Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • greffe
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  • indépendance
  • juridiction
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La réunion

Source

La séance est ouverte à 16 heures 10.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend lors d'une table ronde de représentants de syndicats de greffiers :

- Mme Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

- M. Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, et M. Henri Ferréol Billy, secrétaire nationale

- M. Alain Richard, secrétaire général adjoint d'UNSA Services judiciaires

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Nous avons souhaité organiser une table ronde de représentants des principaux syndicats de greffiers. Nous recevons donc Mme Sophie Grimault secrétaire générale adjointe du syndicat des greffiers de France FO, M. Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, M. Michel Demoule, secrétaire général adjoint de ce même syndicat, et M. Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Sophie Grimault, M. Michel Demoule, M. Henri-Ferréol Billy et M. Alain Richard prêtent successivement serment.)

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

Le greffe n'est pas directement concerné par la question des obstacles à l'indépendance de la justice, mais il est concerné en ce que les greffiers travaillent avec les magistrats qui sont indépendants dans l'acte de juger. Le greffier est soumis à une obligation de neutralité et de secret professionnel et est au contact du magistrat. Néanmoins, nous avons rarement eu à débattre de l'indépendance de la justice au travers des personnels de greffe.

Pour que rien ne fasse obstacle à l'indépendance de la justice, il ne faut pas que celle-ci soit trop dépendante financièrement. Il faut qu'elle ait les moyens d'exercer son office. C'est là que pourrait être l'achoppement.

Même si des efforts ont été faits ces dernières années, les moyens dont dispose la justice souffrent de telles lacunes depuis tellement longtemps que le ministère de la justice demeure un ministère pauvre, au moins sur le plan du fonctionnement des juridictions.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

La commission d'enquête concerne l'indépendance du pouvoir judiciaire. Dans les questions qui nous ont été transmises en amont de la présente audition, il était davantage question « d'autorité judiciaire ». C'est un vieux débat.

Il existe une séparation des pouvoirs, mais si les pouvoirs exécutif et législatif sont élus, l'autorité judiciaire ne l'est pas. Une légitimité était jadis tirée de l'élection, car il existait des magistrats élus. Ce sont d'ailleurs les premières élections où les femmes ont été électrices et éligibles. Il s'agissait des conseillers prud'homaux. Mais un ministre de l'économie a fait voter il y a cinq ans une loi qui porte son nom, intégrant des dispositions sur la justice, qui a remis en cause cette élection démocratique de magistrats. Cette évolution constitue une attaque contre la démocratie.

Alain Richard a indiqué que les greffiers n'étaient pas directement concernés dans un premier temps par l'indépendance des décisions judiciaires. Toutefois, normalement les décisions des juges ne sont valables que si elles sont authentifiées par un greffier qui a prêté serment. Dans ce contexte, des pressions sont exercées de fait. L'indépendance des greffiers est mise en cause, dans le cadre de leurs attributions, par les pressions exercées sur eux par la hiérarchie, sachant qu'en dernière analyse la hiérarchie est constituée par les magistrats. Cela n'est pas sans poser problème.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Dans l'ancien statut des greffiers, de 2003, les greffiers rédigeaient selon les « indications » du magistrat. Avec le statut de 2015, les greffiers sont passés sous l'autorité du magistrat, car ils rédigent désormais selon les « directives » de celui-ci. Le passage « d'indications » à « directives » traduit un certain changement d'orientation.

On a vu aussi apparaître dans certains services des magistrats coordonnateurs qui empiètent sur le domaine du greffe. En principe, il existe d'un côté les magistrats et de l'autre le greffe. Or la tendance ces dernières années est de voir les magistrats empiéter sur le domaine du greffe. Ils empiètent ainsi sur un corps de catégorie A, le corps des directeurs des services de greffe judiciaires. Normalement, les magistrats prennent les décisions, le greffe les rédige et s'occupe de la partie administrative. Or certains postes qui devraient revenir à des directeurs de greffe sont occupés par des magistrats, et rarement pour le meilleur.

L'indépendance est aussi une question de moyens. Il paraît que le budget de la justice augmente, mais pour ce qui concerne les moyens de fonctionnement – l'argent que nous recevons pour acheter des stylos, du papier, etc. – la dotation diminue, ce qui pose plusieurs difficultés.

Sur le plan immobilier, des partenariats public-privé (PPP) ont été signés par le ministère de la justice, dont un concerne le tribunal de Paris. Or un PPP implique d'énormes contraintes. Lorsque vous êtes logés dans le cadre d'un PPP, vous ne pouvez pas gérer votre bâtiment comme vous le voulez, car c'est la société avec laquelle le PPP a été signé qui en est, de fait, propriétaire. Un appel d'offres a été lancé pour trouver une société venant contrôler la société qui gère le palais de justice de Paris. Cela pose de nombreuses difficultés. Que le ministère soit incapable de gérer lui-même directement son propre bâtiment, cela pose problème ! Il s'agit là d'un exemple monumental parmi d'autres.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Nous vous remercions de nous permettre de participer à ce débat.

Nous avons retenu quatre grands axes sur lesquels il nous a semblé indispensable de pouvoir débattre : l'indépendance du parquet et le rôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les instructions de la Chancellerie, les moyens pour y parvenir tant sur le plan humain que financier, et l'indépendance du greffe.

L'indépendance du parquet est pour nous mythe ou réalité du fait du rôle du CSM. La première étape d'une justice indépendante passe forcément et nécessairement par un parquet indépendant, dont les magistrats sont nommés exclusivement par le CSM. Le ministre de la justice ne doit pas avoir de pouvoir sur eux. On ne se rappelle que trop ce procureur qu'il a fallu aller rechercher dans l'Himalaya à la suite de décisions jugées inopportunes de son procureur adjoint !

Le CSM ne doit pas avoir qu'un simple avis également sur les sanctions. Tant que la Chancellerie pourra nommer les parquetiers, le doute subsistera.

S'agissant des instructions de la Chancellerie, que le garde des Sceaux conduise la politique pénale sur le territoire national est une chose, qu'il ait autorité sur les magistrats en est une autre. Le parquet reste un instrument d'action du garde des Sceaux.

Que dire, si ce n'est que le Gouvernement n'a toujours rien compris, avec une nouvelle lettre de la Chancellerie qui agace particulièrement les magistrats, où la direction des affaires criminelles leur rappelle comment traiter les éventuelles plaintes contre les élus pour cause de covid-19 ! Il est indispensable que ces pratiques cessent si l'on veut croire à l'indépendance des magistrats et leur conférer la légitimité qui est la leur.

Il est de notoriété publique que malgré toutes les réformes entreprises, soit l'institution judiciaire gère trop de dossiers pour que les magistrats et les greffiers puissent travailler convenablement, soit elle n'a pas les moyens nécessaires pour y parvenir. La justice et plus particulièrement les juridictions sont en état de délabrement. Des droits de retrait ont été opérés. Jean-Jacques Urvoas parlait de « clochardisation » de la justice. C'est dire ! Ces manques de moyens décrédibilisent la justice. Le manque de moyens et l'absence de volonté viennent aussi démontrer que, lors d'une crise comme celle que l'on vient de subir, la justice n'est pas à la hauteur, notamment en matière de télétravail. Si les magistrats sont dotés d'ultra-portables, c'est la préhistoire pour les fonctionnaires.

Si le statut du greffier prévoit qu'il est garant de la procédure, cette garantie ne se réalise que par l'apposition d'une signature sur les actes judiciaires. Ce blanc-seing n'est en réalité qu'une pure forme. Le greffier, de par sa position hiérarchique, est évalué par un supérieur qui est lui-même évalué par un magistrat et n'a pas les moyens juridiques nécessaires pour valider une procédure qu'il jugerait éventuellement illégale. Nombreux sont les cas où le greffier doit rappeler au magistrat son rôle d'authentificateur. Nombreux sont les cas où les notes d'audience ne sont jamais signées – on se demande bien à quoi cela sert ! La mise en place d'une équipe de juristes assistants ou d'assistants de justice autour du magistrat n'a fait qu'engendrer une grande confusion entre les rôles de chacun.

Une évolution du statut semble nécessaire. Un sentiment de frustration et de désabusement existe depuis longtemps chez les greffiers.

L'indépendance de la justice passe nécessairement par une véritable révolution budgétaire pour l'institution judiciaire, et non par des « semi-mesurettes » comme on a l'habitude d'en voir ; une véritable révolution du corps des magistrats du siège et du parquet notamment à l'égard du pouvoir exécutif ; et une véritable reconnaissance des fonctions de greffier par un transfert de compétences et un accès en « A » juridictionnel, comme nous l'avions déjà sollicité.

Le sentiment d'une justice à deux vitesses s'exprime, avec une crise de confiance dans notre institution.

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Le greffier assiste le magistrat au quotidien. Il n'y a pas plus près du magistrat que lui. Avez-vous déjà eu connaissance – personnellement ou par la voie syndicale – de manquements à l'obligation d'indépendance ou d'impartialité du magistrat ? En ce cas, votre statut, qui vous impose de garantir la sécurité juridique de la procédure, a-t-il été un poids que vous avez pu mettre dans la balance ou ces situations ont-elles été rapidement réglées par la position hiérarchique qui vient d'être rappelée ?

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

L'indépendance de la justice est une valeur fondatrice de notre institution. Des manquements ont pu se produire et pourront survenir de nouveau dans le fonctionnement quotidien, mais ils sont systématiquement sanctionnés. Chacun est extrêmement regardant sur ce point.

Des mesures de rétorsion sont prises à la moindre faute. Il existe une hiérarchie pour les personnels de greffe, mais aussi pour les magistrats. L'institution judiciaire est un microcosme où tout se sait très vite et où tout le monde connaît tout le monde. Des débordements ont pu se produire, et pourront se renouveler, mais ils sont très vite repérés.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Nous ne partageons absolument pas ce point de vue. Des débordements, il y en a régulièrement, pour ne pas dire en permanence, et des sanctions, pas souvent ! Tous les collègues dans les greffes ont été confrontés à des magistrats qui avaient commis des erreurs sur des dates et leur ont demandé de modifier des notes d'audience. On le sait davantage en cas de refus de leur part, bien sûr, mais nous le savons aussi quand ils ont accepté. C'est un vrai problème.

En dernière analyse, les greffiers sont sous l'autorité du magistrat – non pas le juge avec lequel ils travaillent, mais les chefs de juridiction. Dans ce cadre, il se produit régulièrement des abus de pouvoir, des demandes, et des pressions. Quant aux sanctions, il n'y en a pas. C'est plutôt le greffier qui s'oppose à la modification illégale, irrégulière qui lui est demandée qui subit des pressions et se voit menacé de sanctions.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Tout le monde a en tête ce qu'il s'est passé dernièrement à la Cour de cassation. Des conseillers se sont prononcés sur une affaire alors qu'ils avaient assuré des formations pour la société sur laquelle ils rendaient une décision. Or aucune sanction n'a été prise. Cet exemple a été médiatisé, mais il ne s'est rien passé par la suite.

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Ils seront entendus par la commission d'enquête la semaine prochaine, à huis clos.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Je rejoins la position de la CGT. Certains magistrats conduisent parfois des audiences sans greffier, et prononcent des décisions sans que pour autant cela les gêne. Il faut rappeler au quotidien le rôle du greffier, et lorsqu'on leur précise que le greffier est censé assister au délibéré ils répondent que « de toute façon, personne ne s'en est aperçu ». On est le bon petit soldat de l'ombre qu'on ne voit pas et à qui on peut demander tout et n'importe quoi. Certains acceptent, d'autres refusent. La problématique est là.

Nous avons aussi des collègues qui, pour avoir modifié des notes d'audience, se sont retrouvés en commission disciplinaire car pour une fois cela allait à l'encontre des intérêts du magistrat. Dans cette juridiction-là, on nous a dit qu'il était habituel de procéder ainsi lorsqu'une demande de rectification de note d'audience était émise. À chacun son rôle, à chacun ses fonctions. Le problème de l'autorité hiérarchique placée au-dessus du greffier – et qui évalue, et peut intervenir à de nombreux niveaux – est essentiel.

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

Nous parlons moins de l'indépendance de la justice que de dérives internes. Il y a eu et il y aura encore des pressions, mais dès l'instant où le greffier fait valoir ses prérogatives, le magistrat n'a généralement aucun intérêt à faire pression. Cela n'est toutefois pas forcément facile. Il est difficile pour un greffier de s'opposer à un magistrat qui souhaite sortir du strict cadre juridique.

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Quelles sont les méthodes de résolution de ces divergences ou différences d'appréciation ? Cela se gère-t-il directement entre le magistrat et le greffier ou cela remonte-t-il par la voie hiérarchique des deux côtés ? Existe-t-il une voie de médiation interne au sein du tribunal ? Les syndicats sont-ils impliqués ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Jeune greffier, j'ai été confronté à cette difficulté au tribunal correctionnel de Créteil. En tant que greffier, je note ce que j'entends à l'audience, et personne ne peut dire le contraire. C'est moi qui atteste de ce qui a été dit. Cependant, une différence peut se produire parfois entre ce que dit le magistrat et ce qu'il a dans la tête. Mais si le magistrat dit « blanc », j'écris « blanc », je n'écris pas « noir » ! Une fois, le magistrat n'a pas accepté ce que j'avais noté alors que c'était ce qu'il avait dit, et j'ai subi une pression de ma hiérarchie pour corriger ma note d'audience.

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Un enregistrement audio des audiences n'est-il pas effectué en parallèle ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Ce système existe en Espagne, mais pour que les greffiers ne soient pas à l'audience. Nous nous y opposons. Il est important que le greffier soit à l'audience pour noter ce qui est dit. De plus, les greffiers ne sont pas là uniquement pour cela, ils travaillent en même temps. Quand j'étais à l'audience, je rédigeais mes décisions, je sortais les décisions déjà rendues, etc. Il est important que nous soyons à l'audience et qu'il n'y ait pas d'enregistrement – sauf en cour d'assises.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Nous avons déjà rencontré ce type de situation, notamment des audiences reprises sans le greffier. Il n'existe pas de voie de recours, à part en référer à son supérieur hiérarchique qui régulièrement vient vous dire de ne pas faire d'esclandre. Bien souvent tout cela finit devant le président de la juridiction pour un jugement sans signature du greffier qui convient à tout le monde et où le rôle d'authentificateur du greffier n'est pas respecté – mais tout le monde en fait fi !

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De telles décisions ont-elles déjà été contestées ? Comment cela s'est-il passé ? Un greffier a-t-il fini par apposer une signature à un moment donné ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Plusieurs décisions judiciaires ont été prises, dont certaines sont allées jusqu'en Cour de cassation. Des décisions ont été cassées soit en raison de l'absence de signature du greffier, soit parce que quelqu'un avait signé à sa place. Cela est arrivé notamment devant la chambre criminelle en septembre 2017. Il a été rappelé à cette occasion que seul le greffier présent au moment de la décision pouvait signer, et personne d'autre. De toute façon, faire appliquer une décision sans signature du greffier paraît légèrement compliqué !

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Quelles modifications verriez-vous dans votre rôle et dans votre statut pour mieux garantir la validité et la sécurité juridique de la procédure ? Avez-vous des propositions à nous faire ?

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

De même que l'indépendance des magistrats du siège est garantie, et que celle des magistrats du parquet devrait l'être – Sophie Grimault l'a évoqué plus haut, et le Syndicat de la magistrature est sur la même position –, il faudrait aussi que les personnels de greffe ne soient pas en dernière analyse sous l'autorité des magistrats. Car les magistrats ne font jamais d'erreur, bien sûr ! Ce n'est pas possible ! Soit le greffier a mal compris, soit on lui fait comprendre qu'il a intérêt à modifier. Il est arrivé qu'en cas de refus d'un greffier de signer une décision celle-ci soit signée par quelqu'un de sa hiérarchie, en toute illégalité.

Dès lors que les greffiers sont là pour authentifier les actes et garantir le respect de la procédure, ils ne devraient pas être sous l'autorité de fait des magistrats. Le juge n'a pas autorité sur le greffier – même s'il exerce des pressions sur lui. En revanche, le greffier dépend de sa hiérarchie qui, elle, est placée sous la hiérarchie des chefs de juridiction. C'est là qu'un problème se pose. Il faudrait effectivement que les personnels de greffe ne soient plus sous l'autorité des chefs de juridiction.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Cela induit plusieurs modifications dans le code de l'organisation judiciaire, qui édicte les liens hiérarchiques entre les magistrats et les directeurs de greffe, ainsi que dans le dernier statut des greffiers qui date de 2015.

Nous sommes opposés à ce statut qui a entraîné plusieurs reculs notamment sur la grille indiciaire des greffiers. Nous pourrons en parler, car il s'agit d'un métier féminisé, où les rémunérations sont évidemment insuffisantes.

Dans l'article 4 du statut qui édicte les fonctions occupées par le greffier, il faudrait retirer le terme « directives » et revenir sur celui « d'indications », comme je le signalais plus haut.

Certaines modifications seraient donc bienvenues

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Nous avions demandé comme les autres organisations syndicales la révision de la gouvernance des juridictions, notamment concernant la dépendance du directeur de greffe à l'égard des chefs de juridiction.

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Voudriez-vous que le directeur de greffe soit au même niveau que le président et que le procureur de la République ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Oui, il faudrait une triarchie comme dans les hôpitaux, et non plus une dyarchie. Dans les hôpitaux, quelqu'un « gère la boutique » pendant que les médecins exercent leur métier. Nous souhaiterions une situation comparable dans les juridictions.

Toutefois, il existe des luttes de pouvoir. Des magistrats occupent souvent des postes à responsabilités qui devraient être dévolus à des directeurs. Le poste de directeur délégué à l'administration judiciaire sur le ressort de la cour d'appel de Paris est ainsi occupé par un magistrat et non par un directeur. De même, le directeur de l'École des greffes est un magistrat.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Nous avons des magistrats tellement compétents qu'ils sont dans tous les secteurs. Ainsi, certains sont délégués à l'équipement ! A priori, ils ont pourtant fait des études de droit, comme moi, et non des études d'équipement.

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Je peux croire à la reconversion, mais l'argument est effectivement légitime.

En quoi selon vous les moyens conditionnent-ils la capacité d'indépendance du magistrat au parquet et au siège ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Prenons l'exemple de l'informatique. Tout le monde connaît le niveau informatique de notre ministère et les avancées technologiques fulgurantes qui s'y produisent.

Nous sommes dépendants des sociétés fabricantes des logiciels que nous utilisons. Si nous voulons programmer une mise à jour pour mettre en application une loi, une modification du logiciel est nécessaire. Or il faut payer les sociétés pour apporter ces modifications, mais des lignes budgétaires étant déjà affectées à certaines évolutions nous ne pouvons pas le faire. En ce cas l'évolution souhaitée est reportée d'un an faute de moyens.

En matière immobilière, nous sommes également dépendants. Pour organiser une conférence au palais de justice de Paris, installer des micros, une estrade, etc., il faut payer. C'est complètement délirant ! Nous dépendons énormément des sociétés privées dans le domaine immobilier comme en informatique. Il existe une indépendance dans les décisions prises, mais nous n'avons pas les moyens nécessaires à un bon fonctionnement.

L'argent du ministère de la justice détermine aussi la politique pénale. Des consignes du parquet sont ainsi données aux officiers de police judiciaire (OPJ) pour signaler que les moyens manquent pour faire des écoutes, ou des prélèvements, etc., et pour les pousser à inciter les gens à déposer une main courante plutôt qu'à déposer plainte. De toute façon, c'est l'argent disponible qui déterminera la suite de l'enquête.

Depuis la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), le système nous opprime presque. Ainsi, le niveau de consommation des crédits alloués au fonctionnement courant – stylos, papiers, etc. – détermine le montant des crédits alloués l'année suivante, alors qu'il varie d'une année sur l'autre. Mécaniquement, ce montant diminue au fil du temps. Ce système est complètement absurde. Certains années, on a demandé aux gens de venir avec des ramettes de papier pour imprimer les décisions.

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

Des moyens sont nécessaires pour payer les frais de justice, les experts, et pour faire des analyses. Or en cours d'année, le budget n'est plus suffisant. À force d'avoir attendu leur règlement, beaucoup d'experts ne répondent même plus aux sollicitations des magistrats enquêteurs. C'est gravissime, car cela signifie que, selon que vous saisissez la justice en mars ou en octobre, vous ne recevez pas le même traitement judiciaire. En effet, de décembre à mars, il n'y a plus d'argent dans les caisses !

Certains logiciels ne sont pas compatibles entre eux, notamment au pénal, ce qui fait d'ailleurs perdre de l'argent à l'État. En effet, le ministère de la justice peine à faire payer les amendes des quatre premières classes qui ne sont presque plus traitées faute de personnel et du fait de l'incompatibilité des logiciels de la gendarmerie et de la police nationale avec celui du ministère de la justice.

Il existe d'autres exemples. Ainsi, le télétravail est impossible pour la chaîne civile car les logiciels, trop vieux, ne peuvent être utilisés à domicile.

Tout cela conduit à fragiliser le fonctionnement de la justice, ce qui n'est bon ni pour l'institution elle-même ni pour les citoyens ni pour le justiciable.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Ce manque de moyens décrédibilise la justice car il entraîne un allongement important des délais, notamment pour les victimes qui attendent un dossier. La justice ne fonctionne que grâce au dévouement des fonctionnaires. Il ne faudrait surtout pas l'oublier, ni oublier à quel prix cela se fait.

Le budget par habitant consacré par la France à la justice est dérisoire par rapport à l'Allemagne. En pourcentage du PIB, la France arrive en 23ème position sur les 28 pays de l'Union européenne. Des pays beaucoup moins développés que la France ont un taux plus important. C'est quand même extraordinaire !

Le seul message du ministère est d'annoncer le recrutement de contractuels pour « venir nous aider ». Qu'est-ce qu'un contractuel embauché pour deux mois pourra bien faire, malgré toute sa bonne volonté ? Il y a un minimum de réalisme à avoir, et un peu moins de mépris. Ce ne serait pas mal.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Nous avons évoqué les moyens matériels, mais il faut mentionner aussi les moyens humains. Les effectifs de greffiers ont fortement augmenté depuis quelques dizaines d'années, mais cela s'est équilibré avec les effectifs de personnels administratifs, qui ont diminué, et les effectifs de personnels techniques qui ont pratiquement disparu. En réalité, au total, les moyens n'ont pas vraiment augmenté.

Il y a trente ans, les greffiers étaient au nombre de 3 000. Ils sont environ 10 000 aujourd'hui. Cependant, des milliers de personnels administratifs sur les 15 000 existants faisaient fonction de greffiers sans avoir ni la formation ni la veille nécessaires. Ils étaient d'autant plus soumis aux pressions du fait de ces carences.

De ce point de vue, il ne s'est pas produit de réelle augmentation globale des effectifs. Certains greffiers continuent donc à ne pas assister aux audiences – ou seulement à une partie – parce qu'ils ont trop de travail. Des décisions sont prises de manière totalement irrégulière. Mais ces pratiques sont entrées dans les habitudes et sont donc rarement remises en cause, en tout cas jamais par la hiérarchie.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

En assistance éducative, la majorité des greffiers n'assistent pas aux audiences. Le magistrat signe seul sa décision et cela convient à tout le monde.

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

Bien souvent, les avocats ne relèvent pas non plus l'absence de greffier à l'audience. Pour ce qui est des dossiers relatifs aux mineurs, le manque de moyens et d'effectifs est tel, le greffier est tellement débordé, que le magistrat se débrouille seul car il faut que la machine avance. Tout le monde « marche dans la combine », par manque de moyens. Des cabinets supplémentaires sont parfois créés, mais il y manque soit le greffier, soit le magistrat.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

En 2018 et 2019, 248 postes ont été supprimés au niveau national. Au vu du phénomène de déjudiciarisation et de la fusion des juridictions au 1er janvier dernier, au moins 200 suppressions de postes devraient survenir cette année. Une politique de suppression de postes est à l'œuvre.

Nous avons connu une période très dure où les postes de greffiers vacants étaient très nombreux. Il y en a toujours. Les greffiers stagiaires sont alors utilisés pour remplacer les titulaires. Or un greffier stagiaire est stagiaire, et dépend de l'École des greffes et non de la juridiction où il sera titularisé.

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Vous est-il arrivé de voir un magistrat se refuser, dans le cadre de son enquête, à utiliser des moyens théoriquement à sa disposition – moyens d'expertise, notamment – pour des raisons budgétaires ?

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Je n'ai pas d'exemples directs, mais des consignes sont données pour dire qu'il est préférable d'éviter de faire telle ou telle démarche en raison du peu de moyens disponibles.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Les magistrats s'autocensurent avant même de pouvoir ordonner la décision. Ils suivent les consignes.

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Je vous remercie de participer à cette table ronde.

Notre commission d'enquête portant sur l'indépendance de la justice, il nous a semblé nécessaire de vous auditionner en tant que greffiers. Il existe en effet une chaîne de responsabilités globale. On pense toujours aux magistrats lorsque l'on parle de la justice, mais il n'y a pas que les magistrats. Les greffiers, et de nombreuses autres personnes, concourent à l'œuvre de justice – donc à la notion d'indépendance qui l'accompagne.

Vous avez remarqué que notre commission portait sur l'indépendance du « pouvoir judiciaire » et que le questionnaire qui vous avait été transmis parlait « d'autorité ». La commission d'enquête a été demandée par un groupe politique qui parle de « pouvoir ». En tant que rapporteur, j'ai repris dans les questions que je vous ai transmises le terme « d'autorité » figurant dans la Constitution. Il s'agit cependant d'un vrai débat politique, que nous ne trancherons pas dans le cadre de la commission.

L'œuvre de justice ne peut pas être infinie. Un équilibre entre coûts et avantages doit être trouvé, pour les expertises notamment. Il est normal qu'un choix soit fait à un moment. Il peut être plus ou moins bon, ou plus ou moins contraint, mais je ne connais pas de système sans limite financière.

Pour avoir été magistrat pendant près de quatorze ans, j'ai toujours considéré le rapport au greffier comme un rapport d'équipe judiciaire et de confiance. Rien ne peut se faire, pour un juge d'instruction, sans un greffier. Une confiance indéfectible est nécessaire entre eux. Ce rapport de confiance vous paraît-il insuffisant ou n'existe-t-il plus selon vous ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Auparavant greffier, je suis devenu directeur. Dernièrement, j'ai tenu des audiences en raison d'une situation de sous-effectif.

Le greffier et le magistrat forment une équipe – notamment dans les cabinets d'instruction qui sont les plus réputés en la matière. Cela se retrouve aussi dans les cabinets des juges aux affaires familiales et des juges des enfants. Le système est différent dans d'autres services – correctionnels, civils – où les personnels tournent davantage.

Il existe cependant toujours un lien. Il s'agit évidemment d'une question de personne. Cela dépend aussi des rapports et de ce qui est appris en stage. Il arrive que certains magistrats aient la « grosse tête » et ne mesurent pas l'importance du greffier. Quant à savoir si une évolution est survenue sur ce point, il faut tenir compte aussi de ce qui est dit aux magistrats à leur sortie de l'École nationale de la magistrature (ENM). Certains anciens magistrats m'ont dit avoir senti une évolution des rapports.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

Jusqu'à récemment, les magistrats n'avaient pas à passer obligatoirement par le greffe dans le cadre des stages de l'ENM, alors que les greffiers seront leurs plus proches collaborateurs. Ils allaient en revanche faire un stage dans des cabinets d'avocats. Cela a évolué, ce qui est positif.

Pour autant, les équipes telles que vous les mentionnez restent plutôt propres aux cabinets d'instruction. Lorsque le magistrat n'est pas en contact direct avec un greffier ou un fonctionnaire de greffe, les relations ne sont pas du tout les mêmes.

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J'ai vu ce rapport entre greffier et magistrat ailleurs qu'à l'instruction.

Notre problématique n'est pas l'indépendance des greffiers par rapport aux magistrats, même si je comprends que vous en parliez, mais l'indépendance de l'autorité judiciaire dans son ensemble, dont les greffiers sont l'un des maillons.

Quel est le maillon faible ? Votre devoir d'impartialité et de neutralité, votre obligation de secret professionnel, sont-ils des garanties statutaires et déontologiques suffisantes pour que vous soyez protégés des velléités de rupture d'indépendance ? Dans certaines situations, nous avons vu qu'il était tout aussi aisé pour un organe de presse, par exemple, d'aller voir un greffier que d'aller voir un magistrat. Comment sentez-vous ces choses-là ? Êtes-vous en situation de risque et, en ce cas, êtes-vous suffisamment protégés par les règles existantes ? Vous n'avez pas, à l'instar des magistrats, de garantie d'inamovibilité, mais vous n'êtes pas soumis à une obligation de déplacement régulier comme les procureurs.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Le statut de 2015 a entraîné la création de postes fonctionnels, c'est-à-dire d'agents « dégageables » à tout moment. Si un agent positionné sur l'un de ces postes ne cède pas à la pression d'un magistrat, il peut être « dégagé » facilement. Cela pose de nombreuses difficultés.

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Est-il possible d'user de ce système, en profitant du manque de garanties statutaires, pour se débarrasser de quelqu'un ou le déplacer – ce qui toucherait à la question de l'indépendance – ou s'agit-il d'un jeu d'équilibre à trouver dans la gestion interne du corps ? C'est l'indépendance de la justice qui nous importe.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Lorsqu'une difficulté se produit entre un directeur de greffe et des chefs de juridiction, quelle que soit la responsabilité de chacun, c'est le directeur de greffe qui « saute », jamais les chefs de juridiction. Si un chef de juridiction pose notoirement des problèmes, il bénéficie d'un avancement.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Sur ces postes-là, évidemment.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

D'une manière générale, cela est vrai sur tous les postes où les fonctionnaires peuvent se trouver. Les magistrats partent en avancement si un problème se présente. Pour les fonctionnaires, les choses se passent différemment.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Récemment, les commissions administratives paritaires (CAP) de mobilité ont été supprimées dans la fonction publique. Auparavant, les mobilités étaient étudiées par une commission où siégeaient les organisations syndicales. Désormais, si un agent demande une mobilité, l'administration décide seule de la réponse à lui apporter sans que les syndicats disposent d'un droit de regard. L'administration peut donc faire ce qu'elle veut. Elle peut barrer le passage à un agent qui lui déplaît, sans avoir à s'expliquer, ou à l'inverse en favoriser un autre si elle le souhaite.

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

La gestion de la mobilité des greffiers et personnels de greffe est particulière. Dès l'instant où l'on est dans des services sensibles, des secrétariats de chefs de juridiction par exemple, il faut plaire. Dès qu'un problème survient, lié à un comportement ou à des relations interpersonnelles, les agents sont déplacés très rapidement. Il ne faut pas se leurrer. L'agent est un fusible, un élément que l'on déplace en tout cas sans aucune difficulté d'un instant à l'autre.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Les agents des greffes sont l'interface entre la justice et les usagers. Ce sont eux qui sont à l'accueil, au téléphone, etc. Il est indiqué dans le statut du greffier qu'il a également pour fonctions de renseigner, d'orienter et d'accompagner. Or des difficultés se présentent parfois, car les greffiers ne doivent pas donner de conseils. Il arrive que des avocats viennent nous trouver pour nous demander ce que nous avons dit à leurs clients, prétextant que nous aurions pu leur donner des conseils.

Ce point est fixé dans les textes, mais nous pouvons être attaqués néanmoins. Si une procédure mal orientée arrive, nous n'avons pas à intervenir, car nous ne sommes pas juges. Notre tâche est de la recevoir.

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Au cours de vos activités syndicales, avez-vous relevé des manquements déontologiques flagrants de la part de greffiers ? Le cas échéant, quel type de réaction avez-vous eu ?

Un code de déontologie propre à votre profession vous semblerait-il utile ?

Votre dernier exemple est très parlant. Déontologiquement, le niveau de réponse à l'usager du service public de la justice constitue un processus délicat.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

L'article 24 du statut du greffier souligne que le greffier ou l'agent de catégorie C faisant fonction de greffier prête le serment suivant : « Je jure de bien et loyalement [et non plus « fidèlement »] remplir mes fonctions et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l'occasion de leur exercice. »

Il arrive, comme partout, que des agents manquent à leurs obligations et communiquent des informations qu'ils ne devraient pas divulguer. Des procédures disciplinaires sont alors engagées.

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À quel niveau ces procédures sont-elles tranchées ? Pourriez-vous nous expliquer ce processus ?

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

La CAP siège en conseil de discipline. Il arrive que nous soyons informés d'une procédure avant qu'elle ait lieu, par divers canaux. Sinon, nous étudions les dossiers dans le cadre des CAP, quel que soit le corps concerné.

Plusieurs cas – de directeurs, de greffiers – passent en conseil disciplinaire chaque année pour des manquements. Ce n'est parfois pas justifié. Il arrive aussi que des cas connus ne passent pas en conseil de discipline. Il existe différentes pratiques. Certaines personnes sont protégées. Tout dépend aussi de quoi et de qui il s'agit.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

La CAP des greffiers, où je siège, est saisie au maximum de cinq à dix procédures par an, pour 10 000 greffiers. Je ne suis pas sûre qu'un code de déontologie soit pertinent pour si peu de fonctionnaires concernés, et qui pour certains sont passés en conseil de discipline pour des condamnations pénales sans rapport avec les fonctions judiciaires.

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

On peut passer en conseil de discipline pour un fait sans rapport avec l'exercice de sa fonction. Ainsi, un agent pris à partie dans une rixe à la sortie d'une boîte de nuit pour laquelle la police est intervenue est passé en conseil de discipline. Il est dit en effet que l'on doit être absolument irréprochable. Dès qu'un fonctionnaire est lié d'une façon ou une autre à une affaire, une enquête est systématiquement diligentée par le procureur, et cela se termine souvent voire systématiquement en conseil de discipline.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Dès qu'il y a poursuite pénale, il y a des poursuites disciplinaires, c'est normal.

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Vous occupez une place majeure au sein des juridictions. Il faut que la justice soit accessible, et vous en êtes la porte d'entrée. Les justiciables sont heureux de rencontrer un greffier. Vous êtes un agent de liaison essentiel. Nous l'avons vu dernièrement dans des contentieux. Je pense qu'il faut que cela soit posé au sein du tribunal, et que les magistrats aient conscience que leur travail ne peut qu'être amélioré par votre présence, et votre soutien essentiel à la rédaction des jugements et à l'acte de juger.

Il me semblait par ailleurs que l'actuel directeur de l'École des greffes était un greffier.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

C'est un ancien greffier intégré dans la magistrature.

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Nous avons combattu pendant cinq ans pour que la direction de l'École revienne à un greffier. Nous l'avons obtenu, c'est une avancée positive ! Tant mieux s'il a accédé au statut de magistrat.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Il s'agit d'un ancien directeur de greffe intégré dans la magistrature avant son accession à la tête de l'École.

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D'accord.

Mon expérience a concerné davantage les greffiers des tribunaux administratifs, dont le travail diffère de celui du monde judiciaire.

La déontologie est une question extrêmement importante. Prêter serment est une chose, mais identifier dans le détail de ses missions la façon dont on doit les exercer en est une autre. Éclairer un recueil de déontologie par des observations faites par les magistrats me semblerait intéressant. Votre profession souffre peut-être, comme beaucoup, du manque d'effectifs et de difficultés à se faire entendre. Avoir une réflexion partagée sur la déontologie – entre vous, et avec les magistrats – concourrait au mieux-être.

Un recueil de déontologie n'est pas une remise en question, mais une protection et une façon de dire comment on veut exercer son métier. Il me paraît important, dans une sphère aussi précieuse et observée que la justice, soucieuse de son indépendance, que chacun des organes participants puisse dire clairement ce qu'il fait, et comment il travaille. Puisque vous participez à l'œuvre de justice, cette voie de réflexion aurait dû vous être proposée depuis longtemps.

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Rédiger un code de déontologie permettrait de clarifier par écrit les relations que l'on attend entre les greffiers et les magistrats.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Nous ne sommes absolument pas opposés à la création d'un code de déontologie pour notre secteur – contrairement à ce qui a pu se passer dans la police, par exemple, mais il s'agit d'une autre histoire. Un tel code pourrait clarifier effectivement les relations entre les magistrats et les fonctionnaires.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

La reconnaissance passe aussi par la revalorisation des grilles indiciaires. Les greffiers sont payés 13 % de moins que les autres fonctionnaires de catégorie B, selon les chiffres du ministère lui-même, alors qu'ils sont normalement en catégorie « B+ ».

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

Les greffiers qui sortent de l'école sont demandeurs d'un cadre plus précis pour pouvoir discuter sur le plan de la déontologie avec les magistrats.

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Avez-vous déjà préparé des éléments dans ce domaine ou s'agit-il d'un terrain vierge ?

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Alain Richard, secrétaire général adjoint de l'UNSA services judiciaires

Il s'agit d'un terrain vierge, même si des évolutions sont survenues au niveau de l'École.

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La formation à l'École des greffes de Dijon comporte-t-elle une sensibilisation à la déontologie et à la relation avec les magistrats, ou s'agit-il d'une formation purement technique ?

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Je suis passé deux fois par l'École : une première fois en 2010 comme greffier, une seconde fois en 2015 comme directeur. En 2010, les cours étaient assez succincts. Ils présentaient le cadre de la fonction publique, et le texte du statut du greffier. Depuis lors, l'École a évolué. La formation de catégorie A que j'ai suivie en 2015 comportait une partie bien plus développée sur ces sujets. Des professeurs de statut dispensent des formations aux greffiers.

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Comment vivez-vous les relations avec les avocats, notamment via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) pour les échanges de pièces ? Pour avoir échangé avec des avocats dans ma circonscription, je sais que des contentieux se sont produits en raison de règles ajoutées localement par les magistrats sur les délais de transmission de telle ou telle pièce.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Bienheureux ceux qui ont RPVA ! Cet outil n'est utilisé qu'avec le logiciel « Winci TGI ». Dans les tribunaux de proximité, nous n'avons qu'un système à l'ancienne où l'on doit faire du bricolage avec des mails pour envoyer des convocations.

Pendant le confinement, chaque juridiction a agi à sa convenance. Or de manière générale, chacun fait un peu ce qu'il veut, y compris pour les délais. Il arrive aussi que des avocats nous envoient des jeux de conclusions la veille de l'audience. Certains avocats profitent parfois de la technologie pour provoquer des renvois.

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Michel Demoule, secrétaire général adjoint du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

Le barreau de Lille s'est illustré par des attaques contre le greffe ces dernières semaines. Je suis un peu concerné, étant en poste à Roubaix depuis longtemps. Les avocats se sont plaints parce que les greffes étaient « en vacances ». Or j'ai fait faire des statistiques dans ma juridiction. De septembre à décembre dernier, une seule affaire était retenue sur une dizaine d'affaires audiencées – alors qu'elles avaient été fixées auparavant avec l'accord des avocats et devaient passer à l'audience. De janvier à mars, a eu lieu la grève des avocats – que nous soutenions par ailleurs syndicalement – qui a entraîné de nouveau le renvoi de certaines affaires. Puis est arrivé le confinement.

Tout à coup, les avocats se plaignent que leurs affaires ne passent pas. Or, nous avons repris l'activité. Dans ma juridiction, le conseil de prud'hommes de Roubaix, les audiences ont repris, mais nous avons toujours aussi peu d'affaires qui passent et toujours autant d'avocats qui demandent des renvois.

Le discours du bâtonnier de Lille était destiné au vulgum pecus, mais en réalité le travail n'a toujours pas été fait. Les dossiers théoriquement prêts depuis plusieurs mois ne le sont finalement pas, sous prétexte que les avocats viennent de recevoir de nouvelles pièces, etc.

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Henri-Ferréol Billy, secrétaire national du Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

La relation avec les avocats relève parfois du « je t'aime, moi non plus ». En fin d'année, ils aiment bien nous apporter des chocolats, dans l'espoir d'obtenir des copies plus rapidement. Il est toujours appréciable de recevoir des chocolats, mais tout de même !

La relation est toujours un peu compliquée. Ils attendent de nous que nous délivrions les attestations de fin de mission le plus rapidement possible. Cependant, de leur côté, les demandes de renvoi abusives sont nombreuses. Des documents arrivent la veille au soir, ou dans la nuit, voire le matin même.

Dans ma juridiction nous avons repris l'activité dès que possible après le confinement, et avons rajouté des audiences. Nous avons été fermés pendant deux mois, mais cela n'empêche pas les demandes de renvoi.

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Sophie Grimault, secrétaire générale adjointe du Syndicat des greffiers de France FO

S'agissant du RPVA, encore faut-il qu'il fonctionne normalement et que la capacité « dans les tuyaux » soit suffisante. Encore faut-il aussi que les magistrats ne donnent pas les dossiers le jour même pour le délibéré. Un minimum de préparation est nécessaire. Toute cette situation crée des tensions. Si les moyens humains étaient là, nous n'en serions pas à ce niveau.

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Je vous remercie d'avoir participé à cette audition. Il était très important pour nous de vous recevoir, car les greffiers sont souvent oubliés du débat qui anime la justice.

La séance est levée à 17 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Didier Paris, Mme Cécile Untermaier

Excusé. - M. Ian Boucard