie de la population avec l'industrie.
Vous avez appelé de vos vœux une robotisation et avez parlé de cobotisation. Or il apparaît que notre taux d'équipement en matière de robotisation reste aujourd'hui très faible en comparaison d'autres pays européens. Partagez-vous ce constat ? Estimez-vous que les entreprises essaient aujourd'hui de rattraper leur retard ?
Nous comblons actuellement ce retard. Les principaux consommateurs de robots sont les industries automobiles. Le nombre de robots par salarié est plus élevé en Allemagne, car son industrie automobile est très importante. Le même constat s'observe en Corée du Sud, qui compte bien plus de robots que l'Allemagne.
Nous rattrapons progressivement notre retard, notamment par rapport à l'Espagne, par la robotisation de nos PME et de nos ETI, dans le cadre de l'industrie 3.0. Avant d'en arriver à l'industrie 4.0, il s'agit d'automatiser et de déployer des robots qui réduisent la pénibilité des tâches. Les plans mis en place pour contribuer à la montée en gamme des PME ont permis de rattraper une partie du retard. Nous arrivons pratiquement au nombre de robots par salarié au niveau de l'Espagne, restons légèrement en retrait par rapport à l'Italie et toujours loin derrière l'Allemagne. Il faudrait retraiter les robots automobiles pour que la mesure soit plus lisible.
Nous avançons dans la bonne direction. Les nouvelles enveloppes de 400 millions d'euros visent à poursuivre cette robotisation. L'industrie 3.0 est une étape avant l'industrie 4.0. J'ai observé à Fives qu'en robotisant un certain nombre de tâches, nous devenions plus compétitifs, que nous exportions davantage, et que nous créions paradoxalement plus d'emplois. Ce sont des efforts sur le long terme et il faut l'expliquer aux salariés. En tant qu'outil majeur de réduction du prix de revient, la robotisation favorise l'accroissement de la compétitivité. Les robots, rappelons-le, sont fabriqués à l'étranger, en particulier au Japon. Le robot est une commodité. Ce qui compte, c'est l'intelligence autour du robot. Sur ce point, la France a des atouts considérables et elle doit investir pour permettre une montée en gamme des PME.
. L'AIF et les vitrines de l'industrie du futur mettent la robotisation au service de la transformation de l'entreprise et de la transformation industrielle. Le robot pour lui-même n'a pas forcément de valeur, et parfois peut détruire la valeur. Certains sites sont encombrés par des petits robots logistiques, alors qu'un repositionnement du flux logistique au sein de l'entreprise et du système de production aurait pu être plus utile. Les robots permettent une virtualisation des procédés de production. C'est une pensée nouvelle par rapport à la valeur et à la façon de la créer. C'est ce qui a été engagé avec l'AIF et c'est ce qui nous distingue de l'approche allemande avec l'industrie 4.0 : nous avons des entreprises à la pointe sur lesquelles il faut s'appuyer pour étendre cette façon de voir et qu'il y ait une signature de notre industrie.
. Je suis d'accord avec ces propos. Le premier problème de la France est aujourd'hui la productivité. Cette productivité en valeur absolue n'est pas faible, mais elle n'évolue plus depuis dix ans parce que nous n'avons pas suffisamment automatisé. Nous observons aujourd'hui un effet de rattrapage. Les 30 milliards d'euros du plan de relance ont essentiellement concerné des machines à commandes numériques. 25 % des PME ont été touchées. Il y a eu un effet d'aubaine et des investissements de rattrapage. Désormais, deux phénomènes s'observent. D'une part, des activités très répétitives sont automatisées avec des robots traditionnels. D'autre part, et c'est ce qui change avec l'industrie 4.0, des tâches qui ne sont pas répétitives peuvent être automatisées grâce à la programmation de robots collaboratifs ou « cobots ». Le potentiel de l'industrie du futur réside dans l'automatisation de lignes, ce qui sera positif pour la productivité et donc pour l'emploi.
. Il est donc essentiel de ne pas taxer le robot avec des impôts de production, dont l'impact a été néfaste sur notre industrie. La réduction des impôts de production est une mesure à poursuivre. Il est sans doute possible de la mener sans augmenter d'autres impôts. La robotisation va créer de la productivité et engendrer des gains de parts de marché.
Cependant, les modèles économiques qui sous-tendent vos décisions me semblent manquer de dynamisme. Ces mesures ne sont pas assez évaluées dans la durée. L'entreprise Fives avait un chiffre d'affaires de 300 à 400 millions d'euros à l'époque, contre 2 milliards d'euros aujourd'hui. Nous nous sommes développés, cependant plus de 50 % de nos emplois sont toujours en France. Nous avons créé des emplois, parce que nous avons innové et que nous nous sommes automatisés. Nous nous lançons désormais dans l'industrie 4.0, mais auparavant nous avons accru notre productivité, baissé notre prix de revient et sommes devenus plus compétitifs, même si nous avons également innové. Pour générer un cercle vertueux, il faut prendre le risque de baisser les impôts afin d'engendrer un impact sur l'emploi, les exportations et le commerce extérieur, qu'il est sans doute possible de mesurer.
. Vos propos m'évoquent un souvenir d'il y a trente-cinq ans. Pendant ma thèse, j'ai été visité par l'entreprise Bertin, qui travaillait alors surtout sur les trains à grande vitesse (TGV). Sa visite concernait sa tentative d'automatiser des techniques de séparation de protéines. Bertin est-il toujours un acteur de l'industrie ?
Il s'agit toujours d'une entreprise très innovante, qui fait désormais partie d'un groupe qui a rencontré des difficultés pour affronter la concurrence.
. Vous avez parlé de biotechnologies. Pour accéder aux biothérapies, il faudra imaginer des innovations de rupture très forte sur la bioproduction. Ce sera le pays ou l'empire-continent doté des outils les plus performants qui gagnera cette guerre, afin de parvenir à des prix satisfaisants. Ces thérapies sont actuellement très coûteuses. Ce secteur nécessite également une interdisciplinarité, car il soulève des problèmes de biologie, mais également d'ingénierie.
. Le chiffre d'affaires de Dassault Systèmes dans la santé était encore mineur il y a quelques années. Il dépasse actuellement un milliard d'euros, soit 20 % de notre activité. Pour cela, nous avons connecté la capacité de produire avec la capacité de soigner. Cette connexion a permis de transformer le terrain de jeu et d'imaginer l'industrie de santé de demain. 7 des 10 vaccins contre la Covid-19 dans le monde ont été créés en utilisant notre plateforme dans le cadre des essais cliniques. Les acteurs mondiaux de la santé s'appuient donc sur la virtualisation de la santé et pas uniquement sur l'industrie traditionnelle.
Le continent européen et la France disposent de capacités uniques, en raison de la présence de talents en matière de technologie, de sciences et d'ingénierie. Cette plateforme mondiale de santé est en train de progresser.
L'univers de la santé ne peut faire l'économie du lien public-privé. La lenteur des procédures reste cependant un obstacle quotidien. Il faut réussir à impliquer les régulateurs et tous les acteurs de santé. Nous disposons désormais d'un modèle de cœur virtuel, le « living heart », utilisé par l'Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux – Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis. Toutefois, au niveau européen, nous peinons à accélérer la prise en compte de modèles virtuels dans le soin, à la fois sous l'angle de l'autorisation, mais aussi du remboursement. L'objectif sera de créer un jumeau virtuel du corps humain. Pour le moment, les jumeaux existent sur des organes, comme le cerveau pour traiter l'épilepsie, ou le pied dans le cadre d'opérations relativement complexes. La mise en place d'un jumeau virtuel complet supposera un co-investissement public-privé puisqu'il faudra associer avec nous des hôpitaux. Nous montons actuellement un programme d'ampleur européenne avec des hôpitaux et des acteurs comme l'INRIA. Plus que pour des raisons de financements publics, nous poussons ces projets du fait de l'enjeu de ces alliances nouvelles entre privé et public, qui caractérisent la santé du futur.
. L'interaction public-privé est l'un des fondements de l'action de l'AIF. J'ai évoqué les collèges. Aujourd'hui, nous montons un comité pour la recherche et l'innovation dans l'industrie du futur, piloté par Schneider Electric. Avec d'autres industriels, comme Vinci Énergies, Dassault Systèmes ou Fives, des acteurs tels que le CETIM ou l'INRIA coopèrent au sein de ce comité pour définir ensemble les trajectoires d'innovation de l'industrie du futur.
Concernant l'attraction de l'industrie envers les jeunes, il existe 80 000 emplois non pourvus dans l'industrie aujourd'hui. Beaucoup d'actions sont menées en faveur de l'apprentissage, par exemple avec les écoles de production. L'AIF a développé le programme « osons l'industrie », mis en place dans le cadre d'un partenariat public-privé, mobilisant notamment l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP) et l'IMT. Nous avons créé des vidéos diffusées par les organes de formation à distance. L'une d'elles montrait par exemple une femme pilote de chaîne numérique de production très motivée par son métier. Le manque de femmes dans l'industrie est un autre problème. Cette semaine, la semaine de l'industrie doit rassembler 400 000 à 500 000 personnes, en partenariat avec des industriels, France Industrie, l'État, AIF et les vitrines de l'industrie du futur pour donner envie d'y travailler.
. Quelle est l'articulation de votre organisation avec le CNI ? Comment pouvez-vous impulser des réflexions et des partenariats ?
. Nous sommes membres du CNI. Nous sommes la seule filière transversale. Nous avons rencontré tous les présidents des filières verticales qui devraient faire appel à nous, pour identifier les projets qui leur tenaient à cœur et pour lesquels une offre française pouvait être suscitée. Nous participons aux travaux du CNI. Avec M. Alexandre Saubot, président de France industrie et vice-président du CNI, nous venons de signer un courrier demandant aux patrons des filières verticales de réellement engager leurs membres à poster leurs demandes d'investissements sur notre plateforme. Beaucoup de nos grands industriels dans les filières verticales ont appris à chercher leurs solutions ailleurs. La désindustrialisation a aussi généré un manque d'offres en France. On peut néanmoins être optimiste car il se crée aujourd'hui de nouveaux besoins et de nouvelles solutions sont à inventer, par exemple dans l'hydrogène ou les batteries. La Chine, le Japon et la Corée du Sud ont développé des solutions de batterie de première génération depuis des années. Les nouvelles générations supposent que nous travaillions avec des chimistes et d'autres industriels, mais aussi de réfléchir à la manière de réduire notre dépendance envers certains matériaux.
90 % du magnésium est produit par la Chine, bien qu'il y en ait pratiquement partout dans le monde. Les Chinois ont arrêté 37 de leurs 50 usines, parce qu'elles sont très électro-intensives, et concentrent leur production sur leurs propres besoins en raison des pénuries énergétiques. En février, l'Allemagne ne pourra plus produire de voitures haut de gamme. Une voiture compte en moyenne 15 kg de magnésium, et une voiture de luxe en nécessite environ 30 kg. Le gouvernement allemand demande à l'Europe d'intervenir auprès des autorités chinoises. Lorsque l'on réfléchit aux batteries de futur, il faut développer des productions moins dépendantes de ces matières premières. Les Chinois ne produisent pas de lithium, mais 80 % du lithium raffiné est contrôlé par l'industrie chinoise. Les batteries de première génération sont notamment produites à partir de lithium. Le développement des nouvelles générations de batteries doit intégrer ces contraintes et y associer les fournisseurs de briques technologiques qui construiront ces lignes de production. L'Europe doit éviter de dépendre de pays tiers.
Ces réflexions sont au cœur de nos travaux sur les innovations du futur. La dépendance ne pourra être totalement évitée et nous devrons pouvoir nous fournir dans plusieurs pays du monde. Le CNI porte aussi cet enjeu. Cette nouvelle filière représente 500 000 emplois en France. Il s'agit de la 3e filière manufacturière du pays et elle représente 36 milliards d'euros de valeur ajoutée pour le pays. En Allemagne, cette filière représente 135 milliards d'euros.
Nous devons promouvoir les offreurs de solutions pour aider les nouvelles industries à émerger, y compris des PME et des start-ups. Pour cela, nous avons besoin de votre aide. Le moment est opportun pour tenter de reconquérir cette place. Nous devrons demain fabriquer des batteries sur notre territoire et fabriquer de l'hydrogène. L'impression 3D permettra de réinternaliser avec une grande flexibilité des productions parties, ce qui ouvre de nouveau horizons : le cœur en titane mis au point par Carmat, qui reste actuellement une solution trop coûteuse pour être utilisée, pourrait également être développé en France grâce à la maîtrise de la technologie 3D.
. Nous sommes pleinement intégrés dans le dispositif du CNI qui fonctionne bien. Notre contrat stratégique de filière a été signé à Lyon lors de Global Industrie, au moment du conseil national de l'industrie plénier avec le Premier ministre. À travers les projets structurants de ce contrat, nous souhaitons mieux travailler avec les filières pour qu'elles s'appuient davantage sur l'offre française. Nous portons dix projets concrets dans notre contrat avec dix filières : le CNI nous permet d'avoir des interactions permanentes et des points réguliers au niveau du comité exécutif du CNI. La lettre cosignée avec le vice-président du CNI est une illustration concrète de notre interaction permanente.
. Ces projets structurants associent des industriels issus de filières verticales aux offreurs de solutions français transversaux. Les résultats sont variables selon les secteurs. Des progrès restent à faire dans le domaine de l'automobile.
Messieurs, je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours pour préparer cette audition.
L'audition s'achève à dix-sept heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 14 heures 30
Présents. - M. Philippe Berta, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul
Excusé. – M. Bertrand Bouyx