La séance est ouverte à dix-huit heures trente-cinq.
Nous accueillons, pour terminer cette journée d'audition, une délégation du groupe Engie composée de M. Pierre Mongin, préfet, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe Engie, accompagné de Mme Valérie Alain, directeur institutions France et territoires auprès du directeur général, de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur régulation, de Mme Gwenaëlle Huet, directrice générale de la business unit France renouvelables, et de M. Damien de Gaulejac, attaché de presse.
Engie est aujourd'hui un groupe d'envergure mondiale dans le secteur énergétique, et plus précisément dans la production d'électricité et de gaz naturel ainsi que dans leurs infrastructures. Fort de 160 000 collaborateurs et d'un chiffre d'affaires de plus de 60 milliards d'euros, le groupe développe également de nombreuses solutions de service à destination des entreprises et des collectivités publiques.
Engie a élaboré une nouvelle stratégie dans son plan 2019-2021, visant à devenir le leader mondial de la transition zéro carbone « en tant que service ». Nous serons évidemment ravis de vous entendre la détailler.
Qu'est-ce qui a conduit le groupe à nourrir l'ambition de devenir le « leader mondial de la transition énergétique », comme votre directrice générale, Mme Isabelle Kocher, l'a mis en avant ? Qu'entendez-vous d'ailleurs précisément par « transition énergétique », terme couramment utilisé, mais dont la commission d'enquête a pu réaliser au cours des différentes auditions qu'elle a conduites qu'il recouvrait différentes acceptions suivant que l'on place cette transition du côté du carbone ou pas ?
Quelle proportion les projets d'énergies renouvelables vont-ils désormais occuper dans votre portefeuille d'affaires, votre mix, si on peut le présenter ainsi ? Comment entendez-vous les rendre suffisamment profitables ?
Je rappelle, en effet, que le bénéfice net du groupe a accusé un recul de 22 %, soit 1 milliard d'euros, notamment en raison de l'arrêt de réacteurs nucléaires belges de votre filiale Electrabel.
Où souhaitez-vous accentuer vos investissements parmi les énergies bas carbone que sont l'hydraulique, l'éolien, le solaire, la géothermie, la biomasse, mais aussi le gaz, qui est votre coeur de métier ? Comment d'ailleurs analysez-vous les différents investissements, avec quels modèles économiques ? Quels éléments vous poussent à privilégier l'un plutôt que l'autre ? Nous serons très heureux d'entendre vos analyses, en coût complet ou suivant le périmètre que vous aurez retenu.
Cette stratégie de développement d'une offre de services va-t-elle conduire le groupe à s'éloigner du marché des particuliers pour se concentrer sur le marché « entreprises » ?
Monsieur Mongin, nous allons vous écouter au titre d'un exposé liminaire de quinze minutes. Puis les membres de la commission d'enquête vous interrogeront, en commençant par notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.
Avant que vous preniez la parole, il m'appartient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.
Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.
Monsieur le directeur général adjoint et secrétaire général du groupe, vous avez la parole.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de l'intérêt que vous portez au groupe Engie dans le cadre des travaux de votre commission.
La transition énergétique est au coeur de notre stratégie. La première preuve en est que nous avons divisé par deux, entre 2012 et 2018, les émissions de CO2 dont nous étions les responsables directs, pour l'ensemble du groupe dans le monde. Notre ambition est en effet de rendre possible le passage à une autre énergie, compétitive et à terme sans carbone, pour tous les clients, partout dans le monde. Voici la définition de la transition énergétique, simple pour l'instant, à laquelle je me réfère.
La définition de la nouvelle stratégie d'Engie, exposée voici trois semaines environ par la directrice générale du groupe, Mme Isabelle Kocher, vise justement à adapter nos modèles d'affaire, nos capacités de gagner de l'argent pour être clair, à cet exercice de projection dans un monde de demain dans lequel on produira et consommera de l'énergie autrement. Ce pari est tout à fait atteignable, dans la mesure où le groupe dispose dans son ADN et sa capacité de projection de ressources humaines très spécifiques, d'éléments lui permettant de jouer ce rôle.
Engie est le leader incontesté du renouvelable en France, avec 7,2 gigawatts (GW) de capacité installée en éolien, solaire, mais surtout pour moitié en hydraulique, grâce notamment à la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la Société hydro électrique du midi (SHEM). Le mix énergétique de production électrique d'Engie en est déjà à 70 % d'origine renouvelable et nous entendons aller encore au-delà.
Engie est également fortement engagée dans des projets d'énergies marines renouvelables, que ce soit sur l'éolien en mer posé, avec les projets du Tréport et de Noirmoutier, ou l'éolien flottant, au large de Leucate.
Engie est aussi le premier fournisseur d'offre d'électricité verte à ses clients et premier challenger d'EDF dans la vente d'électricité en France. Nous fournissons ainsi de l'électricité verte à 2,2 millions de nos clients.
N'oublions pas le biogaz : nous nous sommes engagés à mobiliser 800 millions d'euros d'ici cinq ans et 2 milliards d'euros d'ici 2030 pour développer des projets en biométhane, en coopération avec le monde agricole. C'est toutefois déjà une réalité, puisque nous disposons de neuf méthaniseurs en fonctionnement, dont six en injection de biométhane et trois en cogénération, ce qui représente la consommation de 12 000 foyers. Cinq projets sont par ailleurs en construction et cinquante en développement. Le groupe a pour objectif d'accompagner l'industrialisation de la filière, pour baisser les coûts d'environ 30 % d'ici 2030 et d'atteindre la parité avec le gaz naturel, en termes de prix et compte tenu bien entendu de la valorisation du carbone, élément qu'il importe d'ajouter à la comparaison. L'objectif est d'atteindre 1,5 térawattheure (TWh) injectés dans nos réseaux en 2023.
Engie est aussi un acteur de la géothermie en France, avec plusieurs réseaux de chaleur en opération et en construction, dont certains outre-mer, et une position de leader en Ile-de-France, avec dix réseaux en opération pour 100 mégawattheures (MWh). Ainsi, en mars 2018, a été inaugurée une nouvelle centrale de géothermie qui alimente 85 % du réseau de chaleur de Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne, en énergies d'origine renouvelable et permet de réduire de plus de 7 000 tonnes par an les émissions de CO2, soit presque l'équivalent de 3 800 véhicules circulant constamment.
La transition énergétique doit être bien structurée par l'État, afin de disposer d'un cadre visible pour tous les acteurs et de règles, notamment fiscales, pour atteindre les objectifs ; mais indépendamment de l'État, elle est de plus en plus aujourd'hui tirée par les entreprises, dont la nôtre, et par les collectivités territoriales, sous l'impulsion des clients et des citoyens. L'équation à résoudre est cependant complexe : comment réaliser la transition vers le zéro carbone tout en préservant notre compétitivité économique, celle du pays, mais aussi le pouvoir d'achat des Français et en trouvant les financements nécessaires ?
La première mesure d'efficacité écologique et économique réside dans les économies d'énergie. On omet trop souvent de le rappeler. L'efficacité énergétique doit être une priorité absolue, puisque nous devons diviser par deux d'ici à 2050 la consommation énergétique finale de la France. L'efficacité énergétique permise par la réalisation d'économies d'énergie dans tous les secteurs d'activité est indispensable à la réussite de cette transition énergétique et particulièrement bénéfique pour le pouvoir d'achat des citoyens, la compétitivité des entreprises et l'environnement.
Permettez-moi de faire mention à cette occasion d'un sujet réglementaire et législatif. Parmi les outils existants en matière d'économies d'énergie, figurent les fameux certificats d'économies d'énergie (CEE), qui permettent théoriquement de mener des actions de maîtrise de l'énergie telles que travaux d'amélioration des installations de chauffage, actions de sensibilisation et d'information des acteurs. La vérité est que les investissements des particuliers en matière d'économies d'énergie devraient trouver leur propre rentabilité sans ces certificats. Je ne parle pas ici, bien évidemment, de l'attribution de ces CEE pour des raisons sociales, mais collectivement, en termes économiques. L'augmentation des gisements de projets éligibles dans le cadre de ces CEE gérés par l'administration, tels que les changements de chaudière et le développement de ces certificats dans l'industrie, devrait avoir pour effet de mieux maîtriser les coûts des CEE. Je vous rappelle que les fournisseurs d'énergie doivent racheter ces certificats aux enchères ou sur le marché, quand ils ne sont pas capables eux-mêmes de produire les actions préconisées par l'administration. On a ainsi assisté au doublement du prix de ces certificats en quelques mois, passé à 9 euros le MWh « cumac », c'est-à-dire « cumulé actualisé », à cause du nombre insuffisant d'actions éligibles autorisées décidées par l'État par rapport aux objectifs à atteindre, d'un contrôle des opérateurs insuffisant et de la répercussion de cet impôt qui ne dit pas son nom sur le consommateur. Comme vous le constatez, mon propos est assez sévère.
Notre ambition est d'offrir à nos clients une approche et des solutions globales consistant, après une analyse fine de leurs besoins, à remettre à plat les usages de l'énergie, pour réduire drastiquement les consommations, remplacer des équipements anciens par des équipements intelligents et sobres, alimenter l'ensemble avec de l'énergie décarbonée, sur la base du profil de consommation des clients que le digital permet notamment d'analyser précisément, et financer le tout à un prix compétitif pour le client. Sachez que, chez Engie, 43 000 salariés travaillent en France sur de telles solutions clients d'efficacité énergétique. Il s'agit là d'une spécificité du groupe, depuis son origine.
De telles solutions requièrent de combiner plusieurs approches : la stratégie, la conception, l'ingénierie, la construction d'actifs sobres en énergie, de plateformes digitales, l'exploitation, le financement et un engagement de résultats. Une bonne illustration de notre démarche réside dans l'initiative, que nous avons suggérée, qui a été retenue et au sein de laquelle nous agissons activement, du « coup de pouce », c'est-à-dire du pack chaudière à 1 euro pour les ménages modestes, lancé en début d'année. Il s'agit d'un véritable succès, puisque nous avons enregistré à ce jour plus de 8 000 devis signés. Naturellement, ces aides, à l'attention notamment des ménages modestes et très modestes, qui correspondent à deux catégories définies par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), avec des seuils de revenus précis, bénéficient de la subvention de l'ANAH et de certificats d'économies d'énergie que nous affectons à ces projets, ce qui nous permet d'offrir à ces familles, qui disposent d'installations de chauffages périmées, polluantes et très coûteuses, de réaliser des économies de l'ordre de 30 % par an sur leur consommation. Une mesure comme celle-ci est donc un levier de transition énergétique, mais aussi de gain direct de pouvoir d'achat, en particulier dans ce cas pour des foyers modestes. Pour faciliter le montage de ces dossiers, nous avons accepté toute la complexité administrative. Nous gérons ainsi pour nos clients le recouvrement des aides de l'ANAH, ce qui est loin d'être simple, et le montage complet des dossiers, afin que ceux qui souscrivent ces opérations d'économies d'énergie bénéficient des conditions d'accès les plus simples possibles. Voici un exemple concret de ce qui nous apparaît comme la solution optimale pour utiliser les moyens publics existant dans le cadre des CEE tout en développant des capacités à créer du pouvoir d'achat chez nos concitoyens.
ENGIE inscrit sa stratégie en cohérence avec la politique énergétique du pays, qui repose pour nous sur trois piliers : satisfaire tous les besoins énergétiques au moindre coût, garantir la sécurité d'approvisionnement du pays et lutter efficacement contre le changement climatique. Pour atteindre ces objectifs, le groupe a développé en France un mix énergétique ambitieux et équilibré entre électricité, gaz – dont le biogaz –, chaleur verdie par la biomasse, recyclage des déchets et géothermie.
La politique énergétique qui ressortira en termes d'objectifs de la PPE doit aussi être cohérente avec la politique industrielle, au travers notamment du comité stratégique de filière « Industries des nouveaux systèmes énergétiques », créé par le premier ministre et auquel Mme Kocher participe personnellement. Il a pour priorités de développer les industries des nouveaux systèmes énergétiques en France, afin de réussir la transition énergétique tout en développant l'emploi dans notre pays. Cela vaut pour tout ce qui concerne l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, dont le biométhane et l'éolien en mer par exemple, le stockage d'énergie, les réseaux de chaleur territoriaux et le numérique.
Prenons l'exemple de l'éolien en mer. Avec la filière impulsée notamment par Engie du Havre au Tréport, ce sont 750 emplois directs, notamment pour la fabrication des turbines, autant d'emplois indirects, dans le génie civil et autres composants, et une centaine d'emplois permanents dans l'exploitation et la maintenance des parcs qui seront créés.
Le verdissement du mix énergétique est la condition de l'atteinte de nos engagements nationaux. Il est souhaitable, dans ce contexte, de mettre l'accent sur les énergies renouvelables les plus compétitives, à savoir l'éolien et le photovoltaïque, et sur les plus prometteuses d'entre elles, notamment l'éolien en mer, demain l'éolien flottant, et le biogaz. Nous appelons également de nos voeux le développement des réseaux de chaleur et de froid, qui présentent l'avantage de mutualiser des moyens collectifs au profit d'un territoire et émettent 116 grammes par kilowattheure (KWh) de CO2, ce qui est bien inférieur à ce qui est nécessaire pour fabriquer de l'électricité.
Les mesures de soutien restent nécessaires afin que les entreprises réalisent les investissements indispensables pour atteindre les objectifs sur lesquels la France s'est engagée auprès de l'Union européenne. Il convient toutefois de considérer que ces mesures cesseront dès l'arrivée à maturité des technologies concernées. Dès la prochaine période de la programmation pluriannuelle de l'énergie, de 2019 à 2023, une partie des énergies renouvelables n'engendreront plus d'impact sur les finances publiques et seront même contributrices au budget de l'État. Le coût de production est en effet aujourd'hui proche des prix de marché de gros de l'électricité pour le photovoltaïque et l'éolien terrestre et maritime ; ainsi, le mécanisme de soutien passera rapidement du mode subventionné à un mode contributeur, grâce à la mise en place en 2016 du fameux système du contrat pour différence, appelé en France « complément de rémunération ».
Le coût pour le budget de l'État est dû en grande partie aux contrats passés, qui étaient bien sûr nécessaires au moment du lancement de ces filières industrielles et de ces nouvelles technologies. Il est vrai que le poids du passé dans les coûts de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) est majeur.
Engie constate par ailleurs que ce verdissement est attendu par les industriels eux-mêmes, qui de plus en plus nous demandent une fourniture d'énergies renouvelables garantie contractuellement sur le long terme, que l'on qualifie en anglais de power purchase agreement, et se préparent à prendre en charge le surcoût éventuel du verdissement de leur énergie par rapport au prix de marché. Nous constatons chez nos grands clients industriels, pour lesquels nous travaillons en efficacité énergétique, non seulement qu'ils souhaitent de plus en plus acheter de l'énergie verte, mais aussi qu'ils veulent connaître sa provenance, avoir une connaissance fine de sa traçabilité. Nous buttons là sur un problème : en effet, aujourd'hui, les certificats d'origine sont la propriété de l'État, puisque les industriels qui bénéficient de tarifs garantis n'ont plus le droit, en France, d'émettre des certificats d'origine valorisés. Ces derniers sont récupérés par l'État, auquel nous devrions les racheter si nous voulions les revendre à nos clients. L'État réfléchit d'ailleurs à ce propos à l'organisation d'un système d'enchères. Ce système est peut-être vertueux en théorie ; il présente toutefois le grave inconvénient de rendre impossible tout fléchage géographique de l'énergie verte sur les grandes surfaces d'un canton par exemple à partir d'une production d'énergie verte dans le département, sauf à distraire des systèmes de prix garantis et à vendre directement, exclusivement, à ces industriels, ce qui se fait beaucoup dans certains pays étrangers mais reste en France une pratique compliquée économiquement tant que l'on n'est pas tout à fait au prix de marché.
Comme Réseau de transport d'électricité (RTE) vous l'a indiqué dans cette enceinte, Engie considère en outre qu'un mix totalement électrique ne permettrait pas de garantir un niveau de sécurité d'approvisionnement satisfaisant. On entend beaucoup parler de l'électrification de l'énergie. Or aucune étude n'a montré qu'un mix 100 % électrique était atteignable sans un risque majeur de rupture d'approvisionnement.
Le gaz, qui est de plus en plus renouvelable, est la solution pour permettre l'ajustement entre l'offre et la demande d'énergie, au moins jusqu'en 2050. La France a la chance d'avoir un réseau de gaz exceptionnel, qui se trouve être la propriété d'Engie. Ce réseau est accompagné d'un système de stockage unique au monde, sous forme de stockages souterrains tout au long du réseau, qui permettent de stocker d'énormes volumes d'énergie. Nous sommes en situation d'offrir cette sécurité de stockage à l'ensemble du système gazier français. Le législateur s'en est d'ailleurs emparé, puisqu'il a décidé l'année dernière de réguler ce système de stockage, ce dont nous lui sommes très reconnaissants. Les jours de pointe, d'extrême froid, à certaines heures d'hiver, la consommation d'énergie en France est majoritairement gazière et non pas électrique. Si nous ne disposions pas de cette ressource gazière, nous aurions un problème majeur pour équilibrer le système. C'est la raison pour laquelle nous militons activement, dans la mesure où nous sommes favorables à la neutralité carbone et aux objectifs que la France se fixe pour 2050, pour le verdissement de ce gaz, dont nous pensons, de manière réaliste, qu'il deviendra, grâce au biométhane, demain au méthane de synthèse et après-demain à l'hydrogène, la solution complémentaire de l'électricité. Le développement du biométhane fait actuellement l'objet d'un soutien public élevé, de l'ordre de 300 millions d'euros par an. L'objectif quantitatif à horizon 2023 est de multiplier par huit à dix le volume de biogaz produit en France, avec un maintien du niveau des aides, avant, comme nous nous y sommes engagés avec l'ensemble de la profession, que ces aides puissent décroître à partir de 2023, car nous aurons alors atteint, avec le développement du biogaz mature, une filière industrielle capable, par l'effet d'échelle, de baisser ses coûts. Nous sommes donc très confiants, à condition, dans la PPE, de focaliser le maximum de production de centres de biogaz nouveaux dans la première période, pour permettre d'obtenir l'effet de baisse des coûts industriels que nous avons connus sur toutes les filières de renouvelables, de manière accélérée.
Ainsi, pour les EnR électriques, la décroissance des coûts est continue et permet d'espérer qu'elle rejoigne rapidement, à l'horizon 2030, les prix de marché. La résorption de la dette passée, notamment celle d'EDF, sera achevée aux alentours de 2035, selon les technologies. Ainsi, plus on produit de renouvelables, plus cela conduit à une baisse de la proportion d'argent public dans l'électricité consommée.
Il est nécessaire de définir des mesures de développement du biométhane injecté dans les réseaux qui permettent de réussir son industrialisation et de développer, par l'intermédiaire notamment d'un accord, dont nous sommes très fiers, passé avec les professionnels de l'agriculture au Salon de l'agriculture, toute une filière de ressources et revenus pour le monde rural, en complément des revenus agricoles. Le soutien au biométhane est l'une des mesures les plus efficaces pour décarboner, à condition de l'injecter et non de le brûler directement pour faire de l'électricité. Il s'agit d'un point très important.
Les actions d'efficacité énergétique entrant dans le dispositif des certificats d'économies d'énergie devraient être revues, pour que le prix des CEE soit acceptable et ne conduise pas à une forte hausse des tarifs, dans la mesure où ils sont incorporés dans les coûts qui constituent les tarifs ; sinon, il faudra anticiper un rythme de rénovation des logements existants très inférieur à celui exigé par la PPE, car il sera difficile de mobiliser les occupants comme les professionnels.
Je voudrais enfin ajouter que la transition énergétique ne devrait jamais se faire au détriment de la sécurité d'approvisionnement. Les Français ont bénéficié au cours des dernières décennies d'un très haut niveau de sécurité d'approvisionnement énergétique, auquel ils sont à juste titre particulièrement attachés. Ce résultat n'est pour autant pas garanti pour le futur, comme vous l'a signalé RTE. Une capacité de production électrique de 90 GW va en effet être fermée en Europe, sur la plaque centre-ouest européenne. Il est important de se mettre à l'abri des conséquences du programme des visites décennales d'un parc nucléaire vieillissant, d'organiser une nouvelle régulation du nucléaire au profit du consommateur, bénéficiant d'un développement raisonnable de la concurrence, avec une mesure d'urgence consistant en un déplafonnement de l'ARENH. Il faudrait de même veiller à la bonne atteinte de l'objectif de la PPE, pour contribuer à la diminution de la pointe électrique, alors que l'électrification massive, à 100 %, notamment avec la croissance prévisible dans l'automobile, va poser un problème. Il faut s'opposer à la tentation des avocats du tout électrique et notamment celle consistant à vouloir modifier la réglementation thermique des bâtiments, sujet qui circule beaucoup aujourd'hui dans les milieux professionnels et dans le lobbying, en particulier la future RE2020, qui générerait de vrais problèmes sur la couverture de pointe, par un retour au tout radiateur électrique, ce qui représente selon nous une réelle menace.
La France s'est engagée dans la bonne voie, en entraînant dans l'Accord de Paris les principaux pays du monde et en donnant l'exemple en Europe d'une planification raisonnable de la transition énergétique. Engie, leader des producteurs électriques indépendants dans le monde et des solutions d'efficacité énergétique pour les industriels et les territoires, s'inscrit résolument dans cette perspective, qui nécessite de changer d'échelle pour le renouvelable d'ici 2028.
Voici ce que je souhaitais indiquer en introduction de cette audition, en vous remerciant encore de nous avoir permis d'exposer en quoi la stratégie d'Engie recoupe autant que possible les priorités nationales.
Je précise que les questions vont permettre de développer les éventuels points que vous n'auriez pas pu évoquer dans ce propos liminaire.
Merci pour votre exposé. Vous avez mentionné à la toute fin de vos propos la réglementation thermique des bâtiments, la RE2020. En quoi cela poserait-il un problème en termes de couverture de pointe ? Pourriez-vous préciser ce point ?
Il existe aujourd'hui une certaine ébullition professionnelle visant à essayer de modifier le coefficient de conversion thermique, élément qui permet, pour un bâtiment neuf, de fixer la norme d'isolation de l'immeuble, et notamment des moyens de chauffage, obligatoire dans le cadre d'un permis de construire. Ces projets de modification des normes existantes auraient pour effet d'inciter à produire davantage de moyens de chauffage directement électriques dans les logements, par simple effet arithmétique, alors qu'en réalité cela n'intègre pas le coût de la pointe. Nous savons malheureusement, bien que la France ait la chance d'avoir une énergie très décarbonée grâce à la base nucléaire, qu'en période de pointe, il est impératif de faire appel à des moyens beaucoup plus émetteurs et polluants, notamment ceux situés en dehors de nos frontières. Ce raisonnement nous conduit à penser que l'équilibre trouvé dans le domaine des coefficients qui servent de base au régime de la construction en France sont bons et n'incitent pas inutilement à aller vers une situation telle que celle que nous avons connue dans les années 1980, avec les fameux radiateurs « grille-pain ». Nous vous transmettrons volontiers une note plus détaillée à ce sujet.
Je n'ai pas compris vos propos relatifs au CEE, dont vous disiez qu'il devrait être revu pour être acceptable. Pourriez-vous revenir sur ce point ?
Pardonnez mon manque de clarté, dû à une volonté de concision. Les CEE sont aujourd'hui une obligation pour les fournisseurs d'énergie, qui doivent acheter des certificats à hauteur de leur fourniture d'énergie aux clients. Une entreprise comme Engie produit ses propres CEE. Notre filiale Engie Home service comprend 3 000 salariés répartis sur l'ensemble du territoire, qui effectuent par exemple la pose et l'entretien des chaudières de gaz chez les particuliers. Lorsque l'on remplace une vieille chaudière, très consommatrice d'énergie, par une chaudière moderne qui permet de réaliser des économies d'énergie tout en émettant moins de CO2, nous utilisons nos propres CEE, puisque nous sommes fournisseurs. Nos concurrents ont bien entendu la possibilité de procéder de même.
Il faut savoir par ailleurs que les sujets sont fixés par des fiches d'opération, élaborées par la direction générale de l'énergie et qui correspondent à des gestes très précis, dans le bâtiment, l'entretien, l'isolation. Or aujourd'hui, les travaux admis au financement des CEE ne sont pas assez ouverts sur les sujets notamment de remplacement des équipements de chauffage. Cela a été effectué récemment avec l'action « Coup de pouce » exceptionnelle sur les chaudières, qui a eu un succès immédiat. Jusqu'alors, tout ce qui ne produisait pas d'économie nette, mais pouvait s'apparenter à de la production d'énergie, était exclu du dispositif. De même, nous n'avons malheureusement pas en France aujourd'hui l'offre suffisante, dans le monde artisanal, avec des gens compétents, pour effectuer des isolations dans toutes les maisons qui auraient droit à des certificats d'économies d'énergie. Nous sommes donc en difficulté pour couvrir des obligations qui ont été fortement augmentées par l'État, lequel a doublé les obligations pour les fournisseurs, par rapport à une capacité faible de délivrer ces économies d'énergie sur le terrain. Ce déséquilibre fait monter le prix du certificat, qui est une sorte d'impôt pour le fournisseur, que ce dernier répercute sur le prix qu'il fait payer à ses clients. Cela fait d'ailleurs partie des coûts obligatoires. Il ne s'agit donc pas d'une bonne solution : soit l'on a des exigences excessives en matière de certificats en termes de volume, ce qui est possible, soit elles sont mal réparties techniquement par sujet, soit il faudrait davantage de mobilisation, ce que nous faisons en embauchant de jeunes apprentis et en leur apprenant le métier, afin qu'ils puissent nous accompagner sur le terrain dans les travaux nouveaux lorsque des demandes se font jour, comme dans le cas de ces fameuses chaudières. Il s'agit ainsi d'un levier pour l'emploi tout à fait intéressant pour les territoires, mais qui n'est pas complètement utilisé aujourd'hui.
Je souhaiterais justement revenir sur le dispositif de chaudière à 1 euro, qui semble assez vertueux à de nombreux points de vue. Il comporte toutefois deux risques : le premier consiste en une difficulté, sous l'effet de la demande, à fournir des équipements qualitatifs en nombre suffisant, le deuxième dans la garantie de disposer d'installateurs fiables, susceptibles d'effectuer le travail de manière efficace et véritablement correcte. Comment travaillez-vous pour éviter ces deux écueils ?
À vrai dire, j'ignore comment fonctionnent les concurrents dans ce domaine. Chez Engie, nous ne proposons cette solution à nos clients que si nous avons la certitude de pouvoir la délivrer dans les meilleures conditions. Lorsque nous avons pris connaissance des débats autour du coût de l'énergie et de la taxe carbone, nous nous sommes très rapidement mobilisés et avons repéré, chez des industriels français, notamment en Bretagne, des fournisseurs de très grande qualité, en capacité d'accélérer fortement leurs chaînes de production de chaudières. Nous avons ainsi anticipé la production en France de ces équipements pour nos clients.
Nous avons en outre essayé d'accompagner la croissance exceptionnelle d'activité que cette offre a occasionnée au sein du service clients par de nombreuses embauches, notamment par le biais de l'apprentissage.
Enfin, une file d'attente se crée, afin de réguler les interventions chez les clients. Mais nous ne rencontrons pas aujourd'hui de souci majeur pour délivrer ce service.
Notre difficulté tient au fait que, ayant pris le risque de récupérer à notre charge des subventions publiques de l'ANAH, nous sommes confrontés à un gros découvert de l'ANAH à notre égard, qui se réglera évidemment puisqu'il s'agit de droits ouverts, mais dont le traitement pose aujourd'hui un problème de trésorerie à l'ANAH.
Vous avez évoqué la problématique d'efficacité énergétique. Il est en effet important, lorsque vous intervenez chez des particuliers, que vous leur parliez des enjeux autour de l'isolation. Il faut mettre en avant le binôme enveloppe – élément. Est-ce bien un aspect que vous valorisez auprès de vos clients ?
Je vous confirme que bien que nous ne soyons pas, sauf pour des bâtiments industriels de très grande taille, des spécialistes de la question de l'isolation, les consignes données à nos équipes sont évidemment de promouvoir l'isolation. Changer la chaudière permet en effet de gagner 25 % à 30 % de pouvoir d'achat et d'énergie, mais coupler cette opération avec une amélioration de l'isolation peut être source d'un gain supérieur.
Pourriez-vous revenir sur la question du complément de rémunération lié au solaire ? Vous avez indiqué qu'une bascule se produisait à un moment donné, permettant de passer du mode subventionné au mode contributeur. Je ne cerne pas totalement la partie concernant le complément de rémunération et souhaiterais que vous m'éclairiez sur ce point.
On est passé d'un prix garanti immuable à un système beaucoup plus exigeant, qui prévoit que l'aide du budget de l'État par le compte d'affectation spéciale n'intervient que pour couvrir la différence entre le prix de marché, s'il est inférieur, et le prix de revient accepté, validé par appel d'offres après appel à la concurrence des fournisseurs d'énergies renouvelables. Si l'on considère les parcs solaires par exemple, le prix de marché est aujourd'hui inférieur des coûts des fournisseurs ; concernant les résultats des appels d'offres lancés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour avoir de la production française de solaire, nous savons que si nous prenons les « forwards inflatés », c'est-à-dire les prix prévisionnels achetés à terme sur le marché, qui sont des indications du futur non théoriques, que des gens sont prêts à payer en termes de transaction de marché, et que l'on prévoit une inflation de 2 % par an de ces prix, ce qui correspond à une prévision assez générale de la profession, alors, pour un parc solaire créé en 2019, l'État commencera à encaisser de l'argent à partir de 2029, puisque si le prix de marché devient supérieur au prix de revient qui est celui du contrat passé par appel d'offres de la CRE, alors le producteur rendra de l'argent à l'État. Ce phénomène fait que, dans un premier temps, une subvention publique est allouée, et dans un second temps, à partir du moment où les courbes se croisent, une restitution est effectuée au budget de l'État. L'opération devient alors contributrice nette au budget de l'État.
À condition que le prix du marché devienne supérieur au prix de revient. Que se passe-t-il si le prix du marché baisse fortement ? Il n'y a pas alors de limitation du coût pour l'État.
L'État garantit le prix de revient de cette génération de solaire après appel d'offres. Or à chaque appel d'offres, les prix baissent, parce que les technologies le permettent.
Il nous a été indiqué au contraire que lors des derniers appels d'offres, le prix avait augmenté.
Absolument pas : lors de l'appel d'offres de la CRE de 2015, le mégawattheure était en France à 100 euros, alors que lors de l'appel d'offres de 2018 il était à 52 euros. La tendance sur les prix des appels d'offres est à la baisse.
Les représentants de GRDF, que nous avons auditionnés ce matin, nous ont transmis une courbe des appels d'offres montrant une récente remontée des prix, en raison notamment du fait que l'on ne trouvait pas preneur dans le domaine éolien par rapport au volume proposé.
Ma question prolonge celle-ci et porte en particulier sur l'éolien terrestre. Il existe une partie ne nécessitant pas d'appel d'offres, lorsque la puissance installée est inférieure à 18 MW. Dans ce cas, quel est le prix ?
Une légère remontée s'est en effet produite récemment, qui traduit peut-être la difficulté de déployer les énergies renouvelables dans le pays. Il s'agit d'un sujet qu'il convient d'aborder sérieusement. Mais pour l'instant, je me réfère aux propos du président de la CRE, qui a indiqué que l'on se situait dans un bandeau de 60 à 80 euros du mégawattheure pour toutes les énergies renouvelables ayant un effet de masse.
Pour ce qui est de l'offshore, l'État a fait sa propre éducation de la levée des risques. En réalité, les financements sont la clé des coûts pour l'offshore. Or tous les risques ont été laissés aux opérateurs, y compris des risques de recours. Les coûts ont donc crû pour cette raison. Si l'État garantit par exemple avec RTE le seul fait de raccorder aux lignes électriques terrestres au moment où l'installation est terminée, alors ce seul fait permet de faire baisser fortement le prix, en enlevant un risque majeur pour l'opérateur et les financeurs. Aujourd'hui, il n'existe pas de prix connu pour l'offshore, car l'appel d'offres public de l'État sur Dunkerque, pour lequel Engie a concouru, n'est pas encore dépouillé et est en cours d'examen. Mais je pense qu'il n'y a aucune raison que les coûts ne se situent pas dans le bandeau évoqué par M. Carenco.
Nous sommes dans une situation où chaque technologie décroît en prix à une vitesse différente. Le solaire est le domaine dans lequel les prix ont le plus décru, en raison notamment de l'importation de panneaux chinois et de l'amélioration des technologies. L'éolien décroît aussi, grâce à l'amélioration de la qualité des turbines, qui font moins de bruit et sont plus puissantes. L'offshore diminue aussi car on est en train, comme je vous l'expliquais, de « dérisquer » l'environnement autour des projets.
Je suis pour ma part très confiant vis-à-vis du croisement des courbes, à un horizon variable selon les technologies. Le photovoltaïque sera probablement l'une des premières énergies pour laquelle le croisement va s'opérer.
Vous avez, monsieur le président, posé la question des prix de marché : que se passerait-il s'il advenait qu'ils baissent ? Honnêtement, aucune étude sérieuse sur la plaque européenne ne prévoit aujourd'hui de baisse de prix, en raison de la pénurie d'énergie électrique dont je vous ai parlé et qui va se faire sentir à partir de 2023-2024. Le déclassement des centrales à charbon allemandes, qui est programmé, tout comme la fermeture d'un certain nombre de sites nucléaires en Europe et le déclassement de certaines vieilles centrales à gaz, font que l'on se dirige selon nous vers un maintien des prix. Je ne crois pas que ce soit le risque principal, au contraire. Notre sentiment est plutôt qu'en dehors de la couche de nucléaire de production française d'électricité, qui constitue le socle de cette production pour de nombreuses années encore, il est très important de disposer d'une deuxième couche composée d'énergies renouvelables, qui soit suffisamment massive pour sécuriser l'approvisionnement électrique de la France et éviter une flambée des prix pour le consommateur.
C'est là notre conviction. L'intérêt de cette deuxième couche d'EnR, qui viendrait s'additionner à celle du nucléaire, serait de permettre le foisonnement. En effet, nos éoliennes en Bretagne ne tournent pas en même temps que celles installées dans la région Provence-Alpes-Côte-D'azur : le climat français est complexe et cette diversité fait que tous les équipements ne fonctionnent pas en même temps. On a donc tout intérêt à organiser le foisonnement des technologies et des sites pour être statistiquement sûr qu'une source d'énergies renouvelables fonctionne toujours quelque part.
Vous me permettrez de souligner que c'est la conséquence de l'intermittence. Par définition, si nous n'avions pas affaire à des énergies intermittentes, le fait que les sources de production se situent en Bretagne ou en Provence ne ferait aucune différence.
Dans le solaire, nous avons effectivement constaté une tendance à la baisse au cours des quatre dernières années, au fur et à mesure que les appels d'offres ont été lancés, avec des volumes bien identifiés permettant aux développeurs de préparer leurs propositions. Même si le dernier appel d'offres a montré une légère remontée, l'important est de considérer la tendance de fond, qui est globalement à la baisse. Cela s'est traduit par une division par deux des prix aux appels d'offres, qui sont passés de 100 à 52 euros.
La situation de l'éolien terrestre est un peu différente, dans la mesure où l'on ne dispose pas d'un retour d'expérience sur les appels d'offres, plus récents que ceux lancés dans le solaire par exemple. Comme vous le savez, il existe deux mécanismes fonctionnant en parallèle, à savoir un guichet ouvert pour les petits parcs et des appels d'offres dont le premier prix a émargé à 65,40 euros du mégawattheure, ce qui montre un positionnement de l'éolien terrestre dans la fourchette de 60 à 80 euros le MWh évoquée par Jean-François Carenco. Il faudra sans doute toutefois que davantage d'appels d'offres soient lancés pour avoir une vision précise de la tendance à plus long terme. Pour ce qui est de l'éolien en mer, nous ne disposons pas encore de track record, puisque l'appel d'offres le plus récent est celui de Dunkerque, pour lequel les prix n'ont pas encore été communiqués.
La loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 prévoyait de porter la part des EnR à 10 % de la consommation de gaz. Or la nouvelle PPE de 2019 donne sur ce même sujet le chiffre de 7 %, témoignant d'un certain désagrément pour la filière, qui croyait au développement de la méthanisation. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les raisons de ce revirement ? S'agit-il de problèmes liés au prix de revient ? Est-ce dû à la difficulté de développer des outils ou encore à celle d'atteindre les réseaux de gaz, qui ne se situent pas nécessairement à proximité des installations ? Avez-vous des éléments d'explication ?
Engie partage la déception des professionnels que vous évoquez, liée à une baisse d'ambition en matière de biogaz. Le gisement de biogaz en France est colossal. Une étude très sérieuse et exhaustive de l'ADEME, effectuée voici deux ou trois ans, montre que ce gisement dépasse nos besoins en biogaz. La question est de parvenir à mobiliser le monde agricole et à lui faire prendre conscience de l'intérêt de participer à cette nouvelle action collective de l'agriculture, impliquant de se rassembler pour acheminer si possible la ressource au point d'injection. Or ce n'est pas encore acquis dans le monde agricole. Il faut sensibiliser nos agriculteurs à cet enjeu, notamment pour éviter qu'ils fassent du recyclage direct sur les exploitations, avec des instruments peu efficaces, assez dangereux et qui nous empêcheraient collectivement, nationalement, d'atteindre cet objectif de 10 %. Un long chemin reste donc à parcourir. Engie va essayer de travailler avec les territoires, en s'appuyant sur les représentants du monde agricole, les chambres d'agriculture, voire les élus, pour convaincre les agriculteurs de s'impliquer dans cette action collective de récolte des matières nécessaires et mises en oeuvre des cultures correspondantes. Cette démarche permet en effet de procéder à des cultures intermédiaires, dans des territoires comme la Beauce où les champs, inutilisés une fois que le blé a été récolté, pourraient fort bien être mis à profit pour faire des cultures intermédiaires destinées au biogaz, qui présenteraient par ailleurs l'avantage de piéger l'azote. Cela suppose une véritable révolution du monde agricole et des pratiques culturales. Nous avons ainsi conclu une alliance avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), afin de travailler sur les préconisations correspondantes.
Nous sommes donc quelque peu déçus que l'ambition nationale ait été revue à la baisse, passant de 10 % à 7 %. Nous n'étions pas demandeurs de cette évolution. Cela cache manifestement une décision budgétaire, visant à limiter les coûts pour la collectivité ; un objectif de 10 % a dû paraître trop cher dans les arbitrages. Ce point de vue est respectable, mais à budget identique, notre conviction est qu'il faut mettre en oeuvre cette démarche en début de période, et ce afin de faire le plus possible la démonstration que cela fonctionne pour entraîner ainsi le monde agricole et disposer d'outils de moins en moins chers. Aujourd'hui, les méthaniseurs viennent presque tous d'Allemagne, alors que l'on pourrait en fabriquer en France. Il faut créer cette filière, sur le modèle de ce qui a été mis en oeuvre pour les turbines de l'offshore. Investissons l'argent au début, déclenchons une baisse des prix et nous pourrons ensuite aller plus facilement vers l'objectif des 10 %.
Il faut en outre avoir en tête l'existence d'une solution européenne, bien que la question n'ait pas encore été abordée à cette échelle : cela concerne le taux d'incorporation obligatoire. Je vous rappelle qu'a été créée partout en Europe l'obligation de mettre dans l'essence ou le diesel des voitures un peu de biocarburants. Peut-être faudra-t-il un jour pour le gaz parvenir également à une obligation d'incorporation de biogaz dans les réseaux gaziers, de manière à inciter sans subvention à la création d'une filière permettant de satisfaire cette obligation. Aujourd'hui, ce sujet ne peut être traité qu'à l'échelle européenne ; la France ne peut prendre une telle décision isolément, d'autant que les réseaux sont européens.
Aujourd'hui, l'État a, comme vous l'avez expliqué, besoin de soutenir les EnR pour permettre notamment le développement des filières industrielles. Ce soutien est essentiel au démarrage. Disposez-vous d'estimations permettant de savoir quelles pourraient être les filières les plus rapidement autosuffisantes, c'est-à-dire en capacité de ne plus bénéficier de soutien public et de financer le renouvellement des équipements dans la durée ? Avez-vous effectué ce travail pour chacune des énergies ?
Pour évaluer la durabilité d'une action de subvention pour une technologie donnée, on regarde la comparaison par rapport au prix de marché, à la capacité à pouvoir contracter avec un acheteur pendant une durée longue le rachat de toute la production d'électricité. Dans d'autres pays du monde, on voit déjà ce phénomène se produire : certains parcs se construisent sans subvention, uniquement tirés par un contrat de rachat de toute la production d'électricité. Cela existe notamment aux États-Unis, où de grands industriels sont prêts à racheter la production. La question est de savoir quand cela va advenir en France. Pour en avoir une idée, on compare les prix de marché et le coût de la technologie : au moment où les courbes se croisent, alors cela incite fortement les industriels à contracter de l'énergie verte et pour nous à construire des parcs totalement liés à ces contrats d'achat d'électricité, sans subvention. Notre message consiste à dire qu'avec la baisse du coût des technologies renouvelables et l'augmentation des prix de marché, on n'en est plus très loin. Donner une date et une technologie est plus difficile.
La question n'est pas seulement celle du « quand », mais aussi celle du « pourquoi » : pourquoi cela arrive-t-il dans d'autres pays et pas en France ?
C'était précisément l'objet de ma question : aujourd'hui, nous avons en France un tarif régulé, autour de 42 euros. Malgré tout, assurer le renouvellement ou la prolongation des équipements impliquerait d'avoir un coût réel de 60 euros : l'écart entre les deux montants est d'une certaine façon payé par le contribuable. Ce tarif de 42 euros ne devrait-il pas être débloqué pour parvenir au véritable coût de l'énergie, permettant d'envisager un renouvellement ?
Vous avez raison ; c'est d'ailleurs pour cela que j'ai évoqué le prix de l'ARENH, qui je le rappelle est un prix de gros, alors que les prix dont on parle sont des prix finaux. Concernant l'ARENH, EDF a une obligation, en vertu de la loi du 7 décembre 2010 portant sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », de vendre un certain volume d'électricité nucléaire chaque année au marché. L'existence d'un monopole vertical s'assortit ainsi d'une obligation de partager les quantités de gros avec le marché pour qu'une concurrence puisse ensuite s'instaurer au profit du consommateur. Aujourd'hui, l'ARENH ne couvre en réalité selon nous qu'une quantité trop limitée de la production nucléaire ; nous considérons ainsi qu'il faudrait débloquer dans le mix énergétique le plafond global, quantitatif, de cette ARENH, afin de faire baisser le prix pour le consommateur final. Aujourd'hui, cette ARENH est plafonnée, alors même que des fournisseurs devant fournir du courant à leurs clients ne trouvent pas l'ARENH suffisante, puisqu'ils sont contingentés, et doivent racheter sur le marché, donc chez les traders, le courant qui leur manque. Ce n'est donc pas le contribuable qui paie la différence, mais le consommateur.
Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Lorsque nous avons auditionné des magistrats de la Cour des comptes, ces derniers nous ont expliqué que pour assurer le coût complet du cycle de vie du nucléaire, incluant notamment le démantèlement, le traitement des sols, il faudrait que le coût soit aujourd'hui de 60 euros le MWh. Adopter ce tarif conduirait à se retrouver dans une logique que connaissent aujourd'hui d'autres pays. Or en France actuellement, la différence entre le tarif régulé et ces 60 euros doit être financée : notre tarif régulé, bien qu'il présente certains avantages, ne nous empêche-t-il pas à terme de parvenir au croisement des courbes ?
Il est très compliqué de répondre à cette question. Nous disposons en France d'un producteur national qui produit du courant nucléaire. Le coût de 42 euros a été calculé sur la base de nombreuses études économiques et était censé correspondre au coût de revient d'EDF. Si les coûts d'EDF ont augmenté, peut-être faudrait-il le réajuster. Je n'ai aucun avis sur cette question. Mais en réalité, puisque l'on se situe dans le cadre d'une production monopolistique d'électricité sur la base nucléaire et que l'on a tout intérêt, en tant que Français, à l'utiliser, il faut au fond saturer le marché avec le nucléaire en première instance. Cela constitue la base de consommation. Le prix doit correspondre au coût, augmenté des marges nécessaires à EDF pour couvrir ses risques. J'ignore s'il doit être de 50 ou 60 euros. Le principe est qu'il ne doit pas y avoir de limitation à la saturation de la vente en gros au marché de cette production qui est, d'une certaine manière, un bien de la nation. Ensuite, si l'on parvenait à monter à 60 euros, les courbes se croiseraient dans un délai relativement bref, car on se situerait alors dans la limite basse du « bandeau » défini par M. Carenco. Est-ce le bon chiffre ? Je suis bien incapable de le dire.
Nous constatons pour notre part que ces courbes commencent à se croiser dans le cadre du contrat pour différence, sur le solaire.
Vous considérez que la maturité de la filière gaz vert est atteignable aux objectifs en 2030. Le palier défini pour 2023 vous semble-t-il également possible à atteindre ? Il me semble en effet que l'on peine un peu à démarrer. Je souhaiterais avoir votre point de vue à ce sujet.
À partir de 2030, la filière est considérée comme mature et ne nécessitant plus de soutien public. Le complément de rémunération et le passage à ce dispositif correspondant à un tarif garanti immuable visaient, dans la loi de transition, à obtenir une dynamique plus rapide du développement des EnR et un croisement des courbes. Je pense que l'on est globalement proche de ce croisement, qui interviendra vraisemblablement dans moins de dix ans pour le solaire.
Le gisement de biogaz, que vous qualifiez de « colossal », serait-il mobilisable en respectant l'utilisation limitée des cultures intermédiaires, c'est-à-dire en prenant en compte la réglementation en vigueur aujourd'hui ? Ne faudrait-il pas en outre une surveillance accrue, dans la mesure où l'on constate que dans certains domaines on qualifie beaucoup de choses de « cultures intermédiaires » ?
Je partage totalement vos analyses, qui reprennent assez largement les nôtres.
La dynamique de gaz vert, et notamment de biométhane, s'enclenche maintenant. On observe par exemple que le nombre de méthaniseurs a beaucoup crû entre 2017 et 2018. La capacité a progressé de 75 % entre ces deux années, pour atteindre aujourd'hui 1,2 TWh injecté par an et 76 installations qui injectent dans le réseau. Notre objectif est de contribuer à cette dynamique de filière. Lorsque l'on démarre, avec peu de méthaniseurs, les coûts sont forcément plus élevés : notre but est donc d'industrialiser la démarche, avec une typologie de méthaniseurs, et de faire ainsi progressivement baisser les coûts. Il ne s'agit certainement pas pour nous de vivre sur une rente, mais bien d'industrialiser cette activité. C'est la raison pour laquelle nous avons par exemple conclu un partenariat avec la Fédération nationale des coopératives d'utilisation de matériel agricole en commun (FNCUMA), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ou encore l'INRA, afin de travailler avec eux sur les nouvelles technologies de méthanisation. Notre objectif est d'enclencher ce mouvement de filière. Certains méthaniseurs sont aujourd'hui en construction et 80 projets en cours de développement.
Quelle est la cible en 2023 ? Au niveau de la filière, nous avons calculé que 8 térawattheures sont atteignables avec le gisement disponible. Nous nous engageons par ailleurs à enclencher une réduction des coûts de l'ordre de 2 à 3 % par an, en bénéficiant du régime actuel de guichet ouvert pour les petits projets et en réservant les grands appels d'offres pour les projets de plus grande ampleur. L'objectif est de faire baisser les coûts progressivement, grâce à l'industrialisation. Or cela nécessite du volume. C'est la raison pour laquelle nous tenons à conserver l'objectif de 8 térawattheures, car cela participera au volume nécessaire à l'industrialisation de la filière.
Concernant l'étude détaillée menée avec l'ADEME notamment, nous pourrons vous en communiquer la référence. Certains modèles ont pu être développés ailleurs. Notre objectif est d'être très vigilant sur la non-utilisation des surfaces agricoles notamment. Il ne faut pas engendrer de conflit d'usage.
Il a été beaucoup question dans cet échange de prix de production et assez peu de rentabilité, pour les producteurs, de toutes ces énergies renouvelables. Quelle est la rentabilité moyenne d'un parc éolien de 6 éoliennes ou de 18 MW avant appel d'offres, en obligation ouverte, ou celle d'une installation photovoltaïque ?
J'entends parfois dire sur le terrain que certains grands producteurs tels qu'Engie rachètent des projets éoliens purgés de tout recours. À quel prix moyen rachetez-vous ces projets au mégawatt ? J'entends parler de prix très importants, ce qui supposerait l'existence d'une forte rentabilité attendue par la suite. Qu'en est-il ?
Comment le prix de démantèlement des éoliennes est-il par ailleurs budgété ?
Nous avons, chez Engie comme dans tous les grands groupes industriels français, des règles d'analyse des risques et de la rentabilité estimée, pour chaque projet, afin de décider du bien-fondé ou non d'investir l'argent du groupe et de nos actionnaires. La règle générale est de ne nous engager dans aucun projet qui ne couvre pas, sur son cycle de vie, l'ensemble du coût du capital du groupe, auquel est ajoutée une marge de sécurité correspondant au résultat attendu, brut, pour l'entreprise. Nous n'acceptons aucune forme de projet ne répondant pas à ces critères. Certains projets vont au-delà de nos espérances, d'autres sont décevants. Au total, Engie investit ainsi plus de 6 milliards d'euros dans de nombreux projets partout dans le monde. Notre décision d'investir dans les énergies renouvelables tient au fait que nous croyons à la rentabilité, dans le long terme, de ces installations.
Vous posiez également la question de la durée de vie, au travers de votre interrogation sur le démantèlement. En réalité, beaucoup d'installations dureront plus longtemps que la durée des contrats garantis par l'État en termes de rachat de courant. Nous sommes obligés, lorsque nous effectuons des estimations prévisionnelles de rentabilité, d'anticiper le prix auquel, dans quinze ans, nous vendrons l'électricité supplémentaire pendant les cinq ou six ans de vie supplémentaires des installations. Une part du risque que nous prenons en tant qu'entrepreneur tient à cet aspect. Le démantèlement coûte très peu cher pour l'éolien par rapport au coût du projet.
Nous rachetons par ailleurs certains projets installés voici quelques années parce qu'il est possible aujourd'hui de procéder à un changement des turbines, en démantelant les vieilles installations et, avec les autorisations déjà accordées, selon des règles administratives précises, à mettre de nouvelles installations beaucoup plus efficaces, qui augmentent la production électrique avec des niveaux de vent plus bas et présentent également l'avantage d'être moins bruyantes et moins polluantes. Le rachat de parcs existants est donc fondé chez nous sur la perspective d'un repowering, c'est-à-dire la possibilité de procéder à un changement de capacité, ce qui peut expliquer les prix d'achat des installations.
Permettez-moi de préciser ma question. Dans la mesure où cela concerne de l'argent public, il est assez logique que l'on s'intéresse à la question de la rentabilité ultérieure, afin d'éviter l'existence de bulles de rentabilité trop importantes. Ma question ne concernait donc pas le risque pour l'investisseur.
Concernant les projets de rachat, mon propos ne visait pas le repowering, mais le rachat d'éoliennes non encore installées, de projets purgés de tout recours, dans lesquels un promoteur éolien développe le projet, négocie l'aspect foncier, puis vend à un producteur plus important la capacité d'exploiter, alors même que les éoliennes ne sont pas encore installées.
Concernant le démantèlement, sachez qu'une garantie financière de démantèlement, émise par l'exploitant, est obligatoire. Elle est de 50 000 euros par éolienne. Nous allons pour notre part un peu plus loin et travaillons sur le recyclage des éoliennes.
J'ai lu sur le site d'une préfecture un devis de démantèlement d'éolienne de 400 000 euros. Le différentiel avec la garantie de 50 000 euros est donc considérable. Il est logique que nous posions ce type de questions, dans la mesure où cela participe du coût complet.
Dans tous les cas, la responsabilité est celle de l'exploitant : il est de son ressort de remettre le site en état. Cet élément est donc bien évidemment inclus dans le calcul de la rentabilité intrinsèque.
Vous parlez de bulle ; mais on peut dire aujourd'hui à l'opposé que les prix ont tellement baissé, la compétition a été tellement forte, qu'un nouveau modèle s'est développé, dans lequel un partenariat est noué avec un fonds, un financier, capable d'avoir des niveaux de rentabilité très compétitifs, afin de nous permettre de remporter des projets dans les appels d'offres, en faisant baisser les prix. Nous sommes aujourd'hui obligés de développer ce type de modèle pour gagner en compétitivité, parce que les prix ont justement baissé très fortement et très rapidement.
Concernant le biogaz, on a compris que vous privilégiiez clairement l'injection dans le réseau, ce qui peut s'avérer difficile au regard d'un certain nombre de gisements. Je pense notamment au Massif central. Vous semblez beaucoup moins enthousiaste s'agissant de la production d'électricité à partir de ce biogaz. Doutez-vous de la pertinence de ce modèle économique de production d'électricité ?
Pour ce qui est des certificats d'économies d'énergie, pourrait-on avoir une idée de leur poids dans les tarifs que vous proposez à vos clients ?
Je connais bien la problématique des territoires agricoles isolés et pense qu'il existe en effet des zones où l'on ne parviendra pas à récolter la matière et à la transporter jusqu'au point d'injection sans des coûts prohibitifs. Il est donc vraisemblable qu'un deuxième modèle se développe, qui n'est pas celui d'Engie : il consistera à s'organiser de manière collective, car le coût des investissements initiaux est élevé, sans aller jusqu'au point de raccordement éventuel, pour développer des méthaniseurs disséminés, dont l'efficacité ne sera toutefois pas forcément formidable. Il faut toutefois éviter l'individuel absolu, dont les coûts seront exorbitants, ce qui risquera fort de créer de la déception chez les agriculteurs qui vont s'endetter pour installer des systèmes qu'ils ne parviendront pas à rentabiliser. Il faut à tout prix éviter que les agriculteurs ne s'engagent dans des voies trop périlleuses.
Concernant les CEE, je suis malheureusement incapable de vous donner leur pourcentage exact en termes de répercussion sur les tarifs. Je vous transmettrai toutefois l'information dès demain si vous le souhaitez. Il me semble que cela se situe autour de 2 %.
Vous avez parlé de recyclage à propos des éoliennes. Or les pales des éoliennes sont en polymère. Comment procédez-vous pour recycler cela ?
On ne sait pas, aujourd'hui, recycler le polymère. Nous travaillons toutefois avec Suez afin de réaliser un premier pilote et de pouvoir partager avec la profession sur la capacité à recycler ces pales. Suez est mobilisé sur le sujet, afin de pouvoir créer une filière autour de cette problématique.
Imaginons que vous ne trouviez pas de solution avant la fin des parcs éoliens : qu'adviendrait-il des déchets des pales en polymère ?
Aujourd'hui, 90 % des éoliennes sont recyclées : béton, acier, aluminium, cuivre. Nous travaillons actuellement, comme je viens de l'indiquer, sur la question du recyclage des pales. L'objectif est de produire des coproduits, comme des éléments de voies de chemin de fer par exemple. Nous allons partager les coûts avec Suez sur ce travail. Aujourd'hui, les pales sont broyées. L'objectif du recyclage est de pouvoir défaire le polymère pour ensuite le revaloriser.
Les éléments broyés doivent donc être stockés.
Concernant le repowering, j'avais cru comprendre qu'il n'était pas possible de conserver le socle de béton initial et qu'il fallait construire un autre socle pour installer le nouveau pylône.
Tout dépend de la taille des éoliennes. Les fondations ne peuvent effectivement pas être les mêmes si l'on parle d'éoliennes de 850 kilowatts (KW) ou de 3 MW. Aujourd'hui, on trouve toutefois des débouchés sur site ou hors site, auprès des cimenteries, pour fabriquer des enrobés bitumineux, etc.
C'est effectivement tout à fait possible.
Nous prévoyons en effet dans nos coûts le recyclage des éoliennes, y compris de cette partie-là.
Vous avez indiqué que les courbes allaient se croiser en 2030. Or le soutien aux EnR a commencé en 2000. Cela correspondrait donc à trente ans d'aides publiques. Vous savez comme moi que ces industries sont largement importées. Vous comprendrez donc la prudence nécessaire : imaginez que vous vous trompiez et que la maturité ne survienne pas en 2030, mais en 2040. L'aide aura alors duré quarante ans.
L'argent public n'est pas infini. Or vous déplorez par ailleurs le faible soutien au gaz et le fait que la PPE soit très largement électrique. Si l'on réfléchit à un rééquilibrage, les gaziers ont par exemple plaidé ce matin pour une plus grande ambition, avec une transition passant davantage par le gaz. Cela signifierait un transfert des financements publics d'un domaine vers l'autre. Si l'on doit toutefois attendre 2030 et l'arrivée à maturité des EnR électriques, le risque est, puisque l'on ne peut pas augmenter les impôts, que l'on reste dans les faits avec des ambitions mort-nées en matière de gaz, faute de pouvoir trouver les fonds nécessaires. Comment résolvez-vous cette redoutable dualité ?
C'est un risque et la raison pour laquelle nous essayons de convaincre l'opinion et le gouvernement de la nécessité de bien équilibrer le mix énergétique français. Si les soutiens étaient excessivement concentrés sur l'électrique, on parviendrait à la situation, évoquée précédemment par Mme de la Raudière, de bulles de rentabilité excessive. Honnêtement, les appels d'offres et la concurrence à l'oeuvre aujourd'hui en France pour la production font que ce n'est absolument pas le cas. L'État, étant actionnaire d'Engie, est vigilant quant à la rentabilité de ce groupe. Cela renvoie à des marges raisonnables, mais certainement pas à un nouveau gisement de rente pour le groupe. La question est celle du partage de l'argent public. Il appartient à l'État de choisir les filières qu'il entend prioriser. Or la position de l'Europe consiste au contraire à considérer que l'État ne doit pas choisir les filières et qu'il faut laisser place à une neutralité technologique : dans cette logique, il appartient aux filières de démontrer elles-mêmes leur capacité à s'« autoporter » le plus vite possible. Avec un concours public identique par KWh, il revient aux industriels de déployer les meilleures technologies. Cette vision n'est toutefois pas dans les gènes français. Nous avons, en France, le goût de la planification. Le problème est que nous orientons ainsi des cloisonnements de financements au lieu d'organiser un système neutre.
Concernant le biogaz, je crois que l'argent consacré à la filière est insuffisant. Ces financements permettront toutefois de démarrer raisonnablement. Cela suffira pour démontrer qu'en France, il est possible de parvenir à développer le biogaz. Nous sommes, au sein du groupe Engie, assez confiants de ce point de vue. Pour autant, le poids que nous traînons en termes de finances publiques relativement aux énergies renouvelables est le passé. Les technologies étaient coûteuses au départ. EDF a ouvert les vannes sur de petits projets, si bien qu'il existe aujourd'hui une dette de l'État vers EDF, qu'il faut rembourser et qui représente un volume très conséquent des sommes investies dans la transition énergétique et payées par le contribuable consommateur. Nous avons effectué des estimations, qui laissent à penser que la dette héritée du passé sera soldée aux alentours de 2035. Si l'idée est alors de continuer à investir sur un même niveau de financement, ce qui n'est pas certain, on pourrait, une fois débarrassés de ce boulet financier énorme, avancer très vite dans le développement de nouvelles technologies, y compris dans le domaine du gaz ou de l'hydrogène. Les premières années de développement des EnR ont été très coûteuses en France.
Ne devrait-on pas, par conséquent, en tirant leçon des erreurs du passé, plafonner le montant d'aides budgétaires ? L'État pourrait ainsi se retirer au-delà d'une certaine somme. Je me rappelle avoir rencontré en 2008 M. Mouratoglou, président d'EDF Énergies nouvelles, qui m'avait expliqué, graphique à l'appui, que nous serions prochainement gagnants. Dix ans plus tard, ses calculs ne se sont pas révélés exacts. Quel serait l'impact, pour un acteur comme Engie, d'une décision consistant à conserver, sur l'éolien, sur le photovoltaïque, le principe d'un complément de rémunération versé par l'État, mais en le plafonnant ?
Il existe déjà des plafonds de prix dans les appels d'offres.
Plafond de prix n'est pas plafond d'engagement. Si demain le prix du marché descend très bas et que cela représente un coût d'un, deux ou dix milliards d'euros pour l'État, ce dernier sera dans l'obligation de compléter. Lorsque la foudre tombe sur un circuit électrique, le disjoncteur entre en action. Ne manque-t-il pas un disjoncteur dans le système de transition électrique ?
À quel rythme peut-on aller et avec quels moyens l'État peut-il soutenir ce rythme ? La réalité est que l'offre et les capacités d'investissements de groupes comme le nôtre et nos concurrents, déterminent la volumétrie. Aujourd'hui, le cap est naturel. Il n'existe pas partout des sites susceptibles d'accueillir des éoliennes terrestres. J'ai été, en tant qu'ancien préfet d'Auvergne, le premier à établir un plan régional d'implantation des éoliennes : entre les endroits où le vent fait défaut et ceux où il vaut mieux s'abstenir, on observe finalement une rareté relative de l'espace disponible. Cela constitue un facteur limitant au financement des éoliennes terrestres. Je pense que les capacités de production et de vent en mer sont infiniment supérieures à ce que l'on peut rencontrer sur terre. Pour l'instant, ce sont les appels d'offres de l'État qui fixent les volumes. Dunkerque est le dernier appel d'offres en date et nous n'en avons pas d'autres en perspective pour l'instant. Je ne suis donc pas très inquiet relativement à un hypothétique risque d'emballement de volume qui coûterait très cher au budget de l'État.
Quant à la baisse des prix de l'électricité, l'expérience du vieillissement des centrales belges montre que le taux d'indisponibilité s'accroît. Voici dix ans, le taux de disponibilité dans l'énergie nucléaire y était supérieur à 90 % ; il est aujourd'hui inférieur à 80 %.
Absolument. Cela a d'ailleurs été la cause des petites difficultés techniques que nous avons rencontrées cet hiver. Il s'agit en effet de travaux extrêmement complexes, qui obligent à revoir de nombreux systèmes à l'intérieur des centrales. Tout cela conduit à ce que la disponibilité d'un parc de centrales nucléaires vieillissant ne sera pas celle que l'on a connue par le passé. Cela invite à ne pas être trop frileux sur une production alternative pour la France. Un jour, les centrales vont disparaître.
Si l'on appliquait cela au nouveau nucléaire, qui est plus cher que l'ancien, on rencontrerait exactement la même problématique d'analyse que pour l'éolien en mer : le début coûte cher. Il ne faut pas se baser sur le prix du réacteur européen pressurisé (EPR) de Flamanville et en conclure que tous les nouveaux EPR auraient le même coût. Si l'on veut appliquer de manière parfaitement égale les modèles économiques, il faut le faire dans tous les cas.
Ma dernière question concerne les CEE : vous avez indiqué, me semble-t-il, qu'il faudrait sortir du dispositif les particuliers, qui devraient se débrouiller sans les CEE pour faire leurs travaux chez eux. Ai-je bien compris ? Cela pose de façon sous-jacente un problème de contrôle : l'État s'est aperçu, via TRACFIN, que des détournements avaient eu lieu. Or il est très compliqué de justifier auprès du pôle de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) que les travaux ont bel et bien été réalisés : si c'est envisageable pour un immeuble de quarante étages, en revanche il n'est guère envisageable de se rendre chez tous les particuliers concernés pour procéder à des vérifications comble par comble et fenêtre par fenêtre. Est-ce bien de cela qu'il s'agit, ou plaidez-vous de manière générale pour une réorientation et une reconcentration de l'exercice des CEE, qui permettrait peut-être de déflater le volume qui nous a été légué par Mme Royal ?
Je pense que les CEE constituent une injection très artificielle d'une subvention pour des travaux qui devraient objectivement pouvoir s'effectuer spontanément sans recourir à une subvention, puisqu'ils sont censés générer une économie d'énergie produisant finalement une ressource pour le client. On devrait se passer théoriquement d'une subvention pour ce type d'amélioration. Je suis tout à fait d'accord pour que le CEE devienne un instrument de politique sociale : il est évidemment logique d'aider les gens qui n'ont pas les moyens de financer de tels travaux. Cela a du sens. S'il s'agit au contraire d'un dispositif indifférencié, sans limitation de ressources, alors je ne vois pas l'intérêt de financer des travaux qui se justifient par eux-mêmes dans un budget de particulier, dans la mesure où les économies générées à terme vont permettre de financer les travaux. Je trouve par ailleurs que les CEE sont aujourd'hui mal calibrés, mal ciblés et ne correspondent pas à une capacité d'offre permettant de les déployer suffisamment. On organise ainsi la rareté par la montée des prix de ces certificats et l'on aboutit ensuite à des financements d'intermédiaires, dont on ne sait pas toujours très bien ce qu'ils font de cet argent et qui produisent du papier à l'administration pour indiquer qu'ils ont fait des choses.
Nous vous remercions, mesdames, messieurs, du temps que vous nous avez consacré. N'hésitez pas, au-delà de cette audition, à adresser au président ou à Mme la rapporteure toute information que vous jugeriez utile de nous communiquer.
La séance est levée à vingt heures quinze.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 9 avril 2019 à 18 h 30
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Vincent Descoeur, Mme Laure de La Raudière, M. Emmanuel Maquet, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Hervé Pellois, M. Didier Quentin, M. Vincent Thiébaut
Excusés. – Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon, M. Anthony Cellier, M. Jean-Charles Larsonneur