GROUPE DE TRAVAIL N° 2 – LES CONDITIONS DE TRAVAIL À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE STATUT DES COLLABORATEURS PARLEMENTAIRES
Mardi 27 mars 2018
Présidence de M. Régis Juanico, membre du groupe de travail
– Table ronde réunissant des représentants de L'Association pour l'insertion professionnelle et sociale des personnes handicapées (LADAPT) et de l'Association des paralysés de France (APF). Pour LADAPT : M. Dominique Le Douce, directeur des actions associatives ; Mme Marie-Annick Carian, chargée de mission ; M. Marc Labaye, chargé des relations avec les adhérents et de la formation des demandeurs d'emploi ; M. Dalibor Kavaz, chargé des relations avec les personnes handicapées et leur famille ; Mme Pauline Mariault, chargée de mission. Pour l'APF : M. Nicolas Merille, conseiller national accessibilité et conception universelle et M. Philippe Botton, administrateur.
La réunion commence à neuf heures quarante.
Madame la rapporteure, mes chers collègues, ce mardi matin, comme nous en avons pris l'habitude au cours des dernières semaines, nous poursuivons nos travaux consacrés à la prise en compte du handicap dans le fonctionnement de l'Assemblée nationale, en recevant des représentants d'associations qui font valoir les intérêts de personnes en situation de handicap.
Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir deux délégations, l'une de L'Association pour l'insertion professionnelle et sociale des personnes handicapées (LADAPT) et l'autre de l'Association des paralysés de France (APF). Pour LADAPT, nous recevons M. Dominique Le Douce, directeur des actions associatives ; Mme Pauline Mariault, chargée de mission des actions de bénévolat ; Mme Marie Annick Carian, chargée de mission du back-office ; M. Dalibor Kavaz, chargé des relations avec les personnes handicapées et leur famille et M. Marc Labaye, chargé des relations avec les adhérents et de la formation des demandeurs d'emploi.
Ce groupe de travail devrait avoir terminé ses travaux d'ici à la fin du mois de mai, c'est-à-dire dans un peu moins de deux mois. Nous remettrons alors nos propositions au Bureau de l'Assemblée qui, nous l'espérons, sera convaincu et pourra, dans la foulée, prendre de premières décisions.
Au cours des dernières semaines, nous avons reçu les syndicats des personnels de l'Assemblée nationale, les organisations représentant les collaborateurs parlementaires, les représentants du réseau GESAT et, mardi dernier, les associations de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH) et de l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), qui œuvrent à l'insertion et à la promotion des personnes en situation de handicap.
Nous avons prévu d'échanger ensuite avec divers acteurs institutionnels et les services de l'Assemblée nationale concernés par la prise en compte du handicap.
Avant de céder la parole à Mme la rapporteure et à nos invités, je voudrais dire quelques mots de LADAPT. Créée en 1929 et reconnue d'utilité publique dès 1934, cette association a pour objectif d'accompagner les personnes handicapées dans leur vie quotidienne, selon la belle devise de votre projet associatif pour 2016-2020 : « Vivre ensemble, égaux et différents ». Votre association regroupe aujourd'hui près de 120 établissements et services d'accompagnement, de formation, d'insertion, de scolarisation ou de soin, ce qui permet à LADAPT d'aider plus de 16 000 personnes chaque année.
Dans le cadre de vos efforts de sensibilisation, vous avez créé en 1997 une semaine pour l'emploi des personnes handicapées et, en 2013, le premier baromètre sur la citoyenneté des personnes handicapées.
Conscients de l'importance de votre rôle et de vos activités, nous avons voulu vous solliciter dans le cadre de nos travaux. Nous considérons que votre expérience est tout particulièrement utile pour éclairer l'Assemblée nationale. D'une façon générale, toutes les propositions que vous pourrez formuler pour permettre à notre assemblée de progresser dans sa prise en compte du handicap sont les bienvenues et elles pourront aussi trouver leur place sur notre site internet, dans l'espace consacré à notre groupe de travail.
Je vous propose de présenter votre association.
Monsieur le président, je suis un peu déstabilisé parce que je trouve que vous avez déjà fait une très belle présentation de notre association.
Elle a été créée en 1929 par Suzanne Fouché. Dès sa création, son fil conducteur était de favoriser l'accès à la formation et à l'emploi des invalides, notamment des invalides de guerre. LADAPT regroupe 120 établissements et services que l'on peut classer en quatre grandes familles d'établissements : des centres pour enfants ; des centres de formation professionnelle ; des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) et des ESAT hors les murs ; des centres de rééducation où, comme j'ai coutume de le dire, nous accueillons le jeune qui a été victime d'un accident de la route, le vendredi ou le samedi soir à la sortie d'une discothèque, et qui est ce que l'on appelle une personne cérébro-lésée, c'est-à-dire ayant subi un traumatisme crânien. LADAPT, qui accompagne 16 000 personnes chaque année, emploie 3 000 professionnels et bénéficie du concours de 500 bénévoles.
En 1997, nous avons créé la semaine pour l'emploi des personnes handicapées. Depuis trois ans, cette manifestation est devenue la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, durant laquelle nous essayons de susciter des initiatives favorisant la rencontre entre des demandeurs d'emploi et des recruteurs – notamment des chefs d'entreprise – en Italie, en Espagne, en Belgique et bientôt, nous l'espérons, en Irlande.
LADAPT est organisée en neuf régions pour sa partie « professionnelle » et en treize régions pour son réseau des réussites, celui des bénévoles de l'association.
Quel est notre bilan ? Tous les cinq ans, nous revisitons notre projet associatif. Lorsque nous avons fait le dernier bilan, avec le concours de 600 personnes que l'on appelle les parties prenantes de l'association, nous avons réalisé que celles qui connaissaient le moins bien notre projet étaient les personnes handicapées auxquelles il est destiné. Forts de ce constat, nous avons construit un nouveau projet associatif, « Vivre ensemble, égaux et différents », pour la période 2016-2020. Il a été construit à partir des contributions des acteurs de l'association – personnes handicapées, bénévoles, salariés, partenaires.
Trois grandes orientations philosophiques vont guider notre action durant les quinze prochaines années : sortir des catégories instituées pour construire la citoyenneté des personnes ; associer toutes les parties prenantes – en priorité les personnes en situation de handicap – en amont de toute réflexion ; prendre soin de la personne en la rendant souveraine – et donc actrice – de ses choix.
Ces grandes orientations se déclinent en neuf fiches action : favoriser la capacité de décider et d'agir de la personne en situation de handicap, ce qui correspond à la notion d' empowerment ou d'autonomisation ; faire participer tous les acteurs ; favoriser l'accès aux soins et optimiser les parcours de soins ; accompagner durablement en entreprise la personne handicapée ou vulnérable ; aider à l'accès au logement et à l'épanouissement dans l'habitat ; faciliter l'accès à la culture ; prendre en compte la dimension de la vie affective, amoureuse et sexuelle ainsi que la parentalité des personnes en situation de handicap ; encourager l'accès au sport ; faciliter les transitions de la vie, le passage de l'enfance à l'adolescence ou de l'adolescence à l'âge adulte, et accompagner les personnes handicapées vieillissantes.
Avant tout, je tiens à vous remercier de votre invitation, car je suis très heureux de participer à vos travaux pour vous faire part de nos souhaits et propositions pour les personnes en situation de handicap. Pour ma part, je suis en charge des relations avec les adhérents et les donateurs. J'accompagne aussi les personnes en situation de handicap dans leur recherche d'emploi, et je les aide à devenir actrices de cette démarche, pour qu'elles puissent trouver leur place au sein de l'entreprise. Je les aide à comprendre le fonctionnement du monde de l'entreprise, à se présenter et aussi à faire valoir ce qu'elles souhaitent.
Je suis en charge du back-office et j'apprécie le travail en équipe à LADAPT, qui est facilité par le recours à des traducteurs en langue des signes lors des réunions importantes concernant l'organisation du travail. Dans mes précédentes expériences professionnelles, je me sentais seule et isolée, quand bien même j'étais entourée. À LADAPT, j'apprécie l'organisation du travail et les interactions avec mes collègues.
Pour ma part, je suis chargée de mission aux actions associatives et je m'occupe du réseau des réussites, qui relie les bénévoles au niveau national. Quelque 500 bénévoles effectuent des missions de parrainage de personnes en situation de handicap qui recherchent un emploi. Les bénévoles accompagnent les demandeurs d'emploi sur le plan pratique – création de CV, simulation d'entretien – mais aussi sur le plan social en les aidant, par exemple, à retrouver confiance en eux.
Pour ma part, je suis chargé de l'accueil téléphonique des personnes handicapées et de leur famille. Nous recevons entre 4 000 et 5 000 appels par an.
Ces appels concernent, par exemple, des mesures nouvelles qui affectent la vie des personnes en situation de handicap. Quand des municipalités comme Paris ou Strasbourg décident d'interdire les véhicules diesel de leur centre-ville, certaines personnes en situation de handicap peuvent rencontrer des difficultés supplémentaires. Une personne m'a ainsi appelé et m'a expliqué qu'elle se déplaçait grâce à un véhicule diesel adapté pour se rendre à son travail en centre-ville. Elle s'inquiétait pour la fin de son parcours, ne sachant pas comment elle allait faire si elle devait laisser son véhicule à la porte de la ville, étant donné que les transports en commun sont peu ou pas adaptés aux personnes en situation de handicap. Mon rôle est de me renseigner pour savoir quelles réponses vont être apportées à ce genre de situations.
Ces 4 000 à 5 000 demandes peuvent prendre la forme d'appel, de message ou de courrier. Nous avons coutume de dire que nous sommes des généralistes spécialistes. Notre première mission est de faire valoir les droits des personnes en situation de handicap. Nous essayons d'apporter des réponses à ces personnes et à leur famille qui, parfois, découvrent la question du handicap.
Merci à tous pour cette présentation.
Nous avons également le plaisir de recevoir une délégation de l'Association des paralysés de France (APF). Elle est composée de M. Philippe Botton, administrateur, que nous connaissons bien par ailleurs comme fonctionnaire de l'Assemblée, et de M. Nicolas Merille, conseiller national accessibilité et conception universelle.
Créée en 1933, l'APF est reconnue d'utilité publique. C'est une association nationale de défense des droits et de représentation des personnes en situation de handicap ou polyhandicapées et de leur famille. Votre association sensibilise l'opinion publique et les décideurs à la question du handicap, œuvre à l'augmentation du taux d'emploi des personnes handicapées, leur apporte un soutien juridique spécialisé et mène des actions de formation professionnelle.
Je vous propose de présenter votre association comme l'ont fait les représentants de LADAPT, puis nous en viendrons aux questions.
Comme vous l'avez dit, je suis administrateur à l'APF. Nous sommes ravis que vous vous intéressiez au recrutement des personnes en situation de handicap à l'Assemblée nationale et à l'aménagement des bâtiments pour leur en faciliter l'accès. Nous espérons que ces travaux se concrétiseront dans un nouvel élan en faveur de ces deux politiques à l'Assemblée nationale.
Vous me connaissez bien, avez-vous dit. En effet, je suis fonctionnaire depuis trente ans à l'Assemblée nationale où j'ai été recruté en 1988 à l'occasion d'un concours spécial. Je n'ai pas du tout à me plaindre de ma carrière, j'en suis même absolument ravi. Après avoir travaillé à la questure, en commission et en séance, je termine ma carrière à la bibliothèque. Dans deux mois, je prendrai ma retraite.
Par expérience, je connais les facilités et les difficultés de la maison. Sur le plan technique, j'ai aussi pu tester l'accessibilité dont Nicolas Merille est le spécialiste.
Pour ma part, je suis chargé de la veille sur toutes les politiques publiques en matière d'accessibilité, d'insertion et de participation sociale. À ce stade, je dirais simplement que nous sommes très heureux de participer à votre groupe de travail.
Mes deux premières questions sont en relation avec les pouvoirs publics.
Quelles relations entretenez-vous avec les pouvoirs publics et, tout particulièrement, avec les représentants du pouvoir législatif – Assemblée nationale et Sénat ? Vous sentez-vous bien associés à leurs réflexions ?
Conduisez-vous parfois des campagnes de sensibilisation des députés ou sénateurs aux différents types de handicap – moteur, mental, psychique, sensoriel ou maladie invalidante –, y compris en période électorale ? Si tel est le cas, quels résultats obtenez-vous ainsi ?
Nos directeurs d'établissement et nos délégués bénévoles ont forcément des liens avec les élus locaux. Nous en avons aussi au moment de la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, pour laquelle les élus nous soutiennent. Nous avons eu des contacts avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et des relations plus intenses avec certaines ambassades, notamment avec celle de Madrid. Avec Yves Saint-Geours, l'ambassadeur de France en Espagne, nous avons mené une action commune aux deux pays afin de sensibiliser les entreprises et les acteurs associatifs au dispositif de l'emploi accompagné.
Comment nous sentons-nous associés aux réflexions des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat ? Ma réponse sera un peu mitigée, car nous ne nous sentons pas forcément bien associés.
J'ai en mémoire l'expérience vécue avec le sénateur Nicolas About et son assistante parlementaire, Anne-Sophie Parisot, qui était en fauteuil. Elle nous avait demandé d'organiser une rencontre avec une centaine de personnes en situation de handicap, tous handicaps confondus. Le sénateur About s'était retrouvé face à ce panel, pour un échange de questions et de réponses. Au début, il était impressionné. À la fin, il avait expliqué qu'il n'avait jamais vécu de rencontre aussi riche et directe avec des personnes en situation de handicap. Avec elles, il avait appris nettement plus qu'avec les humbles représentants d'associations dont je fais partie.
Pour résumer, je dirais que nous avons, avec nos représentants des deux assemblées, une base locale ainsi qu'une base nationale qui reste à améliorer.
Comme celle des représentants de LADAPT, notre réponse sera mitigée. Nous sommes effectivement associés systématiquement sur les sujets d'actualité cruciaux tels que les projets de loi, la communication électorale, le transport ou l'emploi. En revanche, nous regrettons qu'il n'y ait pas le réflexe de nous solliciter sur tous les sujets transversaux qui nous intéressent. Le handicap est une matière éminemment transversale. Cela étant, l'APF a la chance d'avoir des délégations départementales qui sont régulièrement en lien avec les parlementaires.
Nous avons d'ailleurs la chance de pouvoir rencontrer notamment votre président national, qui se rend très régulièrement dans les assemblées générales de nos départements. Les échanges que nous pouvons avoir avec vos adhérents dans nos circonscriptions sont toujours de très grande qualité.
Étant une association ancienne et très représentative, l'APF participe à beaucoup de niveaux de concertation avec les pouvoirs publics, notamment au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). L'information et la collaboration sont instituées de façon permanente au niveau national, européen, voire mondial avec l'Organisation des Nations unies (ONU).
En ce qui me concerne, je confirme que nous sommes invités aux assemblées générales départementales des associations. Il n'y a aucun souci en la matière.
J'en viens aux questions sur le thème de l'insertion professionnelle.
Quels sont les obstacles les plus fréquemment rencontrés par les personnes en situation de handicap sur le lieu de travail ? Les administrations publiques éprouvent-elles plus de difficultés que les entreprises à proposer des emplois adaptés aux personnes en situation de handicap ? Si c'est le cas, pour quelles raisons ?
Afin d'optimiser le cadre de travail des personnes handicapées, le télétravail vous paraît-il être une solution satisfaisante ? Quels sont les avantages et les inconvénients de cette organisation du travail pour les travailleurs handicapés ?
En ce qui concerne les obstacles sur le lieu de travail, je peux vous parler de mon expérience et de la multitude de demandeurs d'emploi que nous avons accompagnés et qui ont trouvé un poste. Je parlerais tout d'abord de la reconnaissance de la personne à part entière, et ensuite de la reconnaissance professionnelle.
On a toujours l'impression que, même une fois qu'une personne en situation de handicap est en poste dans une entreprise, il subsiste encore un doute sur ses compétences. C'est un voile un peu obscur, pas bien défini.
La période d'essai serait intéressante à étudier. Lorsqu'une personne handicapée arrive, quel que soit son handicap et encore plus lorsqu'il est rendu visible, le collectif de travail apprécie et se ré-humanise. En caricaturant un peu, je dirais que les collègues sont contents d'aider, par exemple à porter le plateau-repas du nouvel arrivant. Plus le temps passe, plus le collectif réalise que ce quotidien va durer si l'essai se transforme en contrat à durée indéterminée (CDI). Nous voyons souvent le cas de gens qui ne franchissent pas la période d'essai. En regardant les choses de plus près, on s'aperçoit généralement que le collectif de travail n'est pas tout à fait prêt à franchir le pas de travailler dans la durée avec une personne en situation de handicap.
Ce constat met en évidence l'importance de la formation de la direction et du collectif de travail. Il invite aussi tout un chacun à une remise en question. D'une certaine manière, le handicap réinterroge l'organisation du travail. En l'absence de remise en question, c'est un peu plus compliqué pour la personne en situation de handicap.
Dans ces circonstances, on parle souvent de discrimination. Or les autres salariés ressentent plutôt des peurs qu'ils ne peuvent pas exprimer parce qu'ils pensent que ce serait politiquement incorrect.
Première erreur des personnes valides : elles se mettent à la place de leur collègue et elles s'imaginent avec le handicap. Cette situation leur paraît impossible, ce qui est normal. C'est un peu comme dans le cas d'un deuil : la personne qui perd un proche a, dans un premier temps, l'impression que tout s'effondre autour d'elle et qu'elle ne peut plus vivre. Lorsque le handicap survient, la personne peut se relever et trouve des moyens de compensation qu'une personne valide ne peut, dans le meilleur des cas, imaginer que d'une manière très abstraite.
Cette projection explique un grand paradoxe : alors qu'elles sont regardées avec amour et bienveillance, les personnes en situation de handicap sont les plus discriminées sur le plan de l'emploi. Il me semble que cette situation est due à des peurs non exprimées. Si j'ai un message à vous faire passer aujourd'hui, c'est celui-ci : il faut oser parler du handicap, tout simplement.
En ce qui concerne les administrations publiques, il y a l'écueil des concours avec tous les aléas qu'ils comportent. Quant aux emplois réservés, ils sont assez marginaux. La voie contractuelle, qui permet de rencontrer les candidats, pourrait être encouragée et développée. Le candidat peut être évalué dans le cadre d'un grand oral puis au cours d'un contrat dont la durée est en général d'une année, avant d'être éventuellement titularisé.
Pour ma part, je pense que l'on ne doit pas parler d'emploi adapté. Il faut parler d'emploi tout court et, ensuite, regarder les tâches qui doivent être adaptées. Je referme la parenthèse.
Sur le télétravail, je me suis permis de vous apporter le numéro des Cahiers de LADAPT où figure le dossier intitulé : « Le télétravail, une solution pour l'emploi des personnes handicapées ? ». Cette organisation du travail offre naturellement des avantages et des inconvénients.
Parmi les avantages, on peut citer la qualité de vie et aussi l'existence d'un lien social, car le télétravail peut être effectué au domicile mais aussi dans des espaces partagés, des structures de travail en commun. En cela, le télétravail – facilité par les nouvelles technologies – favorise le renforcement de la personne, car elle reste actrice de sa vie professionnelle.
Parmi les inconvénients, il peut y avoir l'isolement. Pour les dirigeants qui sont habitués à un encadrement de proximité, le télétravail n'est pas forcément évident à gérer. Il y a donc un nouveau mode d'encadrement à inventer. En outre, le télétravail nous paraît mal connu, mal identifié par les organisations du travail. Enfin, lorsque la personne travaille à domicile, il peut y avoir une confusion, un mélange des genres entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour autant, le télétravail nous semble être une voie intéressante à exploiter.
Pour l'anecdote, je peux vous raconter l'histoire d'un speed job dating – entretien d'embauche minute – que nous avions organisé. Un jeune homme, titulaire d'un bac+5, était venu nous voir car il recherchait un emploi depuis plusieurs années, sans succès. Il faut imaginer le fauteuil électrique, les bouteilles, la trachéotomie. Ce jeune homme n'est pas le candidat typique pour un recruteur. Quand il s'est vu proposer un travail, nous l'avons presque sommé d'accepter l'offre. À notre grande surprise, il l'a refusée. Nous étions un peu dépités mais, finalement, il a eu raison puisqu'on lui a fait une autre proposition qui lui convenait mieux : un poste qui lui permettait de travailler quatre jours par semaine chez lui et un jour au bureau. Pour lui, ces conditions étaient optimales.
Rappelons que 500 000 personnes en situation de handicap sont au chômage ; dans cette population, le taux de chômage est de 19 %, c'est-à-dire beaucoup plus élevé que celui des personnes valides.
Dans le domaine de l'emploi comme dans d'autres, l'un des freins est sans doute culturel. La France, qui a signé la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), a un problème avec le handicap. Au mois d'octobre dernier, l'ONU a envoyé une rapporteure spéciale dans notre pays. Dans ses observations préliminaires, la rapporteure a fait un constat qui résume bien la situation : la France considère les personnes en situation de handicap comme des objets de soin mais pas comme des sujets de droit. Le manque de pédagogie est manifeste.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le taux de prévalence du handicap se situe entre 10 % et 15 % de toute population. C'est une donnée naturelle de l'humanité. Au quotidien, je ne dirais pas que les personnes en situation de handicap suscitent de la compassion car, comme M. Labaye, je pense qu'elles sont regardées avec beaucoup de bienveillance, mais, du coup, elles ne sont pas perçues comme des sujets titulaires de droits. Je n'ose pas dire le mot de charité, mais il y a une part de compassion un peu sociale, là où devrait exister une considération à l'égard d'êtres dotés de droits. C'est un sujet fondamental.
La loi de 2005 a été adoptée il y a treize ans et, depuis, nous attendons la publication de l'arrêté sur l'accessibilité des lieux de travail au Journal officiel. Il y a une dizaine de jours, l'APF et la FNATH ont saisi le Conseil d'État. Sans être un point de blocage fondamental, cette histoire d'arrêté illustre bien la manière dont est traité le sujet.
Quant au télétravail, il ne pourrait être une solution qu'à titre subsidiaire, car il faut veiller au lien social des personnes. Le sujet n'est pas sans rapport avec le projet de loi « Évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN), qui va être présenté en conseil des ministres 4 avril prochain. Le télétravail est lié à la notion de logement. À ce jour, les appartements situés dans des immeubles neufs de quatre étages ou plus doivent tous être desservis par un ascenseur. Il faut cependant souligner que les immeubles de quatre étages ou plus ne représentent 40 % des constructions neuves. Or le projet de loi ELAN tend à réintroduire des quotas pour la construction de logements accessibles : il prévoit de réduire à 10 % le nombre d'appartements à construire en rez-de-chaussée ou desservis par ascenseur disposant d'une unité de vie accessible sans travaux. Compte tenu de la faible proportion d'immeubles de quatre étages et plus, le taux de logement accessible revient en fait à 10 % de 40 %, c'est-à-dire à 4 %.
Ce chiffre est à rapporter au taux de prévalence du handicap – de 10 % à 15 % selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) – et au pourcentage des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans dans la population française – 25 % dans dix ans, selon l'INSEE. Ce chiffre pose aussi des questions de cohérence avec certaines politiques publiques comme la transformation de l'offre médico-sociale, défendue par l'actuelle secrétaire d'État chargée des personnes handicapées. Selon l'article 19 de la CIDPH, une personne doit avoir le choix de son mode de vie et de son lieu de résidence. Le projet de loi ELAN nous semble aussi en contradiction avec un objectif récemment fixé par l'Élysée : à la fin du quinquennat, 60 % des personnes handicapées usagers d'institutions médico-sociales devraient vivre en milieu ordinaire, au milieu de la cité. Pour sa part, la ministre de la santé table sur 66 % d'hospitalisation en ambulatoire d'ici à 2020. Même s'il s'agit d'une digression par rapport au télétravail, ces considérations d'actualité sur le logement sont très importantes.
Puisque notre sujet est le handicap à l'Assemblée nationale, j'aimerais faire un petit zoom sur le recrutement dans cette maison. J'ai pris connaissance des comptes rendus d'audition des organisations syndicales que vous avez entendues. Je crois qu'il y a près de 1 200 fonctionnaires à l'Assemblée nationale et que nous sommes loin du compte quant au pourcentage de postes occupés par des personnes ayant une reconnaissance de travailleur handicapé. Je pense que quinze ou vingt personnes possèdent ce statut, au maximum, alors qu'elles devraient être une soixantaine.
En la matière, la volonté politique des autorités de l'Assemblée est déterminante. Il faut mettre le dossier général du recrutement – et plus particulièrement du recrutement de personnes handicapées – à l'ordre du jour. Il faut peut-être créer un groupe de travail pour déterminer le nombre de postes qui pourraient correspondre à un profil. Il faut peut-être s'interroger sur les conditions d'un éventuel recrutement de contractuels. Plus précaires, les contractuels n'occupent pas de vrais postes permanents. En outre, dans les administrations publiques et particulièrement à l'Assemblée, le principe est de recruter par concours. Je préconiserais donc de prévoir des postes réservés aux concours généraux, ou d'organiser des concours spéciaux comme cela a pu être le cas par le passé.
M. Nicolas Merille a déjà partiellement répondu à ma première question. Le Président de la République a annoncé qu'il souhaitait faire du handicap l'une des priorités de son quinquennat. Quelles actions devraient, selon vous, être menées en priorité pour améliorer l'intégration sociale des personnes en situation de handicap ?
Savez-vous quel est le pourcentage d'administrations publiques françaises ayant déjà eu recours à des retranscriptions de documents en version « facile à lire et à comprendre » (FALC) pour les personnes en situation de handicap mental ?
En toute sincérité, je dois avouer que je ne connais pas la réponse à votre dernière question.
Au niveau de LADAPT, nous nous efforçons de traduire nos documents, notamment le projet associatif « Vivre ensemble, égaux et différents » en version FALC pour un public en situation de handicap mental. Finalement, nous avons réalisé que cette version intéressait beaucoup certains autres acteurs : des personnes atteintes de troubles « dys » qui rendent les apprentissages difficiles, des personnes cérébro-lésées, des collaborateurs bénévoles ou salariés qui trouvent que ce texte leur permet d'aller à l'essentiel.
Au cours des dernières campagnes électorales, présidentielles et législatives, certains candidats avaient édité une version FALC de leur programme. Cet effort notable mérite d'être souligné dans la mesure où il témoigne d'une évolution positive.
Le Président de la République a annoncé qu'il souhaitait faire du handicap l'une des priorités de son quinquennat. Nous en avons discuté hier au sein de LADAPT. En fait, chaque président de la République a, semble-t-il, fait du handicap sa priorité. S'il n'y avait qu'une action à mener, il faudrait favoriser la capacité de décider et d'agir. Comment permettre à une personne en situation de handicap, quel que soit son handicap, d'être formée à être pleinement actrice de ses choix personnels et professionnels ?
Nous constatons que certains acteurs proches ont tendance à voir naturellement la personne sous l'angle de ses incapacités. Notre société est éduquée de manière à associer handicap à incapacité. À travers notre projet associatif, les 16 000 personnes handicapées accompagnées vont être formées à cette capacité de décider et d'agir. En même temps, nous avons commencé à former tous nos salariés et bénévoles – du directeur général aux salariés et bénévoles lambda, en passant par les directeurs régionaux, les directeurs d'établissement et les cadres intermédiaires – à cette notion. Que signifie la capacité de décider et d'agir ? Qu'est-ce que rendre une personne pleinement actrice pour qu'elle puisse être vraiment souveraine dans ses choix ?
Les précédents présidents de la République en avaient aussi fait une priorité de leur quinquennat. Pour ma part, j'ai un deuxième message à vous faire passer, mesdames et messieurs les députés : le handicap est une grille de lecture formidable pour savoir ce que l'on doit faire pour la société.
Prenons l'exemple des rampes, ces pentes construites à côté des escaliers pour les personnes en fauteuil. En fait, on s'aperçoit que les femmes avec poussette les utilisent davantage que les personnes en fauteuil. En ce qui concerne l'accessibilité numérique des non-voyants, on préconise d'éviter de mettre trop d'images sur les sites internet. Cette tendance entraîne une autre conséquence car la page peut alors être référencée par Google : l'entreprise peut faire de la publicité beaucoup plus facilement.
Plutôt que de vous perdre dans des textes législatifs ou réglementaires très compliqués, regardez les personnes handicapées et vous allez trouver des réponses simples. Je vais vous donner un dernier exemple. Quand une personne non voyante est en intégration, il ne faut pas se contenter d'écrire sur un tableau mais il faut verbaliser ce que l'on écrit. Cette méthode sert à toutes les personnes qui ont une faculté auditive – et qui ne le savent pas forcément – et le cours est mieux appris par tous.
La grille de lecture du handicap est fondamentale si vous voulez prendre de bonnes décisions.
Il y a beaucoup de choses à dire sur les priorités du quinquennat.
Commençons par les ressources. Le Président de la République s'était engagé à augmenter l'allocation aux adultes handicapés (AAH) de 100 euros. Cette augmentation a bien eu lieu mais la suppression de droits connexes a abouti à une perte de pouvoir d'achat d'un montant qui varie entre quelques dizaines et quelques centaines d'euros pour les personnes en situation de handicap. En outre, l'AAH est calculée par rapport aux ressources du conjoint, ce qui fait que les allocataires ne peuvent pas raisonner en termes d'autonomie.
Poursuivons avec l'obligation d'emploi. Même si des réunions de concertation doivent encore avoir lieu, il semble que le Gouvernement souhaite mettre fin, pour les entreprises de vingt salariés ou plus, à l'obligation d'employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de leur effectif total. Cette perspective nous semble contradictoire avec l'idée de faire du handicap une priorité du quinquennat.
Venons-en aux agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) qui ne font l'objet d'aucun suivi national. Dans le domaine de l'accessibilité comme dans d'autres, la rapporteure de l'ONU a d'ailleurs relevé que la France souffre d'un déficit majeur en termes de suivi statistique du handicap dans les politiques publiques.
On peut connaître le nombre d'établissements recevant du public (ERP) qui ont déposé un dossier relatif aux Ad'AP, mais de nombreuses questions restent en suspens. Que contiennent ces dossiers ? Combien y a-t-il eu de demandes de dérogation totale ou partielle ? Combien d'ERP seront mis totalement en accessibilité, et à quelle échéance ? En l'absence de suivi national, c'est une nébuleuse complète.
Il y a trois échéances : 26 septembre 2018, 26 septembre 2021, 26 septembre 2024. On attend toujours certains textes réglementaires, notamment ceux qui concernent le Fonds national d'accompagnement de l'accessibilité universelle. Il est prévu que les établissements qui ne se mettraient pas aux normes se verraient infliger des sanctions financières – 2 500 euros pour de petits ERP, 100 000 euros pour des gestionnaires de plus gros patrimoines – qui viendraient alimenter des structures telles que l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH). Ces moyens permettraient de financer des acteurs volontaristes souhaitant se mettre aux normes d'accessibilité. Le Fonds national d'accompagnement de l'accessibilité universelle, qui devrait être géré par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), n'est toujours pas créé. Trois ans après la réforme et six ans avant l'échéance finale, on attend toujours le texte réglementaire.
Des textes doivent encore être publiés pour les ERP de cinquième catégorie et isolés, c'est-à-dire les petits commerces de proximité qui n'appartiennent pas à une chaîne. Ils sont soumis à l'échéance de trois ans, c'est-à-dire à celle du 26 septembre 2018. Pour ce type d'établissement, nous avons les plus grandes craintes car nous constatons une inertie totale sur le terrain. Il est vrai que les acteurs ne sont pas accompagnés, notamment en termes d'incitations fiscales. Certaines collectivités territoriales viennent seulement de déposer leur dossier, alors qu'elles sont soumises à l'échéance de 2021. Il règne un trop grand flou dans ce domaine.
En fait, l'accessibilité est trop associée au handicap et aux fauteuils roulants. Elle est, en effet, d'une absolue nécessité pour les personnes en situation de handicap, quelles que soient les déficiences. C'est pourquoi, historiquement, le sujet a été porté par nos associations. Cela étant, il faut aussi penser aux personnes âgées, aux familles – 2,5 millions de poussettes circulent tous les jours –, aux livreurs, aux manutentionnaires, aux voyageurs avec bagages. Pourtant, un maire n'associera pas forcément l'accessibilité à ces différents publics. En bon gestionnaire des deniers publics, il pourra penser que 100 000 euros d'investissement pour une personne en fauteuil – hypothèse fictive –, c'est beaucoup trop. Il méconnaît le fait que l'investissement concerne la majorité de la population et non pas une seule personne en fauteuil. Un effort de pédagogie s'impose.
Même quand le volontarisme politique est là, on se heurte à un manque de formation des professionnels – architectes, techniciens de voirie, entrepreneurs du bâtiment –, ce qui entraîne beaucoup de malfaçons. Un module, prévu depuis 2009 dans 117 formations initiales, n'est pas appliqué. Pour construire l'avenir, il est fondamental que ces formations soient mises en œuvre.
Pour que le sujet soit compris, il faudrait aussi que les personnes en situation de handicap soient plus visibles. En 2017, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) indiquait que le taux de visibilité des personnes en situation de handicap était de 0,6 % dans les médias, alors que, je le répète, le taux de prévalence du handicap est estimé entre 10 % et 15 % par l'OMS. L'écart donne une idée des marges de progrès.
Pour terminer, je voudrais répondre à votre question sur les documents en version FALC. Je me souviens qu'en juillet 2012, le discours de politique générale du Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait été traduit en FALC. C'était la première fois pour un document de l'État et j'ignore si c'était la dernière.
Monsieur Botton, en tant que fonctionnaire de l'Assemblée nationale, pourriez-vous nous donner votre appréciation de l'accessibilité dans cette maison ?
Je pratique tous les jours les couloirs de l'Assemblée. Au cours des dernières années, j'ai pu constater beaucoup d'améliorations, mais il y a encore du travail à faire. En prévision de cette réunion, je me suis rendu hier dans l'hémicycle pour faire un peu le point, parce que je n'ai plus l'occasion d'y aller pour mon travail. Les personnes en fauteuil ou se déplaçant avec difficulté doivent emprunter des volées de marches ou un élévateur qui tombe parfois en panne, même lorsque l'on reçoit des personnalités importantes.
Voilà ! J'ai donc utilisé cet élévateur. En fait, c'est un abus de langage de dire cela. J'ai emprunté l'élévateur, ce qui n'est possible qu'en présence d'un huissier. Il faut donc que quelqu'un aille faire signe à l'huissier pour le prévenir qu'une personne en fauteuil veut monter. C'est avec sa télécommande qu'il actionne l'ouverture de la porte et le démarrage de la machine pour accéder comme pour repartir.
Hier matin, dans un groupe qui visitait le Palais-Bourbon à l'initiative d'un parlementaire, il y avait dix personnes en fauteuil roulant. L'élévateur a été mis à contribution pour leur permettre d'avoir une vue de l'hémicycle. C'est quand même très problématique, car la possibilité d'accès existe mais elle ne permet pas d'être autonome. Que se passe-t-il s'il faut quitter l'hémicycle rapidement pour des raisons de sécurité ? À l'Assemblée nationale, on peut, bien sûr, compter sur le coup de main de l'agent, du collègue, du député qui passe. Nous ne sommes pas du tout isolés, mais ce n'est pas suffisant.
Tôt ou tard, un ou plusieurs députés seront en fauteuil ou avec des problèmes de mobilité importants. On ne sait pas quand, mais il y en aura. Nous avons eu des secrétaires d'État en fauteuil roulant, des députés ont été handicapés temporairement à la suite d'accidents. Or, dans l'hémicycle, il n'y a pas de sièges ni de pupitres qui permettent de travailler et d'intervenir quand on est dans un fauteuil roulant. Un député en fauteuil se retrouve au premier rang de l'hémicycle et au pied du perchoir, à tel point qu'il ne voit même pas le président. Pourquoi un député en fauteuil ne serait-il pas vice-président ? Quand il serait amené à présider des séances, comment accéderait-il au perchoir ? C'est une question de principe et de droit.
L'hémicycle est un lieu emblématique du Palais-Bourbon, mais il n'est pas le seul à être concerné par les soucis d'accessibilité. Pour circuler de la salle des Quatre-Colonnes aux salles des commissions ou autres, des petits plans inclinés ont été créés mais ils ne sont pas du tout aux normes : la pente devrait être de 6 % au maximum, alors qu'elle atteint parfois 30 %. L'exercice est alors assez sportif et non dénué de risque. Les personnes qui sont amenées à m'aider n'ont pas forcément la force et la technique nécessaires pour manipuler un fauteuil roulant. Comme je suis relativement autonome et que je maîtrise bien les choses, cela ne pose pas de problème. Quand j'imagine un fauteuil plus lourd, je me dis néanmoins que ce n'est pas évident de le manipuler et de garantir sa stabilité pour éviter une bascule dans une pente de 30 %. C'est un sujet à mettre sur la table. L'APF et des personnes handicapées de l'Assemblée sont prêtes à apporter leur contribution fondée sur l'expérience et l'expertise.
Avant de vous poser mes dernières questions, je voulais déjà vous remercier pour ces précisions qui nous donnent des pistes de propositions fort intéressantes.
Pensez-vous que les personnes en situation de handicap sont suffisamment associées aux grands débats électoraux et à la vie civique ? Quelles seraient, selon vous, les pistes pour progresser ?
Mes autres questions ont pour thème les possibilités d'interactions entre vos deux associations et l'Assemblée nationale. Si un ou plusieurs postes de référents handicap étaient créés à l'Assemblée nationale, votre association pourrait-elle sensibiliser et former le ou les référents à l'accompagnement professionnel des travailleurs handicapés ?
Avez-vous constaté un effort récent dans la communication des institutions publiques à destination des personnes souffrant d'un handicap sensoriel tel que la surdité et la cécité ? Quelles adaptations recommanderiez-vous à l'Assemblée nationale dans ce domaine ?
Lors des dernières élections présidentielles, les associations ont regretté que les personnes en situation de handicap aient été généralement peu associées aux grands débats électoraux et à la vie civique. Cela nous a rappelé l'histoire du Français qui s'est rendu à un meeting en Écosse. Il n'y avait pas grand monde – et apparemment aucun sourd-muet – dans la salle, mais il y avait un traducteur en langue des signes sur la scène. Il a demandé la raison de la présence de ce traducteur. On lui a répondu qu'il n'y avait qu'un Français pour poser une question pareille. L'accessibilité universelle n'est pas suffisamment prise en compte dans nos débats électoraux et la vie civique, malgré les améliorations qui ont pu être apportées et, notamment, la présence de traducteurs en langue des signes lors des derniers débats et des meetings de certains candidats.
Si un ou plusieurs référents handicap étaient institués à l'Assemblée nationale, notre association pourrait répondre favorablement à une demande de sensibilisation ou de formation. LADAPT dispose d'un service qui offre aux entreprises des possibilités de formation, de sensibilisation et d'accompagnement des dirigeants. Nous avons aussi créé un dispositif, baptisé « ESAT hors les murs », destiné à la fois l'employeur et à la personne en situation de handicap. Il permet d'identifier les missions de la personne en situation de handicap. Dans le cas de LADAPT, il s'agit de personnes qui ont un handicap psychique, qui sont cérébro-lésées, ou de jeunes que nous essayons d'accompagner dans leur projet professionnel en identifiant leurs compétences. Nous visitons l'entreprise et nous regardons l'organisation du travail. Nous faisons une sorte de diagnostic pour qu'il ait une adéquation entre les besoins de l'entreprise et les compétences du candidat.
Cela étant, cette formation de référents doit aller de pair avec un certain état d'esprit. Le handicap est quelque chose de lourd qui renvoie à l'inconscient du collectif de travail. Un dirigeant d'entreprise m'avait ainsi déclaré qu'il ne partait pas à la guerre – c'est-à-dire à l'affrontement avec ses concurrents – avec des personnes en situation de handicap. Une telle réflexion révèle des préjugés sur les compétences et la productivité de ces personnes. L'état d'esprit semble être un peu celui de « pas de bras, pas de chocolat ! »… Plutôt que d'accueillir une personne en situation de handicap, il s'agit d'accueillir un collaborateur en situation de handicap qui a des compétences.
Nous résumons cet état d'esprit par trois ingrédients : la sagesse de la pédagogie, la force de l'humour, la beauté de la rencontre. Il faut former les dirigeants et les équipes. L'humour permet de faire tomber certaines représentations ; il faut savoir rire du handicap pour pouvoir mieux travailler ensemble. On a peur de communiquer avec une personne sourde ; on a du mal à comprendre que l'écran de l'ordinateur d'une personne aveugle soit éteint en permanence. On peut faire toutes les campagnes de sensibilisation possibles, mais rien ne remplace la rencontre pour faire tomber certaines représentations. Cet état d'esprit doit s'installer dans la durée.
Vous nous avez aussi interrogés sur l'effort de communication des institutions publiques à l'égard des personnes souffrant d'un handicap sensoriel. Nous n'aimons pas le mot « souffrant » et nous préférons parler de personnes « ayant » un handicap sensoriel. Sur ce point, je vais laisser Marc Labaye, Dalibor Kavaz et Marie-Annick Carian vous répondre.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter sur ce qui a été dit de l'accessibilité à l'Assemblée nationale. Pour continuer sur le chemin que vous avez ouvert aujourd'hui, nous rêvons d'organiser un job dating au sein de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire un échange entre des candidats en situation de handicap et des députés. C'est en multipliant les rencontres que l'on peut avancer. La personne en situation de handicap joue dans notre société un peu le même rôle d'éclaireuse que l'abeille dans l'environnement.
(Au nom de Mme Marie-Annick Carian)
. Marie-Annick voulait vous dire un mot sur la communication. Pour la rencontre d'aujourd'hui, elle apprécie la présence d'un interprète en langage des signes en cabine, même si elle est obligée de se tourner vers un autre écran que celui, beaucoup trop petit, qui était initialement prévu. Elle aurait souhaité la présence d'un autre interprète pour traduire ses propres propos, afin d'interagir avec vous. Elle n'était pas du tout à l'aise pour parler car elle avait vraiment peur qu'on ne la comprenne pas. Du coup, elle n'a pas participé directement.
Elle souhaitait notamment vous poser la question suivante : si une personne devenait handicapée à l'Assemblée nationale, comment réagiriez-vous et quelles mesures seraient prises pour l'accueillir ?
Comme le disait M. Botton, il y a eu des progrès en termes d'accessibilité, mais beaucoup reste à faire. C'est précisément l'objet du groupe de travail. Nous recueillons les propositions des personnes auditionnées et nous les soumettrons au Bureau de l'Assemblée nationale. Certaines de ces propositions vont effectivement dans le sens d'un progrès dans l'accueil des personnes en situation de handicap.
Je suis désolé de vous avoir prévenus tardivement de la participation de Marie-Annick, ce qui peut expliquer l'absence de traducteur.
Pour ma part, j'aimerais revenir sur l'élection présidentielle. Les partis politiques ont fait un effort en utilisant l'audio, en allant jusqu'à décrire les fiches électorales et à proposer la synthèse des programmes. Pour les votes électroniques, il serait possible d'incorporer une synthèse vocale, ce qui permettrait de se connecter avec une oreillette et de sélectionner l'option voulue, au moyen d'une étiquette en braille, par exemple. Il faut continuer dans ce sens, en associant davantage les personnes en situation de handicap aux prises de décision. Il est bon de faire des lois et de créer des normes, mais il est important de consulter les associations, comme vous le faites aujourd'hui, pour y apporter les dernières retouches.
J'aimerais ajouter un mot sur la mise en accessibilité de l'hémicycle. L'ancien ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, était en fauteuil roulant et, a priori, il n'avait pas de problèmes d'accessibilité. En France, je crains qu'une personne ne soit pas choisie pour occuper une fonction, non pas parce qu'elle n'aurait pas les compétences politiques requises, mais en raison du manque d'accessibilité des infrastructures.
Je vais vous citer un exemple qui n'a rien à voir avec le milieu politique et dont j'ai eu connaissance il y a une quinzaine de jours. Un brillant étudiant français de vingt-deux ans, qui revient des États-Unis et qui est bilingue, a voulu intégrer l'École supérieure de journalisme de Paris. Lors de la réception de son dossier par messagerie électronique, on lui a dit : « Monsieur, vous êtes très bon, on vous attend. » Lorsqu'il a annoncé qu'il était en fauteuil, l'école a décidé de ne pas l'intégrer au motif qu'elle n'avait pas terminé les études techniques destinées à mettre ses bâtiments en accessibilité. Il y a trois ans que l'école aurait dû déposer son dossier pour les Ad'AP. On soupçonne qu'elle ne l'a pas fait.
Il y a en France un problème culturel avec le handicap, et le cas de ce jeune homme en donne une nouvelle illustration. Dans un pays anglo-saxon, il ne viendrait jamais à l'idée de quelqu'un de refuser la participation d'une personne au motif de l'inaccessibilité des infrastructures. Ces pays pratiquent une tolérance zéro en la matière et ils cherchent, avant tout, à favoriser la participation.
Il faut anticiper l'élection éventuelle de députés déficients, quelles que soient les déficiences, pour pouvoir s'adapter. Il faut anticiper des problèmes qui peuvent être très techniques et basiques. Comme M. Botton l'expliquait, un député en fauteuil roulant sera, dans l'hémicycle, placé en bas de la tribune, au point qu'il lui sera difficile de voir le président. Outre cette gêne, se pose aussi la question de l'appartenance à son groupe. Ce député acceptera-t-il d'être séparé de son groupe ? Cela pose des questions de sensibilité, de déontologie républicaine.
Je vous remercie d'avoir soulevé la question des débats électoraux. En 2014, la députée Dominique Orliac et la sénatrice Jacqueline Gourault avaient été chargées d'une mission sur l'accessibilité électorale des personnes en situation de handicap. Il serait intéressant de se référer à leur rapport, rendu en juillet 2014, même si nous en critiquons le côté volontariste sans sanction. Trois lois ont été adoptées en quarante-trois ans. À la lueur de cette expérience, on se rend compte qu'il est difficile d'avancer si l'on ne manie pas la carotte et le bâton.
Lors des débats électoraux, certaines mesures sont décidées et les gens concernés ne restent pas totalement inactifs. Cependant, nous demandons au CNCPH de revisiter trois mémentos à l'attention des organisateurs de scrutin, à chaque élection. Selon le ministère de l'intérieur, les organisateurs de scrutin doivent respecter une soixantaine de circulaires. Au milieu de toute cette masse d'informations, l'accessibilité passe un peu à la trappe. Malgré les progrès enregistrés, il faut encore améliorer la prise en compte de toutes les déficiences au moment de l'organisation des meetings ou de la construction des sites internet des candidats. Les meetings sont parfois inaccessibles, et pas uniquement pour les personnes en fauteuil roulant ; il n'y a pas forcément de traducteurs en langue des signes et de vélotypie. Comme le problème se retrouve d'une élection à l'autre, nous proposons de conditionner une partie des dotations publiques que reçoivent les partis politiques à leur prise en compte de l'accessibilité.
Qu'en est-il de l'éligibilité des personnes en situation de handicap ? Leur accès à des mandats politiques est-il favorisé ? Nous en sommes encore loin.
Si un ou plusieurs référents handicap étaient institués à l'Assemblée nationale, l'APF serait ravie et enthousiasmée de participer à leur formation et à leur sensibilisation.
S'agissant de la prise en compte des handicaps sensoriels, les institutions ont encore beaucoup de progrès à faire, notamment en termes d'accessibilité numérique. Les sites internet devaient être accessibles depuis 2012. Or la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC) a établi un plan pour les dix principaux sites de l'État à rendre accessibles en priorité. Il n'est plus question que de dix sites internet gouvernementaux, ce qui nous amène à nous poser des questions.
En guise de conclusion, je vais donner une sorte de feuille de route à ce groupe de travail, en espérant que vous vous en inspirerez pour agir.
La CIDPH a été adoptée par l'ONU en décembre 2006. Signée et ratifiée par la France, elle est entrée en vigueur dans notre pays le 20 mars 2010. Ratifiée par l'Europe, elle est entrée en vigueur dans l'Union européenne en janvier 2011.
Au terme de l'article 55 de la Constitution, les accords internationaux, une fois ratifiés, ont une valeur supérieure à la loi. Certaines parties de cette convention sont d'application directe, comme le confirment des décisions du Conseil d'État et de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : la majeure partie de l'article 27 sur le travail, l'article 5 sur la non-discrimination, l'article 9 sur l'accessibilité. Ces principes doivent inspirer les politiques. Les États s'y sont engagés, les députés ont ratifié ces mesures d'application directe.
Il ne s'agit pas de savoir si la personne est handicapée ou pas, si elle porte des lunettes ou pas, si elle est en fauteuil ou pas. C'est un droit des citoyens. Voilà la feuille de route : nous voulons que ces principes inspirent toutes les décisions qui doivent être prises.
Si vous avez d'autres questions, observations ou contributions, vous pouvez nous les adresser par écrit, sachant que nos travaux devront s'achever à la fin du mois de mai. Le président de Rugy a fait du handicap une priorité de nos travaux sur les conditions de travail à l'Assemblée nationale. Nous allons nous efforcer de reprendre vos sollicitations dans notre rapport. J'espère que nous serons aussi écoutés que lors de la remise de notre rapport sur les collaborateurs de l'Assemblée nationale. Merci à tous pour vos contributions actives pendant cette séance de travail.
La réunion s'achève à onze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 27 mars 2018 à 9 h 30
Présents. - M. Régis Juanico, Mme Jacqueline Maquet
Excusés. - M. Michel Larive, M. Gilles Lurton, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Nicole Trisse