La commission spéciale a auditionné M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Mes chers collègues, nous recevons M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à participer à cette réunion qui se tiendra sous la forme de questions cribles.
L'enjeu de la réduction des émissions des gaz à effet de serre implique d'engager tous les secteurs économiques sur une trajectoire vertueuse. Le projet de loi comporte de nombreuses mesures complémentaires du plan de relance, dont je rappelle qu'un tiers est consacré à des investissements bas-carbone, et des mesures déjà adoptées en loi de finances.
Le plan de relance a alloué une enveloppe financière supplémentaire d'environ 30 milliards d'euros à la transition bas-carbone pour 2021 et 2022. Ce plan et le projet de loi sont les deux volets de la réponse du Gouvernement aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Il est intéressant de noter qu'une trentaine de ces propositions ont reçu une traduction, au moins partielle, dans le plan de relance. Ce dernier a affecté des crédits à des domaines tels que la transition agricole, la politique du vélo, les infrastructures ferroviaires, l'achat de véhicules propres, la rénovation des logements privés et des bâtiments publics, l'hydrogène, les transports en commun. Un certain nombre de propositions de la Convention n'étaient pas chiffrées. Il faut mettre au crédit du Gouvernement le fait d'avoir pris des engagements budgétaires, ce qui montre l'attention qu'il a portée aux demandes de la Convention.
Ma première interrogation, monsieur le ministre, porte sur la stratégie budgétaire à court et moyen terme. Le plan de relance a eu le mérite de porter à un niveau historiquement élevé les fonds supplémentaires alloués à la transition bas-carbone en 2021 et en 2022 – nous manquons évidemment de visibilité pour les années suivantes. Le plan vise à relancer l'activité à court terme, alors que le projet de loi s'inscrit dans la durée. Il faudra largement plus de deux ans d'efforts collectifs pour assurer la rénovation énergétique des bâtiments, mener la lutte contre l'artificialisation des sols, transformer les filières aéronautique et automobile, ou encore effectuer la remise à niveau des transports ferroviaires régionaux. Nous savons que la transition écologique nécessite des investissements publics et privés considérables. Serait-il envisageable que le Parlement soit saisi d'un projet de loi de programmation portant sur les investissements environnementaux pour que la nation dispose d'une trajectoire budgétaire réaliste à moyen terme ? Cet exercice de planification apporterait de la clarté et répondrait aux préoccupations de nombreux acteurs économiques et sociaux. Sur un sujet aussi fondamental que le climat, il n'y a rien de pire que l'absence de visibilité et les à-coups budgétaires.
Ma deuxième question a trait aux collectivités territoriales, qui assurent près de 70 % de l'investissement public, tous secteurs confondus. Elles disposent de compétences clés pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone et de l'adaptation au changement climatique. Elles ont la responsabilité d'impulser localement les politiques de mobilité durable : transports en commun, pistes cyclables, voies piétonnes, bornes de recharge… Elles ont également la charge d'accélérer la rénovation énergétique des logements. Pensez-vous qu'elles disposent de moyens financiers et humains suffisants pour assumer les nouvelles responsabilités que leur confère le projet de loi ? Elles ont bénéficié d'un soutien budgétaire en 2020, disposent d'un accès facilité à l'endettement et reçoivent un appui à l'ingénierie. Imaginez-vous des mesures complémentaires ?
Le rapporteur Jean-Marc Zulesi, qui ne pouvait être présent, m'a prié de vous soumettre une dernière question : quelle est la vision du Gouvernement en matière d'accélération des innovations concernant les nouvelles formes de motorisation des poids lourds, pour lesquels il est prévu de réduire l'avantage fiscal sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ?
Je veux redire toute l'importance que j'attache à définir, grâce au plan de relance, une économie durable et respectueuse de l'environnement. J'ai la conviction que cette crise peut aussi être l'occasion de changer notre modèle de développement économique et d'avoir une croissance plus respectueuse de l'environnement, avec moins d'émissions de CO2 – tel est, en tout cas, l'objectif poursuivi par le Gouvernement à travers le plan de relance.
Nous estimons que les collectivités locales, qui sont accompagnées à hauteur de 10,5 milliards d'euros par le plan de relance, disposent des moyens budgétaires suffisants. J'ai toujours dit que le vrai défi, sur le plan national comme à l'échelle européenne, est de mener à bien l'exécution du plan de relance et le décaissement des sommes prévues. L'application des plans de relance européens pourrait connaître du retard. Par ailleurs, il nous faut nous assurer que l'argent du plan de relance ira bien aux entreprises, à la recherche, aux collectivités locales. Il sera bien temps, d'ici à quelques mois, de faire une première évaluation, de regarder si un programme a besoin d'un soutien complémentaire.
S'agissant des poids lourds, la motorisation à l'hydrogène me paraît porteuse de grandes promesses. Je me suis rendu la semaine dernière avec Mme Barbara Pompili dans une entreprise, située à Albi, qui fabrique une motorisation hybride pour les bus des collectivités locales. Nous avons engagé 7 milliards d'euros en faveur de l'hydrogène. L'application de cette technologie aux transports collectifs et aux poids lourds est probablement l'un des volets les plus prometteurs des innovations en cours.
Quant au financement des mesures du projet de loi, 30 milliards d'euros sont affectés aux moyens destinés à accélérer la transition écologique, qu'ils concernent le fret, la SNCF, la prime à la conversion pour les véhicules électriques, l'hydrogène, la structuration des filières durables dans le domaine de la rénovation énergétique et en matière agricole. Je ne considère donc pas qu'il faille une loi de programmation budgétaire spécifique, laquelle serait redondante avec le plan de relance et n'aurait pas nécessairement la même efficacité. Je rappelle qu'il existe une loi de programmation pour la recherche, une loi d'orientation des mobilités ainsi qu'un plan d'investissement d'avenir, abondé de 20 milliards d'euros sur cinq ans. Nous avons déjà des trajectoires de long terme en matière de recherche et de mobilité qui nous offrent une visibilité suffisante sur le plan budgétaire.
L'article 1er instaure un affichage environnemental et définit des critères qui doivent permettre de mieux éclairer les choix des consommateurs. Or nous savons que la Commission européenne a adopté une recommandation relative aux modalités d'évaluation de la performance environnementale des produits et des organisations. Quelle est, selon vous, la bonne articulation entre le droit communautaire et le droit national ? Le droit national devrait-il attendre, en matière d'évaluation, les retours du droit communautaire, comme l'a recommandé l'Agence de la transition écologique (ADEME) ?
S'agissant de l'article 7, considérez-vous qu'il est de la responsabilité des maires et du législateur d'encadrer la publicité et les enseignes se trouvant dans les vitrines des commerces de proximité ? Certains considèrent que cela porterait une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté commerciale. Quel est, selon vous, le bon équilibre en la matière ?
Sur ce dernier point, je renvoie la question aux parlementaires, car j'estime que c'est à vous de mener le débat. Ne comptez pas sur moi pour interférer dans des discussions qui relèvent du domaine législatif ! J'ai suivi de très près le débat entre ceux qui pensent qu'il faut donner une liberté totale aux commerçants, pour redynamiser les commerces de centre-ville – objectif auquel je suis évidemment très favorable – et ceux qui estiment que les maires doivent pouvoir encadrer davantage la publicité. Il ne me paraîtrait pas opportun que je vous dise ce que vous devez faire. Vous êtes en effet au plus près du terrain. Le débat parlementaire, le débat avec les maires, les collectivités locales, les associations de commerçants doit permettre de trouver le bon équilibre – je le dis, fort d'une expérience politique de quinze ans. Nous avions eu un débat similaire à propos des panneaux publicitaires situés aux entrées des villes ; nous nous étions demandé si la loi devait les interdire et avions réussi à définir un équilibre.
S'agissant de votre première question, une information de type Nutri-score et CO2-score ne peut être efficace qu'à l'échelle européenne. Comme j'aurai l'occasion de le dire à propos d'autres dispositions législatives, c'est une très bonne chose de mieux informer le consommateur sur les émissions de CO2, mais il faut être lucide et transposer ces dispositions au plan européen le plus rapidement possible. Il est très bienvenu que la France ouvre le chemin sur de nombreux sujets environnementaux, mais il est indispensable d'avoir des normes européennes, qui seront les seules à avoir une réelle efficacité.
Les effets du projet de loi sur notre économie excèdent de beaucoup le périmètre du titre II. En quoi et comment pensez-vous que ce texte participera à la relance économique sur nos territoires ? Quels effets attendez-vous du verdissement de la commande publique ? Dans quelle mesure ce dispositif, qui est un levier essentiel de l'activité, affectera-t-il nos TPE et PME ? Seriez-vous favorable à l'extension du verdissement aux concessions et aux délégations de service public ?
Ce dispositif est effectivement un levier très efficace pour favoriser le verdissement de notre économie. Cela étant, il est indispensable – je le redirai tout au long de l'audition – de prévoir un temps d'adaptation. Certains rêvent que, du jour au lendemain, nous changions l'intégralité des procédures et verdissions notre économie. Sans renier nos ambitions en matière de transition écologique, il est indispensable de partir de la réalité. D'abord, il faut former des acheteurs publics, ce qui prend du temps. Ensuite, si l'on engage trop rapidement le verdissement de la commande publique, on risque de favoriser les plus grandes entreprises, qui seront à même de s'adapter à ces nouvelles règles, au détriment des TPE et des PME. Or, l'une des grandes orientations du plan de relance, qui est absolument fondamentale à mes yeux et que nous assumons, consiste à favoriser les TPE et les PME, ce qui peut conduire à allonger les délais. L'entrée en vigueur de la mesure prévue à l'article 15 au terme d'une période de cinq ans permet, à mon sens, de limiter le risque.
Je suis convaincu que la décarbonation de l'économie sera créatrice d'emplois, mais cela suppose que nous investissions massivement en faveur de l'innovation et des nouvelles technologies ; les 7 milliards d'euros que nous affectons à l'hydrogène sont, à cet égard, emblématiques. Nous mettons en œuvre le plan hydrogène – notre plus gros programme de transition industrielle – conjointement avec l'Allemagne, dans le cadre d'un projet d'intérêt collectif européen. Cela doit nous permettre, à terme, de créer 100 000 emplois sur une période de dix ans. Ces investissements auront donc un impact considérable.
De manière générale, nous devons veiller à ce que la chaîne de valeur – pour l'hydrogène, il s'agit des entreprises qui réaliseront l'électrolyse – se trouve en France. Si des usines d'électrolyse situées à l'étranger, alimentées par du courant électrique étranger, transféraient l'énergie en France ou en Europe, cela ne présenterait aucun intérêt. Il faut que nous ayons chez nous les usines qui produiront l'électrolyse, les valves, les éléments de stockage et de distribution, tout ce qui nous permettra de créer des emplois en France.
Par ailleurs, si nous voulons que ce soit efficace, il faut garantir une bonne transition. Dans l'expression « transition écologique », les deux mots comptent : l'écologie est essentielle, la transition aussi. Assurer la transition signifie que l'on accompagne les salariés, les ouvriers pour qu'ils aillent vers d'autres types d'activités et reçoivent les formations nécessaires. Je suis de très près l'usine Bosch de Rodez, qui fabrique des injecteurs diesel et emploie près de 1 200 personnes : il serait très facile d'affirmer que l'on ne veut plus de diesel, que l'on ne fabriquera plus d'injecteurs et que les ouvriers devront se débrouiller, mais – je veux dire très clairement – il n'est pas possible de tenir un tel discours ! Il faut accompagner, former, ménager du temps pour que chacun y trouve son compte, y compris les dizaines de milliers de salariés qui travaillent dans des activités carbonées. Notre majorité a beaucoup d'ambition écologique mais aussi beaucoup de respect social ; autrement dit, elle a la volonté d'accompagner et de former tous ceux qui, sinon, seraient les victimes d'une transition trop rapide.
Avec la ministre Mme Emmanuelle Wargon, vous avez chargé M. Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et directeur de la Banque des territoires, de proposer des pistes d'amélioration du financement de la rénovation énergétique des logements. Ses préconisations sont attendues à la mi-mars. Pourriez-vous donner un premier aperçu de ses travaux, afin d'aider les membres de la commission spéciale à se projeter ? La trajectoire de sortie des passoires énergétiques est en effet ambitieuse, avec des échéances en 2023, 2025 et 2028.
C'est la question que nous venons d'évoquer précédemment, vue sous l'angle de la rénovation énergétique des bâtiments : comment expliquer au citoyen qui est devenu propriétaire, parfois au prix des économies d'une vie, qu'il a trois ou quatre ans pour effectuer des travaux qui se chiffreront entre 40 000 et 50 000 euros pour 90 mètres carrés ? Il faut soit allonger les délais, soit renforcer l'accompagnement financier – ou bouger ces deux curseurs. C'est le sens de la mission que nous avons confiée à Olivier Sichel, qui devra déterminer la forme de l'aide aux ménages, le type de travaux demandés, la constitution de filières garantissant la qualité de la rénovation. Je lui fais confiance pour apporter des réponses précises à ces questions fondamentales, car dans ce domaine qui touche au logement, au droit de propriété et à la lutte contre les inégalités, nous ne pouvons pas nous permettre d'avancer à l'aveugle.
Ce volet du plan de relance fonctionne remarquablement bien. Nous avons reçu beaucoup de demandes non seulement pour les bâtiments de l'État et des collectivités locales, mais aussi pour les logements des particuliers – le budget alloué au dispositif MaPrimeRénov' a été augmenté de 2 milliards d'euros. Depuis le 1er janvier, plus de 100 000 dossiers ont été déposés, contre 200 000 pour l'année 2020. La demande existe, les Français sont désireux de rénover leur logement, à la condition que nous les accompagnions financièrement.
En vous écoutant parler des commerçants, je me suis rappelé les propos de ce parlementaire issu de Les Républicains en compagnie duquel j'avais défendu quelques propositions de loi – il a depuis fait une carrière ministérielle !
Pensez-vous que les dispositions de ce texte puissent avoir des conséquences négatives sur le secteur de l'industrie, étant entendu qu'il est préférable, du point de vue tant de l'emploi que de la protection de l'environnement, d'accueillir sur notre sol des activités industrielles dont nous contrôlerions la pollution, plutôt que de les voir s'installer ailleurs, en dehors de toute norme ou cadre juridique ?
S'agissant des dispositions permettant de lutter contre l'artificialisation des sols, estimez-vous possible de traiter de manière distincte l'implantation des entrepôts des plateformes de commerce en ligne ? Ne pensez-vous pas que la régulation en la matière fasse défaut et qu'il convienne de mieux lutter contre cette concurrence faite aux commerçants ?
Certains industriels contestent le quantum des peines prévues au titre VI « Renforcer la protection judiciaire de l'environnement ». Le Conseil d'État a considéré que la répression des atteintes à l'environnement n'était pas cohérente dans la mesure où les infractions sont sanctionnées de la même manière, qu'elles soient intentionnelles ou non. Pensez-vous que les peines soient adaptées ? La notion d'« avantage tiré de la commission de l'infraction » vous paraît-elle suffisamment précise ?
Je considère que la décarbonation de l'industrie est une priorité absolue, et qu'elle se fera dans l'intérêt de celle-ci. C'est grâce à la décarbonation et à la lutte contre le réchauffement climatique, qui suppose recherche et innovation, que nous ouvrirons de nouvelles chaînes de valeur en France et en Europe.
Je donnerai deux exemples : s'il n'existait pas un tel appétit pour les véhicules électriques, nous n'aurions pas relocalisé la production de batteries électriques en France et en Allemagne – une usine, qui emploiera plusieurs centaines de personnes, ouvrira bientôt à Douvrin, dans le Pas-de-Calais ; nous nourrissons la même obsession pour la production d'hydrogène : créer la chaîne de valeur, et les milliers d'emplois que cela représente, sur le territoire français. Avec Air liquide, Faurecia ou McPhy, le contrat est très clair : les aides ne seront apportées qu'à la condition que l'hydrogène soit produit dans des usines installées en France. Il s'agit là d'un enjeu majeur.
En revanche, et je me permettrai d'insister sur ce point, la stratégie de décarbonation industrielle que nous conduisons aux niveaux national et européen n'aura de sens que si nous instaurons, le plus rapidement possible, une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne. Ne soyons pas naïfs ! Nos produits, qui seront renchéris par la décarbonation, surtout lorsque les aides publiques viendront à diminuer, ne doivent pas être concurrencés par des produits venus d'Asie ou d'ailleurs, plus carbonés et moins chers. Cette taxe sera une priorité de la présidence française de l'Union européenne, malgré les réticences dont elle fait l'objet.
Je crois avoir été l'un des premiers ministres de l'agriculture à tirer la sonnette d'alarme sur l'artificialisation des sols ; j'ai d'ailleurs instauré une procédure d'avis préalable – une avancée à l'époque, désormais insuffisante. C'est dire l'importance que j'attache au maintien des surfaces agricoles. Seulement, il ne faut pas que l'arbre cache la forêt : l'artificialisation est causée à 50 % par la construction des habitations individuelles, à 1 % par la construction d'entrepôts et de plateformes logistiques. C'est cela la réalité, et c'est une écologie de la réalité que nous devons promouvoir. En tant qu'élu de la première circonscription de l'Eure, je peux en témoigner : l'extension des communes rurales sous forme de lotissements fait des ravages. Il est cependant plus facile de taper sur Amazon que de questionner le souhait de nos concitoyens de disposer d'un logement individuel. Je considère que le courage politique, c'est d'aller regarder ce qui pose vraiment problème dans notre modèle de développement économique. Or c'est bien l'artificialisation des sols par le logement individuel, plutôt que celle due aux plateformes logistiques, qui doit nous interroger – et les réponses sont plus difficiles à trouver.
S'agissant de la répression des atteintes à l'environnement et du délit d'écocide, nous devons veiller à respecter trois principes. D'abord, le dispositif doit être simple et compréhensible. Ensuite, le droit à l'erreur doit être préservé, et l'intentionnalité caractérisée. Enfin, nous devons maintenir l'attractivité du territoire français – je rappelle que nous avons pris beaucoup de dispositions pour favoriser la reconquête industrielle, comme la baisse des impôts de production, et qu'au moment où les investissements étrangers s'effondraient de plus de 60 % dans le monde, la France a mieux résisté que les autres pays.
L'article 9 du projet de loi propose une expérimentation appelée « Oui Pub ». Si la réduction de nos déchets est indispensable, nous nous interrogeons sur l'apport de ce dispositif à l'objectif principal, la réduction des gaz à effet de serre.
Supprimer la publicité papier – matière végétale –, c'est favoriser les publicités numériques, qui ne sont pas moins polluantes. C'est aussi faire fi de milliers d'emplois répartis sur notre territoire. Nous assistons à la disparition progressive des imprimeries, due à la baisse structurelle de la consommation de papier ainsi qu'à la délocalisation de la production d'imprimés Nous importons environ un tiers des imprimés publicitaires ; en 2019, le solde commercial des produits graphiques finis était de - 645 000 tonnes, au détriment de la balance des paiements et du bilan carbone.
Les papiers de l'imprimé publicitaire sont actuellement recyclés à 80 %, ils le seront à 100 % en 2023. C'est ce que prévoit la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), qui contient en outre des mesures visant à durcir « Stop pub ». Ne devrions-nous pas laisser aux lois que nous votons le temps de s'appliquer ?
La filière du papier recyclé peut être un atout majeur de la politique de l'économie circulaire en France. La transition écologique ne doit-elle pas donner l'impulsion nécessaire à l'émergence de nouvelles filières industrielles françaises, comme le montre l'ouverture de l'usine de Douvrin, dans le Pas-de-Calais ?
Il a été prévu de lancer une expérimentation, qui permettra de voir si l'on peut freiner l'inflation de la publicité papier et développer une filière efficace de recyclage du papier en France. Plutôt que de prendre une décision définitive, avec des conséquences importantes pour les commerçants, il me semble sage de choisir cette voie.
Dans le cadre des travaux de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, nous avons pu constater que la position de nos homologues du Bundestag était fort différente de celle que vous avez exprimée : en effet, les Allemands sont plus favorables à l'idée d'installer la production d'hydrogène dans le Maghreb, ce qui permettrait de profiter de l'énergie solaire. Je vous souhaite bien du courage pour parvenir à imposer vos idées !
Il est envisagé, à l'article 62, de mettre en place une redevance sur les engrais azotés minéraux. Sans vouloir remettre en cause l'objectif de réduction des émissions d'ammoniac et de protoxyde d'azote – nous devons vraiment faire un effort –, je suis un peu surpris par cette volonté d'anticiper une réglementation européenne en gestation. En outre, l'étude d'impact contient peu d'éléments sur les conséquences d'une telle taxe sur les exploitations agricoles, sur la filière céréalière française – les silos du port de Rouen risquent de se vider ! – et sur la réorganisation, en amont, des filières d'approvisionnement. Le ministère de l'économie pourrait-il procurer des données chiffrées aux parlementaires afin qu'ils puissent décider en connaissance de cause ?
Je transmettrai votre demande aux ministères de l'agriculture et de la transition écologique, plus à même d'évaluer l'impact de cette disposition.
La question de la production d'hydrogène est fondamentale. D'abord, pour tout ce qui concerne les projets de chaîne de valeur, il n'y a de solution qu'à l'échelle européenne. Si l'enveloppe de 7 milliards d'euros paraît considérable, elle sera insuffisante pour bâtir une filière de production d'hydrogène décarbonée à l'échelle nationale ou européenne. Il faut donc conjuguer nos efforts. Les Allemands ont décidé d'y consacrer 9 milliards, et je préfère disposer de 16 milliards que de 7 milliards d'euros ! Il faudrait que d'autres pays européens participent au projet important d'intérêt européen commun ( Important Project of Common European Interest ou IPCEI) pour arriver à une somme d'environ 30 milliards d'euros, à partir de laquelle nous pourrions avoir sur le territoire européen une production d'hydrogène totalement décarbonée et rentable.
Il me semble ensuite essentiel que les usines de production d'hydrogène par électrolyse soient installées en France parce que c'est là que se trouve la technologie. Toutefois, pour faire tourner les électrolyseurs, nous aurons massivement besoin d'électricité. Comment faire pour disposer d'une énergie décarbonée, immédiatement disponible, en continu et à un prix attractif ? C'est là l'un des grands enjeux stratégiques des vingt-cinq prochaines années. Les Allemands souhaitent faire produire cette électricité au Maghreb ou en Arabie Saoudite, en utilisant de vastes panneaux solaires. Dans cette hypothèse, on pourrait imaginer un réseau de raccordement empruntant des lignes à très haute tension entre le Maroc et l'Europe, avec des installations d'électrolyse implantées par exemple dans le sud de la France. Il faudrait ensuite organiser des réseaux de distribution d'énergie électrique décarbonée à travers l'Europe – ce dont nous discutons avec les Allemands. En revanche, que l'électrolyse soit faite hors du territoire européen, et plus particulièrement hors de France, ne me semble pas une bonne option, parce qu'on perdrait ainsi la valeur ajoutée, ainsi que les compétences et les emplois associés.
Je rappelle que nous disposons en France d'un atout, c'est d'avoir une part d'électricité décarbonée immédiatement disponible grâce à l'énergie nucléaire, ce qui n'est pas le cas en Allemagne. Et si je souhaite que l'on accélère le déploiement des énergies renouvelables pour compléter cette production, il faut que nous conservions cet atout.
Notre bilan en matière de transition environnementale, le rapporteur général l'a dressé et je n'y reviendrai pas. Tout l'intérêt de la Convention citoyenne était de nous inciter à sortir de notre cadre de pensée habituel, et l'on ne peut qu'en saluer les résultats. Nous avons commencé à en assurer la traduction au travers du plan de relance et le présent projet de loi va nous permettre de poursuivre dans cette voie.
Je suis néanmoins très attachée au maintien de l'attractivité de notre territoire. Comment ce texte est-il perçu en Europe et à l'international ? Quel est le signal envoyé par la France en matière de transition écologique et industrielle ? Comment préserver l'équilibre que nous avons réussi à tenir durant ces trois dernières années ? Si certaines mesures auront de toute évidence un impact sur notre développement économique – je pense en particulier à la fin de l'extension des aéroports, à la lutte contre l'artificialisation des sols et à la révolution enclenchée en matière de lignes aériennes –, elles auront aussi des conséquences sur l'image de notre pays. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur le sujet.
Il s'agit d'une dimension fondamentale du projet de loi. Je considère, en tant que ministre de l'économie et des finances, que le fait que la France soit à la pointe de la transition écologique renforce considérablement son attractivité. Que nous accélérions la transition écologique et que nous investissions massivement dans l'hydrogène, la rénovation énergétique des bâtiments, les énergies renouvelables ou l'intelligence artificielle en vue de mieux gérer les réseaux énergétiques, tout cela rend notre pays plus attractif aux yeux des autres pays européens et du reste du monde. Une économie plus respectueuse de l'environnement, des usines moins polluantes, c'est un territoire plus attractif. Je pense que nous avons tout intérêt, politiquement, à porter haut et fort ce message.
Cela vaut pour l'industrie, et cela vaut aussi pour la finance. Nous n'en avons pas parlé parce que ce n'est pas le cœur du projet de loi, mais la France est leader en matière de finance verte. Nous sommes le premier émetteur d'obligations vertes ; nous allons émettre cette année une deuxième obligation verte, à la suite du succès remarquable de la première, qui a eu pour effet d'entraîner dans cette voie d'autres pays comme l'Allemagne. Nous sommes leaders dans le domaine de la taxonomie verte, qui permet de garantir aux investisseurs que leurs placements profiteront bien à des entreprises respectueuses de l'environnement ou à des processus de décarbonation, et non à de l'énergie fossile. Nous sommes leaders pour ce qui concerne les garanties apportées en matière d'aide à l'exportation : désormais, les projets relatifs au pétrole ne sont plus couverts par l'État français. Tout cela aussi renforce l'attractivité de notre pays.
Si l'on veut être efficace, il importe néanmoins de souligner que cette ambition se matérialise à travers des projets positifs, et pas uniquement des interdits, et que nous sommes partisans d'une écologie de l'innovation technique et de la recherche, et non de l'interdiction et du bannissement.
Pour ce qui concerne le transport aérien, par exemple, si je suis très favorable à l'interdiction des vols intérieurs dès lors qu'il existe une solution en train en moins de deux heures trente, parce que c'est une mesure raisonnable et pleine de sagesse, je pense que l'on peut fort bien concilier cette exigence avec le projet qu'Airbus produise avant 2035 un avion fonctionnant à l'hydrogène.
Bref, ce qui fait la force de notre projet écologique, c'est qu'il marie l'interdiction et l'ambition positive.
Nombreux sont les partenaires sociaux qui, au cours des auditions menées par la commission spéciale et les rapporteurs, ont regretté un manque ou une absence de concertation. La transition écologique et ses conséquences sociales et économiques devraient pourtant faire l'objet d'un dialogue adéquat, structuré et doté de moyens propres. À défaut d'avoir mis en œuvre une concertation suffisante en amont du projet de loi, avez-vous prévu, monsieur le ministre, des moyens supplémentaires pour que les instances de représentation, tel le comité social et économique (CSE), puissent faire face aux nouvelles obligations de dialogue environnemental dans les entreprises ? Associerez-vous plus étroitement les partenaires sociaux à la rédaction des décrets et ordonnances ?
Le groupe Libertés et Territoires soutient le verdissement du secteur de la logistique, notamment par le développement du transport ferroviaire. Or, si le projet de loi contient des mesures contre le transport routier, rien n'est prévu pour développer le ferroviaire. Que proposez-vous pour responsabiliser, plutôt que pénaliser, les transporteurs ?
Enfin, les études d'impact, notamment celle réalisée par le Boston Consulting Group, estiment que nous n'atteindrons pas nos objectifs en matière climatique sans changement de paradigme. Êtes-vous d'accord avec ce diagnostic ?
Je ne sais pas très bien ce que « changement de paradigme » signifie. Je suis pour ma part, je le répète, favorable à une écologie de la réalité, c'est-à-dire une écologie ancrée dans nos territoires, notre industrie, nos emplois, notre habitat. Si changer de paradigme, c'est changer de territoire, changer la France, cela ne me paraît pas la bonne solution. Je crois plutôt à un effort volontariste, continu, associant tous les Français, pour que chacun se sente responsable de la transition écologique et y participe. Les Français y sont favorables, ils sont prêts à s'engager dans cette voie ; nous devons leur apporter des solutions, en partant de la réalité de nos territoires et de notre économie. C'est ce que fait ce texte.
S'agissant des organisations syndicales, on peut toujours faire mieux, mais nous les avons consultées à deux reprises : le 29 juillet, avec Mmes Barbara Pompili et Élisabeth Borne, et début septembre. Nous les associerons évidemment à la rédaction des décrets et des ordonnances.
Enfin, si cela ne figure pas dans le projet de loi qui vous est soumis, je rappelle que nous avions prévu dans le plan de relance une enveloppe de 4,5 milliards d'euros pour soutenir la SNCF. Les crédits ont déjà été décaissés. Je suis très favorable au report modal ; je considère que le fret ferroviaire doit être massivement soutenu, et c'est ce que nous faisons. Nous rouvrons en outre des « petites lignes », c'est-à-dire des lignes interrégionales, ce qui est très efficace pour réduire les émissions de CO2.
En 2019, le Président de la République avait estimé que le projet Montagne d'or n'était pas en l'état compatible avec les ambitions écologiques de la France. Le Premier ministre Édouard Philippe avait par la suite confirmé que l'État ne donnerait pas son feu vert à ce projet qui ne respectait pas les exigences de protection de l'environnement.
Pour réaliser son projet, la compagnie Montagne d'or avait besoin de prolonger ses deux concessions minières. Elle en a fait la demande au ministère de l'économie. Plutôt que d'opposer un franc refus, l'État s'est abstenu de répondre dans les délais impartis. Ces deux décisions implicites de refus ont été contestées par la compagnie. En décembre dernier, le tribunal administratif de Guyane a enjoint l'État de prolonger les concessions. Le projet est donc toujours d'actualité.
Dans les deux jugements, le tribunal administratif de la région relève que l'État ne produit aucune pièce justificative et il fait état d'un défaut de contestation sérieuse et d'une absence de critique de la part du ministre. Nous nous interrogeons d'ailleurs sur l'absence d'un représentant de l'État à l'audience du 3 décembre.
Pourquoi ne pas avoir opposé un franc refus à la demande initiale de prolongation des concessions ? Pouvez-vous nous certifier que ce projet ne verra pas le jour ?
D'autre part, l'interdiction de l'utilisation des technologies à base de cyanure dans l'industrie minière est une demande répétée du Parlement européen, à travers deux résolutions adoptées en 2010 et 2017. Barrick Gold, première compagnie aurifère mondiale, recourt à une autre technologie. Les procédés alternatifs existent donc – par exemple l'emploi de centrifugeuses à eau. La France a déjà été confrontée aux problèmes liés à l'utilisation du cyanure ; c'est notamment le cas à Salsigne, dans l'Aude, considéré comme le site le plus pollué de France. Les riverains en paient encore le prix dix-huit ans après sa fermeture : interdiction de consommer les fruits et légumes locaux, d'utiliser l'eau de pluie, etc. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous certifier que vous allez interdire l'utilisation du cyanure pour l'exploitation minière ?
Sans vouloir empiéter sur les compétences de la ministre de la transition écologique, je réaffirme l'opposition du Gouvernement au projet Montagne d'or et vous confirme, madame la députée, que nous avons marqué notre opposition à chaque étape de ce projet qui ne satisfait pas, vous l'avez souligné, à nos exigences en matière environnementale. Nous avons d'ailleurs déposé un recours contre la décision du tribunal administratif qui a ordonné de prolonger les concessions.
Vous l'avez dit, monsieur le ministre : la transition écologique doit aller de pair avec la transition économique. Nous attachons pour notre part un intérêt particulier à l'emploi industriel et stratégique existant. Or, si les articles 16 à 18 du projet de loi font référence à un intéressement des comités sociaux et économiques (CSE) et à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ils ne nous paraissent pas à la hauteur des enjeux. L'étude d'impact signale qu'il avait été envisagé d'instaurer une taxe supplémentaire dont le produit aurait été dédié aux actions de formation des salariés ou à l'accompagnement des entreprises, notamment des TPE-PME, confrontées aux enjeux de la transition écologique, mais que cette hypothèse n'a pas été retenue, car on souhaitait rester dans la logique de la loi de septembre 2018 d'une action à ressources constantes. Cette solution aurait pourtant permis de dégager, sur la base d'un taux de contribution équivalant à 1,2 % ou 1,7 % de la masse salariale, une enveloppe annuelle d'environ 10 milliards d'euros afin de répondre aux besoins en formation, qui seront très importants au cours de cette période de transition. Quels que soient les différends idéologiques que nous pouvons avoir concernant le recours à l'impôt auprès des entreprises, ne pensez-vous pas que, vu les défis que nous avons à relever, il y aurait matière à s'interroger sur l'enveloppe affectée à la formation professionnelle et à la préservation des emplois dans le cadre de la transition écologique ?
La clef, c'est effectivement le lien entre transition écologique et transition industrielle, car les deux vont ensemble – je partage totalement votre analyse sur ce point.
Ces transitions iront certainement très vite. Prenons le cas de l'industrie automobile : ceux qui estiment que le développement du véhicule électrique prendra plusieurs décennies se trompent. Les chiffres montrent que la volonté des consommateurs de se tourner vers le véhicule électrique est réelle : la part de celui-ci est passée en quelques mois seulement de 1,9 % à 6 % du marché des véhicules neufs. Je suis certain que quand le réseau de bornes de recharge à grande vitesse sera suffisamment dense et que l'on aura réduit les coûts de production de ce type de véhicules – car, même avec la prime offerte par le Gouvernement, ils restent onéreux –, leur déploiement s'accélérera de manière stupéfiante. D'où un besoin de formation et de qualification des professionnels du secteur. Cela vaut aussi pour d'autres secteurs industriels, à commencer par ceux de l'énergie et de l'aéronautique.
Il est par conséquent indispensable que les salariés soient associés à ces mutations technologiques et environnementales. J'estime que ce qui est fait dans le cadre scolaire, dans les collèges et lycées, va dans la bonne direction. Les entreprises doivent aussi prendre part à cet effort. Par exemple Adhex, société de la Côte-d'Or qui fabrique des adhésifs industriels et que j'ai visitée dernièrement, forme en interne les personnes qu'elle embauche. Chacun doit contribuer à la formation et à la qualification.
Je partage donc votre objectif ; la divergence entre nous a trait aux moyens utilisés pour l'atteindre. Je suis, par principe, hostile à toute taxe supplémentaire, parce que la France est, de tous les pays développés, celui qui a le niveau d'imposition le plus élevé. Si l'on crée une taxe ou un impôt supplémentaire, on court le risque de fragiliser notre tissu industriel. Par ailleurs, beaucoup de moyens ont déjà été consacrés à la formation et à la qualification dans le plan de relance. Il faudra s'assurer, mois après mois, que cela est suffisant pour atteindre notre objectif commun, qui est d'accompagner les salariés dans ces mutations technologiques et environnementales.