La séance est ouverte à 18 heures.
Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente, puis de M. Frédéric Descrozaille, vice-président
La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Thomas Cazenave, directeur interministériel de la transformation publique.
Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir M. Thomas Cazenave, directeur interministériel de la transformation publique, pour la première audition de notre mission d'information sur la concrétisation des lois. Monsieur Cazenave, vous êtes accompagné par votre directeur de cabinet, M. Jérôme d'Harcourt.
Nous avons décidé de commencer nos travaux par une série d'auditions afin de mieux comprendre la vie de la loi après sa promulgation et sa publication au Journal officiel, autrement dit lorsque le pouvoir législatif – que nous incarnons – confie la loi qu'il a votée aux bons soins du pouvoir exécutif, pour que celui-ci prenne les mesures réglementaires nécessaires pour la mettre en oeuvre sur le terrain. Nous avons souhaité vous entendre car la direction interministérielle, dont vous avez la responsabilité, est chargée du suivi des réformes – et donc des lois qui en posent les fondements – et de l'accompagnement des administrations dans l'application de ces réformes.
Je précise que cette audition est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Elle fera également l'objet d'un compte rendu.
Quelques propos liminaires, pour ensuite rentrer dans le vif du sujet et des questions qui m'ont été adressées dans la perspective de cette audition. La question de la concrétisation et de l'exécution des lois est un des enjeux que nous portons à la direction interministérielle de la transformation publique. La question de l'exécution, c'est l'enjeu de la mise en oeuvre concrète de nos réformes, vue par celles et ceux qui doivent en bénéficier, c'est-à-dire les usagers du service public, les citoyens et les entreprises.
Ce sujet n'est pas nouveau, mais il a pris une dimension toute particulière depuis quelques mois, dans la mesure où on a constaté une tension très forte, résultat d'une forme d'impatience dans la mise en oeuvre concrète des réformes et dans sa traduction dans le quotidien des Français. Mais cette impatience existe aussi en interne. Nous sommes dans une situation où les usagers, les bénéficiaires de nos politiques publiques et les agents publics attendent que nous mettions en oeuvre plus rapidement nos réformes, et que ces réformes produisent des résultats.
Par le passé, des efforts ont été réalisés en ce qui concerne le volet juridique de l'application des lois : les lois se traduisent plus rapidement par la prise de décrets et de textes réglementaires. Il s'agit désormais de dépasser le strict cadre juridique, c'est-à-dire de faire en sorte que nos projets, au-delà même des textes, se traduisent par des résultats palpables et mesurables dans le quotidien des Français. C'est l'enjeu de la transformation qui est devant nous.
En tant que délégué interministériel à la transformation publique, la feuille de route qui m'a été fixée par le Premier ministre, au-delà des sujets que nous allons évoquer, c'est la réalisation de la transformation interne de l'État. Elle doit nous permettre d'agir plus vite et plus efficacement. Elle renvoie à des sujets lourds d'organisation de l'administration centrale et d'organisation territoriale, et à des sujets de culture et de management interne, qui doivent nous permettre d'agir plus vite, puisque nous laissons plus de marge de manoeuvre aux agents et aux managers publics. C'est de cela dont il est question. Le constat est que nous avons aujourd'hui un mode de fonctionnement interne qui est mis en tension et au défi d'une concrétisation de nos engagements et de nos réformes. Il s'agit aussi de la manière dont nous travaillons. Comment avoir une organisation interne qui permette de donner plus de marge de manoeuvre et plus d'agilité à nos équipes ?
S'agissant du suivi de l'exécution des lois, nos responsabilités sont au moins doubles. La première est de s'assurer que les principales réformes soient mises en oeuvre plus rapidement et produisent des résultats. Les questions qui m'ont été adressées sont notamment relatives au dispositif que nous avons mis en oeuvre, ces derniers mois, pour suivre l'exécution des réformes.
Notre deuxième responsabilité est de nous interroger sur la manière dont nous accompagnons les administrations pour qu'elles soient plus performantes dans la mise en oeuvre de ces réformes. Parfois, elles ont besoin d'un accompagnement, d'expertise. Elles ont besoin d'aide pour bâtir et déployer plus rapidement les réformes, qu'elles portent, par exemple, sur l'intermédiation dans le versement des pensions alimentaires, le service public de l'insertion ou l'organisation du ministère de l'Économie et des finances. L'une de nos missions est de mettre à la disposition des ministères et des administrations de l'expertise et des spécialistes de la transformation, pour aller plus vite.
Je décris en quelques mots la manière dont nous suivons l'exécution des réformes : chaque ministre a bâti un plan de transformation ministérielle qui couvre l'ensemble des grandes réformes internes, c'est-à-dire propres à l'organisation de son administration, et externes, c'est-à-dire celles qu'il s'est engagé à mettre en oeuvre dans le quinquennat. Ces réformes font l'objet de notre côté d'un suivi régulier. C'est-à-dire que nous avons, pour chacune des réformes, fixé des objectifs chiffrés en termes de résultats du point de vue de l'usager et du citoyen. Ces plans de transformation ministérielle font l'objet de revues régulières avec les équipes de Matignon et de l'Élysée.
Il y a aussi un certain nombre de réformes identifiées comme particulièrement prioritaires, parce qu'ayant un impact significatif sur le quotidien des Français. Elles sont suivies de manière encore plus étroite : toutes les six semaines, le directeur de cabinet du ministre, le secrétaire général du ministère et le chef de projet se réunissent pour faire un point sur la mise en oeuvre de chacune.
C'est une innovation dans notre organisation : pour chacune des réformes, nous avons un chef de projet qui, toutes les six semaines, rend compte de l'avancée des réformes à Matignon, avec l'ensemble des équipes concernées. Puis, une fois par mois, nous nous réunissons autour du secrétaire général de la Présidence de la République afin d'examiner l'avancée des réformes ministérielles qui sont soit ces réformes prioritaires, soit des réformes faisant partie du plan de transformation ministériel sans impact direct sur le quotidien des Français, mais qui sont des réformes lourdes et importantes, et dont il convient de s'assurer de la bonne mise en oeuvre.
Pour faciliter le travail interministériel, nous avons essayé de changer la manière dont nous travaillons entre nous. Au lieu de documents Excel ou Word que nous nous échangions en permanence, nous disposons désormais d'une petite application qui, quoi qu'en dise la presse, n'évalue pas le travail des ministres, mais qui permet de s'assurer de la bonne exécution des réformes. Nous avons essayé de bâtir tout un dispositif qui doit nous permettre de nous assurer que les réformes se mettent en oeuvre en temps voulu, et avec les résultats attendus pour que nous puissions, en cas de besoin, prendre des mesures correctrices, ajuster ou renforcer certains moyens.
Nous avons pour cela le fonds de transformation de l'action publique. Il s'agit de 700 millions d'euros sur le quinquennat, destinés précisément à venir aider, renforcer et investir dans des réformes lorsque, pour aller plus vite, il est nécessaire de doter les administrations et les ministères de plus de moyens.
Il nous semblait utile aussi d'être plus transparents sur la bonne avancée des réformes. Lors du dernier comité interministériel de la transformation publique, présidé par le Premier ministre, nous avons rendu compte de l'avancée d'une quarantaine de réformes prioritaires sur le site www.gouvernement.fr, en répondant, pour chacune, aux questions suivantes : qu'est-ce que nous avons fait ? Quelles sont les prochaines étapes ? Quelles sont les premières avancées mesurables du point de vue des citoyens ? Nous avons un devoir de clarté envers les citoyens sur l'avancée de ces réformes sur lesquelles le Gouvernement s'est engagé.
Dans cet effort de transparence, une avancée me semble indispensable : depuis maintenant deux ans, nous avons progressivement rendu publics les résultats de nos grands services publics pour permettre aux citoyens d'en prendre connaissance. Il s'agit du taux de satisfaction et des délais de paiement de tous nos services publics, comme la caisse d'allocations familiales, le commissariat, ou l'agence Pôle emploi. Sur le site www.service-public.fr, tous les Français peuvent maintenant aller consulter les résultats de leurs services publics. Cela me semble très important, puisque c'est comme cela aussi que nous arriverons à développer la culture de l'impact et du résultat. Elle vient compléter une culture qui était très « juridique ».
C'est important que cette première audition se fasse avec vous, le responsable de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), parce que cela nous permet d'entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire de voir comment fonctionne la « tuyauterie » nécessaire à la bonne application des lois dans nos administrations et dans votre service, placé sous la double tutelle du Premier ministre et du ministre de l'Action et des comptes publics.
Le sujet des plans de transformation ministérielle est important. Pouvez-vous nous préciser la différence entre les plans de transformation ministérielle et ce que vous appelez « réformes » ? Est-ce que chaque plan de transformation ministérielle correspond à une réforme annoncée par le Gouvernement ? Et inversement, est-ce que chaque réforme se traduit par l'application d'un ou de plans de transformation ministérielle ?
L'objet de cette mission d'information est de s'assurer que ce qui est voté au Parlement, et donc la volonté du législateur, se retrouve exécuté, appliqué, et effectif pour les bénéficiaires concernés. Ce doit être notre obsession dans le cadre de cette mission d'information. Lorsque vous parlez de « plan de transformation ministérielle », pouvez-vous nous expliquer si vous vous concentrez plus sur la modernisation de l'État et la « transformation publique », au sens administratif, ou s'il s'agit aussi de s'assurer que les réformes « arrivent à bon port » ?
Deuxième question : vous avez parlé de culture de l'impact et du résultat. Après deux années et demie en exercice à la DITP, avez-vous observé des progrès notables auprès des agents publics ? Qui doit progresser dans cette notion de culture de l'impact et du résultat ? Si cela bloque dans un ministère, lequel et pourquoi ? À partir de cas concrets que vous avez pu analyser et suivre de près, pouvez-vous nous dépeindre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ?
La feuille de route de chaque ministre prend la forme d'un plan de transformation ministérielle. Dans les plans de transformation ministérielle, il n'y a pas que les sujets de transformation interne. C'est vraiment la feuille de route globale. En 2018, à l'occasion d'un Conseil interministériel de la transformation publique (CITP), le Premier ministre avait souhaité, dans un document public, rappeler l'ensemble des réformes et des projets de réforme interne attendus de la part des ministres. Le plan de transformation ministérielle est la version la plus large. Nous avons une centaine de réformes à l'intérieur de ces plans de transformation ministérielle.
À l'intérieur de ces plans, une attention toute particulière est donnée à quelques réformes (une soixantaine) que nous avons appelées en interne les « objets de la vie quotidienne », c'est-à-dire des réformes très attendues, avec un fort impact pour les citoyens. Cela peut être le remplacement des enseignants absents, le dédoublement des classes en CP, le droit à l'erreur dans les administrations. Elles ont une vraie portée du point de vue des citoyens, des usagers et des entreprises.
Cette soixantaine de réformes sont intégrées dans un périmètre plus large qui sont les plans de transformation ministérielle. Nous devons prêter une attention très grande à ces réformes, mais les autres sont importantes également puisqu'elles renvoient, par exemple, à la transformation de l'Office national des forêts, ou à la fusion des réseaux de recouvrement. Ce sont des sujets internes qui n'ont pas toujours un impact direct mesurable du point de vue des citoyens, mais qui sont indispensables pour améliorer l'efficacité et l'efficience de l'action publique. Il y a un périmètre large – les plans de transformation ministérielle –, avec à l'intérieur des réformes suivies de manière beaucoup plus rapprochée. C'est la soixantaine de réformes évoquées.
La question de la culture de l'impact et du résultat est le domaine sur lequel nous avons beaucoup travaillé ces deux dernières années. Des efforts ont déjà été faits pour la bonne application des lois, au sens où nous nous assurons que les décrets sont pris en temps et en heure. Il y a des tableaux réguliers de suivi des textes réglementaires et le Secrétariat général du Gouvernement s'assure que tous les textes sont bien pris. Ce travail est bien fait et il y a eu un vrai progrès en la matière ces dernières années. Il faut désormais ancrer dans la culture interne le fait qu'une fois qu'une loi est en vigueur, avec les textes réglementaires qui l'accompagnent, il reste encore beaucoup à faire pour que les réformes se traduisent concrètement.
Je prendrai également l'exemple du « droit à l'erreur » dont j'assure le déploiement en interministériel. Est-ce que cela a progressé ? Oui, avec deux dimensions. La première, qui semble anodine et qui a constitué un vrai changement dans l'organisation interne du fonctionnement de l'État, c'est de s'assurer que pour chacune de nos réformes, nous ayons bien un chef de projet. Ça n'a l'air de rien, surtout quand on a une expérience dans le secteur privé, dans le secteur associatif ou ailleurs. Mais le fait que nous soyons organisés de cette manière n'est pas classique dans l'administration. Nous avons souhaité qu'il y ait une plus grande responsabilisation interne de l'administration, avec des chefs de projet entièrement dédiés à la bonne exécution de la réforme, indépendamment de l'organisation des ministères en sous-directions et bureaux.
Puis-je vous interrompre à ce sujet ? Le chef de projet dédié à l'exécution d'une réforme a-t-il également porté le texte avant et pendant son examen au Parlement ?
Non, nous nous situons ici plus en aval, pas dans la construction du texte ou l'élaboration du projet de loi.
Mais je me permets d'intervenir à ce sujet, parce qu'il y a un lien évident entre la façon dont un projet a été conçu et la façon dont il va s'appliquer ensuite sur le territoire. Votre mission est certes de veiller à l'exécution, mais nous ne pouvons pas couper le lien avec ce qui précède. Lorsque vous dites que les décrets et toute la partie réglementaire ne posent pas de problème, il faut tout de même s'assurer, avant l'exécution, que toute cette partie est bien réalisée. Je ne fais pas de polémique. Nous avons rencontré ce problème sous le précédent quinquennat. Ce n'est pas si simple car même lorsque le décret a été pris, il faut s'assurer qu'il ne soit pas contra legem. Et c'est plus fréquent qu'on ne le croit. Je voulais m'assurer que lorsque vous parlez d'exécution, la question de la partie réglementaire a bien été purgée de tout problème qui pourrait être constaté.
Elle est soit purgée, soit intégrée dans le projet en tant que tel. Si ce n'est pas déjà fait, le chef de projet sera aussi responsable de la rapide publication des textes réglementaires.
Deuxième dimension : désormais, tous les projets de loi sont assortis de quatre ou cinq indicateurs d'impact, qui sont discutés en Conseil des ministres lors de la présentation du projet de loi. Il est en effet essentiel de se demander dès le début comment on pourra mesurer que l'on a réussi.
Cette culture du résultat se retrouve dans chacun des projets. Nous avons demandé aux administrations de s'engager sur des objectifs de résultats. Par exemple, s'agissant de l'augmentation du taux de remplacement des absences des enseignants dans le premier et le second degrés, nous demandons aux administrations d'aller plus loin qu'une obligation de moyens, en s'engageant sur des chiffres pour la période 2020-2021-2022. Dans les réunions régulières que nous tenons, nous regardons la bonne avancée de la réforme sous cet angle. C'est une innovation.
Dernier élément en date : les ministres eux-mêmes se sont renforcés sur le volet « exécution », grâce à la nomination, dans chacun des cabinets, d'un conseiller chargé de l'exécution des réformes. C'est un élément important. Nous sommes en train de changer notre organisation interne, en installant une culture de l'impact et du résultat. Nous sommes en train de revoir toute l'organisation de l'État et des administrations centrales. Cet été, un décret est paru, permettant aux administrations centrales de s'organiser de manière beaucoup plus libre. Nous avons notamment demandé aux administrations centrales d'oublier la notion de « bureau » pour privilégier une organisation en mode « projet », avec des chefs de projet, afin de redonner de la liberté et de sortir des modèles et des organisations administratives figées qui nous privent parfois de cette agilité, parce qu'il y a trop de niveaux hiérarchiques et pas assez de responsabilisation. Toutes les administrations et tous les ministères sont donc en train de revoir leur organisation interne. Au 1er janvier 2020, nous aurons revu toute l'organisation de l'État, toujours dans cet objectif de développer une culture de l'impact et de la responsabilisation interne à l'État.
Ces conseillers chargés de l'exécution deviennent les onzièmes conseillers de chaque cabinet ministériel. C'est une mesure qui fait écho à notre demande de créer une sorte de delivery unit. Nommer un conseiller dédié à ce suivi par cabinet est une manière de le faire. Comment est-ce que cela va s'articuler avec ce que prévoyait la circulaire du 29 février 2008, à savoir la création d'une structure spécifique, responsable de l'application des lois dans chaque ministère ? Est-ce que ce conseiller ministériel a pour fonction de piloter et a autorité sur cette structure ? Est-ce que les structures mises en place dans les administrations, depuis la circulaire de 2008, sont en place et fonctionnent ? Qu'est-ce qui va vraiment changer dans les faits et dans l'efficacité de l'application des lois à partir de 2020 ? Pourriez-vous nous donner des exemples concrets ?
La circulaire de 2008 illustre bien l'exigence autour de la bonne application des lois, entendue comme la bonne prise des textes réglementaires nécessaires à la mise en oeuvre des lois. Cela a été construit ainsi : il fallait s'assurer, au niveau des secrétariats généraux de chacun des ministères, qu'il y ait un interlocuteur du Secrétariat général du Gouvernement et que les décrets étaient pris dans les délais.
Mais prendre un décret ne garantit absolument pas la réussite de la transformation du service public et de la politique publique. Vous pouvez avoir des décrets qui ne sont pas mis en oeuvre ou qui soulèvent des difficultés d'application. Aujourd'hui, nous sommes en train d'aller au-delà de cette vision un peu étroite et restrictive de la bonne application des lois contenue dans la circulaire de 2008. Les conseillers chargés de l'exécution sont là pour piloter la bonne exécution de l'ensemble des réformes qui relèvent du périmètre du ministre. Certains ministères ont créé en leur sein des petites delivery units. Le ministère de la Transition écologique est maintenant doté de ce dispositif qui doit être un relais, au sein de l'ensemble des administrations, pour que les réformes se mettent en oeuvre.
Les réunions que nous tenons maintenant à Matignon autour des résultats et de l'impact constituent un vrai changement. Il s'agit de systématiser la revue des projets autour de leur impact concret, du point de vue des citoyens et des bénéficiaires finaux. Nous sommes vraiment en train de changer ces pratiques, ce mode de faire et cette organisation, parce que nous avons bien perçu à quel point l'exigence d'une action plus rapide de la puissance publique se manifestait en externe et en interne.
J'ai deux questions afin d'avoir des éléments un peu plus concrets sur la manière dont ont été conçus les process de plans de transformation. On imagine que des instructions ont été données aux ministres, que les plans ont été conçus et qu'ensuite leur mise en oeuvre est évaluée. En prenant un exemple, pourriez-vous nous éclairer sur cela et sur les « objets de la vie quotidienne » ou les réformes plutôt externes qui font l'objet d'un suivi un peu plus précis ? Qui décide, et selon quels critères, que tel sujet fait l'objet de ce suivi ? Comment est-ce que ce suivi est organisé ?
Est-ce que les deux initiatives que sont les plans de transformation et les « objets de la vie quotidienne » relèvent de l'expérimentation pure ou est-ce que ces pratiques ont vocation à être pérennisées comme nouveaux modes de travail des administrations concernées ?
Le Premier ministre a adressé aux ministres début octobre une circulaire sur l'exécution. Elle recense la soixantaine de réformes sur lesquelles il souhaite que nous ayons un suivi beaucoup plus attentif. Ce sont ces réformes que nous revoyons maintenant toutes les six semaines, avec les équipes de Matignon et du Secrétariat général du Gouvernement pour s'assurer de leur bonne exécution. Le Premier ministre a choisi, dans l'ensemble des réformes portées par les ministres, celles pour lesquelles des résultats concrets et mesurables sont plus particulièrement attendus.
Très concrètement, nous passons en revue les documents pour voir où nous en sommes : par exemple sur le déploiement du programme « Devoirs faits », quel est le pourcentage de collégiens aujourd'hui éligibles au dispositif, quelle est la couverture territoriale du dispositif et où nous en sommes par rapport aux objectifs qu'on s'est fixés à l'échéance de 2022. Nous suivons l'avancée du dispositif.
Parmi nos responsabilités, nous revoyons aussi tous les trois mois la bonne avancée des plans de transformation ministérielle. Ce suivi n'a donc pas avec la même fréquence, parce que nous avons décidé de le différencier. Il fallait vraiment que nous soyons beaucoup plus présents et exigeants dans la mise en oeuvre de cette soixantaine de réformes. À l'occasion de ces réunions, nous nous rendons parfois compte qu'il est nécessaire de corriger, d'amender, d'aider, voire de mobiliser le fonds de transformation de l'action publique, pour aller plus vite.
Je remplace la présidente qui a une obligation. Je voudrais poser une question à propos des chefs de projet. C'est une notion particulièrement centrale dans tout ce que vous évoquez. Quelle autorité ont-ils exactement ?
Par exemple, j'ai été en contact avec un haut fonctionnaire qui venait du terrain, qui était un opérationnel au départ, et qui a été désigné chef de projet en administration centrale. Il a été missionné pour proposer une refonte, en l'occurrence des achats des établissements publics qui étaient dans le périmètre de son ministère. Le récit du début de sa mission était édifiant : cet homme a eu le réflexe d'être dans une conduite de changement, c'est-à-dire de commencer par se déplacer et provoquer des réunions sur le terrain avec les acheteurs. Il lui a été contesté, par la hiérarchie de l'administration centrale, le remboursement de ses frais de déplacement. On lui a dit : « Vous n'avez qu'à envoyer des questionnaires, puis vous ferez une circulaire ». C'est un témoignage direct. Il a fallu beaucoup de conviction et de détermination de la part de cet acteur – ils étaient en fait deux – pour conduire cette action. Un chef de projet, où que ce soit, qui n'a pas une autorité transverse et qui se heurte à une certaine culture managériale très verticale, ne va pas pouvoir faire grand-chose, ou cela dépendra uniquement de sa force de conviction et de sa personnalité. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce rôle des chefs de projet et sur l'autorité qu'ils ont ?
L'organisation est très variable d'un ministère à l'autre. La seule exigence que nous avons et que nous mettons en oeuvre, c'est que les réunions au plus haut niveau se passent maintenant systématiquement avec le chef de projet désigné, qui rapporte, qui explique et qui partage ses difficultés sans filtre. Lorsqu'il y a un arbitrage à rendre, il doit repartir avec la décision pour la présenter à toute sa hiérarchie, ce qui permet d'adapter l'organisation en tant que de besoin. Les chefs de projet sont soit dans des équipes intégrées, soit en coordination fonctionnelle. Il n'y a pas un modèle unique.
En revanche, nous sommes exigeants sur le fait que c'est le chef de projet qui porte et qui rapporte, même si sa hiérarchie assiste à la réunion. C'est lui qui présente ce qui avance ou non, et explique pourquoi. C'est comme cela que nous avons bâti le dispositif, même s'il peut y avoir des différences parce qu'il faut laisser de la souplesse en fonction des administrations concernées. Mais tous les chefs de projet, notamment des réformes que je vous ai citées, viennent aux réunions à l'Élysée et à Matignon.
Merci pour votre témoignage qui, en même temps, m'affole un peu. Je viens du secteur privé et j'ai travaillé dans une société de services en ingénierie informatique. J'ai assuré des missions, notamment de direction de projet. C'est rassurant de voir que l'administration s'y met, mais avec 20 ans de retard.
Je me réjouis de ce que vous dites, mais quelle est la pérennité d'une telle structure ? Est-ce quelque chose qui est figé aujourd'hui dans l'administration ? Est-ce que c'est bien identifié ? Est-ce que c'est bien calibré ? La problématique de ce genre de structures est de pouvoir pérenniser à la fois la méthode, mais aussi les personnes.
Vous parlez de « chef de projet ». Lorsque nous faisions des projets sur plusieurs années dans l'informatique, nous avions notamment ce qu'on appelait des « Copil », des comités de pilotage, que nous pourrions assimiler aux réunions que vous faites à Matignon. Nous avions des comités de suivi opérationnel. Et surtout, nous avions tout un ensemble d'outils qui nous permettait d'identifier le bon suivi, à partir d'un certain nombre de critères, et de pouvoir anticiper les risques, notamment de dérapage.
Est-ce que cette culture d'anticipation des risques est bien identifiée ? Sommes-nous encore aujourd'hui dans une démarche empirique du type : « J'applique, j'identifie les problèmes et les risques, je les fais remonter et je m'adapte au fur et à mesure » ? C'est une méthode agile où on est en itération constante. Ou est-ce qu'il y a une anticipation des risques en amont, que ce soit au niveau du citoyen et de la citoyenne, mais aussi au niveau des risques qui peuvent apparaître dans l'accompagnement des administrations et de la mise en oeuvre ? Ce genre de réformes est comme tout projet informatique : 80 % des échecs sont purement humains. Comment avez-vous anticipé cela ? Et quels sont les indicateurs que vous avez pu mettre en place ?
Deuxième question : êtes-vous en train de mettre en place un système pérenne et qui sera bien ancré dans la culture de nos administrations ?
Je faisais tout à l'heure le parallèle avec la façon dont l'État s'est organisé pour s'assurer de la bonne mise en oeuvre des lois sous l'angle « prise de textes ». Sous l'angle juridique, objectivement, le travail a été fait. C'est une mécanique qui fonctionne bien.
Nous sommes en train de compléter le dispositif en transformant un peu la manière dont nous suivons la bonne mise en oeuvre des réformes. Il faut que nous quittions le champ purement juridique et que nous soyons sur le champ opérationnel de l'impact des résultats. C'est une construction sur laquelle nous travaillons depuis maintenant plus d'un an et demi, voire deux ans. Nous sommes en train d'inscrire le suivi de la bonne exécution des réformes dans l'ADN de notre organisation. Nous travaillons sur une forme de pérennisation.
C'est la raison pour laquelle nous sommes en train de revoir toutes les organisations de toutes les administrations centrales, ce qui constitue un travail très important. Ce n'est pas uniquement de manière très ponctuelle et très conjoncturelle, afin de mettre en oeuvre un dispositif. Nous voulons revoir le nombre de niveaux hiérarchiques, afin d'avoir des organisations plus plates, avec des chefferies de projet en marge de la hiérarchie. Certaines administrations sont d'ores et déjà engagées dans un profond changement. Notre objectif est qu'en janvier 2020, nous ayons revu toutes les organisations. Il ne s'agit pas d'un aménagement conjoncturel pour répondre à une exigence ponctuelle d'aller plus vite, mais bien de transformer durablement les administrations.
Mais il faut aussi transformer les pratiques, le management et la culture, et pour cela former différemment. Nous avons ouvert le campus de la transformation publique dans cette perspective. C'est un travail d'ampleur que nous devons mener. La fin de l'histoire n'existe pas pour la réforme de l'État. Néanmoins, c'est une étape importante que nous sommes en train de franchir.
Quant à l'anticipation des risques, nous l'avons mise en place et c'est nouveau. Nous nous assurons que les chefs de projet, lorsqu'ils viennent à ces réunions régulières, exposent de manière transparente les difficultés auxquelles ils font face. C'est pour cela que nous les faisons venir, car ce sont eux qui sont en charge et qui doivent interpeller la hiérarchie et les plus hautes autorités à propos des difficultés qu'ils rencontrent. À la différence de l'organisation précédente, nous essayons de mettre en place un principe de responsabilité. Cela crée aussi une incitation et une plus grande transparence, parce que la responsabilité n'est plus diluée entre plusieurs structures administratives, sous-directions ou bureaux.
Par exemple, s'agissant de la rénovation thermique des bâtiments, nous avons maintenant, conjointement entre le ministère de la Transition écologique et le ministère du Logement, une personne qui vient aux réunions et qui porte la responsabilité d'ensemble. C'est le sens de notre engagement : nous travaillons pour une transformation durable aussi des modes de faire. Nous voyons bien que nous avons du retard dans notre mode de fonctionnement. Néanmoins, nous nous y attelons et nous oeuvrons à une transformation en profondeur. C'est pour cela que c'est long et difficile.
J'ai une remarque à propos de la réforme de structure des administrations centrales. Elle me rappelle la circulaire du Premier ministre de juin 2019 qui allait déjà dans ce sens. Je viens de l'administration centrale et ce qui m'est remonté en termes de freins, c'est que nous aurons du mal à changer les structures tant que les fonctionnaires seront évalués et auront une progression de carrière pyramidale. Il faut aussi que nous changions cet aspect. Vous n'aurez pas de volontaires pour devenir chefs de projet, tant que l'agent sera évalué sur le nombre de collaborateurs qu'il dirige, par exemple. Il faut que cela change aussi.
J'ai une question qui est en fait d'actualité. Une application a beaucoup fait parler ces derniers temps : c'est celle dont disposerait le Président de la République pour surveiller l'application des réformes. Est-ce que la direction interministérielle de la transformation publique a fourni et fabriqué cet outil ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Vous soulevez un point fondamental sur l'organisation pyramidale et comment nous pouvons inciter à devenir chef de projet ou directeur de projet. Nous avons touché du doigt cette difficulté de manière très concrète dans l'une des administrations dont nous avons accompagné la transformation. Nous avons bâti une organisation où il n'y a plus de chefs de bureau. Les fonctionnaires nous ont dit : « Je veux bien demain devenir chef de projet. Mais « chef de bureau » est une position statutaire. Et pour devenir sous-directeur, il faut avoir été chef de bureau ».
Je comprends ces réflexes. Nous avons travaillé avec la direction générale des finances publiques (DGFP) et la direction des ressources humaines (DRH) du ministère pour que demain, les fonctions du directeur de projet, qui n'est pas toujours dans une position managériale, soient valorisées sur le plan du développement de la carrière et du parcours. À mesure que nous travaillons à la transformation interne des administrations, nous nous heurtons à des réticences de ce type et nous y apportons des réponses. C'est la raison pour laquelle ce n'est pas uniquement la structure que nous voulons transformer. Nous modifions la culture, la formation et la gestion des ressources humaines associées. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons pour rendre les fonctions de « directeur de projet » et « chef de projet » attractives. Elles doivent s'inscrire dans un parcours de carrière.
L'application en question, effectivement, c'est nous qui l'avons développée. C'est une application de suivi de la bonne exécution des réformes. Il ne s'agit ni d'une application secrète, ni d'une application qui vise à évaluer les ministres. Il s'agit d'une application qui recense, par ministère, l'ensemble des réformes sur lesquelles il s'est engagé, les résultats attendus et le taux d'avancement des réformes. C'est une application ouverte naturellement aux membres du Gouvernement, à leurs équipes et aux chefs de projet. Ces derniers renseignent l'application et indiquent aussi les difficultés qu'ils rencontrent.
Nous avons souhaité développer un tel outil pour permettre un fonctionnement ministériel et interministériel plus fluide. Il simplifie également le travail, parce que les dispositifs de reporting sont parfois très lourds si nous multiplions les documents Excel et les échanges de notes. Nous avons privilégié une approche un peu différente.
J'ai une question relative à la transformation de l'action publique dans le cadre de la différenciation et de la déconcentration. Si j'ai bien compris, les chefs de projet sont dans une administration centrale. Ils témoignent de la transformation de l'administration centrale. Si nous sommes dans la logique voulue par le Président, le Premier ministre et par l'ensemble des députés de cet hémicycle, toutes tendances politiques confondues, il faut aussi aller, à travers la réforme constitutionnelle, vers plus de différenciation et de déconcentration. Comment anticipez-vous cela par rapport à l'organisation des administrations et au rôle des chefs de projet ?
Il peut être pertinent de répartir certaines compétences entre des niveaux différents, selon que l'on est en Bretagne ou en Île-de-France. Comment intégrez-vous cela dans votre réflexion ? Êtes-vous en capacité d'avoir, pour l'application des lois et la mise en oeuvre de politiques publiques, un chef de projet sur le terrain en région, afin de les adapter aux différences de situation ?
Les chefs de projet portent en effet des engagements nationaux. Ce sont de grandes réformes qui ont vocation à s'appliquer partout et qui sont portées par des ministres. Il n'est donc pas anormal qu'ils soient à proximité des ministres concernés. Le point que vous soulevez est un point sur lequel nous travaillons et sur lequel nous sentons bien qu'il est indispensable d'avancer : c'est comment avoir une administration moins centralisée. Ce n'est pas qu'une question de principe. Si nous voulons retrouver de l'agilité, agir plus vite, personnaliser le service et l'adapter aux différences territoriales, il faut que nos cadres sur le terrain et nos agents publics aient des marges de manoeuvre pour adapter le service. Mais aujourd'hui, nous avons une organisation trop centralisée et uniformisatrice par la production de textes et la centralisation du pouvoir.
Nous avons engagé un mouvement de déconcentration, et c'est un travail long. Lors du dernier comité interministériel, le Premier ministre a souhaité que 95 % des décisions individuelles ne soient plus prises en administration centrale. Les premiers niveaux, c'est-à-dire les équipes des services de l'État, doivent être au plus près du terrain et des préoccupations des entreprises et des citoyens. Ils doivent être en situation de décider, ce qui, aujourd'hui, n'est pas assez le cas. Il est très rare de rencontrer un cadre qui peut prendre, seul, la responsabilité et le risque d'une décision, sans remonter à l'administration centrale. Nous perdons donc du temps et nous renvoyons l'image d'une administration lente. La première attente des usagers du service public, dans tous les baromètres, avant même la proximité, c'est la rapidité. Et comment voulez-vous être rapide si vous avez une organisation centralisée ? Y remédier est une exigence d'efficacité.
Premier élément de déconcentration : nous avons déconcentré les décisions individuelles. Nous nous sommes engagés aussi dans un processus de déconcentration de la gestion des ressources humaines, c'est-à-dire que les managers locaux doivent avoir plus de marge de manoeuvre dans la mobilité des agents. Et nous avons engagé une déconcentration budgétaire. La réforme de l'organisation territoriale de l'État, lancée par le Premier ministre il y a plus d'un an, prévoit que les préfets de région peuvent retenir des modes d'organisation qui ne seront pas uniformes sur le territoire. Nous leur laissons la possibilité d'adapter leur organisation. Bref, nous essayons de laisser beaucoup plus de souplesse et de marge de manoeuvre, parce que nous avons la conviction qu'une organisation trop centralisée met en échec, d'une certaine manière, l'action publique.
Et dernier élément, lors du dernier comité interministériel, le Premier ministre a souhaité que nous nous engagions aussi dans un mouvement de délocalisation des services. Il faut que des services des administrations centrales, qui sont aujourd'hui à Paris ou en région parisienne, puissent rejoindre des territoires. Tout cela doit nous permettre d'avoir demain une administration plus efficace, agile et déconcentrée.
Un point dans votre réflexion est essentiel, car c'est une réalité : c'est la question de l'emploi dans la mise en oeuvre du « Pacte productif » et ensuite de sa déclinaison « Tous pour l'emploi » d'ici 2022. Le préfet de région est l'interlocuteur principal. Mais il ne faut pas négliger le préfet de département, qui est aussi un interlocuteur privilégié dans l'unité administrative que nous connaissons en tant que parlementaires, et le sous-préfet que nous avons oublié ces dernières années, parce qu'il n'a plus un rôle très important dans les métropoles.
Mais dans la mise en oeuvre d'une politique d'emploi adaptée, le sous-préfet est important. C'est lui qui est en contact direct avec les Commissions territoriales emploi-formation (CTEF) et avec Pôle emploi. Il peut aussi avoir la capacité de prendre des décisions individuelles permettant de mieux mettre en oeuvre une politique publique. Il ne faut pas oublier les sous-préfectures dans l'organisation, la déconcentration et la volonté de donner de l'autonomie, des pouvoirs, des prérogatives et une capacité d'agir. Dans un certain nombre de territoires, le préfet de région est aussi préfet de son département. En Bretagne, il est aussi préfet d'Ille-et-Vilaine et donc, par nature, il a tendance à s'intéresser d'abord à ce département. Dans un village, vous allez voir d'abord le sous-préfet, ensuite le préfet et, en dernier lieu, le préfet de région.
Sur la réforme de l'organisation territoriale, l'objectif et l'orientation du Gouvernement ont toujours été très clairs : il faut renforcer le niveau départemental. Ces dernières années, nous avons beaucoup trop régionalisé nos moyens, y compris en termes d'effectifs. L'objectif que nous sommes en train de mettre en oeuvre, c'est un renforcement du niveau départemental. Il s'appuiera, naturellement, sur le sous-préfet dans la déclinaison des politiques publiques.
Tout ce que vous nous dites est une bonne nouvelle. Le Parlement se saisit de plus en plus de cette mission d'évaluation et de contrôle qui, pendant trop longtemps, n'a pas constitué sa priorité. La culture de l'administration centrale ne le poussait pas à aller jusqu'au bout pour mesurer le résultat, au-delà de l'achèvement du processus législatif et réglementaire. Mais est-ce que cela marche, ou pas ? Quels sont les indicateurs d'impact que nous allons choisir pour mesurer l'efficacité de la loi votée ?
Ma question est en rapport avec cette transformation du travail et de la culture : quelles compétences avez-vous intégrées ou développées, notamment pour renforcer l'évaluation ? L'évaluation est un exercice qui nécessite une expertise. Lorsque nous voulons évaluer quelque chose, il est souvent préférable que ce soit fait par un oeil extérieur qui ne connaît pas les enjeux de la personne qui porte la réforme, de façon à ce qu'il n'y ait pas de « conflits d'intérêts ». Quels sont les appuis externes sur lesquels les administrations peuvent compter dans ce domaine ?
Vous avez parlé des 60 projets ou priorités retenus par le Premier ministre. Comment ces choix ont-ils été faits ? Et qu'est-ce qui est prévu pour en rendre compte au Parlement ? Le Parlement est là justement pour vérifier que l'action du Gouvernement porte bien ses fruits.
Il n'est même pas encore question d'évaluation dans ce que nous essayons de mettre en oeuvre. À ce stade, la question est : comment, dans la manière dont nous conduisons nos projets, sommes-nous mus par un seul objectif, celui du résultat final ? Comment pouvons-nous développer la culture du résultat dans nos équipes et nos pratiques professionnelles, avant même de parler de l'évaluation ?
Par exemple au sujet de la loi ESSOC qui pose le principe du « droit à l'erreur », nous pourrions dire que la loi a été votée en août 2018, que les textes ont été pris et donc que c'est fait. Mais comment mesurons-nous la réussite du « droit à l'erreur » ? Est-ce parce que nous avons installé la médiation, ou parce que nous avons pris l'ensemble des textes ? Non, ce n'est pas le bon thermomètre. Le bon thermomètre, c'est : est-ce que la confiance des usagers du service public dans l'administration a progressé ? C'est la première étape. Et travailler de cette façon avec les administrations, c'est déjà un changement.
La question n'est pas : « Avez-vous bien pris tous les textes ? », ou « Avez-vous revu vos circulaires ? ». Il s'agit de : « Avez-vous mesuré la confiance ? » et « Mesurez-vous tout ce que vous disent les usagers ? ». Je ne suis pas dans l'évaluation d'impact. Je suis seulement dans la mesure des résultats. Le premier élément est donc le suivant : est-ce que tous les services publics sont en situation de mesurer leurs résultats ?
Depuis deux ans maintenant – et c'était dans le programme du Président de la République –, tous les services publics doivent mesurer leurs résultats, les afficher, les publier et les rendre transparents. Pour réaliser cette transformation, nous pouvons nous appuyer sur des prestataires extérieurs lorsqu'il est question d'études quantitatives ou qualitatives, que ce soient des sondeurs ou des équipes de consultants extérieurs. Nous allons chercher de quoi armer notre dispositif d'évaluation. Mais au-delà de ça, il faut que nous changions notre boussole collective. Tout ce que nous faisons au quotidien a pour seul objectif l'amélioration de la rapidité du traitement et de la satisfaction des allocataires de la CAF ou de Pôle emploi, ou de la rapidité de traitement des plaintes dans un commissariat. Et je ne parle pas de l'évaluation, deux ans après, de l'impact de la politique publique. Le résultat doit devenir une boussole collective. Pour ce faire, il faut de la formation et l'appui extérieur de consultants qui peuvent nous aider aussi.
Au sujet des parlementaires, le Premier ministre a rappelé dans sa circulaire la nécessité que les ministres s'en entourent pour suivre l'avancée de leurs grandes réformes. Les ministres doivent s'assurer de la bonne exécution des réformes. L'association avec les parlementaires est déjà prévue dans le dispositif, et elle sera assurée par chacun des ministères à sa manière.
Étant donné que c'est la première audition, il est important de repréciser quel est le périmètre de cette mission d'information. La complémentarité avec l'évaluation, autant ex ante et ex post, est évidente. Mais pour que cette mission soit utile et que nous puissions en dégager une substance efficace pour aller vérifier la bonne application des lois, il faut que nous nous restreignions à réfléchir à l'application des lois, à partir de leur promulgation jusqu'à leur mise en oeuvre par les fonctionnaires de guichet auxquels l'usager s'adresse. Nous devons regarder ce circuit. C'est ce processus administratif qu'il faut essayer de mieux comprendre. Il faut regarder où sont les « noeuds », dans tout ce processus, pourquoi il y en a, et comment ils peuvent être dénoués. C'est notre mission pour les prochaines semaines.
Lors de ces auditions, il faut essayer de comprendre pourquoi ce qui est voté au Parlement n'est pas rapidement rendu effectif. C'est complémentaire avec ce que vous disiez, monsieur le directeur, à propos de cette volonté d'être focalisé sur l'usager. Tout cela va dans le bon sens.
Nous vous réentendrons certainement parce que votre fonction est centrale dans nos travaux. Pouvez-vous nous faire parvenir la liste de ces « noeuds », ces points de blocage administratifs qui gênent l'application des lois ? Cela nous aiderait beaucoup. Pourriez-vous nous faire parvenir la liste des « objets de la vie quotidienne », sur lesquels vous travaillez, pour que nous puissions nous intéresser à certains d'entre eux en particulier ? Et si vous avez connaissance de bonnes pratiques étrangères dans le domaine de l'application des lois, pouvez-vous nous les signaler ?
Pouvez-vous nous préciser la liste des « noeuds » et quelles sont aussi les conditions de réussite ? Quels sont les facteurs de succès dans la conduite de votre mission ?
Je vous transmettrai tous ces éléments, y compris la liste des « noeuds ». J'espère qu'elle ne sera pas trop longue !
Lorsque nous avons des difficultés de mise en oeuvre – et nous en avons –, cela traduit souvent le fait que les agents en charge de leur mise en oeuvre n'ont pas toujours été suffisamment associés en amont. Lorsque les agents découvrent un dispositif, y compris mis en place par la loi et le décret, il ne faut pas s'étonner qu'il nous faille plusieurs mois pour faire comprendre son sens et pour le décliner dans les pratiques professionnelles. Lorsque nous arrivons avec un projet, avons-nous suffisamment associé celles et ceux qui vont devoir le conduire ? Un texte, ce n'est rien s'il ne se traduit pas dans la réalité des pratiques. C'est le premier « noeud ».
Le deuxième élément concerne les usagers du service public. Il faut s'assurer qu'à chaque fois que nous bâtissons un dispositif, nous ayons consulté des groupes d'utilisateurs, en ayant bien compris quels étaient les besoins finaux, de telle sorte que lorsque le dispositif arrive, son appropriation soit facile parce qu'il répond à un besoin. Nous avons commencé à tester cette façon de faire autour du service public de l'insertion et de l'intermédiation sur les pensions alimentaires, où nous construisons avec les bénéficiaires finaux et celles et ceux qui vont avoir la charge de les mettre en oeuvre. On gagne énormément de temps quand on travaille ainsi.
Les difficultés les plus fortes que nous rencontrons, c'est lorsqu'un texte, une évolution ou une décision arrive soudainement. Mais cela ne veut pas dire qu'on ne va pas la mettre en oeuvre. Cela veut dire qu'il va falloir plus de temps, parce qu'il va falloir faire tout le chemin que nous aurions pu anticiper en associant les agents publics en amont. Il y a d'autres « noeuds », mais la question de la bonne association des agents publics me semble cruciale. Lorsque nous établissons des baromètres, nous essayons de comprendre leurs difficultés, et ils ne partagent pas toujours l'objectif de ce que nous voulons faire. Pourquoi ? Parce qu'ils ne se sentent pas associés aux réformes. Il faut faire cet effort en amont. Nous perdrons un peu de temps en amont, mais nous gagnerons beaucoup de temps dans la mise en oeuvre, parce que nous aurons suffisamment de relais et nous aurons anticipé les difficultés que parfois, dans l'écriture d'un texte, nous n'avons pas suffisamment en tête.
Nous vous solliciterons certainement après avoir avancé dans nos travaux, parce que vous avez des responsabilités, des prérogatives et un poste d'observation extrêmement privilégiés.
La séance est levée à 19 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Hervé Berville, M. Yves Daniel, M. Frédéric Descrozaille, Mme Paula Forteza, M. Fabien Gouttefarde, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Vincent Thiébaut, Mme Cécile Untermaier, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Charles de la Verpillière