MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE
Mardi 19 octobre 2021
La séance est ouverte à quatorze heures cinq.
(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)
La mission d'information auditionne M. Dominique Bernard, directeur général-gérant du Centre français d'exploitation du droit de copie, et Mme Sandra Chastanet, directrice du département Ayants Droits.
Nous recevons M. Dominique Bernard, directeur général-gérant, et Mme Sandra Chastanet, directrice du département Ayants Droit du Centre français d'exploitation du droit de la copie.
Je rappelle que vous êtes un organisme de gestion collective (OGC) des droits de copie papier et numérique du livre et de la presse. Vous êtes le seul organisme qui délivre des autorisations de reproduction de copie papier, depuis 1996, en vertu d'un agrément du ministère de la culture. En matière de numérique, l'adhésion des éditeurs à l'OGC est volontaire. Une partie de vos revenus doit financer des actions d'aide à la création et à la diffusion des œuvres.
En préambule, pouvez-vous nous fournir des éléments de contexte sur votre expérience de la gestion collective des droits d'auteur et droit voisin en matière de reprographie, notamment dans le secteur de la presse, alors qu'un organisme de gestion collective s'est créé en matière de droit voisin ?
Le CFC est un OGC qui a presque quarante ans. Il représente les ayants droit, c'est-à-dire des auteurs, des éditeurs de livre, des éditeurs de presse, dans la gestion des droits de reproduction numérique et papier. Nous sommes la Sacem de l'écrit.
Nous avons effectivement un agrément du ministère de la culture, qui nous a été renouvelé en juillet 2021, pour cinq ans.
Notre gouvernance est classique, avec une Assemblée générale composée de ses plus de 300 adhérents. Nous avons aussi un comité de douze participants, quatre représentants d'auteurs, quatre représentants des éditeurs de presse et quatre représentants des éditeurs de livre. Je le pilote. Une commission de surveillance contrôle les activités de l'OGC, sachant que le gérant et le comité pilotent les questions relatives à la répartition et à la gestion des taux.
Le CFC perçoit près de 60 millions d'euros de redevances, répartis en quatre blocs :
˗ les droits perçus au titre des droits de reprographie à destination de l'enseignement, c'est-à-dire les établissements du primaire à l'université, les écoles privées, les organismes de formation, pour environ 28 millions d'euros ;
˗ les copies professionnelles, à destination des entreprises, des administrations, des collectivités territoriales. Elles concernent des produits tels que des panoramas de presse et des prestations web, pour environ 25 millions d'euros ;
˗ les redevances provenant des OGC étrangers, pour 3,5 millions d'euros ;
˗ la copie privée, c'est-à-dire les sommes collectées auprès des fabricants et importateurs d'appareils de stockage que sont les clés USB, les smartphones, les disques durs, pour 2,5 millions d'euros.
Le montant perçu au titre de 2021 atteignait 59 millions d'euros, en croissance depuis 2019 en dépit du Covid. Le plan présenté au comité et validé par l'Assemblée générale prévoit une progression de 25 % des redevances pour les trois années à venir, avec l'objectif de 75 millions d'euros, en proposant de nouveaux produits, essentiellement destinés aux entreprises privées, aux administrations ou aux collectivités.
87 % des droits perçus pour la presse proviennent d'usages numériques.
Le CFC distribue chaque année des droits à plus de 3 000 éditeurs de presse de la presse quotidienne nationale (PQN), la presse quotidienne régionale (PQR), la presse magazine, la presse professionnelle. Cette base de mandats volontaires représente 4 500 publications grâce à un historique ancien dans cette relation avec les éditeurs.
Nous avons rencontré le président du futur OGC chargé du droit voisin, Jean-Marie Cavada, ainsi que les différents membres qui le constitueront que sont le SEPN, la FNPS, le SPIIL. Nous nous positionnons comme l'un des partenaires pour la gestion des droits voisins.
L'organisation que nous avons présentée à l'OGC est tripartite. L'OGC droit voisin assurerait naturellement la gouvernance et fixerait les règles de répartition. Il serait le titulaire des droits voisins sur la base des mandats volontaires. La Sacem, qui fait partie des opérateurs sélectionnés, négocierait les accords commerciaux avec les plateformes et collecterait les redevances. Le CFC, en raison de l'interdépendance entre droits d'auteur et droit voisin et de sa relation historique avec les éditeurs pourrait être l'opérateur qui rassemblerait les mandats des éditeurs, répartirait et facturerait les droits et verserait le paiement aux éditeurs.
Cette organisation a suscité un écho intéressé, même si la décision n'est pas prise puisque l'OGC droit voisin est en cours de constitution.
Le CFC soutient une gestion collective du droit voisin, pour toutes les raisons évoquées lors des auditions précédentes. Il possède une expertise et entretient des relations anciennes avec les éditeurs de presse, dans le cadre d'une gestion collective volontaire des droits numériques. Il représente aussi les agences de presse comme AFP ou Reuters, et des acteurs de l'audiovisuel comme Radio France ou France Télévisions pour la rediffusion de leurs contenus dans le cadre des panoramas de presse. Il possède une base de données à jour de tous les contenus de presse, des outils de traitement de données relatives à la presse et à ses utilisations, des outils de calcul de répartition.
Le CFC répartit les droits qu'il perçoit pour les éditeurs de presse, mais aussi ceux qu'il ne perçoit pas, comme la copie privée. Nous avons mis en place des règles ad hoc de répartition avec les différentes familles de presse.
Cette expertise, ce champ et ces infrastructures pourraient être mutualisés avec le nouvel OGC pour une cohérence dans la gestion opérationnelle entre droits d'auteur et droit voisin.
Par ailleurs, l'un des rôles du nouvel OGC sera d'identifier les différents redevables en s'appuyant sur la Sacem et le CFC. Ils sont multiples. Nous nous sommes concentrés sur les plateformes, qui sont les plus importants, avec les moteurs de recherche, les plateformes de partage de contenu comme Facebook, mais aussi tous les agrégateurs de news B to C et ceux prestataires de veille média et crawlers qui agissent sur le marché B to B.
La rediffusion de contenus de presse sur le secteur professionnel est encadrée depuis plus de vingt ans par le CFC. Les prestataires de veille média classiques comme Kantar acquittent des droits d'auteur au CFC. Cette part représente environ 22 millions d'euros pour la rediffusion sur le secteur professionnel.
De nouveaux acteurs comme les crawlers font l'objet de débats. Leurs activités relèvent à la fois du droit d'auteur et du droit voisin. Le CFC s'est emparé de ce sujet depuis quelques années à la suite de la jurisprudence européenne Peterson. Il a mis en place un contrat d'autorisation pour les crawlers au titre du droit d'auteur. Une douzaine d'entre eux l'ont signé, mais les plus importants sont encore réticents. Des actions restent à mener sur ce terrain, notamment pour avoir une garantie complète au titre du droit d'auteur et du droit voisin. En parallèle, le CFC a développé en partenariat un outil technique permettant d'identifier les robots des crawlers qui viennent sur les sites des éditeurs de presse pour les catégoriser et contrôler leur accès selon qu'ils disposent d'une autorisation du CFC ou des éditeurs.
De quels outils disposez-vous pour déterminer l'assiette de rémunération en matière de reprographie ? Comment adapter ces méthodes dans le cadre du nouvel organisme de gestion collective ?
Les mécanismes de rémunération des droits numériques et de reprographie sont basés sur les usages, dans l'enseignement, dans les entreprises, administrations ou veille média. Nous recevons des déclarations des utilisateurs sur les rediffusions de contenus de presse. Dans l'enseignement, elles sont collectées sous forme de sondage. La majorité des droits perçus est donc répartie sur la base de ces données d'utilisation. En revanche, pour la copie privée, qui ne permet pas de disposer de ces informations, nous avons mis en œuvre des critères d'audience ou autres.
Dans chaque répartition, il convient de se rappeler de l'objectif du droit, ce qu'il est censé rémunérer. Dans la loi française, les clés de répartition sont clairement fléchées puisqu'il s'agit de rémunérer les investissements humains et financiers, de tenir des critères comme l'IPG. La finalité est surtout de garantir une presse diversifiée et de qualité.
Ainsi, chaque droit dispose de ses propres critères de répartition qui permettent de répondre aux objectifs fixés.
Nous avons proposé des clés de répartition aux différents acteurs de la future OGC, en tenant compte des investissements humains, en masse salariale ou en nombre de journalistes présents dans la rédaction, de l'audience des sites et d'autres critères de cette nature. Ces clés sont relativement classiques.
Nous sentons les réticences de certains GAFAM à entrer dans le processus global. La création d'une instance arbitrale par le législateur vous paraît-elle souhaitable ?
Dans le cadre du contentieux entre Google et l'Autorité de la concurrence, nous avons pu constater que ces plateformes acceptaient de revenir à la table des négociations et respectaient les injonctions qu'elles ont eues à subir.
En outre, nous allons conduire des contentieux contre les crawlers qui piratent les sites. En Australie et en Angleterre, le démarrage d'un contentieux a amené ces sociétés à discuter.
Ainsi, l'intervention d'un degré supplémentaire, par un arbitrage ou par la loi, me paraît un élément important. Ces grandes plateformes ne sont mures à une négociation qu'en cas d'encadrement juridique, par une condamnation de justice ou un arbitrage prévu par le législateur.
Nous constatons le soutien important des pouvoirs publics, de la législation, notamment sur le terrain de la concurrence. En ce qui concerne une institution d'arbitrage spécifique, je pense nécessaire d'observer les résultats de la gestion collective puisqu'en se rassemblant, le pouvoir de force s'inversera.
La France a été le premier État membre à progresser sur le sujet des droits voisins, mais des OGC existants dans d'autres États membres se saisissent aussi de ce droit, ou se créent, comme au Danemark. Nous pourrons analyser l'impact, au niveau français puis européen, de cette organisation de gestion collective. En revanche, en Australie, qui possède un système similaire au nôtre, une instance arbitrale a été créée, mais son pouvoir a été minimisé. Les critères de désignation d'une plateforme qui ne respecterait pas l'obligation de négociation mise en place par le code de bonne conduite ont été atténués. Les règles autour de l'instance sont donc aussi essentielles.
Peut-il y avoir des irrépartissables dans les droits voisins ? Quelles sont alors les modalités qui pourraient être envisagées ?
Dans le cadre d'une gestion collective volontaire, nous arrivons généralement à identifier les titulaires de droit puisqu'ils nous les ont volontairement confiés. La situation peut cependant se présenter en cas de disparition des titulaires de droit.
Les OGC ont des règles de traitement des droits irrépartissables, qui, une fois que la période est échue, visent à abonder des fonds pour financer des actions culturelles. Le CFC en possède pour les droits de reprographie.
La prescription est de cinq ans. Après, ces fonds ne sont pas conservés par le CFC, mais alimentent le budget des activités culturelles.
Cette répartition des rôles a été considérée comme un schéma intéressant, en raison de notre historique et de cette interdépendance entre droits d'auteur et droit voisin, mais aussi dans un but de simplification. Pour un éditeur qui reçoit des relevés constitués de droits d'auteur et de droit voisin, il paraît plus simple d'avoir un seul guichet qui lui permette de vérifier, mesurer et recevoir les sommes qui relèvent de chacun.
Puis-je poser une question à votre assemblée ?
D'après les auditions que vous avez conduites depuis plusieurs semaines, comment avez-vous compris et imaginé la gestion de ces droits voisins, à travers quel type d'OGC et de partenaires, même si vous n'êtes pas encore en mode conclusif ? Chacun défend des positions, certaines étant réconciliables, d'autres pas.
Les auditions ne sont pas terminées. Plusieurs visions s'affrontent. L'essence de la mission est de s'assurer que la loi est appliquée. Les auditions successives nous démontrent que certains freins très importants sont mis en œuvre par certaines entités. Notre souci est de les lever, éventuellement par une organisation collective comme celle en cours de création. Nous avons auditionné Jean-Marie Cavada. Nous avons aussi entendu des éditeurs de presse très heureux, car la loi s'appliquait dans leur cas en bilatéral, mais aussi d'autres très malheureux qui n'avaient aucune réponse. Ainsi, actuellement, la loi n'est pas uniformément appliquée.
Nous avons présenté l'organisation au ministère de la culture à l'occasion du renouvellement de l'agrément. Il a considéré que le CFC avait toute sa place dans cette organisation pour adresser le sujet des droits voisins.
Je pense aussi que vous avez une expertise et un rôle à jouer dans la future organisation, mais il me semble qu'il revient au ministère de la culture de travailler à la formalisation et à l'articulation de cet organisme.
Vous pourrez nous faire parvenir d'autres éléments écrits.
Quand votre mission se termine-t-elle ?
La date précise n'est pas encore arrêtée. Nous avons encore plusieurs auditions à conduire. La mission pourrait s'achever mi-décembre. Nous avons des contraintes à respecter du fait de la fin de la session parlementaire, en février.
La réunion se termine à quatorze heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse
Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 14 heures
Présents. – M. Pascal Bois, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia
Excusée. – Mme Catherine Daufès-Roux