Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du vendredi 17 septembre 2021 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • restos du cœur
  • résilience
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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Vendredi 17 septembre 2021

La séance est ouverte à onze heures

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la mission d'information)

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Nous terminons le cycle d'auditions consacré à la résilience alimentaire par une table ronde sur la précarité alimentaire et sur l'organisation de l'aide alimentaire en période de crise. Nous savons à quel point les associations ont joué un rôle décisif dans l'aide alimentaire aux plus précaires au plus fort de la crise sanitaire ; et cette capacité de mobilisation est très certainement un élément clé de la résilience de notre pays. Plus généralement, les valeurs de solidarité et d'entraide nous semblent essentielles pour préserver la cohésion d'une nation confrontée à des événements brutaux, qui peuvent plonger des pans entiers de la société dans le désarroi et la précarité. En outre, les organisations qui ont l'habitude de mener un travail de fond auprès des personnes démunies possèdent un savoir-faire logistique, et maintenant numérique, dont les pouvoirs publics pourraient sans doute s'inspirer lorsque surviennent des situations critiques.

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Laurence Champier, directrice fédérale de la fédération française des banques alimentaires

Notre réseau d'aide alimentaire œuvre depuis trente-sept ans. Nous comptons 79 entrepôts répartis en France métropolitaine, aux Antilles et à La Réunion. Quelque 7 000 bénévoles animent au quotidien notre réseau. Les banques alimentaires emploient par ailleurs un peu plus de 560 salariés, dont plus de la moitié au titre de l'insertion. En 2020, nous avons collecté l'équivalent de 112 500 tonnes de denrées alimentaires, dont plus de 75 000 tonnes sont issues du gaspillage. Pour rappel, la lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie du projet associatif des banques alimentaires et la récupération des invendus permet la distribution aux personnes en situation de précarité. Ces 112 500 tonnes collectées représentent l'équivalent de 225 millions de repas.

Pour mener nos actions, nous nous appuyons sur des partenaires de la chaîne alimentaire : grande distribution, producteurs agricoles de plus en plus nombreux à soutenir les associations d'aide alimentaire, industrie agroalimentaire. Nous bénéficions aussi de crédits nationaux pour les épiceries sociales, ainsi que du fonds européen d'aide aux plus démunis.

La charte des banques alimentaires est basée sur le don, le partage, le bénévolat ; ce sont des valeurs qui, pendant la crise sanitaire, se sont plus que jamais vivement exprimées. Pendant le premier confinement, l'aide alimentaire que nous avons distribuée a crû de 30 %. Nous avons accueilli 400 nouveaux partenaires associatifs et centres communaux d'action sociale (CCAS), signe que la mobilisation citoyenne a été très importante. Des associations nouvelles ont été créées en 2020 ; d'autres n'investissaient pas le champ de l'aide alimentaire avant la crise et ont fait évoluer leur domaine d'activités. Le réseau des banques alimentaires a accompagné ces nouveaux acteurs et organisé la distribution alimentaire avec eux.

65 % de nos bénévoles ont plus de soixante-cinq ans et une grande partie d'entre eux s'est mise en retrait pour se protéger de la pandémie. Pour autant, aucune banque alimentaire n'a fermé ses portes pendant les confinements et nous avons même été en capacité d'accueillir plus de 1 500 nouveaux volontaires, en situation de chômage partiel pour les salariés ou sans cours à suivre pour les étudiants. Ces nouveaux bénévoles nous ont permis de faire face à cette crise.

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

. Les Restos du cœur commenceront bientôt leur trente-septième campagne annuelle. Cependant, la crise ne connaît pas de saisons et nous montre que notre action ne peut plus se décliner autour d'une campagne d'hiver et d'une campagne d'été. La crise sanitaire a par ailleurs entraîné de vrais changements dans nos organisations et nous a conduits à réfléchir à nos projets associatifs.

Les Restos du cœur est une association née en 1985. En 2020, nous avons distribué 142 millions de repas, c'est-à-dire 6 millions de plus qu'en 2019. Le projet associatif actuel des Restos du cœur prendra fin en mai 2022 ; un nouveau projet associatif prendra alors la relève, après un vote par l'assemblée générale.

Nous avons mené une étude qui montre que 15 % des personnes qui sont venues aux Restos du cœur en 2020 ne l'auraient pas fait si cette crise n'avait pas eu lieu. Par ailleurs, du fait de cette crise, toutes les personnes qui arrivent habituellement à sortir de la précarité n'y sont pas parvenues, et leur situation s'est même aggravée. Nous avons ainsi vu émerger de nouveaux publics. Cette étude a permis d'affiner les besoins et de mieux connaître le public des bénéficiaires et leur nombre.

Les Restos du cœur proposent une aide alimentaire ; c'est l'activité la plus connue de l'association. Mais nous intervenons aussi dans le domaine de l'accompagnement et de l'aide à la personne. L'association regroupe 70 000 bénévoles. Le nombre de contacts noués avec les personnes à la rue a fortement augmenté avec la crise, pour atteindre 2,1 millions en 2020, contre 1,9 million avant la crise covid et 1,7 million l'année précédente.

Pendant cette période, les équipes se sont fortement mobilisées. L'année dernière, les Restos du cœur se sont ouverts à des partenariats inter-associatifs, principalement au niveau local, au plus près des besoins.

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Julien Meimon, président de Linkee

Linkee est une petite association par rapport aux banques alimentaires et aux Restos du cœur, avec lesquels nous travaillons régulièrement. Elle est née il y a cinq ans, positionnée sur l'aide alimentaire durable. Nous travaillons notamment dans le domaine de la récupération des invendus alimentaires, en parfait état et non périmés, pour les transporter en respectant la chaîne du froid avant de les distribuer en direct ou de les donner à des associations n'ayant pas de moyens logistiques.

La crise sanitaire aura des bornes dans le temps et nous espérons tous en sortir prochainement ; mais la crise sociale ne s'arrêtera pas avec la crise sanitaire et durera plus longtemps, ce qui nous oblige à être présents sur le long terme. Après l'annonce du premier confinement invitant chacun à rester chez soi, et après avoir vérifié la possibilité de poursuivre notre système d'aide, nous avons cherché à aller sur le terrain. Avec notre structure légère et agile, nous avons contacté les restaurateurs, traiteurs et professionnels de l'alimentaire qui fermaient leurs portes, pour récupérer leurs stocks. La crise nous a donc conduits à étendre le périmètre de nos actions. Cette agilité et cette forte mobilité ont été à la fois un facteur et une illustration de notre résilience et de notre capacité collective à dépasser une crise.

Pendant le premier confinement, nous nous sommes rendu compte que beaucoup d'étudiants fréquentaient les distributions. Pendant l'été 2020, nous avons donc pris la décision d'organiser des distributions dédiées aux étudiants, que nous avons lancées en octobre 2020. Nous n'avions aucune idée du nombre d'étudiants qui pourraient s'y rendre. Nous avons choisi de les organiser dans un format particulier, avec la distribution de colis alimentaires contenant des produits frais – légumes, fruits, viande, etc. –, des laitages, des produits secs, etc., qui leur permettaient de se nourrir pendant plusieurs jours. Ces colis pouvaient peser de 5 à 10 kilos et proposaient des produits bio et issus de l'agriculture vertueuse mais aussi des plats préparés par des chefs. Nous avons en effet mis en place des cuisines solidaires et invité des chefs à préparer des repas. Ces colis contenaient aussi des kits d'hygiène. Nous avons aussi fédéré d'autres associations en les faisant intervenir pendant les distributions, afin de pouvoir apporter une aide sur des problématiques connexes comme le logement, l'accès au droit, le soutien psychologique. Pendant toutes nos distributions, les Psys du cœur, par exemple, ont été présents.

Au lancement de cette opération, nous ne proposions qu'un lieu de distribution et tablions sur la présence de 300 à 500 étudiants. Au fil du temps, nous avons finalement ouvert dix-neuf lieux en Île-de-France, qui ont permis de distribuer 200 000 repas par mois. Ces distributions ont continué pendant l'été 2021 car nous considérons que les personnes en situation de précarité ont besoin de notre aide en permanence. Depuis septembre, nous constatons que les files d'attente commencent à grossir à l'approche de la rentrée universitaire. Des mesures ont certes été prises par le Gouvernement en faveur des étudiants, comme les repas à un euro dans les restaurants des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) : c'était une bonne mesure mais elle a été stoppée. Les étudiants se retrouvent donc dans la même situation qu'en 2020 et, fragilisés et paupérisés, ils ont encore besoin de colis alimentaires. Aussi, si nous avons connu un léger creux dans nos distributions pendant l'été, nous nous attendons à atteindre de nouveau 200 000 repas distribués par mois à l'automne.

Cette situation invite à se poser la question de notre résilience : est-ce une résilience durable ou momentanée ? Comment pouvons-nous la rendre durable pour sortir les étudiants de l'insécurité alimentaire ? Certes, la précarité étudiante existait avant la crise mais elle s'est généralisée et même aggravée pour un certain nombre de jeunes. Linkee a donc le sentiment d'assurer un filet de sécurité indispensable auprès d'eux ; mais nous avons aussi besoin d'un soutien pour continuer nos activités.

Linkee regroupe 7 000 bénévoles. Certains d'entre eux sont des étudiants en situation de précarité. Je sais que les Restos du cœur incitent aussi les bénéficiaires à devenir bénévoles car c'est un facteur de résilience. En effet, intégrer parmi les bénévoles les bénéficiaires permet d'atténuer la frontière entre celui qui donne et celui qui reçoit. En créant de la cohésion sociale, ce mécanisme est un facteur de résilience sociale et économique.

Pour conclure, j'insisterai sur le fait que nous sommes toujours en situation de tension ; mais nous bénéficions néanmoins de l'expérience acquise l'année dernière.

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Merci pour vos interventions et pour ce que vous faites au quotidien. Notre mission d'information porte sur la résilience nationale, c'est-à-dire sur la capacité de la nation à faire face à un choc brutal, qu'il s'agisse d'une crise cyber, climatique, énergétique ou d'une guerre. Une crise encore plus aiguë que celle que nous vivons actuellement pourrait entraîner la paralysie de secteurs entiers, touchant une population encore plus importante et obligeant à se reconfigurer pour réorganiser les circuits alimentaires. Nous espérons bien entendu que nous ne serons jamais confrontés à un tel scénario mais nous devons l'anticiper.

Des plans d'urgence sont-ils élaborés pour parer cette éventualité ? Avez-vous, en lien avec les services déconcentrés de l'État, envisagé le « scénario du pire » ? De quelle manière pourriez-vous alors vous réorganiser ?

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

Nous n'avons pas connaissance de plans d'urgence spécifiques, hormis le plan d'urgence sur l'aide alimentaire, qui est plutôt un plan d'urgence financier. Pour les Restos du cœur, ce plan d'urgence était peu adapté, car essentiellement décentralisé alors que nous avons un fonctionnement centralisé pour des raisons de mutualisation, d'optimisation logistique et d'efficacité. Par conséquent, même si ce plan a été généreux et efficace, ce n'était pas forcément la réponse que nous attendions.

Aux Restos du cœur, nous avons mis en place une cellule d'anticipation des crises qui permettra d'alimenter, avec les travaux de notre observatoire, des plans aboutissant à une cartographie des risques. Ce travail est en cours de réalisation.

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Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles des Restos du cœur

Pendant la crise, les associations se sont réorganisées d'elles-mêmes, en lien avec les pouvoirs publics avec lesquels nous avons continué à échanger ; mais nous étions davantage dans une logique d'information que d'anticipation de crise. Dès l'annonce du confinement, Les Restos du cœur ont retravaillé les modalités de distribution de l'aide alimentaire, avec la mise en place du colisage et de la distribution inconditionnelle. Nous étions en dialogue constant avec les pouvoirs publics au niveau national et au niveau décentralisé, mais ce dialogue n'a pas induit notre réorganisation.

La crise a montré la capacité d'absorption des chocs du monde associatif. Elle a aussi mis en lumière la complémentarité entre les grands réseaux – Banques alimentaires, Les Restos du cœur, etc. – et les initiatives citoyennes qui ont vu le jour pendant la période. Certaines de ces initiatives n'étaient pas pérennes mais visaient simplement à répondre à une urgence. Il est incontestable que la mobilisation du secteur associatif a été assez exceptionnelle pendant cette crise inédite ; la résilience de notre pays a pu s'appuyer sur cette mobilisation. Au début de la crise, la question de l'identification des activités indispensables à la vie de la nation a été posée et, très vite, l'aide alimentaire a été perçue comme indispensable.

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

Dès l'apparition du premier cas de covid-19 en France, nous avons mis en place une cellule de veille opérationnelle, fonctionnant sept jours sur sept, chargée d'alimenter nos associations départementales sur les conduites à tenir et sur les adaptations à mettre en place. Très vite, cette cellule de crise est devenue nationale, puis inter-associative. La décentralisation des actions a été nécessaire et essentielle ; elle a permis de compléter nos actions en nouant des partenariats locaux. Nous avons ainsi vu naître de petites associations de quartier ou rurales, qui ont pu compléter l'action des grands réseaux.

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Laurence Champier, directrice fédérale de la fédération française des banques alimentaires

La résilience a été patente dès le début de la crise sanitaire. Au niveau du réseau des banques alimentaires, nous avons une cellule de crise pérenne qui a été activée dès les annonces gouvernementales. Des points réguliers ont été organisés avec nos banques alimentaires et nos partenaires associatifs. Nous avons aussi su nous adapter pour accompagner nos associations. Alors que les banques alimentaires ne distribuent normalement pas directement aux bénéficiaires, nous avons pris la décision d'organiser ces distributions directes, si nécessaire, car certaines associations avaient fermé faute de bénévoles. Nous avons aussi mis en place du colisage et de la distribution directe auprès des épiceries sociales, qui ne pouvaient plus mener leurs activités. Tous ces exemples montrent à quel point le monde associatif a su faire preuve d'agilité pendant la crise.

La pertinence de l'action du monde associatif a été soulignée par la reconnaissance de son caractère indispensable à la Nation. Cette reconnaissance a donné une force à nos équipes et a renforcé la mobilisation. Le réseau des banques alimentaires est constitué à 90 % de bénévoles, qui se sont sentis soutenus par cette reconnaissance. Cette décision nous a aussi aidés à mettre en place des solutions agiles, par exemple à destination des étudiants. Aujourd'hui, un nouveau partenariat associatif sur dix est un dispositif spécifique pour les étudiants. Près de vingt-cinq dispositifs nouveaux en direction de ce public ont été montés entre le quatrième trimestre 2020 et le premier trimestre 2021. Ces chiffres illustrent que nous avons su mettre en place des solutions qui répondaient de manière active, dynamique et responsable aux besoins des territoires, comme nos confrères.

Par ailleurs, comme nous accompagnons des associations partenaires et des CCAS, nous avons été très rapidement identifiés comme le noyau central en mesure d'animer l'aide alimentaire sur les territoires. Nous l'avons fait avec les Restos du cœur, le Secours populaire et la Croix-Rouge et cette organisation de crise a aussi joué sur la résilience d'ensemble, car nous avons donné la preuve que nous étions capables de faire converger nos efforts en faveur d'un objectif commun qui était celui d'apporter l'aide alimentaire, chacun à notre niveau, avec nos forces et nos faiblesses et nos projets associatifs. C'est sans doute sur cet acquis que nous devons construire pour l'avenir.

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Julien Meimon, président de Linkee

La reconnaissance comme activité essentielle à la nation nous a aussi permis de circuler librement. Pendant le confinement, beaucoup de bénévoles ont rejoint nos rangs : alors qu'ils étaient 5 000 avant crise, ils sont désormais 7 000, signe que nos concitoyens veulent s'inscrire dans des démarches de solidarité.

Avec la crise, nous avons aussi pris conscience que beaucoup de personnes ne pouvaient pas manger à leur faim, bien au-delà des chiffres dont nous avions l'habitude. Cette crise a provoqué une explosion de la pauvreté en France. Beaucoup d'associations qui n'intervenaient pas dans le champ de l'aide alimentaire ont donc investi ce domaine. Le travail de Linkee a alors été de les approvisionner en denrées. Ces liens ont dynamisé un écosystème regroupant des associations de vocations différentes, mais qui ont uni leurs forces pour produire un effet plus massif. Tous autour de la table, avons contribué à cette aide alimentaire.

Je crois enfin que les pouvoirs publics ont toujours été là, au niveau national comme au niveau local, pour nous accompagner. Cependant, les interlocuteurs et les modes de communication n'étaient pas ceux que nous connaissions avant crise. En effet, pendant la crise, nous avons été en contact avec des interlocuteurs investis de responsabilités très élevées pour faire en sorte que nous puissions intervenir. Sans aller jusqu'à parler d'une organisation de temps de guerre, les canaux de communication ont été profondément modifiés et simplifiés. Cette nouvelle organisation nous a permis de nouer des contacts directs et immédiats. La résilience nationale a donc reposé sur des acteurs du monde privé, du monde associatif et des services publics, qui ont travaillé en étroite collaboration. Sans dresser un tableau idyllique de la situation, je pense que la coordination entre ces univers a été historique et à la mesure des enjeux.

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

. Si un plan d'urgence venait à voir le jour, la question de la disponibilité devrait certainement y être traitée. En effet, dans les premiers jours de la crise, nous avons dû mettre à l'abri nos bénévoles de plus de soixante-dix ans, qui représentent 35 % de nos forces vives. Ces derniers ont continué à exercer leurs missions à distance, en apportant leur aide sur le plan administratif ou en répondant aux permanences téléphoniques. Cependant, ce sont aussi de très nombreux bénévoles qu'il a fallu remplacer. Nous avons lancé un appel à bénévolat et reçu près de 18 000 candidatures. Pour rappel, les Restos du cœur rassemblent 70 000 bénévoles réguliers et 20 000 bénévoles intervenant pour des opérations ponctuelles. Les nouveaux bénévoles qui sont venus nous voir l'année dernière étaient des salariés en chômage partiel ou des étudiants qui n'avaient plus cours. Ces personnes ont accepté de donner de leur temps, mais ce temps n'est finalement pas reconnu. Pendant cette période, des grandes entreprises nous ont mis du personnel à disposition sans utiliser le dispositif du mécénat de compétences, parce que leur activité était moins forte et que des salariés volontaires étaient disposés à venir nous aider. Ces soutiens nous ont permis de mener des opérations de rénovation de locaux, par exemple. Ce type de mécanisme serait peut-être à sanctuariser dans le cadre d'un plan d'urgence. Il y a quelques années, nous avions commencé à étudier avec le gouvernement le don de jours de réduction du temps de travail (RTT). Nous pourrions peut-être même aller vers un mécanisme plus simple, consistant à donner du temps car l'engagement, c'est aussi du temps. Au-delà du don financier et du don en nature, le don de temps a beaucoup compté au cours des derniers mois, dans la manière dont nos équipes ont pu faire preuve de résilience.

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Laurence Champier, directrice fédérale de la fédération française des banques alimentaires

Sur de nombreux territoires, nous avons été soutenus à la fois par les préfectures et par les hauts commissaires dédiés à la lutte contre la pauvreté. Nous avons également co-organisé l'aide alimentaire et c'est sans doute une modalité qu'il faut pérenniser et inscrire dans un plan, pour que l'organisation soit activable le plus rapidement possible. Certes, nous avons connu un temps de sidération, car nous avons tous été sous le choc de l'annonce du confinement. Nous n'avons pas non plus pu obtenir immédiatement tous les équipements de protection nécessaires pour protéger nos équipes. Ce serait aussi à prévoir dans le cadre d'un plan d'urgence. Au début de la crise, la fédération des banques alimentaires a dû acheter elle-même ces protections, alors que chacun se souvient des difficultés à s'approvisionner à ce moment-là.

Parmi les points à améliorer, je citerai également les formulaires de dérogation, qui n'ont pas cessé d'évoluer, ce qui a posé des problèmes à nos équipes.

Le caractère essentiel de notre action ne s'est jamais démenti. En novembre dernier, une instruction interministérielle a autorisé nos bénévoles à mener leur collecte nationale en magasin. C'est aussi ce soutien important qui nous a permis de faire face, avec 110 000 bénévoles mobilisés en 2020.

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L'exercice est, certes, très périlleux et difficile mais je souhaiterais vous entendre sur les dispositions qui seraient à imaginer pour faire face à une crise encore plus forte que la crise du covid-19, par exemple une crise sanitaire encore plus létale ou une crise pouvant mettre à mal notre chaîne alimentaire et conduire à des rationnements. Selon vous, quelles solutions pourraient être imaginées pour faire face à une crise aussi aiguë ? Quelle pourrait être la répartition des rôles entre la puissance publique, les commerces et vous ?

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Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles des Restos du cœur

Il est toujours difficile de se projeter dans des scénarios catastrophiques. Cependant, il faut rappeler que, dans les premiers jours de la crise du covid-19, les rayonnages des magasins étaient vides, signe que la crise sanitaire était aussi alimentaire. Nous avions suffisamment de stocks pour faire face et nous avons pu venir en aide aux associations qui en manquaient. La crise a aussi conduit à replacer au centre du débat la question des circuits courts, avec des initiatives très intéressantes prises par des collectivités, qui ont permis d'acheter une partie de la production locale pour la redistribuer aux personnes dans le besoin. Face à une telle crise, la résilience passe aussi par des circuits très courts.

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Laurence Champier, directrice fédérale de la fédération française des banques alimentaires

. Dans notre projet associatif habituel, nous n'achetions pas de denrées mais la crise sanitaire nous a contraints à remettre à plat notre organisation et à acheter des biens locaux par l'intermédiaire de subventions allouées par l'État ou par les collectivités. La charte des banques alimentaires a d'ailleurs été revue lors de la dernière assemblée générale, pour permettre d'acheter directement les produits qui pourraient faire défaut. C'est une des réponses qu'il faudrait approfondir.

Par ailleurs, la crise nous a conduits à dialoguer avec le ministère chargé de la cohésion sociale mais très peu avec le ministère de l'agriculture. Or, il faudrait peut-être remettre au centre le premier acteur de la chaîne alimentaire en France, à savoir le ministère de l'agriculture, avec lequel nous pourrions peut-être préparer ces plans pour anticiper une catastrophe. Dans tous les cas, davantage de coopération avec ce ministère me semble nécessaire.

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

Il est vrai que nous nous sentons un peu seuls lorsqu'il s'agit d'acheter des productions locales à des agriculteurs qui sont eux-mêmes en difficulté. Nous avons dû poursuivre l'optimisation logistique et nous n'avons connu aucune rupture d'approvisionnement pendant toute la crise. C'est grâce aussi à la décentralisation des entrepôts d'opportunité, qui sont là justement pour recevoir des dons alimentaires des industriels en grande quantité mais aussi des productions locales en circuit court.

La traversée de la crise a été facilitée par toutes sortes d'élans de générosité et de solidarité. C'est bien grâce à l'addition de toutes ces solidarités que le système a été résilient. Toutes les associations qui en bénéficient ont pu se satisfaire du rehaussement à 1 000 euros du plafond de défiscalisation des dons au titre de la loi Coluche. Beaucoup de Français ont été encouragés par cette mesure et sont allés jusqu'au montant maximal de 1 000 euros – mesure qui prendra fin le 31 décembre 2021. Nous militons actuellement pour que les parlementaires et l'État acceptent de maintenir ce plafond au moins aussi longtemps que les effets de la crise se feront sentir.

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Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles des Restos du cœur

L'Europe a aussi été un acteur important. L'Union européenne a modifié rapidement ses règlements pour simplifier les processus de distribution de denrées du fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). Dans le cadre de la négociation du budget européen, elle a aussi pris en compte la question de l'aide alimentaire, avec un plan de relance qui prévoit un programme spécifique pour abonder l'aide alimentaire.

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Julien Meimon, président de Linkee

. La mobilisation des particuliers a été exceptionnelle pendant la crise, mais aussi celle des entreprises, avec des dons qui nous ont permis de soutenir nos actions – financer la logistique, animer la communauté des bénévoles, etc. Je rappelle en effet que l'animation des bénévoles représente un coût, si l'on souhaite qu'elle soit efficace et organisée.

Nous avons évoqué la question de la reconnaissance du temps passé à aider les associations. Plusieurs dispositifs existent déjà, notamment la possibilité de valider les acquis de l'expérience bénévole – mais de manière partielle seulement. Cette reconnaissance devrait être améliorée car les bénévoles qui viennent nous prêter main-forte de manière régulière mettent leurs compétences au service de l'association tout en acquérant des compétences nouvelles qui devraient être valorisées professionnellement. Ce sont en effet des savoir-être et des savoir-faire qui leur permettront aussi d'être meilleurs dans leur travail.

Si jamais un scénario catastrophe venait à survenir, je pense que nous trouverions des solutions, quelle que soit la gravité de la crise. Si la logistique était dégradée, je suis certain que nous trouverions des bénévoles disposés à faire un Paris-Roubaix en vélo-cargo pour transporter 200 kilos de nourriture ! Dans chacune de nos associations, nous pouvons compter sur des bénévoles très actifs et mobilisés.

Pour terminer, je reviendrai brièvement sur les circuits courts. Nous avons créé Linkee dans l'objectif de travailler en circuits courts avec de la récupération et de la redistribution en proximité et à flux tendus, c'est-à-dire sans stockage dans un entrepôt. Ceci nous permet de gagner du temps et de redistribuer des produits à date limite de consommation (DLC) très courte.

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Pour avoir été bénévole aux Restos du cœur, je sais que la structuration administrative régissant l'accès au service est parfois lourde. Avez-vous dû dégrader cette procédure pour répondre de manière agile et rapide à des demandes ponctuelles ?

Avez-vous mis en place une messagerie pour les appels d'urgence ?

Vous avez souligné l'action des directions de la cohésion sociale, qui sont en effet un échelon décisionnel et organisationnel pertinent. Vous a-t-il été proposé d'intégrer les plans de sauvegarde de certaines communes, en fonction de vos implantations ?

Avez-vous eu besoin de sécuriser vos entrepôts ? En particulier, avez-vous pu bénéficier de l'opération Résilience de l'armée destinée à sécuriser certains locaux ?

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

Au début de la crise, nous avons été victimes de nombreux cambriolages dans nos entrepôts et centres d'activité. Nous avons dû alerter les services du ministère de l'intérieur pour que les services de police effectuent des rondes plus fréquentes à proximité de nos entrepôts. Puis, très rapidement, nous avons mis en place un partenariat avec une entreprise privée spécialisée dans la vidéosurveillance et la télésurveillance, ce qui a permis de freiner le nombre de vols.

Pendant la crise, nos procédures ont bien entendu été dégradées. Par exemple, nous avons mis en place des systèmes de colisage pour répondre aux contraintes de sécurité sanitaire dans nos locaux, lorsqu'il n'était pas possible d'accueillir en toute sécurité les bénéficiaires. Notre valeur essentielle, qui est celle de l'accueil inconditionnel, a été très présente et doit être préservée dans toutes nos activités. Nous avons aussi « banque-alimentarisé » certains de nos fonctionnements pendant quelques mois, lorsque nous avons dû livrer des palettes de denrées à des associations qui en avaient besoin, ou dans des camps de migrants, avec d'autres associations, comme Utopia par exemple. Nous avons aussi dû nous adapter à des fonctionnements locaux très différents. Par exemple, nous avons beaucoup utilisé l'application WhatsApp pour mettre en relation les personnes accueillies et nos équipes. Nous avons aussi utilisé des plateformes d'envoi en nombre de SMS et nous continuons à le faire. Le numérique fait partie d'un plan de modernisation qui sera au cœur de notre prochain projet associatif.

Par ailleurs, les 2 000 centres d'activité des Restos du cœur n'ont pas été suffisants pour faire face aux besoins et nous avons dû développer des centres itinérants, dans une démarche d'aller vers qui est appelée à devenir essentielle, qu'elle soit urbaine, pour aller vers les personnes les plus éloignées de nos dispositifs, ou qu'elle soit rurale, pour couvrir les « zones blanches ».

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Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles des Restos du cœur

Nous avons pu bénéficier de l'opération Résilience mais de manière ponctuelle, par exemple pour la mise à disposition par l'armée de barnums. En revanche, sur la question de la sécurisation des entrepôts, nous avons fait remonter le sujet au ministère de l'intérieur qui l'a intégré au sein des instructions ministérielles qui ont ensuite été adressées à l'ensemble des préfectures.

Concernant nos procédures, l'assouplissement a consisté à suspendre le barème pour proposer une distribution inconditionnelle.

Nous avons développé une plate-forme de SMS pour garder le lien avec les personnes accueillies.

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Patrice Douret, président du conseil d'administration des Restos du cœur

Cette plate-forme a aussi facilité l'accès à l'information et à l'inscription dans le cadre des opérations de vaccination qui ont été réalisées avec un certain nombre de partenaires, dont les caisses primaires d'assurance maladie.

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Laurence Champier, directrice fédérale de la fédération française des banques alimentaires

Au niveau des banques alimentaires, nous avons rapidement pris la décision de mettre en place une fongibilité de toutes nos sources d'approvisionnement. Pour rappel, le FEAD ne peut pas être distribué aux épiceries sociales et les crédits nationaux des épiceries sociales ne peuvent pas être distribués aux associations bénéficiant du FEAD. Cependant, la fongibilité mise en place a permis de faire face aux demandes des associations et de répondre à leurs demandes d'approvisionnement.

Nous avons aussi soutenu le développement de distributions itinérantes en milieu rural et périurbain.

Nous n'avons pas bénéficié de l'opération Résilience de l'armée car ce sont essentiellement les associations de terrain qui étaient ciblées par cette opération.

Depuis janvier 2021, nous avons mis en place une cartographie permettant d'identifier les « zones blanches » et d'accompagner le développement d'associations sur ces territoires ou de conduire nous-mêmes ces interventions. La charte des banques alimentaires permet en effet désormais que les banques alimentaires puissent monter des associations en propre et assurer la distribution partout où c'est nécessaire, là où nos collègues ne sont pas présents ou en association avec eux. Dans ce domaine, beaucoup de nos projets sont co-construits avec l'Ordre de Malte et la Croix-Rouge française. Nous sommes aussi partenaires de Linkee.

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Julien Meimon, président de Linkee

Nous n'avons pas demandé à bénéficier de l'opération Résilience car nous n'avons pas d'entrepôts et que nous travaillons à flux tendus. Nous n'avons pas accès au FEAD.

M. Patrice Douret a évoqué l'utilisation de l'application WhatsApp, qui est une application privée. Nous sommes en effet tributaires de ces entreprises qui offrent des services gratuits mais pour lesquels des questions se posent quant à l'utilisation des données. Pour notre part, nous avons beaucoup utilisé WhatsApp, les outils de visioconférence mais aussi le téléphone. Les réseaux sociaux ont également été utilisés comme des outils de gestion administrative et de communication, pour toucher directement les publics.

Lorsque nous avons pris la décision de créer des distributions dédiées aux étudiants, nous avons décidé de les organiser dans des tiers-lieux, c'est-à-dire pas dans la rue mais dans des restaurants et des bars qui avaient fermé pendant le confinement. Nous leur avons ainsi donné une utilité marginale. En outre, ces distributions ont pu être organisées dans un cadre agréable. Ces solutions ont permis de proposer des distributions non stigmatisantes. Nous ne regrettons pas ce choix ; mais aujourd'hui, nous devons trouver d'autres lieux, puisque ces bars et restaurants ont depuis rouvert au public. Par ailleurs, dès le départ, nous avons fait le choix d'un accueil inconditionnel, partant du principe que toute personne qui sollicite l'aide alimentaire en a besoin, sans vérifier et sans recourir à des barèmes. En revanche, nous avons mis en place un questionnaire à la sortie de la distribution, qui porte sur les précarités des étudiants, et dont les résultats ont été exploités dans une étude publiée en juillet 2021, « Un an de précarités étudiantes ».

La réunion se termine à douze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne

Excusé. - M. Alexandre Freschi