La séance est ouverte à 19 heures 40.
Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente
La mission d'information sur la concrétisation des lois entend Mme Céline Kauffmann, responsable adjointe de la division de la politique réglementaire de l'OCDE, de Mme Christiane Arndt-Bascle, responsable du programme sur la mesure de la performance réglementaire, et de M. Miguel Amaral, responsable du programme sur les nouvelles technologies.
Je remercie Mme Céline Kauffmann, responsable adjointe de la division de la politique réglementaire de l'OCDE, Mme Christiane Arndt-Bascle, responsable du programme sur la mesure de la performance réglementaire et M. Miguel Amaral, responsable du programme sur les nouvelles technologies, d'avoir accepté l'invitation de notre mission d'information. Nos premières auditions ont pour objectif de nous permettre de mieux comprendre la vie de la loi après sa promulgation et sa publication au Journal officiel, c'est-à-dire lorsque le pouvoir législatif - que nous incarnons - confie la loi votée au bon soin du pouvoir exécutif, pour que celui-ci prenne les mesures réglementaires nécessaires et la mette en oeuvre sur le terrain.
Le partage entre les deux pouvoirs ne suit pas exactement la même ligne dans tous les pays, mais il existe dans toutes les démocraties. En France, l'articulation entre les pouvoirs législatif et exécutif n'est pas toujours parfaitement fluide, ce qui se traduit par une application tardive ou imparfaite des lois. Nous sommes très intéressés par la manière dont cela se passe chez nos principaux partenaires, et en particulier par les bonnes pratiques que nous pouvons y observer. L'approche comparatiste de l'OCDE peut être ainsi riche d'enseignements pour nos travaux, tout comme le regard extérieur que l'organisation porte sur le fonctionnement des institutions françaises. Je précise que cette audition est ouverte à la presse, retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale et qu'elle fera l'objet d'un compte-rendu.
C'est une grande joie d'être ici pour cette audition. Je tiens à préciser que nous ne sommes pas des experts de la France. Nous travaillons au sein de la division de la politique réglementaire à l'OCDE. Nous y couvrons les pratiques de tous les pays en matière de politique réglementaire. Nous étudions notamment la manière dont les pays réalisent des évaluations ex post de leurs lois et réglementations ainsi que la façon dont les différents acteurs participent aux dispositifs mis en place par les pays pour s'assurer de la qualité de leur réglementation.
Nous sommes ravis de partager avec vous l'expérience comparative entre ces pays, mais nous n'avons pas d'expériences très récentes de la France. La dernière revue de la France que nous avons effectuée date de 2009-2010. C'est un peu ancien pour fonder une évaluation précise des pratiques françaises actuelles, même si nous sommes évidemment des témoins de ce qui peut se passer en France, comme dans les autres pays, par le biais de la collecte d'informations et des enquêtes que nous menons. Je souhaitais, avant toutes choses, vous apporter ces précisions. Pourriez-vous nous indiquer qui sont les personnes présentes dans la salle ?
C'est une audition publique et enregistrée. Je suis l'un des rapporteurs de cette mission, député du Val-de-Marne. Ce qui nous intéresse dans cette audition, c'est l'exercice de « parangonnage » pour essayer de comprendre comment fonctionnent les autres pays par rapport à la France. C'est parfait que vous ne soyez pas des experts de la France. Cette audition a pour but de mettre plutôt en lumière d'autres pratiques étrangères, afin de voir s'il y a des bonnes pratiques dans d'autres pays et si elles peuvent être des sources d'inspiration afin d'améliorer la bonne application et la bonne exécution des lois en France.
Notre constat, et la raison pour laquelle nous avons créé cette mission, c'est que nous savons voter des lois et amender des textes. C'est dans notre coeur de métier de législateurs. Nous savons aussi, de plus en plus, évaluer ex post les lois et les politiques publiques. Mais nous sommes dans une zone de flou quant à l'application des lois, c'est-à-dire une fois qu'elles sont votées, qu'elles quittent cette maison et qu'elles sont promulguées par le Président de la République. Que se passe-t-il ensuite ? Des décrets d'application sont pris par le gouvernement. Nous recevions d'ailleurs, avant vous, le Secrétaire général du gouvernement qui s'occupe particulièrement de cette question.
Au-delà de la publication de décrets, nous nous rendons compte, en tant qu'élus de la nation, chacun dans sa circonscription, que, sur le terrain, un certain nombre d'aspects techniques votés ne sont pas suivis d'effets. Nos concitoyens nous disent : « Vous avez voté telle mesure. Vous en avez parlé à la radio. Mais lorsque je vais voir mon agent de guichet à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), ou à la direction des finances publiques, etc., il me dit que cela n'existe pas ». C'est ce décalage entre la réalité du terrain et la volonté du législateur qui pose problème et que nous essayons de comprendre, afin de tenter de le corriger.
Ma première question porte sur la comparaison internationale que vous avez effectuée. Dans un rapport de 2018, qui s'intitule Politique de la réglementation et perspectives de l'OCDE 2018, vous indiquez que « le cycle de vie des textes législatifs et réglementaires reste largement incomplet ». Vous mentionnez ainsi, de façon globale, que les pays maîtrisent mieux les premières étapes du cycle de vie d'un texte que ses étapes ultérieures. C'est précisément cet aspect qui nous intéresse, à savoir la mise en application des textes existants.
Pourriez-vous détailler ce constat ? Qu'avez-vous observé ces dernières années en termes de progrès, dans quel(s) pays, et pourquoi ? C'est une question simple qui résume assez bien ce que nous attendons de cette audition.
Dans le rapport que vous venez de citer, nous constations que les pays se concentrent beaucoup plus sur le développement de leurs lois et de leur réglementation, que sur la manière de les appliquer. Cela comporte deux dimensions :
– les autorités des pays se focalisent largement sur le « design » de leurs lois. Mais une fois qu'elles sont publiées, peu de pays mettent en place un suivi systématique de leur application par des organismes d'inspection ou bien une politique de « mise en conformité » (compliance) pour s'assurer que les parties soumises à la réglementation respectent les prescriptions réglementaires applicables. Beaucoup de frictions ou d'inadéquations se révèlent au moment de la mise en application des lois et sont très pesantes pour les citoyens, parfois aussi pour les entreprises. En général, on observe une grande fragmentation des portefeuilles entre ceux qui élaborent les lois et ceux qui les mettent en application. Il n'existe souvent pas de « mécanismes de retour » permettant d'informer ceux qui élaborent la loi de son éventuelle inadéquation sur le terrain et de l'opportunité de sa révision ;
– les pays investissent beaucoup plus dans des études préalables en amont qu'ils ne le font dans l'évaluation ex post des lois. La plupart des pays n'ont pas de méthodologie permettant de regarder systématiquement si les lois atteignent leurs objectifs, alors que c'est le préalable de toute évaluation réussie, en tout cas d'après la doctrine des pays de l'OCDE. Mme Christiane Arndt-Bascle complétera mes propos sur ce point.
Certains pays font évidemment mieux que d'autres dans ce domaine. Le Royaume-Uni est généralement mis en avant pour le travail réalisé par ses organismes d'inspection et pour sa politique de mise en conformité des textes. Au Royaume-Uni, les organismes d'inspection travaillent de manière horizontale, ils ne sont pas fragmentées par ministère ou par domaine et ont des principes communs : ils demandent à leurs régulateurs et à leurs ministères de rendre compte, systématiquement, de leur politique de mise en oeuvre des réglementations.
En ce qui concerne les évaluations ex post, il y a un certain nombre de leaders au sein des pays de l'OCDE, comme l'Australie qui a systématisé le processus d'évaluation ex post. La commission australienne de la productivité (productivity commission) a la charge d'effectuer ces évaluations et elle peut faire valoir son droit de réponse, c'est-à-dire demander au gouvernement quelles suites seront données aux recommandations qu'elle émet à la suite de ces évaluations. Le point essentiel est que les évaluations doivent être suivies d'effets, ce qui n'est pas forcément le cas partout. Un des mécanismes possibles est de mettre en place une sorte de droit de réponse ou d'obligation de réponse des autorités.
Pour compléter les propos de Mme Céline Kauffmann, je souhaiterais insister sur le fait que dans la plupart des pays européens, l'accent a été mis sur la réduction du fardeau administratif (administrative burden). Les politiques d'évaluation se sont focalisées sur la réduction du fardeau réglementaire, ce qui n'est pas une mauvaise idée, mais ce qui n'est pas suffisant pour permettre une bonne mise en application des lois.
L'Union européenne a amélioré en profondeur son système d'évaluation ex post. Elle regarde s'il faut vraiment une loi ou s'il y a des options alternatives, parce que parfois, d'autres mesures marchent mieux. Elle s'intéresse également aux effets, parfois contre-productifs, des lois ainsi qu'aux sciences comportementales : tout le monde se rend compte que dans la pratique, les êtres humains ne réagissent pas forcément de la manière qu'on avait anticipée.
Il faut donc constater ce qui ne marche pas. Mais il faut surtout comprendre pourquoi cela ne marche pas. Lorsqu'une loi est votée, il faut également prévoir en amont comment cette loi sera évaluée (selon quels indicateurs ? avec quelles données ? qui sera chargé de l'évaluation ? quand cette évaluation sera-t-elle faite ?).
L'Union européenne a maintenant un principe : c'est l'« évaluation d'abord » (« Evaluate first ») : les mesures en place doivent être évaluées avant que soit proposée une nouvelle loi. Il y a un peu de schizophrénie dans les attentes des citoyens envers les gouvernements. Ils ne sont jamais contents qu'il y ait trop de lois et considèrent parfois que tous ces textes sont de la « paperasse ». Mais si une catastrophe arrive, ils jugent que les députés sont passifs, s'ils ne votent pas immédiatement une loi. Mesdames et messieurs les députés, la pression que vous connaissez n'est pas évidente. Nous avons fait une étude approfondie au sujet de l'Europe que nous pourrons vous communiquer.
Nous sommes ravies d'avoir été convoquées. C'est toujours agréable de pouvoir partager notre travail. Nous pourrons vous envoyer plus d'éléments sur ce que la France pourrait améliorer, notamment quant aux consultations des parties prenantes.
À vous entendre, je comprends qu'une loi est une boucle. L'étude d'impact ex ante doit partir aussi du terrain pour revenir, à la fin, sur une étude d'impact ex post de la loi elle-même. Il faut des études d'impact pour concevoir et des études d'impact pour évaluer. Nous sommes dans un mouvement circulaire qui n'est pas encore complètement intégré en France.
Puisque nous avons un souci d'efficacité, pourriez-vous nous citer des « bonnes pratiques » que vous avez pu constater au sujet de la concrétisation de la loi ? Quels dispositifs les autres pays ont-ils mis en place pour apprécier la concrétisation d'une loi dans ses dimensions qualitative et quantitative ? Quelles sont les bonnes pratiques ? Vous avez mentionné l'Australie et le Royaume-Uni : pourriez-vous nous citer d'autres exemples ?
Il est plus pertinent, dans le cadre de notre mission, de nous focaliser sur la delivery unit du Royaume-Uni que sur l'expertise australienne d'évaluation ex post. Ce qui nous intéresse vraiment, c'est la notion de delivery unit. Nous avons déjà un peu lu et travaillé sur ce sujet. Il y avait d'ailleurs une bonne note du think tank français Terra Nova à ce sujet. Le Gouvernement a commencé à agir sur cet aspect, puisque maintenant, chaque cabinet ministériel est doté d'un onzième conseiller spécialisé dans la bonne application des réformes.
Pourriez-vous nous décrire un peu plus précisément ce qu'est la delivery unit à l'anglaise ? Comment pouvons-nous commencer à nous en rapprocher ? Que nous faudrait-il faire pour atteindre la même efficacité ?
La delivery unit au Royaume-Uni a disparu depuis environ un an. Elle a été incluse dans le ministère des petits commerces, de l'industrie et des entreprises (minister for Small Business, Industry and Enterprise), dont fait partie l'Office of Product Safety and Standards (OPSS) en charge de mettre en place des standards et un système de marché pour l'après Brexit. Si la delivery unit a disparu en tant que telle pour le moment, chaque ministère et chaque régulateur doivent élaborer une politique de mise en conformité et rendre publique cette politique sur leur site. Cela force les ministères à porter une attention accrue à la mise en oeuvre des lois.
Le Royaume-Uni a essayé d'harmoniser les pratiques entre les différents ministères et régulateurs en élaborant un certain nombre de lignes directrices. Dans ce pays, les inspections ne sont pas uniquement centrées sur les sanctions : elles suivent l'esprit de la loi, plutôt que sa lettre et laissent une marge de flexibilité et de doute aux contrevenants afin qu'ils puissent « rentrer dans l'ordre ». La France a également avancé dans cette direction.
Concernant le fait que la delivery unit soit intégrée à un ministère, avons-nous assez de recul aujourd'hui pour savoir si cela est efficace ou pas ?
Non, et ce d'autant moins que ce nouveau positionnement, adapté aux circonstances, n'est pas forcément un changement à long terme.
Il y a d'autres pays avancés dans ces domaines. Malheureusement, vous n'avez pas les experts en inspection de la division. L'autre exemple souvent mentionné est celui des Pays-Bas. Ils ont mené des efforts de consolidation des inspections il y a quelques années. Au lieu d'avoir une inspection par ministère, ils ont fusionné les inspections entre les ministères. Nous pouvons vous envoyer plus d'informations sur ce sujet.
Vous évoquez en quelque sorte la réorganisation des inspections pour qu'elles soient, non plus verticales, mais horizontales et au plus près des citoyens. Nous notons cela effectivement. Mais nous sommes à l'Assemblée nationale, avec des députés. Notre préoccupation est de participer au contrôle ex post, c'est-à-dire après la promulgation de la loi. Avez-vous un exemple de dispositifs similaires mis en place dans d'autres pays de l'OCDE ?
Concernant la participation des parlementaires à la mise en oeuvre des lois, je voudrais insister sur l'importance de l'ex ante. Si la loi n'est pas initialement une bonne loi, et notamment si les processus et les approches de mise en oeuvre ne sont pas pris en compte lors de l'élaboration de la loi, alors il y a peu de chances qu'in fine, la mise en oeuvre soit bonne. L'ex ante est essentiel parce qu'il contribue à la qualité de la loi et à la possibilité de sa mise en oeuvre. Même si vous ne souhaitez pas vous focaliser sur cet aspect maintenant, sachez qu'il existe différentes modalités d'intégration, en amont, de clauses d'évaluation dans les lois, développées par les pays de l'OCDE.
Nous sommes d'accord avec vous, mais je me permets de reposer la question : avez-vous un exemple, dans les pays de l'OCDE, de parlementaires qui s'emparent du contrôle de la loi qu'ils ont votée et de son application sur le terrain ? Mais peut-être n'avez-vous pas d'exemple de ce type, et nous serons donc les premiers à nous lancer dans l'aventure !
En France, pour une loi ou un décret spécifique, il n'est pas obligatoire d'établir une analyse d'impact comprenant une analyse des mécanismes de mise en oeuvre. D'autres pays le font systématiquement, comme le Canada.
Concernant l'implication des parlementaires dans la mise en oeuvre des inspections, certains de nos collègues travaillent sur ce sujet. Ils ne sont malheureusement pas là ce soir, mais nous pourrons leur demander des informations. Ce n'était pas le sujet du rapport que nous venons de présenter.
Nous pouvons vous envoyer tout le travail qui a été fait à l'OCDE, mais j'essaie de penser à quelle forme cela pourrait prendre. Vous nous demandez si nous avons des exemples dans lesquels les parlementaires se seraient saisis des résultats des inspections, ou auraient contribué aux inspections ? Les parlements ont évidemment un rôle essentiel à jouer dans l'évaluation ex post. Ils doivent pouvoir dire, au vu des données qu'ils ont, si la loi n'est pas appliquée ou si elle rencontre d'énormes problèmes dans son application, pour telle ou telle raison, afin de proposer de la réviser, si nécessaire. Mais je ne comprends pas quelle est l'alternative…
Notre ambition est de replacer le parlementaire dans le suivi de l'application de la loi, et ce pendant l'application de la loi. Ce n'est ni l'évaluation « ex ante », ni « ex post ». Pour faire l'évaluation ex post, il faut avoir assez de recul car la loi doit être déjà appliquée depuis un certain temps : c'est constitutionnellement le rôle du parlementaire, chargé de l'évaluation des politiques publiques.
Mais ce que nous voudrions faire, comme nous sommes des élus de terrain, c'est accompagner les administrations centrales et déconcentrées, notamment les préfets, pour nous assurer de la bonne application des lois. Connaissez-vous des pays où les parlementaires jouent un rôle sur le terrain de façon encadrée, voire presque institutionnalisée, après le vote solennel d'une loi en lecture définitive pour s'assurer que tel décret d'application est bien signé et va bien être suivi d'effets dans une agence ou une administration déconcentrée, jusqu'à l'usager du service public ? Connaissez-vous un pays dans lequel les textes prévoient que les parlementaires assurent ce rôle aux côtés de l'administration ?
Hochements de tête négatifs de Mme Céline Kauffmann et de Mme Christiane Arndt-Bascle.
Je voudrais revenir sur la science comportementale. Avez-vous des exemples plus concrets d'études qui ont permis de mieux adapter l'application des lois ? Je crois volontiers que ce que nous faisons ici n'est pas toujours parfaitement adapté au comportement de l'usager. Vous visiez sans doute cela lorsque vous parliez de sciences comportementales. Mais il faut aussi prendre en compte le comportement des agents publics.
À titre d'exemple, nous avons voté la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi « Essoc ». Son article 2 prévoit la mise en place d'un droit à l'erreur. C'est très concret et tout le monde comprend ce que cela veut dire. Mais c'est extrêmement compliqué à appliquer. Comment peut-on apprécier l'erreur ? Comment pouvons-nous faire en sorte que l'agent de guichet soit davantage dans le conseil et l'accompagnement, plutôt que dans le contrôle et la sanction ? Ce sont des aspects qui dépendent davantage de la culture administrative que de la seule application des lois. Y a-t-il eu des travaux faits à ce sujet ? Y a-t-il eu des utilisations des sciences comportementales, ou de la théorie du « nudge », auprès des agents et des usagers, permettant de bien adapter et de bien faire correspondre la volonté du législateur et la bonne application d'une loi ?
Je ne suis pas experte dans ce domaine, mais j'en ai parlé ce matin avec un collègue qui travaille sur ce sujet. Par exemple, nous nous sommes rendu compte que seules 5 % des personnes qui ne paient pas d'impôt ne veulent vraiment pas en payer. Pour les autres, le problème est souvent dû à la complexité des démarches. Il faut vraiment être un expert et avoir un niveau d'éducation incroyable pour remplir tous les formulaires. Certains pays ont travaillé sur ces aspects pour faciliter les démarches.
Le secteur privé connaît très bien les sciences comportementales et les applique depuis très longtemps. Par exemple, avant, lorsque nous achetions un billet de train, l'option des assurances étaient présélectionnée. L'Union européenne a exigé que ce ne soit plus le cas. Je n'ai pas trouvé de rapports concernant précisément l'évaluation des lois mais je pourrais vous en envoyer et vous mettre en contact avec mon collègue qui connaît davantage le sujet.
Vous avez une connaissance extrêmement large de tous les systèmes pouvant exister dans les différents pays. En France, nous sommes dans un régime démocratique avec un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif. La question est la suivante : comment faisons-nous pour travailler, une fois que nous avons légiféré et que l'exécutif exécute ? Cette préoccupation ne se pose pas qu'en France. Je comprends que la question soit difficile et que vous ne puissiez pas répondre tout de suite. Mais pourriez-vous voir de votre côté, auprès de vos experts, si cette dimension est actuellement explorée ailleurs ? Et si le travail du député sur le terrain devient une réalité dans d'autres pays ? Serait-il envisageable pour vous d'y réfléchir et de nous transmettre par la suite le résultat de vos travaux ?
Nous pourrons vous envoyer par la suite d'autres informations. Mais nous avons une différence de compréhension à la base de notre discussion. Il y a une manière de rendre l'évaluation ex post beaucoup plus souple et flexible afin qu'elle fasse partie d'un cycle et qu'elle permette aux parlementaires de se saisir de la question de la mise en oeuvre des lois. J'ai l'impression que nous avons une conception différente de ce qu'est l'évaluation ex post et que, pour vous, l'évaluation ex post intervient très tardivement.
Or, l'évaluation ex post ne doit pas intervenir tous les 20 ou 25 ans : il s'agit de mettre en place un système de collecte d'informations sur la manière dont les réglementations affectent les usagers, afin de pouvoir faire un retour circonstancié et fréquent sur l'application de la loi. L'évaluation ex post doit intervenir sur les petites mesures, plutôt que sur de grandes politiques gouvernementales, pour qu'elle soit justement beaucoup plus ciblée.
Nous pouvons essayer d'être un peu plus concrets pour tenter de mieux nous comprendre. Nous votons une loi mais ensuite, pour sa mise en application pratique, il doit y avoir une adaptation de la réglementation, c'est-à-dire la sortie de décrets ou d'autres textes : c'est à ce niveau que nous nous situons.
Dans les autres pays de l'OCDE, lorsque des parlementaires votent une loi, combien de temps après est-elle traduite par des mesures réglementaires ? En combien de temps arrive-t-elle concrètement dans les administrations ? Les parlementaires sont-ils associés à l'élaboration de la norme d'application ? Comment peuvent-ils faire attention à ne pas recréer des normes qui se superposent aux précédentes ? Y a-t-il des mécanismes qui évitent cela ?
Notre question principale est : sommes-nous loin derrière d'autres pays à ce sujet ? Pouvons-nous faire des progrès ? Et comment les faire pour que nos lois se concrétisent rapidement dans la vie des gens ? C'est à ce niveau que nous aimerions pouvoir nous comparer avec d'autres pays.
Si nous nous plaçons du point de vue de la comparaison entre les pays, peut-être que la France se caractérise par un niveau de précision de la norme écrite qui n'a pas d'équivalent. Lorsque nous votons une loi, nous nous disons qu'elle est suffisamment précise car son texte fait des dizaines de pages et des centaines d'articles. Mais ce n'est pas le cas. Il faut ajouter des décrets, puis des circulaires : le niveau d'interprétation et d'application de la loi en France est excessif. Nous ne maitrisons pas la complexité du pouvoir réglementaire et ce « décollage » du pouvoir normatif par rapport à l'expression de la volonté du législateur n'est pas normal.
Pour bien comprendre notre problématique, je vais vous parler de ce que je connais bien, c'est-à-dire l'informatique. Lorsque vous faites un projet informatique, vous écrivez d'abord un cahier des charges. C'est comme une étude d'impact. Ensuite, vous écrivez des spécifications fonctionnelles et techniques. C'est ce que nous faisons à travers la loi. Puis vient la phase « mise en oeuvre » pendant laquelle nous sommes dans un modèle agile, avec une logique d'itération constante.
Mais lorsque nous votons une loi, nous avons finalisé nos spécifications avec un résultat attendu. Et c'est entre ce moment-là et celui de l'évaluation, une fois que les décrets sont sortis ou mis en oeuvre, qu'il n'y a plus d'itérations. En fait, nous perdons la main. Nous n'avons plus de visibilité sur le choix des techniques de mise en oeuvre, qui sont le décret d'application et ensuite les circulaires administratives. Cela nous échappe et nous nous rendons compte aujourd'hui que c'est justement sur cette partie que le parlementaire n'est plus associé. Elle est un peu obscure pour nous. Mais nous pouvons quand même nous rendre compte qu'un décret d'application, ou une circulaire, peut être déformé par rapport à l'esprit même de la spécification initiale mise dans la loi.
Notre question est donc : comment pouvons-nous, en tant que parlementaire, être associé au suivi de la mise en oeuvre de la loi ? Existe-t-il des pays qui ont réussi à mettre cela en oeuvre, peut-être sous une autre forme ? Comment sont-ils parvenus à permettre cette itération constante, cette agilité, cette souplesse et cette flexibilité qui sont nécessaires pour être réactifs par rapport aux retours des utilisateurs ?
Nous n'avons pas de données statistiques comparant la complexité des systèmes réglementaires entre les pays, parce que ce serait extrêmement difficile à faire. Nous n'avons pas non plus de données sur le temps que les pays prennent pour élaborer leurs décrets d'application.
En revanche, la discussion me fait penser qu'idéalement, dans un système réglementaire fonctionnel, les mesures réglementaires phares, et non seulement la loi, devraient faire l'objet d'études préalables d'impact, pour que vous puissiez vérifier si elles sont en lien avec l'esprit de la loi. L'OCDE ne préconise pas systématiquement une étude d'évaluation d'impact préalable mais le préconise pour tous les textes majeurs, primaires ou secondaires.
D'après ce que j'ai pu voir dans d'autres pays - ne le prenez pas mal - les parlementaires en France se saisissent moins des études préalables d'impact que les parlementaires d'autres pays, notamment du Royaume-Uni.
Ce que nous avons compris du système en France, c'est qu'il y a eu un léger changement dans le rôle que pouvait jouer le Secrétariat général du gouvernement quant à ces études préalables. Nous portons beaucoup d'attention, peut-être trop, à ces études préalables d'impact, parce que si elles arrivent en temps et en heure, elles sont une vraie aide pour les parlementaires. Si elles sont publiées, les citoyens et les entreprises peuvent s'en saisir aussi pour réagir sur les textes.
Ensuite, un certain nombre de mécanismes peuvent aider à gérer ce qu'on appelle le « flux des lois avec le stock ». Vous avez sans doute entendu parler du « une de plus, une de moins» (« One in, one out ») que les Britanniques ont mis à l'ordre du jour il y a une dizaine d'années pour réduire le stock de normes et que beaucoup de pays ont adopté, y compris la France, d'une certaine manière.
C'est sûr qu'une étude d'impact co-construite, peut-être même avec le Parlement, le gouvernement et les citoyens, est tout à fait essentielle pour la qualité de la loi et son application sur le territoire. Il faut noter l'importance de la cohérence globale du système. Mais notre problème est la concrétisation de la loi entre sa promulgation et son évaluation. Avec quelles données faites-vous l'évaluation ?
Notre souci est d'avoir les données relative à la concrétisation sur le terrain, et non pas simplement une évaluation faite par une inspection. En tant que parlementaires, nous avons à coeur de nous assurer que notre travail législatif produit les effets que nous attendions, malgré un prisme réglementaire qui est parfois déformant.
Je trouve intéressante l'idée que, dans une étude d'impact, nous ayons déjà une idée de ce que pourraient être les mesures réglementaires principales liées au texte. Mais nous avons apparemment une créativité législative assez débordante, qui fait que les textes qui nous sont proposés, sont assez facilement modifiés. Mais cela ne change rien au fait que le gouvernement pourrait préciser les réglementations qui pourraient découler des dispositions du projet de loi initial.
Tout à fait. Mais nous n'avons pas d'étude d'impact sur les décrets. Nous n'avons que des études d'impact sur la loi. C'est donc intéressant que vous le suggériez.
Si l'on évalue les démarches mobilisant l'ensemble des administrations en faveur de la qualité de la réglementation, la France se situe autour de la moyenne des pays de l'OCDE. Ce n'est pas extraordinaire…
Un autre point pour faire le lien avec les théories comportementales : la France ne dispose pas d'un dispositif systématique de consultation publique et surtout, il n'y a pas d'obligation, pour l'exécutif, de répondre aux commentaires des participants. Nous avons travaillé avec des neurologues et des psychologues à ce sujet : pour que des personnes, qui participent à des consultations soient satisfaite de l'avoir fait, il ne faut pas forcément qu'elles aient obtenu ce qu'elles voulaient mais il faut qu'elles aient eu une explication et qu'elles aient eu l'impression d'être traitées avec respect. C'est la même chose lorsqu'elles sont en face de l'administration. J'ai apporté une étude à ce sujet. Beaucoup de pays commencent à mettre cela en oeuvre, mais la France n'en fait pas encore partie.
Vous vous inquiétez que les décrets s'éloignent de ce qui a été inscrit dans la loi. Mais si, dans leur mise en oeuvre, nous ne réfléchissons pas à la manière dont les personnes réagissent à la fin, nous n'atteindrons pas non plus l'objectif visé.
Il n'y a plus de questions de la part des députés. Merci beaucoup d'être venues nous apporter ces précisions et de nous transmettre les éléments dont vous pourriez disposer, le cas échéant.
La séance est levée à 20 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Frédéric Descrozaille, M. Fabien Gouttefarde, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, M. Vincent Thiébaut, Mme Cécile Untermaier
Excusés. - M. Jean-Noël Barrot, M. Yves Daniel, M. Claude Goasguen