COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE
Mardi 27 août 2019
L'audition débute à dix-sept heures cinq.
(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)
La commission spéciale procède à l'audition de l'Espace de réflexion éthique Occitanie : Mme Catherine Dupré, directrice de l'ERE Occitanie, et Pr Jacques Lagarrigue, vice-président du conseil d'orientation.
Nous poursuivons notre programme avec l'audition de l'Espace régional de réflexion éthique d'Occitanie qui est représenté par sa directrice, Mme Catherine Dupré, et par le Pr Jacques Lagarrigue, vice-président de son conseil d'orientation.
Le principe des espaces régionaux de réflexion éthique a été inscrit dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Leurs missions sont multiples, mais tournent autour de l'information, la sensibilisation, voire l'initiation à la réflexion éthique des professionnels, mais aussi des citoyens. Ils doivent également participer au réseau national des espaces éthiques en lien avec le CCNE. C'est dire si leur contribution à la construction d'un espace public et démocratique de la bioéthique est essentielle. C'est pourquoi vous aurez à cœur d'évoquer devant nous non seulement les évolutions proposées à l'article 29 du projet de loi, mais aussi les autres dispositions de ce projet qui vous paraîtront devoir faire l'objet d'une attention particulière. À cet égard, je vous remercie de la contribution que vous avez adressée à la commission spéciale. Vous avez maintenant la parole pendant 5 minutes et nous poursuivrons nos échanges autour des questions qui ne manqueront pas d'être posées.
Comme vous l'avez dit, nous représentons l'espace de réflexion éthique Occitanie et non pas l'ensemble des espaces de réflexion éthiques. Nos collègues contactés en région PACA qui devaient venir avec nous ne l'ont pas pu et vous ont sûrement transmis leurs excuses. Nous vous remercions de nous avoir invités à cette audition qui exprime, comme nous le disions dans le propos liminaire que nous vous avons adressé la reconnaissance du travail qui a été effectué au sein des régions par les espaces de réflexion éthique régionaux dans le cadre des États généraux de la bioéthique coordonnés par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et son président M. Jean-François Delfraissy. C'était un moment intense qui s'est effectué dans un temps court, pas dans l'urgence quand même, mais avec une accélération des rendez-vous et des réflexions pour aller au contact des citoyens. C'est ainsi que nous entendons notre présence auprès de vous aujourd'hui, non pas pour parler en tant qu'experts d'un point particulier de la loi sur laquelle vous avez déjà beaucoup réfléchi, mais pour témoigner de ce que nous avons rencontré, entendu, compris au plus près des citoyens, des personnes de tous âges, de toutes origines sociales et professionnelles, puisque c'était bien le but de nos rencontres. C'est bien l'article 29 qui nous intéresse tout particulièrement, mais si vous avez des questions à nous poser, bien sûr, nous sommes à l'écoute pour y répondre dans la mesure de nos compétences actuelles.
Pour représenter l'Espace de réflexion éthique Occitanie, je suis accompagnée par le Pr Jacques Lagarrigue qui est au sein de notre structure le vice-président du conseil d'orientation.
Je voulais vous remercier de votre présence. La dimension de proximité des espaces éthiques régionaux est très importante, et vous l'avez dit, vous vous adressez aux professionnels et aux citoyens. C'est bien dans le cadre du débat citoyen que j'avais quelques questions à vous poser aujourd'hui. Vous pourrez en effet nous expliquer le bilan que vous tirez des états généraux qui ont été organisés. Est-ce que vous avez rencontré des obstacles matériels ou humains dans le cadre de cette organisation en région ? Sachant qu'un débat public s'appuie sur une plus grande représentativité de la population est plus pertinent, est-ce que vous considérez rétrospectivement que les États généraux sont assez représentatifs de la population ? Est-ce que vous avez observé une prédominance des communautés savantes ou militantes ? J'avais une interrogation sur vos outils de communication pour informer le public de manière large de la tenue de ces réunions. J'étais pour ma part en Île-de-France et je sais donc un peu comment cela a été géré en Île-de-France. Je voulais connaître votre expérience dans une autre région.
Comme vous le savez, le projet de loi tend à rendre plus régulier le débat public sur la bioéthique et donc à le rendre aussi plus citoyen, plus large. Dans ce cadre, vous avez un rôle à jouer. Comment pensez-vous pouvoir assurer ou améliorer cette représentativité de la population ? Avez-vous mené une réflexion sur le déploiement d'outils numériques ? Comment pensez-vous qu'on puisse élargir la réflexion éthique à la plus grande part possible de notre population ? Merci.
Merci beaucoup. Pour compléter, les chiffres qu'on m'avait donnés font état de 70 000 personnes qui ont participé soit par présence physique à des soirées-débats, soit par voie numérique. Il se fait que je suis de la région Occitanie, que j'ai participé à des débats puisque je suis fondateur de l'École de l'ADN et que nous y avons organisé des débats, mais nous n'avons pas du tout intégré les états généraux. Je me dis donc qu'il y a peut-être un travail de communication pour l'avenir, car des débats ont eu lieu indépendamment de votre action et je trouve cela bien dommage. Je suis défenseur d'un projet de loi bioéthique « au fil de l'eau » parce que les choses vont tellement vite qu'il me semble important de les accompagner à un rythme que ces grand-messes tous les 7 ans – c'est le scientifique qui parle, parce qu'en sciences, nous allons beaucoup plus vite que cela. Nous sommes pris de court soit pour les applications, soit pour la décision de ne pas faire n'importe comment, par exemple pour CRISPR-Cas9.
Comment entendez-vous la suite ? Est-ce que nous allons continuer à ce rythme-là et effectivement, élargir le plus possible le public concerné par les débats de bioéthique ?
Mme Romeiro Dias a posé des questions précises, en effet. Avons-nous rencontré des difficultés matérielles ou humaines ? Des difficultés, comme le soulignait M. Berta, de communication pour inviter une population plus large, qui soit la plus significative possible. En effet, ce n'est pas encore suffisamment affiné et il va falloir nettement progresser sur les moyens de mobilisation du grand public, du vrai grand public et non pas des savants, des professionnels déjà avertis ou des personnes ayant des convictions à défendre : plutôt une population de tous âges, toutes professions, tous milieux sociaux. Comment la sensibiliser au mieux ? Ce n'est pas la presse qui nous a aidés. Les journalistes ? Pas suffisamment, nous attendions beaucoup. La mobilisation de certains représentants politiques a pu intervenir ; elle reste encore pour l'instant un peu fragmentaire. Certains, même, n'étaient pas bien informés, comme l'exprime M. Berta, au sein de la région Occitanie, ce qui est bien regrettable.
Il faut donc faire des progrès dans la communication pour arriver à mobiliser les personnes, pour les sensibiliser, car cela les intéresse. Cependant, malgré les canaux que nous avions, nous n'avons pas vraiment eu un accès facile, immédiat, efficace au grand public. Cela doit être amélioré. Tous ceux qui ont pu être contactés et qui ont pu venir ont bien exprimé à quel point cela les intéressait d'être informés, de pouvoir être un peu plus entraînés à la réflexion éthique, de pouvoir s'exprimer et de voir à quel point leur expression intéressait les espaces régionaux, les structures nationales comme le CCNE, et vous-mêmes, les législateurs. Ils ont été très sensibles à cela. C'est donc à poursuivre, à améliorer certainement. Difficultés de communication : oui. Difficultés pour avoir un recrutement large : oui. Avec ces rencontres au fil de l'eau, nous espérons anticiper et un peu plus préparer.
Avec quels outils ? Des outils informatiques, certainement – peut-être Jacques Lagarrigue aura-t-il des idées précises à proposer. Voilà pour répondre à une partie des questions de Mme Romeiro Dias.
Comment organiser ces débats de façon plus régulière, au fil de l'eau ? Je pense que nous pouvons le dire pour tous les espaces régionaux : nous sommes tous prêts, nous avons tous été enthousiasmés par cette mobilisation et ces échanges avec le CCNE. Tout le monde est donc prêt à continuer au fil de l'eau et non pas à cette échéance fixe et un peu trop abstraite tous les 7 ans. Cela passe par cette mission d'information, d'éducation, d'enseignement des professionnels. Il y a une information à faire auprès des professionnels de santé via les institutions d'enseignement, qu'il s'agisse de l'université ou des écoles de formation aux métiers de la santé. L'information la plus exacte possible passe aussi par la contribution des chercheurs : M. Berta en fait partie et fait sûrement partie de ce mouvement de scientifiques et de chercheurs qui vont aujourd'hui au plus près de la population pour expliquer ce qui se passe quand on parle de progrès scientifique, de ce qui est techniquement possible avant de pouvoir dire si c'est humainement souhaitable.
Ces rencontres sont donc et à développer en concertation avec les chercheurs et les professionnels de la recherche clinique ou fondamentale.
Je donnerai deux ou trois compléments très précis, très ponctuels. Vous nous avez interrogés sur les obstacles matériels que nous avons rencontrés et vous avez évoqué en premier l'information. Effectivement, lorsque nous avons été sollicités pour organiser ces débats – dans des délais courts parce que nous avons eu à peu près 6 mois pour les réaliser – nous nous sommes interrogés pour savoir comment nous allions pouvoir atteindre le maximum de population dans chacune de nos régions. Nous nous sommes réparti les sujets, les thèmes d'une manière libre entre les différentes régions. Il y a peut-être des progrès à faire à l'avenir pour que cette répartition ne soit pas aussi libre que cela parce que nous avons abouti à des redondances sur certaines régions et à des déficits sur d'autres. Dans l'immédiat, cela nous a paru être la seule méthode pour aborder à peu près tous les sujets sur l'ensemble du territoire. Il était hors de question – sauf peut-être en Île-de-France parce qu'il y a une antériorité de l'espace de réflexion éthique et des moyens peut-être plus importants qu'ailleurs – d'organiser des débats sur tous les sujets, dans toutes les régions.
Nous avons donc décidé de prendre deux sujets, deux thèmes principaux, ou trois au maximum par région, chaque région étant libre d'organiser les débats selon les modalités qui lui paraissaient adaptées et dont elle avait déjà l'habitude, ce qui fait que chaque région a travaillé selon les modalités qu'elle connaissait déjà. Dans notre région, nous avons choisi d'associer deux types de rencontres : d'une part, des ateliers de 3 à 4 heures réunissant une trentaine de personnes sur un sujet précis. Les deux thèmes de notre région étaient abordés et les participants recevaient une petite documentation préliminaire s'ils le souhaitaient. Dans les groupes participants, il n'y avait aucun professionnel de santé, c'était la règle. Dans les animateurs, il y avait, par contre, un ou deux techniciens référents pour répondre à des questions purement techniques sur des problèmes que les participants auraient pu soulever. Les débats étaient animés par un journaliste.
Un deuxième type de débat consistaient en des réunions plus traditionnelles, dans des amphis, 100 ou 200 personnes, style conférence-débat. Nous avons combiné les deux en faisant à la fois une synthèse qui a eu lieu à Toulouse où nous avons présenté en grand amphithéâtre à 200 personnes, en présence de M. Delfraissy, les conclusions ou tout du moins les idées qui ont été soulevées dans les ateliers et les autres débats en région pour confirmer, conforter, renforcer ou moduler des positions. Ce sont ces synthèses qui ont été adressées au CCNE.
Le premier obstacle matériel que nous avons rencontré est la courte durée de préparation et le caractère ponctuel de l'exercice, avec un intervalle trop long entre les différentes révisions. Ce qui est proposé dans le projet de loi nous paraît très constructif pour l'avenir en permettant que la réflexion se déploie dans le temps.
Le deuxième obstacle – et je n'y reviendrai pas, mais il est important et il nous faudra arriver à le résoudre – c'est le manque total d'appui de la presse locale et régionale, dans notre région au moins, ne serait-ce que pour annoncer les réunions auprès de la population. Il nous semblait que c'était une des missions d'une presse régionale, qui en plus est unique dans notre région, d'informer la population de ce qui pouvait se dire, et tout simplement la date et le type de réunion. Aucune de ces informations n'a pu être publiée et nous avons dû recourir à l'achat d'encarts publicitaires dans certains journaux de la région. Cette information est parvenue au plus loin de ce que nous pouvions grâce au réseau que nous avions installé antérieurement dans toute la région avec un ou deux référents en éthique par département. C'est sur ces référents départementaux de notre espace de réflexion éthique que nous nous sommes appuyés pour constituer les groupes et pour diffuser l'information sur les réunions à venir en utilisant bien sûr notre site internet – mais pour aller sur le site internet, il faut déjà savoir qu'il existe et qu'il y a des réunions. Beaucoup de gens ne l'ont découvert que grâce à l'appui du CCNE. Il est vrai que le réseau d'information du CCNE nous a beaucoup aidés pour diffuser l'information.
Vous nous avez demandés si nous avons eu la sensation d'avoir eu une bonne représentation, statistiquement significative de la population. La réponse est non, parce que nous n'avons pas eu le temps ni les moyens financiers d'avoir recours à des échantillons qui auraient pu être proposés par des instituts spécialisés. Même si l'on sait maintenant qu'il y a des méthodes pour cela parce que beaucoup de choses ont été produites à propos des débats citoyens et des grands débats au cours de l'année 2019, on peut se demander si pour le sujet qui nous intéresse, et dans le cadre qui est le nôtre, un espace de réflexion éthique, il est absolument nécessaire d'avoir accès à une représentation statistiquement réelle de la population. Dans nos débats, nous avons constaté que les gens qui étaient intéressés par la question – et tous auraient dû l'être, vous me direz – mais ceux qui étaient intéressés par la question sont venus. C'est à nous de savoir aller auprès des publics qui ne viendraient pas spontanément. Par exemple, vous avez demandé si tous les âges étaient représentés. Dans certaines régions – nous l'avons fait chez nous – il y a eu des actions menées directement auprès des jeunes pour toucher cette population alors que la plupart du temps, les participants étaient plutôt aux alentours de la soixantaine, entre 50 ans et 70 ans – ce qui est encore jeune, merci de le souligner, j'y suis sensible…
Nous n'avons pas utilisé les outils informatiques en région. Le CCNE les a beaucoup utilisés en en constatant que c'était très positif pour recueillir des données brutes toujours, ou presque toujours, binaires. Mais en matière de réflexion éthique, il nous faudra beaucoup améliorer nos outils informatiques pour arriver à en tirer quelque chose de productif. Ce peut être une aide pour l'information et la population, et pour aider à l'expression de gens isolés. Je crois que l'essentiel du travail dans les années à venir consistera à aller au plus près des lieux où le public peut être intéressé. Il faut en tout cas éviter l'écueil de n'avoir que des gens trop intéressés, déjà trop convaincus ou déjà trop militants. Dans notre région, nous avions deux thèmes : l'intelligence artificielle et les données de santé ainsi que la génétique, où le risque de militantisme était moins important que dans d'autres sujets. Même là, nous avons vu certaines de nos conférences être l'objet – j'allais dire d'infiltrations, ce serait malveillant – mais en tout cas d'arrivées de gens qui venaient avec l'objectif de faire passer un message et de convaincre le reste de l'auditoire. Là aussi, c'est à nous d'y veiller. Comme nous faisions des listes de participants avec inscription préalable sur notre site internet, nous avons pu restreindre ces invasions, en tout cas ces groupes qui auraient pu être des groupes de pression dans nos assemblées citoyennes.
M. Berta a souligné le sujet spécifique et l'information aux élus. Nous sommes tout à fait ouverts à la coopération avec les élus, peut-être que notre information ne vous est pas parvenue. En principe, nous avions adressé à tous les députés, à tous les sénateurs de la région Occitanie la liste des rencontres citoyennes et des ateliers en leur disant qu'ils y étaient les bienvenus et que nous étions prêts à les y accueillir, à leur réserver un temps de parole et à les faire participer. Nous savons que vous êtes très occupés par ailleurs. Un ou deux dans la région ont pu y participer, peut-être trois, je ne m'en souviens plus exactement. En tout cas, il faut améliorer ce point. Nous sommes ouverts à la coopération avec toute structure impliquée dans la réflexion éthique.
Merci d'être venus parmi nous exposer un aspect qui me semble extrêmement important puisqu'il s'agit de la voix des citoyens et que nous faisons appel à des experts. Dans bien des cas, le meilleur expert est le citoyen parce que c'est lui qui vit la loi au quotidien. C'est en tout cas un de mes combats.
Avant la révision de la loi de bioéthique, comment voyez-vous l'avenir, d'autant qu'à ma connaissance, il n'est pas prévu d'organisation pyramidale, si je peux appeler cela comme ça, des espaces éthiques et que chaque espace éthique – qui s'appelle d'ailleurs espace éthique et pas espace bioéthique, ce qui n'est pas tout à fait pareil – peut vivre sa vie comme il veut ? Pensez-vous que c'est une bonne organisation ? Est-ce que vous croyez qu'un maillage territorial plus dense avec une organisation, non pas pyramidale, tout ne venant pas de Paris – c'est important de le dire pour un provincial et un Héraultais –, mais en tout cas une organisation un peu plus structurée serait une bonne chose ? Deuxième point, nous aurons tous collectivement à nous occuper d'une chose très importante après la promulgation de cette loi : son suivi et son application. Je suis partisan du fait que les citoyens participent à ce contrôle et à ces évaluations ; il va falloir voir si les dispositions votées seront effectivement appliquées et par-delà quelles leçons on peut en tirer pour une révision ultérieure. Tel est le schéma général sur lequel j'aimerais que vous puissiez intervenir.
Vous mentionnez dans votre contribution la garantie d'un contrôle humain des traitements algorithmiques de données massives dans les soins, quelque chose qui a beaucoup été évoqué au plan local dans ce que nous avons pu ressentir. L'intelligence artificielle aujourd'hui n'a parfois plus besoin d'algorithmes : elle fonctionne sur des réseaux neuronaux qui apprennent d'eux-mêmes en fonction de la masse d'informations qu'ils ont et finalement, cela dépasse le contrôle humain puisque nous n'avons plus d'algorithme et nous ne le connaissons même plus. D'une certaine manière, l'intelligence artificielle, qui n'apparaît pas explicitement dans le projet de loi puisqu'on y parle d'algorithmes, est-elle suffisamment traitée selon vous dans le projet ? Est-elle traitée à la mesure des inquiétudes qui ont été émises lors des États généraux, en Occitanie notamment ? C'est une question de fond et je me demande si votre retour de terrain est suffisamment reflété par le projet de loi actuellement.
Nous allons peut-être pouvoir vous rassurer sur nos espoirs en matière d'intelligence artificielle (IA).
Je n'ai aucune compétence particulière parce que je n'étais pas dans les réseaux neuronaux, mais plutôt dans les neurones par mon activité professionnelle. Finalement, cela n'a rien à voir. Je dirais simplement qu'il est peut-être dommage que dans le texte de loi, on se limite ou on attire trop précisément l'attention sur le mot « algorithme » comme vous le soulignez. La demande du public de contrôle humain, telle que nous l'avons ressentie, concerne tous les processus faisant intervenir de l'intelligence artificielle, qu'il s'agisse d'algorithme, de chatbot, de robot, de systèmes à venir non encore existants ou pas encore très bien définis, y compris les appareils dont vous avez parlé. Il serait donc prudent de trouver, si c'est possible, un mot qui inclut les algorithmes, mais aussi les autres formes d'IA.
En tout cas, nous avons appris avec beaucoup de satisfaction que cela figurait dans le projet de loi parce que c'était une demande très forte de la population, exprimée dans tous les débats que nous avons eus sur ce sujet : ne pas laisser la machine nous informer et décider pour nous sans qu'un professionnel de santé soit à la manœuvre. Je ne sais pas l'exprimer en termes juridiques, mais je pense que vous avez tout à fait compris notre objectif. J'ajoute qu'il y a quand même aussi dans le règlement général sur la protection des données (RGPD) des précautions qui vont dans le sens de la protection des citoyens. Il est tout à fait utile que cela soit souligné, voire étendu dans le projet de loi. Nous vous remercions d'avoir attiré l'attention de tout le monde sur ce sujet.
À propos de la voix des citoyens, Monsieur Eliaou a raison : nous avons été impressionnés du bon sens des participants à nos ateliers parce qu'en trois ou quatre heures de travail, on a le temps de voir les problèmes qu'ils posent bien plus que dans une conférence-débat. Ces personnes ont effectivement leur mot à dire, elles ont été très sensibles, très satisfaites de pouvoir s'exprimer sur certains sujets, y compris sur des sujets qui pouvaient nécessiter a priori des connaissances techniques particulières comme la génétique et l'intelligence artificielle. Même si la population n'a pas ces bases techniques et scientifiques, elle sait développer une réflexion qui mérite d'être entendue et je crois que c'est un point positif des débats citoyens que nous avons pu mener.
Vous avez également insisté sur le suivi et l'application de la loi. Dans notre note liminaire, nous avons fait un paragraphe un peu plus long, à propos de l'article 29, sur le fait qu'il est heureux que l'on se soucie de la qualité de l'application et du suivi de la loi. Nous avons vu par le passé que des lois en santé n'étaient pas toujours bien connues ni bien comprises du public, et même des professionnels de santé dans certains cas. Si l'on veut éviter cet écueil pour la loi en cours de préparation, il nous semble qu'au-delà de la sensibilisation que doivent faire les espaces de réflexion éthique auprès du grand public, il serait bon que soient ajoutées quelques lignes sur le besoin de formation initiale et permanente des professionnels de santé quant aux évolutions qui se préparent actuellement.
De nombreux participants aux états généraux de la bioéthique ont été surpris de constater que le rapport de synthèse du CCNE avait minimisé un certain nombre de craintes exprimées lors des consultations, notamment sur la question de la PMA – qui n'était pas la question traitée dans votre région, je l'ai bien compris – mais cela pose une question d'ordre général : pensez-vous qu'il faille améliorer le dispositif des États généraux ? Pourquoi ne pas confier le travail de synthèse à un organisme non impliqué dans la préparation de la loi ?
Je crois que nous sommes tous convaincus de l'intérêt de la participation et de l'association de tous les citoyens à des réflexions sur la bioéthique, de ne pas laisser ces domaines aux champs seulement des spécialistes de ces sujets.
Je crois qu'il y a un bon sens que vous avez indiqué, un bon sens populaire que nous devons effectivement écouter. Dans le même temps, nous avons entendu le professeur Lagarrigue nous dire que l'implication des espaces régionaux avait été un peu inégale selon les territoires. Notre collègue posait la question en disant « est-ce qu'il faut aller vers un maillage territorial ? ». Il y a toujours la tentation de centraliser, ensuite de déléguer, puis de prévoir une sorte de plan national qui serait décidé au niveau parisien et qui organiserait l'animation du débat sur le territoire. Au contraire, ne pourrions-nous pas avoir un travail qui partirait de la base avec notamment une participation collective des espaces régionaux ? C'est le sens de la question : vous rencontrez-vous entre espaces régionaux ? De quelle manière ? Est-ce que vous échangez sur vos expériences, sur les initiatives qui sont prises ? Comment est-ce que vous animez le réseau au niveau territorial ?
Madame la directrice, Monsieur le professeur, dans le paragraphe de votre contribution portant sur le titre 6, vous concluez sur la formation initiale et continue des professionnels afin que la loi soit comprise et appliquée. Vous indiquez que les espaces de réflexion pourraient avoir un rôle à jouer en la matière et qu'ils devraient peut-être aussi sensibiliser les professionnels sur les aspects déontologiques puisqu'il est question de PMA, de différents couples – hétéros, homos –, de femmes seules. Il est important que tous ces couples et toutes ces familles aient accès de façon égale aux nouvelles techniques. Pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur le rôle que vous pouvez jouer en matière de formation initiale et est-ce qu'avec les professionnels responsables des formations, vous avez déjà pu formuler quelques propositions ?
Très vite, l'ensemble des espaces de réflexion éthique régionaux ont eu le souci de s'organiser en maillage national. Il y a déjà un maillage régional puisque dans sa région, chaque espace de réflexion éthique s'adresse à des référents de la réflexion éthique au sein des établissements sanitaires, médico-sociaux ou de différentes autres structures. Mais dès les premiers temps des espaces de réflexion éthiques régionaux est apparu le besoin d'une organisation nationale. Jacques Lagarrigue vous en reparlera puisqu'il fait justement partie des coordinateurs de ce que nous avons appelé la conférence nationale des espaces de réflexion éthique régionaux (CNERER). Cette organisation est en contact régulier avec le CCNE grâce à l'ouverture d'esprit de son président, tout à fait remarquable, et elle est également en contact fréquent avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS), comme il se doit.
Nous nous rencontrons entre espaces au sein de cette structure au moins trois fois par an.
Pour répondre directement à votre question, la CNERER existe depuis 2018 et réunit tous les espaces de réflexion éthique régionaux avec non pas des présidents ou des secrétaires, mais des coordonnateurs : nous sommes trois à coordonner les actions. Nous avons trois réunions par an – il y en aura sans doute une en septembre ou en octobre pour justement préparer la méthodologie que nous envisageons de mettre en place ensemble à partir de 2020 pour structurer la réflexion sur les futures révisions des lois de bioéthique. Cette structure a déjà eu un rôle important pour nous coordonner tant bien que mal lors de la précédente révision. C'est ainsi que nous avons pu nous répartir les thèmes à peu près équitablement, mais nous n'avions pas le temps de le faire de manière plus structurée. Nous aurons à l'avenir davantage de temps à la fois pour répartir les thèmes et pour valider les méthodes. Nous avons eu en tout cas l'opportunité de tester 7 ou 8 méthodes de débat sur l'ensemble du territoire et plusieurs méthodes de sollicitation de la population que nous allons pouvoir analyser d'ici à la fin de l'année. C'est l'un des objectifs de cette conférence nationale et nous entendons bien nous appuyer là-dessus. Ceci est peut-être une réponse partielle à la question de savoir s'il ne faut pas confier l'organisation de ces débats à une autre structure que le CCNE. Nous n'avons pas de réponse ; de toute façon ce n'est pas à nous de donner cette réponse.
Quand vous avez dit que vous avez eu l'impression, la sensation, qu'il y avait une minimisation des craintes de la population vis-à-vis de certaines dispositions concernant la PMA, nous avons constaté effectivement qu'une partie de la population avait des craintes à ce sujet, mais nous sommes incapables de vous dire ce que cette partie de population représente par rapport à la population générale. Est-ce qu'il y a eu une minimisation ? Est-ce qu'il n'y a pas eu de minimisation ? J'avoue que je n'ai pas d'opinion, nous n'avons pas d'opinion là-dessus, d'autant que nous n'avons pas fait de débat directement sur ce sujet. Mais nous pouvons témoigner que lors de débats qui avaient eu lieu l'année d'avant sur ces sujets, nous avons entendu dans notre région des craintes de la population nettement exprimées, mais d'une manière qui ne permet pas de savoir si cela est représentatif de l'ensemble de la population.
Je finirai par répondre aux questions qui ont été posées sur la formation initiale et formation continue : quel est le rôle des espaces de réflexion éthique ? Parmi nos missions, il y a « participer à la formation initiale et continue ». Il n'est pas du tout dans notre intention de la faire nous-mêmes, et d'ailleurs, nous n'aurions pas les moyens humains nécessaires. Dans plusieurs régions, nous avons constaté que l'on pouvait stimuler les appareils des facultés de médecine ou des facultés de santé au sens large pour favoriser l'enseignement de l'éthique. À ce titre, une enquête nationale sera menée sous l'égide de la conférence nationale des espaces de réflexion éthique à partir du mois d'octobre pour avoir un état des lieux de la formation initiale en éthique pour les médecins. De la même manière, nous sensibilisons les directeurs des écoles formant les professionnels de santé, dans toutes les régions. En 2020 ou en 2021, il y aura une nouvelle enquête sur l'état des lieux de la formation destinée aux professionnels de santé hors médecine.
Nous devons donc collaborer avec les organismes de formation visant principalement les professionnels de santé. Les étudiants en cours de formation auront probablement une formation sur les textes de loi en question, mais les professionnels de santé déjà installés risquent de ne l'avoir que très partiellement ou tardivement ; c'est pour cela qu'il nous semble utile d'insister dans le projet de loi sur la nécessité de favoriser la formation permanente à ces lois de bioéthique.
Je souhaite obtenir une précision : dans le cadre de l'amélioration future des débats citoyens, vous avez évoqué un changement de méthode vers ce que vous avez appelé l'aller vers » plutôt que d'en rester à la diffusion d'invitations qui ne permet pas d'assurer une représentativité de toutes les catégories de personnes qui composent notre population. Je sais que certains espaces éthiques ont testé l'organisation de débats, dans les lycées notamment, en dehors des communautés professionnelles ou militantes. Est-ce que cela a été le cas chez vous ? Qu'en avez-vous tiré au regard de la qualité du débat, non sur les réponses binaires, mais sur l'intérêt de la population jeune pour le questionnement éthique ? Il ne faut pas oublier qu'on légifère pour eux en bioéthique, puisqu'on légifère pour l'avenir. Il est quand même intéressant de pouvoir les former en dehors d'un cadre professionnel, de pouvoir former à cette réflexion éthique les étudiants, les lycéens qui composeront notre société plus tard.
Très tôt, avant que les espaces de réflexion éthique régionaux existent, les structures éthiques ont eu le souci de diffuser la réflexion éthique, la culture, le questionnement éthique. Très tôt, nous avons rencontré des jeunes, des lycéens et très vite, nous avons eu la surprise de constater à quel point ces futurs citoyens étaient attentifs, interrogatifs, très curieux et très bien renseignés en matière de réflexion bioéthique – on pouvait le dire comme cela même s'ils n'employaient pas ce terme eux-mêmes. Ils posaient les bonnes questions très tôt. Cela s'est fait et continue de se faire. Des régions organisent régulièrement des rencontres lycéennes, par exemple à Montpellier chaque année, sous forme de grandes rencontres, en « grand format », mais aussi en petit comité, à l'occasion d'un débat ciné, ciné-éthique, ciné-débat ou bien un café-éthique à l'occasion de la présentation d'un ouvrage littéraire. Tous les scénarios sont possibles pour aller éveiller, susciter cet échange dans l'interrogation éthique. Il faut continuer à le développer. Ce sont des opportunités pour que le citoyen arrive à décoder des textes réglementaires qu'il ne s'est pas approprié. Il faudrait que chacun puisse s'approprier nos textes de loi qui sont faits pour nous. Or, nous ne le faisons pas, car c'est très difficile de lire un texte de loi. Si nous avons comme média un espace de réflexion éthique qui nous aide à le faire, tant mieux, car les médias que nous avons ne nous aident pas suffisamment alors qu'ils le pourraient. Tout cela va ainsi améliorer l'application des lois. Nous avons observé cela à propos de la loi relative à la fin de vie. Nous sommes déjà allés au-devant de ces rencontres à la demande du ministère.
Merci pour vos actions et vos témoignages. Je reviens sur les questions de Mme Romeiro Dias et de M. Bazin sur l'intelligence artificielle. Je vous rejoins sur le fait qu'on devrait trouver un terme beaucoup plus large que celui d'« algorithme » parce que l'algorithme est une chose et l'utilisation des nouvelles technologies en est une autre. Dans les débats que vous avez eus avec les citoyens, quels ont été les propositions et les axes les plus marquants ? Avez-vous pu aborder les sujets de la neurostimulation ou de la neuro-augmentation ? On voit aux États-Unis la société Neuralink, avec Elon Musk, dont l'objectif est de pouvoir connecter un cerveau humain et une interface, afin d'établir une communication directe entre un ordinateur et un cerveau humain ou de pouvoir augmenter la capacité humaine grâce à une neurostimulation. De votre point de vue de grand professionnel, est-ce possible ? Est-ce un fantasme ou est-ce réalisable ? Comment l'encadrer pour protéger de cette utilisation discutable les citoyens français ?
Deuxième chose : dans le cadre de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures qui devront préparer ce cadre législatif – ce n'est pas abordé là, immédiatement, dans notre projet de loi –, ne faudrait-il pas avoir une réflexion sur l'utilisation des nanotechnologies en santé ?
J'aborderai deux points sur la question des enfants intersexes : dans le rapport du Comité consultatif national d'éthique, il en est fait mention une fois à la page 28, en référence même au rapport du Conseil d'État qui dit que c'est un sujet. J'aurais voulu savoir pourquoi cette question qui avait été pointée par le Conseil d'État comme un sujet de discussion au sein de la population française n'était pas plus abordée. N'avez-vous pas eu le temps ? Est-ce qu'il s'agissait d'un sujet qui n'était pas revenu dans les délais ? Le professeur Lagarrigue disait qu'il ne savait pas déterminer si les intervenants étaient représentatifs de la population française. On sait bien que dès qu'il y a consultation, les plus mobilisés viennent. On voit des lobbies agir et saturer d'une certaine manière l'espace d'expression, notamment dans les consultations numériques. Je voulais donc savoir quels moyens vous aviez mis en œuvre pour éviter ce biais et être capable de trier les interventions et d'écarter le fruit de l'intervention de lobbyistes – j'entends lobbyiste au sens très large, y compris associatif – ou si c'était réellement le ressenti profond de la population ?
Dans votre note préalable à cette audition, j'ai remarqué quelques réflexions, notamment sur le titre 2 visant à « encourager la solidarité par le don d'éléments produits du corps humain » : « l'encouragement à la solidarité doit se garder d'une dérive utilitariste ». Je vais vous solliciter sur cette phrase qui est un peu courte en l'état. Je pense qu'une grande partie des élus ici sont favorables à cette intention. Ma question était double : elle visait d'abord à savoir, pour vous, quels sont les mécanismes prévus par la loi qui pourraient amener à cette dérive utilitariste ? De votre point de vue, que faudrait-il rajouter pour éviter toute dérive possible ?
Pour compléter, les réflexions que j'ai entendues sur l'intelligence artificielle mais changer un peu de dimensions, je rappelle que le Japon a autorisé la fabrication d'embryons homme/animal : des chimères homme/animal sont greffées dans des utérus d'animaux. Le Japon autorise leur gestation jusqu'à 14 semaines et un projet a été autorisé au Japon pour qu'elle aille jusqu'à son terme, donc jusqu'à ce que ces embryons prospèrent jusqu'à leur terme. La France a une législation qui est un peu floue. Pourriez-vous apporter un éclairage sur ce point si vous le pouvez ?
Vous parliez tout à l'heure des relations entre les espaces de réflexion éhique régionaux. Avez-vous pensé à des passerelles avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dont je rappelle qu'il s'est saisi de ces questions relatives à des phénomènes sociétaux, notamment le mariage pour tous il y a quelques années ? Au lendemain du Grand débat où l'on voulait remettre le CESE au cœur de la réflexion citoyenne, il me semble qu'on pourrait apporter des compléments à votre action. S'agissant des recommandations que vous avez faites concernant la formation des professionnels de santé : je pense qu'il ne faut pas être uniquement dans la recommandation. Si je peux me permettre une « recommandation sur votre recommandation » : il faut justement demander qu'au niveau de l'enseignement de l'ensemble des professionnels de santé médicaux et paramédicaux soient insérés de vrais programmes de connaissance de l'éthique tant on sait la méconnaissance de ces questions-là de la part des étudiants.
Député de Haute-Garonne, j'ai suivi le travail que vous avez fait, de loin certes, mais avec attention. Ce n'était pas facile parce que, comme vous l'avez souligné, la presse n'a pas fait son travail d'information, je le dis honnêtement. D'ailleurs, cette même presse ne joue pas toujours le jeu, l'équilibre entre les personnes – je veux parler de La Dépêche du Midi. N'est-il pas difficile d'estimer de façon fiable les craintes d'une partie de la population ? Sébastien Lachaud posait cette question. Comment avez-vous fait et pensez-vous avoir réussi ?
Vous parlez de formations et de nouvelles formations dans le cursus des étudiants. Nous savons que c'est un cursus qui va s'améliorer, en tout cas être changé. Pensez-vous que vous pouvez contribuer à ce cursus et en tout cas en réaliser le suivi si ce n'est la formation elle-même ?
Je vous propose d'essayer de répondre en dix minutes et par écrit aux questions auxquelles vous n'auriez pas pu répondre oralement.
Je commencerai par la fin. Effectivement, le cursus va évoluer. Il n'est pas question dans notre esprit de faire des cours d'éthique, de rajouter des heures de cours théoriques. Nous pensons plutôt – et nous avons l'expérience de leur efficacité – à des ateliers de discussion pendant les stages hospitaliers destinés aux étudiants en médecine. C'est beaucoup plus efficace, beaucoup plus facile à intégrer dans le cursus et beaucoup mieux vécu par les étudiants. Toujours à propos de la formation : vous avez raison, monsieur, nous avons besoin d'avoir dans le texte de loi plus qu'une recommandation, pour que tous les organismes de formation se sentent et soient mobilisés pour aller dans ce sens. Nous avons parlé des écoles professionnelles, nous avons parlé des facultés de santé. Il faut parler aussi des rectorats : selon les régions, les attitudes des rectorats sont très différentes. Certains favorisent les débats avec les étudiants, d'autres sont plus craintifs parce qu'il est vrai que les sujets que l'on aborde dans ces discussions peuvent faire craindre des dérives à certains de leurs responsables. C'est ce que nous avons vécu dans notre région jusqu'à présent. Cela va peut-être évoluer dans les années à venir, nous l'espérons.
Une question a été posée à propos de la neurostimulation. Il serait bien présomptueux de ma part de dire que ce qu'Elon Musk avance est faux et je me garderai bien d'aller dans ce sens. C'est en tout cas probablement très optimiste en termes de performance et très optimiste en termes de délais. Que l'on puisse influer sur le fonctionnement cérébral par la neurostimulation est prouvé. Nous avons constaté, par exemple dans le cadre de la prise en charge de la maladie de Parkinson, des réponses sur certaines zones de stimulation sous la forme de comportements particuliers des patients. Pour certains, cela a pu déboucher sur le traitement d'autres maladies, en particulier psychiques, mais l'on voit bien en tout cas que l'on peut modifier le comportement humain par la neurostimulation. On voit donc que plus cela sera possible, plus il faudra surveiller les types de conséquences que cela peut avoir. Je crois que nous en sommes encore à un stade où l'on peut avancer la demande d'être très vigilants, et c'est déjà inscrit dans le projet de loi actuel. Je ne crois pas que les techniques actuelles nécessitent d'aller beaucoup plus loin pour un texte de loi. Nous devons en tout cas, nous, praticiens, toujours penser à la loi primaire qui est primum non nocere. Quand nous faisons un geste sur le cerveau, nous devons tout d'abord veiller à ce qu'il ne soit pas délétère pour la personne qui le subit. C'est une première obligation qui est déjà dans les codes de déontologie et de la santé publique.
À propos des nanotechnologies, même réflexion. Il est évident que cela va avoir des développements importants et positifs, c'est déjà prouvé pour certains domaines, mais que nous devons aussi suivre ces techniques de très près. Je crois que la révision des lois de bioéthique d'une manière plus continue aidera à suivre cette évolution en n'attendant pas de « grandes marches », mais en voyant les « petites marches » se dessiner progressivement.
Bien sûr, nous pourrions imaginer avoir des échantillons établis par des instituts spécialisés pour nous donner les échantillonnages des personnes participant à ces débats. Mais si l'on tire de ces échantillons 80 % de gens qui ne sont pas intéressés par le débat, qu'en aurons-nous tiré de plus ? Quelle est notre vraie mission ? Ce n'est pas d'établir la loi – c'est votre mission –, mais d'éveiller la population à la réflexion. C'est pour cela que nous restons pour le moment très fidèles à l'esprit « d'aller vers » : nous sommes allés vers les départements et dans une grande région, nous avons organisé nos débats et nos rencontres dans 11 sites différents, qui ne sont pas que les grandes villes. Il nous faut aller dans les lieux où certaines populations sont représentées ; les espaces éthiques sont allés discuter dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), d'autres dans des lycées, bref dans des lieux différents. Il reste aussi à aller dans certains quartiers – la région Nord en particulier y réfléchit –, à tester des réunions spécifiques dans des quartiers un peu particuliers proches de certaines grandes villes.
Une réponse qui n'est pas des plus faciles, mais on a tendu la perche à propos du titre 2 « Encourager à la solidarité, oui, mais en se gardant d'une dérive utilitariste ». La phrase est courte, et effectivement, votre question, votre demande de précision n'est pas surprenante. Cela découle de la lecture sans doute attentive de l'évolution de la loi en matière de solidarité interhumaine et de réponses possibles à la question terrible du déficit de greffons, du manque de greffons – pour ne pas employer le terme de pénurie d'organes, qui est un terme très fort du domaine marchand. L'argumentaire, qui vise à expliquer l'évolution impressionnante des dons croisés qui va pouvoir intervenir dans le futur, paraît être fortement mathématique. Il est fort, il est convaincant, on le comprend, mais il est fortement mathématique. Cet argument mathématique vient faire dire à certains qu'il y a là une position éthique, un argumentaire éthique qui n'est peut-être qu'utilitariste. Le terme « utilitariste » est souvent mal interprété par la population, par certaines personnes.
Certes, il y a une éthique utilitariste. Elle existe et elle est tout à fait respectable. Ce n'est pas la seule voie de réflexion, en tout cas, ce n'est pas la seule voie d'information en direction des patients, des familles et des donneurs. Certainement. Il y a là une traduction à faire pour que la réflexion soit portée non seulement par des calculs, mais aussi par un questionnement au plus près de l'humain. Est-ce que je suis suffisamment claire ? Je ne sais pas. Peut-être ai-je été sensibilisée par la question de la formation au cœur des comités « donneur vivant » que l'on ne dit plus « experts » parce que le mot faisait chagrin, pour ne pas dire débat ou polémique. Ces comités donneur vivant rencontraient des personnes qui avaient besoin d'explications claires, profondément humaines, qui ne pouvaient pas être basées que sur le calcul d'un intérêt collectif, certes présent et à prendre en compte.
Merci beaucoup pour ces réponses qui, j'espère, ont éclairci nos idées sur une autre partie du projet de loi, sur des sujets autres que ceux que nous avons évoqués jusqu'à maintenant.
L'audition s'achève à dix-huit heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique
Réunion du mardi 27 août à 17 heures
Présents. – M. Thibault Bazin, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, M. Pierre Cabaré, M. Francis Chouat, M. Marc Delatte, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Bruno Fuchs, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Bastien Lachaud, Mme Monique Limon, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Marilossian, M. Didier Martin, Mme Sereine Mauborgne, M. Maxime Minot, Mme Danièle Obono, Mme Bénédicte Pételle, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, M. Pierre-Alain Raphan, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Philippe Vigier
Excusés. - Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Gosselin