COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE
Mercredi 10 mars 2021
La séance est ouverte à quinze heures.
(Présidence de Mme Claire Guion-Firmin, secrétaire de la commission d'enquête, puis de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)
La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition du Général de division Jean-Marc Descoux, commandant la gendarmerie outre-mer.
Nous recevons le général de division Jean-Marc Descoux. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Le général Jean-Marc Descoux prête serment.)
Pour commencer, pouvez-vous revenir en quelques mots sur les actions mises en place par la gendarmerie ?
J'assume la fonction de commandant de la gendarmerie Outre-mer. Cette dernière comporte en Guyane deux volets interopérés, c'est-à-dire qu'elle assure d'une part une mission de sécurité publique comme sur le reste du territoire national et d'autre part une mission de lutte contre l'orpaillage illégal propre au territoire guyanais.
Nous disposons d'un puissant dispositif dédié à la lutte contre l'orpaillage illégal et l'immigration irrégulière, étant donné que ces problématiques sont souvent liées, qui s'inscrit dans le cadre plus large de l'opération interministérielle Harpie.
L'ensemble du dispositif de la gendarmerie de Guyane participe en réalité à la lutte contre l'orpaillage illégal. Il s'appuie sur des unités territoriales classiques implantées dans la forêt amazonienne, des unités de maintien ou de rétablissement de l'ordre, des unités spécialisées – nos forces aériennes, une antenne du GIGN –, un dispositif de police judiciaire dont la mission est de judiciariser nos actions, ainsi que des réservistes.
Pouvez-vous détailler concrètement l'articulation des forces de la gendarmerie au sein du dispositif Harpie, s'il vous plaît ?
Le dispositif Harpie est spécifiquement dédié aux missions de lutte contre l'orpaillage illégal. Dans ce cadre, 1 057 patrouilles et 856 patrouilles conjointes avec des militaires ont été assurées. La lutte contre l'orpaillage illégal au sein d'Harpie représente 18 000 jours gendarme auxquels s'ajoutent toutes les missions conduites par la gendarmerie. Par exemple, la gendarmerie de Maripasoula effectue des contrôles dans les commerces ou à la traversée du fleuve, à la frontière entre le Suriname et la Guyane. L'hélicoptère de la gendarmerie est susceptible de nous signaler des activités suspectes détectées lors de missions de police judiciaire en forêt, ce qui nous permet d'envoyer des unités terrestres pour réaliser le contrôle. Des actions de ce type, conduites parallèlement au dispositif Harpie, participent également à la lutte contre l'orpaillage illégal.
Selon vous, les moyens déployés par la gendarmerie sont-ils suffisants pour lutter efficacement contre l'orpaillage illégal ?
Dans un monde idéal, il serait possible de déployer des moyens encore plus conséquents sur cette mission. Le territoire national compte actuellement 109 escadrons de gendarmerie mobile sur le territoire national, dont 20 escadrons dans les Outre-mer, soit un cinquième du dispositif, parmi lesquels 6 escadrons sont localisés en Guyane. Hormis Paris, la Guyane est aujourd'hui le département français qui bénéficie de l'effectif le plus fourni de forces de maintien et de rétablissement de l'ordre sur le territoire national.
Est-ce suffisant ? Oui, parce que nous obtenons des résultats probants et quantifiables. Depuis la mise en place du dispositif Harpie, nous avons fait reculer les activités de pillage de la forêt. L'analyse des photographies satellites de la zone et notre observation sur le terrain nous montrent que la Guyane reste relativement préservée de ce point de vue par rapport aux états limitrophes du Suriname et du Brésil.
Nous menons un combat incessant qui s'articule autour de trois axes.
Premièrement, il s'agit d'entraver la liberté d'action des réseaux d'orpaillage en compliquant sérieusement l'acheminement de moyens nécessaires à l'orpaillage à l'intérieur de la forêt par le contrôle des axes ou encore la mise en place de postes fixes.
Deuxièmement, nous détruisons régulièrement les sites exploités par les orpailleurs illégaux au moyen d'actions aéroportées et terrestres en forêt qui nous permettent de gêner considérablement ces activités. À titre d'illustration, nous avons procédé à la destruction de 1 172 motopompes en 2020, ce qui nous permet de casser la dynamique des orpailleurs.
Troisièmement, nous traduisons devant la justice française des malfaiteurs qui œuvraient dans la forêt, soit des orpailleurs, soit des criminels en bande organisée qui gravitent autour des précités. Cette action judiciaire porte ses fruits, puisqu'elle participe à contenir les activités d'orpaillage illégal en Guyane.
Il est cependant à noter que compte tenu du cours élevé de l'or et de la pauvreté de la population qui réside dans les secteurs limitrophes au Brésil et au Suriname, l'orpaillage alimente tous les mirages.
Je souhaiterais adresser une série de questions au général Descoux que je remercie de se prêter à cet exercice parfois difficile.
Quel regard portez-vous, à titre personnel, sur cette activité d'orpaillage illégal qui perdure malgré les efforts déployés ? Partagez-vous le constat d'une absence d'amélioration de la situation ? Quels sont les axes sur lesquels il faudrait travailler pour arriver à une amélioration très nette de la situation ?
Selon l'Observatoire de l'activité minière, le nombre de sites d'orpaillage clandestins est passé de 450 à 350 entre 2012 et 2017. Entre avril 2017 et février 2018, le nombre de chantiers est toutefois reparti à la hausse pour s'établir à 550. Des troubles à l'ordre public en Guyane et l'ouragan Irma, à Saint-Martin, ont en effet nécessité la mobilisation d'une partie des forces de gendarmerie mobile auparavant dédiées à la lutte contre l'orpaillage. À partir du rétablissement du dispositif en juillet 2018, la situation a été stabilisée aux alentours de 350 à 400 sites.
Dans un contexte de hausse du cours de l'or et de crise du Covid-19, la forêt guyanaise a gagné en attractivité. Pourtant, le nombre de chantiers d'orpaillage illégal est désormais stable. Cela démontre que si notre dispositif ne permet pas d'éradiquer le problème, il participe cependant à le contenir.
Une étude interne à la gendarmerie a été lancée en 2016 afin de recenser la population des orpailleurs clandestins dans la forêt, sur la base de photographies aériennes et satellitaires. En 2017, nous recensions un peu plus de 10 000 garimpeiros et les actions menées dans le cadre du dispositif Harpie ont ramené cette population dans une fourchette de 8 500 à 8 600 individus actuellement. Nous estimons que 95 % de cette population se compose de ressortissants brésiliens.
Quels sont les leviers d'amélioration de la lutte contre l'orpaillage illégal selon nous ?
Le dispositif partenarial est désormais rodé et fonctionnel, grâce à un état-major dédié et à une coordination parfaite entre les différentes forces concernées – gendarmerie, forces armées guyanaises, police des frontières – pour répondre aux priorités fixées par l'autorité administrative ou l'autorité judiciaire.
Les moyens aériens des forces armées mériteraient d'être renouvelés, car ils souffrent d'une certaine vétusté qui constitue parfois un frein à nos actions. Cependant, la question du renouvellement de la flotte des hélicoptères de manœuvre se pose à l'échelle nationale.
Par ailleurs, nous enverrons prochainement des personnels des offices centraux afin d'attaquer les activités d'orpaillage non plus sur la base du Code minier, mais sur la base d'autres incriminations – travail illégal, crime en bande organisée, traite des êtres humains – pour nous permettre d'apporter une réponse judiciaire plus efficace. À la demande de la préfecture de Guyane, nous avons porté auprès du Ministère de la transition écologique et solidaire un certain nombre de demandes visant à faire évoluer le corpus juridique guyanais afin de gagner encore en efficacité. Notre action s'appuie actuellement sur des dérogations aux règles de la procédure pénale issues du Code minier. En vertu de ces dernières, la garde à vue débute lorsque les officiers et le suspect sont sortis de la forêt guyanaise à la suite d'une interpellation. Cette procédure suppose cependant que le suspect puisse être lié à une activité d'orpaillage illégal ou à des activités criminelles annexes.
Nous travaillons actuellement sur des moyens techniques de communication. Notre volonté est de numériser la forêt amazonienne, de sorte qu'un gendarme héliporté sur un chantier d'orpaillage illégal soit en mesure de réaliser un travail préliminaire d'enquête judiciaire in situ en consultant les fichiers de personnes recherchées et de scanner les empreintes digitales, notamment. Dans le courant du mois, une mission technique sera envoyée en Guyane afin d'étudier la situation et de formuler des propositions de dispositif adapté aux conditions de la forêt.
Vous avez rappelé un certain nombre de chiffres afin de contextualiser ce phénomène qui nous préoccupe beaucoup. Le territoire national compte 109 escadrons de gendarmerie dont 20 appartenant aux Outre-mer et 6 détachés en Guyane. À ce stade, vous estimez que le ratio effectif/résultats est satisfaisant. Ma première question est la suivante : de combien d'hommes un escadron de gendarmerie est-il composé ?
Un escadron se compose de 72 personnels, ce qui signifie que nous disposons d'un effectif d'environ 1 500 gendarmes mobiles déplacés en Outre-mer. Sachez que la disponibilité des gendarmes mobiles déplacés en Outre-mer est supérieure à celle de n'importe quelle autre force. Le régime d'emploi des intéressés exclut la possibilité de prendre des congés durant leur déplacement et prévoit un jour de repos par semaine, le deuxième jour de repos étant récupéré au retour en Métropole. Ainsi, un gendarme mobile déplacé en Outre-mer pour 3 mois est mobilisé en permanence, à l'exception de 12 jours, sur la mission. Ces personnels affichent un taux d'absentéisme proche de zéro.
Comme vous l'avez rappelé, des événements survenus entre 2018 et 2020 ont mobilisé tout ou partie de ces forces pour répondre à la mission originelle de la gendarmerie. Toutefois, le tout n'est pas d'avoir des hommes. Encore faut-il avoir des hommes formés aux réalités. La question se pose sur la capacité de ces hommes à réaliser de manière efficace et pertinente le travail en forêt. Il ne suffit donc pas de détacher des hommes en forêt, mais aussi de veiller à ce qu'ils soient équipés pour remplir leur mission. Pour affiner l'analyse des résultats et identifier d'éventuelles pistes d'amélioration, nous pourrions probablement considérer la formation et l'équipement dans le cadre de cette commission d'enquête.
Ces questions préliminaires étant posées, j'en viens à ma question principale. Outre les opérations Harpie, il me semble que des opérations Anaconda ont été menées régulièrement dans ces zones frontalières et notamment sur le fleuve Maroni et la rivière Lawa qui forment une frontière naturelle avec le Suriname voisin. Au regard des particularités géographiques, la coopération entre l'État français et le Suriname revêt une importance capitale. D'ailleurs, je note que les représentants français et surinamiens ont organisé en septembre dernier un point de situation lors duquel ont été arrêtées les modalités de coopération entre les deux pays s'agissant de la lutte contre l'orpaillage illégal, y compris en cette période de crise sanitaire que nous traversons. Pourriez-vous nous présenter le bilan de cette coopération entre la gendarmerie nationale française et les forces déployées par le Suriname pour lutter de part et d'autre de la frontière contre l'orpaillage illégal ?
Enfin, ma question subsidiaire porte sur les pistes d'amélioration envisagées concernant la coopération militaire bilatérale entre la France et le Suriname.
Concernant la formation, je ne prétends pas que les gendarmes mobiles qui arrivent de Métropole, les gendarmes stationnés en Guyane ou les gendarmes guyanais sont aussi aguerris que le garimpeiros brésilien qui vit au cœur de la forêt. Un garimpeiro qui se rend dans la forêt pour chercher de l'or afin de nourrir sa famille et de survivre dans un environnement extrêmement dégradé au Brésil affiche une détermination et une résilience extrêmes. Nos gendarmes ne présentent, de toute évidence, pas une rusticité comparable. Nous compensons cet écart par des moyens techniques, une formation militaire et une capacité à conduire des opérations en environnement hostile.
Nous sommes conscients qu'un gendarme mobile intervenant sur les manifestations des Gilets jaunes en juillet, puis dans la forêt guyanaise en août n'aura pas le même niveau de performance dans ces deux environnements. Pour cette raison, les gendarmes mobiles qui seront stationnés en forêt, à Saint-Laurent du Maroni, Camopi ou ailleurs, suivent un stage spécifique à leur arrivée de la métropole. Les cadres de la gendarmerie mobile viennent régulièrement en Guyane, puisque 24 de nos 109 escadrons s'y succèdent chaque année. Nos unités de gendarmerie mobile reviennent régulièrement en Guyane, tous les 3 à 4 ans, ce qui implique une connaissance de l'environnement et une capacité d'adaptation de notre dispositif pour gagner en efficacité.
S'agissant de l'équipement, les équipes qui interviennent au cœur de la forêt sont munies d'un lot spécifique pour leur permettre de vivre et de travailler dans cet environnement très singulier. Nous travaillons à l'amélioration constante de cet équipement avec les services logistiques de la gendarmerie, du ministère de l'Intérieur et du ministère de la Défense.
La coopération transfrontalière avec le Suriname a effectivement connu des améliorations notables. Nous partons de loin en la matière, mais sentons la volonté de nos partenaires surinamiens de déployer une politique de lutte plus offensive contre l'orpaillage illégal. Si j'évoque une marge de progression conséquente en matière de coopération, c'est parce qu'à la frontière du Maroni, des commerces tenus notamment par des communautés asiatiques vendent tout le matériel nécessaire à l'activité d'orpaillage illégal. Ce matériel arrive du Sud-Est asiatique ou de la Chine à jet continu, c'est-à-dire que l'on ne peut ignorer que l'activité d'orpaillage illégal alimente une partie de l'économie du Suriname. Nous sommes quelque peu démunis face à cette problématique, puisque je ne suis pas en droit d'envoyer nos forces de gendarmerie mobile intervenir dans ces commerces de l'autre côté du Maroni. Toutefois, nous mettons actuellement en œuvre des patrouilles communes sur le Maroni avec nos partenaires des forces de sécurité intérieure du Suriname. Cette coopération nous permet d'améliorer le partage de l'information concernant les activités criminelles et de contrôler plus efficacement cette frontière naturelle.
Quelles seraient les perspectives d'amélioration de ce partenariat ? En concertation avec la police aux frontières et le ministère des Affaires étrangères, nous travaillons à la mise en place d'un poste de coopération policière et potentiellement douanière à la frontière du Suriname sur le modèle existant à Saint-Georges de l'Oyapock avec la police brésilienne. Par ailleurs, nous envisageons de nommer un cadre supérieur de la police ou de la gendarmerie en tant qu'attaché de sécurité intérieure, comme à Brasilia, à l'ambassade de France à Paramaribo. L'objectif de ce représentant serait de porter auprès des hautes autorités policières du Suriname les préoccupations françaises. Nous travaillons sur ces sujets, mais vous comprendrez que la gendarmerie n'est qu'un élément de cette réflexion.
Chers collègues, général, je vous présente mes excuses pour ce retard lié aux formalités sanitaires qui compliquent un simple changement de billet pour nous autres élus ultramarins.
Avant de laisser la parole à Valérie Thomas, j'apporterai quelques précisions au propos de Jean-François Mbaye. Le lundi 15 mars, le ministre des Affaires étrangères du Suriname se rendra à Paris pour signer avec Jean-Yves Le Drian l'accord de délimitation de la frontière. En outre, le ministre de la Justice et de la police du Suriname sera également présent afin de conclure des accords de coopération judiciaire. La situation évolue donc dans le bon sens depuis les incidents survenus en 2019 qui avaient conduit le Président de la République de l'époque à suspendre les patrouilles communes de lutte contre l'orpaillage illégal.
Je me réjouis de la délimitation définitive de la frontière qui permettra à la France de récupérer plusieurs îles sur le Lawa et le Maroni et de réaliser plus efficacement les contrôles. C'est d'autant plus appréciable que les activités d'orpaillage illégal ne sont pas sans soulever des difficultés dans ce bassin de vie, que ce soit du côté français ou surinamien.
Concernant les postes frontaliers, un rendez-vous est prévu avec le ministre de la Justice et de la police à Saint-Georges d'Oyapock afin de s'inspirer du dispositif à Saint-Laurent du Maroni ou d'Albina, côté surinamien. La réflexion sur la lutte contre l'orpaillage illégal progresse et nous retiendrons l'idée, intéressante, de créer un poste d'attaché de sécurité au Suriname.
J'aimerais avoir quelques précisions au sujet des poursuites susceptibles d'être engagées contre les orpailleurs illégaux. Vous parvenez à démanteler des chantiers clandestins et à détruire le matériel dédié à l'orpaillage, mais il semblerait que vous ayez des difficultés à engager des poursuites contre les orpailleurs. Certains reportages que nous avons visionnés donnent le sentiment que les orpailleurs reconstruisent un nouveau camp à proximité sitôt le précédent démantelé. Manquez-vous de moyens judiciaires afin d'engager des poursuites ?
Vous avez évoqué à plusieurs reprises des bandes armées dangereuses. Ces dernières cherchent-elles à se structurer davantage en établissant un écosystème mêlant orpaillage illégal, trafics divers et prostitution, notamment ? Cela préfigure-t-il des difficultés accrues pour lutter contre ces activités illégales à l'avenir ?
Etant basée dans un département français, la gendarmerie agit selon les lois et règlements en vigueur – Code de procédure pénale, Code minier – dans un environnement complexe, celui de la forêt amazonienne. Nous sommes confrontés à des délinquants de niveaux différents. L'orpailleur est généralement un Brésilien très pauvre cherchant à subsister dans la forêt amazonienne, sans aucune conscience écologique.
À la manière de la harpie qui fond sur sa proie, nos hélicoptères arrivent sur le camp et nos hommes s'en emparent. Le droit français exige cependant d'établir la preuve et de vérifier à quel titre l'individu appréhendé dans le camp s'y trouve, afin de lier ce dernier à un fait de délinquance. Dans la pratique, lorsque les hélicoptères s'approchent, cette population s'échappe dans la forêt et il est difficile de la rattraper. Nous nous concentrons donc sur la destruction du site et la saisie des moyens matériels.
Si nous parvenons à capturer certains individus, il convient d'effectuer des contrôles d'identité et de recouper les données avec nos fichiers. En plein cœur de la forêt amazonienne, il est très difficile pour les forces de gendarmerie d'accéder à ces différents moyens. C'est pour cette raison que notre volonté est de numériser la forêt afin de gagner en efficacité.
Ensuite, il convient d'établir l'infraction : l'individu a-t-il coupé un arbre, creusé un trou ou déversé du mercure dans une rivière ? Dans ce dernier cas de figure, nous devons réaliser un prélèvement de l'eau et disposer du matériel d'analyse pour établir l'infraction et engager des poursuites. Couper un arbre est passible d'une contravention, alors que l'empoisonnement constitue un délit. Compte tenu de la particularité de l'écosystème de la forêt amazonienne, nous estimons qu'il serait nécessaire d'instaurer une circonstance aggravante permanente. Ainsi, les faits de dégradation d'un environnement protégé auraient un caractère délictuel et devraient nous autoriser à faire commencer la garde à vue après être sortis de la forêt amazonienne et avoir rallié le poste de gendarmerie, comme sur le reste du territoire national. Faute de moyens judiciaires adéquats, nos actions se soldent dans le meilleur des cas par des relaxes, voire par des peines de principe. Il serait insensé de condamner à de lourdes peines de prison des familles brésiliennes paupérisées que nous arrêtons au milieu de la frontière.
Autour des orpailleurs se crée un véritable écosystème, sous la forme de villages abritant une véritable communauté : épicier, prostituée, ou encore cuisinière. Il est difficile d'engager des poursuites contre cette catégorie d'individus, sachant qu'ils peuvent déclarer avoir suivi leur conjoint et que cela ne constitue pas un motif d'emprisonnement recevable. Par conséquent, il convient de délimiter des zones protégées et interdites aux activités d'orpaillage afin d'être en mesure de procéder à des saisies, à des destructions et de réclamer des peines applicables. Il s'agirait de prononcer une sanction et, pour les étrangers en situation irrégulière, un retour effectif au pays. C'est ainsi que nous parviendrons à limiter l'activité d'orpaillage illégal.
La problématique des bandes organisées n'est pas nouvelle. En 2012, un accrochage sérieux à Dorlin avec une bande de Brésiliens avait causé la mort d'un militaire français et des blessures par balles parmi les gendarmes. Ces bandes armées attaquent des activités d'extraction minière légales ou illégales afin de s'emparer de l'or. Il ne s'agit pas de délinquants de facture ordinaire, mais de bandes brésiliennes d'une extrême violence qui n'hésite pas à aller à la confrontation avec les forces de gendarmerie.
Il y a moins d'un an, 8 gendarmes avaient été déployés afin de défendre plusieurs mines légales qui avaient été attaquées par des bandes. Lorsque ce dispositif de gendarmerie a été pris d'assaut par une bande brésilienne, plus de 70 cartouches d'arme automatique ont dû être tirées pour défendre le site. L'assaillant s'est replié dans la forêt et nous n'avons pu évaluer les dégâts causés dans les rangs adverses.
Général, vous avez indiqué manquer d'hélicoptères de manœuvre. En quoi cela complique-t-il vos opérations ? Auriez-vous besoin d'autres moyens, notamment sur le plan militaire ?
Par ailleurs, à l'échelle du vaste territoire dont vous assurez la surveillance, utilisez-vous des moyens de renseignement pour préparer vos interventions ou empêcher l'acheminement de matériels lourds et difficilement transportables sur les sites clandestins ?
Je n'ai pas évoqué un manque de moyens, mais la relative vétusté de la flotte aérienne dont disposent les armées. En Guyane, nous disposons de 7 hélicoptères des armées, de 2 hélicoptères de la gendarmerie et d'un 3ème hélicoptère privé susceptible d'intervenir en appui à la manœuvre terrestre. Cela signifie que nous pouvons compter en Guyane sur une flotte de 10 hélicoptères. Des moyens de cette ampleur sont sans comparaison avec ceux qui existent sur le reste du territoire national.
La difficulté porte actuellement sur la disponibilité des hélicoptères Puma qui nous permettent de transporter les groupes de combat ou de police judiciaire. Outre le fait que cette génération d'appareils commence à dater, ces hélicoptères sont soumis à une forte intensité opérationnelle, volent dans des conditions climatiques difficiles et sont éloignés des bases de soutien. En conséquence, nous rencontrons des pannes machines fréquentes qui mettent ponctuellement à mal la planification stratégique des opérations d'intervention. Nous sommes donc dotés de moyens aéronautiques qui nous permettent de conduire nos activités soit dans le cadre d'Harpie avec des forces militaires, soit en autonomie complète dans le cadre des opérations Anaconda. Ces dernières, qui sont réalisées avec les seuls moyens de la gendarmerie, visent à entamer la détermination des orpailleurs et à inverser le rapport coût/efficacité de cette activité illégale par la saisie ou la destruction du matériel acheminé dans des conditions très pénibles. Cependant, la détermination des orpailleurs clandestins augmente proportionnellement au cours de l'or et nécessite une présence renforcée de la gendarmerie sur les postes de barrage fluviaux et routiers, ainsi que sur nos opérations dans la profondeur.
Michel Huet, le réalisateur qui a effectué des reconnaissances sur le terrain avec les forces spéciales, nous a expliqué que les orpailleurs gardaient en stock aux alentours des camps les outils nécessaires en prévision d'éventuelles destructions. Des machines de remplacement seraient ainsi cachées dans des bassins de rétention.
Par ailleurs, comme vous le signaliez précédemment, des magasins asiatiques situés le long du Maroni et du Lawa réapprovisionnent constamment les orpailleurs. Au Suriname, les comptoirs d'or organisent même la logistique en vue d'acheminer en forêt les denrées alimentaires et les machines.
Pensez-vous vraiment casser la dynamique des orpailleurs en saisissant ou en détruisant leur matériel, alors que le business modèle de cette activité illégale anticipe les saisies et les destructions, tout en s'appuyant sur une logistique très efficace ? Pouvons-nous avoir une constance comparable à celle des orpailleurs en intervenant sur les sites à chaque fois qu'ils sont à nouveau actifs ?
Enfin, avons-nous calculé le bilan ou l'impact environnemental de Harpie ? Le fait de détruire ou de brûler des équipements et des sites a-t-il des conséquences sur l'environnement ?
L'activité d'orpaillage illégal, ainsi que les activités périphériques, relèvent effectivement d'un business modèle à part entière. En conséquence, cette activité d'extraction d'or doit être suffisamment rentable au regard des inconvénients de la vie dans l'environnement hostile de la forêt. En 2020, nous avons saisi 25,2 millions d'euros d'avoirs criminels : 206 kg de mercure, 1 172 motopompes, 317 000 litres de carburant acheminés à dos d'homme, 180 tonnes de vivres et 7 kilogrammes d'or.
Notre dispositif est littéralement inusable, puisque les forces déployées en forêt le sont pour des cycles de 3 mois. Nos hommes ne souffrent donc pas de maladie, de fatigue, ni de la vie difficile dans un environnement hostile pour tout être humain. Les saisies et les destructions ont un impact économique et psychologique. Nous n'avons pas cassé la détermination des orpailleurs à ce jour, mais nous avons constaté que certains sites n'avaient pas été reconstitués suite à notre action.
Vous indiquez avoir pris 25 millions d'euros d'avoirs criminels, ce qui doit représenter 3 % du chiffre d'affaires total de l'activité d'orpaillage illégal. Ce dernier est en effet estimé à environ 750 millions d'euros par la Fédération des opérateurs miniers de Guyane. Les orpailleurs doivent effectivement abandonner certaines zones qu'ils ne considèrent plus comme rentables, mais doivent conserver leur motivation faute d'être frappés de manière très intense.
Par ailleurs, avez-vous mesuré l'impact environnemental de Harpie ?
L'impact environnemental du survol de la forêt amazonienne et des incendies par pots thermiques me semble minime – bien que nous ne l'ayons pas mesuré – et sans commune mesure avec celui des activités d'orpaillage illégal au cœur de la forêt.
Premièrement, quelles sont les actions diplomatiques qui sont conduites auprès des autorités brésiliennes pour essayer de freiner l'arrivée des orpailleurs illégaux en provenance du Brésil ? Vous avez évoqué les actions de coopération avec les Surinamiens, ainsi que le dispositif en vigueur à Saint-Georges d'Oyapock. Des actions permanentes sont-elles conduites avec nos voisins brésiliens ?
Deuxièmement, comment ces orpailleurs illégaux négocient-ils leur or ? Le président a fait état de 750 millions d'euros, ce qui représente des sommes considérables.
Troisièmement, j'aurai une question plus personnelle. Je me suis rendu à plusieurs reprises en Guyane, notamment dans le cadre de mes activités au conservatoire du littoral. Je retiens de cette expérience que l'environnement se caractérise par sa beauté, mais également sa difficulté. Pour les hommes et les femmes de la gendarmerie, qu'est-ce qui est le plus dur dans cet environnement magnifique mais parfois pénible ?
Tout d'abord, l'aspect diplomatique n'est pas de mon ressort, mais de celui du ministère des Affaires étrangères par le biais de l'ambassadeur de France à Brasilia. En revanche, nous avons un attaché de sécurité intérieure à Brasilia qui relaie auprès des autorités brésiliennes et des états limitrophes de l'Oyapock nos préoccupations. Localement, nous disposons d'un centre de coopération policière au sein duquel nous menons des opérations tactiques conjointes avec nos partenaires brésiliens. Ce dispositif de coopération produit de bons résultats.
Par ailleurs, le patron de la gendarmerie de Guyane établit des liens avec ses homologues des forces des frontières des états limitrophes. Cette coopération fonctionne et permet d'échanger des informations tactiques. Pour reprendre l'exemple de l'affaire de Dorlin, les forces spéciales avaient pourchassé Manoelzihno dans la forêt guyanaise, mais l'arrestation a été réalisée de l'autre côté de la frontière brésilienne.
Il est indiscutablement difficile pour nos gendarmes de vivre dans la forêt amazonienne. Cependant, notre principe d'affectation se fonde sur des durées courtes, de trois mois, qui permettent à nos forces de gendarmerie mobile, qui se caractérisent par leur jeunesse, d'éviter de s'épuiser et de rester motivées. Nos gendarmes éprouvent dans ce contexte particulier leur formation militaire face à un adversaire qui ne s'apparente pas au délinquant ordinaire. Nous n'avons pas de difficulté pour trouver des gendarmes volontaires pour effectuer des missions en Guyane car ces dernières sont vécues comme intéressantes et forgent la cohésion.
En outre, nous nous appuyons sur des gendarmes territoriaux volontaires. Une partie de notre effectif de gendarmerie est guyanais. Nous disposons d'une réserve opérationnelle et développons une forme de réserve particulière dans la forêt guyanaise avec la population amérindienne, notamment afin de bénéficier de leur savoir-faire en matière de pilotage de pirogue et de connaissance de l'environnement. Un gendarme affecté en Guyane peut y rester entre 3 et 6 ans. Il a ensuite la possibilité de rester jusqu'à 11 ans ou d'être mobilisé ailleurs sur le territoire national et de céder la place à un autre volontaire. À titre d'exemple, l'actuel major commandant de la brigade de Hope Estate à Saint-Martin s'est porté volontaire pour un poste de commandant de brigade qui s'ouvrira prochainement à Maripasoula.
Enfin, le négoce de l'or illégal s'effectue d'abord par le troc sur les sites d'orpaillage illégal en échange de services. Sur le territoire français, la circulation de l'or dans les comptoirs fait l'objet d'un traçage. Cependant, si l'or illégal est amené au Suriname ou au Brésil, nous n'avons pas les moyens de le tracer. Une coopération avec les autorités des états voisins s'avère nécessaire pour contrôler les commerces situés le long du fleuve dont une partie du chiffre d'affaires doit être réalisée en or illégal et freiner ces activités.
Général, je vous écoute très attentivement et j'ai l'impression que nous sommes face à une situation qui relève de l'impossible. Je m'interrogeais sur la possibilité de nous inspirer des actions menées par les Brésiliens. Selon un article de presse, 210 000 garimpeiros auraient été identifiés au Brésil, soit un ratio de 1 pour 1 000 habitants. La Guyane compte environ 300 000 habitants pour une population de garimpeiros estimée aux alentours de 10 000, voire de 15 000 individus selon certaines sources, soit un facteur entre le Brésil et la Guyane de 1 à 33. Ces chiffres permettent de mesurer l'ampleur de la catastrophe.
Face à ce constat, ne serait-il pas pertinent de se rapprocher des Brésiliens pour comprendre comment ils sont parvenus à endiguer significativement l'orpaillage sur leur territoire ? C'est d'ailleurs parce que le Brésil a mené une lutte sans merci contre les garimpeiros que certains d'entre eux ont trouvé refuge sur le territoire français où ils savent que la répression est moins forte et que le cadre législatif et réglementaire est moins sévère.
Par ailleurs, dans la continuité de la question soulevée par Séverine Gipson concernant l'activité de renseignement, je souhaiterais savoir si un travail porte sur l'identification et le démantèlement des têtes de réseau. Nous savons que les orpailleurs qui mènent leurs activités dans la forêt sont de petites gens chapeautées par des têtes de réseau qui s'apparentent à une véritable mafia. Disposons-nous de renseignements qui permettraient d'attaquer le mal à la racine ?
Vous avez souvent évoqué le caractère hostile de l'environnement guyanais. La stratégie mise en place dans le cadre des opérations Harpie est-elle adaptée ? Les gendarmes et militaires arrivent par hélicoptère, ce qui laisse le temps aux garimpeiros de se réfugier dans la nature sans que l'on puisse les retrouver. Ne serait-il pas pertinent d'envisager une stratégie différente et des tactiques adaptées à un environnement dont l'hostilité est connue de longue date ? Il ne s'agit en aucun cas de nier les efforts réalisés dans la lutte contre l'orpaillage que je serais le premier à reconnaître, mais de se demander si nos actions ne mériteraient pas d'être poussées plus loin.
Comment pourrait-on s'y prendre, selon vous, pour associer les populations locales ? Ces dernières demandent souvent à être associées aux opérations le long du Maroni et de l'Oyapock et de mettre à profit leur connaissance du territoire pour contribuer activement à la lutte des militaires contre les garimpeiros.
Enfin, ma dernière question porte sur le rôle joué par la Chine et le Sud-Est asiatique dans la filière d'approvisionnement de ces garimpeiros. Un ralentissement de l'activité d'orpaillage illégal a été constaté du côté de l'Oyapock parallèlement à une recrudescence du côté du Suriname en raison de l'influence des Chinois. Une réflexion devra être menée à l'échelle internationale afin d'envisager le levier d'action approprié. D'ailleurs, il serait opportun d'envisager qu'une partie des avoirs confisqués ne soient pas détruits, car les moteurs de pirogue pourraient être utiles aux populations vivant le long du fleuve.
En toute franchise, nous n'adhérons pas au modèle brésilien et ce, pour plusieurs raisons.
Premièrement, il n'existe pas au Brésil de dispositif interministériel comparable à Harpie qui serait dédié en permanence à la lutte contre l'orpaillage illégal. Les forces de sécurité au Brésil assurent le maintien de l'ordre et la sécurité publique.
Deuxièmement, nous n'avons pas affaire à la même population, puisqu'aucune immigration guyanaise n'est à signaler au Brésil. Dans la lutte contre l'orpaillage illégal, nous devons en revanche composer avec le fait que les délinquants sont des étrangers en situation irrégulière et non des ressortissants du territoire national.
Troisièmement, nous disposons d'éléments matériels attestant de la réalité de la déforestation liée aux activités économiques illégales au Brésil. Sur la base de photos satellites, nous estimons que le territoire des Yanomani au Brésil compte 20 000 garimpeiros, soit un effectif qui représente près de trois fois celui qui se trouve dans la forêt guyanaise. Depuis 2018, une véritable ruée vers l'or a été constatée sur ce territoire dont l'armée brésilienne est désormais absente et qui a été complètement pillé.
Enfin, je mets un point d'honneur à ce que la gendarmerie fasse preuve d'humanité face aux orpailleurs illégaux, en cohérence avec les valeurs de la République, ce qui n'est pas synonyme de faiblesse pour autant. Nous sommes extrêmement déterminés, puissants, capables d'apporter une réponse de très haut niveau si la dégradation de la situation le justifie. Par principe, nous veillons cependant à conserver une approche que je qualifierai de républicaine de l'action de police, même au plus profond de la forêt amazonienne. Cela explique la motivation des gendarmes pour se porter volontaires à cette mission qui honore notre action.
Peut-être que malgré tout, notre action ne répond pas au même standard que celle des forces de sécurité brésiliennes. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous demandons des moyens numériques qui nous permettront de gagner en efficacité au cœur de la forêt. Actuellement, il reste difficile pour la gendarmerie de déterminer la nationalité brésilienne des individus que nous interpellons en forêt. Au Brésil, les forces de sécurité locales sont confrontées uniquement à des orpailleurs brésiliens. Dans un contexte singulier, nous veillons donc à ce que le garimpeiros ou le tueur que nous interpellons bénéficient des mêmes droits dans la forêt amazonienne que sur le reste du territoire national.
Concernant la contribution active de la population locale, nous avons bien compris la nécessité d'adosser notre dispositif de lutte contre l'orpaillage illégal à toutes les parties prenantes de la mission de sauvegarde de la forêt. Pour rappel, la gendarmerie est la première administration de l'État à s'être saisie de la problématique de la forêt amazonienne. Ensuite, il est apparu que cette mission nécessitait des moyens, des savoir-faire spécifiques et l'appui d'autres administrations. Le fait d'avoir des gendarmes affectés dans la forêt amazonienne avec leurs familles permet d'assurer un maillage territorial et représente aussi une manière d'obtenir du renseignement. Nous intégrons aussi de jeunes Guyanais, dont certains sont originaires de la forêt, à notre dispositif comme officiers, sous-officiers ou gendarmes volontaires. Par ailleurs, nous recherchons des réservistes opérationnels à temps partiel possédant une connaissance précieuse de l'environnement qui seront dédiés uniquement à la mission « forêt » avec nos gendarmes. Ce dispositif produit donc des résultats et contribue à renforcer la cohésion au sein de notre effectif.
Général, je suis surpris par un certain nombre d'éléments que vous avez soulevés dans votre réponse. Comme vous l'avez rappelé, au Brésil, les garimpeiros sont tous Brésiliens alors qu'en Guyane, 95 % des garimpeiros ont cette nationalité. Nous sommes donc confrontés au défi de faire respecter la souveraineté du territoire français. Vous avez indiqué que si la situation venait à se dégrader, vous seriez capables d'apporter une réponse de très haut niveau. Or il me semble que la situation est d'ores et déjà de nature à justifier une telle réaction de la part des autorités.
Vous avez rappelé que Manoelzihno a tué des militaires en 2012 et qu'il a été nécessaire de tirer 70 cartouches d'arme lourde pour protéger une gendarmerie d'une attaque par une bande armée.
Par ailleurs, une partie de la population est empoisonnée au méthyle mercure. Ce niveau d'empoisonnement est à mettre en parallèle avec les conséquences des essais nucléaires en Polynésie ou celles qui découlent de l'utilisation du chlordécone en Martinique, en Guadeloupe et, dans une moindre mesure, en Guyane.
Enfin, 700 millions d'or sont volés chaque année, sans parler de la criminalité qui en découle puisque ces délinquants s'entretuent, dans un contexte totalement délétère. Dans ces conditions, quand considèrerons-nous la situation comme suffisamment grave pour apporter la réponse de très haut niveau que nous attendons ?
Peut-être ne partageons-nous pas la même perception de la situation, même si je répète que mon propos ne constitue pas un déni des efforts réalisés. Toutefois, ce que nous recherchons au travers de cette commission parlementaire, c'est d'envisager comment bousculer l'ordre établi. Il ne s'agit pas, évidemment, de demander à l'État d'intervenir militairement pour éradiquer de manière brutale l'orpaillage illégal sur le territoire guyanais. Toutefois, si des hommes en situation irrégulière dans la forêt s'en prennent aux forces de l'ordre sur le territoire national, alors nous sommes peut-être en situation de guerre. Je me permets d'employer ce terme, parce que le Président avait indiqué que nous étions en guerre contre un virus qui était encore mal identifié. Lorsque des hommes sont identifiés sur le territoire national et qu'ils se permettent de telles exactions, notre vocabulaire mériterait peut-être d'évoluer en conséquence pour changer notre perception du phénomène et les mesures à mettre en place pour y répondre.
J'ai bien conscience que toute la responsabilité n'est pas entre les mains de la gendarmerie. D'autres partenaires seront d'ailleurs auditionnés et d'autres pistes de solution seront explorées. Néanmoins, il me semblerait opportun de faire évoluer notre stratégie d'intervention dans cet environnement hostile afin de mettre un terme à ce phénomène. Il ne s'agit pas de bafouer les droits de l'homme, mais de changer de braquet dans notre action durant les 2 ou 3 années à venir afin d'obtenir des résultats conformes aux espérances affichées par les différentes parties prenantes.
La planète sera en crise d'accès à l'eau douce dans quelques années. Je rappelle que la Guyane est le deuxième territoire sur la planète de par sa ressource renouvelable en eau douce par habitant. Cependant, si nous laissons les garimpeiros poursuivre leurs activités, déverser du mercure, labourer le sol et détruire la forêt, il pourrait en résulter une incapacité à valoriser la ressource en eau douce dont dispose la Guyane. D'où l'intérêt de réfléchir dès aujourd'hui à des solutions qui nous permettraient de préserver cet aspect du patrimoine national, mondial et local, afin de nous épargner des regrets de n'avoir pas réagi avec la sévérité suffisante et en temps voulu pour lutter contre l'orpaillage illégal.
Monsieur le député, merci pour votre intervention. Lorsque j'évoque notre capacité à apporter une réponse du haut du spectre, mon propos est de faire référence aux différents niveaux d'intervention de la gendarmerie.
La vocation première de la gendarmerie est d'assurer un service public de sécurité, au contact de la population. La forêt n'abrite pas seulement des garimpeiros, mais aussi et surtout une population guyanaise qui attend de la gendarmerie qu'elle joue son rôle d'accompagnement et de stabilisation, en toute bienveillance. Nous devons également être capables, face à des individus tels que Manoelzihno, de déployer rapidement un dispositif afin d'entraver et de neutraliser ce niveau de délinquance. Ainsi, nous ne sommes pas dans une logique d'angélisme et répondons à la délinquance de très haut niveau lorsque nous y sommes confrontés.
S'agissant des considérations environnementales dont vous avez fait état, nous venons de créer en Guyane une antenne de l'office de lutte contre les atteintes à la santé publique. C'est-à-dire que nous avons déployé des personnels plus spécifiquement formés aux atteintes à l'environnement et à la santé publique qui seront capables de conduire sous l'autorité du procureur de la République des enquêtes très techniques. Nous sommes en ordre de bataille pour faire face à ce phénomène.
Nous enverrons des missions de l'office central de lutte contre le travail illégal et la délinquance itinérante. Cette action vise à identifier et à démanteler les têtes de réseau, comme vous le soulignez, afin d'infliger des peines suffisamment dissuasives au bon niveau. Dans le courant du mois, deux missions partiront en Guyane afin de travailler à l'adaptation au contexte local des modes d'action éprouvés par la gendarmerie dans la lutte contre les mafias d'Europe centrale en métropole.
Nous avons parfaitement conscience de l'environnement dans lequel nous évoluons. Cependant, nous ne sommes pas en guerre, car sinon il reviendrait à la légion étrangère et aux forces spéciales d'intervenir. La Guyane est un département français où nous sommes confrontés à des formes de délinquance extrêmement préoccupantes pour la population et ses représentants. En sa qualité de force de sécurité intérieure, la gendarmerie se doit d'adapter son dispositif pour obtenir des résultats tangibles.
Par ailleurs, je me suis probablement mal fait comprendre en ce qui concerne notre stratégie, dont la partie aérienne constitue seulement un élément. J'ai en effet cité le dispositif Harpie à titre d'exemple, mais ce dernier s'inscrit dans une approche globale.
Notre tactique repose premièrement sur le contrôle de zone qui consiste à assurer des surveillances sur les axes, les frontières et le fleuve. Deuxièmement, les postes de contrôle fluviaux visent à entraver les voies traditionnelles d'acheminement du matériel. Troisièmement, nous disposons de moyens de renseignement nous permettant de détecter des mouvements dans la forêt guyanaise sans forcément mobiliser de personnel.
Nous ne menons pas uniquement des opérations aéroportées, mais également à partir des fleuves et par infiltration à pied. Afin d'appréhender des individus extrêmement dangereux, nous déployons des personnels dans la forêt afin de détecter et d'intervenir. En outre, nous judiciarisons nos actions avec l'appui d'une section de recherche et d'officiers de police judiciaire venant de métropole pour renforcer nos unités d'intervention lors des opérations en forêt.
Si le dispositif Harpie et les opérations Anaconda ont été déployés en Guyane, c'est pour apporter la réponse adaptée à une problématique sans pareille sur le territoire national. Nous communiquons sur la présence et sur les opérations menées par la gendarmerie en Guyane. Nous ne sommes peut-être pas encore au niveau attendu, mais nous travaillons à faire valoir nos modes d'action et à dissuader notre adversaire. Notre objectif est d'empêcher l'orpailleur brésilien de venir chercher de l'or en Guyane et de lui compliquer beaucoup plus la tâche qu'au Brésil.
J'ai pris acte des moyens que vous avez mis en place, mais avez-vous le soutien nécessaire en matière de renseignement militaire et de logistique en Guyane ? Dans le cadre de l'opération Barkhane, par exemple, des moyens considérables ont été mobilisés en matière de renseignement.
Les forces armées guyanaises sont pleinement impliquées dans le dispositif Harpie, mais ne sont pas habilitées à conduire des activités de renseignement sur le territoire national. Les opérations sont menées soit dans un cadre judiciaire, soit dans un cadre administratif. Pour reprendre votre exemple, Barkhane se situe dans un théâtre de guerre qui relève d'un cadre juridique différent.
Lorsque des militaires effectuent des patrouilles depuis un poste de contrôle fluvial, ils nous procurent du renseignement sur la base de leurs contacts avec la population ou de leur observation. En revanche, nous ne pouvons leur demander de mener des opérations clandestines de forces spéciales sur le territoire national.
Général, pourriez-vous mettre à disposition de la commission d'enquête l'organigramme opérationnel détaillant la répartition entre les différentes forces de sécurité en Guyane ?
Évidemment, monsieur le député, tous nos documents sont accessibles à la commission d'enquête. Il vous reviendra de nous préciser le niveau de précision de l'organigramme souhaité. Je peux vous communiquer les informations relatives au dispositif de gendarmerie de Guyane dans son ensemble incluant l'organisation de la mission de lutte contre l'orpaillage illégal. Cependant, je précise que le document relatif à cette mission spécifique affiche les personnels dédiés exclusivement à la lutte contre l'orpaillage illégal et non pas les autres forces de gendarmerie susceptibles de participer ponctuellement à certaines opérations. Je transmettrai ces éléments à la commission par l'intermédiaire de son président.
La réunion s'achève à seize heures quinze.