Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Mercredi 18 novembre 2020
La séance est ouverte à quatorze heures.
Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente
Nous poursuivons nos travaux sur les conséquences de la crise sanitaire sur les enfants et la jeunesse, en entendant ceux qui sont concernés au premier chef, les jeunes et parmi ces derniers, ceux qui ont traversé la crise dans des conditions incroyablement précaires, fortement aggravées par l'épidémie. Les jeunes que nous recevons aujourd'hui ont vécu le confinement dans des baraquements, des bidonvilles, des squats ou des hôtels sociaux, dans des lieux exigus et insalubres avec très peu de points d'eau et encore moins de savon. Ils ont dû déployer des efforts bien plus importants que le reste de la population pour avoir accès à des produits de première nécessité, comme des couches pour les bébés, des produits d'hygiène ou alimentaires. Ils ont pu se trouver particulièrement isolés, physiquement, psychologiquement, économiquement et sociologiquement et n'ont évidemment pas disposé de moyens adaptés pour suivre leur scolarité. Ici et là, des initiatives exceptionnelles actent de leur résistance, de leur résilience et de leur détermination à surmonter cette crise Covid, une crise supplémentaire dans leur quotidien déjà extrêmement compliqué.
Nous entendons aujourd'hui Ana Maria Stuparu, lycéenne ; celle-ci devait être accompagnée de Anina Ciuciu, marraine du collectif #Ecolepourtous, avec qui nous travaillons beaucoup, mais elle a eu un empêchement de dernière minute. Aminata Coulibaly et une petite fille appelée Océane, logées à Toulouse dans un hôtel social, sont également présentes pour nous raconter les conditions de vie des enfants dans un hôtel social en période de confinement et de déconfinement. Elles sont accompagnées par Annabelle Quillet, membre du groupement pour la défense du travail social, travailleuse sociale qui a fait partie de ceux les ayant accompagnés dès le premier jour de la crise. Le contexte était extrêmement anxiogène puisque personne ne savait qui aller gérer, s'occuper et prendre en charge ces populations, ne serait-ce que d'un point de vue alimentaire. À Toulouse par exemple, 1 800 familles étaient coincées dans les hôtels sociaux. Nous recevons aussi Mory, Leticia et Sambou, jeunes mineurs isolés accompagnés par Nathalie Senikies de l'Association de solidarité avec les mineurs isolés étrangers (ASMIE). M. Andrei Nicolae, membre de Rencont'roms nous, est accompagné de Frindus, volontaire en service civique. Ils sont tous deux issus d'un campement rom de Toulouse, dans lequel ont été menées une série d'expérimentations. Je reçois également Manon Fillonneau, déléguée générale du Collectif national Droits de l'Homme Romeurope, qui s'exprimera sur la situation plus générale des enfants et des jeunes Roms vivant en bidonville pendant la pandémie. Cette association a été extrêmement active. Il faudrait que chacun puisse se saisir de cette problématique dans sa circonscription pour essayer de diffuser les bonnes pratiques de certains territoires.
Nous sommes désireux d'entendre vos témoignages sur la façon dont vous traversez la crise actuelle, sur les conséquences de cette crise sur vos conditions de vie, sur la manière dont la crise sanitaire a pu, vous et vos familles, vous affecter physiquement et psychiquement et comment vous envisagez ce deuxième confinement, qui se déroule selon des conditions différentes du premier, puisque l'école continue. Vous avez également des qualités de résistance, de résilience et de courage dans l'adversité et une détermination à vous en servir coûte que coûte. Ce sont des ressorts que tous les enfants ne possèdent pas et qui aident, peut-être, à surmonter les crises.
Je vous passerai la parole pour une intervention de cinq minutes chacun, avant un dialogue avec la rapporteure Marie-George Buffet, à l'origine de cette commission d'enquête, ainsi qu'avec les députés présents.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Je propose à Ana Maria Stuparu de commencer. Tout ce que vous allez nous dire est précieux car nous n'avons pas souvent accès à vos conditions de vie. N'hésitez pas, la parole est libre. Ana Maria, je vous laisse la parole pour nous dire comment vous avez vécu ce confinement.
Je remercie l'Assemblée nationale et Mme la présidente de la commission de m'avoir invitée à m'exprimer aujourd'hui en tant que jeune ayant vécu dans une situation d'extrême précarité pendant la pandémie, et à formuler des solutions. C'est tellement rare que les premiers concernés soient entendus que je tenais à le souligner.
J'ai 18 ans, je suis rom roumaine, je suis arrivée en France en juillet 2017 avec ma mère et mon frère. Nous n'avons pas eu d'autre choix, à notre arrivée, que d'habiter dans un bidonville. J'ai attendu cinq mois afin d'obtenir la domiciliation nécessaire pour m'inscrire à l'école. Jusqu'à la rentrée de septembre 2020, c'est-à-dire pendant la période du premier confinement et les mois qui ont suivi, j'ai vécu en bidonville. J'habite désormais dans un centre d'hébergement d'urgence à Montrouge avec ma famille. Je suis en terminale et je prépare mon baccalauréat sciences et technologies de la santé et du social. Je suis également cofondatrice et membre actif du collectif #EcolePourTous, qui regroupe des mineurs isolés, des enfants, jeunes et parents vivant en bidonvilles, squats et hôtels sociaux, des gens du voyage, des jeunes de Guyane et de Mayotte, qui ont tous rencontré des difficultés pour accéder à l'école en France.
Nous avons décidé de créer ce collectif pour porter la voix et le combat des 5 000 enfants et jeunes de la République encore exclus de l'école. C'est avec ce collectif que j'ai eu l'occasion de vous rencontrer, Sandrine Mörch, et que nous avons commencé à travailler ensemble pour résoudre ce problème. Je tiens à vous remercier pour votre soutien et votre engagement à nos côtés.
J'aimerais raconter mon propre vécu pendant le confinement, et également celui des personnes autour de moi. J'habitais dans un bidonville à Anthony. Nous étions environ 150 personnes sur le terrain, dont 50 enfants, pour la majorité scolarisés comme mon frère et moi. Avant le confinement, les conditions de vie étaient déjà très difficiles. Je vivais dans une baraque avec ma mère et mon frère. Nous n'avions pas d'eau courante. La seule source d'eau était une borne incendie devant le terrain, à laquelle tous les habitants devaient s'approvisionner. L'accès au courant électrique était aussi aléatoire. Même avant le confinement, j'ai toujours rencontré des difficultés à travailler mes cours à la « maison » car nous étions trois personnes dans la même pièce, qui servait à la fois de cuisine, de séjour et de salle de bain. J'essayais au maximum de faire mes devoirs au lycée et d'être très concentrée pour assimiler les informations dont j'avais besoin. La situation était similaire pour les autres enfants du terrain mais malgré ces conditions, nous nous accrochions pour réussir à l'école.
Lorsque le confinement est arrivé, la situation s'est lourdement aggravée pour nous. À l'annonce du confinement, les habitants du terrain ont été saisis de panique face au contexte anxiogène de pandémie. Nous ne comprenions pas la situation. Environ la moitié des familles ont décidé de repartir en Roumanie pour se protéger. Leurs enfants ont donc arrêté l'école. Quelques jours plus tard, les bénévoles sont venus apporter des attestations de déplacement traduites. Ils ont expliqué les mesures et la situation actuelle, ce qui a permis d'apaiser un peu la panique. Ceux qui sont restés sur le terrain, comme nous, n'avaient plus aucune source de revenus. Ma mère, qui avait enfin trouvé un travail, n'a pas pu le commencer et ne l'a démarré qu'en juillet. Nous étions donc dépendants de l'aide alimentaire mise en place par les bénévoles de Romeurope. Des colis alimentaires et des produits d'hygiène étaient distribués toutes les semaines. Comme la distribution avait lieu un jour de semaine, à l'entrée du terrain en matinée, et qu'il fallait faire la queue pour y accéder, je devais choisir entre aller chercher les colis et suivre les cours en ligne. Ma mère étant immobilisée pour un problème de santé, mon frère et moi devions nous en occuper. J'ai raté beaucoup de cours pour cette raison. L'accès à l'eau devenait critique en cette période de pandémie alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise que chaque personne puisse accéder à 60 litres d'eau par jour, ce qui n'était clairement pas le cas chez nous.
En ce qui concerne plus particulièrement la continuité pédagogique, comme tous les enfants du bidonville, je ne disposais ni d'ordinateur ni de connexion Internet ni d'imprimante. Mon lycée m'avait fourni une tablette en début d'année pour remplacer les manuels mais elle « buggait » souvent et n'était pas adaptée pour suivre les cours. Je me débrouillais avec mon téléphone quand la 4G était disponible. Beaucoup d'enfants du terrain, plus petits que moi, n'avaient pas de téléphone et leurs parents n'avaient pas de smartphone pour leur permettre d'accéder aux cours en ligne. Les professeurs qui connaissaient ma situation envoyaient mes cours imprimés à une bénévole, qui me les apportaient sur le terrain. Ils ne pouvaient pas me les envoyer directement en l'absence de boîte aux lettres dans le bidonville. Je ne pouvais pas aller les chercher au centre communal d'action sociale (CCAS), adresse de ma domiciliation administrative, à cause de l'interdiction de déplacement pendant le confinement. Pour tous les autres enfants du terrain, aucun soutien scolaire n'a été mis en place. Presque 100 % d'entre eux ont décroché pendant le confinement. J'étais la seule encore en contact avec mon établissement scolaire. À la fin du confinement, les bénévoles de Romeurope ont distribué des cartes SIM et des tablettes, d'une grande d'aide bien qu'elles soient arrivées un peu tardivement.
À la fin du confinement, lorsque la situation est apparue un peu moins dangereuse, les familles parties en Roumanie sont revenues sur le terrain mais elles ont rencontré des difficultés pour que leurs enfants puissent reprendre les cours. Elles ont dû renouveler les inscriptions scolaires car la majorité avait été radiée avec leur départ en Roumanie et leur domiciliation n'était plus valable.
Heureusement pour mon frère et moi, nous avons eu la chance de déménager à la rentrée. Nous passons ce deuxième confinement dans de meilleures conditions, ce qui permet de rattraper le retard accumulé et de poursuivre notre parcours scolaire avec de bons résultats. Malheureusement, ce n'est pas le cas pour tous les autres enfants, qui vivent toujours en bidonville, en squat ou en aire d'accueil, et qui seront à nouveau confrontés à ces difficultés, sans grande chance de s'en sortir si des mesures adaptées ne sont pas mises en place rapidement.
Ces mesures pourraient être par exemple le développement de la médiation scolaire, qui permettrait de conserver le lien entre les enfants et leur établissement scolaire. C'est ce qu'a fait une de mes amies Alicia, médiatrice scolaire, qui travaille avec des enfants en très grande précarité. Au sein de notre collectif, le développement de la médiation scolaire a été un de nos combats principaux depuis le début. Il a abouti à la création de 33 places de médiateurs scolaires. Lorsque les enfants ont été aidés par des médiateurs scolaires, ils ont réussi à s'en sortir. Il serait également bon de permettre à tous ces enfants d'accéder à une connexion Internet et à un ordinateur ou une tablette, pour pouvoir suivre les cours en ligne.
Je vous remercie de m'avoir écouté et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et participer, si vous le jugez nécessaire, à la conception de solutions pour résoudre ces problèmes.
Merci. Je passerai à présent la parole à Andrei Nicolae. Lorsque je l'ai rencontré, il ouvrait l'accès aux bidonvilles et aux camps, où vivaient des membres de sa famille. Il a permis à la chaîne alimentaire de se constituer. Il était en effet nécessaire de traduire et d'expliquer ; aucune communication adéquate n'était disponible pour expliquer les gestes barrières, la crise sanitaire et la gestion de la chaîne alimentaire. Des jeunes des camps se sont proposés et ont, petit à petit, réussi à discipliner 150 ou 200 personnes pour que la distribution se fasse correctement. Nous nous sommes très vite rendu compte qu'au-delà de la distribution alimentaire, une très forte demande portait sur l'école. L'association culturelle Rencont'roms nous, à laquelle appartenait déjà Andrei, qui avait 17 ans à l'époque, a alors pris le relais pour appliquer la continuité pédagogique dans ces lieux, où il n'est question ni de savon ni d'eau courante. C'est presque un défi, un challenge. Andrei, peux-tu nous expliquer comment tu as vécu la situation et comment est née cette expérimentation, qui fonctionne formidablement sur ton campement ?
Bonjour à tous. Merci de nous avoir invités. Je suis salarié de l'association Rencont'roms nous. Je suis accompagné de Frindus, qui est membre de l'association et effectue une mission de service civique. Nous allons parler au nom de l'équipe aujourd'hui. Nous sommes deux jeunes Roms qui habitaient sur le terrain de la Flambère, à Toulouse. Aujourd'hui, 150 personnes en situation de précarité vivent dans ce bidonville, comme nous avons pu le constater avec le recensement que nous avons réalisé. Nous faisons partie de l'association Rencont'roms nous, qui propose des actions culturelles, artistiques et éducatives, pour lutter contre le racisme et les discriminations.
Tu es salarié depuis très peu de temps en tant que médiateur scolaire suite justement à la crise sanitaire et à ton action avec les jeunes autour de toi.
Avant, nous menions des actions culturelles, artistiques et éducatives pour lutter contre le racisme et les discriminations. Notre objectif était de donner la parole aux premiers concernés. Je suis à présent médiateur scolaire. Avant, j'étais salarié comme animateur. Frindus est volontaire en service civique. Nous sommes six jeunes, tous roms et ayant habité sur le terrain.
Pendant le confinement, toutes les actions de l'association ont été arrêtées à cause du virus mais nous avons préféré rester sur le terrain pour aider les habitants. Un grand besoin existait car aucune autre association n'était présente pour aider. Nous savions que c'était risqué pour nous mais nous avons pris ce risque pour aider les familles. Nous avons voulu être solidaires, en l'absence d'autres intervenants. Certains habitants du terrain avaient perdu leur travail. D'autres n'allaient plus faire la manche. D'autres encore étaient en grande difficulté parce qu'ils ne pouvaient plus se nourrir. Nous avons alors changé de mission et réalisé un recensement pour connaître les besoins. En mars, 196 personnes habitaient sur le terrain. Nous avons commencé par de la distribution alimentaire pour répondre à l'urgence. Les familles devaient se nourrir et n'avaient pas d'autres solutions. La distribution de colis avait lieu toutes les deux semaines, avec d'autres associations. Nous avons ensuite aidé Médecins du monde à traduire des communications sur les gestes barrières, afin de sensibiliser les gens du terrain. Nous tenions aussi, depuis le début, à assurer la continuité pédagogique, alors qu'aucun ordinateur ni réseau internet ni mail n'étaient disponibles. Il fallait trouver un système pour que les parents conservent le lien avec les écoles. Nous avons commencé à recueillir des enveloppes des écoles pour travailler avec les élèves mais ces derniers avaient beaucoup de difficulté et demandaient de l'aide.
Les élèves ne pouvaient pas faire leurs devoirs tout seuls. Les enveloppes transmises par les enseignants traînaient dans les campements et personne ne s'en saisissait. Vous vous êtes alors mobilisés, avec des étudiants, pour organiser cette courroie de transmission.
Avec ton aide et celle de bénévoles, nous avons pu mettre cette action en place sur le terrain ; elle a été un grand succès. Les enfants sont en demande d'école, ils sont motivés et veulent tous faire leurs devoirs. Le premier recensement a montré que tous les enfants n'étaient pas inscrits à l'école, mais pendant le premier confinement, tous venaient au soutien scolaire, même ceux qui n'étaient pas scolarisés. Nous faisions de la lecture, du français, des mathématiques, du sport, etc. Certains enfants ont appris les couleurs, d'autres ont même appris à lire et nous avons continué à aller chercher des enveloppes dans les collèges toutes les semaines. Nous faisions même les cours avec un professeur grâce à une tablette. Les enseignants nous ont beaucoup aidés. Le soutien scolaire était important à mettre en place car les enfants n'avaient rien. La situation était compliquée car beaucoup d'élèves étaient en décrochage scolaire et rencontraient des problèmes avant même le confinement. Nous ne voulions pas que la situation s'empire pendant le confinement. Nous souhaitions que les élèves conservent le lien avec l'école et ne perdent pas leur motivation.
Vous vouliez conserver l'appétit des enfants pour l'école et vous avez même suscité l'appétit de certains. Des enfants qui n'étaient pas scolarisés faisaient la queue pour bénéficier d'une demi-heure de soutien. Certains s'arrachaient les multiplications. C'était la cohue pour aller au soutien scolaire, ce qui n'est pas fréquent. Des étudiants en santé se relayaient comme bénévoles et ils ne vous ont plus jamais abandonnés depuis.
Nous avons remis en place le soutien scolaire pendant ce confinement et il fonctionne plutôt bien, compte tenu de la forte demande d'aller à l'école.
Le plaisir est partagé avec les étudiants en santé, qui découvrent un public qu'ils auront à soigner un jour et qui comprennent l'intérêt majeur de cette démarche. Le plaisir de donner accès au calcul ou à la lecture à un enfant qui en a très envie est démultiplié. Nous avons en outre vu tous ces enfants revenir à la rentrée. Le baraquement que vous avez transformé en école dans le bidonville est un grand succès. Le lien a été maintenu voire renforcé à la rentrée.
Oui. Cette expérience m'a aussi permis de devenir médiateur scolaire sur le terrain.
Merci beaucoup Andrei. Je donne à présent la parole à Manon Fillonneau, déléguée générale du collectif national Droits de l'Homme Romeurope, qui a beaucoup travaillé pendant toute cette crise. Je me rappelle des premiers appels au début du confinement. Nous étions extrêmement désemparés par rapport à la manière d'atteindre ces personnes, de leur faire comprendre la situation, d'enclencher des actions pour gérer l'urgence, alors qu'elles gagnent généralement leur vie au jour le jour par la mendicité ou la récupération. Nous ne pouvions pas imaginer que du jour au lendemain, elles allaient être privées de toutes ressources. Il me paraît important de s'extirper d'une expérimentation très locale pour identifier, au niveau national, les défaillances, les bonnes initiatives et les moyens d'amélioration concrets. Nous ne serons plus jamais les mêmes qu'au premier confinement mais beaucoup reste à faire.
Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole. Nous ne nous extirperons pas vraiment des situations individuelles et locales puisque les propos d'Andrei et Ana reflètent une réalité, vécue dans d'autres bidonvilles à Lille, Nantes, Marseille, etc.
Le collectif Romeurope réunit 48 associations, qu'elles soient nationales, locales ou sous forme de collectifs locaux. Ces associations sont mobilisées auprès des personnes vivant en squat, en bidonville ou en hôtel social, principalement originaires d'Europe de l'Est. Je parlerai des personnes contraintes de vivre dans des habitats de fortune, dans des baraques en bidonvilles ou dans des squats d'immeubles vacants. Les membres du collectif agissent plutôt auprès des personnes roumaines et bulgares d'origine rom mais la réalité des squats et des bidonvilles en France est bien plus diverse. Des personnes sont originaires du Moyen-Orient, d'Afrique de l'Est, d'Afrique de l'Ouest, des Comores, du Brésil, de France, que ce soit à Toulouse, à Mamoudzou, à Calais, à Nantes ou à Cayenne. Les personnes dont je vous parlerai font aussi partie de la jeunesse française ; la population en bidonvilles est en effet composée d'un tiers de mineurs. La moyenne d'âge des adultes est également très jeune. Si les statuts administratifs et les situations individuelles et familiales sont très différents, les conditions de vie des personnes ont été identiques pendant la crise sanitaire. Le premier enseignement à tirer de cette crise sanitaire est que la meilleure façon de se protéger de ses conséquences consiste à posséder un toit et des revenus stables. À défaut, la survie face au coronavirus est extrêmement difficile. Les mesures de confinement ont frappé durement les habitants des bidonvilles, déjà précarisés par des années d'expulsion et de grande précarité. L'arrêt instantané des activités génératrices de revenus, que ce soit la ferraille, la récupération de métaux, le recyclage et parfois la mendicité, a été une catastrophe, ayant généré encore plus de pauvreté et une situation humanitaire très préoccupante.
Je vous parlerai de l'aide alimentaire et de la santé, pour finir par la question de l'insertion et de la résorption des bidonvilles. Sur le plan de l'aide alimentaire, des éléments positifs ont été constatés. Dans la plupart des territoires, la distribution alimentaire et celle de chèques services ont été plutôt bien coordonnées, grâce à un financement de l'Etat en particulier. La distribution de chèques services, financée en partie par la Délégation interministérielle à l'hébergement et au logement (DIHAL), n'a pas repris avec ce deuxième confinement. La première recommandation du collectif Romeurope est que cette mesure soit activée à chaque restriction dans les déplacements, qui représente un signe drastique de chute de revenus. L'attestation dérogatoire de déplacement est en effet compliquée à obtenir pour ces activités informelles. En conséquence, les gens perdent des revenus et ont faim. Les enfants n'ont plus de lait, de couches, etc. Avant la crise sanitaire, nous ne fournissions pas d'aide alimentaire. Les gens se débrouillaient toujours par eux-mêmes.
Sur le plan de la santé, nous avons constaté certains aspects positifs, même si le négatif prévaut. Par exemple, lors du premier confinement, des droits à la santé ont été prolongés et ont permis la poursuite d'une couverture maladie, que ce soit l'aide médicale d'Etat ou la couverture universelle. Je ne crois pas que ce soit le cas pour ce deuxième confinement. Des maraudes sanitaires se sont également mises en place, avec des distributions de kits d'hygiène par les associations. Comme Ana en a parlé, un accès à l'eau a en outre commencé à s'organiser, de façon toutefois très disparate selon les lieux de vie. Après plusieurs années à réclamer un accès à l'eau dans les squats et les bidonvilles, nous nous sommes rendu compte que cet accès était possible, dans des délais relativement rapides, pour un coût peu élevé. Des organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires comme Solidarité internationale et Action contre la faim ont apporté des solutions techniques (telles que des citernes d'eau ou des raccordements au système de la ville), permettant à beaucoup de bidonvilles d'être raccordés à l'eau, même si cela ne s'est pas toujours fait dans les standards.
Sur le plan plus négatif, dès la fin de la trêve hivernale, qui a été prolongée jusqu'au 10 juillet, une vague d'expulsions de lieux de vie informels s'est produite, que nous avons recensée avec d'autres associations dans l'observatoire des expulsions collectives de lieux de vie informels. Nous en avons compté 295 entre le 10 juillet et le 31 octobre, date de la nouvelle trêve hivernale. Ces expulsions ont généré un brassage des populations, malvenu sur le plan sanitaire. 90 % ont concerné des lieux de vie où vivaient des enfants. Les relogements ou les mises à l'abri n'ont pas été suffisants. Des lieux de vie raccordés à l'eau ont été expulsés. Or nous le savons tous, toute expulsion génère un nouveau bidonville, où il faut « recommencer à zéro », notamment pour l'accès à l'eau.
Nos recommandations sur ce volet de la santé et des conditions de vie sont de demander au plus haut niveau de l'État, sans équivoque, et à toutes les collectivités concernées qu'un accès à l'eau soit organisé partout, avant la fin de l'année. Dans le contexte sanitaire actuel, il n'est pas possible de respecter les gestes barrières en l'absence d'eau. Il s'agit autant d'une question de dignité que de santé publique. Par ailleurs, la médiation en santé est précieuse pour permettre d'expliquer les gestes barrières et faire en sorte que les personnes ne rompent pas leur suivi de santé, alors que la plupart ont une situation de santé très fragile. Nous demandons évidemment, au nom de la santé publique et de l'intérêt public, d'arrêter les expulsions pendant toute la durée de la crise sanitaire. Nous souhaitons envoyer un message fort à ce sujet. Nous possédons des alertes très concrètes d'expulsions pouvant avoir lieu en Seine-et-Marne, à Toulouse, dans le Val-de-Marne et ailleurs. Cela nous paraît aussi dangereux qu'irresponsable pour les personnes concernées, leurs voisins et la population générale. Nous sommes en pleine trêve hivernale mais juridiquement, les expulsions sont encore possibles pour certains lieux, bidonvilles et squats.
Je ne reviendrai pas sur la scolarisation puisqu'Ana et Andrei ont largement évoqué la fracture numérique, le risque de décrochage scolaire et le rôle précieux de la médiation scolaire.
Je voudrais donc terminer par la question de l'insertion. J'utilise ce terme plutôt qu'intégration. La résorption des bidonvilles reste un objectif fixé par le Gouvernement. Un cap doit être tenu et il importe d'avancer sur cette question. Nous sommes contre les expulsions mais également contre les bidonvilles et le fait de laisser vivre des personnes dans des conditions de vie aussi indignes. Sur le plan de l'insertion, le confinement a rendu compliqué un certain nombre d'accès aux droits, les lieux de domiciliation notamment, qui constituent pourtant le début de toute démarche d'insertion. Il faut en effet avoir accès à une adresse pour signer un contrat de travail, avoir accès à la santé, etc. L'accès est également plus difficile pour les travailleuses et travailleurs sociaux, qui ne répondent plus que par téléphone aujourd'hui. Or nous parlons de personnes éloignées de tout le système du droit commun. Sur ce sujet, nos recommandations portent sur le renforcement de l'investissement dans des projets vertueux de résorption des bidonvilles. Huit millions d'euros sont d'ores et déjà disponibles auprès de la DIHAL pour de tels projets. Avec du temps et des investissements, les projets fonctionnent. Des dizaines de jeunes adultes, dans cette table ronde et ailleurs, ont vécu dans des bidonvilles et se retrouvent aujourd'hui dans un appartement. Ils ont vécu pendant des années avec une injonction à l'insertion, en dépit d'un chemin semé d'embûches – expulsion tous les six mois, scolarisation en dents de scie, etc. Pour autant, dans tous les territoires, des gens redeviennent « invisibles », ils n'habitent plus dans des bidonvilles, ils ne sont plus étiquetés « Roms », ils vivent dans un appartement et s'en sortent très bien. Il importe pour ce faire de donner une vraie place aux personnes concernées par ces projets d'insertion car eux seuls ont les clés pour s'en sortir, afin notamment de co-construire les politiques qui les concernent. Il est beaucoup question de la participation des premiers concernés dans la construction des politiques publiques mais la mise en œuvre prend du temps.
En conclusion, cette crise sanitaire doit permettre de rappeler que des enfants, des jeunes et leurs parents vivent dans une situation d'extrême précarité en France, au sein de bidonvilles, qu'ils ne doivent plus vivre sans accès à l'eau mais également sans accès à l'école et à la santé. Investir aujourd'hui dans un accès au logement est primordial pour construire une nouvelle génération de jeunes, n'ayant pas connu qu'une vie en bidonville et en squat.
Vous parlez de rappel, de réveil, je rajouterais le mot révélation car beaucoup d'enfants prouvent, à cette occasion, leurs qualités, différentes, connexes, dont la France pourrait s'emparer pour la suite. Ce facteur révélateur de la crise est particulièrement intéressant, il me semble.
Des enfants sont trilingues dès leur plus jeune âge puisqu'ils parlent roumain, romani et français.
Ils sont débrouillards, indépendants de leurs parents, résilients… Je donne à présent la parole à Annabelle Quillet, membre du Groupement pour la défense du travail social, qui est intervenue dans les hôtels sociaux de Toulouse dès les premiers jours du confinement. Après nous avoir expliqué son action et ses découvertes par rapport aux enfants confinés dans des hôtels sociaux, celle-ci nous présentera Aminata Coulibaly, qui a pris en main la question de la continuité pédagogique, en faisant en sorte que les parents adhèrent. Il s'agit d'une histoire positive et constructive, dans l'un des domaines les plus complexes que peut connaître l'enfance aujourd'hui en France.
Bonjour et merci pour cette invitation. Nous n'avons pas souvent l'occasion d'être entendus et de nous exprimer. Je suis travailleuse sociale. Je travaille depuis vingt ans auprès de personnes sans domicile fixe (SDF). Je tiens des permanences d'accueil et reçois les personnes « à la rue ». Pendant le confinement, le service a fermé et j'ai été réquisitionnée pour intervenir sur la coordination de l'aide alimentaire dans les hôtels sociaux. Dès le début, la question s'est posée de la manière dont ces familles allaient se nourrir sachant qu'habituellement, elles se déplaçaient vers des associations caritatives. Je suis arrivée sans connaître ces hôtels, notamment le plus important, hébergeant 95 ménages, soit à peu près 300 personnes. J'ai rencontré les familles, qui étaient complètement abandonnées. Au début, nous pensions que leur situation était liée au confinement. Reste que comme dans beaucoup d'autres domaines, le confinement a mis en exergue des manques qui existaient déjà avant mais que nous ne voyions pas. J'ai vécu un peu le confinement à l'hôtel parce que j'y étais très souvent. J'étais la seule personne physiquement présente pour répondre à leurs problèmes du quotidien. Un lien et un rapport de confiance se sont créés avec ces familles. C'était comme un petit village qui devait se débrouiller tout seul, car tout avait disparu autour. Un projet a émergé à la suite de ces rencontres, dont Aminata Coulibaly parlera mieux que moi.
Des enfants étaient à l'hôtel, dans des conditions extrêmes. J'ai pu récolter des témoignages, grâce aux relations de confiance construites avec les parents et les enfants. J'ai interrogé les enfants sur ce qu'ils avaient vécu pendant le confinement. Ceux-ci ont exprimé des conditions de vie dignes de films d'horreur. Des hordes de cafards arrivent sur les pieds des enfants. Les punaises de lit constituent un véritable problème, qui rend fou puisqu'elles empêchent de dormir la nuit. Les enfants n'arrivent pas à dormir, ils ont du mal à se lever le matin et à tenir la journée à l'école. La violence est extrême puisque l'hôtel social n'accueille pas que des familles. Samedi dernier par exemple, une mère est venue me voir pour me dire que ses enfants étaient traumatisés et n'arrivaient plus à dormir parce qu'ils avaient vu un homme sortir d'une chambre et se taillader le torse avec un couteau. Un cafard a été retrouvé dans le vomi d'un petit enfant. Une dame était également présente, avec trois enfants. Elle était partie de l'hôtel mais revenait pour se rendre dans l'association d'Aminata. Elle m'a expliqué que son fils de 13 ans était suivi par un psychologue car après le confinement et le départ de l'hôtel, il ne faisait que pleurer. Il était en fait traumatisé par l'image de son père, policier dans son pays d'origine, qui dormait par terre à l'hôtel. Les images que ces conditions de vie renvoient aux enfants, d'eux-mêmes et de leurs parents, sont réellement traumatisantes.
Douze enfants ont accepté de me parler et de m'expliquer comment ils avaient vécu le confinement. Parmi les éléments qui ressortent en premier figurent l'insalubrité, l'insécurité et la violence. La police est souvent au bas de l'immeuble et lorsque les enfants partent à l'école le matin, ils ont peur de croiser des policiers. Les difficultés scolaires liées au confinement ressortent également. Trois frères et sœurs peuvent se partager une même pièce, sans bureau, avec l'un ou l'autre qui joue ou regarde la télévision. La connexion est très faible puisque les 95 ménages sont reliés au même réseau wifi. Les enfants attendent minuit pour pouvoir accéder à l'espace numérique de travail (ENT) et faire leurs devoirs. Ces enfants ressentent également de la honte d'être à l'hôtel, ils n'en parlent pas à leurs copains, ils ne les invitent pas et n'acceptent pas d'invitation parce qu'ils savent qu'ils ne pourront pas la rendre.
En 2017, un rapport est paru sur les besoins fondamentaux des enfants dans la protection de l'enfance. Nos propos relèvent selon moi de la protection de l'enfance. La violence n'est pas intrafamiliale, elle est institutionnelle. Les besoins fondamentaux, quels que soient les enfants, sont les mêmes. Ce rapport répertorie sept besoins fondamentaux, dont un méta-besoin, correspondant au besoin de sécurité. Sans sécurité, un enfant ne se construit pas normalement, que ce soit au niveau de sa santé physique, psychologique ou de son image de lui-même. Le besoin de sécurité comprend trois besoins fondamentaux : le besoin physiologique et de santé ; le besoin de protection ; le besoin de sécurité affective et relationnelle. Quatre autres besoins sont recensés : le besoin d'expérience et d'exploration du monde ; le besoin d'un cadre de règles et de limites ; le besoin d'identité ; le besoin d'estime de soi et de valorisation de soi. Comment se construire une identité en France, en venant parfois d'un pays étranger ? Ces enfants grandiront et deviendront français pour la majorité. Comment se construire une identité dans un pays où l'on est accueilli dans des conditions plus que précaires et assez maltraitantes ? Lorsque ces enfants obtiennent la nationalité française, comment leur identité pourra-t-elle, ou non, se négocier ? De la même manière, le besoin d'estime de soi et de valorisation de soi est largement attaqué par les conditions de vie à l'hôtel. En tout état de cause, le méta-besoin de sécurité n'est pas satisfait. Les enfants ont peur. Les parents ne dorment pas la nuit pour surveiller que personne ne rentre.
En ce qui concerne l'école, il faut savoir que ces enfants vivent, ils ont beaucoup de projets et ont besoin, comme tous les autres enfants, d'une chambre et d'un bureau. Ceux-ci sont admirables car en dépit des conditions, ils tentent de faire leurs devoirs coûte que coûte, à minuit ou à cinq heures du matin, lorsqu'Internet fonctionne car l'école est pour eux essentielle. Il s'agit également d'un lieu normalisateur, où ils essaient d'être comme tous les autres enfants. Ce sont des enfants comme les autres, même si leurs conditions de vie sont différentes.
Je pense que ma présence a été essentielle pendant le confinement mais également par la suite. Même si j'étais hors mission, je suis revenue car je ne pouvais pas les laisser à l'abandon. Je pense qu'il est essentiel que des travailleurs sociaux soient présents dans ces hôtels. Il pourrait s'agir d'équipes volantes ou d'interlocuteurs privilégiés qui connaissent les familles et leur quotidien, qui puissent répondre aux angoisses des familles et qui puissent également contrôler ce qu'il s'y passe. À Toulouse, l'hôtel coûte à l'État 13 millions d'euros par an. Les hôteliers gagnent de l'argent ; en contrepartie, ils devraient garantir la sécurité et l'hygiène. Le fait que les travailleurs sociaux possèdent un droit de regard et une forme de contrôle pour les conditions de sécurité et d'hygiène me paraît essentiel.
Lorsque vous reprendrez la parole, pourrez-vous nous expliquer comment le deuxième confinement se déroule, si les familles sont toujours confinées et si l'organisation s'est étoffée par rapport au premier épisode où tout a été dépendant de la bonne volonté d'associations, notamment du 115 et où des familles ont été livrées à elles-mêmes pendant plusieurs semaines ? J'aimerais également vous entendre sur les dégâts psychiques engendrés par cette situation, sachant qu'il est compliqué de vivre à cinq dans une chambre, sans cuisine, avec parfois un seul réchaud interdit. Des drames terribles se produisent fréquemment, avec des gens à bout d'être dans une situation d'attente pendant un ou deux ans. Le confinement a-t-il aggravé la situation ou au contraire, a-t-il permis aux personnes de s'entraider et de vivre la crise en commun ?
Je donnerai à présent la parole à Aminata Coulibaly, mère de famille hébergée dans l'un des hôtels sociaux de Toulouse. Vous avez lancé le pari de la continuité pédagogique, y compris dans un hôtel social.
Je suis accompagnée d'une enfant, qui a bien voulu témoigner de sa vie dans un hôtel social, sans apparaître sur la vidéo. Océane, qu'est-ce que la vie d'un enfant hébergé à l'hôtel ?
Océane. C'est dur et compliqué. Les chambres sont petites, les lits sont pleins de punaises et de cafards. La chambre est envahie par les cafards. La nuit, nous n'arrivons pas à dormir. Les piqûres de punaises nous démangent et nous font des plaques sur le corps. Les cafards et les punaises sortent de nos poches et de nos sacs à l'école. C'est la honte. Pour les devoirs, ce n'est pas facile. Nous n'avons pas d'espace ni de bureau. Nous n'arrivons pas à nous concentrer. Pendant que les petits jouent et regardent la télé, nous n'avons pas de place pour faire nos devoirs. La connexion Internet est mauvaise. Il faut attendre la nuit que certains dorment pour avoir du réseau et faire nos devoirs dans le hall. Nous dormons tard et nous nous endormons au collège. Nous n'arrivons pas à suivre. Le bruit est important à l'hôtel ; l'alarme incendie sonne tout le temps. Les bagarres sont nombreuses. La police intervient presque tous les jours. Des gens cassent tout, ils sont très violents et en menacent d'autres avec des couteaux. Certains sont alcooliques et d'autres drogués. Des gens font très peur. Il y a des familles et des hommes seuls, qui sont bizarres. Je n'aime pas vivre à l'hôtel. Nous n'avons pas de cuisine. Nous faisons à manger et la vaisselle dans la chambre, au même endroit où l'on fait nos besoins. C'est dégoûtant. Les couloirs et les ascenseurs sont pleins d'urine. Les gens crachent dans l'ascenseur et jettent tout dedans. J'ai honte d'être à l'hôtel. Mes amies demandent à venir chez moi pour une « soirée pyjama » mais je refuse car je suis gênée de dire que j'habite à l'hôtel. Je ne veux pas faire l'objet de moqueries. J'ai envie d'avoir une maison comme tous les enfants et vivre une vie normale, pouvoir bien dormir, bien travailler à l'école et être heureuse avec ma mère et mes frères.
Océane. J'ai 12 ans et je suis en sixième.
Nous venons d'entendre le témoignage d'un enfant vivant à l'hôtel. Il s'agit du vécu de la plupart des enfants ici. J'aborderai pour ma part l'action que nous avons menée. Je suis mère de trois enfants et hébergée à l'hôtel. Après que le Président de la République a annoncé, le 16 mars : « nous sommes en guerre et personne ne sera laissé de côté », le confinement et les mesures de continuité pédagogique d'école à distance ont suivi. J'ai pu faire la rencontre d'Annabelle Quillet dans le cadre de la distribution alimentaire. La continuité pédagogique a été le révélateur des difficultés scolaires que les enfants vivaient à l'hôtel. Les devoirs restaient dans le hall, sur la table de la réception, même lorsque le personnel d'accueil les remettait aux parents. J'ai été interpellée et ai mené mon enquête. Je me suis rendu compte que ces personnes étaient allophones, analphabètes ou très peu instruites. Je me suis sentie interpellée. Je me suis demandé ce que je pouvais faire à mon niveau, au-delà d'applaudir tous les soirs les soignants, pour aider ces enfants laissés de côté.
J'ai organisé au sein de l'hôtel des cours de soutien avec des personnes hébergées, que j'avais repérées et qui avaient la capacité d'aider ces enfants. Nous avons été épaulés par Annabelle. Les cours se sont mis en place et ont suscité un engouement véritable. Cela a permis, alors que les décrocheurs étaient déjà nombreux avant le confinement, d'arrêter la saignée, que d'autres ne décrochent pas, que ceux qui avaient perdu le goût de l'école se remotivent et que les enfants en ayant besoin soient soutenus. Nous avons pu encadrer 32 enfants pendant le confinement.
L'initiative se poursuit aujourd'hui. Elle a permis de faire ressortir que ces enfants avaient un véritable problème. Les parents ne comprenant pas le français ou ne possédant aucune notion de base ne peuvent pas aider leurs enfants pour les devoirs, si ceux-ci n'ont pas bien compris les consignes. Les enfants finissent par se désintéresser et le décrochage est clair. Nous souhaitons pallier cette insuffisance des parents. Nous essayons de le faire avec des personnes qui vivent à l'hôtel, afin de créer un certain vivre ensemble. Nous essayons de créer un élan de solidarité entre ces personnes vivant à l'hôtel mais également d'amener les personnes de l'extérieur à changer de regard sur la vie de ces enfants et à comprendre qu'ils ne veulent que réussir et être aidés. Nous avons rencontré des enfants très brillants, qui ne bénéficiaient pas de soutien. Nous avons compris que l'initiative ne pouvait pas se limiter au confinement. Nous avons donc décidé de nous constituer en association pour aider les enfants mais également les parents. En effet, cette initiative a créé un engouement et les parents se sont plaints que leurs enfants allaient mieux parler le français qu'eux. Nous avons donc étendu le projet aux parents, avec des cours d'alphabétisation. L'idée est de l'élargir à tous les hôtels sociaux. La vie en hôtel est très compliquée et nous pouvons aider les familles sur le plan scolaire.
J'aimerais enfin profiter de cette tribune pour évoquer le cas des enfants nouvellement arrivés en France, les primo-arrivants. Je ne suis pas spécialiste de l'enseignement mais le terrain nous a permis de voir que ces enfants bénéficient de quatre à six mois d'accompagnement, d'un an au plus. D'après ce que je sais, ceux-ci n'ont pas le droit de faire plus d'une année dans ces classes spécifiques appelées unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UP2A). J'ai eu l'occasion d'encadrer des enfants. Je citerai l'exemple d'une petite tchétchène de onze ans, qui est en sixième alors qu'elle ne parle pas un mot de français. Je lui ai appris l'alphabet, à se présenter et à dire bonjour. Le collège lui demande de faire des devoirs de compréhension de texte. Je me demande comment un enfant qui ne sait pas dire bonjour peut faire un tel exercice. Nous avons été confrontés à plusieurs cas de ce type. Cette situation est choquante et incompréhensible. Nous nous sommes tournés vers le rectorat et le Centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV). Il nous a été expliqué qu'en France, les enfants étaient scolarisés en fonction de leur âge. Si vous avez onze ans, vous devez être en sixième, peu importe vos connaissances de base. J'aimerais être le porte-parole des parents, afin de faire comprendre que cette situation n'est pas tolérable. Ces enfants risquent de décrocher. Après six mois en UP2A, intégrer une classe normale sans pouvoir s'exprimer démotive complètement. Ce système favorise le décrochage. Je lance un appel aux autorités pour que des réflexions soient menées et qu'un système plus approprié soit mis en place pour encadrer les enfants. Ceux-ci ne peuvent pas arriver en sixième sans connaître le français ni les bases. J'exhorte le ministère et les autorités à agir à ce niveau. Je suis contente de la tribune que vous nous offrez, je vous en remercie.
Pour finir, je dirais que si de grandes associations existent, les initiatives comme la nôtre gagneraient à être encouragées et valorisées. Pendant le confinement, nous avons vraiment peiné pour trouver du matériel. Nous avons contacté le dispositif « réussite éducative » au niveau de la mairie de Toulouse, sans jamais obtenir de réponse. Nous avions juste demandé un tableau pour pouvoir respecter les gestes barrières et être loin des enfants. Jusqu'à ce jour, nous n'avons pas pu avoir ne serait-ce qu'un tableau pour donner des cours de façon bénévole à des enfants. J'aimerais qu'au-delà des associations les plus importantes, qui réalisent un travail admirable, les initiatives informelles, développées au plus proche des populations, soient soutenues. La lutte contre le décrochage doit être menée à tous les niveaux. Nous sommes très proches de cette frange de population. Aujourd'hui, le Président de la République parle de la lutte contre l'obscurantisme. Je vous garantis que l'obscurantisme part de ces milieux, lorsque des communautés se retrouvent regroupées dans des hôtels, sans parler français. Sans la « lumière » apportée par le soutien scolaire, l'obscurantisme est garanti. Le soutien scolaire est important pour tous les enfants. Les associations qui luttent contre le décrochage doivent être encouragées.
Ces initiatives doivent être d'autant plus encouragées lorsqu'elles viennent des parents eux-mêmes. Ce sont eux, conscients des besoins de leurs enfants, qui se prennent en charge et construisent, autour de leurs enfants et avec les moyens du bord, un projet pour empêcher le décrochage. Il faut effectivement que ces projets soient connus et reconnus. Je tiens également à souligner que la crise a permis à des établissements, comme des collèges et des lycées, de découvrir que certains de leurs meilleurs élèves vivaient en squat. Les situations commencent à être connues, ce qui peut être mis au bénéfice de la crise.
Je donnerai à présent la parole à Nathalie Senikies, de l'ASMIE et aux personnes autour d'elle.
Bonjour et merci de nous donner la parole. Nous avons produit une vidéo de 25 minutes que nous vous avons envoyée. Chaque jeune a filmé la chambre d'hôtel, la rue ou la tente où il dort. Je voulais revenir sur quelques éléments qui ont été dits. Il est souvent question de décrochage scolaire. J'ai envie de parler d'accrochage. Dans ce pays, une loi dispose que les mineurs ont le droit d'aller à l'école. Tous les jeunes ici présents n'y vont pas et n'ont pas le droit d'y aller, alors qu'ils sont reconnus mineurs. Je ne parle même pas de ceux qui se battent pour justifier de leur minorité.
Des jeunes se retrouvent confinés dans une chambre d'hôtel de moins de cinq mètres carrés remplie de cafards, de punaises de lit et de souris, sans parents, sans pouvoir faire leurs devoirs faute de connexion et d'ordinateur, sachant que les professeurs ne peuvent pas venir gérer chaque jeune en chambre d'hôtel. Nous avons visité des classes UP2A à moitié vides en cours d'année, alors qu'il nous est dit qu'elles sont complètes et qu'elles ne peuvent plus prendre de jeunes. Un jeune arrivant à 14 ans attend parfois jusqu'à ses 16 ans pour être scolarisé et s'entendre dire que l'école n'est plus obligatoire, en faisant en sorte qu'il n'ait plus d'avenir possible.
De l'argent public est mobilisé. Je me pose des questions et les jeunes ici ont également beaucoup de questions à vous poser. Le confinement n'a en effet fait qu'accentuer des situations qui étaient déjà dramatiques, injustes et anormales, alors que dans deux jours, se tiendra la Journée internationale des droits de l'enfant.
Je leur donnerai la parole pour qu'ils puissent vous raconter leur quotidien et je vous enjoins à regarder cette vidéo, qu'ils se sont donné du mal à filmer et à monter. Celle-ci dure 25 minutes, elle raconte tout ce qui vient d'être dit sur les hôtels sociaux et est consultable sur asmie.tv, sur YouTube, la chaîne des jeunes qui existe depuis plus cinq ans et qui leur permet de prendre la parole et de s'exprimer.
Lili, membre de l'ASMIE. Je suis présente dans l'association depuis sa création, puisque ma mère en est à l'origine. Je vous présenterai l'association rapidement ; celle-ci a été créée en 2016 et a vu passer plus de 600 jeunes. Des activités sont proposées tous les jours normalement mais avec le confinement, elles se sont réduites à deux fois par semaine. Elles sont dispensées par des bénévoles professionnels. Par exemple, des professeurs de français à la retraite dispensent des cours de français. Nous menons des projets. Nous avons réalisé un CD, nous montons des concerts sur la base de textes rédigés par les jeunes lors d'ateliers d'écriture. Nous projetons de faire une bande dessinée. Nous proposons des cours de cuisine, de l'assistance juridique, etc., pour essayer de pallier tous les manques.
Leticia, membre de l'ASMIE. Bonjour. Je raconterai d'abord mon histoire. Je suis arrivée en France en août 2020. J'ai 15 ans et demi et j'ai réalisé mon évaluation dans les Hauts-de-Seine. J'ai été prise mais mes papiers devaient faire l'objet de vérifications. Deux mois plus tard, le 20 octobre, j'ai obtenu un rendez-vous. Lorsque je m'y suis rendue, la responsable m'a fait part d'anomalies dans mes papiers et m'a annoncé la fin de ma prise en charge, en me disant que j'avais deux jours pour quitter l'hôtel dans lequel j'étais logée. Je suis venue à l'association, qui m'a expliqué que normalement, je ne devais pas être renvoyée de l'hôtel car selon la loi, on ne peut plus être expulsé à partir du 16 octobre, et nous étions le 22 octobre. Je n'ai personne ici, je n'ai même pas de parents puisque je suis venue seule. L'association Asmie gère actuellement mon recours juridique. J'habite dans un squat à Mairie de Montreuil, qui n'est pas vraiment adapté. Je n'ai malheureusement pas d'autre choix. Cette situation est difficile. J'aimerais aller à l'école, avoir une situation stable et que Madame la députée Marie-George Buffet trouve une solution à nos problèmes. Les gens se plaignent de l'insécurité grandissante mais il faut tenir compte de ce qu'il se passe autour. Mettre des jeunes dans de telles situations, très stressantes, est vraiment difficile. Nous sommes stressés de tout. Nous n'arrivons pas à nous nourrir comme il faut. Le squat n'est pas propre. Nous sommes tout le temps piqués par des bêtes et n'arrivons à dormir qu'à partir de trois ou quatre heures du matin. Nous souhaitons vraiment trouver des solutions à nos problèmes.
Djibril Cissé, membre de l'ASMIE. Bonjour. Je suis arrivé en France récemment, pendant le deuxième confinement. Je me suis directement rendu à la police car je ne connaissais personne. La police a appelé la Croix-Rouge, qui est venue me chercher. J'avais, dans mon sac, tous les papiers. J'ai dormi dans un foyer la première nuit puis le lendemain, je suis allé faire mon interview pour l'évaluation. J'ai logé à l'hôtel pendant une semaine mais un jour, l'hôtel m'a annoncé que je devais libérer la chambre le lendemain à 14 heures car je n'avais pas été reconnu mineur. J'ai demandé des explications à l'hôtel sur ce refus, sachant que je dispose de tous les papiers originaux. L'hôtel m'a dit qu'il n'avait pas de solution à me proposer et m'a invité à demander des explications à la Croix-Rouge. Je ne l'ai pas jugé utile, au vu du premier refus. J'ai donc dormi dehors. Le deuxième jour, l'hôtel, à qui j'avais laissé mon numéro l'a transmis à l'association Asmie, qui m'a envoyé un message et m'a demandé de venir. Sur les conseils d'Asmie, je suis retourné à la Croix-Rouge pour prendre mon évaluation. Je me suis rendu compte, en la consultant, qu'elle comprenait certains faits que je n'avais pas racontés. Il était dit que j'étais trop intelligent pour être mineur. Je suis allé à l'école, c'est normal que je sois intelligent. J'ai expliqué que tous les papiers que je possédais attestaient de mon âge et que je ne comprenais pas le refus. Désormais, je reste avec l'Asmie, qui s'occupe de mon recours juridique. Si l'association n'était pas intervenue, je serais resté dans la rue. Je suis tout seul en France, sans mes parents. Je risque d'être poussé à commettre certains actes que je n'ai pas envie de faire pour me nourrir, laver mes habits, faire mes études, et. J'attends mon recours juridique pour m'exprimer devant le juge.
Ce jeune, Mamadou Saïdou Diallo, est pris en charge en tant que mineur mais il est toujours dans le premier hôtel dans lequel la Croix-Rouge place les jeunes. Il attend depuis huit mois qu'un éducateur le prenne en charge et pour pouvoir aller à l'école. Il est actuellement tout seul, livré à lui-même, à ne manger qu'une fois par jour des petits sandwichs. La vidéo montre bien la nourriture qui est proposée. Ce jeune ne sait pas ce qu'il attend puisque personne ne lui explique ce qui va se passer. La Croix-Rouge lui a simplement dit qu'elle le prenait mais il ne possède aucun document qui l'atteste et il est en attente de transfert. Ce jeune pourra alors être envoyé n'importe où en France selon la répartition nationale, à un endroit où il ne sera peut-être pas attendu, sans aucune place, où il devra de nouveau suivre tout le processus. Il pourrait tout aussi bien rester à Paris mais pour l'instant, il n'en sait rien. Depuis huit mois, à l'âge de 15 ans, où l'école est obligatoire en France, il n'est pas scolarisé. Comment, psychologiquement, ce jeune va-t-il pouvoir se construire ? Il n'est pas pris en charge, ni médicalement ni psychologiquement. Que deviendra-t-il ? Comment peut-il tenir moralement ?
Cette situation n'est pas du tout anecdotique. 600 jeunes sont passés par l'association, avec des situations quasiment similaires. De l'argent public est mobilisé, pour des hôteliers notamment. Certains sont des marchands de sommeil et sont abjects avec les jeunes. Ils sont payés pour leur faire à manger sans leur donner quoi que ce soit, comme nous avons pu le voir lors du premier confinement. Nous avons dû nous déplacer dans chaque hôtel de la région parisienne pour aller leur apporter à manger, grâce à la récupération alimentaire et aux ateliers cuisine que nous organisons à l'aide de bénévoles. Ce n'est pas à des bénévoles, qui ne sont pas payés et dont ce n'est pas le métier, de pallier tous les manquements de l'État, alors que de l'argent public est bien présent. Nous devrions juste avoir honte du traitement infligé à ces jeunes. Une Convention internationale des droits de l'enfant existe. La France est censée être le pays des Lumières et des droits de l'homme. Je suis en colère mais je crois que celle-ci est justifiée. Je trouve que ces jeunes se comportent très bien par rapport à ce qu'ils endurent au quotidien. Imaginez votre enfant de 14 ans à la rue, en proie à tous les trafics, y compris sexuels. Je pense qu'après, la teneur de la discussion sera différente.
Sambou, membre de l'ASMIE. Bonjour. J'ai 15 ans. J'habite à Paris. Je suis arrivé en France en octobre, depuis quatre semaines. J'étais à Paris avec mes amis mais nous sommes depuis tous séparés. N'ayant pas de famille, j'ai cherché quelqu'un qui pouvait m'aider. Je suis passé par la Croix-Rouge, qui m'a pris en charge. J'ai été confirmé comme mineur. J'habite dans un hôtel depuis trois semaines. J'en ai marre car je ne peux pas bien dormir. La nourriture me rend malade. Des punaises me piquent pendant la nuit. Des souris passent souvent. Il est très difficile de dormir.
Abdoul, membre de l'ASMIE. Bonjour. Je vis en France depuis juillet. Je me suis présenté à la Croix-Rouge.
Après mon évaluation, j'ai été pris en charge. J'attends le transfert. Je dors dans un hôtel avec des punaises et des souris. La nourriture proposée est déjà périmée et me rend malade. Je ne dors pas bien. J'ai 15 ans.
Ce jeune a été pris en charge à 15 ans en tant que mineur mais l'État a attendu qu'il ait 16 ans pour lui dire qu'il n'était pas prioritaire pour aller à l'école. Cette situation est beaucoup trop fréquente. Les jeunes arrivent à l'âge où ils devraient être scolarisés d'après la loi, mais l'État s'arrange pour attendre jusqu'à 16 ans. Pour obtenir les papiers en préfecture, il faut ensuite trouver une formation professionnelle et un patron, ce qui est absolument impossible pour un jeune qui n'est jamais allé à l'école dans son pays d'origine. Le confinement a accentué ce phénomène. Les jeunes ayant réussi à s'inscrire à l'école se sont retrouvés complètement perdus car personne ne pouvait les aider pour leurs devoirs dans les chambres d'hôtel ou dehors. Des jeunes sont en effet scolarisés tout en vivant à la rue et en travaillant. Le premier confinement a mis ces jeunes en grande difficulté. Certains ont perdu leur patron car des entreprises ont fermé. Nous voulions vous montrer tous les cas de figure. Les jeunes présents aujourd'hui ne sont pas arrivés il y a très longtemps mais Maury est un ancien, présent depuis trois ans ; il va pouvoir aborder d'autres problèmes liés à la prise en charge.
Mory. Je fais partie de l'association depuis près de quatre ans et j'aimerais parler du confinement. Celui-ci s'est mal passé, comme vous le savez. Cette période a déjà été dure pour les enfants vivant avec leurs parents. Vous pouvez donc imaginer à quel point elle a été difficile pour des jeunes de 14 ou 15 ans, vivant seuls dans un hôtel.
Beaucoup de choses anormales se passent. Ce n'est pas parce que ma situation est correcte qu'elle est correcte pour tous. Je suis actuellement en deuxième année de certification d'aptitude professionnelle (CAP) et je vis en appartement partagé mais je connais beaucoup d'amis qui sont toujours à l'hôtel après trois ans. Pour ma part, je suis arrivé à 14 ans et j'ai passé deux ans à l'hôtel, jusqu'à mes 16 ans. Je ne me suis jamais plaint parce que je me disais que je n'avais pas le choix. Quand tu arrives dans un pays sans parents, tu es obligé de tout accepter. Beaucoup de jeunes de l'association sont présents depuis trois ans, sans que rien n'ait changé pour eux. Ils ne sont ni à l'école ni en formation. Il est en effet très compliqué pour quelqu'un qui n'est jamais allé à l'école, qui ne sait ni lire ni écrire, de suivre une formation de CAP.
Souvent, les propriétaires des hôtels ne font pas ce qu'ils doivent faire, se fichent de ce que nous faisons et nous disent que de toute façon, en tant qu'étrangers, nous ne pouvons pas aller loin. Les éducateurs, eux, nous disent « on verra » mais ne font rien. Beaucoup de jeunes, pourtant pris en charge, ne reçoivent pas d'argent de la part de leur éducatrice tous les mois et sont obligés de faire n'importe quoi pour avoir de l'argent. Ils n'en ont pas envie mais n'ont pas le choix : quelqu'un qui a faim n'est pas un homme libre. Quelqu'un qui a faim est obligé de faire tout ce qu'il peut pour manger, surtout en France. Vous savez mieux que moi comment cela se passe, ici. Imaginez un jeune de 15 ans qui arrive, sans connaître personne. Ses droits lui sont présentés mais ensuite, une éducatrice lui fait comprendre qu'il n'est pas le bienvenu. Si la personne qui doit l'aider est comme son ennemi, sa situation ne peut pas évoluer.
Quand je suis arrivé à 14 ans, j'ai fait moi-même toutes les démarches nécessaires pour être orienté vers un collège. Je me suis battu, tout le monde me connaissait. J'expliquais que je ne pouvais pas attendre et que je devais aller à l'école tout de suite. Je suis allé au collège, je suis en deuxième année de CAP avec les Compagnons du devoir mais beaucoup de jeunes autour de moi n'ont pas cette chance. Avant d'être pris en charge, tu en rêves mais une fois que tu l'es, rien ne se passe. L'Etat dépense beaucoup d'argent pour payer des gens qui font mal leur travail alors qu'ils ne sont pas obligés de faire ce travail. J'ai l'impression qu'ils se permettent tout vis-à-vis des étrangers.
J'ai des amis qui sont nés ici, qui me demandent souvent pourquoi je suis à l'hôtel à 15 ans. Je leur signale que je n'ai pas le choix. Mes amis m'expliquent qu'au contraire, je possède des droits. Je leur dis que j'ai l'impression que les droits ne sont pas faits pour nous mais pour les enfants qui sont nés ici. Mes amis ne sont pas d'accord et disent que les droits appartiennent à tous. Pourquoi, dans ce cas, les éducatrices ont-elles le culot de faire ce qu'elles n'ont pas le droit de faire ? Elles doivent être certainement soutenues. Si je n'ai pas le droit de faire quelque chose, je ne vais pas le faire, sauf si je sais pourquoi je le fais. Les éducatrices ne pourraient jamais agir ainsi avec un enfant né ici. Nos différences sont toujours pointées du doigt, en nous rappelant que nous sommes étrangers. Je sais bien que je suis étranger, ce n'est pas utile de me le dire.
Un autre problème tient au fait que quand nous commençons un apprentissage, notre patron n'a pas le droit de nous payer en espèces, il doit faire un virement mais il est compliqué d'ouvrir un compte bancaire. Les éducatrices ne veulent pas se déplacer alors qu'un mineur doit être accompagné pour ce faire. De ce fait, sans compte bancaire ni RIB, le patron ne peut pas nous payer, car il ne peut pas faire de virement. Si nous contestons, elles diront que nous sommes mal éduqués. Or notre éducation ne nous autorise pas à manquer de respect aux adultes.
Je me dis que vous ne connaissez peut-être pas toute l'étendue de nos problèmes ou peut-être que vous la connaissez mais que vous avez oublié. Nous sommes présents pour vous la rappeler. Je ne raconte pas des mensonges. Dans le cas contraire, je n'aurais pas montré mon visage.
L'Asmie agit au mieux. L'association a été créée pour nous et par nous, des mineurs isolés. Certains ont trouvé un nom aux étrangers, qui veut dire « qui vient de l'Afrique ». Pour moi, c'est une fierté, ce n'est pas une injure.
J'ai vu des jeunes qui sont payés pour sortir avec des vieilles dames. Une personne qui a faim, qui a passé trois nuits sans manger, trouvera cette proposition facile et l'acceptera, alors qu'elle est illégale. Des lois existent en France, qui doivent être respectées. Des personnes se sont battues pour construire ce pays, elles ont voté des lois, qui doivent être respectées. La loi n'exclut pas les étrangers, elle appartient à tous. Nous connaissons tous nos droits et nos devoirs. Merci.
Beaucoup d'autres choses pourraient être dites mais je ne citerai qu'un exemple, très frappant. La Cellule d'accueil des mineurs non accompagnés (CAMNA), en Seine-Saint-Denis, compte six éducateurs, pour plus de 120 jeunes. Quand un jeune a besoin de se faire accompagner à l'hôpital ou doit se rendre au centre d'information et d'orientation (CIO) pour réaliser le test obligatoire avant d'être scolarisé, il ne peut pas être accompagné par un éducateur, en charge de 120 ou 130 jeunes. La CAMNA est censée aider les jeunes à l'aide d'éducateurs spécialisés. Je me pose des questions, sachant que personne ne peut se démultiplier. La situation est identique dans le Val-de-Marne ou à Paris, au secteur éducatif pour mineurs non accompagnés (SEMNA). Si un jeune se blesse ou est malade le week-end, aucun éducateur ni adulte référent n'est d'astreinte. Ces jeunes doivent se débrouiller seuls. J'ai déjà été réveillée en pleine nuit pour accompagner un jeune à l'hôpital, ce que je n'avais pas le droit de faire. Lorsque je suis allée voir son éducatrice le lendemain pour me faire rembourser les frais de taxi, elle a refusé. Je trouve ce type de comportement assez léger.
Un autre jeune homme, Mohamed, est gambien. Je me ferai sa porte-parole car il parle anglais et est à la rue depuis plusieurs mois. Mohamed dort dehors, sous tente, alors qu'en plein confinement, il devrait être mis à l'abri.
Mohamed Diallo. Bonjour. Je suis présent en France depuis trois mois. Quand je suis arrivé à Paris, j'ai rencontré une association qui m'a donné à manger et m'a invité à me rapprocher de la Croix-Rouge. J'y suis allé, j'ai remis les documents et réalisé l'évaluation. J'ai été amené à l'hôtel. J'ai été reconnu mineur deux jours plus tard. Je suis à l'hôtel depuis trois mois. Je ne vais pas à l'école. Lorsque j'ai demandé à mon éducateur pourquoi certains y allaient et pas moi, il m'a répondu que c'était la Croix-Rouge qui décidait. La Croix-Rouge dit quant à elle que c'est au juge de décider.
D'autres choses se passent à l'hôtel. Nous utilisons le même savon pour nous laver et pour nettoyer nos habits. Nous devons le garder un mois. Le soir, nous recevons un ticket pour aller au restaurant, où nous mangeons très peu. Avant même de revenir à l'hôtel, nous avons déjà faim. Nous n'avons pas le choix de ce que nous pouvons manger. Or nous ne sommes pas habitués à tout manger. Parfois, nous mangeons des choses que nous ne connaissons pas et qui sont mauvaises.
J'ai un ami qui était très malade à l'hôtel, il a été battu en Libye, il a dû être opéré aux jambes et n'arrivait plus à marcher. Il ne pouvait plus aller au restaurant et nous lui rapportions à manger. L'association m'a demandé de le raccompagner à l'hôpital. Quand on tombe malade le vendredi, il faut attendre le lundi pour pouvoir aller à l'hôpital. Mon ami a été mal soigné, il a quitté l'hôpital mais personne ne sait où il est.
Merci beaucoup pour vos témoignages. Je laisserai rapidement la parole à Frindus, pour qu'il se présente. Je passerai ensuite la parole à Marie-George Buffet.
Frindus, membre de Rencont'roms nous. Bonjour. Je viens de commencer un service civique dans l'association Rencont'roms nous. Je voudrais parler du déconfinement. Les élèves ne sont pas retournés à l'école car ils avaient peur du virus. Nous avons donc continué le soutien scolaire et le travail avec les écoles, qui ont bien fonctionné. Une maîtresse de l'école est venue faire du soutien scolaire dans les préfabriqués. Tout le monde était content. Les élèves exprimaient toutefois le fait que l'école et leurs amis leur manquaient. En juin, un cluster s'est produit sur le terrain. Personne ne pouvait sortir. La situation était difficile avec l'association. Nous n'avons pu recommencer nos activités qu'en juillet. Les enfants se sont dépensés ; ils n'avaient plus pratiqué d'activité physique depuis mars. C'était long pour eux. Nous avons mis en place des actions pour s'amuser et sortir, ce qui a fait du bien.
Pour nous, les jeunes de l'équipe, le confinement a été intense. Nous étions sur le terrain tous les jours. Nous avons aidé les familles dans leurs démarches quotidiennes, la Caisse des allocations familiales, Pôle Emploi, etc. Personne ne nous a aidés. Cela n'a pas été facile tous les jours. Des tensions et des problèmes ont émergé car nous ne pouvions pas répondre à toutes les demandes.
Pendant le confinement, nous avons ouvert les yeux sur la réalité de la pauvreté à Toulouse. Dans le campement et dans la rue, nous ne nous en rendons pas forcément compte. Nous avons appris beaucoup de choses, réalisé différentes missions. Nous avons rencontré plein de gens, des partenaires et des bénévoles. Nous ne regrettons pas cette expérience de solidarité. Andrei a changé de poste avec le confinement parce qu'il a vu qu'il pouvait réaliser de la médiation scolaire sur le terrain. L'association a demandé un poste à la DIHAL, qu'elle a obtenu. Depuis le mois d'août, Andrei est donc devenu médiateur scolaire. Son travail consiste désormais à faire le lien entre le terrain et les écoles. Il commence par l'inscription de tous les enfants du terrain. En septembre, 150 enfants sont allés à l'école. Pour la première fois, nous continuons à travailler avec les écoles. Nous avons également repris le soutien scolaire en septembre, qui fonctionne très bien. Tous les enfants veulent venir, même après une journée d'école.
Merci beaucoup. Après ces longs témoignages, édifiants, qu'il n'aurait surtout pas fallu manquer au sein de la commission d'enquête, même si certains ont l'impression de s'exprimer de façon parcellaire, je laisse la parole à la rapporteure.
Bonjour et merci pour vos témoignages, votre engagement et le combat que vous menez, les uns et les autres. Comme vous avez été plusieurs à le dire, la crise a mis la lumière sur ce qui existait déjà, sur ces « violences institutionnelles », terme évoqué par l'une d'entre vous que je partage. La République n'assure pas les droits essentiels d'un certain nombre d'individus : droit à un toit, droit à la santé, droit à l'éducation, droit à pouvoir grandir avec sa famille, etc. La crise a mis en lumière tous les manquements, liés à des politiques menées pendant des décennies. Toute une partie de la population, sur notre sol, n'a pas accès à ces droits.
J'ai tout d'abord noté vos recommandations, c'est-à-dire tout ce que vous pensez que l'État devrait mettre en œuvre. En ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance (ASE), nous avons auditionné des départements, les associations et le ministre en charge de la protection de l'enfance et de la famille. Chacun admet que les moyens ne sont pas suffisants pour accueillir en pleine dignité les jeunes mineurs qui arrivent sur notre territoire. Il est possible de se tourner vers les départements mais chacun reconnaît que le rôle de l'État, en accompagnement des départements et en contrôle de l'action des départements, doit être accentué. Je pense qu'il s'agira d'une recommandation importante de notre rapport.
En second lieu, j'évoquerai l'hébergement en hôtel. Comme Manon Fillonneau et d'autres l'ont souligné, il n'est pas possible d'utiliser l'argent public pour payer les hôteliers, sans véritable cahier des charges et ni de contrôle sur son respect. Je proposerai que cette commission d'enquête soit suivie d'une mission sur ce point précis de l'hébergement en hôtel et de sa gestion par l'État. Nous devons obtenir des éléments sur les contrôles réalisés et le coût de ses hôtels. J'en fais une affaire extrêmement importante pour les jeunes hébergés dans les hôtels du 115 mais également pour les familles, qui ont connu une situation de faim pendant le premier confinement.
Une mission, lancée par Adrien Taquet, est en cours sur les hôtels sociaux. Nous nous renseignerons pour connaître son avancée et savoir si elle a couvert la période de crise.
Nous regarderons les résultats de cette mission mais en tant que parlementaires, nous devons également jouer notre rôle de contrôle. Une autre question porte sur l'accès à l'eau. Nous avions défendu, au cours de la précédente mandature, une proposition de loi pour le droit à l'eau, qui a été adoptée mais vidée de son contenu par l'ancienne majorité, à propos notamment de l'obligation pour les collectivités territoriales de garantir l'accès à l'eau à toute personne vivant sur leur territoire. Cette question doit être, selon moi, remise dans les recommandations de la commission d'enquête. Nous avions déjà noté l'arrêt de toutes les expulsions pendant cette période de crise, y compris les évacuations de bidonville.
J'en viens maintenant aux questions scolaires. Madame Coulibaly a parlé du besoin de médiation scolaire, nous y reviendrons certainement. J'aborderai la question de la scolarité elle-même et la durée des classes adaptées, de six mois à un an avant que l'enfant se retrouve projeté dans le milieu ordinaire, sans avoir toujours acquis les capacités pour le faire. Il faut certainement interroger l'Education nationale sur une modification d'organisation de ces classes pour enfants primo-arrivants. Cette proposition me paraît importante.
J'en arrive à présent à des questions. L'un d'entre vous a parlé de 5 000 enfants exclus de l'école. Selon vous, quelles en sont les raisons concrètes ? Les familles rencontrent-elles des difficultés à avoir accès au processus même de l'inscription ? Qu'est-ce qui, dans l'inscription elle-même, bloque l'accueil de ces enfants à l'école ? Je rappelle que l'instruction est obligatoire de 3 à 16 ans. À quel moment des blocages sont-ils constatés ? Vous avez tous valorisé le comportement des enseignants mais quel est le comportement de l'administration de l'Education nationale par rapport à ce phénomène d'exclusion de l'école ? Vous avez exprimé le souhait que les médiateurs scolaires soient plus nombreux, comme les éducateurs spécialisés au niveau de l'ASE. Il me semble qu'il s'agit d'un concours de catégorie C de la fonction publique. Qu'attendez-vous comme réforme par rapport à ce rôle de médiateur scolaire ?
Je vous signale que tout ce qui ne peut pas être exprimé dans cette instance pourra être transmis sous forme de contribution écrite.
J'aimerais répondre à la première question. C'est moi qui ai indiqué que plus de 5 000 enfants étaient exclus de l'école. Il s'agit d'un chiffre officiel de l'Unicef, établi avant le confinement. Celui-ci a presque doublé avec le confinement, comme le ministre l'a souligné. Dans notre collectif, nous avons identifié les principaux problèmes pour aller à l'école, y rester et réussir. En ce qui concerne l'inscription, pour les habitants en bidonville ou en hôtels sociaux, le principal problème tient à la domiciliation. Un décret ministériel vient d'être publié récemment, permettant désormais de s'inscrire à l'école moyennant une attestation sur l'honneur établi par l'un des deux parents. Ce problème est donc en passe d'être résolu mais des maires, notamment à Saint-Denis et à Stains, refusent toujours l'inscription des enfants habitant en bidonville. Dans de tels cas, nous initions, avec le collectif, des actions en justice.
Un second problème que nous essayons de traiter est lié à la présomption de minorité pour les jeunes mineurs isolés arrivant en France. Parfois, des années sont nécessaires pour que les jeunes soient reconnus mineurs ; pendant ce temps, ils sont à la rue, ne sont pas hébergés ni pris en charge. Avec le collectif, nous demandons une présomption de minorité, leur permettant d'être mis à l'abri et scolarisé pendant cette période.
Un autre problème tient au caractère non obligatoire des contrats jeunes majeurs. À 18 ans, certains se retrouvent à la rue. Les contrats sont parfois renouvelés pour une période de trois ou six mois, laissant ces jeunes en précarité permanente, sans situation stable.
Enfin, j'aimerais évoquer un problème important, le racisme, qui touche beaucoup de personnes aujourd'hui en France. Je connais par exemple de nombreuses jeunes filles de Lille issues de la communauté des gens du voyage, qui ont vécu à l'école le racisme des adultes et des enfants et qui ont décroché à cause de cette situation. Je me rappelle du témoignage d'une fille, qui m'a raconté que la professeure la mettait au fond de la classe pour faire des dessins « à accrocher à la porte de sa caravane ». Ces jeunes, même s'ils sont à l'école, n'arrivent pas à apprendre à lire et à écrire parce qu'ils sont minés par ces injustices et ces discriminations.
Je partage tous les constats d'Ana Maria Stuparu. Je répondrai à la dernière question sur la médiation scolaire. Le terme de médiation scolaire utilisé depuis longtemps dans l'Education nationale n'est pas exactement celui auquel nous faisons référence pour décrire le travail d'« aller vers » les enfants vivant en bidonville et leurs parents, d'aller vers les établissements scolaires et d'effectuer la triangulation et le lien entre parents, enfants et institutions scolaires. Il s'agit d'un nouveau métier, dont il faudra cadrer l'existence, y compris sur le plan juridique. La médiation en santé a été reconnue quelques années plus tôt, dans le cadre d'une loi sur la santé. Les trente postes de médiateur scolaire ouverts grâce au fonds de la DIHAL sont différents de ceux de catégorie C de l'Education Nationale. Ils sont aujourd'hui surtout à destination des enfants vivant en squat et en bidonville, dans le cadre du projet de résorption des bidonvilles. Ils visent essentiellement les citoyens européens, roumains et bulgares mais ils pourraient être très utiles pour beaucoup d'enfants d'autres nationalités vivant dans des hôtels ou bidonvilles (les enfants moldaves par exemple). Ces trente postes sont un bon début mais ils ne sont qu'un début et nous espérons en avoir beaucoup plus.
À Toulouse, des postes sont en effet financés par la DIHAL et d'autres par l'Education Nationale.
En ce qui concerne le rôle de l'Education Nationale pendant le premier confinement, il a été très inégal. Si des contentieux sont menés à Stains, Saint-Denis ou Vertou en Loire-Atlantique compte tenu des refus de scolarisation formels des mairies, beaucoup d'autres refus son plus insidieux, dilatoires. Ils font perdre du temps aux familles, en demandant par exemple des pièces impossibles à fournir. Dans certains cas, un courrier à l'inspection d'académie permet de débloquer la situation. Dans d'autres, aucune réponse n'est fournie et l'existence de ces enfants n'est pas reconnue. Au-delà de l'Education nationale, toute mairie sait que des enfants ne sont pas scolarisés dans sa commune. L'initiative d'aller vers ces familles pourrait également venir d'elle.
Je tiens à ajouter que les expulsions ne devraient pas s'arrêter uniquement pendant la période de crise. Avec notre collectif, nous demandons une trêve scolaire, c'est-à-dire qu'aucune expulsion n'ait lieu pendant l'année scolaire. Une expulsion induit six mois de déscolarisation. Il n'est pas possible de demander à un jeune vivant dans un bidonville, dans un squat ou dans un hôtel social d'être assidu à l'école alors qu'il est en permanence menacé du danger de se retrouver à la rue. À mon avis, cette trêve scolaire est primordiale pour l'assiduité à l'école des enfants en situation de précarité.
Je suis d'accord. J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens, afin d'interdire les expulsions pour les enfants scolarisés. Je m'occupe actuellement d'une famille du Blanc-Mesnil relogée à Bezons. Les parents ne possèdent pas le permis de conduire français et prennent des risques tous les jours pour amener leurs trois enfants à l'école. Je me bats auprès des services pour que cette famille soit rapprochée de son lieu de scolarisation. Si les enfants vont toujours à l'école car leurs parents y tiennent fortement, leurs conditions d'étude ne sont pas satisfaisantes. Il faut se battre sur l'idée qu'il n'est pas possible de rompre la scolarisation d'un enfant.
Avec Jean-Michel Blanquer, nous entamerons, après cette commission d'enquête, une mission gouvernementale intitulée Ecole pour tous, qui traitera en profondeur de tous ces thèmes : les expulsions pendant l'année scolaire ; la simplification administrative, réglée par mon amendement, sans que le décret soit systématiquement appliqué ; etc.
Mory. J'aimerais poser une question. Que doivent faire les jeunes mineurs pris en charge, s'ils ne vont pas à l'école, mais également les jeunes majeurs, en cas de non-renouvellement de leur contrat de jeune majeur ? La préfecture ne donne jamais de rendez-vous.
La mission suivante aura cet intérêt. Nous utiliserons cette audition et les préconisations qui en ressortent. Cette mission sera destinée à identifier des solutions ; je ne peux vous en dire plus pour l'instant. Le ministre de l'Education nationale y est favorable.
Par mon expérience, je suis plus familière des familles dormant à la rue, qui ne savent pas où elles vont dormir le soir, dans une cage d'escalier ou une voiture. Il est impossible pour elles d'inscrire leurs enfants à l'école, sachant qu'elles ont d'autres urgences à traiter, même si l'école constitue une priorité pour elles. Même avec une domiciliation postale, l'inscription est compliquée car l'hôtel peut être très éloigné de l'établissement scolaire. Les parents attendent parfois d'être stabilisés avant d'inscrire leurs enfants à l'école. J'en reviens à l'« aller vers » car les familles sont à la rue. Lorsqu'elles arrivent à être hébergées dans un hôtel, elles sont complètement abandonnées. Aller dans ces hôtels permet de maintenir un accompagnement et de répondre aux questions des parents, notamment pour les inscriptions à l'école.
Les parents font parfois une ou deux heures de transport pour continuer à scolariser leurs enfants suite à une expulsion les ayant envoyés de l'autre côté de la ville. Le lien à l'école est crucial mais pourtant il n'est pas considéré comme tel.
Je remercie les associations, les bénévoles et les jeunes, si courageux et pugnaces. Je suis d'accord avec les propos de Marie-George Buffet au sujet des hôtels sociaux et de la mission de suivi. J'ai été choquée par les propos d'Océane. Je me suis demandé dans quelle République nous vivions. Je reviens sur l'éducation. Je me pose la question de la responsabilité des maires. Il faut en effet développer l'« aller vers ». Je voudrais revenir sur le sujet de la discrimination, du racisme et de la prostitution, dont un jeune a parlé. Comment le vivez-vous ? La crise sanitaire a-t-elle amplifié ces phénomènes ? La continuité sanitaire a également été évoquée. Je travaille beaucoup sur l'égalité entre les hommes et les femmes et sur la santé des femmes. Le Covid a-t-elle été un problème d'accès aux soins de santé, notamment au suivi gynécologique et à l'accès à la contraception pour les femmes et les jeunes filles ?
L'accès aux soins a été totalement bloqué lors du premier confinement. Parmi les jeunes qui viennent ici, beaucoup sont passés par la Libye et ont vécu les parcours migratoires que vous connaissez certainement, en étant vendus comme esclaves ou violés. Ils arrivent sans pouvoir faire de test du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) par exemple. Beaucoup de jeunes filles arrivent enceintes et se retrouvent dans la rue. L'accès aux soins est déjà très compliqué en temps normal, il est inexistant en période de crise. Beaucoup de jeunes sont atteints de pathologies qui pourraient être soignées mais qui ne le sont pas. D'autres devraient subir des opérations suite à des traumatismes lors de leur parcours migratoire mais tant qu'ils ne sont pas scolarisés et réellement reconnus comme mineurs, ils n'ont pas le droit d'être soignés.
Enfin, je tiens à terminer mon propos par les préfectures. Après tout ce parcours cauchemardesque pour arriver à construire leur avenir, les préfectures ne donnent plus de rendez-vous et délivrent à ces jeunes des titres de visiteur, qui leur interdisent de continuer leurs études et de travailler, avant de les renvoyer chez eux. Ces éléments interrogent. Je vous remercie, en espérant que nos échanges serviront. La priorité est que ces jeunes aient le droit d'aller à l'école. Que faire lorsqu'ils ne peuvent pas y aller ?
Il faut en effet exercer à tout prix ce droit d'aller à l'école. Le reste doit suivre et non l'inverse. Je vous remercie toutes et tous. Nous serons très fidèles à vos témoignages. Vous pouvez nous adresser vos contributions. Une autre mission suivra avec le ministre Jean-Michel Blanquer sur l'école pour tous. Le fait qu'il accepte d'y travailler représente une grande avancée. Nous poursuivrons sur ces différentes pistes.
L'audition s'achève à seize heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 14 heures
Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Albane Gaillot, Mme Sandrine Mörch