Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du vendredi 11 juin 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • délégataire
  • eaux
  • fuite
  • guadeloupe
  • pression
  • rendement
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  France Insoumise    En Marche  

La réunion

Source

COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Vendredi 11 juin 2021

La séance est ouverte à quatorze heures dix.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition des entreprises titulaires de délégation de service public de l'eau et de l'assainissement en Guadeloupe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, consacrées à la situation et à la gestion de l'eau en Guadeloupe. Dans un premier temps, nous allons recevoir les représentants des entreprises délégataires de l'eau et de l'assainissement en Guadeloupe :

– M. Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France, président de Karukér'Ô Suez France ;

– M. Cyril Hammouda, directeur général délégué de Karuker'Ô Suez France,

– M. Nicolas Touzet, directeur Antilles de la Compagnie guadeloupéenne de services publics (du groupe Saur),

– M. Jean-Louis Saint-Martin, président de Eaux'Nodis.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit.

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

Les personnes auditionnées prêtent serment.

Permalien
Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France

À mon poste actuel depuis dix ans, je préside Karukér'Ô, la filiale guadeloupéenne de Suez, créée en 2018. Notre groupe n'assure de services essentiels en Guadeloupe que depuis le rachat de Nantaise des eaux services.

Nous gérons quatre contrats en Guadeloupe :

– les délégations de service public (DSP) d'eau et d'assainissement de Marie-Galante,

– un contrat avec le conseil départemental, nous engageant à livrer de l'eau brute à des milliers d'irrigants et à différents établissements publics de coopération intercommunale (EPCI),

– une DSP d'assainissement avec la communauté d'agglomération du Nord Basse-Terre (CANBT).

Ces contrats se déroulent bien sur le plan technique. Le rendement du réseau de Marie-Galante est passé de moins de 45 % à notre arrivée à plus de 65 % aujourd'hui. Le rendement du réseau que nous gérons pour le conseil départemental est quant à lui supérieur à 85 %.

Le taux d'impayés affecte toutefois profondément l'équilibre économique de nos services. Je remercie nos collectivités délégantes, et en particulier le conseil départemental, pour leur accompagnement. Le montant de nos impayés en Guadeloupe dépasse à ce jour notre chiffre d'affaires annuel.

Je vous donnerai deux exemples de l'engagement ultra-marin de Suez et de ses collaborateurs. En 2020, l'État nous a sollicités pour une mission d'assistance technique opérationnelle, qui s'est terminée à la fin de l'année dernière, dans le cadre du plan d'urgence Eau Guadeloupe. La mobilisation de 35 experts a produit des résultats. Différentes installations ont été remises en état et plus de 4 000 fuites, détectées et réparées. Même si la situation n'est pas encore revenue à la normale, les tours d'eau sont désormais mieux maîtrisés.

La région, à son tour, nous a confié une mission d'assistance technique opérationnelle similaire en attendant la création effective du syndicat mixte ouvert (SMO).

En Martinique, malgré un stress hydrique historique, nous avons, cette année, réussi à préserver la continuité du service d'eau potable dans les deux agglomérations où nous sommes présents, grâce à une implication sans faille de nos équipes, engagées dans la détection et la réparation des fuites sur le terrain. Il n'en est pas allé de même dans le centre de la Martinique où nous n'intervenons pas.

La situation actuelle de l'eau est insupportable et inacceptable pour une bonne part de la population guadeloupéenne.

La création du SMO nous paraît importante pour améliorer la gestion des interfaces entre les différents acteurs, et définir une politique globale, notamment patrimoniale, de l'eau et de l'assainissement, sans oublier les financements qui l'accompagnent.

Au-delà des nécessaires programmes d'investissement, dont la compétence incombe aux collectivités, la priorité doit aller à la qualité de l'exploitation, et donc aux outils et moyens, notamment financiers, nécessaires pour l'assurer, en particulier pendant la phase de rétablissement des niveaux de service.

Nous nous tenons prêts à contribuer à l'effort de remise à niveau du service public de l'eau potable en Guadeloupe, et nous montrons enthousiastes à l'idée de développer des modèles contractuels innovants.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Ancien salarié de la Générale des eaux Guadeloupe, j'ai créé, lors de son départ, Eaux'Nodis, avec des collègues. Notre société a repris au 1er octobre 2019 en DSP la gestion de la production et de la distribution d'eau potable dans les communes de Deshaies jusqu'au 31 décembre 2023 et Lamentin jusqu'au 31 décembre 2022.

La création de notre société répondait à notre volonté de rendre la Guadeloupe plus autonome dans sa gestion de l'eau. Eaux'Nodis est de fait la seule société guadeloupéenne aux capitaux guadeloupéens à exécuter des contrats de DSP dans le domaine de l'eau et de l'assainissement en Guadeloupe.

Jusqu'ici se sont surtout exprimés les acteurs politiques et les usagers. Toutefois, tant qu'une plus grande place ne sera pas accordée aux techniciens, le problème de l'eau ne se réglera pas.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Le groupe Saur détient à ce jour en Guadeloupe quatre DSP : deux en eau potable et deux en assainissement, sur la Côte-sous-le-vent, plus précisément dans les communautés d'agglomération de Grand Sud Caraïbe (CAGSC) et Nord Basse-Terre (CANBT).

La compagnie guadeloupéenne de services publics (CGSP) du groupe Saur, en charge de ces DSP, est une société locale, qui gère localement sa comptabilité et la paye de ses employés. Nous employons des techniciens ainsi que des ingénieurs hydrauliciens et experts en traitement. Nos collaborateurs dévoués résident sur les lieux mêmes où ils acheminent l'eau.

Le transport de l'eau et les captages de surface dont nous avons la charge nous posent des difficultés. La situation de l'eau en Guadeloupe s'avère extrêmement préoccupante. Nous souhaitons œuvrer en partenariat avec les collectivités à la gestion de ce bien commun.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À qui, selon vos contrats, incombent l'entretien, les réparations et le financement des réseaux ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Le contrat d'affermage que nous gérons dans la commune de Lamentin prévoit que la collectivité finance le renouvellement des réseaux. Eaux'Nodis se charge de l'entretien simple : réparations et remplacements à l'identique de branchements, de compteurs et de certains équipements électromécaniques défaillants. Nous instruisons les permis de construire et contrôlons les travaux qu'en tant que fermier, nous n'exécutons pas nous-même. Le changement de tronçons entiers de canalisations est du ressort de la collectivité, de même que les opérations relevant du génie civil.

Les communes de Deshaies et Lamentin ont, par le passé, procédé aux travaux nécessaires pour desservir aujourd'hui sans problème l'ensemble de leur population. Le délégataire présentait chaque année son rapport au conseil municipal, comme nous continuons d'ailleurs de le faire, résumant les difficultés rencontrées et préconisant des travaux. Les communes votaient ensuite les travaux requis pour résorber les insuffisances constatées. Nous récoltons à présent le fruit de l'implication des municipalités de Deshaies et Lamentin, puisque la distribution de l'eau, continue, ne s'y heurte à aucune difficulté.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Selon nos contrats de DSP de gestion d'assainissement à Lamentin, et d'eau potable à Marie-Galante, les investissements sont à la charge de la collectivité. Nous organisons des comités de suivi réguliers, réunissant techniciens et élus, avec les collectivités qui forment notre clientèle. Nous leur proposons ainsi des investissements et des programmes de travaux.

Nous assurons un service de qualité, sans interruption.

En tant que fermier, Karukér'Ô est surtout concernée par des interventions ponctuelles : réparations, petits investissements d'urgence ou programmes de travaux prévus au contrat.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Les contrats conclus avec la CAGSC et la CANBT suivent le même principe. Les collectivités supportent le coût des investissements. Nous faisons le point, lors de réunions de co-pilotage mensuelles ou trimestrielles, sur les travaux en cours, à venir et à prévoir. La CAGSC a mis en place un plan d'investissement de 5,2 millions d'euros pour améliorer le service par une mise à niveau de réducteurs de pression et de compteurs de sectorisation afin de pérenniser les installations.

Nous réalisons l'entretien des canalisations et réparons environ 600 fuites par an dans le cadre de nos deux contrats d'eau potable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La différence entre entretien courant et renouvellement ne vous semble-t-elle pas prêter à confusion ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Notre contrat établit clairement les limites de nos interventions. La réparation d'une fuite, ponctuelle, concerne un point précis du réseau. Au-delà d'une certaine longueur de canalisation à changer, la collectivité doit s'en charger.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Selon vous, l'état actuel du réseau en Guadeloupe ne résulte donc pas d'une confusion entre les responsabilités des uns et des autres.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

L'état du réseau s'explique par un défaut d'investissement dans les canalisations, voilà quinze ou vingt ans. Tout le monde le constate. Pour maintenir un patrimoine en état, il faut investir en permanence, car le réseau ne cesse de vieillir. Les conséquences d'un manque d'investissement n'apparaissent que dix ou quinze ans après coup.

Il faut aujourd'hui pallier aux difficultés par un surcroît d'investissement, alors même que les réseaux vieillissants obligent à réparer bien plus de fuites que celles qui auraient dû se produire si les canalisations avaient été constamment renouvelées.

En principe, il faut renouveler chaque année entre 3 % et 5 % de la valeur patrimoniale du bien. En Guadeloupe, le réseau d'eau comprend plus de 3 000 kilomètres de canalisations. Il faudrait donc investir chaque année entre 100 et 150 millions d'euros pour maintenir le réseau dans son état actuel, sans même l'améliorer. Les investissements réalisés au cours des années écoulées étaient très loin de ce montant.

Permalien
Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France

La décision d'investir incombe à la collectivité. Il est possible aussi d'opter pour une concession, en demandant alors au délégataire de réaliser des investissements majeurs. Un modèle intermédiaire, tel un contrat prévoyant la création d'un fonds de renouvellement, comporte selon moi un certain nombre de vertus, dont celle de soumettre la collectivité désireuse d'investir aux contraintes du code des marchés publics, mais aussi de la rendre plus réactive en raccourcissant le délai entre sa décision d'investir et la réalisation effective de son investissement.

Il ne subsiste aucun flou sur la répartition des responsabilités. Je ne me rappelle d'ailleurs aucune discussion ardue à ce sujet avec les autorités délégantes. Souvent, les contrats indiquent que jusqu'à 6 ou 12 mètres, les changements de canalisations incombent au délégataire et, au-delà, à la collectivité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quels matériaux utilisez-vous pour boucher les fuites, voire procéder à de petites réparations ? Nos précédents auditionnés ont dénoncé l'utilisation de matériaux non adaptés ou au vieillissement prématuré.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Le choix se pose entre fonte, polychlorure de vinyle (PVC) ou polyéthylène. En Guadeloupe, nous utilisons du polyéthylène pour les branchements et plutôt de la fonte pour les canalisations.

Un débat porte sur le détimbrage des tuyaux en polyéthylène, lié à la pression et à la température de l'eau, ainsi qu'au taux de chlore. Nous ne rencontrons de problème avec les branchements en polyéthylène dans aucune de nos exploitations, aussi bien en métropole qu'outre-mer, malgré des températures parfois élevées et l'augmentation récente des taux de chlore, en raison du plan Vigipirate.

À Marie-Galante, nous ne rencontrons pas de réels problèmes avec les branchements en polyéthylène ni avec les canalisations en fonte. Nous renouvelons 100 à 150 branchements par an et le rendement du réseau est tout à fait acceptable.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Les avis sur la question des matériaux divergent. Auparavant, les branchements étaient réalisés dans des matériaux encore plus difficiles à exploiter que le polyéthylène. Le problème du détimbrage des canalisations en polyéthylène est connu. Nous avons constaté une augmentation des fuites sur branchements, dans la majorité des cas à cause d'une rupture du polyéthylène. Eaux'Nodis remplace systématiquement les tuyaux en polyéthylène défectueux par d'autres en Excel Plus, ce qui évite au moins le détimbrage. Certains privilégient du polyéthylène plus épais, capable de résister à des pressions de 20 ou 25 bars, mais il se contente de repousser l'échéance du détimbrage. Certes, l'Excel Plus coûte un peu plus cher.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Nous réparons systématiquement nos canalisations à l'aide de fonte, plus résistante dans le temps. Nous partageons le point de vue d'Eau'Nodis concernant le polyéthylène et ne posons plus désormais que des tuyaux en Excel Plus, mieux adapté, selon nous, aux contraintes du terrain. Quand un branchement fuit, nous le renouvelons autant que possible en entier, plutôt que de devoir réparer des fuites successives et répétées. Le polyéthylène d'ancienne génération résiste très mal à la pression et donc au vieillissement.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Le stockage et la pose des canalisations, dont il est trop peu question, créent aussi des problèmes. L'attention que nous y accordons explique nos bons résultats. Nous découvrons, à l'occasion de travaux, beaucoup d'anciens tuyaux en polyéthylène très fin, posés à quinze ou vingt centimètres de profondeur à peine, alors que les normes actuelles imposent de les enfouir à soixante ou soixante-dix centimètres sous le sol.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quels sont les acteurs du marché de l'eau brute en Guadeloupe ? À qui appartiennent les captages ? Comment sont-ils entretenus et comment cet entretien est-il financé ?

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Le conseil départemental a délégué par une DSP la fourniture d'eau brute à Karukér'Ô, qui alimente une grande part des collectivités et des EPCI de Guadeloupe, principalement sur la Grande-Terre. Nous produisons près de 35 millions de mètres cubes par an. Nos 6 prises d'eau en rivière alimentent pour moitié les EPCI et pour moitié les agriculteurs. Ces captages appartiennent au conseil départemental.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Nous assurons l'irrigation sur une partie de la CAGSC, qui a passé avec nous un marché public. Nous nettoyons les captages et réparons les fuites à la demande du donneur d'ordres, la CAGSC, propriétaire des ouvrages.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Hammouda, qui s'occupait de l'eau brute avant Karukér'Ô ?

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Lors de sa création en 2018, Karukér'Ô a succédé à la Nantaise des eaux, alors rachetée par le groupe Suez. Auparavant, la Générale des eaux Guadeloupe a été en charge de l'eau brute jusqu'en 2010.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Ferdy Louisy, président du syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), nous a déclarés lors de son audition : « Quand je regarde la facturation de Karukér'Ô relative à la vente d'eau brute, je me dis que, si nous avions su faire jouer le code des marchés publics et la concurrence, nous aurions peut-être eu des prix plus normaux […] quand je vois que le conseil départemental a annulé la créance de la régie eau Nord Caraïbes (RENOC) à hauteur de 4 millions d'euros, je me dis : ʺPourquoi ne pas en avoir fait autant pour le SIAEAG ?ʺ, puisque nous avons le même opérateur, Karukér'Ô, filiale de Suez ».

Permalien
Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France

Même si le code des marchés publics ne s'applique pas à une DSP, celle-ci reste réglementée. Notre contrat a été remporté à l'issue d'un appel d'offres par la Nantaise des eaux, à l'époque en concurrence avec la Générale des eaux, du moins je le suppose. Depuis le rachat de la Nantaise des eaux, ce contrat a intégré le périmètre de Suez. Pour autant, ses clauses n'ont pas été modifiées.

Il ne nous appartient pas de nous substituer au conseil départemental pour déterminer ce qu'il est possible d'accorder ou non au SIAEAG.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Après la présence désastreuse de la Générale des eaux en Guadeloupe, beaucoup de collectifs citoyens et d'associations ont dénoncé l'implantation progressive de Suez, et par là même, la remise d'un service public vital aux mains d'une multinationale.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

L'État nous a réquisitionnés pendant huit mois, entre le 22 avril et le 18 décembre 2020, pour tenter de rétablir le service de l'eau en pleine crise pandémique, alors que certains usagers restaient sans eau pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Le conseil régional nous a confié une nouvelle mission de cinq mois pour assurer la transition en attendant la création du SMO. En dehors de cette mission d'assistance technique opérationnelle que nous réalisons en parfaite coordination avec les opérateurs, rien ne permet d'affirmer que nous mettons la main sur le service de l'eau en Guadeloupe. Nos quatre DSP mises à part, nous n'intervenons que dans le cadre de marchés ponctuels.

Permalien
Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France

Votre question me surprend. Nous respectons le rôle de chacun. Si nous travaillons pour une collectivité, c'est qu'elle l'a souhaité. Au terme d'une DSP, une collectivité a l'obligation de délibérer pour décider de son futur mode de gestion. Quand une entreprise remporte une DSP à l'issue d'un appel d'offres, c'est qu'elle a répondu aux demandes de la collectivité.

C'est la collectivité qui prend les décisions en matière de gouvernance. Nous n'incarnons aucun modèle particulier et nous contentons de répondre aux demandes sans outrepasser notre rôle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La légionellose a été détectée chez un habitant de Grand Fond, à Saint-Barthélemy, le 3 mars 2021. D'autres cas étaient déjà apparus en 2018. Comment l'expliquez-vous ?

Quels contrôles sanitaires effectuez-vous ? La qualité de l'eau vous pose-t-elle problème ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Nous avons reçu l'analyse de l'agence régionale de santé (ARS), effectuée au mois de mars, au mois de mai. Nous procédons nous-mêmes à des contrôles. La société Sidem dessale de l'eau de mer à Saint-Barthélemy, où nous ne nous occupons que du réseau de distribution. En mars, comme la production d'eau dessalée était à l'arrêt, l'eau manquait sur l'île. Malgré nos purges, régulières dans ces cas-là, des légionnelles ont été décelées. À la réception des analyses, avec deux mois de retard, nous avons mis en place un plan d'action avec l'ARS et la collectivité. Désormais, en cas de souci avec la Sidem, nous nous occupons nous-mêmes de la chloration, pour son compte, tout en réalisant des purges et des contrôles journaliers.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Est-il normal qu'une analyse de l'ARS vous parvienne dans un délai de deux mois ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

En principe, quand une mise en culture pose problème, nous en sommes informés quelques jours après le prélèvement, de manière à augmenter nos purges et procéder à une contre-analyse. Nous avons fait le point avec l'ARS afin de réduire le plus possible son délai d'alerte. Il n'est pas envisageable d'attendre deux mois le retour d'analyses officielles non conformes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Des résultats d'analyse vous parviennent-ils régulièrement dans de tels délais ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Ce n'est pas habituel, et même exceptionnel, puisque jamais encore l'ARS n'avait autant tardé à nous communiquer ses résultats, mais il faudrait assurément qu'elle améliore ses délais.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Le résultat des contrôles qualité de l'ARS ne nous parvient pas toujours rapidement, du fait de la réalisation de certaines analyses en métropole. L'institut Pasteur a toujours eu du mal à produire ses rapports dans des délais optimaux. Globalement, nous recevons tout de même les informations et les alertes en temps voulu. En revanche, l'obtention de précisions détaillées tarde parfois un peu, ce qui nuit à notre réactivité en cas de non-conformité. Depuis que nous avons en charge l'affermage des communes de Deshaies et Lamentin, nous n'avons été que très peu concernés par des analyses non conformes.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Nous avons constaté, chez Karukér'Ô, des délais parfois un peu longs mais, généralement, en cas de problème, même si le rapport définitif ne nous parvient pas tout de suite, nous recevons une alerte, par e-mail ou par téléphone.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Depuis combien de temps exercez-vous en Guadeloupe ? Quel est le rendement de votre secteur ? Quel était-il lors de votre entrée en fonction ? Comment jugez-vous votre performance ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

J'exerce en Guadeloupe depuis 2003. Le rendement de mon secteur, passé de 58 % à 61,5 % est, de façon générale, améliorable. Je ne le qualifierai pas de médiocre, mais de bonne facture dans le contexte guadeloupéen. Il pourrait être amélioré par la recherche de fuites et le renouvellement de canalisations fuyardes. Je qualifierai notre performance de correcte, ou plutôt améliorable.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Lors de mon arrivée en Guadeloupe, début 2018, le rendement du réseau de Marie-Galante était inférieur à 45 %. Il dépasse aujourd'hui les 65 %.

Cette augmentation résulte de toute une accumulation d'opérations. Nous avons d'abord recherché les fuites par secteurs en procédant à des mesures en continu du débit au niveau des réservoirs. Le plan Eau DOM et le premier contrat de progrès signé par la communauté de communes de Marie-Galante ont permis une sectorisation dans certaines zones très fuyardes. Nous avons enfin installé des appareils pour diminuer la pression durant certaines plages horaires, notamment la nuit, quand la consommation diminue.

Les réseaux sont aujourd'hui contrôlés en permanence. Chaque matin, selon les relevés de la nuit précédente, nous ordonnons des recherches de fuites par secteurs. Sitôt identifiées, ces fuites sont réparées en vingt-quatre ou, au pire, quarante-huit heures.

Le rendement du réseau d'irrigation, dont le conseil départemental nous a confié la gestion, stable depuis mon arrivée en Guadeloupe, dépasse les 85 %. Vu le diamètre des canalisations que nous exploitons et les pressions, entre 10 et 18 bars, les moindres fuites se remarquent tout de suite aux nombreux dégâts qu'elles provoquent.

Nous ne fournissons qu'une assistance technique opérationnelle au SIAEAG dans le périmètre de Belle-Eau-Cadeau, où les rendements tournent autour de 30 %.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Le SIAEAG.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Depuis mon arrivée, voici un an, aux Antilles, le rendement dans la CAGSC est passé de 52 % à 55 %. Il a surtout augmenté dans la commune de Vieux-Fort, où il est passé de 70 % à 76 % grâce à l'installation de réducteurs de pression et de modulateurs de pression. Dans la commune de Pointe-Noire, dans la CANBT, le rendement est passé de 47 % à 50 % grâce à une recherche accrue de fuites et à leur réparation. Nous essayons le plus possible de mettre en place de la sectorisation pour établir des rendements hydrauliques par zones en ciblant nos interventions. Nous recourons aussi à la modulation de pression.

Grâce aux modèles hydrauliques informatiques réalisés par notre ingénieur hydraulicien, nous proposons à la collectivité d'installer des réducteurs de pression aux endroits les mieux choisis. Le réseau de la Côte-sous-le-Vent, passant d'une montagne à l'autre, est soumis à de fortes pressions, jusqu'à 18 bars, en raison des dénivelés, ce qui abîme les tuyaux et les rend vétustes avant l'heure.

Les travaux de renouvellement de canalisations extrêmement vétustes auxquels procèdent les conseils départemental et régional contribuent à l'amélioration des rendements.

CGSP est présente en Guadeloupe depuis trente-cinq ou trente-huit ans. Je ne connais pas les rendements initiaux. Ils sont descendus à Pointe-Noire à 35 %, voici une dizaine ou une quinzaine d'années.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelles collectivités ont signé des contrats de progrès, et quand ?

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Dans le périmètre que nous gérons, la communauté de communes de Marie-Galante a signé le premier du genre, en 2018.

Si je me rappelle bien, la régie Eau d'excellence, via son EPCI Cap Excellence, en a également signé un.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Je ne crois pas qu'un contrat de progrès ait été signé dans la CAGSC ni la CANBT.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Aucun contrat de ce type n'a été signé dans le périmètre d'Eaux'Nodis, même si certains sont en cours d'élaboration.

Permalien
Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France

Pour améliorer le rendement des réseaux, il faut évidemment investir dans ces réseaux. Un renouvellement du réseau en Guadeloupe en l'espace de quelques années ne résoudrait pas les problèmes. En outre, une telle entreprise s'avère matériellement impossible.

Il faut mettre en parallèle une politique patrimoniale du ressort des collectivités, impliquant de définir un objectif de renouvellement de telle partie du réseau à tel horizon, avec les enjeux qui se posent aux opérateurs. Il revient à ceux-ci de mettre en place les outils nécessaires pour détecter rapidement les fuites et les réparer.

Le nombre de fuites réparées constitue un bon indicateur de notre efficacité. La rapidité de leur réparation influe aussi sur le rendement du réseau en limitant les pertes. Nos outils technologiques incluent des prélocalisateurs permanents de fuites fournissant des informations en temps réel. Reste ensuite à organiser les interventions via la planification d'astreintes, notamment.

Dans le cadre de certains contrats, nous parvenons à améliorer le rendement, malgré un défaut d'investissements. Le principal effort à fournir porte sur la mise en place d'outils et de moyens organisationnels de traquer les fuites et les réparer dans de brefs délais.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai l'impression, monsieur Touzet, que le groupe Saur ne recourt que depuis peu à l'ingénierie hydraulique pour rechercher des fuites.

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Notre activité d'ingénierie hydraulique n'est pourtant pas récente. Seulement, jusqu'à mon arrivée en juin dernier, elle était basée au siège de notre direction régionale en Martinique. J'ai depuis installé notre direction régionale opérationnelle à Petit-Bourg. Notre ingénieur hydraulicien, présent à nos côtés en Guadeloupe depuis un peu plus d'un an, a repris les modélisations existantes, qu'il utilise pour combattre les fuites en guidant nos collaborateurs sur le terrain.

Aujourd'hui, il nous manque surtout des compteurs de sectorisation pour mieux cibler nos recherches de fuites.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourquoi la réorganisation de l'ingénierie hydraulique a-t-elle dû attendre votre arrivée ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Elle résulte d'une réflexion que j'ai menée en préalable à ma prise de poste. Je suis moi-même, de par mon expérience, un homme de terrain. Il me paraît important de mettre aujourd'hui l'accent sur l'ingénierie hydraulique pour montrer à la collectivité que le vieillissement des réseaux résulte à la fois de leur âge et des pressions auxquelles ils sont soumis.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le remplacement des compteurs relève-t-il bien de la responsabilité du délégataire ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

C'est ce que prévoient en effet certains contrats, dont celui qui nous lie à la CAGSC.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À qui incombe-t-il de remédier au manque de compteurs de sectorisation ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Ces compteurs sont à la charge du délégant. Notre contrat l'indique sans ambiguïté.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous communiquer ce contrat à notre commission ?

Permalien
Nicolas Touzet, directeur territorial Antilles du groupe Saur

Bien sûr.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Nous n'avons pas attendu ces dernières années pour procéder à des recherches de fuites en Guadeloupe. Le SIAEAG excepté, les différentes régies, qui disposent toutes d'un ingénieur hydraulicien, ont pris la mesure du problème, auquel elles s'attaquent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les communautés d'agglomération détiennent la compétence de l'eau depuis 2015, pourtant le rendement du réseau se dégrade depuis des décennies. Pourquoi ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Les canalisations et les branchements vieillissent. Malheureusement, si le renouvellement des branchements incombe aux délégataires, qui s'en chargent bel et bien, celui des canalisations, du ressort des collectivités, a été très limité, de nombreuses années durant. Voilà pourquoi le patrimoine n'a pas été maintenu dans un état optimal pour son exploitation au quotidien. Dans certaines collectivités, le nombre de fuites à déceler puis à réparer a augmenté.

À partir d'un certain point, il faudrait se demander s'il vaut mieux, financièrement, opter pour un acharnement thérapeutique en réparant vaille que vaille les canalisations ou les renouveler.

Selon moi, quand la compétence en eau est revenue aux communautés d'agglomération, celles-ci n'ont pas mobilisé les moyens nécessaires pour s'attaquer aux fuites ou changer les canalisations. L'activité dans certaines collectivités ne disposant pas de pièces, de tractopelles ou d'équipement de réfection de chaussée, ni des moyens d'acheter des prestations de fouilles ou autres, a ralenti. Cette situation a conduit à la réquisition pour chercher et réparer des fuites, alors que ce service classique d'exploitation n'aurait normalement pas dû mobiliser de marchés. En principe, agents et moyens étaient à disposition.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourquoi, à partir du transfert de la compétence en eau aux communautés d'agglomération, celles-ci n'ont-elles pas réalisé d'investissements ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

En réalité, les réparations effectuées à compter de ce transfert n'ont pas suffi au maintien d'un service adéquat. Selon moi, les moyens, humains et financiers, nécessaires aux réparations ont été sous-évalués. Le nombre de fuites augmentant avec les années, les moyens requis pour les réparer ont dû devenir trop conséquents par rapport aux ressources des collectivités. De fil en aiguille, la nécessité d'une réquisition s'est imposée pour procéder à ce que je considère comme une simple activité d'exploitation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

De quand date la sous-évaluation des investissements ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Déjà, avant le transfert de compétences, les investissements requis en matière de renouvellement des canalisations étaient sous-évalués. Ensuite, un décalage croissant est apparu entre le nombre de fuites à réparer et les moyens disponibles pour y parvenir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les délégataires ne devaient-ils pas alerter les collectivités sur leur sous-investissement ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

En tant que rédacteur des rapports annuels de la Générale des eaux, je puis affirmer que ces informations y figuraient. Certaines collectivités, comme les communes de Deshaies et Lamentin, ont entendu les alertes, parce qu'elles s'intéressaient aux rapports et se donnaient les moyens de suivre leurs préconisations, grâce à des aides diverses qu'elles sollicitaient.

Un contrat d'affermage, tel qu'il est défini actuellement, fonctionne quand il existe une symbiose entre les techniciens et les élus pour mener une véritable politique de l'eau, et non faire de la politique avec de l'eau.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les collectivités étaient donc informées de leur sous-investissement dans les réseaux d'eau par les rapports du délégataire.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Oui.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Où est passé l'argent que percevait le délégant pour renouveler le réseau ?

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

N'étant en Guadeloupe que depuis peu, je ne dispose pas des éléments nécessaires pour vous répondre.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Seul le délégant pourra évoquer avec vous cette question. Notre rôle se limite à l'encaissement des factures et au reversement des sommes dues aux différents organismes pour lesquels nous les collectons.

Quoi qu'il en soit, seuls de très faibles montants ont été effectivement consacrés aux investissements dans les réseaux. Nous en payons aujourd'hui les conséquences.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le délégataire facture aux usagers une somme destinée au renouvellement des réseaux et à la réparation des fuites.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Cette part des montants récupérés via la facturation revient au délégant. Une autre part encore correspond aux taxes telles que l'octroi de mer et à la contribution aux investissements.

En Guadeloupe, les taux d'impayés élevés, qui frôlent parfois les 50 %, pénalisent les opérateurs publics comme le SIAEAG. Il leur est dès lors difficile de disposer de moyens adéquats pour ne serait-ce qu'exploiter le réseau. La collectivité censée récupérer une part des sommes prélevées par la facturation pour réaliser des investissements peine également à y procéder.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite loi Brottes, a-t-elle entraîné un changement en ce qui concerne le paiement des usagers ?

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

La loi Brottes s'appliquait déjà lors de mon arrivée en Guadeloupe. Son impact en métropole s'est limité à l'augmentation de quelques pour cent des impayés. Je pense qu'elle complique en Guadeloupe la récupération des impayés.

Les usagers laissent s'écouler un temps assez long avant de régler leurs factures. La moitié d'entre eux les acquittent avec deux ans de retard, ce qui complique la gestion financière et l'allocation des budgets, aussi bien à l'exploitation qu'aux investissements.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Considérez-vous le taux élevé d'impayés des factures d'eau comme une cause du sous-investissement des collectivités locales ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Il l'explique, mais en partie seulement. La part reversée aux collectivités n'était pas forcément en adéquation avec le volume d'investissements nécessaires. Peut-être le prix de l'eau était-il trop bas pour répondre aux besoins des collectivités.

Pour assurer le renouvellement des canalisations au rythme que j'évoquais tout à l'heure, les collectivités devraient prélever 1,50 euro sur chaque mètre cube. Le montant à collecter doit résulter d'un calcul basé sur la taille du réseau et la part de celui-ci à renouveler annuellement. Les communes de Deshaies et Lamentin, qui n'arrivaient pas à collecter un montant suffisant, s'arrangeaient pour le compléter par diverses aides. Toutefois, même un soutien des collectivités majeures ne parvient pas forcément à compenser un prix de l'eau trop bas, ce qui explique la situation actuelle de certaines communes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En somme, les négociations entre le délégataire et le délégant aboutissaient à l'octroi à ce dernier d'une part des montants facturés trop faible pour renouveler le réseau.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

La collectivité fixe elle-même la part qu'elle prélève sur les factures et qu'elle peut modifier au fil du temps. Encore faut-il qu'elle le veuille et qu'elle ait réellement l'occasion de percevoir les sommes. La part du délégataire est en revanche établie par le contrat.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le contrat détermine la répartition des sommes facturées entre délégataire et délégant, or le délégant établit la part qui lui revient. Donc, si cette part était trop faible, c'est que la part revenant au délégataire était trop élevée.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

En réalité, non. Un contrat de DSP fixe la part réservée au délégataire. La collectivité peut délibérer par la suite sur la part revenant au délégant. Nous facturons aux clients la somme des deux avant de reverser à chacun son dû. De même, l'office de l'eau détermine les montants que nous facturons pour son compte aux abonnés.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Je ne dirais pas cela, mais il n'était en tout cas pas adapté aux besoins réels et concrets en termes d'exploitation et d'investissement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le prix de l'eau en Guadeloupe figure pourtant parmi les plus élevés en France.

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Le prix de l'eau dépend du coût réel de l'exploitation. Plus la taille d'une collectivité est importante, mieux elle peut répartir ses charges, puisque certaines sont fixes. Une collectivité où beaucoup d'industriels utilisent de l'eau en fournira un volume assez conséquent pour réduire le prix du mètre cube. Inversement, un territoire rural nécessitant des investissements pour pallier les difficultés auxquelles se heurte le réseau facturera l'eau plus cher.

La loi Brottes a assurément contribué à l'augmentation du taux d'impayés. Il m'est difficile d'évaluer précisément ses effets. Dans l'ensemble, les bons payeurs sont devenus de moins bons payeurs et ceux qui réglaient difficilement leurs factures les ont dès lors réglées plus difficilement encore.

Du temps de la Générale des eaux, le taux d'impayés oscillait entre 10 % et 12 %, soit un taux cinq à six fois supérieur à la moyenne nationale. Il a ensuite pris des proportions monstrueuses, mais à la loi Brottes se sont ajouté les difficultés d'approvisionnement de certains périmètres, mécontentant les clients. Dans certaines collectivités, un client sur trois ne payait plus son eau.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À quel pourcentage estimez-vous aujourd'hui le nombre de Guadeloupéens régulièrement privés d'eau ?

Permalien
Jean-Louis Saint-Martin, président d'Eaux'Nodis

Je ne saurais vous répondre. Les disparités sont telles et les difficultés si nombreuses qu'il m'est difficile de l'évaluer. Aucun usager n'est toutefois privé d'eau là où nous exploitons les réseaux.

En assurant un service optimal de proximité aux clients, de manière à regagner leur confiance, nous parvenons quand même à atteindre des taux de recouvrement corrects. Eaux'Nodis recouvre aujourd'hui 89 % des factures, dans un délai de douze mois après leur émission. Il faut donc résoudre les problèmes des clients dans leur secteur pour qu'ils prennent l'habitude de régler leurs factures en toute confiance et en toute transparence.

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Concernant la livraison d'eau brute, nous rencontrons des problèmes d'impayés de la part des collectivités. Le SIAEAG nous doit ainsi plus de 10 millions d'euros. La même difficulté se pose sur le territoire de Marie-Galante.

À échéance d'un an, notre taux d'impayé n'est sans cela que de 12 %.

Assurer un service de proximité aux clients, comme je m'y emploie depuis mon arrivée, en résolvant les problèmes techniques, de facturation, de fuite après compteur ou d'incompréhension de facture, mais aussi communiquer sur nos difficultés auprès des usagers nous a permis d'augmenter, en trois ans, nos taux de recouvrement.

Nos contrats de DSP offrent la possibilité aux collectivités de nous communiquer jusqu'à deux fois par an un nouveau taux de taxe à récupérer pour leur compte. Nous le leur rappelons avant chaque facturation. En tant que délégataire, nous sommes quant à nous tenus de nous appliquer les mêmes tarifs indexés sur l'évolution du coût de la vie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Hammouda, n'aviez-vous pas déclaré plus tôt que la moitié des usagers payaient leurs factures avec deux ans de retard ?

Permalien
Cyril Hammouda, directeur général délégué chez Karukér'Ô, Suez eau France

Je songeais à l'ensemble des usagers en Guadeloupe et non uniquement à ceux qui résident sur le territoire que je gère.

La réunion se termine à quinze heures quarante-cinq.