COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 15 avril 2021
La séance est ouverte à quatorze heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Loïc Obled, directeur général délégué à la police, à la connaissance et à l'expertise de l'Office français de la biodiversité (OFB), M. François Hissel, directeur de la surveillance, de l'évaluation et des données de l'OFB, M. René Lalement, directeur-adjoint au sein de la direction de l'appui aux stratégies pour la biodiversité de l'OFB et M. Pascal Lagrabe, directeur-adjoint au sein de la direction de la police et du permis de chasser de l'OFB .
Messieurs, je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Obled, Hissel, Lalement et Lagrabe prêtent serment.
L'OFB est un établissement public issu, au 1er janvier 2020, de la fusion de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) avec l'Agence française pour la biodiversité (AFB), elle-même issue, au 1er janvier 2017, de la fusion de 4 entités :
– l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), un établissement public chargé de mettre la France en conformité avec la directive cadre sur l'eau et de coordonner l'appui aux agences de l'eau, établies par bassins ;
– l'agence des aires marines protégées, en charge des parcs naturels marins ;
– le groupe d'intérêt public (GIP) Atelier technique des espaces naturels (ATEN), s'occupant de formation à l'environnement ;
– l'association des parcs nationaux de France.
Ces parcs nationaux sont désormais rattachés à l'OFB, dont les missions se répartissent entre :
– la police de l'environnement et la police sanitaire de la faune sauvage, occupant une grande partie de ses agents (1 700 inspecteurs de l'environnement, répartis sur l'ensemble du territoire, dans des services départementaux)
– la connaissance de l'eau, des milieux aquatiques et de la biodiversité ;
– l'appui aux politiques publiques au sens large ;
– la gestion en propre, ou l'appui à la gestion d'aires protégées ;
– et la mobilisation de la société en vue d'accompagner la transition écologique en matière d'eau et de biodiversité.
Le code de l'environnement précise que l'OFB coordonne des systèmes d'information sur la biodiversité, l'eau, les milieux aquatiques et les milieux marins, c'est-à-dire qu'il collecte des données.
L'OFB consomme 2 638 équivalents temps plein travaillés (ETPT), auxquels s'ajoutent 160 ETPT hors plafond. Ses recettes, d'un montant de 457 millions d'euros, proviennent principalement du programme budgétaire 113 « Paysages, eau et biodiversité ». Dans ce cadre, le ministère de la Transition écologique et solidaire a versé 51 millions d'euros à l'OFB, qui a aussi bénéficié de 21 millions d'euros du plan de relance, ainsi que d'une contribution des agences de l'eau de 373 millions d'euros, dont 41 à destination du plan Écophyto de lutte contre les conséquences nocives de l'usage des produits phytosanitaires.
Ses dépenses, de 516 millions d'euros cette année, correspondent à :
– son personnel (191 millions d'euros) ;
– son fonctionnement (54 millions d'euros) ;
– ses interventions (260 millions d'euros dont : 67,5 millions d'euros pour les parcs nationaux, 40 millions d'euros pour le plan Écophyto et 30 millions d'euros pour la solidarité internationale, au bénéfice de l'outre-mer ;
– un fonds pour la biodiversité également alimenté par les fédérations de chasseurs (10 millions d'euros) ;
– son autorisation d'engagement au titre du plan de relance (40 millions d'euros).
Lors de son audition, le chercheur Sylvain Barone a évoqué devant notre commission l'impunité de gros pollueurs d'eau, qu'il attribue entre autres au trop petit nombre d'agents de l'OFB. Selon lui, en moyenne, chacun d'eux s'occupe de 1 000 kilomètres de rivières et chaque département compte 2,5 ETP en charge de la police de l'eau. Nous confirmez-vous ces chiffres ? M. Barone a aussi évoqué des agressions d'agents par certains gros pollueurs. Quelle est votre réaction à un tel témoignage ?
Les inspecteurs de l'environnement, qui constituent une grande part de nos effectifs, sont autorisés depuis 2012 à constater l'ensemble des infractions relatives à l'environnement. Les 1 200 inspecteurs de l'ONCFS étaient plutôt spécialisés en chasse et faune sauvage, alors que ceux de l'AFB, et donc de l'ancien ONEMA, s'occupaient surtout de police de l'eau et des milieux aquatiques. Il apparaît difficile de déterminer le nombre exact d'agents dédiés à la police de l'eau, dans la mesure où tous disposent désormais des mêmes prérogatives, quoique pas de la même formation, ce qui constitue d'ailleurs un enjeu majeur à relever.
Nos agents interviennent en tout cas dans le cadre de missions inter-services de l'eau et de la nature (MISEN) sous la coordination conjointe des préfets et des procureurs de la République. Ces MISEN définissent chaque année des priorités de contrôle de police pour chacun des services compétents : l'OFB mais aussi le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, les réserves naturelles de France, l'Office national des forêts (ONF), la gendarmerie, etc. De ces priorités et, bien sûr, de la disponibilité des agents dépend le temps d'intervention affecté à telle ou telle thématique, y compris la police de l'eau, ce qui explique sa variabilité d'un territoire à l'autre.
Nos agents interviennent sur le terrain. Il leur arrive d'être victimes d'outrages, comme l'ensemble des agents dépositaires de la force publique.
Des moyens accrus nous permettraient d'étendre notre action, mais nous pourrions aussi nous contenter de moyens réduits. La question porte en réalité sur l'usage affecté à ceux dont nous disposons. Du fait de la complexification du droit et d'une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux, nos agents sont de plus en plus sollicités.
En plus d'effectuer des contrôles planifiés qu'ils sont outillés pour mener à bien, ils sont saisis par des citoyens, ou suite à des plaintes, étant habilités à en recevoir, or il n'est pas évident pour eux de répondre à ces sollicitations imprévues.
Pourriez-vous nous parler de la banque nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE), outil national dédié à la diffusion des données quantitatives des prélèvements sur les ressources en eau pour la France métropolitaine et les outre-mer ? D'où proviennent ces données et qui contrôle celles que fournissent les industriels et les agriculteurs ?
, directeur de la surveillance, de l'évaluation et des données de l'OFB. Les données de la BNPE proviennent de déclarations par les préleveurs au titre des redevances pour les prélèvements en eau. Elles sont collectées par les agences de l'eau en métropole, les offices de l'eau dans les départements et régions d'outre-mer, et la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) à Mayotte.
La BNPE dispose de données non pas fiscales mais relatives aux prélèvements, et à leurs usages. La concrétisation du projet de leur adjoindre des données issues de l'instruction des autorisations de prélèvement accordées par les directions départementales des territoires (DDT) a pris du retard.
La BNPE ne contrôle pas les données qu'elle rassemble. En cas d'anomalie manifeste concernant les volumes prélevés, par exemple, nous en référons à l'agence productrice des données. L'article L 213-11-1 du code de l'environnement autorise les agences de l'eau et les offices de l'eau à contrôler les déclarations des redevables, soit sur pièce, soit sur place, auquel cas des organismes habilités par le préfet coordinateur de bassin peuvent être mandatés pour s'en charger.
L'OFB se contente d'assurer les missions des établissements auquel il s'est substitué. Ceci dit, l'AFB a dû, lors de sa création, réaffecter une part de ses effectifs et de ses budgets à sa nouvelle mission de mobilisation de la société.
Nous nous efforçons pour l'heure d'optimiser l'utilisation des moyens dont nous disposons, qui pourraient, bien sûr, être plus conséquents.
La mobilisation de la direction générale, des organisations syndicales et du gouvernement a permis d'éviter pour l'année 2021 une baisse de 20 ETPT du plafond d'emplois de l'OFB.
Vos effectifs actuels vous permettent-ils d'assurer l'ensemble de vos missions ? N'avez-vous vraiment pas besoin de plus de moyens humains ?
Nos missions portent sur un vaste champ. Évidemment, on ne mobilisera pas autant la société pour réussir la transition écologique dans son aspect eau et biodiversité si l'on peut compter sur 10 ou sur 1 000 personnes. Il convient de définir l'objectif qualitatif visé, ce qui n'apparaît pas simple.
Un engagement fort a été pris de sanctuariser les effectifs de police dans les services départementaux, pour qu'ils puissent assurer leur mission, quelles que soient les sollicitations imprévues dont ils font l'objet. La stratégie nationale annoncée par le Président de la République s'est traduite par une augmentation de nos effectifs dans les parcs naturels marins, suite à des redéploiements internes.
Des dépenses d'intervention s'ajoutent à nos actions de recherche ou d'expertise en propre. Notre budget primitif 2021 laissait présager des difficultés. Un budget rectificatif a heureusement répondu à nos attentes en nous donnant les moyens d'assumer notre mission en matière de connaissance.
Quel rôle joue l'OFB dans le système d'information sur l'eau ? Quel type de données y trouve-t-on ?
La loi a confié à l'OFB le rôle de coordination technique de ce système d'information fédérateur, et aussi de ceux sur la biodiversité et le milieu marin. Il rassemble les données produites par différents établissements publics et administrations pour des besoins de politique publique variés. Nous en avons identifié onze, allant de la planification des milieux aquatiques à la gestion des risques et des inondations en passant par le contrôle des eaux au robinet ou encore la réglementation des rejets polluants dans les eaux.
Le système d'information sur l'eau (SIE) collecte et diffuse en accès libre des données, dont nous garantissons la qualité et l'homogénéité, sur l'eau, ses usages, les milieux aquatiques et les services publics d'eau et d'assainissement. Nous avons mis au point des référentiels techniques établissant des méthodes et des protocoles de collecte de données, ainsi que des standards de données et d'échanges. Les producteurs de données sur l'eau doivent s'y conformer. Les données du SIE, qui alimentent des banques de données d'acteurs publics et privés, sont notamment utilisées pour la mise en œuvre de la directive cadre sur l'eau en France. Sauf exception fondée en droit, ces données sont à la disposition du grand public via un portail opéré par l'OFB : eaufrance.fr.
En 2013, la Cour des comptes a rendu un rapport critique sur la mission de l'ONEMA de coordination technique des systèmes d'information sur l'eau, lui reprochant un manque de définition du rôle des différents intervenants, des défaillances dans le montage des banques et outils du SIE, un défaut de transparence dans la production et l'accès aux données, une insécurité juridique, un recours quasi systématique aux logiciels et licences propriétaires et une absence de maîtrise des informations géographiques. Quelles actions ont été menées depuis pour y remédier ?
Ces carences s'expliquaient par la jeunesse du dispositif, formalisé pour la première fois par un arrêté de 2010.
Un arrêté du ministre de la Transition écologique et solidaire approuvant le schéma national des données sur l'eau, les milieux aquatiques et les services publics d'eau et d'assainissement du 19 octobre 2018 a, depuis lors, précisé le périmètre du SIE, son rôle et ses instances de gouvernance, et chargé un certain nombre d'organes de produire des référentiels techniques auxquels doivent se conformer les producteurs de données.
Ce schéma national des données mis en place par l'OFB avec le ministère de la Transition écologique et solidaire se concentre sur les dispositions nécessaires pour améliorer leur qualité, leur cohérence et leur transparence. Il prévoit toutefois que chaque autorité responsable d'un système d'information spécifique producteur de données établisse son propre schéma de données conforme au schéma national. Trois des onze politiques publiques qu'il identifie ont déjà donné lieu à un schéma complémentaire définissant les responsabilités en matière de production et de gestion des données. Elles concernent :
– la planification dans le domaine de l'eau ;
– les services publics d'eau et d'assainissement ;
– l'hydrométrie et la prévision des crues.
La publication de ces schémas complémentaires visés par la mission interministérielle de l'eau en mars dernier ne devrait plus tarder.
Des efforts particuliers ont amélioré depuis 2013 la transparence de l'accès aux données avec l'appui du comité permanent des usagers du SIE, une sous-commission du Comité national de l'eau. Il a établi en décembre 2013 un plan d'action pour l'accès aux données sur l'eau. Certaines des actions qu'il préconise ont déjà été réalisées, dont la mise en ligne d'un site d'accès à des indicateurs de synthèse. Une refonte du portail eaufrance.fr a, en 2018, amélioré son ergonomie en le rendant plus accessible à différents publics. Des systèmes de diffusion de données sous forme d'interface de programmation d'application (API) facilitent désormais le développement de services tiers basés sur ces données.
Deux audits, en 2014 et 2016, ont contribué à l'amélioration de la qualité des données produites. Le premier, réalisé par la société AFNOR compétences, a évalué le SIE en termes de gestion qualitative selon les critères de la norme ISO 9001. Il s'agissait de démontrer son aptitude à fournir régulièrement des produits conformes aux exigences des clients. Le second audit de 2016 s'est plutôt concentré sur la qualité des données qui entraient dans les banques de nos producteurs, notamment les agences de l'eau ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). L'un et l'autre ont débouché sur des plans d'action en cours d'implémentation.
Vous avez enfin souligné la difficulté de mise en place de certains outils et banques nationales. Beaucoup de projets ont été repensés. Leur nouvelle gouvernance, désormais parfaitement fonctionnelle, y associe mieux les utilisateurs. Citons le projet de banque nationale Naïades, qui diffuse aujourd'hui en ligne les données relatives à la qualité des eaux de surface continentales collectées par les services déconcentrés de l'État et les agents de l'eau. Le projet d'un système d'évaluation de l'état des eaux a lui aussi abouti. Les agences de l'eau y recourent d'ailleurs largement.
Les réponses apportées aux manquements épinglés par la Cour des comptes ont amélioré le SIE, qui sert à présent de modèle à d'autres systèmes d'information fédérateurs, sur le milieu marin et la biodiversité au sens large.
Certaines personnes auditionnées à propos du rapport issu du système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA) estiment que la loi n'y a pas été respectée et que certains champs ont été mal renseignés, voire pas du tout. Les données de l'enquête menée par l'Observatoire des services publics d'eau et de l'assainissement de l'OFB vous semblent-elles exhaustives ? Pourquoi certains départements y apparaissent-ils en blanc ?
L'exhaustivité de données ne saurait être évaluée indépendamment de l'usage auquel on les destine. Le caractère incomplet de celles du rapport SISPEA vient de ce que seul un tiers des services – ceux desservant plus de 3 500 personnes – sont tenus de communiquer les leurs. Nous avons tout de même obtenu les données relatives à 2018 et 2019 d'un peu plus de la moitié des services, c'est-à-dire des données qui portent sur 70 % à 80 % de la population. Cet important pourcentage permet d'inférer des statistiques significatives à l'échelle nationale, voire départementale.
Ces données ne sont de toute façon pas destinées à piloter des services publics d'eau et d'assainissement. Elles se veulent de simples indicateurs de prix et de performance des services publics. La disposition prise aux assises de l'eau pour obliger l'ensemble des collectivités à communiquer leurs données reste encore à appliquer.
La publication des données relatives aux collectivités dépend de notre capacité à les contrôler. Tant que les services déconcentrés de l'État ne vérifient pas la cohérence des données fournies, elles n'alimentent pas le dispositif national. Voilà pourquoi des départements comme les Yvelines ou l'Essonne apparaissent en blanc sur les cartes depuis 2015.
N'estimez-vous pas nécessaire d'accompagner les territoires peinant à renseigner assez de données ? Si oui, quelle structure pourrait s'en charger ? Faudrait-il en créer une dans ce but, nationale ou régionale ?
Il existe un besoin certain d'assistance à la collecte de données. Les structures existantes, les DDT et les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) œuvrent à l'échelon départemental, qui me paraît adapté. Une animation régionale ou interrégionale nécessiterait des efforts particuliers.
Les services déconcentrés de l'État vous semblent-ils encore capables d'assurer leurs missions depuis la réduction de leurs effectifs décrétée par la loi ?
L'OFB ne dispose pas de visibilité sur les effectifs dédiés à la collecte des données, dans la mesure où les personnes qui s'en chargent ne s'y consacrent pas à temps complet.
Très peu de personnes connaissent le dispositif du système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA) dans chaque département. Il suffit que l'une d'elles se retrouve en arrêt de travail pour que surgissent des difficultés.
Un simple changement de poste interrompt parfois la collecte des données.
Il faudrait accompagner les petites collectivités qui pâtissent de la réduction des moyens affectés aux services déconcentrés de l'État.
C'est vrai. Certains postes ne sont pas reconduits, et la réorganisation d'un service oblige parfois à former de nouvelles personnes à la collecte de données, d'où la persistance de zones grises ou blanches sur les cartes.
Considérez-vous comme une erreur la suppression de l'aide technique de l'État dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question politique. Il faudrait plutôt se demander si les collectivités assurent aussi bien que l'État les services qu'il rendait autrefois, en matière d'infrastructures routières, par exemple. La réponse dépasse mes facultés. En ce qui concerne plus particulièrement l'eau, il n'est pas exclu que des compétences se soient perdues lors de leur transfert.
Il nous a été rapporté que seuls 4 % des renseignements relatifs aux investissements réalisés étaient communiqués dans ces systèmes d'information. Confirmez-vous ce chiffre ?
D'aucuns dénoncent une mauvaise application de l'arsenal législatif et répressif de la police de l'eau, de toute façon trop léger : les magistrats ne disposent que d'une formation générale en la matière et les contrevenants ont plus intérêt à régler une amende qu'à se conformer à la réglementation.
Tout dépend de la gravité des infractions : les délits ne peuvent être forfaitisés. Il reste toutefois assurément beaucoup d'efforts à fournir pour former l'ensemble des parties prenantes aux procédures, aussi bien côté administratif que judiciaire. L'OFB a lancé de grands projets de formation et de sensibilisation des autorités administratives (préfets et services déconcentrés de l'État) et des magistrats. Une convention avec l'École nationale de la magistrature devrait se finaliser bientôt. Des programmes de formation datant de l'époque de l'ONCFS et de l'AFB se poursuivent. Un élève magistrat termine d'ailleurs demain son stage à l'OFB.
Il existe une volonté réelle, de la part du gouvernement, de sensibiliser les magistrats aux questions d'environnement. La Chancellerie a envoyé à tous les parquets de France une note expliquant en quoi consiste l'OFB et de quelles prérogatives disposent les inspecteurs de l'environnement. La loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée tend à spécialiser des juridictions en matière environnementale.
L'OFB se contente de fournir un appui au préfet, donneur d'ordres en matière de police administrative.
La nature dissuasive des sanctions dépend des infractions qu'elles visent. Certaines revêtent un aspect quantitatif, comme les prises d'eau illégales à des fins d'arrosage. D'autres ont plutôt trait à de la pollution.
Les législateurs n'ont cessé, ces dernières années, d'améliorer l'arsenal juridique existant en attribuant de nouvelles prérogatives aux inspecteurs de l'environnement de l'OFB. Les efforts d'acculturation et de formation des magistrats portent d'autant plus leurs fruits que les plus jeunes se montrent plus sensibles aux questions d'environnement.
Le ministère de la Justice a édicté en 2015 une circulaire sur la politique pénale en matière d'environnement. La Chancellerie avait alors œuvré à des protocoles d'accord en vue d'une coopération des équipes judiciaires sous l'autorité des magistrats. Les services déconcentrés de l'État aussi s'occupent de police de l'eau, en plus de l'OFB. La mise en place d'une coopération efficace prend du temps.
Certains enjeux plus prégnants comme la pollution ou la sécheresse justifient sans doute un plus grand nombre d'interventions. Il convient en tout cas de sensibiliser à ces questions d'environnement parquets et magistrats, et d'articuler de manière satisfaisante les sanctions judiciaires et administratives, pour assurer leur complémentarité. Le temps de la justice ne s'écoule pas au même rythme que celui dans lequel s'inscrivent les interventions de la police administrative.
Le changement climatique entraîne une raréfaction de la ressource en eau. Les secrétaires d'État Mmes Emmanuelle Wargon et Bérangère Abba ont mis en place récemment un processus visant à prévenir le plus en avance possible les différents acteurs concernés par d'éventuelles restrictions d'eau, de manière à maximiser l'efficacité de l'action de la police.
La loi du 24 décembre 2020 a attribué la qualification d'officier de police judiciaire aux agents de l'OFB, qui disposent dorénavant de pouvoirs d'enquête complets, y compris celui de saisir les magistrats, devrait élargir nos compétences judiciaires.
Quelle proportion des procès-verbaux transmis par les agents de l'OFB les magistrats instruisent-ils ?
Nous ne disposons pas de cette statistique. Les procès-verbaux touchant à l'environnement en général, et à l'eau en particulier, comportent le plus souvent tous les éléments voulus pour donner lieu à des poursuites. C'est aux magistrats qu'il revient d'en prendre l'initiative. Quand le constat est établi qu'un texte de loi a été bafoué, que des éléments matériels l'attestent et que le responsable est connu, identifier l'élément moral constitutif de l'infraction présente rarement de difficulté.
La police de l'eau a réalisé ces dernières années 20 000 à 25 000 contrôles annuels, dont certains dans le cadre des plans de contrôle eau et nature. Deux tiers d'entre eux ne mettent en évidence aucune entorse à la loi. Le tiers restant ne révèle parfois qu'un défaut de conformité mineur ne nécessitant pas un recours à tout l'arsenal juridique. Nous dénombrons 3 000 à 4 000 procédures annuelles, souvent suite à des délits. L'autorité judiciaire ne poursuit que certaines infractions, selon leur gravité ou les circonstances.
Depuis quelques années existent en outre des alternatives aux poursuites. Le principal, en matière environnementale, reste l'efficience : la cessation de l'infraction doit s'accompagner d'une restauration des milieux. Il faut surtout éviter sa réitération. La police de l'eau réalise un travail essentiellement préventif en n'usant du levier des sanctions qu'en cas de nécessité.
L'un des enjeux reste d'atteindre un meilleur équilibre entre la police judiciaire et la police administrative, elle aussi susceptible d'imposer des sanctions.
Vous disposez bien d'un budget de 30 millions d'euros pour la solidarité internationale et l'outre-mer ?
Cette somme ne couvre pas toutes les actions en outre-mer : elle ne finance que l'eau et l'assainissement au titre de la solidarité interbassins. Notre comptabilité ne nous permet pas de connaître la somme consacrée à l'outre-mer dans le cadre de nos autres missions.
J'aimerais savoir de quelle somme totale bénéficient les outre-mer, qui hébergent 90 % à 95 % de la biodiversité végétale. On pourrait supposer une corrélation entre les moyens engagés et la richesse de la biodiversité à préserver, or il me semble qu'il n'en est rien. L'outre-mer n'est en tout cas pas suffisamment représenté dans les instances de gouvernance de l'OFB.
Établir un pourcentage de répartition de la biodiversité ne va pas de soi : il reste bien plus en ce domaine à découvrir que ce que l'on connaît déjà. L'outre-mer recèle en tout cas une richesse incontestable, qui accentue la vulnérabilité de ces territoires, en particulier les îles, sans même parler des pressions dues au changement climatique, à l'artificialisation des sols ou encore aux espèces exotiques envahissantes.
Au conseil scientifique de l'OFB siègent de nombreuses personnes issues de territoires ultramarins ou qui travaillent sur des problématiques ultramarines. Notre conseil d'administration compte 4 ou 5 représentants de l'outre-mer.
L'OFB a entrepris d'instaurer, l'an dernier, des délégations territoriales outre-mer : en Guyane, aux Antilles, dans l'océan Indien, ainsi que dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Certains bassins, certes pas tous, sont représentés au conseil d'administration. Il faut d'abord disposer d'équipes opérationnelles avant de lancer des programmes. Il existe un parc naturel marin à Mayotte et un autre en Martinique.
La création d'une direction des outre-mer réunissant des délégués présents dans chacun des territoires ultramarins a résulté d'un choix fort lors de celle de l'OFB. L'ONCFS ne disposait que d'une délégation de l'outre-mer rattachée au cabinet du directeur général et l'AFB de la sienne, rattachée à la direction de la police. Le rattachement direct de la direction des outre-mer à la directrice générale adjointe de l'OFB en charge des territoires et des outre-mer confère à ce service une dimension nationale. L'équipe de préfiguration menée par Pierre Dubreuil a beaucoup travaillé sur la question.
Un agent de la police de l'eau de l'OFB a fait part d'une explosion des risques psychosociaux au sein de l'agence, où l'on dénombre trois suicides depuis le début de l'année. Il affirmait subir une pression feutrée, mais insistante, pour dresser des contraventions à des acteurs de petite taille plutôt qu'à de gros pollueurs. Quelles mesures prenez-vous pour aider vos agents à résister à de telles pressions, et pour remédier à l'explosion des risques psychosociaux dénoncée par certains syndicats ?
Une année a été consacrée à la préfiguration de notre établissement ; une durée plutôt courte au vu de la longue histoire de l'ONCFS, d'autant que les agents de l'AFB n'en étaient pas à leur première réorganisation. La création de l'OFB a obligé une partie de son personnel à se familiariser avec de nouvelles missions, ce qui n'est jamais simple.
La pandémie s'est en outre déclarée trois mois seulement après la création de l'OFB, le 1er janvier 2020. La poursuite de nos activités a nécessité de considérables efforts d'adaptation et la mise au point de protocoles permettant aux agents de retourner sur le terrain.
La police de l'environnement ne chôme pas : aux contrôles prévus s'ajoutent d'incessantes sollicitations sous forme de plaintes et de dénonciations, prouvant par ailleurs que nous assumons notre mission de mobilisation de la société.
Je ne saurais vous répondre au sujet des pressions que vous évoquez, faute de plus amples informations sur leur nature. Une direction de la police, à l'OFB, soutient l'ensemble des agents. Conduire une enquête sur le terrain n'est pas toujours simple. Nos agents dans les départements sont parfois amenés à contrôler des personnes qu'ils côtoient au quotidien. Pour éviter des pressions inconfortables, il nous arrive de suggérer qu'un autre service, y compris national, prenne le relais.
Je serais marri d'apprendre que certaines pressions ont condamné des enquêtes à l'échec. Je vous garantis que nous prendrions dans ce cas les mesures nécessaires pour que le service « police judiciaire et renseignements », dirigé par un magistrat, reprenne en toute impartialité les affaires n'ayant pas abouti.
Le droit de l'environnement s'avère d'une extrême complexité. Certains acteurs structurés disposent d'une stratégie de défense de leurs intérêts dans le cadre de procédures où le moindre écueil peut déboucher sur un vice de procédure susceptible d'anéantir des mois, voire des années d'enquête. Voilà d'ailleurs pourquoi nous sommes aussi attentifs à la formation de nos agents.
Les trois suicides évoqués ont eu lieu, en réalité, depuis le début de l'année 2020.
La réunion s'achève à quinze heures vingt-cinq