Mercredi 5 février 2020
La séance est ouverte à quinze heures.
La commission poursuit l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623 rectifié) (M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général, MM. Nicolas Turquois, Jacques Maire, Mmes Corinne Vignon, Carole Grandjean et M. Paul Christophe, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous allons poursuivre l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite.
Nous avons examiné 507 amendements, il nous en reste 19 931 à examiner.
Madame la présidente, je souhaite faire un rappel au Règlement sur le fondement de l'article 86, alinéa 5 du Règlement, portant sur les conditions de recevabilité des amendements en commission.
Ce matin, la majorité a adopté l'amendement n° 22249 du rapporteur général et du rapporteur, qui prévoit que la mise en place du système universel de retraite s'accompagne, dans le cadre d'une loi de programmation, de mécanismes permettant de garantir le niveau de pension des personnels enseignants fonctionnaires. Le premier alinéa de cet amendement est rigoureusement identique aux dispositions incriminées par le Conseil d'État dans son avis : « Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution. »
Madame la présidente, je crois qu'il n'est pas de bonne politique et pas très honnête à l'endroit des enseignants que votre majorité, instruite de l'avis du Conseil d'État, fasse sciemment adopter un amendement inconstitutionnel, dont le seul but est de donner l'impression que le problème a été réglé alors qu'il persiste.
Par ailleurs, la mise en débat de cet article constitue une violation constitutionnelle qu'il vous appartenait de prévenir. Dans ses décisions du 22 janvier 1990, du 4 mai 2000 et du 7 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a estimé que de telles injections ne trouvent de base juridique ni dans l'article 34, ni dans aucune autre disposition de la Constitution, et portent atteinte au droit d'initiative des lois conféré par son article 39 au Premier ministre. Dès lors, cet amendement devait être déclaré irrecevable, comme l'ont été tous les amendements portant injonction et déposés sur ce texte, comme sur n'importe quel autre texte de loi. Le groupe Socialistes et apparentés ne peut que s'émouvoir de ce tour de passe-passe qui finira par rattraper le Gouvernement et, au bout du compte, l'ensemble des enseignants – qui ont encore un peu d'espoir dans les promesses qui leur ont été faites, même s'ils commencent à douter fortement.
Je prends acte de votre remarque, monsieur Vallaud.
Nous avons déjà débattu sur l'amendement que vous évoquez, c'est pourquoi je me contenterai de donner la parole au rapporteur s'il le souhaite, après quoi nous poursuivrons nos travaux.
Je rappelle à M. Vallaud, qui le sait très certainement, que si le Conseil d'État fournit des avis au Gouvernement, il n'a pas le même rôle que le Conseil constitutionnel. Nous avons pris note de l'avis du Conseil d'État et en tirerons les conclusions qui s'imposent mais, pour le moment, cet avis n'apporte rien de particulier.
Ce que vient de dire M. Vallaud confirme le risque que votre projet de loi soit inconstitutionnel, ce qui pourrait réduire à néant l'ensemble des travaux parlementaires le concernant. On sait désormais que ce sera le cas des travaux de la commission spéciale, dans la mesure où elle n'aura jamais assez de temps pour examiner la totalité du texte dans les délais qui lui sont impartis.
À qui la faute, si ce n'est à ce Gouvernement et à son obstination ? En tout état de cause, force est de constater que nos travaux ne suscitent pas un grand intérêt de la part de la majorité, qui joue assez peu le jeu du débat. Si on ajoute à cela le fait que les amendements adoptés sont entachés d'un risque inconstitutionnel, on se demande à quoi servent nos réunions – c'est peut-être la raison qui fait que les travaux de cette commission ne semblent pas intéresser grand monde : en tout cas, il y a de moins en moins de députés à y prendre part... (Exclamations sur les bancs des députés du groupe La République en Marche.)
Vous êtes vous-même un peu seul en ce moment, cher collègue... Où sont les autres députés de votre groupe ?
Monsieur Quatennens, ce sont là des appréciations qui n'ont rien à voir avec la recevabilité des amendements. Nous allons donc reprendre le cours de nos travaux.
La commission poursuit l'examen des articles du projet de loi instituant un système universel de retraite.
Avant l'article 2
La commission est saisie de l'amendement n° 2545 de M. Adrien Quatennens.
L'amendement n° 2545 vise à mettre en conformité le titre de la section 2 avec ce qu'elle contient réellement, en rédigeant ainsi l'intitulé de cette section : « Une réforme bâclée aux champs d'application temporels comme matériels délibérément flous ». En effet, il s'agit indéniablement d'une réforme bâclée : le Conseil d'État, qui a passé en revue l'ensemble des éléments de langage le composant, indique clairement que rien de ce qui a été mis en avant par le Gouvernement ne fonctionne et souligne, surtout, le caractère lacunaire du financement de la réforme proposée.
Sur cette question du financement, qui constitue bien le point central du débat, nos collègues de la majorité ne semblent envisager qu'une solution : faire travailler les Français plus longtemps, alors que l'opposition s'emploie à démontrer que ce n'est pas inéluctable et qu'il y a d'autres choses à faire. En résumé, c'est bien une réforme bâclée, et nous vous invitons à le dire clairement dans l'intitulé de la section 2.
La commission rejette l'amendement.
Section 2 : Champ d'application
Article 2 : Champ d'application du système universel de retraite (dispositions communes
La commission examine les amendements identiques n° 545 de M. Sébastien Jumel, n° 3017 de M. Adrien Quatennens et n° 21085 de M. Boris Vallaud.
Au prétexte d'une simplification du système de retraite, l'article 2 procède à un nivellement par le bas des droits à la retraite entre les différents régimes existants. La logique du moins-disant social qui imprègne cette réforme fera de nombreux perdants : les femmes, la majorité des 22 millions de salariés du régime général, les professionnels libéraux, les 400 000 agents des régimes spéciaux et les 4,4 millions de fonctionnaires, notamment ceux appartenant aux catégories actives.
En outre, la mise en place d'un système universel crée des régimes de retraite à la carte, à rebours des objectifs de justice sociale et de simplification. Ce sont plusieurs dizaines de régimes de retraite qui cohabiteront dans le système universel, voire des centaines avec les régimes par capitalisation.
Pour toutes ces raisons, l'amendement n° 545 vise à la suppression de l'article 2.
L'article 2, qui a pour objet de définir le champ d'application de la réforme, évoque au passage quarante-deux régimes différents, dont chacun aura compris qu'ils n'existent pas. Je rappelle en effet que le Conseil d'orientation des retraites (COR) n'en connaît que vingt-trois, et le ministère de la santé dix-huit seulement, ce qui montre bien qu'on grossit artificiellement le nombre de régimes spéciaux afin de le faire paraître plus important et de renforcer ainsi l'idée qu'une simplification serait nécessaire.
Surtout, l'article 2 contient une entourloupe, consistant à réaffirmer l'idée que la réforme ne va s'appliquer qu'aux Français nés à partir de 1975. Or, comme nous en avons obtenu confirmation à plusieurs reprises auprès de M. le secrétaire d'État, le retrait provisoire de l'âge pivot concerne également des personnes nées avant 1975 – vraisemblablement dès 1959. Cet article illustre bien le caractère insincère du champ d'application de la loi, dont chacun doit savoir qu'elle concerne en réalité également les Français nés avant 1975, puisque lors du retrait provisoire de l'âge pivot à 64 ans, le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de trouver 12,5 milliards d'euros d'économies pour les personnes nées avant 1975.
Nous vous proposons donc d'adopter l'amendement n° 3017, qui a pour objet de supprimer l'article 2.
L'amendement n° 21085 vise également à la suppression de l'article 2.
Alors que vous prétendiez supprimer quarante-deux régimes spéciaux, vous avez créé des centaines de régimes spécieux, ce qui fait que plus personne n'est capable de dire ce qu'il va advenir de sa pension. Mes chers collègues, je vous suggère la lecture fort instructive de l'analyse de l'étude d'impact publiée dans Le Monde d'aujourd'hui : plusieurs économistes, dont Antoine Bozio, y dénoncent le côté lapidaire, lacunaire, pour ne pas dire tronqué et truqué, de ladite étude d'impact.
Vous évoquez un nivellement par le bas, monsieur Wulfranc : je vous dirai que, pour ma part, je suis plutôt content que les agriculteurs, les commerçants et les artisans puissent bénéficier d'une retraite d'au moins 1 000 euros.
Je suis content que les femmes, dont les interruptions de carrière liées à la maternité et à l'éducation des enfants, puissent également bénéficier de la réforme.
Je suis content que les périodes de chômage puissent être mieux intégrées dans le parcours professionnel et donner lieu à l'obtention de points – même si, bien sûr, la situation des demandeurs d'emploi restera compliquée.
Pour toutes ces catégories de personnes, la réforme va constituer une source de progrès, dont il serait dommage de les priver.
Je suis également un peu étonné de voir que, dans les rangs de la gauche, censée avoir pour objectif politique de porter une forme d'universalité, on défend des régimes différents, des droits différents et des particularismes qui sont à l'opposé du fonctionnement de notre société, qui se veut plus égalitaire.
Rappelons au passage que lorsqu'on parle de quarante-deux régimes de retraite, cela correspond aux quarante-deux combinaisons possibles entre régime de base et régime complémentaire.
Enfin, pour ce qui est des dates d'affiliation, monsieur Quattenens, je constate que vous persistez à mélanger ce qui relève du rééquilibrage du régime actuel, un élément prévu par la conférence de financement, et le projet de futur système universel dont nous débattons. Ce faisant, vous contribuez à entretenir le flou que vous prétendez combattre, empêchant ainsi nos concitoyens de percevoir clairement les enjeux de cette réforme.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la suppression de l'article 2.
Monsieur le rapporteur, l'emploi de l'adjectif « universel » pour désigner le système qui nous est proposé est un peu excessif, pour ne pas dire abusif... En effet, il est certain que vont être constitués de façon pérenne une multitude de régimes distincts, comme le souligne le Conseil d'État dans son avis. Par ailleurs, le slogan unificateur selon lequel « un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous » a été corrigé à la demande du Conseil d'État, qui a précisé que ce principe devait être mis en oeuvre selon des modalités fixées par la loi. Sans aller jusqu'à risquer de constituer une rupture du principe d'égalité, il devra bel et bien être mis en application suivant différentes modalités.
La durée prévue pour le système transitoire est exagérément longue ; pendant des décennies, on verra continuer à coexister, au sein par exemple de la RATP et de la SNCF des régimes spéciaux et plusieurs régimes différant du régime général selon que les agents seront nés avant 1975, avant 1980 ou avant 1985. Nos collègues ont donc raison de souligner les limites de l'emploi du mot « universel ».
Il y a un devoir de sincérité dans l'exposé des différents articles, notamment dans l'article 2, qui évoque un système universel alors que le Conseil d'État précise bien qu'il y aura cinq régimes différents, auxquels s'appliqueront des règles dérogatoires.
La vérité, c'est que vous n'avez pas supprimé les régimes spéciaux. Vous n'avez pas supprimé le régime spécial des marins-pêcheurs, par exemple, et personne n'imagine que vous le fassiez.
De même, dans le cadre du régime spécial des mines, que j'ai déjà cité, les mineurs de fond ont obtenu en 1946 à la fois la gratuité totale des soins mais aussi, en contrepartie de la pénibilité et de la dangerosité de leur métier où beaucoup ont malheureusement laissé leur vie, un système de retraite obéissant à des modalités particulières. Aujourd'hui, il y a encore 240 000 bénéficiaires de ce régime – d'anciens mineurs, mais aussi des veuves touchant des pensions de réversion d'un très faible montant, qui sont dans la précarité –, pour un coût annuel de 1 milliard d'euros environ. Le secrétaire d'État a précisé que cette somme serait prise en charge par la solidarité nationale, ce qui montre bien, s'il en est besoin, que vous ne supprimerez pas le régime spécial des mines : même en l'absence de nouveaux entrants dans ce régime spécial, vous devrez le maintenir jusqu'à la disparition du dernier bénéficiaire.
Je ne peux laisser le rapporteur dire que le nouveau système par points va sensiblement améliorer la situation des demandeurs d'emploi. Certes, vous attribuez des points aux allocataires du chômage, ce qui est pour vous l'occasion de prétendre faire preuve de solidarité, mais vous ne le faites qu'après avoir limité l'accès aux allocations et limité leur montant ! La CFDT vous a d'ailleurs rappelé sa proposition consistant à se référer au dernier revenu de la période travaillée. De même, il semble que vous vouliez instituer un délai de carence de trente jours sur les congés maladie. Vous pouvez difficilement vous prévaloir de l'argument de la solidarité à l'appui de l'universalité.
Une fois pour toutes, je veux demander à M. le rapporteur de se contenter de contre-argumenter et de cesser de balayer les arguments de l'opposition au motif qu'il s'agirait de fausses informations constituant une manipulation de l'opinion. Pour ce qui est de manipuler l'opinion, vous êtes les grands champions... (Rires et exclamations.)
Disons que vous êtes à égalité, c'est bien le drame ! Vous êtes les idiots utiles du macronisme !
C'est vous qui avez créé autant de régimes spéciaux qu'il existe d'entreprises, c'est vous qui vous apprêtez à créer autant de régimes spéciaux qu'il y a de générations, c'est vous qui nous parlez d'universalité alors qu'il n'en est rien, c'est vous qui nous parlez d'un euro qui conférerait les mêmes droits alors qu'il n'en est absolument rien ! Donc, les accusations de lancer de fausses informations, ça suffit !
Puisque la répétition fixe la notion, je rappelle également que vous nous avez fourni une étude d'impact truquée, puisque vous avez gelé... (« Ah ! » sur les bancs des députés du groupe La République en Marche.) Vous vous marrez, mais ça suffit maintenant de nous prendre pour des imbéciles et de vous moquer de nous ! (Protestations sur les bancs des députés du groupe La République en Marche).
Je vais essayer de faire revenir la sérénité dans ce débat en rétablissant la vérité sur notre projet, que certains de nos collègues s'ingénient à déformer.
Les Français sont-ils satisfaits du système de retraite actuel ? La réponse est non. Ils jugent en effet à 72 % que ce système ne leur garantit pas de bénéficier d'une retraite correcte. Ils sont 68 % à le trouver trop complexe, 74 % le jugent trop injuste à 79 % et 74 % qu'il n'est pas adapté à leur parcours professionnel. Enfin, 79 % d'entre eux considèrent qu'il n'est pas viable à long terme. Ce sondage datant de fin 2018 n'a pas été réalisé par La République en Marche et il n'est pas issu de l'étude d'impact : on le doit à l'institut d'études indépendant Odoxa, que chacun connaît.
Ces chiffres montrent bien – et je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point – qu'il faut remettre à plat le système de retraite ; c'est ce que nous faisons. Si les périodes de transition que nous prévoyons sont critiquées par certains, il ne faut pas perdre de vue que ce système, nous le fondons pour soixante ou soixante-dix ans, c'est-à-dire pour au moins deux ou trois générations. Il est donc normal de prendre le temps d'une transition sur dix ou quinze ans.
La commission rejette les amendements identiques.
Elle est saisie de l'amendement n° 2562 de M. Adrien Quatennens.
L'amendement n° 2562 a pour objet de supprimer l'alinéa 1 de l'article 2. Cela fait plusieurs fois que nous vous disons que l'universalité qui est l'alibi de ce projet n'a en réalité aucune existence, et adjurons une nouvelle fois la majorité de cesser d'employer ce terme. Dites ce que vous faites, et non l'inverse : le système que vous proposez n'est pas universel puisque, selon les conclusions du Conseil d'État, il comporte au moins cinq régimes différents – sans compter les nombreuses dérogations – et autant de régimes que de générations, puisque l'âge d'équilibre va se décaler un peu plus à chaque génération, contrairement à ce qu'affirme votre étude d'impact truquée pour donner l'impression que le système est plus favorable qu'il ne l'est en réalité.
Nous proposons donc la suppression de l'alinéa 1, dont les termes ne correspondent absolument pas aux effets que va produire votre projet de loi.
Une de vos collègues s'est référée ce matin au Petit Robert ; je vous invite à en faire de même : vous pourrez ainsi vérifier que « universel » ne signifie pas « uniforme ». Il existe des différences entre les métiers, et si le système que nous proposons vise à couvrir tout le monde avec un corps de règles communes s'appliquant aux régimes de retraite de base et complémentaire, il tient également compte des particularités des métiers.
Par ailleurs, pour revenir sur des propos qui ont été tenus tout à l'heure, nous envisageons une réforme systémique, ce qui, par définition, nécessite une période de transition suffisamment longue pour faire converger les différents systèmes actuels vers le régime universel que nous appelons de nos voeux.
Avis défavorable.
Comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, le système proposé n'a d'universel que le nom et, à en croire les six pages de l'analyse consacrée aujourd'hui par Le Monde à votre réforme des retraites, nous ne sommes pas les seuls à le penser : des économistes – et pas seulement de gauche – font aussi ce constat : Jean-Paul Fitoussi y affirme, page 30, ainsi que « l'illusion technocratique a tourné au déni de l'exigence de solidarité » et que « dans un système universel, la base doit être la solidarité ». Or cette exigence de solidarité ne fait pas partie de votre projet de loi. Nous le répétons depuis deux jours, mais nous ne sommes désormais plus les seuls, puisque d'autres que nous commencent à le dire publiquement.
On dirait que vous voulez raconter une belle histoire, mais que vous n'en avez pas les moyens, parce que le texte ne contient pas ce que vous souhaitez lui faire dire. Ainsi, monsieur le rapporteur, quand vous égrenez les points sur lesquels le texte constituerait un progrès, on a l'impression d'assister à un jeu de bonneteau, où les choses sont toujours plus compliquées qu'il n'y paraît. Je me permets de vous rappeler que certains des éléments que vous avez cités ne relèvent pas de la nouvelle réforme systémique dont vous parlez, mais de paramètres qu'il suffirait de corriger dans le régime actuel – ce que nous demandons parfois depuis très longtemps.
Par ailleurs, vous insistez sur le fait que vous n'avez pas parlé d'un système uniforme, mais d'un système universel. Or, et c'est tout ce qui compte, la définition que vous donnez de votre système correspond très exactement à l'existant... Il faudrait examiner les effets concrets des propositions contenues dans votre projet, ce qui permettrait de se rendre compte des lourds problèmes qu'il pose.
Si elle contient beaucoup d'approximations, l'étude d'impact contient cependant une explication intéressante en page 149 : « les taux de remplacement, soit la différence entre le dernier revenu d'activité et la retraite, des agents publics sont équivalents à ceux des salariés malgré ses règles différentes ». Vous dites sus aux privilèges, mais en visant des privilèges que vous estimez appartenir à des retraités comme vous et moi ! Ce faisant, vous vous trompez de cible, car les vrais privilégiés de notre société ne sont pas ces retraités.
Ce que vous proposez n'est pas un système universel, et nous n'avons de toute façon pas besoin d'un système universel pour régler la question des retraites. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un système équilibré sur le plan financier et qui traite les gens de la même manière sur une partie de la rémunération. Nous avons besoin des systèmes complémentaires ; il n'y a donc aucune raison de les supprimer – ni eux, ni les systèmes autonomes. C'est donc une réforme assez inutile, en tout cas inutilement provocatrice pour certaines professions, que vous nous proposez.
Nous avons besoin d'un système universel qui couvre une partie de la rémunération, peut-être à hauteur d'un plafond, en laissant vivre ensuite les différences entre les professions. L'idée de base de votre réforme, consistant à dire qu'il faut simplifier le puzzle incompréhensible constitué par les quarante-deux régimes, est une idée fausse : en réalité, cinq ou six régimes, sept tout au plus, couvrent 95 % de la population, et le reste n'a rien de systémique – les cinq ou six régimes en question ne le sont d'ailleurs pas tous.
Il suffisait de faire converger un certain nombre de règles et sans doute, comme nous le proposons, de faire fusionner le public et le privé jusqu'à un plafond – et éventuellement au-delà – et de régler ensuite la question des régimes spéciaux dans une transition d'une durée acceptable, et non pas interminable comme celle prévue par le texte. À partir du moment où vous augmentiez l'âge de la retraite, vous aviez un système capable de vivre pendant longtemps, et de plus en plus juste. Vous avez, au contraire, fait le choix de bâtir votre système sur quelque chose d'inexplicable, qu'aucun Français ne peut s'approprier. Il n'y avait aucune raison de provoquer de nombreuses catégories de nos concitoyens, comme vous l'avez fait. La retraite, c'est tout de même le reflet des carrières, et nous regrettons que l'ayez perdu de vue.
Le système universel de retraite se fonde sur la solidarité interprofessionnelle, et je m'étonne de constater que ceux qui prônent la solidarité ne comprennent pas, en réalité, le sens profond de ce système. Vous préférez en fait conserver des régimes professionnels qui se caractérisent par des démographies favorables pour certains, et totalement défavorables pour d'autres. Pour notre part, nous estimons qu'il faut placer tous les Français dans un même système, afin d'obtenir une démographie favorable pour tous.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement n° 21533 de M. Pierre Dharréville.
Si les termes de l'amendement n° 21533 peuvent sembler un peu récurrents, ce n'est pas pour autant un amendement d'obstruction. Il serait sage que notre commission adopte un amendement pour que le calendrier s'arrête, ce qui permettrait de mettre fin au déluge de mauvaises nouvelles que vous subissez quotidiennement... En ce moment, pas une journée ne se passe sans que vous en preniez plein la carafe à propos de votre mauvais projet, ce qui vient confirmer ce que nous disons à ce sujet depuis plusieurs semaines !
C'est le Conseil d'État qui a ouvert le bal en affirmant que votre projet était inintelligible et pipé. Aujourd'hui, c'est un quotidien national sérieux – je parle du Monde, pas de L'Huma... – qui, sur la base de son expertise et de données étayées, vous fait le même procès que celui que nous vous faisons depuis plusieurs jours, affirmant que vos études de cas sont tronquées et confirmant tout ce que nous disons sur les effets dramatiques que votre réforme va avoir sur les fonctionnaires ou sur les carrières hachées.
Franchement, il vaudrait mieux arrêter le temps car, depuis jeudi, les choses deviennent très compliquées pour vous ! Vous êtes de plus en plus détachés du corps social, des corps constitués et des hautes juridictions qui sont là pour éviter que ne soient commises des erreurs manifestes en matière juridique.
Avec l'amendement n° 21533, je voulais souligner et graver dans le marbre l'iniquité de votre projet, et je me félicite d'avoir pu le faire sans trop faire grogner le centre de l'hémicycle.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement n° 14665 de M. Sébastien Jumel.
Nous avons tenté à plusieurs reprises de développer des arguments visant à démontrer que les prestations prévues par le projet ne seront pas garanties. Mais ce matin, il s'est passé quelque chose de grave. À l'initiative du président Vigier, nous avons proposé d'inscrire dans le texte la garantie faite aux retraités que leur situation ne se dégraderait pas après la réforme. Une telle proposition aurait dû susciter un consensus, si ce n'est l'unanimité, et aurait pu constituer pour vous un bon moyen de rassurer l'opinion publique, chaque jour un peu plus inquiète. En refusant cet amendement de notre collègue Vigier, vous reconnaissez officiellement, au bout du compte, que cette réforme va dégrader le niveau de pensions de bon nombre de nos concitoyens.
Je vous vois faire la moue et je vous comprends : d'une certaine manière, vous êtes pris en flagrant délit !
Par ailleurs, invoquant l'article 40, vous avez refusé un amendement de fond que nous avions déposé afin de supprimer l'âge d'équilibre. Ce faisant, vous avez démontré que, si la suppression de l'âge d'équilibre se traduit par une baisse des recettes et une hausse des dépenses, cet âge d'équilibre n'a pas d'autre objet que celui de réaliser des économies sur le dos des retraités.
Heureusement, vous pouvez vous rattraper en votant pour notre amendement n° 14665.
Nous avons déjà débattu exactement du même amendement à l'article 1er, et je ne suis toujours pas convaincu que le système actuel soit à prestations définies, ni que le système de demain devienne à cotisations définies.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 2613 de M. Adrien Quatennens et n° 21170 de Mme Valérie Rabault.
Ce projet de loi n'a qu'un but : contenir la part des richesses consacrées aux retraites et, pour cela, faire en sorte que les Français travaillent mécaniquement et progressivement toujours plus longtemps. Chacun sait pourtant que ce n'est pas le seul moyen de financer les retraites. Ce moyen est d'autant plus inacceptable aux yeux de nos concitoyens qu'ils savent que la productivité a augmenté et que la richesse produite par le travail est mal répartie : dans ces conditions, devoir travailler toujours plus longtemps n'est aucunement une fatalité.
L'idée que vous avez trouvée pour vendre votre projet de loi, totalement inacceptable pour l'opinion publique, consiste à le parer de cette histoire d'universalité qui ne tient pas debout. Si vous n'êtes pas convaincu par nos arguments, je rappelle que le Conseil d'État, qui est votre conseil juridique, s'est chargé de vous expliquer que vous ne créez pas un régime universel. Cessez donc de vous acharner à essayer de nous en convaincre, en prenant pour cela, à la suite d'Emmanuel Macron, toutes les libertés dans la manière de définir l'universalité. Le Conseil d'État l'a dit : cette histoire d'universalité, ce n'est que le verre d'eau pour mieux faire avaler une pilule inacceptable aux Français ! D'où notre amendement n° 2613, qui vise à supprimer l'alinéa 2.
Le Gouvernement veut accréditer l'idée qu'il créerait un système universel, sous-entendant que le système actuel ne le serait pas, ce qui est faux. Par ailleurs, comme l'indique le Conseil d'État dans son avis, le système proposé ne crée pas un régime universel de retraite qui serait caractérisé, comme tout régime de sécurité sociale, par un ensemble constitué d'une population éligible unique, de règles uniformes et d'une caisse unique, puisque subsistent à l'intérieur de ce système cinq régimes : ce système n'a donc d'universel que le nom.
Par ailleurs, le Gouvernement fait reposer son système sur des règles mouvantes liées à l'évolution de l'âge équilibre, ce qui est contraire à l'idée et à l'esprit mêmes d'un système universel. Nous estimons que l'alinéa 2 devrait décrire un système piloté par l'ensemble des cotisants et garantissant à tous un revenu digne, ce qui n'est pas le cas actuellement, c'est pourquoi nous proposons par notre amendement n° 21170 de supprimer cet alinéa.
Nous avons déjà débattu sur ce point lorsqu'il a été proposé de supprimer la totalité de l'article 2.
Avis défavorable.
Nous insistons lourdement sur le fait que vous ne pouvez pas utiliser le mot « universel » pour décrire un système qui ne l'est pas. Vous avez beau user d'effets de sémantique et chercher à vous faire plaisir en imaginant construire un système universel, ce n'en est pas moins faux : comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, chaque génération va avoir un âge d'équilibre différent, donc un malus différent. Le montant de chaque pension sera calculé en multipliant le nombre de points par leur valeur, moins le malus. La seule chose qui sera peut-être universelle, c'est le nombre de points qui pourront être acquis. En revanche, la valeur du point va évoluer chaque année ; quant au malus, il dépendra de l'âge d'équilibre que vous allez instaurer. Je le répète, et je le ferai jusqu'à la fin de l'examen de ce texte : c'est la première fois depuis 1945 qu'un malus dépend d'un âge d'équilibre et non de la durée de cotisation.
Le fait de répéter la même ineptie n'en fait pas une vérité, madame Rabault. Plutôt que de m'appuyer sur l'étude d'impact, que nous estimons intéressante mais que vous jugez truquée, je ferai référence à l'avis du Conseil d'État, que vous avez vous-mêmes largement cité. En son considérant n° 12, le Conseil indique : « Est bien créé un "système universel" par points applicable à l'ensemble des affiliés à la sécurité sociale française, du secteur privé comme du secteur public, qui se substitue aux régimes de base et aux complémentaires et surcomplémentaires obligatoires [...] » Ces mots viennent battre en brèche toute votre argumentation consistant à prétendre qu'il n'y a pas de système universel : il y en a un, reconnu comme tel par la haute juridiction française.
La seule chose qui soit véritablement universelle dans votre projet de loi, monsieur Houlié, c'est le fait qu'il faille travailler plus longtemps. L'âge d'équilibre, qui respecte les préconisations du rapport Delevoye, va se décaler à chaque génération, et il sera bien rare d'avoir le même âge d'équilibre que son voisin, puisque cet âge sera déterminé en fonction de l'année de naissance. Pour ma génération, celle de l'année 1990, l'âge d'équilibre est de 66,5 ans, mais il ne sera pas le même pour les générations précédentes et pour celles d'après. Il y a donc bien une tromperie sur ce point, puisqu'on comptera autant de régimes spéciaux qu'il y aura de générations : chacune de ces générations aura des consignes différentes à respecter, notamment pour ce qui est de l'âge requis pour bénéficier d'une pension à taux plein.
Il n'y a pas d'universalité dans ce projet de loi – ou, plus exactement, ce n'est que l'un des éléments de langage qui le composent à 90 % pour masquer son véritable contenu, qui se résume en très peu de mots que vous n'assumez pas.
Pour ce qui est de l'étude d'impact, si vous contestez qu'elle soit manipulée comme nous le pensons, démontrez-nous qu'elle ne l'est pas ! La notion d'écart-type gèle l'âge d'équilibre, en contradiction avec votre projet de loi, qui voudrait qu'il se décale à chaque génération.
Je confirme les propos de Valérie Rabault et j'infirme ceux de Sacha Houlié : le considérant 38 de l'avis du Conseil d'État précise que, pour la première fois, le système de surcote et de décote dépendra de l'évolution de l'âge d'équilibre. Or celui-ci diffère selon les générations, ce qui est un élément nouveau. Ce point est explicite dans l'avis du Conseil d'État.
La commission rejette ces amendements.
Puis elle examine l'amendement n° 2579 de M. Quatennens.
Je vais prendre quelques exemples : pour une naissance en 1973, l'âge d'équilibre est de 64 ans ; pour une naissance en 1982, 1983 ou 1984, il est de 64,75 ans ; pour une naissance en 1997, 1998 ou 1999, il est de 66 ans ; pour une naissance en 2009, 2010 ou 2011, il est de 67 ans. Autrement dit, les conditions d'accès à une pension à taux plein diffèrent pour chaque génération. Il ne peut donc y avoir d'universalité, en raison même de la variable d'ajustement que vous avez retenue : l'âge auquel les gens pourront partir à la retraite avec une pension à taux plein. Il n'y a rien d'universel dans ce projet de loi, sinon ce principe à vos yeux essentiel : vous voulez contracter la part consacrée des richesses aux retraites, encourager la capitalisation et pousser inexorablement les Français à travailler plus longtemps. Vous en avez le droit, mais dites-le !
Il serait bon, monsieur Quatennens, de défendre les amendements que vous déposez : celui-ci n'a rien à voir avec le point que vous venez d'évoquer.
L'universalité correspond à un ensemble de principes communs à tous : un système par points, un âge d'équilibre, une réversion à 70 % pour le conjoint survivant, une majoration pour chaque enfant et la prise en compte de la pénibilité. Ces principes, que nous assumons, s'appliqueront de la même façon à chacun et non suivant le régime. C'est en cela que le système que nous défendons est universel. Quant à l'âge d'équilibre, il évoluera effectivement en fonction de l'espérance de vie.
Avis défavorable.
Cette discussion nous pose un problème de fond : comme votre projet comporte des trous, nous n'arrêtons pas d'évoquer des sujets qui n'y figurent pas. Ne serait-il pas opportun de nous dire ce qui y sera intégré ? Quelles sont vos intentions en la matière ? Compte tenu de son rythme – la prochaine plénière a été renvoyée au mois d'avril 2020 – la conférence de financement ne nous apportera pas de réponse rapidement. Pourtant, il serait intéressant de savoir quelles sont vos hypothèses.
Pour ce qui est de l'universalité, le Conseil d'État trouve le mot un peu abusif, compte tenu de la diversité et de la complexité des situations. Qui plus est, vous n'appliquerez pas les mêmes règles à tous : certains des cinq régimes auront un taux majoré qui ne donnera pas les mêmes droits.
Le problème ne tient pas aux dispositifs, intéressants, comme la prise en compte des droits familiaux et des droits conjugaux, mais au fait que les règles diffèrent selon les situations. Vous n'allez pas au bout du principe d'universalité : il ne se vérifie pas dans le traitement que vous prévoyez, notamment des professions libérales.
Le calendrier comme l'âge d'équilibre varient selon l'âge du travailleur : pour quelqu'un né en 1960, la réforme s'appliquera en 2022 et l'âge d'équilibre sera de 62 ans et 4 mois ; pour quelqu'un né en 1965, la réforme s'appliquera en 2025 et l'âge d'équilibre sera de 64 ans. En outre, l'espérance de vie en bonne santé est un élément supplémentaire de rupture de l'universalité.
En fait, votre projet, c'est « chacun son pain, chacun son hareng », comme on dit à Dieppe : une individualisation des droits qui, au bout du compte, flingue la répartition et la solidarité entre les générations, autrement ce qui fait le socle de la protection sociale à la française. Assumez au moins ce choix idéologique, finalement assez classique chez les libéraux, puisqu'il a pour vocation d'ouvrir la porte à la capitalisation. Reconnaissez-nous dans notre rôle d'opposants lorsque nous le dénonçons et réaffirmons notre attachement aux fondamentaux de notre système de retraite.
La lecture de l'avis du Conseil d'État est une interprétation à géométrie variable. La mienne étant en désaccord avec celle de Sacha Houlié, je vais recourir à une autre source pour vous montrer que nous ne sommes pas dans un système universel.
Le 3 octobre 2019, à Rodez, Président de la République a déclaré : « Si je commence à dire, on garde un régime spécial pour l'un, ça va tomber comme des dominos. Parce que derrière on me dira vous faites pour les policiers donc les gendarmes. Ensuite on me dira : "vous faites pour les gendarmes, pourquoi pas pour les infirmiers et infirmières, les aides-soignants". » Et de conclure : « Et puis on va refaire des régimes spéciaux. En deux temps trois mouvements on y est. » Conclusion parfaitement juste : on y est...
Pour une fois, l'amendement de La France insoumise s'intéresse au fond, bien qu'il soit à mon avis moins bien rédigé que le texte, sur lequel porte tout de même le travail de cette commission. Le titre Ier définit les règles du système universel de retraite. L'article 2 en précise le champ d'application ; les autres dispositifs seront déclinés par la suite. Faisons un peu du droit, au lieu de poursuivre des discussions générales à l'infini. Cet amendement est beaucoup plus restrictif et succinct que l'alinéa lui-même.
Vous êtes plus royaliste que le roi, monsieur Vallaud ! Mais souhaitez-vous vraiment un régime universel ? J'ai du mal à vous comprendre. Le projet de loi va très loin dans l'universalité : que n'en avez-vous instauré un avant, si vous y tenez tant et souhaitez une telle pureté ?
Les progrès sont indéniables : nous passerons d'un système comptant quarante-deux régimes à un système beaucoup mieux intégré. Vous ne pouvez soutenir le contraire sans faire preuve de mauvaise foi. L'universalité ne concerne pas une classe d'âge, il s'agit d'appliquer les mêmes règles pour tous, quels que soient les statuts et les professions. Tel est bien le chemin que nous empruntons.
Ce débat arrive enfin dans cette commission, nous nous en réjouissons. Nous voulons un système plus juste, qui favorise des mécanismes de solidarité. C'est pourquoi nous ne voulons pas de votre régime qui n'est pas universel, et ce, pour plusieurs raisons : il y a déjà des mécanismes spécifiques pour les militaires, les policiers, les personnels navigants, les routiers, etc. Par ailleurs, nous plaidons pour la reconnaissance de la pénibilité, ce qui créé aussi des spécificités. Nous n'avons rien contre les spécificités, nous contestons le fait que votre régime serait universel. Les différentes générations n'auront pas le même régime, puisque l'âge d'équilibre aura un impact sur les montants des pensions. Votre système n'a rien d'universel. En revanche, il détruit les mécanismes de solidarité auxquels nous sommes profondément attachés.
La commission rejette l'amendement.
Elle est saisie des amendements identiques n° 2585 de Mme Clémentine Autain, n° 2589 de Mme Caroline Fiat et n° 2596 de M. Adrien Quatennens.
Après le mot « système », nous proposons de rédiger ainsi la fin de l'alinéa 2 : « de retraite comprend des règles communes à l'ensemble des assurés, qui peuvent toutefois relever de régimes prenant en compte la pénibilité de leur activité, les périodes d'interruptions ou d'activité partielle subie. Ce régime commun étant basé sur le principe de solidarité, des correctifs sont apportés de façon à permettre à tous de bénéficier d'une pension digne. »
Nous voulons un régime qui permette de reconnaître des spécificités – la pénibilité, les périodes d'interruption, l'activité partielle – et de corriger les mécanismes qui ne fonctionnent pas dans le système. Si un égale un pour tout le monde, comment prévoir des mécanismes de correction et de solidarité ? C'est tout à fait contradictoire. Nous voulons inscrire dans le marbre de la loi la reconnaissance des compensations pour les carrières hachées, pour la pénibilité et pour tout ce qui empêche d'avoir une retraite digne à un âge décent.
Nous sommes ici au coeur du choix politique qui diffère entre vous et nous.
Nous souhaitons répertorier les critères de pénibilité avec les partenaires sociaux, afin d'évaluer quels travailleurs doivent partir plus tôt à la retraite.
Dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les résidents sont admis à partir de 60 ans. Je suis aide-soignante et je devrais travailler jusqu'à 66 ans ; je serais donc amenée à m'occuper de résidents plus jeunes que moi. Cependant, à 43 ans, je souffre déjà de troubles musculo-squelettiques (TMS) : j'ai bien peur de ne plus réussir à les remettre dans leur lit – déjà que je les maltraite faute de temps et de moyens ! Si je dois attendre d'avoir atteint l'âge d'entrer dans un EHPAD pour prendre ma retraite, peut-être pourrais-je dormir sur place, en guise compensation...
Nous n'avons pas su vous convaincre du caractère absolument vain de l'idée d'universalité au regard de l'âge effectif de départ, par le biais de l'âge d'équilibre et de l'âge pivot ; au demeurant, faire partir tout le monde de la même ligne de départ ne corrige en rien les inégalités persistantes au sein même d'une génération. Entre un cadre et un ouvrier, il y a six à sept ans d'écart d'espérance de vie ; entre les 10 % les plus riches et les 10 % les moins riches, cet écart peut atteindre treize ans.
Votre système est nul et non avenu, il n'y a pas d'universalité ; elle n'est d'ailleurs pas possible. Nous sommes partisans d'une harmonisation par le haut. Mettre tout le monde dans le même panier se paiera très cher pour beaucoup, et tout le monde l'a compris.
Le groupe La France insoumise vient de faire la démonstration de son accord : il demande que des règles communes s'appliquent à l'ensemble des assurés, ce que nous prévoyons ; il demande qu'elles prennent en compte la pénibilité, les périodes d'activité partielle subie ou d'interruption pour cause de chômage, de maladie, d'accident, ce que nous prévoyons également, de même que la possibilité de surcotiser sur une assiette pleine. Finalement, notre projet est en phase avec vos objectifs profonds.
Je suis néanmoins défavorable à la rédaction de cet amendement, puisque nous déclinons cet aspect tout au long du texte.
Je m'apprêtais à tenir exactement les mêmes propos. Et si Mme Clémentine Autain et M. Adrien Quatennens peuvent me préciser ce qu'ils définissent comme une pension digne, je suis preneur !
Mes propos seront peut-être politiquement incorrects pour les libéraux que vous êtes : j'assume le fait de considérer comme juste et utile la préservation des régimes construits en raison de la spécificité du métier considéré. Il me semble juste que les marins, dans mon port, bénéficient d'un régime spécifique : ils n'ont pas la même vie que tout un chacun. C'est d'ailleurs tellement juste qu'ils font partie des dérogations que vous avez été obligés de consentir à votre universalité – sans que l'on sache réellement ce qu'il y aura dedans, puisque vous renvoyez tout cela aux ordonnances dans l'article 7.
Par ailleurs, vous agitez de manière idéologique, presque sectaire, l'épouvantail des régimes spéciaux – qui ne concernent que 1,4 % des actifs et 4 % des retraités – pour justifier de laminer l'ensemble du système de retraite. Au lendemain de la référence faite au Conseil national de la Résistance, il me semble juste de préserver le statut construit par Marcel Paul pour les électriciens-gaziers : ce n'est pas n'importe quel boulot !
Vous vous trompez de réforme. Nous sommes d'accord avec vous sur le beau mot d'universalité, auquel nous sommes attachés. Il résonne bien dans une campagne électorale, mais moins dans un système de retraite appliqué à l'ensemble des Français. Vous faites référence aux quarante-deux régimes spéciaux comme s'il s'agissait d'éléments de langage : c'est faux ! Vous créez au moins autant de dérogations !
Il faut évidemment une forme d'universalité : un socle commun concernant un plafond de sécurité sociale, mais il faut laisser des régimes autonomes prendre en compte les particularités des métiers. La retraite est liée au métier ; si vous dénouez ce lien, cela ne fonctionne plus. Vous-même le reconnaissez, puisque vous créez autant de dérogations à chaque fois, tant et si bien que plus personne n'y comprend rien et que le système devient plus injuste. Vous ajoutez une variabilité, qui est en fait le niveau de pension, par le biais d'un âge pivot qui ne figure pas dans le texte. C'est beau comme de l'antique, mais cela ne marche pas !
Les avocats, comme d'autres professions libérales qui ne font pas appel à la solidarité nationale tout en y contribuant, devraient garder leur caisse autonome. Or toutes ces caisses, quoi que vous en disiez, finiront bel et bien par être fondues dans un ensemble plus vaste : il est faux de dire qu'elles continueront à être la propriété des professions qui les ont créées.
Il faut savoir faire preuve de modestie : si, depuis 1945, nous avons mis trente ou trente-cinq ans à construire des régimes de retraite et à les modifier en raison de spécificités qui correspondent aux réalités des métiers, comme l'ont souligné tant Éric Woerth que Sébastien Jumel, c'est bien parce que cette affaire est particulièrement complexe. Vous voulez mettre au tapis tout un système pour le remplacer par des règles incompréhensibles : tout le monde dénonce l'illisibilité de votre projet de loi. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, disait le poète : on en est très, très loin. En démocratie, la clarté fait partie des fondements du débat. Or vous entraînez les Français dans le mur, avec un système auquel personne ne comprend rien et un âge d'équilibre dont personne ne connaît le détail.
Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur le rapporteur. Au risque de passer pour une égoïste, je reprends le cas des aides-soignants : actuellement, nous pouvons partir à la retraite à 57 ans. Mais depuis deux ans et demi, on nous dit que les instituts de formation d'aides-soignants (IFAS) se vident et qu'il va falloir revaloriser le métier. Les gens n'avaient plus envie de le faire pour ne plus se retrouver à devoir maltraiter nos patients, mais au moins on pouvait partir à la retraite à 57 ans. Avec votre projet, il va falloir maltraiter les patients jusqu'à 62, 64, voire 66 ans ! Pardonnez-moi, mais votre histoire ne fonctionne pas bien et votre projet est illisible.
Certaines professions sont difficiles, les corps ne tiennent pas. Les TMS ne sont pas une invention, des études ont été publiées sur ce sujet. Lorsque l'on prend soin des autres, on s'abîme la santé. Et c'est pour cela qu'on part plus tôt en retraite, monsieur Woerth.
Je voudrais dépasser les slogans de campagne et revenir à ce qu'était le sens de l'universalité au moment de la création de la sécurité sociale. Pierre Laroque, rédacteur des ordonnances sur la sécurité sociale en 1945 aux côtés du ministre Alexandre Parodi, a été guidé par trois principes : l'élargissement de la protection sociale à toute la population et à tous les risques, l'unité par le biais d'une seule organisation et les mêmes prestations pour tous.
En effet, le régime proposé n'est pas universel, mais il repose sur ces trois principes d'universalité : l'élargissement à tous, agriculteurs, commerçants, indépendants, qui sont aujourd'hui mal couverts par notre système ; une caisse nationale dans laquelle chacun se retrouvera ; des prestations et des avancées sociales, le minimum de pension et la majoration pour les femmes notamment.
La commission rejette ces amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 21534 de M. Pierre Dharréville.
Nous sommes nombreux à contester le caractère universel de votre projet. Il ne suffit pas d'affirmer dans un titre slogan « système universel de retraite » ; encore faut-il le traduire en actes. Or les actes ne sont pas là : je n'ai vu aucune preuve de cette universalité jusqu'à présent. En réalité, tous vos arguments tournent autour, mais ne justifient jamais le coeur de votre dispositif. Vous n'expliquez pas pourquoi vous ne parlez pas de taux de remplacement ni en quoi le système à points est plus vertueux. Les seuls arguments de justification se trouvent dans les correctifs que vous apportez et dont vous faites des arguments de vente.
Vous proposez de substituer « inéquitable » à « universel », cela faisait longtemps...
Défavorable.
Je ne peux pas laisser dire ici que les aides-soignants maltraitent nos anciens ; ces termes me choquent. Fort heureusement, de nombreux aides-soignants, qui s'en occupent matin, midi, soir, week-ends compris, sont très loin de la maltraitance. La considération qu'on leur doit et la pénibilité de leur métier sont des questions évidemment légitimes, mais d'une autre nature. Éric Woerth n'a jamais dit qu'il ne fallait pas prendre en compte la pénibilité : il a parlé d'un socle de base, dont il nous faut discuter au fond. Une fois ce socle fixé, la pénibilité doit être prise en compte, après avoir été objectivée. Mais nous avons besoin de règles de base pour rendre la réforme lisible et juste.
Caroline Fiat est assez autorisée à utiliser les termes qu'elle a employés : ce n'est pas elle qui maltraite ses patients, c'est l'organisation de notre système qui fait que la souffrance des personnels finit par créer de la souffrance chez les patients.
Pourquoi contestons-nous l'universalité ? Pour une raison simple : quand bien même on voudrait la vérifier dans les études de cas, on ne le peut pas, tout est tronqué ou truqué. On a l'impression que tout le monde est gagnant dans votre réforme : comment peut-on être tous gagnants et qu'il y ait quand même de la redistribution ? Cela défie toute logique. Pour déterminer les gagnants et les perdants, il faudrait être capable de mesurer les montants des pensions tout au long de la vie, puisqu'elles évolueront. Or votre étude d'impact ne le propose pas.
Au fond, la seule chose que vous avez retenue d'Alexandre Parodi, ce n'est pas le nom propre, mais bien le nom commun : parodie, autrement dit une grossière imitation.
Ce n'est pas parce que vous ne répondez pas à nos questions que nous n'allons pas répondre aux vôtres. Vous nous avez demandé ce qu'est une pension digne : je vous invite à consulter notre contre-projet, dans lequel vous trouverez des éléments de réponse. Pour commencer, il faudrait qu'aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté, qui est aujourd'hui de 1 041 euros. Une pension digne, cela signifie également que pour une carrière complète, aucune pension ne soit inférieure au salaire minimum de croissance (SMIC). Dans le secteur privé, nous proposons de revenir aux dix meilleures années au lieu des vingt-cinq et de fixer à 75 % le taux de remplacement moyen. Dans le secteur public, nous préconisons a minima d'en rester à l'état actuel plutôt que la détérioration que vous proposez. Tout cela suppose des moyens financiers et l'accroissement de la part des richesses consacrées aux retraités. Il est tout à fait possible d'imaginer un système dans lequel nous progressons au lieu de régresser.
Je veux apporter mon soutien à Caroline Fiat. La violence institutionnelle dans les EHPAD et les hôpitaux est dénoncée par tous, par tous les rapports, par les 1 200 médecins chefs de service qui ont démissionné de leurs fonctions administratives. Personne ne peut ignorer cela, ni que l'asphyxie des établissements de santé et des EHPAD a conduit à une violence institutionnelle qui se transforme en maltraitance à l'égard des soignants et des soignés. Dire cela, ce n'est pas remettre en cause l'engagement professionnel des aides-soignants, c'est rapporter une réalité objective que la ministre elle-même a fini par admettre, sans toutefois y apporter de remède.
J'entends les promesses des députés de La France insoumise. Jusqu'ici, ils nous promettaient l'avenir en commun, mais pour l'instant, nous voyons surtout l'avenir en commission...
Madame Fiat, vos propos concernent les difficultés inhérentes à la profession d'aide-soignant – je l'ai moi-même été, certes beaucoup moins longtemps que vous. Le régime par points permet la prise en compte de chaque nuit et de chaque heure de travail, y compris lorsque le trimestre complet n'est pas validé. La moitié du travail que j'ai effectué comme aide-soignant en EHPAD, dans le secteur privé comme dans le secteur public, ne sera jamais comptabilisée pour ma retraite, parce que je n'ai pas cotisé suffisamment de semaines consécutives. Le système universel par points le permettra.
Par ailleurs, il est plus difficile de transformer une maison que de la construire à partir de zéro. Si nous devions aujourd'hui élaborer un système de retraite, personne n'imaginerait le faire avec quarante-deux régimes différents. Nous préparons le système des retraites à l'évolution du marché du travail ; n'oublions pas que 40 % des enfants qui entrent à l'école exerceront un métier qui n'a pas encore été inventé.
Plusieurs députés et le rapporteur ont rappelé que l'universalité n'est pas l'uniformité. Certains d'entre vous se sont réjoui que les spécificités et les difficultés propres à certaines professions, les marins notamment, soient reconnues. La mesure de la pénibilité par des critères objectifs, dans les secteurs privés et publics, ainsi que dans les entreprises ayant des régimes spéciaux, est une réponse à cette problématique. Mais qu'entendons-nous par universalité ?
Premièrement, cela consiste à appliquer à tous les Français les mêmes règles pour ce qui est de leur retraite. Nos concitoyens nous demandent d'agir et de mettre un terme aux inégalités lorsqu'elles sont infondées. Des départs anticipés peuvent reposer sur des raisons objectives ; c'est le cas pour les gendarmes, les policiers, les militaires. On ne peut pas demander à quelqu'un qui expose sa vie pour protéger celle des autres et qui exerce son activité dans des conditions dangereuses, d'avoir le même âge de départ que tout un chacun.
Deuxièmement, le projet du Gouvernement consiste à demander aux Français les mêmes efforts pour obtenir les mêmes droits. C'est parce que nous faisons des efforts collectivement que nous produisons et redistribuons de la richesse : dire cela n'a rien de tabou. Encore faut-il que cela génère les mêmes droits.
Troisièmement, le rendement des cotisations doit être le même pour tous.
Ces trois points sont les marqueurs de l'universalité. Ce n'est pas de l'uniformité : nous reprendrons collectivement en compte les spécificités et la réalité de certaines situations difficiles, mais en garantissant les mêmes règles et les mêmes rendements pour tous et en demandant les mêmes efforts pour construire les mêmes droits. Les Français attendent de nous que nous réécrivions le contrat social sur ce sujet.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 544 de M. Pierre Dharréville.
Puisque vous en parlez, monsieur le secrétaire d'État, je serais curieux de connaître précisément les différents taux de rendement, génération par génération ; ils ne nous ont pas été fournis.
Ce qui universalise votre système, c'est la régression, la pénurie et le rabais. C'est pourquoi nous l'appelons le régime « miniversel ».
Mon amendement est une proposition assez symptomatique de ce qui nous oppose. Vous dites : « Le système universel de retraite prévu est un ensemble de règles de calcul, de conditions de versement des retraites, etc. [...] » Ce n'est pas cela dont nous avons besoin. Pour nous, un système de retraite, ce sont d'abord des droits garantis ; or cela n'apparaît pas dans votre définition. Vous inversez l'ordre des choses, ce qui est symptomatique : ce n'est pas votre problème, en tout cas pas votre objectif prioritaire.
Cela tient tout simplement à la structure de tout texte de loi. La conception de la retraite doit être distinguée sous l'angle des droits ; c'était tout l'enjeu de l'article 1er. L'article 2 détaille les outils qui seront utilisés au service de ces droits. Les règles de calcul concrétisent ce droit et qui lui donnent une dimension réaliste pour nos concitoyens. Elles ne sont pas un ensemble purement technique ou formel, mais conditionnent l'enveloppe dont disposeront les retraités chaque mois ; elles doivent donc bien figurer dans la loi. Demande de retrait.
À un moment donné, l'ensemble des droits reviennent à une série de règles de calcul. Les Français aiment les droits généraux, mais ils aiment bien aussi savoir comment ils se concrétisent. Le paramétrique domine le systémique ; au fond, ce sont les paramètres qui définissent exactement ce qu'est un système.
À entendre les propos de nos collègues Insoumis, le travail serait une souffrance permanente. Fort heureusement, il est bien plus que cela, quel qu'il soit ! Du reste, lorsque le travail est une souffrance objectivable, il y a des mécanismes de compensation, tels que le temps de travail. Arrêtez de présenter le travail comme une souffrance !
Cessons également de parler des quarante-deux régimes, cela ne correspond pas à la réalité : les Français ne passent en moyenne guère que par deux ou trois caisses au cours de leur carrière. Je ne crois pas, monsieur le secrétaire d'État, que les Français demandaient davantage de justice dans le domaine des retraites : ils demandaient plus de clarté, la suppression de régimes spéciaux anormalement construits et l'assurance et la garantie concernant leur retraite – en somme, un système permettant d'égaliser les situations.
Il était tout à fait possible de le faire autrement ; il suffisait de modifier les règles de distribution des trimestres pour éviter le problème du premier euro, qui parfois n'entre pas dans le calcul de la carrière. Ce n'était pas la peine de tout bouleverser pour résoudre cette problématique ; on pouvait faire beaucoup plus simple, plus efficace et plus lisible.
Merci, madame la présidente : à 48 ans, je suis encore très loin de la retraite !
M. le secrétaire d'État présentait à l'instant le système universel, dans lequel les mêmes règles seront appliquées et les mêmes efforts seront demandés. Or il n'y a pas plus injuste, sur le plan social, que le système de l'âge d'équilibre ou de l'âge pivot, avec ce malus et cette décote puissante.
Depuis les débuts de cette commission spéciale, nous n'avons pas manqué de soulever le cas d'espèce suivant : un ouvrier qui aura démarré dans la vie active à 20 ans et cotisé quarante-trois ans devra partir avant 65 ans et subira une très grosse décote ; parallèlement, un cadre supérieur qui aura commencé sa vie active à 25 ans et qui aura lui aussi cotisé quarante-trois ans partira après 65 ans et bénéficiera d'une surcote. Est-ce cela, appliquer les mêmes règles et demander les mêmes efforts ?
Monsieur Woerth, nous ne présentons pas le travail comme une souffrance. Le travail peut tout à fait être une source d'épanouissement et de réalisation de soi, nous n'avons jamais dit le contraire. Vous, en revanche, vous avez l'air de nier, le fait qu'il puisse être une source de souffrance et qu'il puisse être pénible, ce qui est pourtant une évidence. C'est une martingale...
Je voudrais surtout que vous vous interrogiez : à quoi bon travailler toujours plus longtemps ? Le sens de l'histoire et du progrès social n'est-il pas précisément de faire en sorte qu'on se libère du temps ? Ouvrons un débat sur ce que font les retraités de ce pays et sur la conception que nous avons du troisième âge de la vie ! À quoi bon travailler toujours plus, si on peut se payer le luxe – et on le peut – de ne pas le faire ? Il ne vous vient pas à l'esprit qu'on puisse avoir envie de faire autre chose que travailler. Pourtant, nos retraités font beaucoup d'autres choses, et des choses utiles à la société.
Le travail est une valeur positive, mais on ne peut pas vivre coupé du réel et de l'actualité. Je vous renvoie au récent colloque organisé à l'initiative de nos collègues socialistes et intitulé « Souffrances au travail : quelles perspectives après France Télécom ? » Car le constat est bien le suivant : la santé au travail est bel et bien malmenée, et pas seulement à cause de la pénibilité, dont nous avons déjà discuté. Cela devrait donner lieu à des réformes majeures : rendre illégales les organisations pathogènes du travail, par exemple, ou repenser la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, notamment d'origine psychique. Autant d'éléments majeurs, que pourtant vous négligez, autour desquels on devrait bâtir une véritable politique de la santé au travail et qui devraient accompagner une évolution positive de notre système de retraite.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement n° 13174 de M. Éric Woerth.
Les Républicains proposent un système de retraite différent, organisé autour d'un socle universel qui vaudrait pour tous, à hauteur d'un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), et de caisses autonomes, qui permettent ensuite à chacun d'avoir une retraite en adéquation avec ses conditions de travail et l'exercice de son métier. Chaque caisse peut, dans ces conditions, s'organiser comme elle le souhaite, dès lors que le contribuable n'est pas sollicité ; si, à terme, elle éprouve le besoin de rejoindre le système universel, elle le fait par une démarche volontaire.
Vous, au contraire, vous voulez araser toutes les différences, jusqu'à 120 000 euros et laisser, au-delà, les gens se débrouiller seuls. Un tel choix peut être terriblement injuste. Par ailleurs, ces différences que vous voulez niveler, vous les recréez par ailleurs, et vous en produirez d'autres, plus nombreuses encore, car vos phases de transition sont de plus en plus longues, dans la mesure où il faudra au moins un demi-siècle pour achever la convergence. Personne ne pourra plus dire alors si c'était mieux ou pire avant, personne ne sera en mesure de calculer ce qu'il aurait gagné avec l'ancien système. De toute façon, les simulations montrent bien que c'est impossible, car les résultats diffèrent selon les modes de calcul. La vérité est que tout cela est parfaitement imprévisible, a fortiori avec ce système dont la construction s'achèvera dans trois, quatre ou cinq quinquennats, ce qui pose des questions sur sa pérennité et sa viabilité.
C'est la raison pour laquelle nous proposons un socle commun, qui préserve les droits familiaux et notamment ceux des aidants, complété par des caisses autonomes, qui peuvent fusionner si elles le souhaitent. Ce serait bien plus utile, plus efficace et plus juste.
Le problème majeur avec votre proposition, monsieur Woerth, c'est qu'elle maintient des régimes qui ne sont pas démographiquement viables. Notre commission aurait pu être utilement éclairée par l'audition des spécialistes de l'histoire sociale en France. J'ai en effet découvert assez récemment qu'en 1990, au moment de la publication du Livre blanc de Michel Rocard, il existait encore une centaine de régimes spéciaux : chaque banque, chaque port autonome avait le sien – seul subsiste aujourd'hui celui du port autonome de Strasbourg, qui compte environ deux cents salariés –, sans compter les régimes spéciaux d'Alsace-Lorraine. Ces régimes, assis sur une base démographique extrêmement fragile, ont été progressivement intégrés dans le régime général, grâce à un dispositif de protection actuarielle des droits, impliquant pendant quelques années une légère surcotisation pour leurs adhérents. Entend-on aujourd'hui les salariés du système bancaire revendiquer le retour à un régime spécifique ?
Pensons aux jeunes qui ont déjà du mal à choisir leur avenir professionnel : faut-il en plus les obliger à réfléchir à leur système de retraite ? C'est le cadet de leurs soucis ! Nous leur proposons, nous, d'avoir tous les mêmes chances face à la retraite. Ce système, que nous souhaitons le plus équitable, possible, exige une transition qui accompagne la transformation en profondeur que nous opérons. C'est pour cela que nous agissons sur le temps long. Avis défavorable.
Cet amendement propose de limiter les cotisations du système universel aux cotisations assises sur la fraction du revenu inférieur à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), au lieu de trois. Pourtant, l'idée du projet de réforme est simple et juste : 100 % des actifs doivent être couverts par le système universel avec une acquisition de droits sur la totalité de leurs revenus d'activité dans la fameuse limite de 3 PASS, c'est-à-dire, en 2020, 123 408 euros bruts. Au-delà, pour moins de 1 % d'entre eux, il y a une cotisation de solidarité. Pour les régimes dont le plafond est différent, il est prévu de les faire converger vers une cible de 3 PASS sur une durée de quinze ans.
Si on appliquait cet amendement, on maintiendrait un système de base limité à un PASS et des systèmes complémentaires au-delà d'un PASS, avec un problème : l'amendement ne nous dit pas ce que seraient les règles au-delà d'un PASS.
Proposer ainsi un tout petit socle de solidarité limité à un PASS, ce n'est pas notre philosophie. Nous voulons un système de plus universel, qui s'adresse à tous les actifs et qui soit surtout bâti sur la solidarité la plus large possible. Je ne peux donc pas soutenir cet amendement.
Vous voulez fondre l'ensemble des régimes dans un seul, mais c'est une mauvaise idée, une idée de technocrate. Faire en sorte que des régimes convergent au fur et à mesure du temps pour des raisons démographiques, cela peut se prévoir longtemps à l'avance ; et des régimes peuvent converger naturellement, comme cela s'est d'ailleurs produit par le passé. Laissons aux marins, aux avocats et à tous les autres la possibilité de faire pareil. Vous auriez pu, vous-mêmes, savoir qu'en 2020 se poseraient des problèmes financiers – on le prédisait déjà en 2010. Mais, depuis deux ans, vous n'avez rien fait ; vous semblez découvrir la situation au dernier moment.
Quant aux jeunes, ils n'auront pas plus confiance dans le système que vous organisez qu'ils n'ont confiance dans le système actuel, par principe. Comment en effet avoir confiance dans un système dont on ne sait pas si son financement est garanti ?
Enfin, puisque vous voulez faire de l'histoire, monsieur le rapporteur, en 2010, nous avions proposé un débat sur le système universel par points ; vous n'avez donc rien inventé. L'idée, que nos successeurs socialistes ont mise à bas, était de bâtir un système universel, du moins un système de base universel, qui aurait déjà permis la fusion entre les régimes de la fonction publique et du secteur privé, ce qui pouvait avoir un sens, même si c'était difficile et coûteux ; car ce que vous faites est extraordinairement coûteux.
Nous sommes tous en effet les héritiers d'une histoire longue, et l'histoire des assurances vieillesse ne commence pas en 1945. C'est une histoire qui remonte à la fin du XIXe siècle et qui commence par un rapport très compliqué des ouvriers et des syndicats à ce type d'assurance, auquel ils ont d'abord refusé de cotiser parce qu'ils pensaient qu'ils n'en bénéficieraient jamais.
Pour ce qui vous concerne, vous êtes dans une forme d'obstination ou d'illusion technocratique. La réalité, c'est que le système que vous proposez ne fonctionne que sur le bureau de la direction générale du Trésor ; dans la vraie vie, il ne fonctionne pas et se heurte à la complexité des existences. Ce dont les uns et les autres, y compris les partisans initiaux de la réforme prennent aujourd'hui conscience, c'est que vous êtes en train de nous entraîner dans un désordre considérable, un chaos total, et que cette réforme n'est pas maîtrisée. La meilleure des preuves en est que vous n'êtes même pas capables d'en présenter les tenants et les aboutissants dans l'étude d'impact. Il y a fort à craindre que, dans dix ans, nous n'ayons à ramasser notre régime de retraite à la petite cuillère.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient aux amendements identiques n° 2619 de Mme Clémentine Autain, n° 2623 de Mme Caroline Fiat et n° 2630 de M. Adrien Quatennens.
Cet amendement vise à supprimer l'alinéa 3, qui propose de rendre applicable la réforme aux fonctionnaires, aux assurés relevant de régimes complémentaires et aux assurés relevant des caisses de mutualité agricole. Une telle fusion présente de nombreuses difficultés, non résolues, compte tenu du niveau d'impréparation du Gouvernement. En vérité, une multitude de régimes vont subsister et s'appliquer aux différentes catégories qui subsisteront.
Avec votre contre-réforme, vous avez mis le pays à feu et à sang ; en fait d'universalité, c'est surtout l'universalité de la colère qui s'observe aujourd'hui dans notre pays...
Je vous recommande la lecture du Monde de ce soir : vous y trouverez, mes chers collègues, les analyses de plusieurs économistes sur l'impact de votre contre-réforme. C'est littéralement édifiant. À titre d'exemple, Henri Sterdyniak donne un bilan terrifiant de la fusion en ce qui concerne les fonctionnaires, pour qui le manque à gagner sur les retraites serait de l'ordre de 32 %. C'est simple, clair, net et précis : c'est une immense régression.
Je voudrais profiter de cet amendement pour répondre à M. Bazin, qui m'a reproché d'avoir dit que les aides-soignantes étaient maltraitantes. J'assume mon propos. Dès juillet 2017, à la tribune de l'hémicycle, j'ai parlé de mes conditions de travail, j'ai parlé des quatorze besoins fondamentaux. Je considère qu'en me demandant de faire une toilette sur un corps meurtri en moins de 5 minutes, on m'a demandé de devenir maltraitante.
Ce sont les gouvernements qui se sont succédé ces vingt dernières années qui ont fait de moi une maltraitante, ce n'est pas moi qui ai choisi de le devenir, pas davantage qu'aucune de mes collègues ne s'est réveillée un matin en disant : « J'ai envie de devenir maltraitante. » Ces collègues raccrochent leurs blouses, certaines se sont suicidées, beaucoup vont très mal, les IFAS sont vides, mais je suis contente de vous avoir choqué en vous disant que nous sommes devenues maltraitantes. Cela fait deux ans et demi que j'attends de vous choquer ; peut-être les choses vont-elles changer à présent. Mais je ne retirerai pas mes propos, parce que c'est la réalité : je suis devenue maltraitante à cause des gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays.
Non seulement votre réforme ne crée pas l'universalité, mais ses effets, au contraire, vont être extrêmement variables selon les catégories socioprofessionnelles. Clémentine Autain a fait référence aux articles du Monde ; on y apprend notamment que les effets de la réforme toucheront beaucoup plus durement les employés et les professions intermédiaires que les cadres supérieurs qui, eux, vont potentiellement y gagner. Il y a donc bien plusieurs poids et plusieurs mesures dans ce projet de loi, ce qui non seulement conforte l'idée qu'il n'y a pas d'universalité, mais surtout que les effets de la réforme seront très différents selon les situations individuelles, si l'on considère le temps pendant lequel chacun devra travailler pour pouvoir accéder à une retraite à taux plein, du fait du report de l'âge d'équilibre. C'est écrit dans Le Monde : les employés seront les grands perdants de cette réforme.
Je viens de comprendre ce que je ne comprenais pas au début de mon mandat : déposer beaucoup d'amendements permet d'apparaître dans les statistiques publiées sur le site NosDéputés.fr et d'exploser les chiffres... Mais en faisant cela, on ne construit rien, on renvoie au contraire une très mauvaise image du fonctionnement de l'Assemblée nationale. Je peux entendre que vous fassiez des propositions dont on peut discuter, mais amender chaque alinéa du texte n'a aucun sens.
Avis défavorable.
Dans quelques instants, notre groupe va faire un rappel au Règlement en séance. Je voulais le relayer ici parce qu'il concerne notre commission spéciale. Il n'est pas exclu que nos travaux se poursuivent jusqu'au mardi 11 février et que nous travaillions les samedi 8 et dimanche 9, la discussion sur le projet de loi organique ayant lieu le mercredi 12.
Dans les faits, la commission examine en moyenne 125 amendements par jour. À ce rythme, somme toute raisonnable, il lui sera impossible d'examiner l'ensemble des amendements, c'est désormais acquis. La majorité en impute la responsabilité à l'opposition et au nombre d'amendements que nous avons déposés. Pourtant, le groupe de La République en Marche en a déposé à lui seul 322. Si l'ensemble des autres groupes en avaient déposé le même nombre, il nous aurait fallu vingt jours de débats pour les examiner. La mise en cause de l'opposition est donc infondée.
Arrêtez de vociférer ! Il est donc vraisemblable que la commission spéciale ne parviendra jamais à examiner les soixante-cinq articles du projet de loi avant son arrivée dans l'hémicycle, le 17 février, et cela est imputable à une organisation de nos travaux parfaitement déraisonnable, dans le seul but de satisfaire au calendrier gouvernemental.
Nous demandons donc que la Conférence des présidents décide du report de l'examen du texte en séance, pour permettre à la commission de siéger... jusqu'à ce que mort s'ensuive – en tout cas, jusqu'à épuisement de l'examen des amendements.
Monsieur Jumel, je vous ai laissé parler. Il serait souhaitable que, de temps en temps, vous respectiez votre temps de parole et le droit à s'exprimer des autres personnes qui se trouvent dans cette salle, qui ne sont pas toutes de votre avis.
C'est parce que je respecte le travail des parlementaires que nous allons poursuivre nos travaux et que nous discuterons ultérieurement, dans le cadre approprié, de la question que vous soulevez.
Monsieur le rapporteur, vous avez le droit de ne pas être d'accord avec nous, mais cessez de faire accroire que nos positions ne seraient que du folklore ! C'est vous qui avez remis aux parlementaires une étude d'impact truquée, c'est vous qui avez trompé les Français, en gelant l'âge d'équilibre dans les cas types que vous leur présentez, donc, de grâce !
Opposons nos points de vue sur le financement du système, l'âge de départ et la manière de le garantir – ce que vous êtes d'ailleurs incapables de faire –, mais arrêtez de prétendre que nos arguments seraient faux et qu'ils ne serviraient qu'à alimenter l'obstruction. Chacune de nos interventions, même si elles sont nombreuses, est argumentée et pose des axes de débat dont vous refusez de vous emparer. Finissons-en donc avec cette mauvaise foi, car nous ne manquerons pas de rappeler en contrepartie que c'est vous qui avez trompé la représentation nationale et les Français avec votre étude d'impact.
Je salue la démonstration arithmétique de notre collègue Jumel : elle est implacable. Si chaque groupe avait déposé environ 300 amendements, comme le groupe majoritaire, nous aurions en effet pu travailler dans de meilleures conditions !
C'est simplement une démonstration par l'absurde, pour montrer que certains groupes de l'opposition ont délibérément bloqué les débats.
La commission rejette les amendements identiques.
Mes chers collègues, pour des raisons techniques, je suis obligée de suspendre la séance quelques instants.
La séance, suspendue à seize heures quarante, reprend à seize heures cinquante-cinq.
La commission est saisie de l'amendement n° 21535 de M. Sébastien Jumel.
Comme je le dis à mes enfants, à 8 ans la blague du chewing-gum sur la poignée de porte, c'est rigolo ; à 12 ans, ça l'est moins ; à 16, c'est inquiétant ; mais à 40... Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle en vient aux amendements identiques n° 3040 de Mme Clémentine Autain, n° 3044 de Mme Caroline Fiat et n° 21171 de Mme Valérie Rabault.
Nous proposons de supprimer les articles qui étalent dans le temps l'application de la réforme. Cela crée des inégalités entre générations, puisque les assurés nés le 1er janvier 2004 et après entreront dans le nouveau système à compter du 1er janvier 2022, tandis que ceux nés entre 1975 et 2003 l'intégreront le 1er janvier 2025. C'est cette mise en oeuvre progressive de votre système universel que nous contestons en bloc.
Nous estimons que notre commission n'est pas suffisamment éclairée sur les modalités d'application de cette montée en puissance du système. J'aimerais donc des éclairages concrets sur la façon dont va s'échelonner cette mise en oeuvre du système universel. Cela ne nous empêchera pas de le rejeter, mais cela pourrait intéresser les Français qui nous écoutent.
Avec l'amendement n° 21171, nous demandons la suppression des alinéas 4 à 6, par lesquels le Gouvernement tente de faire croire aux Français que seuls ceux nés après 1975 seraient concernés par la réforme des retraites. En réalité, les articles 13, 15 et 62 du présent projet de loi montrent que tous nos concitoyens vont être touchés par la réforme des retraites dès 2022. Concrètement, qu'ils soient nés avant ou après 1975, tous nos concitoyens qui ont une activité professionnelle verront leur assiette et leur taux de cotisation modulés par le biais du régime de transition. Il me semble d'ailleurs que c'est ce que le Premier ministre a répondu à Mme Rabault lors de la dernière séance de questions au Gouvernement.
La règle qui préside à la transition entre l'ancien et le nouveau système est que ceux qui sont à moins de dix-sept ans du départ à la retraite ne sont pas concernés. Pour ceux qui entreront sur le marché du travail à partir de 2022 et qui sont nés après le 1er janvier 2004, nous avons choisi, plutôt que de les affilier pour trois ans seulement à l'ancien système avant de les faire basculer vers le nouveau, de les faire entrer directement dans le système universel. C'est plus simple et plus efficace.
Ces périodes de transition vont poser un problème à certains couples si un des conjoints est né avant 1975 et l'autre après. Vont-ils pouvoir choisir le système qui leur est le plus bénéfique ? Prenons le cas d'un couple dans ce cas, et qui a trois enfants : avec l'actuel système, ils ont droit à une majoration de 5 %, plus 5 %, plus 10 % ; le nouveau système leur accordera 5 % par enfant, plus 2 % au titre du troisième. Ce qui fait que 17 %, et non plus 20 %. C'est une question très concrète, pour laquelle nous avons besoin d'une réponse, si nous ne voulons pas faire de perdants dans ces couples.
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques n° 2636 de Mme Clémentine Autain et n° 2640 de Mme Caroline Fiat.
Ces amendements portent sur l'alinéa 4 ; les suivants porteront sur l'alinéa 5, puis sur l'alinéa 6. Il me permet de demander au rapporteur et au secrétaire d'État des explications sur ces propos des Économistes atterrés : « Dès 2022, théoriquement, mais surtout 2025 en pratique (car très peu de jeunes nés en 2004 ou après commenceront à travailler avant 2025), les caisses existantes seront privées des cotisations des personnes nées après 1975, soit approximativement de la moitié de leurs ressources, alors qu'elles devront continuer, au moins jusqu'en 2037, à distribuer autant de prestations. » Ce qui pose un petit problème, sur lequel j'aimerais avoir une réponse concrète.
Qui dit période de transition dit dotations de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) pour maintenir l'équilibre.
La commission rejette les amendements identiques.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 21540 de M. Pierre Dharréville.
La réponse que nous a faite le rapporteur sur les amendements précédents est très intéressante : peut-on avoir une estimation précise et non truquée de la somme que va représenter ce manque à gagner, appelé à être compensé par la CNRU ?
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 21536 de M. Pierre Dharréville.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient ensuite aux amendements identiques n° 2653 de Mme Clémentine Autain, n° 2657 de Mme Caroline Fiat et n° 2664 de M. Adrien Quatennens.
Je réitère ma question : est-il possible d'avoir une évaluation du manque à gagner que je viens d'évoquer et du coût que cela va représenter pour la CNRU ? Est-ce le Gouvernement qui va décider de ces transferts ? Certaines caisses seront-elles défavorisées par rapport à d'autres ?
Si vous n'apportez pas de réponses à ces questions légitimes, en nous expliquant comment vous anticipez la transition, comment voulez-vous que les Français aient confiance ? Il est incroyable que, sur un dossier aussi important, pour lequel vous avez choisi la procédure accélérée, vous ne soyez pas capables de répondre à des questions aussi élémentaires que celles qui portent sur le financement des mesures transitoires !
Vous êtes incapables de répondre aux questions précises que nous vous posons sur le financement, alors que c'est pourtant un point central. Nous voudrions donc que le secrétaire d'État nous réponde et nous donne une évaluation du manque à gagner, considérable, que va représenter la transition pour les caisses.
Le financement de la réforme est traité au titre IV, ce qui nous donnera l'occasion d'aborder les points particuliers. En ce qui concerne le principe général, les taux de cotisation restent les mêmes pour l'immense majorité de nos concitoyens, autrement dit les ressources seront identiques pour l'immense majorité du système ; il en va de même pour les dépenses, puisque les pensions demeurent en grande majorité identiques. La transition d'un système à l'autre s'étalant sur quinze à vingt ans, les baisses ou les hausses seront extrêmement faibles d'une année sur l'autre, et c'est la CNRU qui en assumera les coûts ou en récupérera les bénéfices.
Sur les amendements, j'émets un avis défavorable.
J'ai bien saisi le principe mécanique, mais ce qui nous intéresse, ce sont les montants. Nous avons besoin d'un tableau retraçant sur toute la période de transition les transferts et tous les effets de bord. Toutes les informations financières sur la période transitoire comme sur le système définitif sont lapidaires – nous ne sommes pas les seuls à le dire : le Conseil d'État et la Commission européenne sont du même avis. A-t-on droit à un peu de clarté ? Peut-on avoir des éléments précis sur tous les aspects financiers de cette réforme ?
Vous engagez des changements considérables et vous nous demandez d'avancer les yeux fermés. Ça ne peut pas fonctionner comme ça, à moins de considérer que la représentation nationale n'a pas besoin d'être correctement instruite, ce qui est contraire aux obligations du Gouvernement, telles que fixées par la Constitution.
Vous justifiez votre projet de réforme en arguant de l'insoutenabilité financière du système actuel, chiffres précis à l'appui, mais vous êtes incapables de nous éclairer sur les aspects financiers concernant, dès demain, la transition, c'est-à-dire la soutenabilité financière à court terme de ce que vous proposez. Il y a là un paradoxe criant : comprenez que cela ne fait qu'alimenter les inquiétudes de l'opposition et que vous ne pourrez plus longtemps vous soustraire à vos responsabilités en la matière.
Monsieur Thibault Bazin, nous aborderons tout ce qui concerne les droits familiaux et les majorations par enfant, en particulier pendant la période de transition, dans la partie du texte qui leur est consacrée, en l'occurrence le titre V. Je le souhaite en tout cas, car de nombreux parlementaires veulent, tout comme moi, avancer dans nos débats.
Quant à la question posée par La France insoumise, il me semble que le rapporteur a été extrêmement clair : où y a-t-il un manque à gagner ? Il est clairement indiqué dans le texte que la CNRU compensera à due proportion les engagements des caisses, ce qui est logique ; dans le cas contraire, vous auriez raison d'interpeller le rapporteur et le Gouvernement. J'espère donc que vous êtes rassurés, puisque cela sera écrit dans la loi.
Pardonnez-moi, mais cela n'est toujours pas clair pour moi, d'autant que ces questions ne seront pas réglées dans la loi mais par ordonnance et par la conférence de financement. Vous nous dites qu'il va y avoir compensation, mais comment l'argent va-t-il être affecté aux différentes caisses, l'AGIRC-ARRCO, les régimes complémentaires des indépendants, les régimes autonomes des professions libérales ?
Pour les fonctionnaires ensuite, allez-vous retenir le taux de 16,87 % pour les plus jeunes et de 74,28 % pour les plus anciens ? Ce sont autant de questions sur lesquelles on n'y voit absolument pas clair, sans parler de la valeur du point : dans un régime transitoire en effet, quelle garantie avons-nous sur la valeur du point ?
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine l'amendement n° 14666 de M. Pierre Dharréville
On aura tous compris notre ardent désir de voir ce dispositif entrer en vigueur... Nous proposons donc de repousser son application afin de nous donner le temps de le remettre en cause.
Le secrétaire d'État accepterait-il de nous transmettre dans un délai raisonnable – 24 ou 48 heures – le tableau des flux financiers qu'il a évoqué ? Il avait l'air très au fait de ce qui se passera et nous apprécierions de pouvoir l'être autant que lui.
J'ajoute un argument qui devrait vous séduire : il est nécessaire de surseoir pour vous donner le temps de nous transmettre les tableaux, données, études d'impact afin de répondre aux exigences du Conseil d'État, lequel considère qu'il incombe au Gouvernement d'améliorer encore son texte.
Si le projet est mauvais, pourquoi pénaliser les générations de 2082 et 2064 ? Ne faudrait-il pas envisager une date postérieure ?
La commission rejette l'amendement
Elle examine les amendements identiques n° 2670 de Mme Clémentine Autain, n° 2677 de M. Jean-Luc Mélenchon, et n° 2681 de M. Adrien Quatennens
Nous vous proposons de supprimer l'alinéa 6.
M. le secrétaire d'État juge qu'il est inopportun de parler de manque à gagner, mais c'est tout de même la réalité ! Si des personnes basculent dans le régime par points et qu'une grosse masse des salariés n'y sont pas, vous vous rendez bien compte que l'entre-deux pose problème : il faut donc remplir les caisses.
Comment la répartition s'effectuera-t-elle ? Quelle sera précisément la valeur du point à ce moment-là ? Ce ne sont pas des questions en l'air ! Vous nous dites que cela figure dans le texte mais celui-ci fait état de principes, on n'y voit pas de tableaux – ou alors, indiquez-moi la page si je l'ai ratée, puisque nous n'avons eu qu'une semaine pour étudier les soixante-cinq articles et les mille pages de l'étude d'impact. Dites-moi donc précisément où se trouvent les éléments précis décrivant le financement de la transition.
Vous ne serez pas étonnés de m'entendre poser les mêmes questions, auxquelles je suis surpris que le secrétaire d'État ne puisse répondre. En vérité, vous ne savez pas quoi dire et vous attendez que ça se passe. Sachez qu'à l'extérieur de ces murs, des gens travaillent, lisent, étudient et que nos amis des Économistes atterrés nous ont bien approvisionnés. Vous devez donc répondre.
Deux systèmes, deux régimes fonctionneront en même temps : comment organisez-vous la stabilité financière d'un tel attelage ? Dites-le nous ! Ou bien nous nous sommes trompés et nous n'avons pas bien lu, ou bien reconnaissez que vous l'ignorez, que vous n'avez aucune idée sur la question et que vous vous en remettez à ce qu'il adviendra.
La situation a le mérite d'être claire. Ces deux alinéas montrent que celles et ceux qui sont nés avant 1975 seront aussi concernés par votre réforme des retraites. Vous ne leur appliquez pas le système par points mais leur régime devra économiser 12 milliards, ce qui est d'ailleurs l'unique objet de la conférence de financement –dont on apprend qu'elle fera part de ses conclusions après le vote du texte dont nous discutons.
De quoi discutons-nous, en fait, si ce n'est de grands principes, dont tout le monde sait qu'ils se réduisent à des éléments de langage ? Ça suffit ! Nous devons avancer, ce qui suppose d'avoir les précisions que la représentation nationale est en droit d'exiger. Nous avons besoin d'éléments chiffrés et de données assez précises, en particulier s'agissant de la transition, de la période où les deux régimes coexisteront, celui de ceux qui ne seront pas concernés par le système par points mais dont le régime devra faire des économies, et ceux qui, nés en 1975, entreront dans le système par points. Ce sont des questions essentielles pour pouvoir avancer. Il n'est pas possible de s'en tenir à des voeux pieux. Vous devez nous répondre !
Ces interpellations n'ayant pas directement de rapport avec des amendements visant à supprimer la date de 2025, je rappelle à M. Quatennens que la conférence de financement concerne le système actuel et que nous discutons du système à venir.
S'agissant de la mécanique de financement, madame Autain, je vous invite à vous reporter à l'article 58, alinéa 20 : la CNRU « verse aux régimes mentionnés [...] des dotations calculées en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu au sein de chaque régime en l'absence de modification du périmètre d'affiliation »...
Comme pour tout changement de système, nous prévoyons une période de transition, en l'occurrence de quinze ans. S'agissant des taux définitifs, je vous invite à vous reporter à la page 141 de l'étude d'impact pour ce qui concerne les salariés, à la page 143 pour les fonctionnaires, à la page 145 pour les régimes spéciaux et à la page 147 pour les travailleurs indépendants.
Avis défavorable.
Je me réjouis qu'après quelques heures, M. Quatennens se soit enfin aperçu que le titre Ier concerne les principes. Bravo, c'est un beau progrès, le travail a porté ses fruits !
Vous avez compris que la question de la transition intéresse un très grand nombre de professions, qu'elles ont droit à un dialogue social, à être entendues. Les ordonnances qui, en vertu du principe constitutionnel, seront prises par la suite, une fois l'habilitation adoptée, auront vocation à déterminer avec les secteurs concernés la façon dont la transition sera gérée.
Les Français qui nous suivent contribuent également à faire la lumière sur ce qui est en train de se passer car vous venez de confirmer une information qui me semble très importante. La situation n'était pas aussi claire lors de l'audition des syndicats, la semaine dernière.
La conférence de financement, dites-vous, monsieur le rapporteur, n'a pour seul objet que le système actuel. Rappelons qu'elle a été organisée après le retrait provisoire de l'âge pivot pour les seules générations nées avant 1975, contrairement à ce que certains croyaient. Voilà une première information qui a le mérite de la clarté : la conférence de financement n'a rien à voir avec le projet de loi dont nous discutons ni avec le système par points : elle ne concerne que le système actuel.
Autre information, qui en est le corollaire : l'âge pivot n'a jamais été retiré du texte, même provisoirement, en tant que mesure d'économie envisagée pour les générations d'avant 1975. Dans le débat public, tout le monde avait fini par penser que vous l'aviez provisoirement retiré du texte, mais ce n'était absolument pas le cas.
Je remercie le rapporteur pour la précision des références mais si sa réponse avait été complète, il aurait signalé que sous les tableaux figure « Sources : calcul DSS sur données ACOSS », « Note de lecture : Les effets présentés ici sont hypothétiques puisqu'ils correspondent à une bascule immédiate dans le système cible dès 2025 en l'absence de toutes transitions » ; « En raison des allégements de cotisations sur les bas salaires, les montants de cotisations employeurs présentés ici pour un niveau de revenu égal à un Smic sont "théoriques" : ils ouvrent bien des droits au salarié mais ne font pas l'objet d'un versement effectif de la part de l'employeur. »
On aimerait que vous stabilisiez un peu plus les sources que vous donnez...
Nous aimerions en effet un peu de clarté et quelques engagements. En l'état, celles et ceux qui seront dans ce système hybride ne disposent d'aucune garantie ; or, si la technologie hybride a accompli quelques progrès dans le secteur de l'automobile, elle est loin d'avoir fait ses preuves dans celui des retraites...
Jusqu'à votre arrivée au pouvoir, je pensais que 1975 était une belle année mais je commence à me poser des questions. Ceux qui sont nés après cette date seront pris dans cet entre-deux, dans cette brèche de l'espace-temps où ils seront affiliés à deux systèmes, deux régimes, sans connaître exactement les garanties dont ils bénéficieront ni pour la première partie de leur carrière, ni pour la seconde.
Vous n'êtes pas au rendez-vous de votre devoir d'information.
Il faut de la clarté et de la vérité ; or nous en sommes très loin. Monsieur le secrétaire d'État, comment peut-on relier ce projet de loi dont nous débattons depuis lundi et le financement ? Vous savez fort bien que rien n'est financé et comme l'assemblée plénière de la conférence de financement n'aura lieu qu'en avril, nous ne serons peut-être fixés qu'à ce moment-là sur les éventuelles solutions permettant de relier l'un et l'autre. Depuis lundi, nous sommes dans le potage : on débat, on débat, on débat, mais rien n'est financé, dans quelque domaine que ce soit.
On pourrait comparer les différents régimes de protection sociale depuis l'après-guerre aux maisons d'un village qui auraient été construites en suivant un certain nombre de consignes communes, mais selon des règles et des styles différents. En l'occurrence, nous envisageons de bâtir un immeuble commun...
.. dans lequel nous définirons progressivement comment les uns et les autres en aménageront les différentes parties, ce qui prend du temps. C'est le rôle d'un gouvernement, d'un parlement, me semble-t-il, d'essayer de redonner du sens commun, de définir des règles du vivre ensemble en même temps que la façon dont les uns et les autres feront valoir leurs différences. Nous ne nions pas les difficultés de la tâche.
La lettre de mission du Premier ministre adressée à Jean-Jacques Marette est très claire : l'enjeu est de financer le régime actuel et d'évoquer des pistes pour la transition vers le régime futur. Soit on fait semblant de ne pas comprendre, soit on lit les documents remis : la lettre de mission notamment était très claire. Il serait bon, monsieur Quatennens, de ne pas faire semblant de ne pas être au courant.
Il ne faut pas mélanger deux choses.
Premier point : le COR l'a dit, le système actuel connaît un déficit, qui s'accroît significativement.
Le Gouvernement souhaite que le système actuel parvienne aux conditions de l'équilibre : il ne s'agit pas de combler tout le déficit existant, qui continuera d'ailleurs à augmenter jusqu'en 2025, mais de créer les conditions de l'équilibre à cette date, demande parfaitement raisonnable.
Pour ce faire, les partenaires sociaux ont souhaité prendre leur responsabilité, ce dont je suis très heureux. Je crois beaucoup à la réussite de la conférence de l'équilibre et du financement animée par Jean-Jacques Marette ; d'abord parce qu'il connaît bien les systèmes par répartition et par points, ensuite, parce qu'il est habitué à travailler avec les partenaires sociaux – point très important pour la réussite de la conférence.
Je veux bien le répéter deux cents fois : vous ne trouverez pas dans l'étude d'impact des éléments portant sur le résultat de la conférence sur l'équilibre et le financement.
Si d'aucuns persistent dans leur incompréhension, c'est qu'ils n'ont peut-être pas envie de comprendre. Disons donc les choses clairement : les partenaires sociaux ont pris les choses en main, ce qui est fort bien, ils souhaitent pouvoir trouver les conditions d'un accord. En tout cas, je les y invite et je les y aiderai autant que je le peux, la condition de cet accord étant la remise à l'équilibre du système actuel.
Deuxième point : ce projet de loi décrit la nature du futur système à partir d'un certain nombre d'éléments. J'ai bien entendu que certains d'entre eux sont contestés ; reste qu'ils s'appuient sur une étude d'impact riche, bien plus importante que celles qui ont été réalisées par les majorités précédentes – même si, à leur décharge, elles n'étaient sans doute pas animées par la même ambition que la nôtre. Je ne leur fais donc pas grief du caractère relativement limitatif de leurs études d'impact et j'entends leur exigence pour celle-ci, mais regardons sereinement ce qu'il en est. Les éléments fournis répondent parfaitement aux questions posées par Mme Clémentine Autain.
J'entends parler de manque à gagner. Je vais donc répéter les propos du rapporteur : j'espère que nous pourrons parvenir à examiner l'article 58 car mon objectif, chaque fois que je suis interpellé sur des sujets intéressants comme les droits familiaux, les transitions, l'intégration financière, c'est précisément d'en discuter au fond. Il ne faut pas s'étonner d'une certaine confusion si l'on veut débattre des soixante-cinq articles de la loi en examinant le seul titre Ier ! Je ne fais pas de procès d'intention à qui que ce soit, mais tous ceux qui souhaitent que nos concitoyens, qui nous regardent, soient éclairés pourraient s'interroger à ce propos : est-ce le bon endroit pour parler de tous ces sujets ? N'a-t-on pas tous intérêt à avancer ensemble dans l'examen du texte ?
Qu'y a-t-il dans l'article 58, madame Autain ? « [...] Sous réserve des dispositions du II, la Caisse nationale de retraite universelle assure l'équilibre financier des régimes participant à la mise en oeuvre du système universel de retraite. [...] Elle verse aux régimes mentionnés [...] des dotations calculées en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu au sein de chaque régime en l'absence de modification du périmètre d'affiliation. »
Je veux bien discuter avec vous pendant des heures, cela m'intéresse, mais je souhaite que nous puissions avancer ! Ce sujet a été abordé à plusieurs reprises et nous vous avons chaque fois répondu. Le rapporteur a été très clair et j'espère que le Gouvernement l'est également.
La commission rejette les amendements
Puis elle examine l'amendement n° 14667 de M. Sébastien Jumel
Je vous écoute toujours très attentivement, monsieur le secrétaire d'État : vous venez de rebaptiser la conférence de financement en la nommant « conférence d'équilibre ». Ce glissement sémantique n'est pas totalement neutre : le seul objectif que vous vous fixez, c'est de respecter la règle d'or, et non de réfléchir à la modification du taux de cotisation, de l'assiette, à des éléments qui ne mettraient pas à contribution les salariés... Les 12 milliards à trouver à moyen terme, voilà ce qui vous préoccupe en premier lieu !
Ensuite, vous ne clarifiez en rien ce qui se passera pendant la période de transition.
Enfin, vous saucissonnez : vous voulez parvenir à l'équilibre pour le système actuel et, le prochain, quant à lui, reposera sur la règle d'or fixée à partir de 2025, la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) étant portée à 12,9 %. CQFD : là encore, l'objectif est de serrer les moyens consacrés aux retraites, donc, de diminuer les pensions puisque la part du gâteau sera réduite.
Mon amendement vise donc à nous donner une bouffée d'oxygène en épargnant la génération de 1975.
Cet amendement propose en fait de repousser l'entrée en vigueur du système de soixante ans.
Je suis un peu surpris par ces interpellations. Mme Autain s'est demandé s'il y avait un trou dans les finances et M. Jumel si c'est une conférence d'équilibre qui réglera le problème. D'ordinaire, les questions de ce type proviennent plus de la droite que de la gauche ! Contenir la part des retraites à 12,9 % du PIB n'est pas le fruit d'une volonté, mais une conséquence. Vous aurez noté que, ces dernières années, l'activité économique a été plus soutenue, ce qui a permis de résorber une partie du chômage – même si la route est encore longue – et créé une certaine tension sur les salaires en raison de la difficulté à trouver certaines compétences. Si l'évolution des salaires continue en l'état, la proportion relative des revenus des retraités dans le PIB en sera d'autant diminuée.
Avis défavorable.
Je suis un peu affligée par vos propos, monsieur rapporteur. Permettez-moi de filer votre métaphore des maisons : accepteriez-vous que votre nouveau logement repose sur des fondations hypothétiques ? Accepteriez-vous d'acheter un logement dont le prix de vente serait fixé vingt ou trente ans après la signature de l'acte de vente ? C'est exactement ce que vous proposez de faire ! Pas de fondations et un prix de vente fixé de manière aléatoire dans vingt ou trente ans !
Je vous rassure, monsieur le rapporteur : l'équilibre des comptes nous intéresse. Nous ne sommes pas des charlots ! Lisons bien l'article 58, alinéa 20 : c'est du parfait charabia ! Oui, il faudra des compensations, et pour une raison simple : les régimes qui resteront applicables aux populations nées avant le 1er janvier 1975 seront structurellement déficitaires – c'est indiqué dans l'étude d'impact.
Vous assurez que les dotations seront calculées « en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu au sein de chaque régime en l'absence de modification du périmètre d'affiliation résultant de l'application du système universel », bla-bla-bla. C'est parfaitement incompréhensible ! Qu'est-ce que signifie « en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu » ? Strictement rien !
L'article dispose ensuite que « les modalités de calcul de ces dotations sont précisées par voie réglementaire », ce qui signifie : ordonnances !
Imaginez que l'on écrive : « Le nouveau niveau du SMIC devra prendre en compte le coût de la vie. » Vous signez, mais vous ne savez pas ce que sera l'augmentation ! C'est une plaisanterie ! Il n'y a là rien de précis.
Je note avec amusement que M. Jumel est d'accord avec votre proposition : il ne fait qu'en décaler la date d'application, à une échéance un peu lointaine il est vrai...
Valérie Rabault a décrit un certain nombre de faiblesses de votre immeuble, monsieur le rapporteur, mais bienvenue aussi aux assemblées des copropriétaires ! Vaste sujet dans un cadre universel, je vous l'assure !
S'agissant des précédentes études d'impact et de leur ambition, nous ne voulions pas tout refaire car cela ne s'imposait pas. Votre usine à gaz est inutile. Il est possible de faire mieux, plus justement et plus facilement. Je ne dis pas que cela mettrait moins de gens seraient dans la rue mais au moins on comprendrait le système, ce qui participe de la démocratie.
Un équilibre global du système devrait globalement s'équilibrer en 2027, nous dit-on. Mais comment ? Ce devrait être le but de toute étude d'impact. Si qualité de la vôtre se mesurait au poids, vous remporteriez à coup sûr les championnats du monde, après avoir remporté celle des critiques, particulièrement sévères, du Conseil d'État !
Au fond, ce n'est pas tant votre ambition que nous contestons que l'endroit où vous la placez. C'est ce que nous essayons de vous dire avec nos propositions, qui n'ont du reste rien de contradictoire avec les annonces de principe que le Président de la République avait formulées. Vous devriez pouvoir accepter des amendements de refonte de votre propre système.
Il n'aura pas échappé à Éric Woerth que Sébastien Jumel, nos collègues et moi-même n'avons d'autre objectif que de gagner du temps et de retarder le moment où le bourreau fera son office... Cela permet néanmoins de soulever un certain nombre de questions. Ainsi, est-il possible de nous expliquer à partir de quels critères l'année 1975 a-t-elle été choisie ? Est-ce au petit bonheur la chance ? Le choix de l'année que nous proposons est tout aussi justifié, si l'on y réfléchit bien.
La conférence sur le financement se situe donc sur le même registre que celle qui a eu lieu pour l'assurance chômage : vous imposez des contraintes impossibles aux partenaires sociaux en leur enjoignant de se mettre d'accord, faute de quoi c'est vous qui prendrez la main. Je crains que les résultats ne soient identiques. Nous verrons bien ce qu'il en adviendra.
Enfin, vous exigez un équilibre alors que tout, y compris les prévisions du COR, laisse à penser que, sur le temps long, il était acquis. La contrainte que vous posez ne vise en fait qu'à libérer le terrain pour imposer par la suite votre réforme.
J'ai été très inspirée par la métaphore de Mme Rabault. Je vais essayer de la filer à mon tour afin d'illustrer notre vision des choses.
Les fondations sont bien là : nous sommes les donneurs d'ordre et nous laissons aux architectes et aux experts béton le soin d'en définir les moyens. La garantie résultat est également là, puisque la loi dispose que le système commencera en étant équilibré : quels que soient ces moyens, l'équilibre sera au rendez-vous. S'il le faut, le Gouvernement prendra ses responsabilités, et nous aussi.
Enfin, vous parlez d'un hypothétique prix de vente ; mais il est très fréquent d'acheter une maison sur plan. Nous sommes en train de dessiner les plans du nouveau système que nous bâtissons pour les générations futures.
Je devrais mettre mes chaussures de sécurité et mon casque ! (Sourires.) Les équipements de protection individuelle sont essentiels...
Monsieur Jumel, il n'y a aucun glissement sémantique. Reportez-vous à l'article 57 : vous verrez que la conférence porte sur « l'équilibre et le financement des retraites », formule parfaitement adéquate. Le rapporteur l'a dit, les partenaires sociaux ont accepté de prendre leurs responsabilités : il est nécessaire de reconstruire l'équilibre pour lancer le nouveau système. Mais la conférence aura également pour rôle de faire des recommandations pour l'avenir. Autrement dit, les partenaires sociaux ont la responsabilité de retrouver les conditions de l'équilibre sur le court terme et sont également associés à la façon dont le système sera piloté sur le long terme.
La commission rejette l'amendement
Puis elle examine l'amendement n° 21541 de M. Pierre Dharréville
Vous finissez par bien connaître cet amendement, car nous avons de la suite dans les idées ; nous espérons que vous reconnaîtrez enfin que nous avons raison.
J'ai plaisir à retrouver régulièrement M. Dharréville et M. Jumel sur les thèmes de l'universalité et de l'iniquité.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement
Elle examine ensuite l'amendement n° 497 de M. Sébastien Jumel
La question du statut des marins, en raison de leur rythme de travail, des durées d'embarquement, des difficultés de vie en mer, est tout à fait emblématique. L'article 7 renvoie d'ailleurs aux ordonnances le soin d'examiner le régime spécifique qui leur sera réservé, privant ainsi le Parlement d'exprimer son point de vue sur l'âge de départ, la reconnaissance des éléments de pénibilité, et j'en passe. Dès cet article 2, nous proposons de consolider cet héritage historique, cette spécificité irréfragable, notamment s'agissant de l'accès à la retraite.
Si vous avez 5 minutes, monsieur le secrétaire d'État, je vous invite à Dieppe pour rencontrer mes marins-pêcheurs. Vous vous rendrez compte de la dureté de leur métier, vous verrez à quel point les corps sont marqués. Mais dans la marine de commerce également, dans le Transmanche, pour ceux qui embarquent pour des marées de plus de quinze jours, les éléments de pénibilité ne doivent pas non plus être négligés.
En théorie, vous semblez avoir reconnu la spécificité de ce métier, ce qui contredit l'universalité du texte : encore un régime spécifique que le rapport de force vous a conduit à concéder !
Depuis le début des travaux de cette commission spéciale, M. Jumel et moi-même nous interpellons régulièrement, mais en toute amitié et non sans humour. S'il y a une chose que je ne conteste pas chez lui, c'est son attachement à la cause des marins. Je l'ai entendu en parler maintes fois, notamment à la commission des affaires économiques ; je sais combien il est sincère et combien il connaît le peuple des marins.
Il s'agit de montrer, d'une part, que ces derniers sont comme les autres citoyens et, d'autre part, qu'ils méritent une attention spécifique en raison de leur métier particulièrement difficile, pénible, dangereux, un métier hors normes en quelque sorte. Ce qui justifie le maintien d'un régime des marins au sein du régime universel.
Je suis défavorable à cet amendement tout en lui sachant gré d'avoir rappelé la spécificité et la dureté de ce métier.
Monsieur le rapporteur, vous rejetez cet amendement tout en comprenant les spécificités de ce métier, et notamment sa dureté. Mais d'autres professions se sont organisées au sein de régimes autonomes non par souci de privilèges, par volonté de se replier sur soi ou par nombrilisme, mais pour des raisons déontologiques relatives à la philosophie même de leur métier. Le régime autonome répond à de telles exigences : pas de soumission à un ensemble économique qui ferait perdre leur indépendance d'esprit. C'est le cas notamment des auxiliaires de justice. Ce n'est pas une question de défense d'un pré carré ou d'équilibre des caisses. La spécificité d'un métier n'est pas nécessairement liée à sa dureté : elle peut aussi relever de l'éthique de certaines professions au service de tous.
Si les marins ont obtenu quelques concessions, le régime social des marins, l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM), fait partie des régimes spéciaux que vous avez décidé de flinguer à partir de la génération née en 1982.
Plusieurs questions se posent donc : qu'en sera-t-il de la possibilité de partir à 50 ans après vingt-cinq ans de service ? Comment envisagez-vous l'instauration d'un âge pivot adapté au régime des marins ? Quid de l'application d'une bonification des points, à l'instar des militaires, pour prendre en compte la spécificité, que je vous remercie d'avoir saluée, de ce beau mais difficile métier ? Et de l'exclusion des assiettes de cotisations forfaitaires sur la base des catégories – lesquelles pénalisent en l'occurrence beaucoup ceux qui se situent en bas de l'échelle ? Le mode de calcul de la pension de réversion – 54 % – pour les régimes de l'ENIM sera-t-il maintenu, tout comme le système de majoration de pensions pour les enfants de marins – 5 % pour deux enfants, 10 % pour trois et 15 % pour quatre ? Autant d'éléments qui prenaient en compte l'espérance de vie en bonne santé et les difficultés d'existence de nos marins, menacés par bien d'autres choses – le Brexit, la pêche électrique qui les asphyxie, les politiques européennes de quotas qui les broient !
Comment répondez-vous à ces questions précises, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur ?
La commission rejette l'amendement
La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 785 de Mme Marine Brenier et n° 21162 de M. Julien Dive, ainsi que les amendements identiques n° 685 de M. Fabrice Brun, n° 20458 de Mme Clémentine Autain, n° 20460 de M. Ugo Bernalicis, n° 20475 de Mme Caroline Fiat, n° 20483 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 20491 de M. Adrien Quatennens, n° 21265 de M. Thibault Bazin et n° 22506 de M. Julien Dive
Mon amendement n° 785 et ceux qui suivront ont un but : reconnaître l'indépendance des professions libérales, en particulier des avocats.
La question de l'avenir des caisses autonomes reste l'une des grandes inconnues de ce texte comme nous en avons eu encore la preuve ce matin avec l'amendement de notre collègue Agnès Firmin Le Bodo, rejeté à deux voix près seulement, ce qui prouve l'importance de ce sujet.
J'ai bien écouté la réponse que vous lui avez apportée, monsieur le secrétaire d'État, mais elle était malheureusement lacunaire : les caisses, avez-vous dit, décideront de l'affectation de ces réserves, mais quelle en est la garantie, le texte ne prévoyant rien en la matière ?
L'amendement n° 21162 concerne effectivement les professions libérales, et notamment les médecins. M. le secrétaire d'État a rencontré les représentants de leurs caisses autonomes de retraite, qui comptent plus de 120 000 cotisants.
Nous sommes d'accord sur le régime universel, à condition qu'il ne s'applique que dans la limite de 1 PASS, et pas de trois. Pourquoi ? Parce qu'au-delà de 3 PASS se posera un problème démographique : le nombre de médecins adhérents se trouvera divisé par trois ou par quatre. La soutenabilité de la caisse autonome sera mise en danger et, quels que soient les engagements que vous avez évoqués sur sa préservation, ce régime spécifique risque fort de disparaître : s'il ne s'occupe plus que des prestations sociales et des pensions d'invalidité, décès et autres, il n'aura plus aucun intérêt. Maintenir le plafond des 3 PASS présente donc un risque majeur : 1 PASS suffirait.
« Il y a deux sortes d'efficacité : celle du typhon et celle de la sève », écrivait Albert Camus. La sève constructive édifie peu à peu, alors que le typhon destructeur balaie tout sur son passage. Or vous avez fait le choix de tout balayer sur votre passage, tant du côté de ceux qui obstruent le débat parlementaire que de celui de la majorité qui ne dit toujours pas comment elle finance sa réforme, mais qui fait main basse sur les caisses autonomes des avocats, des professions libérales, des artisans, des commerçants, des infirmières libérales... La liste des perdants de votre réforme est en effet très longue.
L'amendement n° 685 me donne l'occasion de me faire l'avocat de la sève en dénonçant le hold-up sur les caisses autonomes.
La campagne de communication du Gouvernement, qui visait à expliquer que les avocats bénéficiaient d'un régime de pension très élevé et à les présenter, en gros, comme des nantis, a visiblement manqué d'efficacité. Vous avez vu à quel point la profession s'est mobilisée : fait sans précédent, les 164 barreaux ont répondu présent. Et pour cause : créé en 1945, leur régime autonome est tout à la fois pérenne, équilibré et solidaire.
Vous proposez de faire passer leurs cotisations de 14 % à 28 %, ce qui est littéralement considérable. Pour quel résultat concret ? Les petits cabinets risquent de mettre la clef sous la porte, et les particuliers les plus pauvres de payer au final l'addition. Cette augmentation de plus de 40 % est littéralement insoutenable. Je ne vois absolument en quoi elle constituerait un progrès : il s'agit d'une régression injustifiée qui illustre, au détriment de toute logique, votre volonté d'imposer par tous les moyens le dogmatisme de votre système à points.
L'amendement identique n° 20475 vise à compléter l'article 2 par l'alinéa suivant : « Les dispositions de cet article ne s'appliquent pas aux avocats affiliés au régime d'assurance vieillesse et invalidité décès défini au titre V du livre VI du code de la sécurité sociale. » Il reprend une proposition du Conseil national des barreaux visant à exclure les avocats du système universel de retraites. Comme le précisent tant l'ensemble des barreaux que la Conférence des bâtonniers et la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), le régime actuel de cette profession d'avocat est autonome, pérenne, solidaire et prévoyant. Il permet de garantir leur indépendance au profit des justiciables : c'est pourquoi il est impératif de les exclure du champ de cette réforme.
Si vous avez compris ce que nous voulons ajouter et ce que nous voulons supprimer, peut-être n'avez-vous pas entendu la perplexité de la société ? Comment avez-vous en effet réussi ce tour de force de mettre tous les avocats d'accord pour protester contre votre réforme ? La profession est en effet, quant à ses revenus, extrêmement diverse : les uns sont millionnaires, les autres très précaires. Et pourtant, ils sont tous d'accord contre vous : cela vaut par conséquent la peine de s'y arrêter un instant.
Que se passe-t-il ? Son régime est équilibré. Qui mieux est, il l'est jusqu'en 2079 : ils font donc, en matière de prévision, mieux que vous. Pourquoi aller fourrer vos mains dans ce nid de frelons ? D'habitude – mais je sais que vous avez changé tout le code du travail et que le principe de faveur n'existe plus – on fait une loi sociale pour améliorer la situation. Ou au moins, on fait semblant, pour le laisser croire ! Or vous ne mettez, en l'occurrence, rien sur la table. Vous ne leur dites même pas que cela va marcher beaucoup mieux. Rien, que dalle, si ce n'est que cela va aller beaucoup plus mal ! Au point de se demander si ce n'est pas un arrangement avec certains très grands cabinets d'affaires : on ne comprend pas pourquoi vous allez rançonner des gens heureux qui ne vous demandaient rien.
Une chose est évidente : avec ce projet de réforme des retraites, vous aurez réussi à vous mettre une majorité de Français à dos et, surtout, à faire sortir dans la rue, et de manière assez originale, des professions que l'on n'avait franchement pas l'habitude de voir mener la lutte. Les avocats sont extrêmement mobilisés, il faut les en saluer.
Ma collègue Caroline Fiat l'a relevé : effectivement, rien ne justifiait que l'on s'attaque à eux comme vous le faites, sinon en faire des sacrifiés pour l'exemple pour justifier cet habillage d'universalité qui ne trompe personne.
Leur régime est, c'est vrai, à la fois autonome et équilibré. Il s'appuie sur une constante croissance démographique ainsi que, avec la pension minimale, sur une solidarité intraprofessionnelle. Il prévoit même d'économiser près de 2 milliards d'euros de réserves en vue de garantir son équilibre financier – équilibre auquel vous dites si attachés – jusqu'en 2079 ! Il n'y a donc aucune justification à ce que vous infligez à cette profession.
Avec votre réforme en marche, notre justice est en panne : grève qui perdure en témoigne. J'ai échangé avec les bâtonniers de mon territoire et reçu dans ma permanence de jeunes avocats et avocates. Elles ne croient pas ceux qui leur disent que les femmes seront gagnantes avec cette réforme. Selon elles, leur caisse est adaptée à leur profession : les premières années, les cotisations sont progressives et elles bénéficient, lorsqu'elles deviennent mères, d'une prise en compte de l'année de naissance de l'enfant.
Une fois que les réserves auront été utilisées pour compenser les hausses de cotisation, les cotisations des avocats nés après 1975 ne seront pas suffisamment compensées. Ils ne pourront par ailleurs pas répercuter ce manque à gagner sur les justiciables qui bénéficient de l'aide juridictionnelle. Il leur sera également difficile, demain, d'assurer leurs permanences dans les territoires. On le voit bien, cette réforme présente un risque pour l'avenir de la justice, notamment pour ceux qui en ont besoin.
Il faut que vous preniez cette réalité en considération afin de vous montrer beaucoup plus justes à leur égard.
Je m'inscris dans la même dynamique que nos collègues : il faut défendre non une profession en tant que telle, mais de gens qui représentent les justiciables et personnifient le droit à la défense de chacun de nos concitoyens. Cette profession a déjà été mise à mal par les réformes conduites par votre gouvernement : la réforme de la justice notamment a déjà déshabillé nos tribunaux de province et, demain, fera partir de nombreux avocats. Avec cette réforme des retraites, vous mettez à mal des acteurs essentiels de la justice et les droits de nos concitoyens.
Notre collègue Sébastien Jumel se plaignait de ne pas avoir obtenu de réponse à propos des marins-pêcheurs : nous proposons de porter la réversion de 54 % à 70 %. Et pour ce qui est de la majoration pour enfants, qui s'élève à 5 % à partir du deuxième, à 10 % à partir du troisième et à 15 % à partir du quatrième, nous proposons de la porter à 5 % pour le premier, à 10 % pour le deuxième, à 17 % pour le troisième et à 22 % pour le quatrième. Nous n'entendons pas nier les spécificités des pêcheurs.
Nous partageons par ailleurs avec Fabrice Brun un intérêt pour le monde agricole. Cela étant, une transition sur quinze ans peut difficilement être qualifiée de typhon...
J'y vois surtout un travail de construction intégrant des changements profonds. Nous prenons en effet le temps de définir le système futur – c'est l'enjeu de ce projet de loi –, puis les modalités de transition, qui prendront quinze ou vingt ans, car un tel changement est compliqué. En aucun cas nous ne comptons faire main basse sur les caisses des régimes existants, qu'ils soient spéciaux ou autonomes ; en revanche, elles pourront effectivement aider à la transition.
C'est totalement différent.
J'en viens aux avocats, qui comptent environ 4,5 actifs pour un retraité, alors que chez les agriculteurs la proportion est exactement inverse : c'est pour cette raison qu'il nous faut à la fois tenir compte de l'existant et d'un avenir qui sera marqué par la modification de ces équilibres.
Nous sommes nombreux dans cette salle à appartenir à la même tranche d'âge : ainsi notre collègue Régis Juanico, auquel je souhaite bon anniversaire, n'a guère que six mois de plus que moi. Nous sommes nombreux à avoir des enfants ; pour ma part, j'en ai trois, actuellement en pleine réflexion sur leur métier futur : peut-être avocat pour l'un, agriculteur pour l'autre et salarié de la fonction publique pour le troisième. La question de leur retraite future et potentielle n'entre en ligne pas dans les conseils que je peux leur donner sur leur choix ; pour ceux qui ont déjà fait leur choix aujourd'hui, le maintien de leurs acquis est légitime, mais nos enfants et la génération future doivent pouvoir bénéficier de règles équitables. Cette sécurité, nous pouvons la leur offrir.
Enfin, on recense, même chez les avocats, chez les agriculteurs et chez les pêcheurs, de multiples spécificités, ce qui rend la définition de la transition très technique : d'où la nécessité de discussions qui se poursuivent et d'ordonnances par profession. C'est tout ce travail de sève qui va irriguer l'action que ce gouvernement et les prochains auront à mener pendant quinze à vingt ans.
Je suis donc défavorable à cette série d'amendements.
Au-delà de ce qui vient d'être dit, j'apporte une précision concernant à la fois le minimum contributif – qui profitera principalement aux artisans et aux agriculteurs – et la démographie des avocats. Vous avez illustré, monsieur le rapporteur, ce qui fait aujourd'hui la force du régime de ces derniers et ce qui en ferait, demain, la faiblesse.
Ayant connaissance de leurs difficultés, les avocats ont d'ailleurs d'eux-mêmes, dès 2015, année au cours de laquelle je plaidais encore au barreau de Paris, relevé leurs cotisations. L'augmentation de cotisations induite par la réforme est d'ailleurs en cours de correction dans le cadre des négociations menées avec le Premier ministre, un abattement de l'assiette et une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG) étant envisagés, sachant que le régime qui serait instauré ne porte pas atteinte à leur indépendance, garantie par leur métier, par leur serment et par l'affiliation à leur ordre.
Enfin, les réserves, comme le guichet unique, les dispositifs d'invalidité et de prévention décès et le système de solidarité entre les hauts et les bas revenus, autrement dit tous les principes, seront préservés.
Avec ce doublement des cotisations de tous ceux d'entre eux gagnant moins de 40 000 euros de revenus annuels, que vous proposez, c'est tout simplement un plan de licenciements massif que vous organisez.
Vous avez beau nier la réalité, 20 000 avocats vont mettre la clef sous la porte. Les chiffres sont là...
Vous relevez le taux des cotisations retraite de ceux dont les revenus annuels sont inférieurs à 40 000 euros de 14 % à 28 %. Vous n'y touchez en revanche pas à pour ceux qui gagnent plus de 120 000 euros par an : pour ce qui est de la justice, il va falloir que vous nous expliquiez votre définition de ce mot... En tout état de cause, la conséquence économique de votre réforme, c'est un plan de licenciements massif qui touchera au moins 20 000 avocats.
Quelle mouche a piqué le Gouvernement pour qu'il se lance dans une telle affaire ? Le pacte républicain n'impliquait pas de bâtir un système universel couvrant tout le monde et oubliant la nature des métiers : c'était de verser une retraite à peu près digne et conforme aux carrières menées.
Je rappelle que l'architecture que Les Républicains proposent repose d'une part sur un socle commun à 40 000 euros, c'est-à-dire un plafond au-delà duquel les caisses autonomes et complémentaires interviendraient, et d'autre part sur un alignement des salariés du public et du privé. Les avocats pourraient, comme d'autres, conserver leur caisse autonome : ils ne demandent en effet rien à personne ni au contribuable, en tout cas pas avant de très nombreuses années. Et encore moins une multiplication par deux de leurs cotisations vieillesse ! Le ministère a d'ailleurs évolué sur cette question, en expliquant qu'ils pourront se rattraper en baissant d'autres cotisations. Comme si l'on pouvait ainsi compenser la hausse de la cotisation vieillesse ! C'est d'autant plus surprenant que le régime des avocats, comme d'autres, respecte le principe de solidarité démographique : il renvoie une centaine de millions d'euros par an au régime général.
C'est donc une drôle d'idée, reflétant au fond une idéologie quasiment technocratique qui n'a rien à voir avec la réalité des métiers, du terrain, des besoins et des particularités des professions, autant de choses que vous ne pouvez pas gommer.
Nous en avons une nouvelle illustration : l'idée qui est sur la table aurait pu germer dans la tête de Géo Trouvetou ou dans celle du professeur Tournesol... Et cela ne marche pas. Vous avez réussi à faire descendre dans la rue les avocats, les orthophonistes, les danseuses et les danseurs de l'Opéra national de Paris.
S'agissant des avocats, nous recevons beaucoup de messages et vous avez dû les recevoir aussi : ils considèrent que la réforme se traduira pour eux par plus de cotisations et moins de droits, et que les concessions que vous avez semblé leur faire sont en réalité inexistantes, inopérantes, autrement dit des leurres. Comme on vient de le dire, vous allez plonger la profession dans de grandes difficultés économiques et rendre du même coup l'accès à la justice plus difficile pour un certain nombre de nos concitoyennes.
Il faut se rendre à l'évidence : vous êtes en train de vous enferrer dans un texte qui n'est pas défendable.
Beaucoup d'avocats exercent leur activité en bénéfices non commerciaux, en transparence fiscale, ce qui pose un problème de bases. S'il est vrai que les cotisations causent un réel souci, nous pouvons à mon avis faire des propositions alternatives, en jouant notamment sur le premier PASS, qui ne mettent pas en cause l'équilibre de la profession.
D'autres avocats choisissent d'exercer dans le cadre d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Le problème de leurs outils et de la gestion de leurs revenus est donc beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.
Enfin, je lis, à la page 31 du contre-projet de nos collègues du groupe La France insoumise, que « [...] Plusieurs pistes permettent de lever de nombreux milliards d'euros à court terme. Des sommes sont d'ores et déjà disponibles et [...] représentent un stock de 130 milliards d'euros [...]. » Autrement dit, vous prévoyez de capter les réserves des avocats : je suis donc un peu étonné par votre double langage, dont vous venez à l'instant de donner une illustration.
Il y a quelques instants, le président Mélenchon nous a demandé pourquoi, au fond, nous faisions une telle chose à des gens heureux.
Nous avons pleinement conscience qu'aujourd'hui, une partie de la profession d'avocat n'est pas heureuse : les avocats peuvent connaître de grandes et réelles difficultés, particulièrement au début de leur carrière. Nous devons apporter des réponses pour améliorer la vie de l'avocat, surtout au début. Des discussions ont été enclenchées en ce sens : il faut qu'elles aboutissent.
Par ailleurs, l'intégration de la profession d'avocat dans le système universel que nous construisons me semble plutôt une bonne chose dans la mesure où cela permettra de mieux prendre en compte la réalité de notre société : on change de plus en plus en plus de carrières. On peut désormais exercer deux, trois, quatre, cinq métiers successifs et cela vaut aussi pour les avocats. On peut l'être durant un moment, puis faire autre chose, ou encore devenir ou redevenir avocat plus tard.
S'agissant des cotisations, comme l'a dit notre collègue Sacha Houlié, l'alignement progressif sur le taux de 28 % impose une hausse de celles-ci, qui sera compensée par une baisse de CSG.
Par ailleurs, cette trajectoire sera accompagnée : le rôle de la CNBF dans la gestion des réserves et en tant qu'interlocuteur des avocats dans le cadre du futur système universel sera préservé. Elle pourra notamment continuer à mettre en place des dispositifs de solidarité entre avocats.
Enfin, pour ce qui est du prétendu saccage de la justice, la loi de programmation adoptée il y a quelques mois permettra, pour la première fois, au budget de notre justice d'augmenter de 24 % d'ici à 2022, passant de 6,7 milliards d'euros à 8,3 milliards d'euros, ce qui conduira à la création de 6 500 postes. Il faut parfois le rappeler.
Quand nous bâtissons une loi de programmation, nous l'adoptons et nous la menons jusqu'au bout, si vous voyez ce que je veux dire...
Cet échange est intéressant : j'ai bien reconnu, dans les interventions, parfaitement intelligibles, de Marine Brenier, Fabrice Brun, Jean-Pierre Door et du président Éric Woerth, la cohérence de l'opposition politique que souhaitent incarner Les Républicains, dont le projet n'a pas été validé par les Français en 2017 – soit dit sans taquinerie aucune. Je comprends cette cohérence qui à mon sens donne de la visibilité à la position que vous défendez, parfaitement intelligible.
Nous ne sommes pas sur le même registre : je défends pour ma part une réforme beaucoup plus universelle, qui implique une transformation de la société. Le moment était venu le moment de proposer à tous nos concitoyens une démarche plus ambitieuse visant à faire République ensemble. Sans doute avez-vous raison, monsieur le président Woerth : cette démarche est plus difficile et réinterroge plus de choses, ce qui explique qu'elle se heurte à plus de résistances. Vous n'avez pas manqué de le relever depuis trois jours et vous continuerez sans doute à le faire.
Nous avons également besoin, pour construire notre pays, de nous réunir autour de fondamentaux : le sens de la solidarité, sous une forme repensée et reconstruite, mais également la reconnaissance du travail : tout retraité est en droit d'attendre un juste retour de son activité et de ses cotisations. Le Gouvernement et la majorité pensent que cette dynamique est essentielle dans la reconstruction du contrat social avec l'ensemble de nos concitoyens.
Nous n'allons pas épiloguer sur les avantages et inconvénients respectifs du PASS et des 3 PASS : les choses sont, à ce sujet, claires, pour vous comme pour moi, ainsi que pour la majorité.
Pour ce qui est des avocats, madame Brenier, des avocats, j'ai senti qu'il émanait de votre amendement beaucoup de vérité : je l'ai donc, compte tenu de mon engagement personnel sur ce sujet, considéré avec le plus grand intérêt. Il n'y a aucune volonté de la part du Gouvernement de montrer du doigt telle profession ou de mettre en difficulté l'évolution de telle autre : j'ai, dans mon activité précédente, recruté de nombreuses avocates qui se montraient satisfaites de devenir salariée pour mener une activité de conseil au sein d'un pôle juridique après quatre, cinq ou six ans d'exercice indépendant. Il arrive que certaines y reviennent par la suite, ou se tournent vers autre chose. Je ne prétends pas réécrire ici avec vous le parcours professionnel des avocats ; je veux simplement mettre en avant sa diversité. Le système universel nous donne l'occasion de la prendre en considération, mais également d'anticiper les évolutions.
J'ai été longtemps le représentant de cette assemblée au sein du COR : les tableaux qui nous y étaient fournis par la CNBF montraient que le régime des avocats se trouverait en difficulté à partir de 2046, autrement dit moins lointaine que celle de 2079, dont on a fait mention.
Monsieur le président Éric Woerth, je ne partage pas l'idée selon laquelle on ne devrait en appeler à la solidarité nationale que lorsqu'on se trouve en difficulté : c'est précisément de genre attitude qui fait réagir nos concitoyens. C'est trop facile de ne parler de solidarité nationale que lorsque l'on se trouve en difficulté. Ils préféreraient que l'on construise un dispositif ensemble, dès le départ – et en toute transparence, vous avez raison, madame Brenier.
Que souhaitent les avocats ? Bénéficier d'une péréquation plus importante, car leur système permet de verser une pension minimale plus importante. Même si je n'étais pas alors au Gouvernement, nous leur avons dès le début indiqué qu'une telle évolution était possible en maintenant le niveau de cotisation, qui est plus élevé, des plus hauts revenus. Encore faut-il construire un tel dispositif. Je ne suis pas le représentant des avocats : c'est à eux de défendre leur projet, et je ne peux pas le faire à leur place. S'ils sont attentifs à l'équilibre financier de leurs cabinets, auxquels ils ont raison de veiller, nous leur avons, à leur demande, présenté des cas types en fonction des niveaux de rémunération.
Par exemple, le niveau de pension d'un avocat gagnant 32 000 euros par an serait supérieur de 13 % à son niveau actuel. En outre, une avocate ayant eu un ou deux enfants et bénéficiant de la dynamique de la bonification de 5 % et disposant des mêmes revenus verrait, elle, sa pension augmenter de 13 %, de 18 %, voire au-delà.
Les avocats seraient donc très souvent gagnants : et si, dans certains cas leurs charges augmenteront légèrement, cette augmentation sera à lisser sur quinze ans. Le changement d'assiette de CSG fait en outre que cette augmentation ne pourrait jamais, quels que soient les cas types sur lesquels nous avons travaillé à la demande de la CNBF, dépasser 5 % sur quinze ans.
La volonté du Gouvernement de trouver une issue avec les représentants des avocats est donc réelle. Je comprends la sensibilité de cette profession soucieuse de son autonomie et très attachée à l'indépendance de la justice de notre pays : il est cependant à mon sens possible, tout en les respectant, de faire maison commune s'agissant des retraites. Je n'y vois pas d'antinomie majeure.
Pour ce qui est des réserves, je répète qu'elles resteront à la main des caisses qui les ont constituées : tous ceux qui les ont alimentées décideront donc, par le biais de leur conseil d'administration, de ce qu'ils voudront en faire.
Toutes les caisses spécifiques ou autonomes doivent-elles disparaître ? Dès lors qu'elles défendent des projets – économiquement viables, s'entend, car le maintien d'une caisse doit avoir du sens – comme celui que j'ai évoqué tout à l'heure à propos des avocats, nous avons affirmé, et cela figure d'ailleurs dans le projet de loi, qu'elles pourraient agir par délégation de la CNRU.
Les possibilités de constructions ne manquent pas : j'ai pu le constater dans tous les échanges, et ils sont nombreux, que nous avons avec les professions libérales, qu'il s'agisse des médecins, des avocats ou des notaires. Nous avons besoin de continuer à nous parler afin de trouver les voies du dialogue. Les notaires par exemple – tout en étant, comme les infirmières libérales, vigilants – sont très au clair sur ces questions.
Monsieur le secrétaire d'État, de nombreux amendements ont été déposés par tous les groupes sur les régimes autonomes, et en particulier sur celui des avocats qui, à vous écouter, sortiraient gagnants de la réforme que vous leur proposez. Ils sont peut-être sourds et ne savent pas se projeter dans l'avenir, mais ils nourrissent le sentiment que vos propos ne sont que des boniments.
Les régimes autonomes sont tout d'abord, je ne reviens pas sur cet aspect, excédentaires.
S'agissant des avocats, cette autonomie s'impose en raison de l'indépendance même du métier. Il ne s'agit pas d'une question uniquement économique : c'est lié à leur serment, ils ne doivent dépendre de personne. Or vous n'en tenez pas compte.
Je ne reviens pas sur le modèle économique de tous les cabinets, particulièrement ceux de taille modeste, qui se trouvera forcément altéré par la hausse des cotisations. Nombre d'avocats se trouvent déjà dans des situations de précarité.
L'on voit bien que votre système n'est pas fiable. Tout à l'heure, notre collègue Jean-Paul Mattei évoquait des compensations qui constituent, en creux, l'aveu d'erreurs de conception de ce même système, qui vous contraignent à bricoler à chaque fois des solutions pour tenter de faire passer la pilule.
Mon principal souci, c'est la diminution de l'accès au droit et à la justice d'un certain nombre de nos concitoyens. La majorité se bat pour restaurer des droits : si sur nombre de sujets, nous sommes d'accord avec elle, votre réforme va fragiliser des cabinets qui déserteront les territoires, en particulier ruraux, ce qui rendra plus compliqué l'accès à l'institution judiciaire. Ce n'est pas sérieux.
Lundi, j'ai voyagé en train avec les vingt avocates dieppoises qui venaient de manifester. Elles m'ont confié que leur système n'était pas spécial, mais autonome, qu'il ne s'appliquait pas à des salariés, mais à des entrepreneurs libéraux et à des employeurs, qu'il n'était pas consommateur de deniers publics mais contributeur, qu'il n'était pas égoïste mais solidaire, et pas déficitaire, puisque le régime de base est équilibré jusqu'en 2054 et le régime complémentaire jusqu'en 2083. Pourquoi y mettez-vous les doigts ? C'est complètement fou !
Je reviens sur le cas des marins. Le rapporteur m'a répondu, mais pas sur leur taux d'accidents du travail, deux fois plus élevé qu'ailleurs, leur espérance de vie, inférieure de cinq ans, les critères de pénibilité qui se cumulent : travail de nuit, horaires décalés, amplitude horaire forte, éloignement de la famille, exposition à des substances chimiques, port de charges lourdes, températures extrêmes et postures pénibles... Autant d'éléments qui justifient qu'après vingt-cinq ans de cotisation un marin puisse partir à la retraite à 50 ans. Monsieur le secrétaire d'État, allez-vous maintenir ou flinguer cet acquis ?
Monsieur le secrétaire d'État, à vous écouter avec attention comme je l'ai fait, on se demande pourquoi les avocats sont à ce point vent debout, jettent leurs robes et manifestent comme jamais... Quelle mouche les a piqués ?
Le CNBF conteste fermement votre projet, comme il conteste vos projections. L'étude d'impact est à cet égard assez gratinée. Un de vos avocats-types est un parfait inconnu statistique : il est âgé de 23 ans au début de sa carrière, alors qu'en moyenne les avocats sont à ce moment-là âgés de 28,1 ans, et gagne 40 000 euros, alors que la moitié d'entre eux ont à ce moment-là des revenus inférieurs ! Vous faites par ailleurs état d'une stagnation démographique de la profession alors qu'elle augmente de plus de 3,13 %... Autrement dit, votre étude d'impact ne correspond donc littéralement à rien.
Les compensations que vous envisagez ne sont en outre absolument pas appropriées. Les projections réalisées par la profession montrent que pour les avocats gagnant moins de 30 000 euros, le manque à gagner sera considérable : vous allez donc appauvrir les retraites, notamment des avocats les moins bien rémunérés, et par là même porter atteinte non seulement à une profession, c'est-à-dire à ceux qui font vivre ce métier, mais à l'accès au droit.
Je rappelle que le système universel de retraite s'appliquera à tous les Français, quel que soit leur statut et leur métier sans exception, qui partiront à la retraite à partir de 2037. Cela laisse donc beaucoup de temps pour faire converger – et sans brutalité, nous l'avons souvent rappelé, et sans nier les spécificités des professions – quarante-deux régimes spéciaux et autonomes vers un seul régime. Nous assumons donc effectivement le fait de mutualiser les situations démographiques favorables à certains métiers et défavorables à d'autres, le principe étant évidemment, nous l'avons dit et répété, celui d'une solidarité interprofessionnelle.
Il est par ailleurs faux d'affirmer que ce système souffrirait de manques, puisque cette transition permettra de toute façon de lisser ces financements. Les réserves seront en outre bien attribuées aux professions concernées. La majorité des professions libérales sera bien évidemment gagnante : elles ne cotiseront en outre pas davantage puisqu'une compensation sera, du fait de l'augmentation des taux, assurée au moyen de la CSG : il n'y aura donc même pas de trou pour la sécurité sociale.
Comme sans doute beaucoup d'entre vous dans vos circonscriptions, j'ai assisté à Mont-de-Marsan à la rentrée solennelle du tribunal de grande instance, qui a réuni l'ensemble des avocats en robe. Ils arboraient pour l'occasion un bandeau où l'on pouvait lire : « En grève ».
J'ai du mal à saisir votre réponse : à vous entendre, pas un seul d'entre eux n'a compris le grand bénéfice à attendre de votre réforme. C'est à mon sens faire preuve de beaucoup d'arrogance et de morgue que de considérer que les Françaises et les Français ne comprennent pas votre politique. Ils ne la comprennent que trop : ils ont bien mesuré que vous considériez, s'agissant des avocats, l'équilibre démographique de leur seule profession et qu'il existait, en tout cas à moyen terme, un risque de voir leur régime siphonné, alors qu'il est déjà contributeur net à la solidarité, à hauteur de 90 millions d'euros par an, me semble-t-il.
Si l'augmentation des cotisations, qui ne sera que partiellement compensée par les modifications d'assiette de CSG et de contribution pour le remboursement de la dette sociale, conduira à un plan social, elle aura également, en matière d'accès au droit, des conséquences graves pour certains justiciables.
La difficulté tient au fait que vous ne concevez votre réforme que dans un espace clos fermé au reste du monde et à ce qui s'y passe : c'est du reste ce qui explique que la dimension économique et sociale fasse tant défaut dans votre étude d'impact. Vous gagneriez à regarder ce qui se passe au-delà de vos bureaux...
Nous devons nous mettre autour d'une table et discuter des modalités. La profession est très spécifique, avec beaucoup d'entreprises individuelles, un impôt sur le revenu élevé. Il faut parler de transparence fiscale, de base taxable et de niveau des cotisations. Le problème existe : on risque effectivement d'asphyxier financièrement les avocats en début de carrière en leur imposant des cotisations trop importantes. Il doit être possible de faire des propositions intelligentes pour regrouper les régimes. Nous pouvons parvenir à changer les choses, nous disposons des outils pour cela.
La commission rejette successivement les amendements.
Enfin, elle adopte l'article 2 sans modification.
Après l'article 2
La commission est saisie des amendements identiques n° 3023 de Mme Clémentine Autain, n° 3027 de Mme Caroline Fiat et n° 3030 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Il s'agit de demander au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur les régimes spéciaux. Celui-ci exposerait dans le détail, et sans transformer la réalité, les quarante-deux régimes spéciaux, en dressant la liste des prétendus privilèges dont bénéficieraient les assurés.
Nous en avons par-dessus la tête de la façon dont vous parlez des régimes spéciaux. Oui, ce sont des conquêtes sociales. Prenons un seul exemple : lorsque l'on a passé sa vie dans un tunnel de métro, il y a un moment où il faut que cela s'arrête ; on peut alors bénéficier d'un droit qui compense la dureté du travail. Or les régimes spéciaux n'apparaissent plus aujourd'hui comme un horizon à atteindre, mais comme une charge pour le régime général. D'aucuns prétendent que le rattrapage est impossible parce que trop coûteux ; ces régimes sont alors perçus comme des rentes injustifiées, versées à des profiteurs, qu'il faut détruire pour réduire le coût global du système. L'égalité pour vous, ce n'est plus élever le niveau des retraites du plus grand nombre, mais abaisser le montant des pensions de quelques-uns.
Peut-être ce rapport convaincra-t-il le Gouvernement du bien-fondé des régimes spéciaux et de la nécessité de les conserver ? Peut-être qu'en écoutant les personnels soignants, le Gouvernement se rendra compte que l'apparition des troubles musculo-squelettiques est un signe que le corps est fatigué et que ce n'est pas parce qu'il vivra plus longtemps qu'il fonctionnera mieux ? Peut-être qu'en s'attachant à suivre les égoutiers dans leur travail quotidien durant une semaine le travail quotidien des égoutiers, il changera d'avis ?
Le malentendu, si j'ose dire, tient au fait que le régime spécial est pour nous un idéal alors qu'il vous paraît, pour une raison assez étrange, une aberration. Vous évoquez souvent l'illisibilité du système, mais c'est là le constat d'un observateur très superficiel – chacun est parfaitement au clair sur son propre régime ! Il faut selon vous mobiliser toutes les ressources à notre disposition, si besoin les ressources générationnelles. Vous avez raison, à ceci près qu'il n'y en a pas besoin.
Le régime spécial est un idéal, une retraite adaptée aux conditions de travail dans les principales corporations. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez été rapporteur d'un texte réformant le code du travail, pratiquement par entreprise. Eh bien, c'est la même chose : il faut que les retraites soient adaptées aux difficultés rencontrées par les gens. Bien que vous vous en défendiez, vous ne pourrez pas lisser la difficulté. Quand un égoutier peut partir aujourd'hui à 52 ans et que la réforme prévoit qu'il partira à 62 ans, comment entendez-vous faire pour contracter les dix années de retraite que ces personnes vont perdre ? Elles, savent quelle est leur espérance de vie. Vous serez bien obligé à la fin de créer un nouveau régime spécial, même si vous êtes inhumain, tout simplement parce que c'est la seule solution raisonnable.
Si vous le permettez, madame la présidente, je répondrai au collègue qui m'a interpellé sur la page 31 de mon livret.
Je salue votre bienveillance.
Bien qu'il soit d'usage d'interpeller le Gouvernement, et non les députés, ce collègue m'accuse de vouloir piquer les réserves. Je ne veux rien piquer du tout ! Réfléchissez un instant : les réserves, qui s'élèvent à 130 milliards, pourraient être mobilisées s'il y avait le feu à la maison, sauf qu'il n'y a pas le feu – le COR pointe un déficit de 17 milliards seulement. Il suffit de prendre dans la Caisse d'amortissement de la dette sociale, qui crachera 24 milliards d'euros à compter de 2024. Apaisez-vous, nous ne vous prendrons rien, mais si le salut général l'exige, nous prendrons tout !
La définition d'un régime spécial est précise. Il n'y en a pas quarante-deux, mais douze : salariés de la SNCF, de la RATP, clercs et employés de notaire, salariés des industries électriques et gazières, agents titulaires de la Banque de France, membres du personnel de l'Opéra national de Paris, de la Comédie-Française, ouvriers des établissements industriels de l'État, régime des mines, employés du Port autonome de Strasbourg, employés de La Poste...
Douze avec les membres du Conseil économique, social et environnemental et régime des cultes.
Nous ne parlons pas de privilèges, mais de spécificités. Certaines différences ne nous semblent pas devoir avoir la même place dans le système de retraite que nous souhaitons mettre en place pour le XXIe siècle. Sans doute ces régimes ont-ils eu leur utilité à un moment donné, sans doute étaient-ils justifiés par des particularités et par les combats syndicaux qui ont été menés, mais ce que nous voulons proposer, c'est un ensemble de règles plus homogène, eu égard à la situation professionnelle des Français d'aujourd'hui et de demain.
Avis défavorable.
Le décret du 24 décembre 2014 fixe la liste des régimes spéciaux – j'en comptais dix, cela fait donc quinze si l'on inclut la fonction publique, les ouvriers d'État et les militaires. Ces régimes spéciaux ont été largement abîmés par la droite lorsqu'elle était aux responsabilités et le seront plus encore maintenant que vous partagez avec elle le pouvoir. Ces régimes spéciaux ne concernent que 1,4 % de la population active et 4 % des retraités. Vous avez brandi la fin des régimes spéciaux en étendard, avides de les flinguer, pour au bout du compte mettre dans la rue tous ceux que votre mauvaise réforme spoliera !
En outre, il existe, et vous le savez un écart énorme entre les droits théoriques et les droits réels. Pour prendre l'exemple, souvent cité, des agents de conduite de la RATP, l'âge d'ouverture des droits était de 50 ans et 8 mois en 2019 alors que dans la réalité, il est déjà de 55 ans et 8 mois. Malgré tout, vous êtes obnubilés, et par dogmatisme, vous dites vouloir chasser ces privilèges. Connaissez-vous seulement la pension brute moyenne d'un agent de la RATP ? Elle est de 2 357 euros. Cela n'a rien d'énorme face aux privilèges de ceux que vous avez gavés avec les lois de finances !
Certains régimes spéciaux vont perdurer, comme celui des mines ou des marins-pêcheurs. Il faudrait même en créer de nouveaux. La situation des agriculteurs n'est pas satisfaisante : 300 000 retraités, parmi les 1,3 million de pensionnés de la Mutualité sociale agricole, sont en dessous du seuil de pauvreté ; les pensions moyennes versées sont les plus faibles, 740 euros pour les hommes, 580 euros pour les femmes. Il faudrait créer un régime spécial pour les augmenter. Votre revalorisation à 1 000 euros net à compter de 2022, puis à 85 % du SMIC en 2025, ne concernera que les futurs retraités agricoles ; en outre, les aides familiaux et les collaborateurs d'exploitation, très majoritairement des femmes, en seront exclus.
Il ne faut pas confondre régimes autonomes et régimes spéciaux. Les régimes spéciaux n'ont plus de raison d'être à partir du moment où les conditions d'exercice des professions sont semblables, ce qui est le cas pour la plupart d'entre eux. Il est vrai que nous avons commencé à faire converger la durée de cotisation en 2010, ce qui explique que les gens partent plus tard pour réduire ce décalage entre le droit et la réalité. Je pense que nous devons désormais entrer dans le droit commun, sans brutalité.
Là où nous divergeons fondamentalement, c'est sur la période de transition. Elle est beaucoup trop longue ; dans un certain nombre de cas, on n'est pas très loin du demi-siècle, bien que ce ne soit pas que clair du tout : vous renvoyez à des ordonnances et vous ne répondez jamais à nos questions. Nous sommes favorables à la suppression des régimes spéciaux et souhaitons que la durée de transition soit raccourcie. Si la pénibilité est réelle, elle doit être prise en compte et donner lieu à une réduction de l'âge de départ à la retraite.
On touche au coeur de la logique qui est la vôtre, cette logique néolibérale que l'on voit à l'oeuvre depuis les années 1990 et qui vise tout simplement à détruire la sécurité sociale. Vous estimez que les droits offerts par les régimes spéciaux sont coûteux et qu'aucun rattrapage n'est possible, ce qui est faux. C'est précisément ce qui est décrit dans La Guerre sociale en France, de Romaric Godin, dont je vous recommande la lecture. Vous citez des cas qui confinent à l'absurde. Imaginez-vous que les danseurs de l'Opéra puissent encore se produire à 65 ans ? S'ils bénéficient d'un régime spécial, c'est pour une raison objective et légitime. On pourrait imaginer harmoniser par le haut, mais cela n'entre pas dans votre cadre de pensée. On pourrait considérer ces droits non comme un privilège mais comme une norme à atteindre pour l'ensemble de la population. Nous sommes dans des logiques totalement différentes, nos projets de société sont diamétralement opposés.
La commission rejette les amendements identiques.
Article 3 : Champ d'application du système universel de retraite (salariés et assimilés
La commission est saisie des amendements de suppression n° 547 de M. Pierre Dharréville, n° 3509 de Mme Clémentine Autain, n° 3513 de Mme Caroline Fiat, n° 3516 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 3520 de M. Adrien Quatennens et n° 21086 de M. Boris Vallaud.
L'article 3 prévoit que le système universel de retraite s'appliquera aux 20 millions d'assurés relevant du régime général, c'est-à-dire aux salariés du privé et aux contractuels de la fonction publique. Il remet en cause la fameuse règle des vingt-cinq meilleures années dans le privé et acte l'allongement de la durée de cotisation. Il est aisé de démontrer que ce système dégradera les pensions. Qui plus est, cela ouvre la porte, dans la conscience collective, à une individualisation du droit à la retraite et à la capitalisation, à la quête des « Smarties » comme le disait Agnès Pannier-Runacher... Cet article résume parfaitement l'idéologie de ce projet de loi que nous combattons.
Il s'agit ici de changer le mode de calcul des retraites des salariés du privé, en le basant sur l'ensemble de la carrière. Déjà, lorsque l'on est passé des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années, les pensions ont forcément baissé : il n'est pas besoin d'avoir fait de longues études statistiques ou mathématiques pour le comprendre. Cela concernera sept retraités sur dix. Ce point majeur de votre contre-réforme est une des raisons pour lesquelles nous nous y opposons farouchement.
Prendre toute la carrière, c'est compter les périodes où l'on a le moins gagné. Olivier Véran se réjouissait de voir prises en compte les périodes où il était aide-soignant de nuit mais il y perdra forcément puisqu'il ne gagnait pas la même chose à l'époque. Cette réforme conduira inévitablement à une baisse des pensions, c'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 3.
Là, c'est vraiment le coup de couteau dans le dos ! Non seulement les gens ne seront jamais certains de leur âge de départ car ils devront tenir compte d'un malus potentiel, mais en plus, le calcul de la pension sera lissé sur l'ensemble de leur carrière. Déjà, le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années n'avait pas été une décision des plus philanthropiques et n'avait pas valu que des compliments à son inventeur, M. Balladur.
Je ne vous accuse pas de cruauté : je sais que votre seul souhait est que le système fonctionne. Mais dans votre système, les gens doivent travailler plus longtemps car l'accumulation capitaliste est meilleure si la personne passe davantage de temps au travail. Nous pensons l'inverse : nous croyons que les progrès de la technique et de l'ingénierie doivent permettre aux humains de travailler moins longtemps. Les pays les mieux équipés sont ceux dont la durée du temps de travail, quotidienne, hebdomadaire, mensuelle et annuelle est la plus courte. Nos visions de ce que doit être le temps de travail, notamment tout au long de la vie, sont totalement opposées.
Si vous dites à un enfant de primaire que sa moyenne sera calculée sur l'ensemble de sa scolarité, il comprendra que cela lui sera moins favorable que si elle ne tient compte que du dernier trimestre, où ses notes ont été particulièrement bonnes ! C'est logique.
Surtout, cette réforme aggravera la situation des carrières précaires, que vous avez rendue plus difficile encore avec les ordonnances travail. Récemment, Mme Pénicaud a déclaré que l'on n'avait jamais autant embauché qu'aujourd'hui. Si l'on n'a jamais autant signé de contrats de travail, c'est qu'ils sont, pour 87 % d'entre eux, des contrats à durée déterminée. Parmi ces contrats courts, 83 % sont des contrats de moins d'un mois, un tiers des contrats de moins d'un jour... Bon courage pour faire une carrière complète dans votre réforme à points, avec des emplois aussi précaires !
Vous expliquez que cette réforme assure une meilleure redistribution au bénéfice des carrières linéaires, en écrasant les carrières ascendantes. Pourtant, dans les cas que vous mettez en avant, les cadres sont tous gagnants, tandis que le nombre de personnes qui se retrouvent au minimum contributif explose – 30 % des pensionnés, 40 % des femmes. Vous êtes très forts, vous avez réussi à imaginer un système qui crée des trappes à basses pensions.
Vous avez doublé cette hérésie d'un autre cynisme. Non contents que votre grande réforme de l'assurance chômage ait fait 40 % de perdants et occasionné bien des dégâts sociaux, vous avez décidé que les périodes de chômage non indemnisé, donc incluses dans les quarante-trois ans, ne donneraient pas lieu à création de points et que la prise en compte des périodes de chômage indemnisées serait moins favorable que dans le régime actuel.
Rappelons que l'article 3 ne traite pas du mode de calcul, qui examiné plus loin, mais de l'application du système universel de retraite aux 25 millions d'assurés relevant du régime général. Supprimer cet article ferait perdre tout son sens à la réforme.
Certes, il serait injuste de prendre en compte l'ensemble de la carrière pour certaines catégories, et de se référer aux six derniers mois pour d'autres. Mais si l'on applique la même règle à tous, il n'y aura plus de perdant, et votre exemple ne tient pas.
Enfin, pour reprendre l'image de M. Quatennens, j'aimerais que tous les enfants aient d'excellentes notes au dernier trimestre ; pourtant, il en est certains dont les notes chutent en fin d'année, parce que leurs parents se séparent par exemple. C'est la même chose dans une carrière : les accidents de vie peuvent survenir dans les dernières années, qui ne seront donc pas toujours les meilleures. Nous reviendrons plus tard sur le mode de calcul.
Avis défavorable.
La retraite, c'est du temps de vie produit par du temps de travail. Or la marotte libérale est d'allonger le temps de travail, ce à quoi vous ne cessez de vous employer. Nul doute que de plus en plus de gens chercheront à repousser l'âge de leur départ à la retraite, non pour prolonger leur temps de vie, mais pour survivre.
S'il existe une génération qui n'est pas dupe, c'est celle née après 1975, celle-là même qui sera la première à subir votre réforme. Ces personnes ont vu combien leurs parents avaient perdu avec les réformes successives, à la fois sur le temps de retraite et sur le niveau de pension. Cette génération n'a pas envie de dire à ses propres enfants qu'eux aussi perdront en temps de vie et en montant de retraite.
M. Quatennens nous dit que même un enfant comprendrait la différence entre une pension tenant compte des vingt-cinq dernières années et une pension basée sur l'ensemble de la carrière. C'est en réalité un peu plus compliqué que cela. Aujourd'hui, pour valider les trimestres, il faut avoir travaillé une année complète. L'exemple donné par M. Véran est parlant : lorsque vous accumulez les petits boulots, jamais vous ne parvenez à valider un trimestre. C'est souvent le lot des femmes, qui connaissent des temps partiels subis, des carrières hachées, des maternités.
Même si cela peut paraître contre-intuitif, le calcul sur l'ensemble de la carrière est plus favorable. Dans ce système, on pourra cumuler les points dès la première heure travaillée. Un étudiant qui travaille le soir pourra valider des points, ce qui lui permettra d'avoir une meilleure retraite. Pour le coup, l'étude d'impact, dont vous nous direz une nouvelle fois qu'elle est insincère, le démontre.
C'est vrai, monsieur le rapporteur, que les dernières années ne sont pas toujours les meilleures. C'est bien pour cette raison que, pour les carrières privées, on tient compte des vingt-cinq meilleures années ; lorsque l'on prend la dernière période travaillée, cela concerne les fonctionnaires qui ont une carrière graduelle du fait de la prise d'échelon. Votre démonstration ne tient pas debout.
Par définition, les vingt-cinq meilleures années sont plus favorables que l'ensemble de la carrière. Les gens l'ont parfaitement compris, regardez les pancartes dans les manifestations : avec votre système, « carrières hachées, retraites à chier ». (Protestations.) Permettez-moi de rapporter entre ces murs un peu de ce qui se passe à l'extérieur ! Nous sommes la maison du peuple et le peuple s'exprime en ces termes.
Je suis un peu surprise d'entendre nos collègues expliquer qu'il est plus pénalisant de calculer une moyenne sur les six meilleures notes que sur l'ensemble des notes de l'année. Cela me semble contraire à toute logique mathématique… Vous nous expliquez que le montant sera plus élevé si l'on prend en compte toute la carrière. J'espère que vos démonstrations figureront dans les comptes rendus de ces débats, car elles ne manqueront pas d'ébahir les historiens !
Je pense que nous aurions dû faire en sorte que les régimes convergent et que la fonction publique se voie aussi appliquer la règle des vingt-cinq meilleures années. On pourrait d'ailleurs imaginer un système par points qui ne serait pas fondé sur toute la carrière.
À vous entendre parler, ici ou dans les médias, on a l'impression que cette réforme est uniquement faite pour les carrières hachées. Dieu merci, ce n'est pas le cas de tout le monde ! Sans oublier que certaines carrières hachées peuvent être le résultat de choix personnels. Il était inutile de lancer une réforme aussi universelle et aussi englobante pour que la première heure soit comptabilisée dans la retraite. Il suffisait de modifier la règle de validation des trimestres, ou dans un système par points, le régime de validation des points. C'est d'une simplicité biblique et même si c'est coûteux, c'est plus juste. Une chose est sûre, on n'avait pas besoin d'en arriver là !
Je rappelle que la règle des vingt-cinq meilleures années ne s'applique qu'au régime général géré par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et que 80 % des Français sont affiliés à des régimes complémentaires, comme l'AGIRC-ARRCO. La pension AGIRC-ARRCO, qui peut représenter entre 30 et 80 % de la pension d'un retraité du privé, est déjà calculée sur l'ensemble de la carrière et elle est à points. On ne peut donc tirer aucune conclusion.
Par ailleurs, la règle des vingt-cinq meilleures années ne s'applique que régime par régime : si vous avez cotisé à deux régimes, la prise en compte du calcul des vingt-cinq meilleures années, ce sera sept années dans un régime, dix-huit dans l'autre. Et ce ne sont pas forcément les meilleures qui sont prises dans ce cas.
Enfin, pour calculer la retraite, la CNAV actualise les salaires de référence, ceux des vingt-cinq meilleures années. J'ai fait le calcul pour moi : c'est tout sauf intéressant. Les points, et je l'ai vérifié dans le régime AGIRC-ARRCO, restent des points et sont intégralement valorisés. Même si vous nous accusez d'être nuls en mathématiques, la formule est bien plus compliquée que ce que vous pensez.
J'ajoute que pour les cadres qui gagnent plus de 2 600 euros, la règle n'a aucun effet puisque la plus grande partie de leur pension provient de l'AGIRC-ARRCO.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3057 de Mme Clémentine Autain, n° 3061 de Mme Caroline Fiat, n° 3064 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 3068 de M. Adrien Quatennens
L'intervention de M. Balanant restera dans toutes les mémoires ! À l'entendre expliquer qu'il est plus favorable de calculer la retraite sur toute la carrière plutôt que sur les vingt-cinq meilleures années, les bras m'en sont tombés !
Les femmes salariées du privé, qui connaissent davantage les carrières hachées, sont celles qui paieront le plus cher votre réforme. Je vous invite à lire la tribune de Mathilde Guergoat-Larivière dans Le Monde, où l'économiste explique que, sur les six cas types de salariées du privé présentés dans l'étude d'impact, cinq correspondent à des trajectoires typiquement masculines : carrières continues, sans interruption d'activité, pas d'enfant. Effectivement, si les femmes ont les mêmes carrières que les hommes et ne prennent pas de congé maternité, elles bénéficieront potentiellement de la réforme ! Mais nous avons peu confiance dans cette étude. La réalité est que cela va être très difficile, notamment pour les femmes.
Nous refusons tout simplement que le code de la sécurité sociale soit modifié comme l'indique ce premier alinéa. J'en suis encore à me demander comment il est possible de croire qu'il est plus favorable de supprimer la référence aux meilleures années. Rappelez-vous que le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années a mis tout le monde dans la rue. Ce peuple n'est-il pas étrange, qui ne comprend pas le bon sens de La République en Marche lorsqu'on lui annonce les misères qu'il va devoir subir ?
Puisqu'il est question de la sécurité sociale, je veux rappeler qu'elle est basée sur l'idée que chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Malgré les coups de canif qui lui ont été portés, ce système a permis que la part des richesses consacrées aux retraites croisse à mesure que la part des seniors augmentait. C'est grâce à lui que la France peut se prévaloir d'un taux de pauvreté des seniors bien inférieur à celui des voisins européens, y compris dans les pays que vous prenez pour modèles. Il n'est pas question que La République en Marche, après avoir détruit le code du travail, en fasse autant avec le code de la sécurité sociale.
Bonne nouvelle, madame Autain : oui, les femmes pourront avoir une carrière quasi similaire à celle des hommes car, au lieu de leur donner des trimestres, c'est-à-dire du temps, nous allons leur donner des points, c'est-à-dire de l'argent. C'est simplissime !
Il s'agit d'une question de fond. La majoration de la durée d'assurance, c'est-à-dire l'attribution d'un certain nombre de trimestres par enfant, permet aux femmes de partir à la retraite moins tardivement en bénéficiant d'un revenu plus décent. En substituant à ce dispositif une majoration des droits – majoration que nous contestons, car nous préférerions une attribution forfaitaire –, vous proposez un moins-disant, surtout si vous allongez par ailleurs la durée de cotisation. De fait, je ne crois pas que les femmes souhaitent partir plus tard à la retraite parce qu'elles ont pris le temps de faire un enfant.
Il n'y a pas lieu d'opposer le temps et l'argent : on veut partir à un âge décent avec une pension qui permette de vivre dignement.
Comme vous, madame Autain, je me suis demandé comment le système pouvait être meilleur en prenant en compte l'intégralité de la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années. J'ai donc étudié la question, et je vous invite à faire de même. En effet, vous oubliez certains détails. Par exemple, sur quoi la valeur du point sera-t-elle indexée ?
Non, sur les salaires. C'est une première différence considérable avec le modèle actuel. Qui plus est, il faut prendre en considération, outre la durée de cotisation, le taux de remplacement. Tout cela doit être calculé.
J'étais aussi dubitatif que vous, mais je me suis efforcé de comprendre le dispositif. Faites cet effort, au lieu d'en rester à une posture idéologique !
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques n° 3074 de Mme Clémentine Autain, n° 3078 de Mme Caroline Fiat, n° 3081 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3085 de M. Adrien Quatennens.
L'amendement n° 3074 vise à supprimer l'alinéa 2 de l'article 3.
Tout reste en effet à calculer, monsieur Balanant. Le point ne sera pas indexé sur les salaires, puisque sa valeur sera calculée en fonction d'un âge d'équilibre afin de garantir l'équilibre financier du système à l'instant T. Comprenez-vous ? Ainsi, le fait de retenir l'ensemble de la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années se traduira inévitablement par une diminution substantielle. Je ne comprends toujours pas dans votre charabia en quoi le futur système représenterait un mieux-disant.
Je souhaiterais que l'on s'abstienne de porter un jugement de valeur sur les argumentations des uns et des autres !
Pourquoi toute cette émotion ? Je ne comprends pas. Le fait est, collègue, que tout est calculé pour assurer l'équilibre financier, lequel, dit-on, ne pourrait pas être garanti par le système actuel. Nous avons réfuté cette première accusation en faisant la démonstration que la prétendue crise qu'on nous annonce n'existe pas. Quoi qu'il en soit, vous ne pouvez pas contester qu'au bout du compte, le système s'équilibrera en fonction de la situation de chaque génération et de ce qui sera disponible à l'instant T. En toute logique – je ne comprends pas que vous contestiez ce point –, le résultat ne peut pas être le même si le calcul est fondé sur la carrière entière ou sur les vingt-cinq meilleures années. Si nous nous trompons, montrez-nous en quoi. Puisque le mode de calcul du point n'est précisé nulle part, nous sommes obligés de vous dire que vos arguments ne peuvent pas être entendus. C'est pourquoi nous avons raison de demander la suppression de tous les alinéas de l'article 2.
Monsieur Balanant, la valeur du point ne pourra pas baisser, nous a dit Édouard Philippe. Mais celui-ci a une valeur d'acquisition et une valeur de service. En réalité, la prétendue garantie que l'on nous donne sur la valeur du point ne garantit en rien le niveau des pensions. L'objectif du Gouvernement est, on l'a compris, de faire en sorte que la part de la richesse nationale consacrée aux retraites n'augmente pas. Dès lors, le système par points n'a qu'une seule utilité : adapter la taille des miettes restantes au nombre des convives. L'âge de départ à la retraite servira ainsi de variable d'ajustement, de façon que la décote fasse baisser le niveau des pensions. Sinon, comment pourrait-on assurer l'équilibre financier du système ?
Soit vous fixez une règle d'or, et l'âge de départ sert de variable d'ajustement, soit vous fixez, comme nous le proposons, un âge de départ, et vous y adaptez la part des richesses consacrées aux retraites. Il n'y a pas trente-cinq solutions possibles. Vous, vous voulez assurer l'équilibre financier sur le dos des travailleurs français, point !
Monsieur Mélenchon, il est vrai que si le passage d'un calcul sur les vingt-cinq meilleures années à un calcul sur l'ensemble de la carrière s'appliquait à une seule catégorie, celle-ci serait perdante. Mais si les mêmes règles s'appliquent à tous, l'effet de la progression de carrière sera le même pour tous.
J'ajoute, puisque M. Juanico a évoqué la situation des agriculteurs, qu'actuellement, leur pension est calculée sur l'ensemble de leur carrière.
Avis défavorable.
La commission rejette les amendements identiques.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3091 de Mme Clémentine Autain, n° 3095 de Mme Caroline Fiat, n° 3098 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3102 de M. Adrien Quatennens.
L'amendement n° 3091 tend à supprimer l'alinéa 3 de l'article 3, soit le titre du chapitre VIII. Voyez comme nous sommes cohérents : nous proposons de supprimer méthodiquement, point par point, l'ensemble du texte. Nous voulons en effet que ce projet de loi soit retiré au profit d'un autre système de retraite qui permette de calculer les pensions en fonction des meilleures années.
Il faut que nous nous comprenions, faute de quoi notre discussion serait absurde. Le rapporteur admet enfin qu'un calcul sur les vingt-cinq meilleures années est plus favorable qu'un calcul sur l'ensemble de la carrière. Mais, dit-il, si les mêmes règles s'appliquent à tous, la progression sera la même pour tous. Je mets de côté bien des arguments qui me viennent à l'esprit, pour ne retenir qu'un exemple, celui des carrières hachées. Selon le rapporteur, on ne peut pas préjuger du fait que sa carrière sera hachée. Or Mme Autain vient précisément de citer le cas concret des femmes qui ont des enfants – situation exceptionnelle, comme chacun sait, au point que vous ne jugez pas nécessaire de la reprendre dans votre étude... Si ces femmes interrompent leur carrière, celle-ci sera hachée, leur durée de cotisation sera moindre et elles gagneront moins. En quoi le raisonnement de Mme Autain est-il faux ?
Encore ne prenons-nous que cet exemple, car il est simple à comprendre. Mais nous pourrions suivre le même raisonnement à propos des personnes qui entrent dans la vie active en passant d'un emploi précaire à l'autre.
Pour une fois, nos échanges sont intéressants. Je poursuis donc notre discussion, monsieur Balanant. La part de gâteau consacrée aux retraites diminuera à cause de votre projet de loi – le Conseil d'État lui-même l'a souligné : elle tombera à moins de 13 % du PIB. Or, le nombre des seniors va, quant à lui, considérablement augmenter. Certes, dites-vous, mais il faut tenir compte de la croissance du PIB. Tout d'abord, il ne croîtra jamais autant, proportionnellement, que le nombre des seniors. Ensuite, il n'est pas souhaitable de tout faire reposer sur la croissance, en particulier dans un contexte de changement climatique. Ainsi, l'équilibre financier ne peut être assuré qu'au prix d'une baisse du niveau des pensions. Mais comme vous ne souhaitez pas annoncer qu'à 62 ans, le montant de la pension sera moindre, vous dites qu'il ne baissera pas mais qu'il faudra travailler plus longtemps. Or, si l'on doit travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension qu'aujourd'hui, c'est bien qu'au même âge, le niveau des pensions aura diminué.
Monsieur Quatennens, il ne vous a pas échappé que nous parlons ici, compte tenu de la mise en oeuvre progressive de la réforme, de 2030 ou 2035. Or, dans dix ou quinze ans, les baby-boomers – qui forment des générations très nombreuses, puisqu'ils ont fait passer le nombre des retraités de 350 000 à 600 000 d'une année sur l'autre – vont commencer à disparaître, de sorte que la structure de la population retraitée va fortement évoluer.
Monsieur Mélenchon, reprenons votre exemple : une femme a trois enfants. Le premier a une carrière en progression. Le deuxième a une carrière de polypensionné, à l'instar des personnes qui prennent leur retraite aujourd'hui, puisqu'elles liquident en moyenne plus de trois pensions différentes. Dans le système actuel, cet enfant est perdant. Le troisième a une carrière au niveau du SMIC. Dans le système actuel, la revalorisation de sa vingt-cinquième meilleure année est calculée en fonction de l'inflation. Or, au cours des vingt-cinq dernières années, c'est-à-dire depuis 1993, l'inflation a été de 40 % alors que les salaires ont augmenté de 70 %. Il aura donc perdu 30 % de sa revalorisation par rapport au futur système.
Certes, lorsqu'on tient compte des vingt-cinq meilleures années, on élimine un certain nombre d'accidents. Mais qui peut savoir si ses enfants auront une carrière plate ou ascendante ? Il est vrai que la pension de celui qui aura eu une carrière ascendante sera érodée par rapport au système actuel, mais celui qui a une carrière plate, hachée ou de polypensionné y gagnera.
Avis défavorable.
Comment prévoir que les carrières seront précaires, monsieur le rapporteur ? Il suffit d'observer la conjoncture et la situation de l'emploi. Selon les chiffres du ministère du travail, 87 % des contrats de travail signés aujourd'hui sont des contrats courts : 83 % d'entre eux sont des contrats de moins d'un mois, un tiers des contrats de moins d'un jour. À moins que vous ne prévoyiez – ce qui n'est pas le cas – la validation de trimestres pour chaque période durant laquelle une personne est privée d'emploi, qu'elle soit au chômage ou au revenu de solidarité active, la prise en compte de l'ensemble de la carrière pour le calcul des droits à la retraite pénalisera bien les carrières hachées. Or, compte tenu de la conjoncture et de la précarisation accrue de l'activité liée à vos ordonnances « travail », nous avons toutes les raisons de penser qu'elles le seront de plus en plus. Ce sera donc pire, et les gens le comprennent très bien.
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques n° 3355 de Mme Clémentine Autain, n° 3359 de Mme Caroline Fiat, n° 3362 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3366 de M. Adrien Quatennens.
Par l'amendement n° 3355, nous proposons de supprimer l'alinéa 4 de l'article 3. M. Balanant nous a dit...
Entendu, madame la présidente. Toutefois, il n'est pas absurde que les députés de la majorité et de l'opposition débattent. Il était temps ! Car, jusqu'à présent, les membres du groupe La République en Marche ont été plus nombreux à parler dans notre dos et à nous interrompre qu'à prendre le micro pour défendre la réforme. (Protestations sur les bancs du groupe La République en Marche.)
Il est vrai que, lorsqu'ils le font, leurs interventions apportent davantage de confusion que de clarté.
En réalité, il n'y aura pas d'indexation sur les salaires. En effet, le calcul est fondé sur un coefficient de conversion : si l'on ne comprend pas cela, on ne comprend rien au système. Or ce coefficient va évoluer, puisque l'âge d'équilibre ne sera pas le même selon les générations. Du reste, on ne peut même pas savoir, au cours de sa carrière, quel sera le coefficient de conversion qui nous sera appliqué. Rien n'est donc automatique. En fait, vous organisez une baisse programmée du taux de conversion.
Il faut que cette conversation aboutisse ; nous ne pouvons pas en rester là.
Monsieur le rapporteur, vous réfutez notre objection au motif que l'on ne peut pas savoir si les carrières seront hachées ou non. Mais pourriez-vous affirmer qu'elles le seront moins à l'avenir qu'aujourd'hui ? Certainement pas. Car, au-delà de l'évolution des conditions de travail – pour ne rien dire des embauches qui, pour l'instant, se font majoritairement sous des contrats de très courte durée –, rien ne garantit la pérennité des emplois futurs. De fait, l'intelligence artificielle va bouleverser les conditions de travail, le cycle d'une machine, qui était de dix ans il y a vingt-cinq ans, est aujourd'hui de moins de cinq ans, et ainsi de suite.
Dès lors, nous sommes face à deux logiques. Les tenants de la première disent : « Vendez votre force de travail au meilleur prix possible et ne venez pas nous casser les pieds avec des garanties ! » C'est la logique qui a conduit à la réforme du code du travail et à l'abolition du principe de faveur. Les tenants de la seconde, c'est-à-dire les collectivistes que nous sommes, souhaitent, quant à eux, que nous nous donnions des garanties pour conforter le droit de vivre avec un revenu digne, que ce soit dans la vie active ou à la retraite.
Pour ce qui est de cette dernière, si l'on ne prend pas pour base de calcul les vingt-cinq meilleures années,...
.. même si nous préférerions les dix meilleures années, on ne garantit pas la pérennité des résultats.
Je ne veux pas abuser, madame la présidente. Mais je fais des progrès : pour moi, une minute, c'est peu ! (Sourires.)
Dans le système à points proposé, la pension est le produit de la multiplication du stock de points par le coefficient de conversion. Si vous pouvez fixer la valeur d'achat du point, vous ne pouvez pas fixer sa valeur dite de service, puisqu'elle sera fonction de ce fameux coefficient de conversion, lequel dépend de l'âge d'équilibre dont la seule fin est d'assurer l'équilibre financier du système. Ainsi, la valeur du point n'offre aucune garantie quant au niveau de pensions. C'est pourquoi nos amis belges, lorsqu'ils ont été confrontés à un projet de réforme analogue au vôtre, ont parlé d'une retraite tombola : on connaît le prix du ticket d'achat, mais on ignore quel lot on gagnera, quelle sera sa valeur, et on ne sait même pas si on pourra le gagner !
Monsieur Quatennens, il n'y a pas de coefficient de conversion. Le point a, en effet, une valeur d'acquisition et une valeur de service, respectivement fixées à 10 euros et à 0,55 euro dans le rapport Delevoye. Il est prévu que ces deux critères suivent l'évolution des salaires, sauf si le conseil d'administration de la future CNRU, dont je rappelle qu'il sera composé des partenaires sociaux, en décide autrement. Pourquoi la valeur de service a-t-elle été fixée à 55 centimes ? Parce que, le calcul étant fondé sur un âge d'équilibre fixé à 64 ans, si l'on divise 100 par 18, soit l'espérance de vie, on obtient un taux de service de 5,5 %.
Avis défavorable.
Au moins avons-nous, pour une fois, un échange intéressant. Alors que, par le passé, la droite a réalisé des réformes dites paramétriques consistant à modifier l'âge de départ ou la durée des cotisations, vous instaurez, quant à vous, un système qui fonctionnera en pilotage automatique si bien qu'il rend inutile toute autre réforme à l'avenir.
Il existe bien, monsieur le rapporteur, un coefficient de conversion, lié précisément à l'âge d'équilibre, lequel évoluera. Du reste, dans son rapport, M. Delevoye explique que cet âge d'équilibre sera décalé en fonction de ces paramètres. Votre objectif est limpide : c'est l'équilibre financier à tout prix, l'âge de départ servant de variable d'ajustement. La réforme n'est donc pas floue, contrairement à ce que d'aucuns disent ; elle est très claire et parfaitement cohérente. Nous souhaitons fixer l'âge de départ et le niveau de pension et adapter la comptabilité à cet objectif. Vous, vous faites l'inverse. Vous en avez le droit, mais assumez-le !
Puisqu'on nous vante les mérites du régime complémentaire de l'AGIRC-ARRCO, je tiens à rappeler que, depuis une trentaine d'années, le rendement du point acheté a baissé de 40 %.
Les garanties que vous prétendez nous donner n'existent pas ; elles existent d'autant moins que vous venez de nous expliquer, monsieur le rapporteur, que le système permettra de jouer sur la différence entre valeur d'acquisition et valeur de service du point. Cela vous arrange, car vous pourrez ainsi procéder, sans provoquer trop d'émoi, à des ajustements permanents, au détriment de la garantie des droits. Plus la discussion avance, plus nous comprenons que le système que vous nous proposez est bien celui que nous décrivons et qu'il est très nocif.
Je remercie nos collègues de gauche, car ils nous font gagner beaucoup de temps en évoquant dès à présent l'article 55, relatif à la gouvernance, qui répond à toutes leurs questions, qu'il s'agisse de la fixation de la valeur du point ou du rôle des partenaires sociaux dans une gouvernance partagée.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3389 de Mme Clémentine Autain, n° 3393 de Mme Caroline Fiat, n° 3396 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3400 de M. Adrien Quatennens.
Puisque le rapporteur m'a interpellée au sujet des cas types, je me permets de lui lire un extrait de l'article que Mathilde Guergoat-Larivière a fait paraître dans Le Monde : « Les six cas types présentés pour les salariés du privé correspondent ainsi à des trajectoires typiquement... masculines : cinq carrières complètes et une "carrière heurtée" caractérisée par un chômage de longue durée à partir de 42 ans. On est donc très loin des carrières féminines [...] ». Et elle ajoute un peu plus loin que ces cas-types concernent des personnes sans enfants, ce qui nous laisse particulièrement dubitatifs. L'analyse de cette maîtresse de conférences en économie devrait alerter notre commission sur les effets de la réforme sur les carrières féminines, qui ne sont pas mesurés de façon correcte et juste par l'étude d'impact.
Je ne veux pas lâcher cette affaire. Collègue rapporteur, le point a une valeur d'acquisition – nous avons lu le rapport Delevoye : pas de problèmes – et une valeur de service, dont tout le monde comprend qu'elle détermine ce qu'on percevra au moment où on part à la retraite. M. Delevoye avait proposé une clef de répartition : 10 euros, 55 centimes. Soit. Mais entre la valeur d'acquisition et la valeur de service se glisse un coefficient de conversion, et il ne peut pas en être autrement. En effet, le système est, comme tout système de retraite – y compris les systèmes par capitalisation –, sensible à la démographie. À supposer qu'un coronavirus extermine la moitié d'une génération, la valeur du point montera : mauvaise nouvelle pour l'humanité, mais bonne nouvelle pour votre système... À l'inverse, si nous trouvons le moyen de vaincre le cancer, nous nous retrouverons avec des milliers de retraités supplémentaires, qui percevront, dans votre système, une pension de misère. Démontrez-moi que je me trompe !
Nous sommes là au coeur de l'affaire. On observe, au cours des dernières décennies, que la courbe statistique de la part des seniors et celle de la part des richesses consacrée aux retraites sont strictement parallèles. Vous dites qu'à son niveau actuel, cette dernière permet d'absorber les évolutions de la démographie. Néanmoins, la part des seniors va continuer à augmenter. Or, M. Delevoye a clairement indiqué, sur France Inter notamment, que la part des richesses consacrées aux retraites serait plafonnée à 14 % du PIB. Cette courbe sera donc plate alors que celle des seniors sera ascendante.
Le système de retraites par points est le mieux adapté à votre objectif, qui est d'assurer l'équilibre financier par un pilotage automatique en jouant sur une seule variable d'ajustement : l'âge d'équilibre. De fait, c'est ce qui se produira, à moins que vous n'admettiez qu'il faut consacrer, comme nous le proposons et comme on l'a fait par le passé, une part plus importante de la richesse nationale aux retraites afin que les gens ne soient pas obligés de partir plus tard. Pour financer et équilibrer un système de retraite, M. le secrétaire d'État l'a dit lui-même, les paramètres ne sont pas au nombre de cinquante, il n'y en a que quelques-uns : la durée de cotisation, l'âge de départ...
L'hypothèse d'une épidémie qu'a évoquée M. Mélenchon est peut-être la meilleure illustration des mérites d'un système plus largement mutualisé. Au cours des derniers siècles, la survie des personnes âgées était assurée par leurs enfants ou par le village. Or, plus la base est faible, plus le risque est élevé. On l'a donc étendue ensuite à l'échelle des corporations, mais l'on constate, de la même manière, que celles qui sont actuellement en difficulté sont celles dont la base est la plus fragile. Ainsi, en élargissant la base à l'ensemble de la société, on mutualise, donc on répartit les risques. Si une guerre, une épidémie de coronavirus ou je ne sais quelle catastrophe survient, le système sera d'autant plus résilient que sa base est large : tel est le principe de la réforme. Bien entendu, il y aura des effets de bord : certains, disons-le, seront perdants par rapport au régime actuel ; ce seront surtout ceux qui ont les revenus les élevés et les progressions de carrière les plus fortes. En revanche, les plus fragiles, ceux qui sont le plus en difficulté dans le système actuel, seront gagnants.
Avis défavorable, donc.
La question que l'on esquive est celle de la part de la richesse nationale que l'on est prêt à consacrer aux personnes âgées. Si l'on abaisse cette part à 12,9 % du PIB en 2050 alors que le nombre des retraités de plus de 65 ans aura, comme l'indique le Conseil d'État, augmenté de 70 % à l'horizon de 2070, le taux de remplacement diminuera très fortement et le niveau de vie des retraités va décrocher par rapport à celui des actifs. C'est un véritable débat. Ce n'est peut-être pas un problème pour ceux qui ont de très hauts revenus mais, pour ceux qui ont des revenus modestes, ce système prétendument plus juste provoquera un alignement par le bas. C'est ce que j'appelle les trappes à basses pensions. Lorsque 30 % des retraités et 40 % des femmes relèvent du minimum contributif, c'est-à-dire du filet de sécurité, on ne peut pas considérer qu'il s'agit d'un progrès.
Je remercie notre collègue rapporteur, car je crois que nous avons là, malgré nos désaccords, un échange utile et sérieux.
Prenons l'exemple cité par le président Mélenchon. Dans le rapport Delevoye, l'âge d'équilibre est associé à une génération et dépendra de l'espérance de vie de celle-ci. Par conséquent, il est clair, dès lors que votre objectif est l'équilibre financier, que si l'espérance de vie de votre génération a augmenté, vous devrez travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension. Pour le dire autrement, en m'excusant pour le caractère un peu raide, voire morbide, de la démonstration, si vous ne voulez pas avoir à travailler encore plus longtemps, vous avez intérêt à ce que les membres de votre génération meurent plus tôt...
Certains des propos de nos collègues de La France insoumise sont blessants. À propos de la CNRU, qui sera pilotée par les partenaires sociaux, ils ont évoqué un « pilotage automatique ». Est-ce là leur conception du dialogue social ?
Ne changeons rien à la sécurité sociale, dit M. Mélenchon. Mais, moi, je ne veux pas laisser de dettes à mes enfants. Il nous faut donc construire un système plus solide, et c'est ce à quoi nous nous attachons.
Madame Autain, vous invoquez souvent à la solidarité. Pourtant, votre amendement n° 1781 visait à supprimer le principe de solidarité du régime des retraites !
Enfin, vous vous référez à un certain nombre d'économistes. Or, ceux-ci ne parlent pas d'une seule voix et ils font des différentes réformes des analyses différentes. Ainsi, en 2017, vingt-cinq prix Nobel ont réfuté la pertinence du programme de La France insoumise.
Il ne s'agit pas ici de comparer et de noter les différents programmes politiques. Mais, puisque je viens d'entendre une députée de la majorité nous indiquer qu'elle ne voulait pas laisser de dettes à ses enfants, je me permets de lui rappeler que, depuis le début de la législature, soit en deux ans et demi, cette majorité est responsable de 190 milliards d'euros de dettes supplémentaires !
La commission rejette les amendements.
La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 5 février 2020 à 15 heures
Présents. – Mme Clémentine Autain, M. Thibault Bazin, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Didier Le Gac, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Emmanuel Maquet, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Aurélien Pradié, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Hervé Saulignac, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, M. Philippe Vigier, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, M. Éric Woerth
Excusé. – M. Thierry Michels
Assistaient également à la réunion. – M. Damien Abad, M. Erwan Balanant, M. Bertrand Bouyx, M. Jean-Louis Bricout, M. Charles de Courson, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Isabelle Florennes, M. Guillaume Garot, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Bruno Millienne, M. Maxime Minot, Mme Laurianne Rossi, Mme Bénédicte Taurine, M. Hubert Wulfranc