Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 13 octobre 2021

La séance est ouverte à quinze heures trente

(Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la mission d'information)

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Monsieur le professeur, vous avez été maître de conférences à l'Université Paris-Sorbonne et à Sciences-Po, puis Professeur de sciences de l'information et de la communication à l'Université catholique de Louvain. Vous êtes membre depuis 2010 du comité économique et social européen et exercez de nombreuses responsabilités dans différentes instances, dont le comité de suivi pour la préparation de la présidence française de l'Union européenne. Vous êtes également chef de mission à la direction du développement durable du groupe EDF. Vous avez publié de nombreux ouvrages consacrés à la communication, notamment en lien avec le développement durable. Nous serons heureux de vous entendre au sujet des techniques de communication de crise et de la manière dont elles peuvent être mises au service de la résilience des collectivités et des populations touchées par une catastrophe ou par une crise grave.

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Dans le cadre de la mission d'information du Sénat sur les inondations du Var, je me suis exprimé sur le rôle de la communication de crise dans la reconstruction d'une collectivité territoriale après une catastrophe. Mon invitation était alors justifiée par la publication de deux études que j'avais réalisées.

La première était une communication internationale sur la réaction du public face à un événement extrême. Nous avions cherché à nous intéresser aux premières questions que se posent les personnes directement concernées par un événement grave. En premier lieu, le public cherche à comprendre ce qu'il se passe, puis à identifier l'impact qu'un événement donné peut avoir sur la collectivité. Chacun s'interroge ensuite sur le danger susceptible de le concerner personnellement. Il se demande ce qu'il doit faire, puis s'interroge sur la situation de ses proches et sur l'identité des personnes qui pourraient lui venir en aide.

Cette chronologie peut sembler évidente. Cependant, ce mécanisme d'appropriation de l'information rappelle qu'il est inutile pour la communication de crise d'inviter le public à agir si ce dernier n'a pas le sentiment de maîtriser la situation. Ces injonctions ne deviennent efficaces qu'en présence d'une compréhension suffisante du contexte par les personnes susceptibles d'être affectées.

La deuxième étude se penchait sur la gestion de crise en lien avec la communication. Je me suis livré à un exercice de synthèse de travaux parlementaires. J'ai analysé plusieurs rapports de commissions d'enquête qui faisaient suite à des crises dans des domaines variés. J'ai constaté que votre travail est toujours très sérieux. J'avais d'abord cru que les commissions d'enquête participaient de manœuvres dilatoires. En réalité, elles donnent souvent lieu à des centaines d'auditions et des rapports très longs et techniques.

Ces rapports font apparaître rétrospectivement les crises comme des événements rendus inéluctables par des facteurs très complexes et dont l'identification peut être difficile. Quand une crise se déclenche, un événement est généralement isolé pour en expliquer l'origine. Or, dans la quasi-totalité des cas, c'est la combinaison d'une grande quantité de facteurs qui détermine son déclenchement. La crise liée à la tempête Xynthia s'explique par une diversité de facteurs tels que la déficience de prévision météorologique, des problèmes de prévention du risque de submersion marine, un manque de contrôle de la mosaïque de plans d'occupation des sols, ou encore un inégal entretien des digues. La catastrophe aérienne du mont Saint-Odile en 1992 résultait de l'absence de dispositif d'alerte au sol, de l'inexpérience des deux pilotes, de la faiblesse des contrôles techniques, de l'insuffisance de la formation professionnelle et de l'absence de dialogue entre le pilote et la tour de contrôle. La congestion de l'aéroport de Roissy en 2010 réunissait également différents facteurs : la conjonction de départs massifs à la veille de Noël, des difficultés de communication entre Aéroports de Paris et certaines compagnies aériennes, la défaillance d'un fournisseur de liquide antigel, les conditions météorologiques entraînant le maintien d'une neige devenue collante, la faible réactivité des acteurs à la veille de Noël, et la défaillance des canaux de communication et d'information.

Les crises du Mediator et d'Outreau, les retards majeurs à la SNCF, l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon permettent également de tirer la conclusion suivante, que je cite de mon étude : « les rapports nous montrent que l'on a plutôt un patchwork mal cousu de causes distinctes évoluant dans des domaines non reliés : absence de contrôle administratif, règles juridiques complexes et éparses, dilution des responsabilités, conditions externes type événement météorologique extrême, plus problème technique » .   L'agencement d'éléments dans des domaines très variés fait émerger la crise. Les rapports de commissions d'enquête révèlent la complexité des facteurs. La crise apparaît davantage comme l'événement déclencheur d'une accumulation de fragilités.

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Je vous remercie pour votre propos sur les travaux parlementaires et je suis certain que M. Gassilloud proposera un rapport extrêmement rigoureux !

Vous avez évoqué la compréhension du contexte. Comment communiquer dans une situation de crise hors norme comme celle du covid, qui représentait à ses débuts une expérience incompréhensible et illisible ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

La crise liée au covid préfigure selon moi ce que seront les crises à venir. Les manuels de gestion de crise écrits il y a trente ans ne permettent pas de les comprendre. Ils décrivent davantage des crises liées à un risque technologique majeur qu'il est possible d'anticiper à l'aide de cartographies efficaces. La pandémie montre que les crises actuelles sont mutantes et protéiformes, à l'image du virus auquel nous sommes confrontés. Leur recomposition permanente les rend insaisissables.

L'idée que l'anticipation de la crise est suffisante pour y faire face de manière adaptée s'effondre en raison des caractéristiques aléatoires et imprévisibles de celle-ci, qui évoquent « l'effet papillon » décrit par Edward Lorenz en 1972. Les limites de l'anticipation face aux conséquences des crises évoquent le fonctionnement des virus informatiques, qui exploitent les interstices des protections existantes. L'imprévisibilité et la soudaineté sont deux termes au cœur de nos enseignements. La crise survient toujours de manière imprévue, et, même lorsqu'on parvient à l'anticiper, ses effets ne sont pas ceux qui avaient été imaginés.

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Quand la crise apparaît, en quoi la communication de crise participe-t-elle à sa résolution ? En quoi est-elle importante ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

La crise se définit par la perception de l'événement par le public. Bien souvent, les crises marquent les esprits en raison de la communication qui en a résulté, davantage que de l'intensité de la crise elle-même. Le jugement que l'on porte sur la manière dont la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, l'épidémie de vache folle ou l'affaire du sang contaminé ont été gérées tient d'abord à la réaction des différents acteurs à ces événements. La communication est d'abord un travail sur la perception de la crise. 80 % de l'emploi du temps des managers de gestion de crise est consacré à la communication sur la crise elle-même. Devant la mission d'enquête sur Fukushima, le directeur général de Tepco soulignait qu'il était contraint de consacrer l'essentiel de son temps à la communication de crise au lieu d'agir sur la gestion opérationnelle de l'événement. L'importance croissante de la communication de crise pourrait susciter une réflexion.

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Quelles sont les étapes de la communication de crise lorsqu'un événement survient ? Peut-on envisager une première étape durant laquelle les autorités se concentrent sur la caractérisation et la résolution de la crise, sans réellement communiquer ? Faut-il au contraire commencer à communiquer dès le début de la crise, en manquant parfois de précision ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Nous ignorons beaucoup en la matière, qui reste embryonnaire dans le milieu universitaire. Nous ne savons pas quels sont les meilleurs moyens de communiquer en situation de crise. Les certitudes sont donc peu nombreuses.

Nous savons toutefois qu'il existe plusieurs phases de communication. Deux grandes étapes sont à distinguer. La survenue de la crise constitue la phase aigüe. Tous les médias traitent de l'événement durant plusieurs jours. La phase chronique apparaît lorsque l'événement cesse progressivement de constituer la une des médias.

La même tonalité communicationnelle n'est pas utilisée dans ces deux phases. Durant la phase aiguë, la communication relève du domaine de l'affect et nécessite un langage émotionnel. Le public attend des représentants de l'État un discours humain sur l'événement récent, montrant qu'ils ont conscience de la situation et qu'ils prennent leurs responsabilités malgré le manque d'informations précises. La phase chronique laisse place à un discours technique visant à analyser les causes de l'événement et à identifier des responsabilités. Les exemples montrent généralement que la confusion de ces deux registres de communication est à proscrire.

Concernant la stratégie du silence, il convient tout d'abord de ne pas confondre la communication de crise et la communication sur le bouche-à-oreille négatif. Les crises digitales relèvent généralement d'un emballement d'une brève durée et ne sont pas des situations de crise. L'actualité joue également un rôle important : la plupart des crises connaissent un maximum d'intensité au mois d'août, car l'actualité est assez creuse. En août 2001, la mort d'un enfant par noyade au Club Méditerranée en Grèce a fait l'objet d'une très mauvaise communication. En effet, 250 enfants meurent chaque année dans des conditions similaires et l'organisation n'avait pas anticipé que cette noyade ferait l'actualité de l'ensemble des journaux télévisés pendant trois jours. Certaines situations suscitent un emballement médiatique en fonction de l'actualité.

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Ne pensez-vous pas que les organisations pourraient procéder par étapes pour préparer progressivement la population à l'annonce de la crise plutôt que de délivrer brutalement leur message ou de ne rien dire ? Serait-ce envisageable pour la crise sanitaire actuelle ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

C'est une méthode envisageable. J'émettrais toutefois deux réserves. Depuis quatre ou cinq ans, il apparaît que le discours empathique et humain est celui qui fonctionne le mieux en communication de crise. Il a par conséquent été conseillé à toutes les organisations en crise de se positionner sur ce type de discours. Or, les discours des porte-paroles de ces organisations ont fini par paraître interchangeables et de moins en moins crédibles.

La communication de crise souffre de son extraordinaire passif. Depuis la peste au Moyen Âge jusqu'aux crises actuelles, les pouvoirs publics et les organisations ont cherché à minimiser la gravité des crises. Le discours n'apparaît plus crédible. Lors de la catastrophe de 2019 à Lubrizol, les populations ne manifestaient plus de confiance dans les pouvoirs publics. La communication de crise peine à rétablir cette confiance à l'heure de la défiance généralisée. Le public estime souvent que les organisations sont juges et parties et tendent systématiquement à minimiser l'importance des crises. Le défi de la communication à venir concerne donc la crédibilité du discours tenu par les organisations, publiques comme privées.

Le discrédit envers ces organisations est tel qu'il faut imaginer des supports de communication moins classiques. Les stratégies d'alliance bénéficient d'une plus grande crédibilité que les organisations. La transparence et la communication par la preuve constituent également des outils efficaces. Lorsque les chefs de restauration des établissements McDonalds ont fait l'objet de suspicions sur le plan sanitaire, ils ont invité le public à constater par lui-même la situation en ouvrant les restaurants et en utilisant des webcams. Je théorise ces constats sous la forme du triptyque partie prenante, preuve et proximité. À l'inverse, les messages unilatéraux à distance rendent les communications de crise inefficaces.

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La France a été marquée par un épisode de crise sociale en 2018 et 2019. Vous avez souligné que la communication institutionnelle rencontrait des oppositions, dans un climat de défiance où les fausses nouvelles et les théories complotistes circulent rapidement. Les médias eux-mêmes sont l'objet d'une défiance de plus en plus forte. Qui peut communiquer dans cette situation, et de quelle manière ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Certaines personnes ont davantage de légitimité à communiquer en situation de crise. Le responsable de la communication n'est plus le porte-parole adéquat d'une organisation, car il est perçu par l'opinion comme un agent de publicité, voire de propagande. Quand la crise apparaît, il est généralement conseillé au plus haut niveau de l'entreprise de ne pas s'exprimer immédiatement : face à une grève massive, le directeur des ressources humaines sera plutôt invité à communiquer dans un premier temps, avant de laisser intervenir un peu plus tard les plus hautes strates de l'organisation concernée.

Les médias ont aussi une responsabilité dans la communication de crise. Je n'ai cependant aucune solution à proposer pour ma part. Le nombre de pseudo-experts invités sur les plateaux télévisés des chaînes d'information en continu me laisse stupéfait. Je note une grande confusion s'agissant de ces experts, dont la présence semble désormais toujours requise aux côtés des deux autres acteurs que sont le public touché par la crise et le représentant politique appelant à prendre des mesures. La crise du covid l'a montré à de nombreuses reprises.

Au cours de travaux menés au sein du comité économique et social européen, j'ai récemment découvert le rôle de la publicité dans la progression de la désinformation. Plus de 50 % des publications de cette nature interviennent dans la sphère digitale ; 80 % de cette publicité numérique est programmatique et s'opère d'ordinateur à ordinateur, sans intervention humaine : le publicitaire n'achète pas un support, mais une audience. Or, les fausses informations circulent en moyenne six fois plus facilement que les informations sérieuses, et représentent par conséquent un excellent moyen de s'enrichir pour les plateformes numériques. En Europe, 400 millions d'euros sont dépensés par des flux publicitaires pour alimenter la désinformation. L'ensemble des annonceurs publicitaires se sont mobilisés sur ce sujet en France et se sont engagés au travers du label « Digital Ad Trust », qui vise à réguler ces flux.

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Vous avez insisté sur les notions de confiance, de discours humain et de crédibilité. Je souhaiterais aborder la question plus polémique de la vérité en cas de crise dans nos démocraties. Est-il toujours éthique de dire toute la vérité à la population ? Dans le passé, les autorités ont tendu à minimiser les crises, notamment pour éviter de possibles comportements déviants. Cependant, la réalité peut également être exagérée pour susciter une plus forte réaction de la part de la population. Durcir le trait peut entraîner la population à se vacciner davantage en cas de crise sanitaire. Existe-t-il des situations où il serait éthique de la part des autorités démocratiques d'adopter ces comportements ? J'ai conscience du trésor commun que représente la confiance des citoyens dans l'autorité, et je comprends que ces pratiques risquent de l'éroder bien qu'elles puissent également contribuer à résoudre la crise à court terme.

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

En situation de crise, le principe est le suivant : tout ne peut être dit, mais tout ce qui est dit doit être vrai. Minimiser une situation tout en connaissant la vérité peut avoir des conséquences sérieuses dans nos sociétés où les informations arrivent rapidement dans l'espace médiatique. Une crise d'ampleur moyenne peut s'aggraver si une dissimulation organisée de la vérité est révélée au public. L'importance du principe de précaution a été rappelée en 2005. Lors de la crise du virus H1N1, les critiques se sont élevées contre la ministre de la santé Roselyne Bachelot, accusée de prendre des mesures disproportionnées au regard de la situation. La crise a finalement été moindre que ce qui avait été imaginé et n'a pas provoqué de véritable pandémie. Le risque que l'on court en alertant sans fondement réel le public est moindre que le danger qu'il y a à dissimuler une vérité, car il est fort probable qu'elle finisse par être révélée.

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Ce qui n'est pas dit suscite des interrogations et des interprétations qui participent à la constitution des théories du complot.

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

J'ai lu une étude très pertinente qui interrogeait les riverains de la vallée du Rhône sur leur perception des risques industriels. 95 % des riverains interrogés estimaient ne pas avoir le sentiment d'être informés sur les risques industriels. La même proportion de riverains affirmait ne pas avoir le sentiment que les entreprises disent toute la vérité sur les risques industriels. Une troisième question proposait aux riverains de classer une liste de vingt et un interlocuteurs, élus, journalistes, médecins et experts, en fonction du taux de confiance qu'ils leur accordaient. Les entreprises à risque obtenaient un taux de crédibilité de 14 % et se retrouvaient à la dernière place sur cette échelle. L'exigence d'obtenir toutes les informations sur le risque se double d'une absence de confiance envers l'émetteur de ces informations.

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J'aimerais aborder la question de la communication préventive. Les pouvoirs publics manquent parfois des capacités suffisantes pour faire face à certaines situations. L'acceptabilité sociale de l'effort de la nation pour faire face à une situation grave a considérablement baissé. Dans le cas du risque de crue centennale à Paris, faut-il une communication totalement transparente avec les Parisiens, une communication qui reconnaisse que la situation risque d'être hors de contrôle pendant quelques jours ? Quelles sont les limites du partage à livre ouvert des informations avec les citoyens exposés à certains risques, notamment les risques de probabilité infinitésimale mais dont la matérialisation entraînerait de graves conséquences ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Vos propos m'évoquent les « cygnes noirs ». À titre d'exemple, j'ai travaillé sur les intoxications alimentaires. En 1956, elles pouvaient entraîner jusqu'à 10 000 décès. Aujourd'hui, les décès liés aux intoxications alimentaires surviennent beaucoup plus rarement mais entraînent immédiatement une crise majeure pour l'entreprise concernée. Face à l'ultra-sensibilité aux crises, il est possible de doser l'information. Différents supports peuvent être employés. Beaucoup d'entreprises, notamment dans le domaine de la chimie, publient toutes les informations relatives au risque sur leur site internet. En cas de situation critique, elles peuvent répondre que les informations étaient accessibles à chacun. Une voie médiane peut être aménagée pour éviter d'être condamné sur la base d'une communication insuffisante.

Un défaut majeur est de considérer que la communication de crise est uniquement une communication externe, s'adressant à l'opinion publique. J'ai davantage travaillé sur les communications privées. La bonne communication est celle qui segmente, qui travaille sur les noyaux durs des cibles prioritaires. Cela passe par la désignation d'interlocuteurs prioritaires, tels que les leaders d'opinion, les salariés et les clients. Quand on prend l'exemple de Paris et de la crue centennale, il ne serait pas forcément opportun d'organiser une communication grand public à l'échelle de l'Île-de-France. Il paraît plus pertinent d'identifier les interlocuteurs clés qui, dans leur travail, seraient les premiers concernés, pour s'assurer qu'ils disposent des informations pertinentes.

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Lors de la crise sanitaire, des interlocuteurs multiples, le directeur général de la santé, le ministre de la santé, le Premier ministre, ont adopté une communication aussi large que possible. Dans nos territoires, les maires considèrent qu'ils auraient dû recevoir certaines informations avant leur diffusion auprès du grand public. Comment une communication segmentée de la crise sanitaire aurait-elle pu s'établir ? Aurait-il fallu organiser des séances de communication impliquant, par exemple, les maires ou les médecins ? La communication a-t-elle été trop large, et a-t-elle porté préjudice à la puissance publique ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Je n'ai pas étudié cette question et ne préfère pas l'aborder directement. Cependant, le sujet de la communication politique m'incite à parler de la mise en épingle médiatique de toute discordance entre les discours. J'ai étudié le cas de la présence de dioxine dans des cannettes de Coca-Cola embouteillées à l'usine de Dunkerque. Des journalistes de Libération avait appelé en même temps le directeur de la communication de Coca-Cola France, le patron de l'usine d'embouteillage de Dunkerque et un responsable du siège à Atlanta. Ces trois interlocuteurs avaient tenu trois discours différents et provoqué une forte réaction médiatique. La cohérence doit être au cœur des principes de la communication.

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Est-il possible de mesurer l'efficience d'une communication de crise en fonction d'une typologie des publics ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Je ne dispose pas d'étude précise sur le sujet. Cependant, la meilleure communication de crise est celle que nous ne connaissons pas encore : il s'agirait d'une communication anticipée et organisée avant l'explosion médiatique de l'événement. Le maître mot de la communication de crise est l'anticipation. Cependant, les indicateurs d'une bonne communication et d'une gestion de crise efficace sont difficiles à identifier. En 1999, l'opinion avait jugé que la communication de crise après le naufrage du pétrolier Erika affrété par Total avait été tardive et n'usait pas du langage adapté. Pourtant, au cours des années suivantes, Total n'a pas perdu le moindre pourcentage de parts de marché et s'est hissé à la première place du classement des entreprises françaises en termes de capitalisation boursière et de bénéfices. De même, en 2010, Nestlé a fait l'objet d'attaques par Greenpeace concernant l'utilisation d'huile de palme. Cependant, ses bénéfices ont été immenses l'année suivante, notamment au sein de la branche chocolat, qui utilisait de l'huile de palme.

Il est donc difficile de définir le bon indicateur en fonction d'une typologie des publics. L'indicateur utilisé n'est pas toujours la réputation globale de l'organisation, mais davantage le dividende des actionnaires ou la situation de la marque employeur, etc. La crise est trop souvent analysée, au sein des entreprises, sous l'angle de la réputation. De nouveaux indicateurs pourraient être identifiés.

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Vous avez évoqué le messager de la communication de crise. Les organisations disposent d'un panel de vecteurs pour porter ce message, tels que les réseaux sociaux ou les SMS. Certaines crises peuvent cependant mettre à mal les réseaux de télécommunication, ce qui explique que les tocsins aient été conservés dans les communes. Dans la palette au service des autorités publiques, quel est le bon vecteur à utiliser pour adresser un message en période de crise ? Comment interprétez-vous l'échec du système d'alerte et d'information des populations (SAIP) mis en place à travers une application ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Le choix du canal de diffusion d'une communication de crise importe peu. Prendre la parole à la télévision, à la radio ou au cours d'une interview dans un journal n'a pas d'incidence sur la crédibilité et la réception du message. La forme du message compte davantage, car elle doit répondre à l'attente du public. La réactivité est l'élément clé : le message doit arriver au moment où il est attendu et apporter des éléments de réponse. L'incendie du data center d'OVH en 2021 a fait l'objet d'une bonne communication de crise : Octave Klaba, patron d'OVH, a rapidement pris la parole sur Twitter dans un message vidéo de quelques minutes avant d'apporter des informations complètes pour expliquer l'événement. Le 11 septembre 2001 a montré l'importance du leadership dans la communication de crise. Ce leadership a au contraire fait défaut dans la communication de crise de Tepco.

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Les réseaux sociaux de Facebook ont connu une interruption de fonctionnement durant plusieurs heures au début du mois d'octobre 2021. Le groupe a perdu 7 milliards de dollars. Avez-vous pu analyser la communication de crise lors de cet incident ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Non.

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OVH a connu une panne ce matin pour la même raison que ces réseaux sociaux, liée à une erreur humaine de configuration dans un routeur. OVH a l'habitude de vendre ses produits à de vastes ensembles de clients. Elle est exposée au temps court : quelques secondes après l'incident, les clients s'aperçoivent de la rupture de service. À cette exigence de temps court s'ajoute la nécessité d'un pouvoir fort, personnifié par Octave Klaba dans le cas d'OVH. La typologie des entreprises peut les rendre plus ou moins prêtes à la gestion de crise. Je souhaiterais prolonger cette réflexion à l'échelle des États en fonction des différents rapports à la démocratie et des cultures. La Chine a peu communiqué au début de la crise sanitaire. Pourriez-vous nous proposer un panorama de la manière dont s'opère la communication de crise en fonction des États ?

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Thierry Libaert, professeur de sciences de l'information et de la communication

Lors de la grande crise du verglas au Canada pendant l'hiver 1998, le retour d'expérience du gouvernement du Québec avait fait apparaître deux conseils. En premier lieu, l'État n'a pas intérêt à promettre d'être en mesure de rétablir la situation s'il n'est pas entièrement certain d'en être capable. Il est également recommandé à l'État d'apporter des conseils très pratiques, précis et concrets pour montrer sa présence auprès de la population. La situation de crise entraîne en effet une perte de repères pour les populations touchées.

Dans son ouvrage Case Studies in Crisis Communication, le professeur George Amiso étudie cinquante crises survenues dans autant de pays différents et conclut que les techniques de communication reposent sur des principes fondamentaux similaires. Des distinctions se manifestent cependant et tiennent plutôt à la nature des États et au degré de liberté dont jouit la presse. Certains États organisent leur communication de manière plus spécifique. Par exemple, les cellules de crise aux États-Unis comportent généralement peu de communicants mais un grand nombre de juristes.

La réunion se termine à seize heures trente.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud, Mme Nathalie Porte