Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • covid-19
  • discrimination
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  • obésogène
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  • perturbateurs endocriniens
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La réunion

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L'audition débute à dix-sept heures.

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Nous avons souhaité, dans le cadre de notre commission d'enquête sur les politiques publiques de santé environnementale, nous intéresser aux maladies chroniques et notamment à l'obésité. Nous recevons cet après-midi Mme Agnès Maurin, cofondatrice et directrice de la Ligue contre l'obésité, qui fédère des professionnels de la santé et des associations de patients, ainsi que Mme Mélanie Delozé, secrétaire générale de cette association.

( Mme Agnès Maurin et Mme Mélanie Delozé prêtent serment.)

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Nous sommes très heureuses de pouvoir porter aujourd'hui la parole de 7 millions de nos compatriotes. La Ligue contre l'obésité est une jeune association, fondée en 2014, et agréée par le ministère chargé de la santé depuis deux ans. L'association, qui compte environ 9 000 adhérents bénévoles, fédère à la fois des professionnels de santé et des patients, ainsi que 85 associations de patients sur tout le territoire français.

La maladie de l'obésité, encore mal connue, concerne 15 % de la population française adulte. En 1997, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'a classée au nombre des maladies chroniques. Cette maladie concerne les tissus adipeux, considérés comme un organe par les professionnels de santé. Sous l'influence de nombreux facteurs, cet organe recrute plus ou moins d'adipocytes – des cellules graisseuses. À ce sujet, j'aimerais d'ores et déjà battre en brèche une première idée reçue. Il n'est pas nécessaire d'ingérer des calories pour créer de la graisse ! Malheureusement, ce mécanisme peut être engendré par d'autres facteurs : des perturbateurs endocriniens appelés obésogènes, des polluants dans la pollution ambiante, des troubles du sommeil – un sommeil dans un lieu éclairé, un mauvais sommeil ou encore un sommeil trop court. Ces facteurs agissent à la fois sur les gènes, par le biais du développement d'une prédisposition génétique, sur l'épigénome et sur le microbiote intestinal, c'est-à-dire sur notre flore intestinale.

Il est désormais clairement documenté que l'épidémie d'obésité, qui est présente dans le monde entier, est liée au développement actuel de notre modèle sociétal et à notre environnement obésogène. Depuis le début du XXe siècle, les progrès de la médecine ont permis un grand ralentissement des maladies infectieuses. Ces maladies infectieuses, moins présentes et mieux guéries, ont fait place aux maladies chroniques, dont fait partie l'obésité et dont vingt millions de Français sont atteints. Dans les années 1980, 5 % des Français étaient obèses ; en 2012, ce chiffre atteignait 15 %. En France, l'obésité a donc triplé en quarante ans.

La crise sanitaire de la Covid-19 nous questionne quant à nos priorités. Elle révèle à quel point ces maladies chroniques – et notamment l'obésité – fragilisent la vie humaine. Le 12 mars et le 14 octobre derniers, le président de la République a insisté sur l'extrême vulnérabilité des patients souffrant d'obésité, en citant cette pathologie à deux reprises. Il s'accordait ainsi parfaitement aux études françaises et internationales qui montrent, depuis le mois de mars, que les malades de la Covid-19 souffrant également d'obésité présentent une charge virale plus forte, plus longue et donc plus dangereuse. Nous savons aujourd'hui que deux tiers des patients en réanimation souffrent d'obésité, et que l'obésité double la mortalité. L'obésité étant une inflammation chronique des tissus adipeux, elle affaiblit nos défenses immunitaires et permet au virus de mieux circuler. Le chercheur américain M. Jerry Heindel, chef de file de la recherche sur la relation entre l'obésité et l'impact des produits chimiques, a ainsi déclaré récemment à propos des États-Unis : « Nous sommes une nation malsaine : les produits chimiques nous affaiblissent dans notre bataille contre la Covid-19 ».

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

La recherche sur les liens entre perturbateurs endocriniens et obésité date déjà d'une vingtaine d'années. Il est très clair que l'exposition aux produits chimiques contribue de façon importante à l'épidémie d'obésité. De très nombreuses études ont amélioré les connaissances des mécanismes d'action des obésogènes sur l'augmentation de la prédisposition à l'obésité. Nous avons rédigé une note synthétique sur l'avancée de ces connaissances et compilé les travaux de plus de 110 études, et nous laisserons ces documents à votre disposition.

Pour résumer ces études, le professeur M. Jerry Heindel a émis en 2003 l'hypothèse que les perturbateurs endocriniens exercent une influence sur l'obésité car presque tous ses aspects – le stockage des graisses, le contrôle de l'appétit et de la satiété et le métabolisme de base – sont régulés par le système endocrinien. L'idée s'est cristallisée lorsqu'il a été montré que les perturbateurs endocriniens pouvaient activer des récepteurs hormonaux nucléaires actifs dans le développement des adipocytes blancs. C'est donc à partir de 2003 que les produits chimiques favorisant l'adipogénèse ont été appelés « obésogènes ». Les principaux obésogènes documentés sont :

Nous savons avec certitude que ces obésogènes affectent la composition du microbiote intestinal, perturbent le système endocrinien et notamment le contrôle de l'appétit et de la satiété, utilisent des récepteurs hormonaux pour provoquer le développement des adipocytes, favorisent le stockage des calories en réduisant le métabolisme basal, contribuent à la résistance à l'insuline, et entretiennent l'inflammation chronique du tissu adipeux, conséquence particulièrement néfaste en conjonction avec la Covid-19. Nous connaissons également les effets transgénérationnels de l'exposition aux obésogènes, qui exigent une action urgente de santé publique. Les altérations physiopathologiques induites par les perturbateurs endocriniens obésogènes peuvent être programmées épigénétiquement dès le stade fœtal, se déclarer des années plus tard et être transmises aux générations futures.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Nous n'avons pas développé toutes les études, ce qui serait trop long. Néanmoins, il nous semble que le plaidoyer n'est plus à faire et que l'existence des obésogènes est une évidence pour un certain nombre d'entre nous. Je salue d'ailleurs le travail auquel vous avez participé en fin 2019, Madame la Présidente et Madame la Rapporteure, à l'occasion d'une mission d'information sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique. Nous espérons que cette présente commission d'enquête fera avancer les choses. J'appelle de mes vœux que les deux résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU), signées par la France en 2011 et 2018, portant sur la diminution de 30 % des maladies chroniques et l'arrêt de la progression de l'obésité, puissent trouver aujourd'hui un écho dans les conclusions de cette commission d'enquête. Nous aurons, après avoir répondu à vos interrogations, quelques propositions à vous faire.

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Vous avez cité les travaux de M. Jerry Heindel, professeur de médecine américain. Quelles sont les références en France ? Quel est le lien de causalité scientifiquement démontré sur le terrain français et européen ? Vous avez évoqué l'apparition du qualificatif « obésogène » en 2003. Dans quel cadre et par qui ce qualificatif a-t-il été créé ? Cette terminologie a-t-elle été reprise dans le cadre du plan national nutrition santé (PNNS) ? Vos exigences ont-elles été remontées dans ce même cadre ? Une suite officielle a-t-elle été donnée sur l'obésité dans le cadre de la politique de santé environnementale ?

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Malheureusement, les causes environnementales ne sont jamais évoquées dans le PNNS, et c'est bien là que se situe le problème. Aujourd'hui, l'obésité est encore essentiellement considérée, par de nombreuses personnes et par l'État, comme un résultat du comportement des personnes qui en souffrent. L'obésité est traitée de la même manière que le surpoids, à travers des messages de santé publique. Comme vous l'avez dit, les quatre PNNS successifs ont surtout évoqué l'alimentation et l'activité physique. Ils délivrent des messages de santé publique parfaitement audibles à toute la population. Ces messages sont bénéfiques pour les personnes présentant un petit surpoids, tel qu'un kilo à perdre. Si vous suivez ces messages de santé publique, vous parviendrez à perdre ce petit kilo.

En revanche, nous déplorons fortement que l'obésité fasse partie du champ des PNNS. Non seulement elle n'y a pas sa place, mais la citer est même dangereux. Parler d'obésité dans les PNNS ne produit qu'une stigmatisation d'un comportement, puisqu'avec un régime et de l'activité physique, les personnes souffrant d'obésité ne parviennent pas à perdre le poids contre lequel leur corps se défend. Cela est même dangereux. De nombreuses recherches ont montré que les régimes entraînent un effet yoyo. Après un régime, le corps reprend ainsi tout le poids perdu pendant le régime. Nous pensons qu'il est urgent de sortir l'obésité du champ des PNNS. L'obésité doit être traitée à part, comme une véritable maladie. Cela pourrait prendre la forme d'un plan obésité, à l'image des plans cancer – mais les plans ne sont peut-être plus à la mode. Il est important de travailler sur l'obésité indépendamment du surpoids. Il est très différent de devoir perdre un kilo et dix kilos.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

En ce qui concerne vos questions quant à l'état de la recherche, nous vous avons parlé du professeur M. Jerry Heindel. Dans les documents que nous laissons à votre disposition, nous évoquons aussi deux congrès, l'un organisé à Parme en 2014 avec des experts épidémiologistes, endocrinologues et neurobiologistes, et l'autre à Uppsala en 2015. En ce qui concerne le terme « obésogène », en 2014, les spécialistes ont proposé d'y substituer le terme générique, plus global, de « perturbateurs métaboliques », car certains perturbateurs endocriniens concernent également les autres pathologies métaboliques que sont le diabète et la stéatose hépatique. Ces études ont été menées par des spécialistes européens reconnus, et ont donné lieu à plusieurs publications. Par ailleurs, ils ont travaillé grâce à des publications antérieures à ces colloques, qui ont été compilées.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Permettez-moi de prendre l'exemple de la recherche sur le microbiote, très développée en France, notamment dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) de Lyon et de Lille. Quoiqu'il ne s'agisse pas d'une recherche dont l'objet est directement les perturbateurs endocriniens ou les obésogènes, cette recherche intègre l'effet des obésogènes sur le microbiote.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

En revanche, la recherche a encore beaucoup à découvrir, notamment en ce qui concerne les mécanismes d'action exacts de ces perturbateurs endocriniens. Vous verrez, dans les études, qu'il existe de plus en plus de pistes. Certaines protéines et des récepteurs hormonaux sont ciblés. Néanmoins, il me semble que le mécanisme d'action de ces perturbateurs endocriniens reste à approfondir.

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Les liens de causalité sont déjà difficiles à établir en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens. Cette autre catégorie que vous évoquez, les perturbateurs métaboliques, représente une nouvelle piste pour la recherche, notamment pour les études sur les effets cocktail.

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Nous avons déjà entendu parler du microbiote et des perturbateurs endocriniens dans le cadre de nos travaux. Nous allons auditionner Mme Claire Pitollat et Mme Laurianne Rossi, rapporteures de la mission d'information sur les perturbateurs endocriniens que vous avez mentionnée. L'État se préoccupe depuis longtemps de l'obésité. Quel regard portez-vous sur les politiques des gouvernements successifs pour lutter contre l'obésité ? Au cours de leurs formations initiales ou continues, les professionnels de santé apprennent-ils à soigner, ou au moins à dépister, l'obésité chez les patients ? Des progrès sont-ils à réaliser sur ce sujet ?

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Votre deuxième question concerne la formation des médecins, qui est pour nous une problématique importante. Dans leur cursus initial, les médecins ne reçoivent, dans le cadre des enseignements qu'ils suivent sur la nutrition, que quatre heures de formation sur l'obésité. Il existe ensuite un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) de nutrition. Il est possible d'être médecin généraliste nutritionniste ou médecin endocrinologue nutritionniste, mais ces médecins portent l'appellation de « nutritionniste ».

Avec les membres de la Ligue contre l'obésité, nous menons une réflexion sur la mise en place d'un diplôme de médecin obésitologue, de la même façon qu'il existe des médecins cancérologues ou diabétologue. L'obésité est une maladie à part entière, dont les causes multiples et plurifactorielles demandent un temps très important dans la prise en charge. Étant donné qu'il n'existe pas de médicaments, le médecin généraliste ne peut pas, à lui seul, prendre en charge l'obésité de façon rapide. Il s'agit donc d'un métier à part entière, qui doit s'appuyer sur les autres spécialistes et les paramédicaux et coordonner tout ce parcours de soins, qui peut être très long.

Quant à la formation initiale des autres professionnels de santé, le problème est le même. Je suis diététicienne de formation, et j'ai dû recevoir une à deux heures de cours sur la prise en charge de l'obésité, envisagée sous le prisme d'un simple régime hypocalorique. Nous n'avons jamais appris les autres causes de l'obésité, la façon dont elle doit être traitée et la prise en charge pluridisciplinaire. Pourtant, le régime hypocalorique ne constitue souvent pas du tout la solution. Notre association est un organisme de formation, et nous nous attelons le plus possible à former les professionnels de santé, afin qu'ils comprennent l'obésité, ses causes et sa prise en charge.

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Quelle est votre position sur l'impact de la Covid-19 sur les patients ? On parle de plus de 40 % de décès à l'échelle mondiale liés à cette maladie chronique, et plus encore des personnes contaminées. Trois grands chefs d'État entrant dans cette famille de personnes dites fragiles sont ou ont été contaminés.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Effectivement, les personnes qui souffrent d'obésité paient un lourd tribut depuis le début de la crise de la Covid-19. Les études internationales se rejoignent toutes sur les mêmes chiffres. Les études françaises indiquent que deux tiers des personnes en réanimation souffrent d'obésité. Les patients souffrant d'obésité ont 50 % plus de risques de décéder. Il s'agit d'un véritable problème. Nous sommes d'ailleurs très satisfaits que, depuis la semaine dernière, le décret du 29 août dernier, qui avait supprimé les personnes souffrant d'obésité de la catégorie des personnes vulnérables, ait été annulé au profit d'un retour au décret du 5 mai.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Comme l'a mentionné Mme Maurin, le président de la République a mentionné dès sa première allocution les personnes souffrant d'obésité comme des personnes vulnérables face à la Covid-19. Mais l'obésité n'étant pas reconnue comme une affection de longue durée (ALD), il y a eu un décalage entre ce que le Gouvernement a annoncé – les personnes souffrant d'obésité sont vulnérables et à protéger – et ce qui a pu être fait sur le terrain. Les médecins généralistes n'ont pas pu prescrire d'arrêt de travail pour les personnes souffrant d'obésité lorsque celles-ci n'étaient pas concernées également par une affection de longue durée reconnue. Ces personnes se sont dès lors trouvées en difficulté, n'étant pas protégées sur le plan pratique. Cette difficulté s'est encore accentuée à partir du 29 août, lors de la publication du décret leur demandant de retourner sur leur lieu de travail car elles ne faisaient plus partie de la liste des personnes vulnérables. Depuis le début de la crise, on dit à ces personnes qu'elles sont vulnérables tout en ne sachant pas vraiment comment les traiter.

L'idée reçue selon laquelle l'obésité est liée à un problème de comportement a provoqué une culpabilisation des personnes souffrant d'obésité, par opposition aux autres personnes vulnérables, qui ont recueilli la sympathie lorsqu'elles étaient diabétiques ou âgées de plus de 65 ans. Nous avons reçu des témoignages sur les réseaux sociaux concernant la culpabilisation des personnes souffrant d'obésité, qui seraient responsables de leur vulnérabilité. Nous voulons combattre cette idée reçue car, dans tous les aspects de la vie quotidienne, les personnes souffrant d'obésité éprouvent de la culpabilité et ne sont pas traitées comme des patients vulnérables.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Les professionnels de santé de premier recours, à savoir les médecins généralistes, ne sont pas formés à cette maladie. Même s'il existe des personnes obèses depuis très longtemps, cette maladie a été découverte assez récemment et la recherche évolue tous les jours. Ce manque de formation a provoqué une situation dramatique lors de l'épidémie de Covid-19. Comme vous le disait Mme Delozé, nous avons créé un institut de formation. Lorsque les professionnels se forment avec nous et que nous leur expliquons les causes environnementales, génétiques et épigénétiques de l'obésité, ils disent être très en colère de ne pas connaître ces éléments relevant pourtant du savoir médical.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Effectivement, les professionnels ne sont pas formés à l'obésité. Ils sont encore moins formés à la santé environnementale.

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À l'occasion de la mission d'information sur les perturbateurs endocriniens que vous avez mentionnée, dont j'ai été l'une des deux rapporteures, nous avons travaillé à la fois sur leurs effets sur l'environnement et sur leurs effets sur la santé. Ma question concerne le lien entre les perturbateurs endocriniens et l'obésité. Les données actuelles de la recherche sont suffisantes pour considérer la pollution chimique comme un axe complémentaire aux deux axes classiques retenus pour la compréhension de l'obésité. Il semble vraisemblable que l'exposition au bisphénol A et aux phtalates participe à l'évolution de l'obésité. Vous avez déjà évoqué les professionnels de santé. Qu'attendez-vous de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant ce sujet ? Avez-vous des recommandations à faire sur ce point ? Nous faut-il pas selon vous approfondir notre compréhension du lien entre l'exposition à la pollution chimique et l'obésité ? Avez-vous des attentes vis-à-vis de la réglementation européenne des produits chimiques ?

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Nous avons suivi avec beaucoup d'attention les travaux de la mission d'information à la fin de l'année 2019. Nous sommes d'accord avec les conclusions que vous avez formulées. Nous aimerions que la présente commission d'enquête insiste encore davantage sur l'existence des obésogènes dont nous avons parlé parmi les perturbateurs endocriniens.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Nous avons quelques propositions à vous faire, qui ne sont pas très éloignées de ce que vous avez proposé dans le rapport. Tout d'abord, il faudrait informer le grand public sur les polluants chimiques, les perturbateurs métaboliques et leurs effets. Plus on informe sur les causes, plus on réussira à déculpabiliser les personnes souffrant d'obésité. Nous commençons à connaître un peu mieux le mode de fonctionnement des perturbateurs métaboliques et leur lien avec l'obésité : nous avons cité la composition du microbiote, le métabolisme de base ou encore la résistance à l'insuline. Notre deuxième proposition concerne la formation des professionnels de santé. Notre troisième proposition concerne la création d'une réglementation au niveau européen des perturbateurs métaboliques.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Il faut aussi étudier les risques transgénérationnels, et notamment la problématique des « mille jours », cette période qui s'étend de la conception aux deux ans de l'enfant, qui est d'une grande importance aujourd'hui pour comprendre l'action les perturbateurs endocriniens obésogènes. Nous savons aujourd'hui, avant même leur naissance, que certains enfants deviendront obèses, et de nombreuses études indiquent que nombre de problèmes pourraient être évitables.

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En ce qui concerne le lien entre perturbateurs endocriniens et développement de l'obésité, on voit, là aussi, dans des études que ces effets peuvent se transmettre de génération en génération.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

C'est l'effet épigénome : en matière d'épigénétique, cela signifie que les descendants ont et auront cette spécificité, qui est transmise. Elle s'exprimera ou non en fonction de l'environnement. Certaines études montrent que la spécificité génétique transmise est présente jusqu'à quatre générations plus tard.

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Vous dites que vous êtes un organisme de formation, et vous indiquez qu'une approche pluridisciplinaire est nécessaire pour traiter l'obésité en ce qui concerne la thérapie en aval. Comment l'envisagez-vous ? En amont, vous parlez d'information grand public. Cette information est-elle identique à celle qui existe sur les perturbateurs endocriniens, ou s'en différentie-t-elle ? Par ailleurs, vous évoquez la réglementation européenne, mais qu'en est-il de la réglementation française ?

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Lorsque nous parlons d'information grand public sur l'obésité, cela concerne toutes les causes, notamment les causes environnementales qui en sont malheureusement les principales.

En ce qui concerne la prise en charge de la maladie de l'obésité, nous sommes vraiment en difficulté. L'obésité n'est pas actuellement reconnue comme une affection de longue durée, et il n'existe donc pas de prise en charge. Aujourd'hui, les médecins généralistes, qui sont les premiers recours, sont très peu formés et n'ont pas le temps. Les médecins spécialistes et les paramédicaux – diététiciens, psychologues, enseignants en activité physique adaptée – constituent le deuxième recours. Les paramédicaux ne sont souvent pas remboursés par la sécurité sociale. De plus, les patients souffrant d'obésité sont très éloignés du soin. La raison peut être qu'ils ne se sentent pas malades mais juste coupables de leur poids. Cela peut aussi être dû à des difficultés d'accès au soin, ne serait-ce que par la mobilité. De nombreuses questions se posent : comment se rendre au rendez-vous ? Le fauteuil du médecin et les examens médicaux sont-ils adaptés à toutes les morphologies ?

La prise en charge à l'hôpital, la chirurgie de l'obésité et les soins de suite et de réadaptation (SSR) constituent le troisième recours. Ils fonctionnent assez bien en France, où ils sont bien structurés. Malheureusement, cette prise en charge arrive trop tard puisqu'il s'agit du troisième recours. Cela donne des situations d'obésité parfois très graves avec un retard de diagnostic des autres pathologies associées.

Pour traiter ces difficultés existantes sur le terrain, nous mettons en place une initiative : la création de centres de santé pluridisciplinaires. Cette initiative a lieu d'abord dans notre région d'origine. Le suivi pluridisciplinaire sera effectué par des médecins généralistes obésitologues, des médecins spécialistes – tabacologues, psychiatres et nutritionnistes – ainsi que des paramédicaux. Ces professionnels de santé seront salariés du centre, ce qui facilitera l'accès au soin pour les patients souffrant d'obésité, puisqu'ils n'auront pas à payer pour leur suivi. Cela signifie malheureusement que l'association doit trouver les fonds pour rémunérer ces paramédicaux.

Notre initiative intègre donc les premier et deuxième recours – avec un grand axe de prévention puisque, dans le premier recours, nous recevrons aussi des personnes par effet de proximité, et non pas seulement des personnes souffrant d'obésité. Nous pourrons ainsi effectuer de la prévention auprès des patients en surpoids afin qu'ils ne souffrent pas d'obésité dans le futur. Nous pourrons les informer sur les régimes, les pilules miracles, etc. Nous savons que l'arrêt du tabac, la prise d'un traitement pour la thyroïde, d'un traitement post-cancer ou d'un antidépresseur, les grossesses ou encore la ménopause sont des périodes à risques. Notre objectif est de prendre précocement en charge les patients en risque d'obésité.

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Comme vous l'avez souligné, les personnes souffrant d'obésité sont particulièrement vulnérables face à la pandémie de Covid-19. Pensez-vous que cela mettra en lumière les constats scientifiques concernant l'obésité ? Quels sont vos retours aujourd'hui à ce sujet ?

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

On parle d'obésité, ce qui est déjà une bonne chose, et on en parle comme une maladie, ce qui est assez rare. Cette épidémie de Covid-19, parallèle à l'épidémie d'obésité, nous conforte aujourd'hui dans notre idée – partagée par tous les chercheurs – : il faut traiter l'épidémie comme une maladie et en parler. Surtout, il faut essayer de rétablir la vérité et d'effacer toutes les idées reçues. Dans le grand public, l'idée est répandue que la graisse est produite par les calories. Ce n'est pas le cas ! Aujourd'hui, nous savons très bien que les obésogènes forment de la graisse sans calories. Aux États-Unis, qui sont en pointe car 30 % de personnes y souffrent d'obésité, une étude a eu lieu afin de comparer, grâce à une cohorte de patients suivis pendant quarante ans, une alimentation locale non transformée et, à calories égales, une alimentation transformée. Cette étude a montré que la prise de poids était entièrement différente, du fait des additifs et de la transformation des aliments. Ce ne sont pas les calories en elles-mêmes qui ont provoqué la prise de poids. Il faut donc sortir de ces idées reçues.

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Ces réflexions sur la culpabilité sont passionnantes. Des travaux très variés sont effectués en ce moment, comme ceux des membres de la commission des mille jours. Nous en revenons toujours à la difficulté de briser les tabous et d'arrêter la culpabilisation. Il faut diffuser largement des informations afin de contrer ces idées reçues.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Au-delà de l'aspect humain du problème, il existe un enjeu financier important. Un rapport publié par l'institut McKinsey en 2014 chiffre le coût de l'obésité en France à 54 milliards d'euros par an, en retraçant ses impacts sur les arrêts de travail, les dépenses de santé et de sécurité sociale.

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On entend souvent parler de grossophobie. Ce mot est désormais fréquement utilisé pour expliquer la discrimination envers les personnes à forte corpulence, comme pour le racisme ou l'homophobie. Au sein de la Ligue, avez-vous réfléchi à ce qu'il serait possible de faire en la matière, notamment sur le plan législatif ?

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Nous n'aimons pas beaucoup le terme grossophobie, lui préférant celui de discrimination. Nous ne savons pas si le terme grossophobie fait référence à la discrimination ou à la peur. Nous préférons évoquer une discrimination liée à la corpulence. À nos yeux, il s'agit de la dernière ou d'une des dernières discriminations n'étant pas du tout prise en compte dans la lutte contre les discriminations. La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) n'évoque pas cette discrimination. À chaque fois qu'une liste des discriminations combattues aujourd'hui est énoncée, la discrimination sur la corpulence n'est jamais citée. Nous avons rencontré le Défenseur des droits, et lui avons présenté nos arguments en faveur de la réalisation d'une étude réelle sur la discrimination sur la corpulence.

Cette discrimination se retrouve partout. Elle est présente au sein de la famille, au travail ou encore dans la rue. Nous avons mis en place un numéro vert à cet effet. Une jeune fille nous racontait très récemment une anecdote : alors qu'elle sortait pour son goûter une barre de céréales dans le bus, en rentrant de l'école, un homme qu'elle ne connaissait pas lui a dit qu'elle ne devrait pas manger de telles choses. Ces réflexions sont constantes et omniprésentes. Il existe également une discrimination médicale, dont Mme Delozé a brièvement parlé. Cette discrimination est causée par la méconnaissance et par l'inadaptation des équipements médicaux. Une personne nous a raconté avoir été obligée de faire une radiographie dans un cabinet de vétérinaire car, habitant une région rurale, elle n'a pas trouvé de radiologue dans un périmètre de cent kilomètres. Ces discriminations ont lieu en permanence. Il existe une inégalité radicale dans notre société concernant la corpulence.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

J'aimerais ajouter qu'il s'agit pour ces personnes d'une discrimination quotidienne. L'année dernière, nous avons réalisé à l'occasion de la journée mondiale contre l'obésité un sondage : plus de 80 % des personnes pensent que l'obésité est un manque de volonté, qu'il s'agit d'un problème de comportement et que les personnes souffrant d'obésité sont fautives de leur état. Certains se permettent d'émettre des commentaires en pensant aider la personne souffrant d'obésité, qui aurait besoin d'un accompagnement. S'il existe des moqueries concernant des particularités physiques telles que la taille, la discrimination sur la corpulence est aggravée par le fait que les personnes sont culpabilisées. Ainsi, on ne se cache pas de cette discrimination, on ne se cache pas de les discriminer à l'emploi, en reliant obésité et fainéantise. Les personnes souffrant d'obésité n'ont pas le droit de manger, mais si elles mangent de la salade, on leur fera aussi une réflexion. Ces discriminations concernent toutes la vie quotidienne. Ces discriminations causent une désocialisation ainsi qu'une déscolarisation des enfants, pour qui cela est très violent.

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Vous avez expliqué que l'obésité peut être considérée comme une perturbation métabolique, une sous-famille des perturbations endocriniennes. J'aimerais avoir votre avis sur les politiques publiques générales de santé-environnement en France, car la prévention et la guérison de l'obésité passent par des politiques publiques générales de santé-environnement. Que savez-vous actuellement de ces politiques publiques ? Quelles seraient vos propositions et suggestions pour en améliorer l'efficacité, en prenant en compte cette pathologie chronique particulière qu'est l'obésité ?

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Ce que nous savons des politiques publiques de santé-environnement, c'est qu'elles ne traitent pas du tout de l'obésité. À aucun moment, l'obésité n'est considérée comme une maladie dont les causes sont environnementales. Il est vrai, comme nous l'avons expliqué, que la recherche est assez récente : on a commencé à parler des cancérogènes dans les années 1990, et les obésogènes ont commencé à être évoqués en 2003. Pour le moment, on ne parle donc pas du tout d'obésité dans les politiques environnementales. Notre volonté est, premièrement, que l'obésité y entre.

Deuxièmement, nous souhaitons que les obésogènes fassent l'objet d'un traitement particulier, car les risques sont majeurs, peut-être encore plus importants que les autres. Je vous ai parlé aujourd'hui de sept millions de Français touchés, mais la dernière enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l'obésité ( ObEpi) a eu lieu en 2012. Nous sommes en train d'en produire une nouvelle version et nous publierons les chiffres dans un mois : les sept millions sont dépassés. Tout cela a lieu dans une grande indifférence.

Au sujet de l'alimentation, le nutriscore a été lié à l'obésité. Nous préférerions que les produits soient étiquetés avec les obésogènes qu'ils contiennent. Nous souhaitons qu'il existe un recensement des usages des obésogènes, qu'une information sur les bonnes pratiques soit diffusée et que des mesures incitatives soient prises pour accompagner les changements.

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Comment identifiez-vous les obésogènes ? Comment faites-vous la différence entre un obésogène et un perturbateur endocrinien ? Vous dites, quant au nutriscore, qu'il faudrait identifier les obésogènes. Mais ils sont de la même famille que les perturbateurs endocriniens. Proposez-vous qu'une qualification des sources potentielles de maladies endocriniennes et métaboliques soit identifiée sur les produits ?

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Oui. Nous proposons aussi que certains de ces produits chimiques perturbateurs endocriniens ayant un effet sur la maladie soient détectés. Au-delà de l'étiquetage, nous souhaitons que l'on informe par le biais de campagnes, afin d'expliquer que certaines crèmes, par exemple, mises sur le ventre des femmes enceintes, prédisposeront les enfants à l'obésité. Aujourd'hui, ces informations ne seront pas sues si elles ne sont pas dites.

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Avec Mme Laurianne Rossi, nous avions proposé lors de notre mission d'information la mise en place un toxiscore. La difficulté du nutriscore est qu'il est purement nutritionnel : il concerne les calories, le sucre et les graisses. Les additifs et tous les produits chimiques ne sont pas pris en compte, alors qu'ils produisent ce cocktail dangereux, particulièrement pour la femme enceinte, mais aussi pour les adolescents et les personnes âgées.

Nous avions proposé un toxiscore afin que ces informations soient vraiment visibles pour le consommateur. Dans la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, nous avons réussi à introduire une obligation de déclaration pour les industriels, mais elle n'est pas toujours visible par chacun. Cela signifie qu'il faut des applications à scanner telles que Yuka, englobant davantage d'éléments. C'est regrettable, car c'est le rôle des pouvoirs publics d'indiquer ce qui est sûr pour notre santé. Petit à petit, nous pourrions aboutir à une application créée par les pouvoirs publics et permettant de définir la toxicité et le toxiscore, en indiquant qu'il y a un risque d'obésité et de cancer et en reprenant la classification cancéro-reprotoxique.

Mais voyez-vous ces dispositifs dans d'autres pays ? Les pays d'Europe du Nord sont souvent mis en avant sur ces sujets. Voyez-vous des campagnes permettant de porter un regard différent sur les personnes qui souffrent d'obésité ? J'aimerais faire un parallèle avec la question des mille jours. Sur les premiers jours de la vie, une vraie politique de santé publique existe en Angleterre, avec des vrais moyens considérables, de l'ordre de dix fois ce que l'on propose en France. Notons tout de même que nous progressons : cette année, pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous bénéficions de davantage de budget, avec notamment la mise en place de la commission des mille jours.

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Nous sommes tout à fait d'accord avec votre proposition concernant le toxiscore. On y repère bien les substances cancérogènes, les substances de danger sur les cellules et la reprotoxicité. Nous souhaitons y ajouter cette catégorie des perturbateurs métaboliques.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Pour répondre à votre question sur les modèles étrangersm deux pays sont à la pointe. C'est d'une part le Canada, où il existe de vraies avancées sur la question de la grossophobie. Il y existe une grande organisation comme la nôtre, qui a trente ans d'existence, alors que la Ligue contre l'obésité, quant à elle, n'est née qu'en 2014 et que nous sommes les seuls en France à porter la parole des personnes qui souffrent d'obésité. Au Canada, un travail très conséquent a été effectué, permettant une reconnaissance. Comme dans de nombreux pays anglo-saxons, l'isolement et le rejet que nous avons décrits pour la France n'y existent pas n'existent. Notons que des équipements adaptés existent, visibles dans la rue. C'est pour cette raison que lorsque nous, Français, allons aux États-Unis, le nombre de personnes souffrant d'obésité nous saute aux yeux. La raison en est que ces personnes se déplacent dans la rue tandis qu'en France, elles sont enfermées. Hors Covid-19, on voit que les personnes souffrant d'obésité ne sortent plus et ne sont pas soignées. Nous découvrons des situations dramatiques tous les jours. Il est nécessaire de sortir ces personnes de leur isolement, et les pays anglo-saxons nous y aident.

Le Royaume-Uni est également très en pointe, notamment sur la prise en compte des patients souffrant d'obésité dans la conception des services. C'est d'ailleurs le cas pour toutes les pathologies. Au Royaume-Uni, on prend soin d'impliquer en amont le patient et les associations dans toutes les politiques – c'est particulièrement visible en ce qui concerne l'obésité. Des patients sont impliqués dans toutes les instances, notamment dans les instances hospitalières où ils sont, par exemple, présents pour l'aménagement des locaux. Cela nous aiderait bien.

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J'aimerais vous poser une question sur le lien entre l'obésité et l'alimentation avec des produits industriels ultra-transformés. À vous entendre, on a l'impression qu'il y a une dimension de passivité irrémédiable dans l'obésité et qu'il faut donc déculpabiliser et créer une prise en charge pluridisciplinaire très lourde. N'y a-t-il pas cependant un lien entre l'obésité et le développement sauvage de la fast-food ? N'existe-t-il pas une problématique d'exposition à ce type d'alimentation, souvent très chimique et composée de produits dérivés n'ayant plus rien à voir avec de la nourriture ? Vous parlez de la formation et de l'information de la population, et nous avons compris qu'il ne faut pas faire un amalgame entre obésité et surpoids. Il n'empêche qu'il existe tout de même une dimension nutritionnelle sur ce sujet qui relève d'une campagne d'information.

Par ailleurs, n'existe-t-il pas un profil socioéconomique de personnes ne pouvant pas accéder à de la nourriture saine ? Vous avez dit que les personnes souffrant d'obésité sont davantage présentes dans l'espace public aux Etats-Unis. La raison est peut-être qu'elles sont plus nombreuses et moins victimes de rejet, dans ce pays où cette problématique est enkystée.

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Agnès Maurin, directrice de la Ligue contre l'obésité

Je ne suis pas certaine que c'est parce qu'elles sont plus nombreuses que les personnes qui souffrent d'obésité sont davantage présentes dans l'espace public. Il me semble que la raison est la présence d'aménagements et le regard porté sur elles, qui est totalement différent. Je disais qu'en 2012, le nombre de personnes souffrant d'obésité en France s'élevait à 16 %. À la même période, le nombre s'élevait à 30 % aux États-Unis. Aujourd'hui, ce pourcentage approche les 40 %.

L'alimentation a évidemment un rôle, et l'obésité est liée à la précarité. Mais ce n'est pas parce qu'elle est liée à la précarité qu'il faut faire un raccourci et croire qu'il s'agit d'un problème exclusivement alimentaire. Je vous disais que des études prouvent qu'un mauvais sommeil, un sommeil trop court ou un sommeil dans un lieu éclairé peuvent provoquer la formation de graisse, sans ingestion de calories. Imaginez une femme, mère, habitant au bord du périphérique et travaillant comme femme de ménage au centre de Paris. Si elle se lève à cinq heures du matin, dort peu et avec le bruit du périphérique, éprouve du stress toute la journée pour aller récupérer son enfant à six heures du soir, mange des produits transformés, elle risque de souffrir d'obésité. La dimension alimentaire de l'obésité est déjà fortement mise en avant. Tout le monde sait que l'obésité et l'alimentation sont liées : il faut sortir de ce discours afin de pouvoir sauver ces personnes-là et parler des autres causes.

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Peut-on se dire que la Covid-19 pourrait avoir une influence positive sur le meilleur traitement de l'obésité en France et en Europe ?

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Mélanie Delozé, secrétaire générale de la Ligue contre l'obésité

Nous espérons que la mise en lumière de l'obésité issue de la Covid-19 pourra faire évoluer l'action publique en la matière. Nous avons vu que les personnes souffrant d'obésité sont les plus touchées et se trouvent en grande difficulté. Nous pouvons mener des actions avant qu'une personne souffre d'obésité. J'espère que nous pourrons mettre cette pathologie et ces patients en lumière, afin que des moyens soient donnés. L'obésité pourrait être reconnue comme une affection de longue durée, ou faire l'objet d'une prise en charge telle que nous la voyons dans le post-cancer, où des soins de support sont remboursés, d'autant plus que nous savons que ce triptyque paramédical fonctionne pour l'obésité. Il faudrait mettre davantage de moyens dans une communication autre que le « manger, bouger », qui est une information grand public centrée sur l'alimentation. Il faut déculpabiliser et informer sur les vraies causes, notamment environnementales, de l'obésité, afin de renforcer la prévention de cette maladie.

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Je vous remercie de nous avoir fait mieux comprendre la différence entre surpoids et obésité ainsi que les enjeux de l'obésité en termes de santé et de santé-environnement.

L'audition s'achève à dix-huit heures.