MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Mercredi 15 septembre 2021
La séance est ouverte à quatorze heures trente
(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)
Nous ouvrons cet après-midi une série d'auditions consacrées à la sécurité et à la souveraineté alimentaires de la France. Ces sujets représentent à l'évidence des besoins fondamentaux en termes de résilience nationale. En effet, nous devons nous alimenter pour vivre.
La mission de la direction générale de l'alimentation (DGAL) consiste à assurer la sécurité sanitaire de l'alimentation, des intrants agricoles de la production primaire jusqu'à la remise du produit alimentaire au consommateur. En d'autres termes, elle a pour objectif de veiller à la qualité et de la sécurité des produits.
En revanche, la DGAL ne prend pas en charge l'organisation de la production et l'acheminement, qui relèvent d'une autre direction du ministère de l'agriculture, la direction générale de la performance environnementale et économique des entreprises (DGPE). Cependant, nous avons à cœur de faire en sorte que l'alimentation mise à la disposition des Français soit sûre, saine et qu'elle réponde à des objectifs de qualité.
Nos domaines d'interventions sont régaliens, en lien avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), qui est chargée de l'évaluation. Nous réalisons différents contrôles en production végétale et en production animale, ainsi qu'en production d'aliments pour l'homme ou pour l'animal.
Nous déployons également des politiques incitatives visant à orienter la production alimentaire vers des systèmes de qualité et à accompagner les transformations des modes de production vers l'agroécologie.
Nous cernons clairement le lien avec la crise sanitaire de la covid-19 : au-delà des questions d'ordre quantitatif liées à l'approvisionnement de la population, cette crise a généré certaines préoccupations en matière de maintien de la sécurité sanitaire et d'accessibilité de l'alimentation, notamment pour les personnes les plus fragiles. Cela a conduit à proposer, dans le cadre du plan de relance, différents dispositifs ayant pour objectif d'améliorer cette accessibilité et donc d'accroître la résilience au niveau des territoires en matière d'alimentation.
Ainsi, les circuits courts sont favorisés au travers les projets alimentaires territoriaux et d'autres types de projets tels que la mesure Alimentation locale et solidaire. Ces circuits courts sont destinés à servir les populations les plus précaires. Nous déployons une action forte à ce sujet, en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé et sa direction générale de la cohésion sociale (DGCS), afin de construire ces dispositifs.
Je centrerai mes propos sur les principaux enjeux auxquels nous devons faire face aujourd'hui. Ils ont été mis en exergue par la crise sanitaire, mais ils étaient déjà bien identifiés avant celle-ci.
L'environnement de production connaît de multiples modifications, en premier lieu le changement climatique, mais également une progression très importante des échanges internationaux, qui font peser autant de risques sanitaires sur nos productions.
Chaque année, nous recensons en moyenne 70 organismes nuisibles aux cultures sur le territoire européen, et certains d'entre eux peuvent générer des dégâts majeurs. Cette évolution nécessite de déployer des dispositifs de détection précoce, de surveillance et de réaction immédiate lorsqu'un danger sanitaire apparaît.
À titre d'exemple, la bactérie tueuse d'oliviers Xylella fastidiosa a fait des ravages dans les Pouilles en Italie et elle est également présente en Corse et dans le sud de la France. D'autres organismes nuisibles sont problématiques, tel le virus de la tomate ToBRFV, apparu en France en février 2020.
Dans le domaine animal, nous sommes désormais attentifs aux risques liés à la coexistence d'animaux sauvages et d'animaux domestiques et d'élevage. Ainsi, l'influenza aviaire est hautement pathogène. Cette maladie a généré d'importants ravages l'an dernier. Elle est à nouveau à nos portes et nous venons d'élever le niveau de risque associé de « négligeable » à « modéré » en France.
Il existe d'autres risques un peu plus éloignés, mais qui sont susceptibles, par l'action de l'homme, d'être présent du jour au lendemain sur notre sol. Cela est le cas de la peste porcine africaine (PPA), qui cause actuellement des ravages dans l'est de l'Europe. En Allemagne, il existe des foyers de PPA nécessitant une vigilance de tous les instants.
Notre préoccupation est de maintenir en permanence des dispositifs permettant d'anticiper les conséquences que pourrait avoir l'introduction d'organismes nuisibles ou de maladies de ce type sur nos productions. En effet, cela mettrait à mal certaines filières. Il est donc nécessaire de disposer constamment de dispositifs de détection précoce et de surveillance, ainsi que des plans d'action pour intervenir lorsque cela est nécessaire face à ces menaces.
Lors de la crise de la covid-19, il a fortement été question du concept One Health, « une seule santé », qui a vu le jour il y a une dizaine d'années. Jusqu'à l'an dernier, cette approche restait plutôt mal définie, mais quelques actions concrètes ont été engagées malgré tout au niveau international, notamment dans la lutte contre la rage ou celle contre l'antibiorésistance. Cela a permis la mise en œuvre de politiques publiques sur ces sujets en France et aussi au niveau européen.
Ces actions nécessitent une approche totalement intégrée des politiques de santé, du végétal jusqu'à l'homme en passant par l'animal, afin d'assurer la résilience la plus complète possible et d'anticiper autant que possible la survenue d'une menace.
Pour ce qui concerne le champ d'action de la DGAL, le risque principal relatif à l'approvisionnement alimentaire français porte précisément sur cette menace liée à des facteurs exogènes (virus, bactéries, champignons, insectes) pouvant générer des ravages. Notre rôle consiste à assurer, par nos dispositifs de surveillance et nos plans d'action, la réaction la plus précoce possible pour éviter leur dissémination sur notre sol.
Je tiens à remercier le ministère de l'agriculture pour son implication dans la gestion de la crise sanitaire, en termes de continuité de service et de contribution à la résolution de cette crise. Ainsi, certains laboratoires vétérinaires ont pu opérer des tests virologiques et les écoles vétérinaires ont participé aux recherches menées.
Nous nous intéressons aux risques les plus importants, même s'ils ont un taux d'occurrence ou de probabilité très faible. Je m'attacherai en premier lieu à la question sanitaire, bien que celle liée à la production et à l'acheminement des produits soit également très importante.
Le virus Sars-Cov-2 – et la maladie qui en découle, la covid-19 – est une zoonose. D'ailleurs, les trois quarts des maladies humaines actuelles sont d'origine animale. Nous avons été surpris par l'ampleur du virus Sars-Cov-2, sa diffusion, ainsi que sa létalité, bien qu'il existe des virus bien plus létaux encore.
Au ministère de l'agriculture, avez-vous déployé des scénarios de crise extrême qui pourraient conduire à penser que certains virus affecteraient dans des proportions inégalées la filière ovine ou bovine, en générant par conséquent des problèmes de sécurité alimentaire pour nos concitoyens ?
Tout à fait. Je citais dans mes propos introductifs le risque lié à la peste porcine africaine. Ce virus a mis à mal toute la filière porcine en Chine. Il est aujourd'hui présent dans les pays de l'est de l'Europe, en Pologne, en Bulgarie ou en Roumanie. Dans ce dernier pays, la carte des foyers met clairement en évidence une situation alarmante sur l'ensemble du territoire. La totalité du pays est contaminée et cela met en grande difficulté l'élevage familial, qui est la forme d'élevage la plus courante en Roumanie.
Si un cas de peste porcine africaine survenait en Bretagne, l'impact serait immédiatement significatif. En effet, pour lutter contre ces dangers sanitaires, nous n'avons pas d'autres choix que de procéder à l'abattage des animaux et à la destruction des carcasses. Pour certaines maladies, d'autres solutions peuvent prévaloir, telles que la vaccination, mais cela n'est pas le cas pour la peste porcine africaine.
De plus, la peste porcine nécessite une action très rapide. En effet, si la peste porcine africaine s'introduisait dans une zone de forte production porcine en Bretagne, cela conduirait à un blocage des exportations nationales, car la plupart des pays importateurs ne souhaiteront pas importer de viande d'une zone affectée. Nous serions alors contraints de réquisitionner les abattoirs pour abattre les animaux et créer le vide sanitaire requis pour permettre l'éradication du virus.
Nous avons des plans nationaux d'intervention sanitaire d'urgence calqués sur le dispositif d'organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC). Ils sont mis en pratique via des exercices réguliers au sein des services régionaux et départementaux, afin de se préparer à ce type de situation.
J'étais directeur de la gestion de crise à la DGAL lorsque nous avons subi deux épisodes majeurs d'influenza aviaire en 2015 et 2016. L'an dernier, nous avons vécu un nouvel épisode de cette maladie – c'est Mme Virginie Alavoine qui était alors directrice de gestion de crise. Nous avons dû faire abattre plus de dix millions de volailles. L'impact est forcément majeur.
Selon le niveau d'autosuffisance national observé dans les filières, les conséquences des maladies et des virus peuvent être ressenties au niveau de l'approvisionnement. Cela n'a pas été le cas en France, mais si la peste porcine africaine apparaissait à l'avenir sur le territoire national, elle pourrait mettre à mal les circuits d'approvisionnement, notamment pour les industries de la charcuterie.
Pour d'autres espèces, certaines maladies – la fièvre aphteuse par exemple – nécessitent également d'abattre les animaux pour éviter la dispersion des bactéries ou des virus.
L'un des derniers épisodes de fièvre aphteuse a eu lieu en 2001 au Royaume-Uni. Nous avions alors recensé quelques cas en France, mais la crise avait pu être jugulée très rapidement, ce qui n'avait pas été le cas au Royaume-Uni.
La question cruciale est la suivante : comment est-il possible d'agir, lorsque la vaccination n'est pas envisageable ou que cette vaccination représente une entrave à la circulation des produits issus des animaux concernés ? Les seules méthodes disponibles pour lutter contre ces maladies très contagieuses restent l'abattage et l'élimination des cadavres. Or ces méthodes se heurtent de plus en plus à des difficultés en termes d'acceptabilité pour les populations.
Par le passé, pour la fièvre aphteuse, nous avions recours aux bûchers d'animaux. Ce dispositif serait difficilement applicable aujourd'hui au regard de l'évolution du niveau d'acceptabilité.
Par conséquent, nous travaillons en collaboration avec des scientifiques sur d'autres méthodes. Cette recherche n'est pas aisée. S'agissant de la peste porcine africaine, des recherches sont en cours depuis des années pour trouver un vaccin.
On annonce que des vaccins seraient disponibles. Mais ces vaccins protègent l'animal sans empêcher la diffusion de la maladie. Dans un contexte d'élevage, nous ne réglons pas les difficultés. Or les menaces sont réelles. La semaine dernière, un foyer d'influenza aviaire a été confirmé dans les Ardennes. Un foyer de peste porcine africaine a été recensé en Belgique il y a quelques années. Ce foyer est désormais éradiqué, mais il a eu des conséquences très importantes en termes de dépeuplement d'élevages, d'abattage et de limitation de la circulation des personnes dans la zone forestière concernée.
Les conséquences de ces maladies peuvent donc être très importantes et elles peuvent effectivement mettre à mal certaines filières de production.
Nous mesurons toute l'expérience de la DGAL et des vétérinaires sur la gestion de ces pandémies. Il est sans doute plus facile d'agir lorsque les pandémies impactent les animaux, car on ne se heurte pas aux problèmes d'acceptabilité de la vaccination. De plus, les flux à gérer sont plus faibles, bien que le déplacement de troupeaux engendre aussi certains risques.
Le risque sanitaire animal engendre de graves dommages pour certaines espèces ou filières, notamment en termes économiques. Ces dommages, bien que catastrophiques, ne sont pas vitaux pour l'homme. Devons-nous nous attendre, dans le pire des scénarios, à des virus interespèces qui menaceraient notre alimentation et qui auraient donc un impact vital sur l'homme ?
Je manque de connaissances scientifiques pour vous répondre précisément avec l'aide d'un exemple concret. Cependant, ce cas de figure est tout à fait possible.
Un certain nombre d'agents pathogènes et de virus circulent entre les différentes espèces. C'est le cas des virus d'influenza, qui peuvent se transmettre de l'oiseau au porc et du porc à l'homme.
Certains agents pathogènes sont très spécifiques à certaines espèces ; d'autres peuvent circuler d'une espèce à l'autre, avec des conséquences différenciées. Ainsi, les virus d'influenza peuvent être faiblement ou fortement pathogènes. Ils peuvent engendrer des conséquences immédiates qui prennent la forme non pas de symptômes grippaux, mais de symptômes nerveux sur les oiseaux. Pour autant, ces mêmes virus peuvent ne générer aucun symptôme dans les élevages de porcs.
Je souligne à ce propos qu'au niveau européen, les virus d'influenza sont règlementés pour les volailles, mais pas pour les porcs. Malgré cela, avec l'aide des réseaux de professionnels, nous surveillons leur circulation dans les élevages de porcs, même s'il n'existe pas de motif de lutte contre ces virus au titre de la santé animale.
Pour répondre à votre question, je dirai que tout est possible. Certains virus dotés de capacités d'adaptation peuvent se recombiner dans des formats plus ou moins dangereux d'une année à l'autre, comme cela est le cas pour la grippe saisonnière.
Les coronavirus, dont le Sars-CoV-2, sont plus ou moins spécifiques à une espèce, mais ils peuvent circuler d'une espèce à l'autre, en s'appuyant parfois sur une espèce relais pour laquelle nous ne détectons aucun symptôme, alors qu'elle contamine d'autres espèces. Ces modalités sont propres à chaque agent pathogène.
Le pire n'est jamais forcément le plus probable. Cependant, cette perspective nécessite de pouvoir s'appuyer sur des dispositifs de surveillance performants. Ainsi, nous avons mis en place, conformément à la loi, des plateformes collaboratives d'épidémiosurveillance afin de collecter l'ensemble des données de surveillance existants.
Dans le domaine de la santé animale, nous avons nos propres dispositifs de surveillance. Nous travaillons avec l'Office français de la biodiversité (OFB), qui dispose de son propre réseau avec les vétérinaires et les professionnels.
Grâce à cette mise en commun, nous pouvons apporter l'expertise requise et intégrer de nouvelles données, afin d'ajuster nos dispositifs et de détecter au plus tôt un virus ou une maladie avant qu'ils n'aient des conséquences néfastes, moyennant une réponse précoce et adaptée.
La santé humaine et la santé animale sont de plus en plus liées. Je l'ai dit, les trois quarts des maladies humaines proviennent des animaux.
Pensez-vous que l'approche One Health pourrait représenter une contribution utile pour une meilleure résilience sanitaire et alimentaire dans notre pays ? Si tel est le cas, quels sont les freins à cette convergence ? En effet, il s'agit de mondes séparés. Le rapprochement ne s'opérera pas spontanément.
Je suis convaincu qu'il est nécessaire de traduire l'approche One Health en actions concrètes. Lors de la crise sanitaire, nous avons opéré une réorganisation complète de la DGAL en interne, pour la centrer sur la mise en œuvre de ce concept.
Il est vrai qu'il existe encore des freins et des difficultés. Cependant, comme vous l'avez signalé, un certain nombre de laboratoires départementaux d'analyses, généralement centrés sur les analyses vétérinaires ou alimentaires, ont réalisé des analyses pour les tests de covid-19.Il faudra progresser dans ce rapprochement.
Nous avons ainsi milité pour qu'un vétérinaire issu du monde de la recherche, spécialisé dans les zoonoses tropicales, intègre le conseil scientifique sur la covid-19. Cela nous a semblé très important. Nous avons également obtenu que les vétérinaires puissent être mobilisés pour la vaccination. Je ne vois que des avantages au fait que le domaine de la santé humaine et celui de la santé animale se rapprochent et que nous travaillions sur les connexions entre ces deux domaines.
Lors de la crise liée à la covid-19, nous avons dû affronter des sujets difficiles. Aussi, dès que nous avons reçu les premiers signalements en mai 2020, nous avons mis en place une surveillance des quatre élevages de visons recensés, en lien avec l'ANSES venue en appui. À la mi-novembre 2020, un élevage de visons a été détecté comme étant positif. Il a fallu procéder en urgence à son abattage. Le jour même, j'ai contacté la préfète pour que l'abattage et les mesures de nettoyage et de désinfection de l'élevage soient réalisés au plus vite.
La crise sanitaire a permis de constater que nos outils législatifs et règlementaires ne sont pas suffisamment opérationnels lorsque des sujets nouveaux imposent de déployer une action rapide. Les interactions avec le ministère de la santé doivent être renforcées, eu égard à ce continuum entre l'animal et l'homme, mais aussi entre le végétal et l'homme. Car nous avons également traversé des crises sanitaires liées à des végétaux contaminés : il faut ici se souvenir de la fausse « crise du concombre » – en réalité des graines germées qui avaient provoqué une sévère épidémie d' Escherichia coli, en particulier en Allemagne.
L'approche doit donc être globale, comme y invite le concept One Health. C'est dans cet objectif que nous avons mis en place les plateformes d'épidémiosurveillance. Il s'agit d'ouvrir au maximum le champ des compétences disponibles pouvant être utiles pour surveiller et prévenir tout risque. Le ministère de la santé participe à cette action, mais il faut encore la renforcer.
Nous concevons trop souvent la résilience comme étant basés uniquement sur les grands outils nationaux régaliens dont nous disposons. Or, l'un des objectifs de notre mission d'information est que l'on mobilise les outils territoriaux.
Au sein du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, sur quels outils territoriaux pouvez-vous vous appuyer ? Et en quoi ce maillage territorial permettrait-il d'être plus réactif et efficace face au risque sanitaire ?
En termes de maillage territorial, nous pouvons nous appuyer sur les services de l'État, les directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt, avec les services régionaux de l'alimentation qui ont notamment en charge les enjeux sanitaires végétaux.
Au niveau départemental, sous l'autorité des préfets, nous pouvons nous appuyer sur les directions départementales de protection de la population et les nouvelles directions départementales de l'emploi, du travail des solidarités et de la protection des populations. Ces dernières travaillent avec différents réseaux d'acteurs, notamment les délégataires actuellement reconnus comme des organismes à vocation sanitaire.
Dans le domaine végétal, il s'agit des fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON). Pour le domaine animal, nous retrouvons des fédérations régionales, les groupements de défense sanitaire (GDS).
Ces structures s'appuient fortement sur des réseaux professionnels et elles investissent dans des actions sanitaires. Elles sont donc délégataires de certaines missions de service public, notamment pour la conduite de prophylaxie et les actions d'identification ou de certification.
Par ailleurs, nous disposons d'un outil très puissant en termes de maillage avec les vétérinaires sanitaires mandatés par l'État. Lorsque nous devons gérer des foyers d'influenza aviaire en grand nombre, ces vétérinaires sont mobilisés. Ils participent à de nombreuses actions de surveillance, de prophylaxie et de vaccination pour le compte de l'État.
La réglementation européenne en matière de santé végétale et animale et de sécurité sanitaire des aliments pose désormais le principe selon lequel le producteur est responsable de la sécurité sanitaire des produits qu'il place sur le marché. Ce changement est important car, jusqu'à présent, cette responsabilité incombait à l'État.
Les producteurs sont invités à considérer cette responsabilité comme un facteur de compétitivité. Je me réfère souvent à la notion de performance sanitaire, car les enjeux sanitaires ne doivent pas être appréhendés comme une contrainte imposée, mais comme un préalable nécessaire à toute performance économique.
Actuellement, nous redéfinissons un certain nombre de positionnements avec les professionnels, qui ont de plus de plus la responsabilité de porter des actions en matière de surveillance ou d'actions sanitaires afin d'accéder à des marchés ou à d'exporter. L'État intervient alors en termes de certification, en s'appuyant sur les réseaux de délégataires pour conduire les actions à caractère technique.
Les rôles de chacun sont actuellement définis, car le règlement européen sur la santé animale est entré en vigueur le 21 avril dernier. Le règlement sur la santé des végétaux est applicable pour sa part depuis décembre 2019. Pour la sécurité sanitaire des aliments, le règlement existe depuis 2004. La responsabilité relève désormais du producteur.
En termes d'action publique, nous disposons de leviers avec les FREDON, les GDS, les vétérinaires, les réseaux de laboratoires d'analyses départementaux ou privés agréés, le réseau d'expertise et d'évaluation scientifique de l'ANSES, ou l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER).
Cela permet de bénéficier de l'appui scientifique requis pour orienter les actions que nous avons à conduire en matière d'intervention en cas de présence d'un pathogène ou de surveillance et de prélèvements évalués au niveau scientifique.
La pression sociétale pour disposer d'une alimentation sûre, saine et sans intrants chimiques progresse. Or, certains intrants chimiques sont utilisés pour des raisons importantes, par exemple de conservation. Si nous répondions de manière forte à cette pression sociétale en considérant que nous pourrions nous passer de ces intrants, cela créerait-il un risque sanitaire ? Comment trouver le bon équilibre dans ce domaine ?
Il s'agit d'une question complexe, car si des alternatives peuvent exister, il est parfois compliqué de les développer.
Nous sommes très vigilants, dans la rédaction des textes règlementaires, sur le fait que certaines interdictions portant sur la production puissent être levées face à un danger grave. Cela est le cas pour l'utilisation de produits phytopharmaceutiques afin de détruire un pathogène : nous veillons à ce que les moyens d'intervention en cas d'urgence soient disponibles pour agir sur un pathogène, car cela est indispensable en cas d'urgence, même si cela ne correspond pas à l'attente sociétale.
Nous nous efforçons par ailleurs de déployer des politiques incitatives pour accélérer la recherche et développer des alternatives – biocontrôle, techniques agroécologiques.
Vous vous accordez donc la possibilité de déployer une approche différenciée et graduelle en fonction de la situation.
Nous savons que les virus ne connaissent pas les frontières. Pourriez-vous nous présenter l'approche européenne en matière de résilience et de sûreté sanitaire ?
L'essentiel de nos réglementations est de nature européenne, même si les modalités pratiques de mise en œuvre sont définies par des arrêtés ministériels.
La résilience et la sûreté sanitaire sont des domaines où l'harmonisation est intervenue au plus tôt dans la réglementation européenne. Au niveau de l'Union, la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs est chargée de cette réglementation et différents comités sur les animaux, les aliments et la chaîne alimentaires permettent de nouer un échange entre les États membres, d'adopter des règlements socles et des textes d'application.
Par ailleurs, des dispositifs d'échanges permanents d'information existent. Le réseau Rapid Alert System for Food and Feed (RASFF) permet de partager une alerte avec tous les états membres, d'échanger sur l'identification des lots concernés, la nature du danger et de pouvoir procéder aux retraits requis.
La directrice générale adjointe de la DGAL, Mme Emmanuelle Soubeyran, est Chief Veterinary Officer (CVO). Ce dispositif relatif aux CVO existe au niveau mondial, en lien avec l'organisation mondiale de la santé animale (OIE). Il permet de bénéficier d'un réseau d'échanges particulièrement réactif, en particulier au niveau européen : toute détection d'une maladie émergente est diffusée au sein du réseau dans les cinq minutes qui suivent. Cela permet de mettre en alerte nos dispositifs lorsque cela est nécessaire. Nous disposons d'un dispositif similaire dans le domaine végétal.
Par conséquent, nous pouvons partager nos informations de manière très rapide. Nous pouvons également partager nos expériences : les CVO se réunissent régulièrement au niveau européen sur des sujets d'actualité, afin de déterminer les actions à mener lorsqu'un virus ou une maladie se diffuse hors des frontières nationales. Cela permet de bénéficier d'une grande réactivité et de coordonner les plans de lutte.
Ainsi, lorsque la peste porcine africaine a atteint les frontières françaises, nous avons travaillé de manière fluide avec nos collègues de Wallonie. Les échanges d'information étaient menés au moins trois fois par semaine. Cela a permis d'harmoniser le sens des actions et les modalités d'intervention.
La Commission européenne joue pour sa part un rôle de surveillance. Pour une épizootie telle que celle de l'influenza aviaire, des cofinancements communautaires sont octroyés sur certains postes. La Commission procède alors à des audits et des vérifications sur la gestion menée.
Il est fréquemment question de la souveraineté et de l'autonomie alimentaire du pays. Or nous savons que les relations internationales peuvent brutalement se dégrader. Existe-t-il selon vous des produits nécessaires à notre souveraineté alimentaire qui ne soient pas élaborés en France ? Cela peut concerner des produits finis ou des moyens de production – par exemple les phosphates.
Cette question est complexe, car elle porte sur différents aspects. Le premier est que nous n'avons pas de productions françaises pour les produits exotiques, du fait qu'ils exigent des conditions climatiques qui ne sont pas celles de la France. Aussi, pour certaines filières, nous sommes fortement dépendants des importations. Mais, la question de savoir si ces produits sont essentiels à la souveraineté alimentaire se pose, selon les choix pris en termes de consommation.
Bien que cela ne relève pas de mon champ de compétence, je peux souligner que nous n'avons pas le même degré d'autonomie selon les filières de production : pour certaines d'entre elles, nous sommes très dépendants de l'Europe ou des échanges internationaux en termes d'approvisionnement.
C'est l'un des enjeux portés par le ministre dans le cadre du plan de relance, notamment la question relative à la souveraineté en matière de protéines végétales dans l'alimentation animale. Dans ce domaine, l'Europe est actuellement déficitaire. L'objectif du plan de relance est de se donner les moyens de rétablir une forme de souveraineté pour l'alimentation humaine et animale.
Nous pouvons connaître des tensions importantes, tributaires des capacités de production ou des conditions climatiques. Les stocks de produits de base peuvent varier de manière très importante. En cas de tension forte sur les marchés mondiaux, cela peut poser des difficultés. Si la récolte de blé est mauvaise au niveau mondial, la concurrence qui prévaut sur le marché peut rendre difficile l'approvisionnement alimentaire de la France sur ce produit de base.
Dans la filière animale, la production bovine en France est fortement déficitaire par rapport au niveau de la consommation. Pour d'autres filières, comme celles du porc et de la volaille, il est plus difficile d'opérer un constat global, car nous pouvons produire plus que ce que nous allons consommer au niveau national sur certains produits et importer de pays voisins sur d'autres produits.
Le fait que nous n'ayons plus à disposition l'ensemble des produits alimentaires, y compris les produits exotiques, ne porte pas atteinte à nos intérêts vitaux s'il s'agit d'une situation temporaire.
Nous avons le sentiment que notre pays bénéficie d'un niveau de souveraineté alimentaire important, mais il faut rester attentifs aux habitudes en termes de production alimentaire, car si elles sont source d'une hausse des entrants, cela peut générer une certaine dépendance. Je salue l'action du ministre sur ce point.
Les sujets relatifs aux conditions de transport ont été mis en exergue par la crise sanitaire. L'objectif était d'éviter toute rupture d'approvisionnement.
En France, nous disposons de territoires spécialisés dans certaines productions : céréales en Beauce, production porcine en Bretagne.... Cela nécessite de mettre en œuvre des circuits de conditionnement et de transports qui peuvent faire défaut en cas de crise grave. Ce risque est très rare, mais lorsqu'il survient l'impact est réel sur la possibilité de s'alimenter.
Quelle appréciation portez-vous sur l'éloignement des bassins de production par rapport aux bassins de consommation ? Est-ce que les objectifs des plans alimentaires territoriaux pourraient porter sur un rapprochement géographique entre les lieux de production et les lieux de consommation ? Cela pourrait avoir un impact positif en termes de transition écologique puisqu'on limiterait les flux. De plus, cela rendrait le territoire plus résilient et autonome sur les questions alimentaires.
Lors du premier confinement, nous avons organisé des réunions régulières avec les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt. Très rapidement, il nous est apparu que les territoires sur lesquels un projet alimentaire territorial avait été créé faisaient preuve d'une résilience manifeste en matière d'organisation de l'approvisionnement alimentaire.
Ces projets ont été plébiscités. Une mission d'information parlementaire s'y est d'ailleurs intéressée. C'est pour cette raison que nous avons inscrit dans le plan de relance une mesure permettant, à hauteur de 80 millions d'euros, le développement de ces projets alimentaires territoriaux et les investissements associés qui ne pouvaient pas être effectués jusqu'alors.
Votre question renvoie au sujet de la territorialisation de l'alimentation permettant de rapprocher les acteurs. Pour nous, cette évolution engendre des bénéfices importants, en offrant à certains acteurs territoriaux la possibilité de se développer économiquement. Elle permet aussi de redonner du sens à l'alimentation en rapprochant le consommateur du processus de production de l'alimentation. De plus, cette approche donne la possibilité de prendre en compte les personnes les plus précaires et d'assurer l'approvisionnement alimentaire de ces populations souvent placées hors des circuits habituels.
Votre question renvoie également à l'organisation logistique, qui s'appuie sur les plateformes de distribution, les centrales de stockage et la logistique spécifique du dernier kilomètre. Lors de la crise sanitaire, l'ensemble de la logistique alimentaire a su s'adapter assez rapidement pour faire face à la situation. De nouveaux modes de distribution sont apparus, avec notamment l'explosion de la livraison à domicile, générant de nouveaux moyens logistiques.
La crise sanitaire nous a également conduits à adopter des dispositifs réglementaires afin de faciliter l'approvisionnement local et, en accord avec la Commission européenne, à lever certains verrous en termes de volumes pour l'écoulement des produits sur des territoires, tout en garantissant leur sécurité sanitaire. Cette évolution a été très appréciée sur les territoires. Pour le reste, nous n'avons pas noté de difficultés majeures d'approvisionnement liées à la logistique.
La seule difficulté a porté sur les tensions observées sur certains produits nécessaires à la chaîne du froid. Le froid représente le meilleur moyen de protéger les aliments de leur dégradation ou de la prolifération de bactéries, virus ou champignons. Aussi, la chaîne du froid mérite de bénéficier d'une attention particulière, pour éviter toute rupture de fonctionnement et garantir la sécurité alimentaire.
Désormais, grâce au plan de relance, seulement trois départements ne disposent pas encore de projet alimentaire territorial. Bien que les projets alimentaires territoriaux aient un objectif précis, les acteurs du terrain déployant ces projets sont capables, grâce à leur connaissance du territoire, d'adapter le projet en fonction de l'objectif. C'est la clé de la réussite du déploiement de ces dispositifs.
Ce déploiement est l'occasion d'associer les collectivités territoriales, qui n'ont pas forcément reçu cette compétence initialement. Elles ont ainsi la possibilité de se poser les bonnes questions dans le cadre de leur projet territorial.
Malgré tous les efforts menés et les garanties déployées, certaines situations défavorables pourraient entraîner des ruptures dans l'approvisionnement alimentaire en cas de problèmes de production ou d'acheminement. Ces situations pourraient être aggravées par les effets de panique de la population, comme cela s'est produit lors du premier confinement, avec le rush sur certains produits alimentaires.
Quels sont les mécanismes activables pour gérer une pénurie alimentaire et le rationnement ? Comment le ministère de l'agriculture et de l'alimentation pourrait faire face à une crise majeure sur une partie du territoire ?
Il s'agit ici d'une compétence transversale au sein du ministère. Nous bénéficions, comme tout ministère, d'un haut fonctionnaire de défense et de sécurité qui travaille sur ces sujets, afin de coordonner les travaux de préparation entre les directions générales, en lien avec les préfectures et les services déconcentrés.
S'agissant de l'alimentation, certaines entreprises sont considérées comme stratégiques. Elles font l'objet d'un suivi particulier, afin de pouvoir réagir en cas de menace. Il pourrait s'agir de bioterrorisme ou de n'importe quel type de menace générant un risque très important pour l'approvisionnement. Ces entreprises ont des obligations, notammenten termes de plan de continuité d'activité, afin de faire face à ces situations et assurer la continuité de l'alimentation. Par ailleurs, il existe des priorités au niveau de chaque territoire.
Lorsque nous avons connu le premier confinement, nous sommes passés dans le cadre du plan de continuité d'activité. Pour notre secteur d'activité, compte tenu du télétravail ou des autorisations spéciales d'absence d'agents, ce plan visait à centrer l'activité des services sur les domaines essentiels au maintien du circuit d'approvisionnement.
Cela concernait notamment l'inspection sanitaire en abattoir, car la continuité de cette activité requiert la présence des services vétérinaires d'inspection. Cela concernait également la surveillance des zones conchylicoles, la gestion des alertes sanitaires et la certification sanitaire à l'import et à l'export.
Aussi, nos services adaptent leur action à ce qui apparaît comme étant prioritaire pour maintenir l'approvisionnement et sa sécurité. En cas de dysfonctionnement, l'action est adaptée immédiatement.
Nous vivons dans un monde de flux. Contrairement à nos parents, notre autonomie est faible pour faire face à une éventuelle rupture d'approvisionnement alimentaire. Est-ce qu'il vous semble pertinent, dans le cadre d'une stratégie de résilience nationale, de sensibiliser les citoyens au fait d'avoir un minimum de réserves en nourriture ou en eau ? Ou cela vous semble-t-il inutile, compte tenu des mesures prises au sein de la DGAL ?
Tout dépend des aliments stockés. Je n'ai pas d'éléments d'appréciation pour savoir si les stocks de proximité sont suffisants ou s'il faut les constituer chez soi. Il faut garder à l'esprit le fait que la sécurité sanitaire des aliments incombe aussi aux citoyens. Aussi, les stocks doivent rester raisonnables et cibler les produits pour lesquels cela est envisageable en termes de sécurité alimentaire. Les consommateurs oublient souvent que l'aliment est un milieu vivant pouvant évoluer rapidement.
La réunion se termine à quinze heures trente.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur la résilience nationale
Présent. - M. Thomas Gassilloud
Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle, Mme Sereine Mauborgne