Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du vendredi 5 novembre 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Vendredi 5 novembre 2021

La séance est ouverte à neuf heures trente

(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)

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Cette audition consacrée au transport de fret maritime vient compléter les auditions relatives au transport routier et au fret ferroviaire. Notre mission d'information a déjà mené une cinquantaine d'auditions et nos interlocuteurs ont souvent souligné l'importance de l'implantation des ports sur l'ensemble des façades maritimes de la France pour la résilience de notre pays, principalement en matière énergétique et industrielle. Nous constatons cependant que le transport maritime semble parfois à la limite de ses capacités. L'épisode de l'obstruction du canal de Suez nous a rappelé combien les routes maritimes étaient vulnérables face à différents risques et menaces. Par ailleurs, les ports français demeurent soumis à une vive concurrence européenne d'autant plus susceptible de remettre en cause notre autonomie que la Chine est d'ores et déjà implantée dans plusieurs ports européens et ne fait pas mystère de sa volonté de prendre le contrôle d'un nombre croissant de points d'accès aux marchés de l'Union européenne.

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

L'UNIM est la fédération de branche de la manutention portuaire, aussi bien en métropole qu'en outre-mer. Nous représentons la partie privée et M. Chalus représente les autorités portuaires. Nous gérons conjointement la convention collective nationale unifiée des ports et docks qui concerne les dockers et le personnel des établissements publics portuaires. Cette mission sociale n'est qu'une partie des missions de l'UNIM. L'autre mission consiste à défendre notre profession. En effet, la manutention portuaire n'est pas une mission de service public. Ce statut a été tranché au niveau européen il y a plus de trente ans, nous sommes dans un marché concurrentiel Notre concurrence se joue en Europe, voire avec d'autres pays non européens de la Méditerranée, et nous devons veiller à disposer des mêmes armes que nos concurrents pour exercer notre profession de la manière la plus efficace et la plus productive possible.

Nous vous remercions de nous avoir sollicités pour intervenir au sujet de la résilience, car nous pensons qu'il est indispensable de conserver une souveraineté, au moins au niveau européen sinon au niveau français, pour nos ports. Nous faisons partie de la fédération européenne des opérateurs portuaires, la Feport. Il faut absolument conserver un tissu portuaire français, même indépendamment de l'Europe. Nous avions déjà agi dans ce sens et les événements de 2020 ont prouvé que nous avions raison. Lorsque le confinement bloquait tout, que faisions-nous de nos dockers qui devaient rester chez eux ? Fin 2019 et début 2020, nous avons traversé des semaines difficiles dans le cadre de la réforme des retraites où, étonnamment, les dockers avaient suivi le mouvement de la Confédération générale du travail (CGT) alors qu'ils sont généralement plus corporatistes que politiques. Ils ont, avec les agents des ports, fortement suivi les mouvements, provoquant une baisse de trafic considérable – jusqu'à - 35 % pour les conteneurs et - 80 % pour les véhicules – au début de 2020. Lors du confinement, en l'espace de quarante-huit heures, nous avons mis en place – avec le cabinet du ministère des transports et la collaboration totale de la Fédération nationale des ports et docks (FNPD)-CGT – des règles de bonne conduite afin que les dockers puissent continuer à travailler et que le trafic maritime ne s'arrête pas. Il s'agissait de maintenir uniquement les trafics essentiels et un blocage pur et simple n'était pas acceptable. Les ports ne se sont donc pas arrêtés en 2020 et, au contraire, sont repartis de plus belle. Cependant, ils ont traité le trafic restant qui était malheureusement très pauvre, surtout dans le domaine du conteneur et du roulier.

Avec le secrétariat général de la mer et le cluster maritime au sein du comité France maritime – une très bonne institution public-privé –, nous avons pu mettre en place une charte de relance des ports français. Celle-ci a été signée sous la tutelle des deux ministères, transports et mer. Nous pouvions enfin parler de souveraineté. Nous avons alors montré l'efficacité et la résilience des ports. En contrepartie, nous avons demandé à tous les donneurs d'ordre de fret d'import-export français de privilégier autant que possible les ports français afin de retrouver les parts de marché que nous n'avions jamais eues ou que nous avions perdues récemment. Cette charte a été signée avec la collaboration de la FNPD. Nous avons passé avec celle-ci des accords d'attractivité et de prévention des conflits de manière à rassurer la clientèle sur la volonté de ne plus bloquer les ports.

La dérégulation du transport maritime – surtout pour les conteneurs – dès le début de l'année 2021, a profité aux ports français. Aujourd'hui, nous avons retrouvé le niveau de 2019, voire mieux. Il nous appartient désormais de nous montrer suffisamment intelligents pour maintenir ce regain de confiance conféré par les donneurs d'ordre de fret d'import-export et surtout faire revenir le fret qui était parti dans les ports du nord ou de la Méditerranée. Nous avons montré d'une part que les ports étaient stratégiques dans la survie d'un pays qui dépend du commerce extérieur, et d'autre part, notre capacité à continuer à travailler en période de crise.

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

Notre organisation, créée en 1902, représente l'ensemble des armateurs opérants sous pavillon français. Nous disposons d'une flotte de 400 navires très diversifiés, la moitié étant une flotte de transport, l'autre moitié une flotte de service. Nous avons également une flotte contrôlée extrêmement importante, qui ne bat pas pavillon français mais reste contrôlée par des armateurs français. Nous avons des champions mondiaux tels que la Compagnie maritime d'affrètement – Compagnie générale maritime (CMA-CGM), Louis Dreyfus Armateurs ou Bourbon Offshore ainsi que nos compagnies de ferries qui assurent une certaine continuité, y compris sur nos côtes, avec les îles du Ponant, la Corse et les outre-mer. Notre flotte océanique permet de poser les câbles sous-marins indispensables à la circulation de l'information. Il s'agit d'une spécialité française, avec une flotte d'environ dix câbliers.

Vos prédécesseurs ont toujours considéré notre marine marchande – privée certes –comme une flotte de commerce stratégique, car l'économie mondiale se réalise en grande partie sur les mers : 90 % des marchandises empruntent des navires durant leur parcours. Depuis une trentaine d'années, nous avons résisté et évité la disparition de la marine marchande. On aurait pu avoir une politique d'option zéro navire, zéro marin, zéro armateur et donc voir la marine marchande française disparaître, mais un certain nombre de mesures ont été prises depuis les années 80 pour éviter cette disparition. Pendant cette période, la flotte mondiale a crû de 4 à 5 % par an en moyenne et la flotte française s'est maintenue à un certain niveau. Notre ambition actuelle est de repartir à la conquête de cette économie mondiale par les mers. Nous disposons d'atouts considérables. Nous représentons la deuxième puissance océanique mondiale grâce à notre zone économique exclusive, principalement dans nos outre-mer. Nous avons la chance d'avoir encore une marine marchande et nous voulons la faire croître.

La loi sur l'économie bleue a acté, en 2016, la notion de flotte stratégique, mais nous devons lui donner davantage de sens. Nous avons énormément travaillé avec le ministère de la mer, qui est notre interlocuteur privilégié et dont nous saluons la création en juillet de l'année dernière. Nous avons fait preuve d'initiative en proposant un plan stratégique pour la marine marchande française. Il s'agit de quarante mesures très cohérentes visant à donner un souffle nouveau à notre marine de commerce. Une magnifique étape a déjà été réalisée avec ce travail coconstruit avec le ministère de la mer et les différents intervenants tels que les partenaires sociaux et les marins. Ce Fontenoy du maritime a déjà abouti à un accord entre l'armement français et son ministère de tutelle. Il constitue une étape importante. Nous avons voulu rendre concrète cette notion de flotte stratégique par la garantie de projets stratégiques applicables à la marine marchande et de mesures extrêmement importantes. Nous restons confrontés à de nombreux défis et devons repartir à la conquête de certains marchés. Aujourd'hui, malheureusement, la flotte sous pavillon français ne représente que 5 % des 350 millions de tonnes qui entrent et sortent de nos ports français, ce qui laisse imaginer ce que nous pourrions faire si nous donnions un peu plus de dynamisme à notre secteur. Nous voulons des navires sous pavillon français dans des ports français. Nous souhaitons aussi continuer de partir à la conquête de nouveaux marchés et le Fontenoy du maritime en est l'illustration.

Dans le même temps, nous sommes confrontés à l'énorme défi qu'est la transition éco-énergétique de notre économie mondiale, et particulièrement de la flotte de commerce. Environ 100 000 navires parcourent les mers du monde en permanence. Dans les années à venir, ces bâtiments devront être renouvelés moyennant des investissements colossaux. On estime à 1 000 milliards de dollars les investissements pour changer la flotte de commerce mondiale et réduire notre impact. Les objectifs mondiaux fixés par l'Organisation maritime internationale (OMI) s'avèrent extrêmement ambitieux pour une période extrêmement courte. Nous vivons dans un monde d'incertitudes et nous ne savons pas comment y arriver aujourd'hui, techniquement parlant, en dépit des pistes qui existent Néanmoins, nous avons la chance, en France, d'être très engagés sur le sujet du passage à une marine marchande plus verte. Nous avons actuellement la flotte propulsée au gaz liquéfié la plus importante au monde. Nous prenons également des initiatives importantes autour du transport de marchandises à la voile. Nous n'étions pas nombreux, il y a trente-cinq ans, à imaginer des paquebots à voile. Il s'agit d'une spécialité française et le Ponant, par exemple, a parcouru plus d'un million de milles à la voile pendant cette période.

Ainsi, la marine marchande résiste et participe à la résilience nationale. Nous travaillons en parfaite coopération avec nos partenaires techniques tels que le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN). Nous avons signé récemment un accord pour favoriser nos travaux communs. Nous participons, comme M. Christian de Tinguy l'a rappelé, à ce projet portuaire national et nous voulons y prendre notre part. Nous coopérons également avec nos partenaires commerciaux, les chargeurs. Trop souvent, nous n'avons pas joué le jeu entre Français et nous avons totalement disparu de certains secteurs. Aujourd'hui, nous avons des champions automobiles en France mais aucune voiture n'est transportée sous pavillon français. La recherche sismique, qui constituait une spécialité française, a été abandonnée. Nous devons, pour continuer à résister, mettre en œuvre cette résilience nationale, nous montrer davantage solidaires et capter toutes les opportunités qui s'offrent à nous. L'objectif est de continuer à croître en menant une stratégie de conquête.

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Jean-Pierre Chalus, président de Ports de France

L'union des ports de France a fêté ses cent ans en 2017. Nous sommes quarante-sept membres actifs, exploitants de ports de toute nature et de tout statut juridique. Il s'agit de grands ports maritimes ou fluvio-maritimes tel que le dernier-né, HAROPA (Le Havre-Rouen-Paris), ainsi que des ports concédés et délégués, des ports en métropole et en outre-mer, soit une large diversité de situations.

Le système de mesure des ports français se fonde très souvent sur le nombre de tonnes ou de conteneurs. Ce paramètre de nos activités est important, mais il ne suffit pas à nous caractériser. Les ports sont des infrastructures multimodales qui constituent des portes d'accès aux corridors de transport terrestre. Ils représentent des plateformes qui organisent des services pour leurs clients, avec des infrastructures au service du transport maritime de marchandises et de passagers. Nous avons également une vocation forte en matière de carrefour ou de hubs logistiques qui voient passer les marchandises de la mer vers la terre en empruntant parfois la route, le rail et les fleuves. Ces plateformes multimodales permettent d'organiser les flux logistiques avec un ensemble de partenaires qui vont bien au-delà du domaine portuaire traditionnel.

Les ports constituent également des carrefours énergétiques. Certains abritent des raffineries ou des espaces de stockage, en particulier en matière de stockage stratégique avec des enjeux extrêmement importants. Historiquement, il s'agit de flux extrêmement carbonés. L'évolution qui se dessine amènera des transitions et questionnements qui devraient affecter la solidité financière de nos ports.

Les ports sont également des carrefours industriels. La construction automobile et l'aéronautique constituent des paramètres importants des flux de nos ports et illustrent leur vocation industrielle.

De manière plus large, les ports sont des lieux de vie, certains se trouvant au cœur ou à proximité immédiate de villes. Ils s'inscrivent également dans des espaces sensibles en matière de biodiversité. Ils constituent des moteurs de croissance et d'emploi. Les ports français représentent environ 300 000 emplois directs. Une étude récente menée par l'État montre que les ports d'HAROPA, Marseille et Dunkerque représentent une valeur ajoutée de 13 milliards d'euros pour le territoire national.

Certains ports français relèvent de l'État. Ils sont au nombre de cinq en métropole, avec un grand port fluvio-maritime – HAROPA –, et quatre en outre-mer. D'autres relèvent de collectivités. La plupart sont des régions, mais il peut s'agir également de groupements de communes qui confient généralement l'exploitation de leur site à des tiers, par des contrats de concessions ou des délégations de service public.

Les missions de l'UGPM consistent à la fois en la réalisation, l'exploitation, l'entretien des accès maritimes et, plus largement, des infrastructures portuaires – avec des bassins, des terre-pleins, des voies et des terminaux, et même des voies ferroviaires, ce qui est assez ignoré du grand public. Nous avons aussi le devoir de commercialiser nos espaces. En effet, derrière nos missions de service public – puisque nos ports constituent des outils publics au service des politiques publiques –, les missions commerciales s'avèrent importantes et font vivre les structures portuaires. Nous assurons également l'aménagement et la gestion des zones industrielles et logistiques liées à l'activité portuaire, qui peuvent favoriser l'apport d'activité. Certains éléments en matière de gestion et de préservation des espaces naturels sont moins connus. Une part importante de nos fonciers est consacrée à ce type de missions. Les ports ne sont pas seulement des aménageurs ou des bétonneurs, comme on peut parfois le penser, mais également des acteurs du développement durable au service de la société. Les principaux investissements récemment réalisés portent plutôt sur les capacités d'accueil et les infrastructures en modernisant les digues, les quais et les accès maritimes. Nous avons également des missions de sécurité portuaire avec d'importantes opérations de réparation et restauration.

Les enjeux actuels des ports français portent sur la transition écologique et énergétique, qui les impactera fortement. Une réflexion est nécessaire autour des carburants alternatifs qui pourraient être commercialisés. L'électrification des quais est également un sujet évoqué par beaucoup de nos adhérents. Les investissements portent aussi sur les stratégies de gestion de la biodiversité, où sur la multimodalité et le report modal en matière de transition écologique.

Nous souhaitons nous montrer actifs dans la réindustrialisation de la France – enjeu majeur récemment réaffirmé par le gouvernement – et le développement des nouvelles filières. Beaucoup de nos ports se sont positionnés sur les énergies marines renouvelables, nouvelles activités qui créent de l'emploi sur l'ensemble de nos territoires.

S'agissant des enjeux du numérique, nombre d'éléments doivent être désormais interconnectés pour favoriser le flux de marchandises, avec en arrière-plan la question de la cybersécurité. Celle-ci doit nous concerner au premier chef compte tenu du nombre impressionnant d'attaques que subissent les différents acteurs économiques sur le territoire national.

La stratégie nationale portuaire a été adoptée en janvier 2021 lors du dernier comité interministériel de la mer (CIMer). Cette démarche a été construite pour la première fois par l'État, les régions – représentés par Régions de France – et les différentes parties prenantes après un vaste travail de concertation. L'objectif est la reconquête de parts de marché et le développement économique des ports à l'horizon 2050. Quatre ambitions – auxquelles nous souscrivons totalement – inscrivent les ports comme des maillons essentiels de la performance logistique, des outils de développement économique de nos territoires, des accélérateurs de la transition écologique et des moteurs de l'innovation et de la transition numérique.

Concernant les trafics, nous avons connu deux années perturbées – 2019 avec les mouvements sociaux autour des retraites et 2020 avec le covid – qui ont conduit à une baisse de trafic. La dynamique de 2021 semble plus positive. L'année 2020 a été marquée par des périodes de confinement, d'organisation du travail particulière. La réorganisation actuelle des services maritimes engendre des perturbations, mais aussi des opportunités. Nous avons nourri des inquiétudes pour les ports concernés par le Brexit, des Hauts-de-France jusqu'à la Bretagne en passant par la Normandie. Finalement, nous trouvons des points positifs avec la création de nouvelles lignes, notamment avec l'Irlande.

Le trafic des ports français représente 350 millions de tonnes, 5,8 millions d'équivalent vingt pieds (EVP) et 30 millions de passagers. Il est difficile d'établir une comparaison avec les autres ports européens, mais certaines spécificités expliquent les différences. Les cinq premiers ports à conteneurs sont actuellement chinois puisque l'essentiel de la production se situe en Asie.

L'objectif pour les ports en matière de résilience consiste à retrouver un fonctionnement normal après un choc ou en temps de crise. Les transitions constituent des chocs plus doux, mais plus insidieux. Nous devons nous préparer à des chocs ayant une forte brutalité comme le covid, mais aussi à des sujets comme la transition énergétique qui ne sont pas identifiés comme des chocs, mais qui nécessiteront une approche particulière. En ces temps de crise, nous pouvons penser aux actes de malveillance ou de terrorisme, aux risques naturels, technologiques ou sanitaires. Les ports s'inscrivent totalement dans l'objectif de résilience nationale par leur propre résilience et en tant qu'éléments de souveraineté nationale. Ils constituent des actifs stratégiques au service de nos territoires. L'adaptation à l'ensemble des difficultés qui se présentent s'inscrit dans l'ADN des ports. Les attentats de 2001 contre le World Trade Center ont eu des incidences extrêmement fortes en matière d'organisation de la sûreté et de la sécurité des installations. Le code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS) a été mis en place et chacun s'est adapté en modernisant ses installations pour faire face à ce type de risque.

Cela pose la question de la cartographie des risques, qui est réalisée par la plupart de nos adhérents, et cela montre aussi que cette cartographie des risques ne suffit pas à les appréhender tous de manière directe. Nous avions identifié le sujet d'une éventuelle crise sanitaire et travaillé sur la grippe H1N1, qui n'a pas produit d'effets importants, mais le covid a remis en question certaines certitudes. Appréhender les risques implique de penser les plans de gestion de crise et de continuité de l'activité, ce qui a occupé beaucoup de ports en 2020 et a permis à tous de reconsidérer les moyens qui y sont consacrés.

Le changement climatique peut avoir un impact physique sur les infrastructures et des impacts fonctionnels sur l'organisation qui ne doivent pas être négligés. Certaines zones peuvent être inondées et la commercialisation peut être rendue compliquée au regard des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI).

La cybersécurité est également au cœur des préoccupations, alors qu'elle ne l'était pas il y a cinq ans. Nous saluons le travail du comité France maritime avec France cybersécurité, créé récemment, qui réunit des acteurs du monde maritime et portuaire pour appréhender collectivement l'ensemble de ces risques.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer les effets des transitions. Aujourd'hui, le modèle économique des ports repose sur le trafic lié à l'énergie. Or ce secteur évoluera fondamentalement. Nous avons un raisonnement de temps long. Nos infrastructures, construites pour plusieurs années, doivent évoluer en permanence au regard des différentes évolutions dans un monde qui change beaucoup plus vite. Nous devons anticiper l'ensemble des paramètres pouvant interagir avec nos économies portuaires et avoir les meilleures pratiques sur les plans technique, financier et social.

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Il me semble qu'une partie de la résilience nationale repose sur notre capacité à disposer des matières premières ou des biens transformés nécessaires. Nous avons vu, pendant la crise sanitaire, comment des biens paraissant anodins peuvent nous manquer. Tel était le cas des masques.

Nous avons deux axes de travail pour la partie industrielle : la capacité de produire en France en relocalisant des productions indispensables sur notre territoire – tel est notamment l'objet du plan de relance ; mais nous savons que nous pourrons pas être autarciques et nous souhaitons rester dans le commerce international – parce que notre vie économique et in fine notre souveraineté dépendent de notre capacité à exporter – avec des dépendances consenties et assumées sur les biens non vitaux pour notre pays.

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Je veux saluer l'électrification des ports qui est accompagnée par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et son président M. Renaud Muselier. Nous nous sommes attelés à ce chantier à Marseille et à Toulon, mais également à Nice. Il s'agit d'un enjeu extrêmement important pour le fret maritime dans notre pays.

Vous avez parlé de cybersécurité et de vos objectifs de résilience, mais la question de la cartographie des risques m'intéresse particulièrement. L'une des hypothèses sur l'apparition du frelon asiatique dans le sud de la France est une arrivée par le biais du fret maritime. Si le frelon asiatique est parvenu par bateau jusque sur nos côtes et dans notre pays, nous pouvons imaginer un risque d'attaque, bactérienne par exemple, qui pourrait être véhiculé par le fret maritime. Je souhaite savoir si ces risques ont été pris en compte par le monde du transport maritime et si des plans de gestion des risques ont été mis en place. Je suis députée d'une région qui a malheureusement souffert à deux reprises d'attaques terroristes que l'on peut considérer comme traditionnelles mais qui pourraient évoluer dans le temps. Avez-vous envisagé ces aspects ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

Quand 90 % du commerce mondial passe par les mers, il existe effectivement des risques qui ne sont malheureusement pas contrôlés. Le coronavirus est-il arrivé de Chine par avion, par train, par bateau ? Le monde est tellement ouvert aujourd'hui qu'il est impossible de maîtriser tous ces risques. Nous pourrions imaginer des scénarios catastrophes concernant le risque terroriste auxquels on ne pourrait pas répondre aujourd'hui. Nous, armateurs, sommes un peu démunis quant au contenu exact de nos conteneurs, bien que celui-ci soit a priori contrôlé. Prenons l'exemple du narcotrafic qui passe probablement beaucoup par les navires. Si les États nous aident à tous les niveaux, si les ports de provenance et de destination sont extrêmement verrouillés, nous pourrons nous améliorer, mais nous ne pouvons malheureusement pas tout maîtriser.

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

Avec la crise du covid, nous avons assisté à la suspension de l'espace Schengen et au rétablissement de nos frontières en raison du risque sanitaire, ce qui renforce le rôle stratégique des ports français à l'intérieur même de l'Europe.

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J'ai noté que 90 % du commerce mondial passait par les mers. Pouvez-vous nous préciser la part du fret maritime arrivant directement en France et celle du fret arrivant dans un port voisin et acheminée ensuite par voie routière ou ferroviaire ? Pouvez-vous nous indiquer votre vision de l'évolution du fret maritime ? Envisagez-vous une augmentation continue ou une certaine stagnation ? Enfin, quels sont les grands chiffres du trafic de passagers par voie maritime ?

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

En temps normal, 40 % du fret français passe par les ports européens étrangers. La stratégie portuaire nationale vise à réduire cette proportion.

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Les 40 % de fret français que vous évoquez quittent donc la France en camion pour rejoindre un port étranger.

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

En effet. Chaque jour, des trains partent de Lyon pour aller à Anvers. En 2020, cette proportion a probablement dépassé les 50 % de parts de marché.

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Jean-Pierre Chalus, président de Ports de France

L'objectif est aussi d'avoir une certaine cohérence dans les politiques de transport. Avec la mise en place des corridors de fret, les sillons de fret ferroviaire s'avèrent plus accessibles pour le trajet Anvers-Lyon que pour le trajet Le Havre-Lyon. Les politiques européennes actuelles s'avèrent positives en matière d'accompagnement des investissements, mais posent certaines conditions, notamment des priorités données à certains sillons internationaux sur les sillons nationaux.

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Quelle est la part des imports-exports français qui emprunte la voie maritime sachant que la France a beaucoup d'échanges terrestres avec ses voisins européens ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

Je n'ai pas cette information mais, s'agissant du transport de passagers, je peux vous donner un ordre de grandeur. Les adhérents d'Armateurs de France sont très variés, des grands ferries à la croisière en passant par les lignes en Méditerranée vers le Maghreb. La desserte de notre littoral – les îles de Bretagne, les outre-mer – représente environ 50 millions de passagers par an. Ainsi, le transport de personnes par les navires représente environ la moitié d'un groupe comme Air France-KLM.

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Comment évaluez-vous le volume du fret maritime dans les années à venir ? Commençons-nous à percevoir une contraction progressive de la mondialisation avec un trafic plus faible ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

Depuis une quarantaine d'années, le transport maritime mondial a crû de 4 à 5 % chaque année tandis que notre pavillon stagnait. D'après les projections, cette tendance devrait se poursuivre dans les dix prochaines années.

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Jean-Pierre Chalus, président de Ports de France

Nous avons des points de vigilance. Nous devrions avoir une analyse ciblée autour des routes de la soie, par exemple, avec des flux qui sont détournés par des ports de la Méditerranée ou des ports belges. Nous participons à une compétition mondiale et nous ne sommes pas propriétaires des flux. Le commerce mondial peut continuer à progresser. Outre la question de la qualité du service que nous pouvons proposer, il y a des robinets dont nous ne maîtrisons ni le positionnement ni le débit. Nos infrastructures doivent être opérationnelles et, peut-être, un peu surdimensionnées par rapport à nos simples besoins. Il est important d'avoir dans nos ports une logique publique forte, qui ne soit pas soumise à une rentabilité immédiate, parce que nous devons préparer notre territoire national et nos régions au service du développement de l'activité. Si nous concevons trop petit, nous ne saurons pas nous adapter à des réorientations de flux.

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En termes de résilience, qu'est-ce qui est le plus important pour un bateau ? Est-ce la nationalité de l'armateur ou celle des collaborateurs ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

Il est préférable d'avoir une flotte sous pavillon national, en cas de conflit par exemple. Nous avons eu, dans le passé, des accords avec la marine nationale pour transporter leur matériel ou leurs troupes. Il est évident que le pavillon national apporte la force nécessaire en cas de besoin. Ensuite, il vaut mieux des armateurs français qui contrôlent une flotte qui n'est pas sous pavillon français. Pour fonctionner d'un point de vue économique, la France a besoin d'armateurs étrangers sous des pavillons divers et variés. Lorsqu'il s'agit d'armateurs établis avec des pavillons sérieux, nous acceptons qu'ils viennent chez nous comme nous aimons travailler chez eux. Nous sommes très ouverts d'un point de vue économique, cependant il faut des règles, notamment pour éviter le dumping social. Se pose à ce sujet le problème des pavillons de complaisance qui ne respectent pas un certain nombre de règles sociales, sécuritaires ou environnementales.

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Pouvez-vous nous préciser ce qui fonde la nationalité d'un armateur et le choix du pavillon ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

C'est complètement libre. Un armateur français comme CMA-CGM utilise plus de 400 navires qui ne sont pas sous pavillon contrôlé, mais il s'agit d'une entreprise française installée à Marseille avec des règles et des exigences élevées. Dans ces conditions, le contrôle d'une flotte qui ne soit pas sous pavillon français ne pose aucun problème tant que nous avons, derrière, des opérateurs français avec qui on peut discuter instantanément en cas de problème. Par ailleurs, il y a une dimension citoyenne. CMA-CGM a pris certaines décisions, notamment pour que les taux de fret ne pénalisent pas trop les consommateurs français. Aujourd'hui, on peut utiliser le pavillon que l'on souhaite, hormis lorsque les règles de cabotage sont très strictes. Entre Quiberon et Belle-Île ou entre Marseille et Ajaccio, le pavillon national est obligatoire. Cependant, entre Toulon et la Corse, certains armateurs utilisent le pavillon italien. En effet, les règles européennes nous laissent libres d'utiliser le pavillon européen souhaité pour des trafics intérieurs. En revanche, aucune règle n'impose de pavillon pour les trafics internationaux.

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Vous avez évoqué les projections économiques sur l'évolution du trafic maritime international, qui devrait progresser dans les dix prochaines années, mais également une stagnation nationale. Existe-t-il néanmoins des perspectives de création d'emplois ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous y accompagner ? Par ailleurs, les ports français constatent-ils une progression concernant les trafics de drogue ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

Pour répondre à votre première question, nous avons déjà commencé à imaginer une politique de conquête avec le Gouvernement. Pourquoi les navires n'utilisent-ils pas plus de pavillons français ? Pourquoi une partie du trafic échappe-t-elle aux ports français ? Nous devons gagner en compétitivité et celle-ci ne se limite pas aux salaires des marins ; L'aspect environnemental pèsera fortement demain sur ce sujet. Les règles doivent être communes pour pouvoir lutter à armes égales. Parmi les leviers, j'évoquais les investissements colossaux, à hauteur de mille milliards de dollars au niveau mondial, pour renouveler la flotte de commerce et la rendre plus verte. Nos gouvernements ou l'Europe doivent nous aider à investir, notamment dans des navires verts. Il existe certaines techniques telles que le tax lease ou des notions de suramortissement des navires pour renouveler plus rapidement notre flotte. Ces mesures ont été actées dans le cadre du Fontenoy. Nous pouvons également faire garantir les crédits des armateurs par la Banque publique d'investissement (BPI). Quand un armateur français utilise les chantiers coréens, l'État coréen lui apporte ses garanties, et ainsi, en cas de difficulté, l'État coréen a la main sur notre flotte. La garantie des projets stratégiques permet de gagner en souveraineté. La possibilité d'investir plus rapidement et plus fortement dans une flotte de commerce plus verte sera aussi bénéfique pour les marins.

En France, nous disposons d'une formation maritime ancestrale dans la filière d'excellence qu'est l'École nationale supérieure maritime. Lors du Fontenoy du maritime, nous avons décidé de doubler ses effectifs dans les cinq prochaines années pour avoir davantage de marins français armant des navires plus récents et plus propres, sous pavillon français. Il existe donc des gisements d'emplois importants. La marine marchande permet également de profiter d'une mécanique de promotion sociale. En effet, un matelot peut devenir capitaine au bout de cinq ou dix ans et nous voulons faire jouer, dans le cadre de ce doublement des effectifs dans les écoles maritimes, ce levier de promotion sociale pour développer de l'emploi maritime Nous manquons actuellement de marins. Les officiers de la marine marchande connaissent le plein emploi et il existe des leviers importants à brève échéance.

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Quels sont les grands risques auxquels vous êtes exposés ? Nous pensons à la piraterie ou au blocage du canal de Suez. Pourquoi les prix du trafic maritime s'envolent-ils ? Pourriez-vous nous indiquer les grands risques susceptibles d'altérer le trafic maritime ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

J'ai une petite expérience en matière de piraterie puisqu'en 2008, un de mes navires, le Ponant, a été pris en otage par onze pirates somaliens dans le golfe d'Aden. Cette affaire d'État a duré une semaine. Le bateau en transit entre les Seychelles et la Méditerranée comptait trente membres d'équipage, dont sept jeunes femmes, mais heureusement aucun passager. Ce risque existe et, dans un tel cas, nous sommes heureux d'être français, car une telle prise d'otage d'un navire français par des pirates fait presque l'objet d'un film.

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Si des Français s'étaient trouvés sur un navire à pavillon étranger, considérez-vous que le traitement de l'État eût été différent ?

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

L'État français ne serait probablement pas intervenu de cette façon. Le navire se trouvait dans les eaux internationales. Dans les eaux françaises, je pense que, quel que soit le pavillon, l'État se mobiliserait.

Ce cas s'est produit très loin de nos bases et le fait que le navire soit français a mobilisé une force incroyable. Pendant cette crise, la Compagnie du Ponant, filiale de CMA-CGM, était représentée à l'Élysée presque en permanence. Le président Sarkozy était très mobilisé, notamment auprès des familles des marins pris en otages. L'opération s'est terminée sur un beau succès de collaboration avec la marine nationale. Dans un tel cas, nous sommes contents de battre pavillon français.

Le risque est donc incontestable. La piraterie s'est néanmoins beaucoup réduite puisque les États se sont mobilisés depuis, avec notamment le stationnement de militaires dans les zones à risques. Nous connaissons aujourd'hui le problème dans le golfe de Guinée et des armateurs français opèrent dans cette région. Bourbon, par exemple, ravitaille les plateformes pétrolières au large de l'Afrique. Nous devons donc nous protéger et disposer des spécialistes ad hoc. Les moyens de la marine demeurent limités et nous devons faire appel à des sociétés privées pour protéger nos navires dans les zones à risque. Cela demande beaucoup d'argent.

Les taux de fret constituent un sujet brûlant. Personne ne maîtrise l'économie mondiale et la dérégulation est incontestable. Nous sommes incapables de maîtriser les coûts, à partir du moment où il y a quelques pourcentages de différence entre l'offre et la demande, où il y a des capacités de transport données, où il faut beaucoup de temps pour renouveler une flotte, pour avoir de nouveaux navires – il n'y a aucun navire disponible aujourd'hui, notamment en matière de conteneurs. Nous pouvons nous interroger sur le juste coût puisque nous avons connu des périodes où les taux de fret n'étaient pas suffisamment élevés pour assurer le fonctionnement des compagnies de navigation maritime. Aujourd'hui, la situation est inversée. On ne sait pas où est la bonne mesure et il est difficile d'y comprendre quelque chose. Au regard de ces violentes fluctuations, nous devrions réfléchir à cette régulation au niveau mondial. Depuis des décennies, cette idée a été abandonnée parce que tous les pays devraient alors s'accorder sur un juste prix du transport maritime, ce qui est extrêmement difficile.

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Pouvez-vous établir un panorama des grands risques auxquels vous êtes exposés et qui vous inquiètent le plus ?

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Jean-Pierre Chalus, président de Ports de France

Il existe un risque de nature politique à examiner à différentes échelles. Nous devons garder une attention très particulière sur les routes de la soie mais aussi sur les politiques européennes. Le paquet Fit for 55 déposé par la Commission européenne le 14 juillet dernier contient certaines dispositions présentant des impacts pour les ports. L'État français doit avoir une vision claire de sa volonté pour les ports. Nous devons rester attentifs aux effets de bord des grandes décisions à venir et qui vont toucher la trajectoire des ports français. Ce sujet pose, en creux, la question de la culture maritime et portuaire en France, qui n'est pas aussi développée que chez nos amis hollandais et belges, lesquels disposent d'universités puissantes et de moyens importants consacrés aux réflexions de prospectives. Ce sujet identifié dans la stratégie nationale portuaire doit être travaillé, car il représente un enjeu majeur. Nous devons nous montrer plus actifs collectivement sur l'enjeu de prospectives et l'ensemble des acteurs de notre écosystème doit s'investir dans ces sujets avec nos universités pour peser davantage dans le débat.

La question du risque climatique et ses conséquences nous obligeront sans doute à revoir certaines de nos infrastructures et de nos pratiques. Je ne reviens pas sur la question de la cybersécurité, car ces choses sont peut-être appréhendées à un autre niveau.

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

S'agissant des risques, il existe une directive européenne sur la sûreté dans les ports, l'ISPS, qui contraint d'identifier toute personne qui pénètre dans la zone de chargement-déchargement des navires. La douane a également renforcé ses règles. Pour travailler dans un port français, il faut être habilité « opérateur économique agréé » (OEA) par les douanes. Les procédures existantes s'améliorent d'année en année et sont mises en place.

D'autres risques peuvent affecter les ports tels que le risque d'inondation, avec le recul du trait de côte et l'augmentation de la hauteur de l'eau. Ce risque a été largement débattu lors des récentes journées du littoral à Pornic. Le sujet est à long terme, mais il doit être étudié dès maintenant.

S'agissant des affaires commerciales, les routes de la soie constituent un sujet enfin regardé au niveau français et européen, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans. Lors d'une session à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), je me suis aperçu que l'on s'intéressait davantage à la protection des sociétés d'armement qu'à celle des ports vis-à-vis de ce risque. La prise de contrôle des terminaux puis de l'autorité portuaire du Pirée par l'armateur chinois Cosco a éveillé quelques esprits européens et français, mais probablement trop tard. Le Pirée n'est pas devenu le premier port de Méditerranée en raison d'une explosion du fret pour la Grèce. Le trafic reste identique, mais il a été concentré par Cosco, un armateur d'État chinois qui contrôle toute la chaîne, de la construction du navire jusqu'au transport maritime. Les bateaux arrivent ensuite dans un port dont ils contrôlent les terminaux et les investissements d'infrastructure car ils sont aussi autorités portuaires. Le Pirée est ainsi devenu le premier port de Méditerranée avec plus de 5 millions d'EVP en l'espace de cinq ans. Le phénomène risque de se produire également à Zeebruges, dont les terminaux appartiennent également à Cosco désormais.

Pour les Chinois, les ports sont extrêmement stratégiques, ils les appellent « têtes de dragon » car une fois que la tête du dragon est passée, le corps du dragon passe Nous devons déterminer notre manière de réagir. Depuis 2017, une réflexion est menée au niveau européen avec le filtrage des investissements étrangers en Europe, et les ports y participent. Dorénavant, un investisseur non européen doit être contrôlé quand il souhaite investir dans un port européen. Cependant, le règlement européen a laissé beaucoup de latitude aux États membres dans la fixation de leurs règles pour filtrer et éventuellement refuser des investissements non européens. La réflexion a eu lieu, mais je considère qu'elle n'est pas aboutie au niveau européen. En France, les règles existaient déjà, mais cela ne supprime pas les risques. Aujourd'hui, les entreprises qui gèrent les terminaux portuaires européens ne sont plus, pour la plupart, européennes, en raison de la forte poussée des Chinois ces dix dernières années.

En revanche, sur le plan de l'armement, trois des quatre premiers armateurs mondiaux sont européens. Ces groupes mondiaux s'investissent désormais verticalement dans les ports et achètent des terminaux. On a appris récemment que CMA-CGM investissait 2 milliards de dollars dans un terminal à conteneurs à Long Beach, près de Los Angeles. Il est très important pour le groupe de contrôler toute la chaîne logistique ainsi que les terminaux dans lesquels leurs navires font escale. L'intégration verticale des armements vers les terminaux présente un risque moindre puisque les armateurs sont plutôt européens. En revanche, nous avons laissé des terminaux européens à des groupes non européens comme Dubaï Ports World ou Cosco. Le risque existe donc : le fret français peut très bien être concentré dans un port étranger et déserter les ports français malgré toute la bonne volonté des chargeurs français.

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Ainsi, depuis une dizaine d'années, nous sortons d'une période de naïveté où nous pensions que la concurrence internationale permettrait d'optimiser les choses. Nous savons désormais que ces activités commerciales sont suffisamment stratégiques pour avoir des externalités géostratégiques importantes. L'approche qu'il convient d'adopter repose donc sur la compétitivité et sur un rôle accru des autorités publiques, qui doivent perdre leur naïveté. Nous devons – éventuellement par des approches réglementaires – disposer de mesures pour favoriser les acteurs nationaux et européens. Comment décririez-vous les routes de la soie ? Les Chinois ont-ils une approche purement commerciale – et, en tant qu'usine du monde, il est bien normal qu'ils se préoccupent des moyens de transport – ou considérez-vous qu'ils font de l'approche commerciale un outil de puissance, puisque les infrastructures portuaires ont une vocation à la fois civile et militaire ?

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

Tout est question de temps. Djibouti était une place française, mais celle-ci a été donnée à Cosco et sert désormais de port d'escale pour la marine militaire chinoise.

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Il me semble qu'une zone franche a été négociée de manière particulière. Le sujet n'est pas très clair. Comment les autorités américaines se comportent-elles ? Se montrent-elles très intrusives ?

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

Dans ce Kriegspiel maritimo-portuaire, les Américains ont abandonné leur armement. Les grands flux de conteneurs ne comprennent plus aucun pavillon américain. Sealand, American President Line ou les autres lignes américaines qui transportaient des conteneurs ont été vendues à des acteurs européens ou non européens. L'armement leur paraissait moins stratégique que les ports. Il y a une dizaine ou une quinzaine d'années, lorsque P&O Ports – un armement anglais mais avec une filiale australienne qui contrôlait notamment des ports aux États-Unis – a été vendu, les Américains ont refusé la présence de Dubaï Ports World sur leur territoire et ont demandé à P&O de vendre leurs terminaux à quelqu'un d'autre. Ce sont principalement des fonds de pension qui ont racheté ces terminaux aux États-Unis. Pour eux, les ports et les terminaux étaient ainsi plus stratégiques que la flotte elle-même. En France, il y a encore dix ans, les terminaux portuaires étaient déjà partis au port de Singapour ou à Hutchison. La naïveté était totale. Malgré la tentative de réaction de 2017, le filtrage des investissements étrangers non européens a échoué puisque certains États membres n'ont aucune réglementation face à ce problème.

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En conclusion, je vous propose d'aborder les questions de défense nationale comme outil ultime de résilience. Je suppose que vous attendez de la marine nationale une sécurisation des routes maritimes et le respect des règles d'accès à la mer qui sont parfois contestées. Avec des bateaux qui battent pavillon français, nous affirmons une certaine forme de présence et une souveraineté. Peut-on envisager dans un cas extrême, la possibilité d'une réquisition des bateaux par la marine nationale. Lors du conflit des Malouines, la marine nationale anglaise a dû faire appel à des capacités civiles.

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Jean Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France

La coopération très rapprochée entre la marine marchande et la marine nationale est indispensable. L'Histoire en fournit de nombreux exemples. Nous travaillons ensemble et il reste beaucoup à faire. Je pense notamment aux passerelles pour les marins entre les deux marines. Notre idée est de développer le pavillon français : nous n'en sommes heureusement pas à l'option zéro marine marchande des États-Unis. Nous sommes parvenus à conserver une marine marchande nationale et nous voulons la faire croître. Cette ambition a été exprimée à deux reprises et de façon remarquable par le Président de la République lors des assises de la mer à Montpellier en 2019 et très récemment à Nice. Il nous a dit, et nous le croyons, que le XXIe siècle serait maritime. La France doit participer à cette aventure et la flotte de commerce doit en être le fer de lance au même titre que tout notre écosystème maritime. Faire flotter le pavillon français – qu'il soit civil ou militaire – sur les océans du monde est notre motivation, notre vocation, notre volonté et même notre idéal, au-delà même de nos affaires commerciales. Nous aurons besoin d'une union sacrée autour du maritime et vous, parlementaires, devez en faire partie. Ce qui a déjà été décidé doit aboutir.

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Jean-Pierre Chalus, président de Ports de France

Les ports sont en contact avec le ministère de la défense pour certaines activités, par exemple à Brest, Cherbourg ou Toulon. La démarche conduite au niveau européen sur la mobilité militaire, au travers des réseaux transeuropéens, veut s'appuyer aussi sur la mobilité civile. Nous notons un changement de paradigme de la part de l'Europe avec des éléments de restructuration de ces aspects en termes de défense. Le sujet est vivant et doit être travaillé.

Nos ports et leurs acteurs se trouvent aujourd'hui à la croisée des chemins. Les armateurs européens sont aux premières places, mais les Chinois progressent. Il est extrêmement important d'avoir une approche politique beaucoup plus fine et structurée. Il ne suffit pas d'affirmer que les ports constituent des actifs stratégiques. Nous devons nous donner les moyens pour continuer d'exister et affirmer notre place au carrefour de l'Europe.

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Christian de Tinguy, président de l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM)

Ce sujet géostratégique nous paraît fondamental. Le lien avec la marine nationale s'avère un peu plus compliqué car même si nous recrutons dans nos terminaux des officiers de marine en deuxième partie de carrière, nous ne sommes pas en lien avec la marine nationale dans nos activités directes. En revanche, parce que nous ne verrons pas un terminal à conteneurs à Brest ou à Toulon, du jour au lendemain – l'installation d'un nouveau terminal à conteneurs est lourd et long à réaliser –, nous devons conserver l'implantation des ports civils dans le cadre de notre souveraineté et des risques géopolitiques.

Malgré tout, la flotte stratégique est importante. En France, nous n'avons plus d'armateur transporteur d'automobiles. Cependant, nous ne pouvons pas avoir de flotte stratégique sans ports stratégiques présentant des règles et des conditions d'installation. Il est important de veiller à ne pas nous montrer aussi naïfs que nous l'avons été ces dernières années. Les appels d'offres de type « concession » sont aveugles. Leurs critères ne permettent pas de sélectionner de manière intelligente les opérateurs qui peuvent venir. Les Chinois utilisent d'ailleurs ce type d'appel d'offres. Puisqu'il existe un lien très fort entre les ports et le transport maritime, nous sommes concernés par tout ce qui touche à la défense, d'autant plus que le matériel de défense passe par les ports civils.

La réunion se termine à onze heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. – Mme Marine Brenier, M. Thomas Gassilloud

Excusé. – M. Alexandre Freschi