Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Mercredi 24 novembre 2021
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête procède à l'audition des représentants de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC).
Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête en entendant les représentants de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC), que je remercie d'avoir répondu à notre invitation dans des délais contraints.
Je souhaite donc la bienvenue à :
– M. François Excoffier, président d'Excoffier recyclage, conseiller départemental de la Haute-Savoie, président de la FEDEREC ;
– M. Stéphane Panou, directeur Recyclage et valorisation matières au sein de Paprec Groupe, président de FEDEREC filière papiers cartons ;
– M. Manuel Burnand, directeur général de la FEDEREC ;
– Mme Géraldine Bulot, secrétaire générale ;
– Mme Caroline Nasr, directrice de la communication ;
– M. Jules Olivereau, chargé de mission relations institutionnelles de la FEDEREC.
Si la FEDEREC relève du secteur des services, cette audition sera l'occasion d'étudier comment le recyclage et la valorisation peuvent contribuer à l'industrie en France.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Les personnes auditionnées prêtent serment.
La FEDEREC a vu le jour en 1945 afin de représenter les entreprises de recyclage. Elle rassemble aujourd'hui 1 200 entreprises sur tout le territoire. Son activité consiste en la collecte, le tri et la valorisation des matières. Bien que très ancienne, cette activité est également d'actualité et sera importante à l'avenir.
La FEDEREC est représentée sur tout le territoire français et sur quasiment toutes les filières de nos secteurs d'activité, par exemple les ferrailles, les métaux, les papiers, les cartons, les bois, les plastiques, ainsi que sur des filières historiques comme les plumes, les pots et même les duvets. Ces derniers constituaient en effet une des activités fondamentales du recyclage au cours des siècles précédents, bien que ce soit moins le cas aujourd'hui.
La FEDEREC est organisée de façon horizontale avec des branches et des métiers différents. Huit syndicats régionaux couvrent l'ensemble du territoire tandis que, dans chaque département, se trouvent des représentants des entreprises de la FEDEREC. Celle-ci opère sur douze filières du recyclage dans le bâtiment, la déconstruction automobile, les déchets d'équipements électriques et électroniques, les métaux, les métaux non-ferreux, les palettes, le bois, les papiers-cartons, les plastiques, le textile, le verre, les solvants, la valorisation biodéchets et les combustibles solides de récupération. Chaque filière est organisée en bureau, qui comptent tous un président. Stéphane Panou représente par exemple la branche papiers-cartons.
La FEDEREC s'appuie également sur une convention collective propre à nos métiers du recyclage. Elle constitue un maillon incontournable de l'économie circulaire, ses 1 200 entreprises membres représentant plus de 30 000 emplois. Les filières du recyclage progressent avec des demandes constantes en termes d'emplois. En outre, ces emplois sont non délocalisables puisque notre activité se déroule sur le territoire national.
La dimension environnementale est naturellement importante sur les sites de tri et de production. En effet, de nombreuses entreprises sont certifiées ISO 14001. À notre grande satisfaction, la FEDEREC a été reconnue comme essentielle à la Nation pendant la crise de la Covid-19. Le chiffre d'affaires du secteur se situe entre 8 et 9 milliards d'euros sur les huit dernières années. Son niveau dépend en grande partie de la volatilité des cours. En particulier, lorsque les cours évoluent à la hausse, le chiffre d'affaires de la FEDEREC augmente, indépendamment du volume d'activité.
De manière incontournable, toutes les entreprises, tous les ménages et tous les citoyens français sont amenés à entrer en relation avec une entreprise de la FEDEREC, puisque tout le monde produit des déchets.
Nous souhaitons également approfondir l'effort de tri afin de renforcer la valeur de nos emplois. Certaines entreprises membres de la FEDEREC sont cotées en Bourse, dont plusieurs constituent de très grands groupes : Suez, Veolia, Paprec, Derichebourg, GDE ou encore Séché Environnement. Néanmoins, la FEDEREC se compose également de petites et moyennes entreprises (PME) telles que Excoffier Recyclage, de nombreuses entreprises de taille intermédiaire (ETI) et entreprises familiales.
Notre activité consiste à produire des matières premières issues du recyclage. Les dernières mines ayant fermé dans les années 1970, la véritable mine de matières premières encore existante se situe désormais autour de nous, à ciel ouvert. La satisfaction du besoin national dans ce domaine constitue notre première ambition. La filière française du recyclage peut se prévaloir d'un niveau d'excellence supérieur à ce que l'on peut observer dans tous les pays qui nous entourent, ce qui permet à la FEDEREC de se hisser à la première place mondiale.
FEDEREC se caractérise également par un modèle unique puisqu'à l'échelle mondiale, les autres fédérations sont organisées d'une façon totalement différente. Par exemple, dans les autres pays, les fédérations des métaux sont séparées de celles liées au recyclage des ferrailles. Même quand ces dernières sont réunies au sein d'un même ensemble, elles sont très souvent distinctes des fédérations du plastique, du papier ou du bois.
Nous revendiquons par conséquent l'unicité de notre modèle, à la fois familial et très transversal. En effet, je peux ici m'exprimer au nom des différentes filières tandis qu'en Allemagne, pas moins de douze interlocuteurs devraient intervenir pour réellement représenter la filière du recyclage. Il en va de même pour l'Espagne, l'Italie, ou encore le Royaume-Uni, où par exemple la fédération de l'acier est séparée de la fédération des métaux.
Comment anticipez-vous les besoins en recyclage des batteries de vélos et de voitures, dont l'électrification fait l'objet de l'actualité ? Quelle est votre vision à moyen et long terme de ce marché ?
Comme l'a expliqué François Excoffier, la FEDEREC exploite la mine urbaine, appelée « mine de surface ». Le stock qu'elle représente est constitué par la production industrielle historique. Il se trouve dans les bâtiments et dans les objets qui nous entourent, mais est également alimenté par la consommation et par l'importation. Il s'agit là d'une opportunité importante, en particulier sur les métaux stratégiques. En effet, bien que peu de mines se situent sur le territoire français, la France s'est enrichie en métaux stratégiques grâce à l'importation de cartes électroniques, de composants et d'aimants. Il s'ensuit des effets de bord puisque la France importe également des cartons. Une partie de la ressource du stock provient ainsi de l'extérieur.
Les volumes recyclés sont composés de déchets simples, tels que les bouteilles en plastique, et de déchets complexes, comme les voitures, qui rassemblent 70 éléments différents du tableau de Mendeleïev avec des modèles spécifiques. Les volumes, qui découlent des obligations définies par les directives européennes, ne cessent d'augmenter. La contrainte propre à l'industrie du recyclage renvoie en effet à l'obligation légale pour les entreprises de recycler, ce qui engendre des flux continus de matières à recycler, alors que les exploitants des mines traditionnelles peuvent choisir de limiter les volumes produits. Cette contrainte permet à l'industrie du recyclage d'être extrêmement agile et bien implantée sur l'ensemble du territoire et d'englober différents marchés.
Les prix dépendent principalement de deux facteurs.
Premièrement, le marché des matières recyclées fluctue en aval en fonction du marché des matières premières, puisqu'elles sont en concurrence permanente avec le pétrole et le minerai de fer. Actuellement, la baisse très forte du prix du minerai de fer liée au recul de la production chinoise, combinée à l'augmentation du prix de l'électricité, produit un effet ciseaux sur le recyclage de l'acier. L'industrie du recyclage bénéficie en amont d'une importante opportunité constituée par les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) dans le cadre des éco-organismes. Par exemple, il y a vingt ans, les réfrigérateurs étaient recyclés dans la filière ferraille tandis qu'aujourd'hui, le plastique qui les compose peut être recyclé grâce à des lignes dédiées et à un financement des procédés de recyclage.
La qualité des matières recyclées produites dépend de la demande des consommateurs et de l'innovation. En effet, l'industrie du recyclage est un secteur particulièrement innovant, qui investit largement dans la recherche et développement (R&D), notamment en raison des incitations de la réglementation à travers les contraintes sur les exports de déchets. Nous avons d'ailleurs assisté hier à un exposé sur l'anticipation de la réglementation sur les exportations de déchets au sein de l'Union européenne (UE) et vers l'international, sur la réglementation du tri « haute performance » et sur les refus de tri, présents dans l'ensemble des processus de recyclage. Par ailleurs, l'industrie du recyclage affiche actuellement une compétitivité accrue avec une montée en puissance et en capacité de volume des centres de tri. Par exemple, le nombre de centres de tri des emballages ménagers est passé de 300 à bientôt une centaine de centres beaucoup plus grands.
En outre, le prix des matières recyclées est nécessairement soumis à l'évolution du prix de l'électricité, puisque le recyclage fonctionne essentiellement grâce à cette dernière et fait l'objet de contraintes importantes sur les rejets.
En ce qui concerne les véhicules électriques, une augmentation considérable du nombre de batteries à traiter est attendue. Il s'agit d'un point de vigilance en matière de gestion des risques : les batteries lithium peuvent se révéler extrêmement dangereuses car elles peuvent être la source d'un départ de feu, alors que par le passé les épisodes d'incendies étaient caractérisés par une forte saisonnalité. Cet enjeu de sécurité constitue ainsi une préoccupation permanente de nos entreprises pour la protection du personnel et de l'environnement. Il existe une typologie de batteries extrêmement large, entre les véhicules hybrides et les véhicules électriques, plus encore avec la question de la « deuxième vie ». Une fois que la performance de la batterie se situe en deçà des 80 %, celle-ci bénéficiera d'une deuxième vie en stationnaire avant d'être recyclée. Nous avons ainsi identifié 200 types de batteries. La FEDEREC intervient sur leur collecte puis sur leur livraison aux industries de consommation et de régénération des batteries. L'enjeu est donc extérieur à notre secteur d'activité puisque nous livrons les batteries aux utilisateurs mais ne détenons pas le procédé de recyclage. Il s'agit d'une question stratégique sur laquelle nous travaillons à travers notre comité stratégique de filières (CSF) et au sein de différents comités dans la métallurgie.
La FEDEREC Auvergne-Rhône-Alpes, qui est basée à Lyon et couvre le centre et le sud-est de la France, a signé une convention avec la région Auvergne-Rhône-Alpes afin d'élaborer une stratégie prospective en ce qui concerne la déconstruction automobile et notamment la réutilisation, la collecte et le tri des batteries de demain.
S'il existe des conventions ou des contrats relatifs aux procédés de recyclage, pensez-vous que des solutions se dessinent en ce qui concerne le lithium ?
Il existe deux phases dans le traitement des batteries au lithium. Lors de la phase de traitement mécanique, la batterie est broyée, afin que les différents éléments qui la composent soient séparés de manière classique. Le plastique, les métaux et autres matériaux peuvent alors être valorisés. La seconde phase est celle du traitement chimique de la poudre obtenue lors du broyage ou « black mass », un mélange de métaux stratégiques. Il s'ensuit des questions de technologie et de modèle économique puisque là où le recyclage des batteries au plomb offre une valeur ajoutée positive, les premières études montrent que le recyclage des batteries au lithium peut engendrer une valeur ajoutée négative. Cependant, il s'agit peut-être d'une période de transition. Comme dans tout processus de recyclage, il existe des coûts fixes, un coût de traitement puis des revenus qui dépendent des cours. De manière analogue, les revenus issus du recyclage des pots catalytiques fluctuent fortement en raison de la grande volatilité des cours du rhodium et du palladium. Afin d'optimiser le traitement de la black mass, il convient de collecter en amont les batteries de même nature, notamment dans les régions rurales.
La question de la propriété de la batterie au sein de la chaîne de valeur aura également un impact en termes d'organisation. En effet, certains constructeurs automobiles louent ces batteries et en sont propriétaires, tandis que d'autres modèles coexistent. Dans ce domaine, il existe en France un savoir-faire établi, qui ne se situe pas nécessairement au sein de l'industrie du recyclage mais plutôt chez les affineurs. La France a d'ailleurs soutenu un projet de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) en région Auvergne-Rhône-Alpes, en particulier à Domène, avec des pilotes opérationnels qui ont permis de tester toutes les technologies de récupération des différents métaux précieux comme le lithium, le cobalt et le nickel.
Les enjeux actuels de la filière recyclage résident-ils plutôt dans l'organisation de la collecte, dans les questions de stockage, de procédé industriel ou encore dans la problématique de la variabilité du prix ?
Le premier enjeu est celui de l'organisation. Le rôle des éco-organismes fait actuellement l'objet d'une confusion. Il est important que le rôle de chaque partie prenante soit bien défini. Le rôle de la FEDEREC consiste à exploiter la mine urbaine, à l'organiser au mieux et à livrer l'industrie française. Lorsque l'économie est déficitaire, les éco-organismes sont chargés de soutenir les coûts de recyclage et les coûts de tri. Enfin, sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI) et au sein des comités stratégiques de filière (CSF), la FEDEREC joue un rôle d'interface entre le secteur du recyclage et les industries consommatrices de matières recyclées telles que la verrerie, la papeterie ou encore la sidérurgie. Il s'agit d'organiser l'adaptation permanente entre l'offre et la demande en fonction de l'évolution du cahier des charges.
Le rôle des éco-organismes a beaucoup évolué avec la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi AGEC », et à la demande de l'industrie du recyclage en particulier. En effet, bien que la France soit l'un des pays les plus performants en Europe et même au niveau mondial, de nombreux produits ne sont toujours pas recyclables. Ainsi, un travail doit être mené sur l'écoconception et sur l'incorporation des matières recyclées. Il est nécessaire de créer une demande en matières recyclées en instaurant une obligation légale d'y recourir, à l'instar de la directive européenne 2019/904 du 5 juin 2019 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement, qui a permis d'augmenter la demande en plastique recyclé. Nous devons réussir à généraliser ce type de réglementation.
Dans l'optique d'accélérer la transition, certains éco-organismes sont alors tentés de se positionner sur le marché de la reprise, qui est celui sur lequel nous opérons : à l'issue de procédés de tri, de recyclage et de valorisation, nous séparons les matières, les reprenons et les donnons à l'industrie française. Ce phénomène crée de la confusion car des grands acteurs et donneurs d'ordre, qui disposent de toutes les données commerciales, techniques et relatives aux prix de nos entreprises parce qu'ils les ont financées, tirent parti de cet avantage pour aller sur le marché de la reprise. Nous avons eu l'opportunité d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur ce sujet lors d'un colloque au Sénat. Il est important que chacun s'en tienne à son rôle respectif pour bien traiter le recyclage.
La possibilité de continuer à exporter constitue également un enjeu important puisque l'industrie du recyclage contribue favorablement à notre balance du commerce extérieur. Il ne s'agit pas seulement de collecter et de trier les déchets mais surtout de les négocier et de les incorporer dans le système productif. Le territoire français ne disposant plus de mines d'extraction de minerai de fer, le recyclage constitue le seul moyen de ne pas en importer. Or l'industrie française ne consomme pas la totalité des matériaux recyclés sur le territoire. Face à la désindustrialisation, il convient donc de recréer des filières, ce qui rendra l'exportation moins nécessaire.
En revanche, limiter l'exportation constitue une hérésie parce que les emplois liés à la production des matières recyclées exportées se situent en France. De plus, l'exportation concerne principalement des produits plutôt bas de gamme, avec un fort taux d'impuretés, puisque les produits haut de gamme sont consommés essentiellement en France. En effet, les matériaux de basse et moyenne qualité sont encore beaucoup consommés par exemple en Turquie et en Italie dans le bâtiment. L'industrie française utilisera de préférence des chutes industrielles issues par exemple d'une usine manufacturière comme Peugeot. Une chute de tôle issue d'un processus de fabrication automobile bénéficiera d'une forte attractivité auprès des usines à proximité.
Comme pour les autres industries, la performance nécessite un accompagnement de la R&D. Dans les dossiers des CSF, les nouveaux centres de tri « haute performance » permettent d'améliorer le taux de recyclage. Afin que les entreprises soient performantes, le personnel doit être formé et les emplois doivent être attractifs. Afin de promouvoir la valeur de ces emplois malgré le manque d'attractivité du tri des déchets, nous expliquons à nos salariés qu'ils participent à l'économie circulaire.
Les filières de prospective constituent un autre enjeu important. Par exemple, il conviendrait que la France se saisisse davantage de la production d'énergie liée au combustible solide de recyclage (CSR), qui représente 60 % de la valeur calorifique du pétrole. Dans la mesure où, en France, « on n'a pas de pétrole mais on a des idées », comme l'affirmait un slogan publicitaire célèbre dans les années 1970, la France doit être motrice sur ces filières de la même manière que sur les biodéchets.
Avez-vous le sentiment d'être freinés, voire menacés en ce qui concerne les exportations ? Quelle proportion des déchets est-elle recyclée et valorisée en France par rapport à ceux recyclés et exportés à l'étranger?
En effet, nous communiquons ces chiffres tous les ans. Nous avons un observatoire statistique qui s'intéresse aux importations et aux exportations sur les différents marchés. 47 % des plastiques collectés sont vendus en France, 48 % d'entre eux dans l'UE et 5 % à l'extérieur de l'UE. Cette proportion a été considérablement modifiée avec la fermeture des usines chinoise aux entrants recyclés lors de l'opération « Green Fence ». La France est par conséquent assez peu dépendante du grand export. Certains composés de plastique, qui sont consommés par l'industrie chinoise, ont néanmoins permis au secteur de réaliser une valeur ajoutée supérieure sur son territoire puisque nous effectuons la phase « à froid », c'est-à-dire toutes les séparations mécaniques par différents types de procédés. Dans ce secteur, nous assistons à l'émergence étonnante de technologies de haut niveau avec notamment les tris par rayons X et l'utilisation des caractéristiques électromagnétique des plastiques.
Les débouchés des métaux ferreux se situent à 66 % en France, à 33 % dans l'UE et à 3 % en dehors de l'UE, notamment en Égypte. Les métaux non-ferreux, qui rassemblent notamment l'aluminium, le cuivre, le plomb et l'étain sont vendus à 45 % en France, à 51 % en Europe et à 4 % hors de l'UE. Le verre est essentiellement vendu sur le marché national puisque 90 % du verre est consommé en France, 7 % en Europe et 3 % en dehors d'Europe. 64 % de la consommation des papiers cartons est réalisée en France, 32 % en Europe, et 4 % essentiellement en Asie. Deux tiers du bois recyclé sont consommés en France tandis qu'un tiers est exporté en Europe. Enfin, il existe d'autres marchés particuliers de réemploi comme le textile, majoritairement tournés vers l'exportation.
Pensez-vous qu'il serait possible en France d'augmenter le réemploi de certaines matières, notamment du plastique et des métaux non-ferreux ?
Le réemploi est actuellement en cours de développement. Certains aspects ont été introduits par la loi AGEC, notamment la production à partir de pièces de rechange, ainsi que dans l'industrie du textile, mais également dans l'ensemble des nouvelles filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) avec un quota du réemploi et des soutiens spécifiques par les éco-organismes. Cette tendance continuera à évoluer et nous le constatons en particulier en ce qui concerne les déchets du bâtiment. L'ampleur de cette évolution dépendra de nombreux facteurs. Comme nous sommes à la disposition de l'industrie, c'est la demande qui décidera si les matières restent ou non en France.
Il est nécessaire d'expliquer au législateur la distinction entre matières et déchets. En effet, nous sommes contre l'exportation de déchets que nous avons la responsabilité de traiter en tant que pays moderne. En revanche, les matières premières issues du recyclage doivent être comprises comme des matériaux extraits des mines. Elles sont nobles et prêtes à être consommées. Il existe toutefois un certain nombre de scories à l'intérieur, telles que la rouille qui subsiste sur la ferraille, dont le pourcentage doit être pris en compte dans la sortie du statut de déchet. Il est primordial pour nous de continuer à gagner des parts de marché à l'étranger sur ce sujet.
Plus l'éco-conception des produits est réalisée de manière complexe et élaborée, plus il est difficile de valoriser les matériaux. Lors du traitement des alliages et des plastiques, un polymère de base est chargé avec des additifs. Ainsi, la simplification de l'éco-conception est nécessaire au développement de l'économie circulaire. Lorsque les matériaux sont collés, il est difficile de les séparer. Par exemple, une fois que le cuivre a pénétré la matrice de l'acier, ce qu'on appelle le « cuivre allié », il n'est plus possible de l'extraire. Il existe toute une réflexion en ce qui concerne la métallurgie, notamment le zinc et le traitement de surface. S'agissant de l'anticorrosion, il existe des problèmes sur les matières, que nous gérons de gré à gré, entre la phase à froid que nous opérons et la phase à chaud, effectuée par l'industrie consommatrice.
En quoi les filières du recyclage pourraient-elles favoriser la réindustrialisation et la relocalisation de l'industrie en France ?
Les filières du recyclage favorisent déjà aujourd'hui la réindustrialisation. Un dialogue permanent avec l'ensemble des secteurs industriels permettrait de l'accélérer. Plus le démantèlement sera financé en amont, plus la mise à disposition des ressources sera facilitée au bénéfice de l'industrie locale. Il convient de maintenir un dialogue permanent entre les metteurs en marché, représentés par leurs éco-organismes sur la partie financement écoconception, les recycleurs et les industries consommatrices, ce qui est un des avantages du CNI.
Le fait que nous disposons de matières à trier sur le territoire français doit favoriser l'émergence en circuits courts de filières. Nous avons ainsi à notre disposition les matériaux nécessaires à la réindustrialisation du pays. Nous pouvons, certes, améliorer les méthodes de tri et la productivité du recyclage, mais à condition de faire émerger des filières. Les sources se trouvant à proximité, il ne serait pas judicieux de chercher à se fournir au motif que nous ne disposons pas des filières de recyclage nécessaires. Il est ainsi dommage que les pots de yaourt soient triés en France puis envoyés aux Pays-Bas pour y être recyclés.
La commande publique représente 12 % du PIB et il s'agit de notre point de vue d'un levier considérable encore sous-exploité. En effet, si l'ensemble de la commande publique, dont celle des collectivités locales, sollicitait des produits éco-conçus et incorporant des matériaux recyclés, le développement des filières du recyclage serait accéléré. Lorsque nous avons tenté d'aborder ce sujet dans la feuille de route de la loi AGEC, nous avons trouvé l'État un peu timide sur ces sujets puisque les obligations qui ont été intégrées dans la loi correspondent dans les grandes lignes à ce que nous savons faire aujourd'hui. Ce phénomène sera certes itératif, mais il est nécessaire d'approfondir ce sujet.
Nous partageons votre inquiétude sur les matériaux qui sont envoyés à l'étranger afin d'être recyclés, ainsi que votre point de vue sur le recyclage comme source de matières premières avec l'idée de « mine ouverte ». Comment serait-il possible de favoriser la valorisation sur le territoire national ? À partir de quel volume cet objectif pourrait-il être atteint ? En tant que parlementaires et en tant que citoyens, nous souhaitons contribuer autant que possible à une accélération de l'activité de l'industrie, à une réduction de nos dépendances extérieures et à un développement de l'emploi sur notre territoire. Que pouvons-nous faire afin d'éviter que le traitement de ces matières premières ne soit délocalisé à l'étranger ?
Premièrement, dans le secteur de l'énergie, nous manquons des filières de combustible solide de récupération (CSR) alors que ces produits sont devenus aujourd'hui stratégiques : en effet, nous savons les trier et nous les exportons. De plus, ces filières représentent des coûts d'investissement et des volumes relativement faibles. Ces produits sont par exemple utilisés dans les pays nordiques, en Suisse et en Allemagne pour chauffer des piscines urbaines.
Deuxièmement, dans la filière des biodéchets, la méthanisation se développe. Cette source d'énergie amalgame à la fois des déchets émis par les ménages, par les industriels et par la filière agricole. Il s'avère donc délicat d'évaluer avec précision le volume nécessaire pour développer les filières. Par exemple, bien qu'il s'agisse d'un enjeu essentiel, il est très difficile de faire émerger des filières de sidérurgie, par exemple les aciers au manganèse utilisés dans l'armement pour les blindages d'engins militaires.
Le système est tout d'abord tiré par la demande manufacturière avec la construction d'objets en France. Il existe ensuite une demande de matériaux, tels que le verre, le papier carton pour les emballages, le métal et le plastique. Nous nous adaptons donc à cette demande et ne rencontrons pas de difficulté particulière en termes de volume. Par exemple, nous rassemblons des flux de différentes natures, comme du bois qui provient de l'emballage mais également des meubles, et nous fournissons ainsi l'industrie panneautière. La difficulté réside donc moins dans les volumes que dans les implantations industrielles. Lorsqu'une installation industrielle est mise en place, les coûts environnementaux ont considérablement augmenté, au bénéfice de tous. Lors du traitement des fumées, y compris dans nos installations puisque nous traitons désormais les rejets dans l'air des broyeurs automobiles, il convient de trouver un équilibre en termes de prix de revient, compte tenu du gisement disponible, que nous savons calculer, et de coût du procédé afin que le coût à la tonne soit optimisé. Nous nous inscrivons dans une chaîne.
Pensez-vous que nous pouvons réussir à atteindre des coûts de matières premières compétitifs, notamment pour les produits triés qui repartent dans le recyclage ? Les masques sanitaires que vous portez contiennent du polypropylène. Plusieurs solutions, qui ne sont pas encore industrielles mais restent artisanales, permettent de récupérer les billes de polypropylène. Certaines d'entre elles engendrent des coûts bien supérieurs à ceux produits à partir du pétrole par ExxonMobil tandis que d'autres parviennent à atteindre des coûts équivalents. Existe-t-il donc des possibilités de concurrence juste entre une matière première issue du recyclage et une matière première brute ?
Il est difficile de répondre de manière globale. Il convient tout d'abord d'évoquer la question de la comparaison entre les produits du recyclage et les matières vierges ou matières fossiles. Leurs cours mondiaux connaissent des fluctuations importantes auxquelles le prix des matières recyclées s'ajuste de manière assez naturelle. Par exemple, lorsque le cours du minerai de fer baisse, l'acier frais devient plus compétitif, et nous ajustons alors le prix d'achat aux collectivités locales qui vont ainsi voir baisser le prix de reprise des ferrailles.
Afin de soutenir de manière durable la compétitivité de l'industrie du recyclage, il conviendrait de diminuer le prix de l'électricité puisqu'il s'agit de l'un de nos principaux facteurs de coût et de faciliter l'incorporation des matériaux et de consolider la demande. Nous avons connu des moments difficiles, notamment lorsque pendant la crise sanitaire, le prix du pétrole est devenu négatif et les acheteurs se sont retournés vers le marché des matières vierges. Nous étions alors très inquiets pour l'industrie du recyclage du plastique, qui a connu un fort déclin de la demande. Il nous revient aussi d'améliorer la productivité au quotidien, avec une innovation permanente des technologies de tri, de la protection liée à l'air et de la protection incendie. À travers le CSF, différents axes sont développés en ce qui concerne l'intégration du numérique dans nos installations, la robotisation et l'innovation.
Pensez-vous que l'État ou les collectivités locales peuvent vous aider à consolider la filière et la demande ?
C'est principalement à travers la commande publique de matériaux intégrant du recyclé que l'État et les collectivités locales peuvent nous apporter une aide concrète. Actuellement, ce dialogue est déjà relativement engagé avec l'ensemble des acteurs et nous sommes incités par les différents ministères à travailler avec l'ensemble de la chaîne de valeur.
Il est nécessaire de mettre en place des incitations à consommer des matières recyclées. Lorsque la matière vierge coûte moins chère que la matière recyclée en raison de l'effondrement du cours du pétrole, l'opportunité se présente pour certains d'améliorer leur compétitivité. Il convient cependant d'éviter de prélever dans la nature des matières vierges dont le stock n'est pas inépuisable et de favoriser l'économie circulaire par l'utilisation des matières recyclées et par l'identification de produits à manufacturer qui les incorporent. En tant que consommateurs, les citoyens peuvent également favoriser les produits issus de matériaux recyclés. Lorsque la matière vierge vaut moins cher que la matière recyclée, devons-nous continuer à acheter du pétrole pour produire du plastique vierge ou utiliser la ressource qui est à notre portée et qui sera de toute façon triée ? Devons-nous couper des arbres pour produire de la matière vierge ou plutôt utiliser le papier recyclé ?
L'affichage environnemental, qui a été introduit dans la loi AGEC constitue une clé pour rendre lisible auprès du consommateur citoyen l'intérêt d'acheter des produits contenant des éléments recyclés. Vingt ans auparavant, consommer des produits recyclés n'était pas très vendeur mais c'est aujourd'hui le cas puisque certaines marques font le choix de ne consommer que ce type de produits. On pourrait imaginer un « recyscore » analogue au Nutriscore des produits alimentaires, qui rendrait les enjeux plus lisibles pour le consommateur.
Nous demandons à être partie prenante puisque nous avons connu des déboires, notamment lorsque le polyéthylène téréphtalate (PET) avait été incorporé dans des bouteilles de lait supposées recyclables, causant ainsi des problèmes dans les installations de tri. Il est ainsi absolument indispensable que les acteurs de la filière de valorisation des déchets soient associés au travail sur la notion de recyclabilité. Nous travaillons sur cette question dans le cadre du CSF traitement des déchets qui sera présenté cet après-midi pour discuter de la notion de mesure de la recyclabilité.
Enfin, la question du dioxyde de carbone (CO2) doit être prise en compte dans ces réflexions. En effet, le recyclage engendre des bénéfices environnementaux. Par exemple, le recyclage de l'aluminium permet d'économiser une quantité considérable de CO2 et d'énergie en évitant l'effort nécessaire à l'extraction de la bauxite. Nous concentrons donc également notre réflexion sur les moyens d'intégrer cet avantage dans l'économie réelle. Nous avons notamment réalisé avec l'ADEME une étude publiée en avril 2017 sur l'évaluation environnementale du recyclage en France qui a mis en avant ces éléments et que nous utilisons dans notre argumentaire au niveau européen.
Avez-vous réussi à évaluer les économies d'émissions de gaz à effet de serre dans chaque filière ?
C'est en effet l'objet de cette étude que nous avons réalisée avec l'ADEME, qui a d'ailleurs donné lieu à la création d'un logiciel que nous avons mis à la disposition des territoires et de la Commission européenne. L'économie potentielle de CO2 liée au recyclage sur le territoire français s'élève en 2014 à 22,5 millions de tonnes d'équivalent CO2, bien que nous n'ayons pas réalisé cette estimation de manière exhaustive mais plutôt en nous concentrant sur les grandes masses même si cela est très substantiel sur la ferraille, les métaux et les plastiques.
Avez-vous le sentiment de contribuer grâce au recyclage à l'indépendance et à la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières ?
Les consommateurs industriels et ménagers sont détenteurs des matériaux collectés. Étant donné que le niveau de consommation en France ne risque pas de s'effondrer, l'approvisionnement est selon moi sécurisé. Tant que la population française conserve sa dynamique de croissance, les perspectives devraient être intéressantes. A l'inverse, une diminution de la population française ou une délocalisation des industries seraient susceptibles d'engendrer une réduction des volumes.
Dans les réseaux de broyage automobile, nous sommes souvent étonnés de constater les quantités de cuivre résiduel que nous retrouvons. Vous n'imaginez pas les progrès qui ont été réalisés ces dernières années pour récupérer les résidus de cuivre et de métaux. Dès lors, si la demande de raffinerie de cuivre n'est pas suffisante en France, le cuivre sera exporté. Actuellement, la majorité du cuivre est exportée et sa fusion n'est pas effectuée en France mais plutôt en Allemagne ou dans d'autres pays d'Europe. Ainsi, comment pouvons-nous relocaliser les industries lourdes afin de conserver ces ressources sur notre territoire ?
Il existe également des enjeux liés aux véhicules électriques et au déploiement de la fibre optique puisque de nombreux câbles en cuivre seront mis à disposition des véhicules électriques et de toutes les infrastructures sous réserve que le cuivre reste en France.
La source est donc totalement sécurisée. Notre intérêt porte sur l'émergence de filières de proximité dans une logique de circuit court de consommation. Depuis la fermeture de la Fonderie de cuivre du Palais-sur-Vienne, qui était l'une des dernières usines françaises d'importance, les chefs de file dans ce secteur se situent en Italie, en Allemagne ou encore en Espagne.
Avez-vous identifié d'autres filières qu'il serait pertinent de relocaliser sur le territoire ?
Nous n'avons pas de préférences : toutes les relocalisations profiteront à la France et nos filières. Il serait pertinent de relocaliser l'industrie dans l'ensemble des secteurs. Des filières de production du cuivre permettraient à la France de ne plus être dépendante des autres pays pour les cartes électroniques et donc d'éviter les crises que traverse actuellement notre industrie. Par ailleurs, si nous souhaitons entrer en compétition pour le fer à béton avec les sidérurgistes turcs ou italiens, le produit fini devra nécessairement être compétitif pour l'industriel consommateur et les entreprises du bâtiment. Il reste ainsi beaucoup à mettre en œuvre sur les filières stratégiques.
Le taux d'incorporation de l'acier français s'élève à 49 %, tandis qu'il est de 69 % aux États-Unis. Nous partageons ainsi ce type de données, nous en donnons les clés de lecture et les raisons historiques, puis nous élaborons des propositions et soutenons les obligations d'incorporation qui permettent de sécuriser les filières. En effet, l'investisseur, c'est-à-dire par exemple le sidérurgiste, sera rassuré sur la demande et il sera alors beaucoup plus aisé pour nous de trouver un accord avec lui.
J'ai été agréablement surpris d'apprendre que les exportations se dirigeaient majoritairement vers l'UE et non vers le grand export. Vers quels pays européen les matériaux sont-ils principalement exportés ?
Cela dépend des filières. Le plastique est exporté majoritairement vers l'Allemagne, l'Espagne, la Turquie, ainsi que la Pologne dans une moindre mesure. Les aides européennes ont en effet permis de renforcer l'industrie de l'Europe de l'Est, notamment sur le plastique. Les exportations de métaux ferreux se dirigent en grande partie vers l'Italie, où il existe une tradition sidérurgique ancienne, l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique. Les métaux non-ferreux sont exportés vers l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, l'Italie et les Pays-Bas. Le verre est principalement destiné à une consommation locale, bien qu'environ 7 % à 10 % de la production soit exportée en Allemagne et en Belgique. Les papiers cartons sont consommés en Allemagne, en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Le bois est principalement utilisé pour produire de la chaleur, notamment dans les pays scandinaves, qui possèdent très peu d'énergies fossiles et qui ont ainsi beaucoup bénéficié de l'énergie issue des déchets de bois. L'Allemagne et l'Espagne tirent également une partie des exportations de bois.
Les seules ressources qui quittent nos pays voisins sont exportées en raison de l'absence de filière, très souvent pour des produits à faible valeur recyclée ou des produits composites. Par exemple, étant donné que la quasi-totalité des usines de fabrication de réfrigérateurs se situe en Asie du Sud-Est, les consommateurs du plastique extrait de ces réfrigérateurs sont majoritairement situés dans cette région du monde. Dans la mesure où nous ne disposons pas d'une filière de ce type en France, il n'est donc pas pertinent de limiter l'exportation de ces produits. Je pense donc que 99 % des exportations hors UE s'expliquent par l'absence de filières performantes.
Existe-t-il en France des filières d'excellence et importons-nous de la matière triée depuis l'UE pour la recycler sur notre territoire ? Vous évoquiez la performance française comme l'une des meilleures au niveau mondial mais les chiffres que vous avez mentionnés semblent indiquer le contraire.
La France est par exemple très performante dans la filière des papiers et cartons. En effet, 92 % du carton issu du recyclage est utilisé pour fabriquer du carton, là où la moyenne européenne s'élève à 75 %. Au global, dans la grande famille des papiers cartons, 72 % des papiers cartons issus du recyclage sont utilisés pour produire des matières recyclées, contre 56,3 % en Europe.
Une partie des achats est nécessairement réalisée localement. Par exemple, une entreprise sidérurgique dans le nord de la France est susceptible de s'approvisionner en France, mais également en Belgique et en Allemagne, ce qui est normal et s'explique par la proximité.
Pouvez-vous nous donner des précisons sur le projet retenu pour le site de la Chapelle-Darblay, qui est emblématique, dans la filière des papiers et cartons, de l'économie circulaire que nous essayons de mettre en place sur le territoire afin de réduire notre dépendance aux achats extérieurs ? Il semble qu'une capacité de tri soit maintenue sur le site de la Chapelle-Darblay mais que l'unité de recyclage soit transférée vers l'Allemagne ou vers les Pays-Bas.
L'une des explications qui ont été avancées consiste à dire que le site serait victime du déclin structurel de la presse imprimée. Dès lors, la survie de la filière des papiers cartons est-elle dépendante du marché de la presse ou bien existe-t-il d'autres solutions pour soutenir ces filières ?
Il est en effet nécessaire d'évoquer la crise importante que traverse depuis quelques années la consommation de papier et en particulier de papier journal. De manière globale, la lecture des journaux, revues et magazines connaît un déclin considérable. Ainsi, depuis une dizaine d'années, nous observons une baisse régulière de l'ordre de 5 % à 6 % de la consommation de papier journal issu du recyclage, ainsi qu'une accélération de cette tendance ces dernières années puisqu'une baisse de l'ordre de 14 % a été observée en 2019, et de l'ordre de 20 % en 2020. Cette accélération a été malheureusement accentuée par la pandémie, ce qui a engendré la fermeture de la papeterie de la Chapelle-Darblay en raison d'un surplus d'offre par rapport à la demande. Après avoir fermé l'une de ses deux machines quelques années auparavant, United Paper Mills (UPM) a décidé de réguler le marché en fermant cette seconde unité.
Un rééquilibrage s'est aujourd'hui fait sur le marché : la baisse a été dans un premier temps beaucoup plus importante en termes de consommation que de production. La production est cependant toujours excédentaire à l'échelle européenne. Globalement, ce marché fonctionne en circuits assez courts. Le papier consommé par l'unité de la Chapelle-Darblay, qui correspondait à 40 % de la demande, n'est certes plus produit mais il n'est également plus collecté. On ne se retrouve donc pas aujourd'hui avec un excédent non recyclé, c'est-à-dire celui utilisé auparavant par l'unité de la Chapelle-Darblay, qui se retrouverait disponible et dont nous n'aurions pas eu l'utilité. Pendant une phase très courte, quelques matériaux ont été acheminés vers les autres unités d'UPM en Allemagne mais un rééquilibrage rapide a eu lieu. Un site papetier pourrait éventuellement être installé à la Chapelle-Darblay puisque nous sommes aujourd'hui excédentaires de 1,3 million de tonnes en termes de collecte par rapport à la consommation des entreprises papetières en France. Il existe donc théoriquement des débouchés pour une autre papeterie mais pas pour un papetier qui fabriquerait du papier journal issu de papier recyclé.
Il semblait néanmoins que des projets pouvaient être mis en œuvre sur la filière cartons plutôt que sur la filière papiers. Il existe par ailleurs une incompréhension du choix d'avoir un triage et un export de papier vers les unités UPM d'Allemagne où sera réalisé le recyclage alors que l'usine de Chapelle-Darblay abritait la première unité de recyclage des papiers cartons de France, à la fois d'un point de vue historique et en termes de volume avec environ 40 % du papier consommé en France.
L'usine de la Chapelle-Darblay ne constituait pas la plus grande unité de recyclage des papiers issus de la collecte en France mais était bien la plus ancienne. Le site de Norske Skog à Golbey dans les Vosges est ainsi le plus grand consommateur de papiers issus du recyclage avec 450 000 tonnes de matière consommée chaque année. Encore une fois, le marché s'est rééquilibré puisque les volumes collectés sont recyclés. La fermeture du site d'UPM à la Chapelle-Darblay n'a jamais entraîné l'enfouissement ou l'incinération de papier, ce qui serait d'ailleurs strictement interdit par le code de l'environnement. Ainsi, nous sommes toujours parvenus à trouver des solutions, notamment avec la modification du procédé industriel consistant à augmenter les capacités de consommation de papier issu du recyclage. Il existe également des acteurs européens qui nous permettront de recycler ces matières issues de la collecte.
Il est évident que le marché des matières recyclées est soumis à une fluctuation des cours qui influence considérablement cette industrie. Néanmoins, la ministre de la Transition écologique Mme Barbara Pompili et la ministre déléguée chargée de l'Industrie Mme Agnès Pannier-Runacher ont annoncé au mois de septembre dernier l'investissement de 370 millions d'euros supplémentaires sur la période 2021-2027, en plus des 200 millions d'euros déjà engagés pour l'économie circulaire afin de dynamiser l'ensemble du secteur. Ces montants vous semblent-ils suffisants pour accélérer le développement du tri mais aussi pour améliorer le procédé industriel de recyclage en aval ?
Jamais notre profession n'a été l'objet d'un tel intérêt de la part de nos gouvernants. Un plan de relance à hauteur de 500 millions d'euros a suscité une grande satisfaction au sein de notre secteur. Nous nous sommes immédiatement mobilisés pour le faire appliquer à différents niveaux. Nous avons ensuite été déçus de constater que, contrairement aux grandes entreprises du secteur qui ont l'habitude de solliciter les aides publiques, les PME et les ETI n'ont pas pleinement su saisir cette opportunité. Ainsi, nous nous réjouissons de l'engagement additionnel de 370 millions d'euros mais il sera nécessaire de mettre aussi en place quelques mesures d'accompagnement pour les PME et les ETI. Ces aides sont très ciblées, ce qui est souhaitable notamment pour sur les chantiers d'importance comme le combustible de substitution. En revanche, les PME, qui s'inscrivent plus dans la réactivité que dans la prospective, ne pourront pas autant bénéficier du plan de relance que les grandes entreprises si aucune initiative n'est prise à ce sujet.
Ce constat sur le place de relance est-il spécifique à l'industrie du recyclage ou a-t-il une portée plus globale ? En région Centre-Val de Loire et notamment en Eure-et-Loir, le plan de relance s'est diffusé jusqu'aux petites PME, qui ont réussi à obtenir un certain nombre d'investissements industriels pour développer des lignes de production.
En effet, mon constat se limite au secteur du recyclage. Nous sommes intervenus au salon Pollutec en octobre 2021 lors d'une table ronde où les entreprises des travaux publics étaient présentes et ont expliqué que tous les acteurs du secteur ont bénéficié du plan de relance indépendamment de leur taille. Nous sommes satisfaits du plan de relance puisque c'est la première fois que nous bénéficions de cette considération, même si nous aurions espéré des montants plus importants. Je réside en Haute-Savoie où de nombreuses entreprises ont également profité du plan de relance dans de multiples domaines, comme le décolletage. Cependant, il y a une difficulté des PME du secteur du recyclage qui n'ont pu adhérer au plan de relance malgré un intérêt immédiat pour le sujet.
Dès lors, la solution réside-t-elle dans l'accompagnement des PME pour qu'elles accèdent aux aides ou existe-t-il une réticence de la part des décisionnaires à ouvrir le plan de relance aux PME ?
Il convient plutôt d'accompagner les PME qui doivent se saisir des outils à leur disposition. Aujourd'hui, le montage d'un dossier leur paraît complexe. Par exemple, la création d'un centre de tri pour alimenter une usine de combustible de substitution nécessitera la présence de l'usine de CSR. Il convient selon moi d'aider la FEDEREC à monter un bureau d'étude avec un assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) pour aider les PME à accéder au plan de relance et adapter davantage le plan à sa cible.
La mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'Union européenne pourrait-elle contribuer à dynamiser filières industrielles françaises et de quelle manière ? Les emplois dans l'industrie du recyclage bénéficient-ils d'une bonne attractivité permettant d'absorber la demande ou rencontrez-vous des difficultés à recruter ?
Au premier abord, la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE nous semble souhaitable. Il s'agirait de taxer des produits fortement carbonés à l'importation en Europe. Un produit consiste en un ensemble de pièces qui peuvent venir de pays différents et composées de différents matériaux. La France bénéficie d'un mix énergétique très avantageux en termes de CO2 et de nombreux pays n'ont pas encore atteint cette performance. La mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE pourrait engendrer des difficultés de mesure. En effet, il s'agirait de rassembler toutes ces informations et de les faire objectiver sur une chaîne de valeur extrêmement complexe. Par exemple, dans le secteur de l'automobile, l'assemblage est réalisé par le constructeur mais il peut exister jusqu'à six niveaux de fournisseurs, ce qui impliquerait une grande complexité d'intégration de l'information. Bien qu'il ne s'agisse pas forcément de la solution idéale, il convient d'approfondir les réflexions et les travaux sur ce sujet. Nous travaillons actuellement sur le développement de la mesure du taux de matière recyclée dans les produits avec le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) dans le cadre des travaux de la filière valorisation des déchets.
Comme l'ensemble des secteurs, l'industrie du recyclage connaît actuellement un déficit de salariés. Notre filière emploie du personnel de très haut niveau tel que des ingénieurs, mais également de très nombreuses personnes peu qualifiées, notamment sur les centres de tri. La formation du personnel est très rapide pour les opérations basiques de tri et de contrôle. Au début de mon mandat, qui a commencé il y a un an, nous avons lancé un grand chantier sur la formation et je pense qu'à moyen terme, nous parviendrons à satisfaire la demande du secteur. Notre objectif est de recruter environ 10 000 salariés supplémentaires, soit 25 % des emplois actuels puisque notre convention collective concerne 31 000 salariés.
Dans le territoire frontalier où je réside, près d'Annecy, notre main d'œuvre est attirée par des emplois dans le pays voisin. Nous disposions de chauffeurs poids lourds précédemment formés par le service militaire, mais il n'existe aujourd'hui plus suffisamment de formation en la matière. Notre secteur souffre ainsi aujourd'hui d'une pénurie de salariés, comme la plupart des secteurs professionnels. Parallèlement, il existe des personnes au chômage certainement inemployables mais certaines filières du recyclage peuvent accueillir de nombreux employés très peu qualifiés.
Vos propos confirment ce que nous entendons beaucoup sur nos territoires respectifs, puisque les pénuries de recrutement sont considérables en ce moment et je conçois que ce phénomène soit accentué près de la frontière.
Merci beaucoup pour votre éclairage et vos réponses. Je vous propose éventuellement de les compléter par des éléments écrits si vous le souhaitez, que nous intégrerons à nos travaux.
L'audition s'achève à onze heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9 heures 30
Présents. – M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul
Excusés. – M. Frédéric Barbier, M. Eric Girardin