La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF.
Mes chers collègues, nous avions déjà entendu M. Jean-Martin Folz le 5 novembre en audition conjointe avec nos collègues de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Nous recevons aujourd'hui, dans la lignée de cette audition, le PDG du groupe EDF, M. Jean-Bernard Lévy, habitué de cette maison et de cette commission. Début janvier 2020, nous entendrons Madame la ministre Élisabeth Borne sur l'avenir de la filière nucléaire.
Peut-être vous souvenez-vous, Monsieur le président, que nous avions visité ensemble le chantier de Flamanville, il y a à peu près dix-huit mois, en compagnie de Mme Barbara Pompili et de M. Sébastien Lecornu. Des changements sont intervenus depuis lors, changements heureux pour M. Sébastien Lecornu, mais moins heureux s'agissant du calendrier de livraison de l'EPR de Flamanville, lequel a pris un retard considérable. Ce retard s'accompagne d'un dépassement de budget qui est tout autant important.
M. Folz, dans la présentation de son rapport sur la construction de l'EPR de Flamanville, avait clairement démontré un besoin de transparence accrue. C'est une des raisons pour lesquelles nous souhaitons vous entendre aujourd'hui.
Il ne s'agit évidemment pas, en tout cas de mon point de vue, de faire le procès de la filière nucléaire, qui continue à fournir plus de 70 % de notre production d'électricité, même si cette part a vocation à baisser dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Des investissements considérables ont été réalisés par la filière, qui a enregistré des succès, mais aussi de « moindres succès », l'EPR étant – à ce stade, en tout cas – à ranger plutôt parmi les cas visés par cette litote.
Par ailleurs, le décalage entre le constat d'urgence climatique et la réalité des engagements des États vient de s'exprimer une fois de plus à Madrid, à la conférence des parties (COP25). Nous devons donc examiner en détail à la fois l'avenir de cette filière et des solutions alternatives en faveur desquelles nous avons voté dans le cadre de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite loi « énergie-climat ».
Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter le plan d'action qui fait suite au rapport établi par M. Jean-Martin Foltz, qui était venu en exposer ici même les conclusions et recommandations.
Ce plan d'action, nous l'appelons Excell. Sa réussite est un enjeu majeur, non seulement pour EDF et pour la filière nucléaire française en général, mais aussi pour les engagements pris par notre pays. Derrière la question énergétique se cachent des enjeux d'indépendance, de croissance et de développement, de pouvoir d'achat et de compétitivité… Il y va aussi de notre capacité à lutter contre le réchauffement climatique. Car, si la France enregistre une meilleure performance que tous ses voisins en matière d'émissions réduites de dioxyde de carbone, c'est lié à la part importante de la production d'électricité d'origine nucléaire dans notre pays.
En 2015, EDF a été désigné comme chef de file de la filière nucléaire française. À ce titre, nous avons créé Edvance, filiale commune d'EDF et de Framatome. Quelques mois plus tard, nous avons pris le contrôle de Framatome. C'est donc bien à EDF qu'il revient d'entraîner l'ensemble de la filière, pour lui faire retrouver le niveau d'excellence industrielle qui aurait dû rester le sien.
Comme l'a déclaré le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Lemaire, nous devons préserver notre souveraineté énergétique. Le plan Excell est notre réponse à cette exigence. Les mesures qui le composent montrent que nous mettons tout en oeuvre pour corriger les dysfonctionnements constatés et retrouver le niveau de qualité, de rigueur et d'excellence atteint au cours de la construction et de l'exploitation du parc nucléaire actuel. Nous devons créer les conditions d'un renouveau du nucléaire français, de façon à inspirer confiance pour le jour où l'État aura à décider de la relance de la construction de nouvelles centrales nucléaires.
Dans ce cadre, à la suite d'un discours du Président de la République tenu en novembre 2018, le Gouvernement nous a demandé de lui remettre, à la mi-2021, un dossier complet pour permettre de décider – ou non – de la construction de six réacteurs EPR de nouvelle génération. Nous y travaillons d'arrache-pied et nous agissons de manière à remettre la filière nucléaire à un niveau d'excellence qui permettra cette décision.
Nous sommes confrontés à un double impératif. D'abord, le défi climatique impose de produire une énergie toujours plus décarbonée. Cela passe par une diminution massive des émissions de gaz à effet de serre, produites notamment par les centrales utilisant les énergies fossiles – principalement chez nos voisins, d'ailleurs, plus qu'en France. Ensuite, à l'ère du digital, EDF doit relever le défi de catalyser la croissance, l'innovation et le numérique, pour les pays les plus en avance dans le développement nucléaire, telle la France, aussi bien que pour ceux qui s'y engagent seulement. Nous devons pouvoir démontrer à tous les habitants de la planète que l'électricité, dont on sait qu'elle sera la principale source d'énergie du XXIe siècle, peut être abondante, permanente, peu onéreuse et contribuer à la préservation de la planète.
Dans des rapports tout à fait récents, l'Agence internationale de l'énergie et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ont montré que, pour concilier croissance et environnement, le nucléaire est et sera indispensable. Dans la loi française, on prévoit un socle nucléaire à hauteur de 50 % de la production d'électricité en 2035. Nous devons donc atteindre un mix équilibré entre nucléaire et énergies renouvelables. Il est fixé par la loi énergie-climat. À ce titre, nous consacrons des investissements massifs au développement des énergies renouvelables et du stockage. En même temps, le maintien d'une part de nucléaire est cependant indispensable pour répondre aux objectifs climatiques de neutralité carbone de la France en 2050, tels que vous les avez vous-mêmes adoptés.
Or tant que le stockage de l'électricité en grande quantité et sur une très longue durée – dit stockage inter-saisonnier, en particulier de l'été vers l'hiver – n'aura pas réalisé des avancées majeures, si l'on ne produisait pas à partir de nucléaire, il faudrait se résigner à recourir à des centrales au gaz pour assurer, au minimum, la sécurité d'approvisionnement. Mais il faudrait importer ce gaz, ce qui serait nuisible à l'économie française et à notre indépendance. En outre, ce gaz émettrait du dioxyde de carbone, ce qui serait très mauvais tant pour le climat que pour la situation économique des systèmes énergétiques.
Comme le souligne M. Jean-Martin Folz dans son rapport, la technologie de l'EPR fait la preuve de sa pertinence à Taishan, en Chine, puisque deux réacteurs y sont en fonctionnement. Les difficultés indéniables de construction rencontrées en Finlande, à Olkiluoto, par Areva et à Flamanville par EDF ne doivent pas faire oublier cette réalité.
Je ne voudrais pas du tout vous donner l'impression que nous sous-estimons les difficultés rencontrées par la filière nucléaire française. Les déconvenues de Flamanville sont là pour le montrer : la filière nucléaire française connaît des temps difficiles. Cela fait naître des interrogations, des inquiétudes, des critiques, des difficultés industrielles. Cela fragilise la confiance que les Français accordent, encore majoritairement, à l'énergie nucléaire.
Il est de notre devoir de remettre la filière nucléaire au niveau d'excellence qui doit être le sien, tout en maintenant la priorité absolue à la sécurité et à la sûreté. De ce double point de vue, la filière n'a pas cessé d'être exemplaire. Elle continuera à l'être en ces matières, sous la surveillance vigilante des autorités publiques et indépendantes, notamment de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN.
J'en viens à l'aspect industriel. En ce domaine, la filière nucléaire n'a pas réussi aussi bien que d'autres industries françaises, telles que l'aéronautique, le spatial ou l'automobile, à maintenir les meilleurs standards en matière de qualité et d'organisation industrielle. De ce point de vue, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire et comme je le répète, je partage les conclusions du rapport de M. Jean-Martin Folz, lorsqu'il estime que nous avons subi des prévisions irréalistes, des erreurs techniques, des pertes de compétences, de mauvaises relations entre les acteurs, des absences en matière de culture de la qualité, des failles de gouvernance, mais aussi des évolutions des réglementations en vigueur pendant la phase de construction. Je dresse devant vous un constat sans concession.
Il nous faut lancer le sursaut. Nous devons nous mobiliser pour retrouver le meilleur niveau de qualité industrielle et pour redonner confiance. Confiance aux pouvoirs publics et, plus particulièrement, à la Représentation nationale, lorsqu'ils devront décider s'il faut construire de nouvelles centrales. Confiance à l'Autorité de sûreté nucléaire, qui nous alerte sur l'érosion de la performance, qui touche non seulement les constructions neuves mais aussi le parc existant. Confiance aux acteurs de la filière, désormais rassemblés dans le groupement des industriels français de l'énergie nucléaire, ou GIFEN. Confiance, enfin, aux salariés, dont certains peuvent encore douter de l'avenir de leur filière, et à ceux qui ne nous ont pas encore rejoints et hésitent à le faire, compte tenu des incertitudes.
Le plan Excell est axé sur trois thèmes principaux : la qualité industrielle, les compétences et la gouvernance des grands projets. La traduction concrète du plan inclura la création d'un poste de délégué général à la qualité industrielle et aux compétences. Je vais le recruter dans l'industrie française, mais non dans le nucléaire, car nous devons nous remettre en cause, en tirant profit des meilleures pratiques d'autres industries. Cette personne n'est pas encore embauchée, mais son recrutement est une priorité. Elle pilotera l'exécution du plan d'action, qui prévoit de premiers jalons dès 2020.
Le premier grand volet du plan d'action, c'est de rehausser le niveau de la qualité industrielle au même niveau que celui de la sûreté nucléaire. Qualité et sûreté se nourrissent l'une et l'autre de rigueur, de transparence et de professionnalisme. Le vecteur essentiel de la qualité industrielle sera de rassembler les acteurs sur les meilleures pratiques. Nous le ferons au sein du GIFEN, qui a créé cette année même une commission « qualité – sûreté ».
En matière de qualité industrielle, le plan comporte trois actions emblématiques.
Premièrement, il prévoit une révision en profondeur de notre relation client-fournisseur. Nous considérons que celle-ci est aujourd'hui déséquilibrée, parce que nous n'avons pas suffisamment aligné les intérêts d'EDF et ceux de ses fournisseurs. Je l'ai dit aux chefs d'entreprise que j'ai rencontrés vendredi dernier, à l'occasion de l'annonce du plan, les relations contractuelles entre EDF client et ses fournisseurs seront très prochainement revues, pour être modernisées et être plus en phase avec les meilleurs standards de l'industrie. Ainsi, un fournisseur ne pourra plus être exposé, au titre des pénalités et de sa responsabilité, à un risque supérieur à la valeur du contrat, comme cela était le cas depuis quelques années. Le choix des fournisseurs valorisera davantage les critères de qualité. Nos partenaires industriels seront plus systématiquement associés à l'élaboration des spécifications dans le cahier des charges et à l'analyse de la difficulté à construire, ou « constructibilité ». Nous avons déjà commencé sur le programme EPR 2, que nous préparons et pour lequel nous avons besoin de devis étayés. De premiers appels d'offres ont été lancés en septembre. Nos clauses contractuelles seront simplifiées pour les rendre plus lisibles et accessibles. Au cours des trois prochains mois, nous allons procéder à la révision des cahiers des charges dans nos contrats.
Deuxièmement, nous allons adapter aux projets neufs un nouveau schéma de qualification des fournisseurs. Il étendra les exigences en matière de qualité à nos sous-traitants, y compris à nos sous-traitants de rang 2 et 3.
Troisièmement, chose innovante dans une industrie qui ne l'a pas encore pratiqué jusqu'à présent, nous mettrons en oeuvre, sur les opérations les plus sensibles – dont nous devons encore définir le périmètre –, une qualification des procédés de fabrication, ainsi que des outils de traçabilité inviolables. En effet, pour certaines pièces, une fois construites, le contrôle qualité ne peut pas être réalisé sans la détruire, tandis que nous peinons à le conduire au cours de la phase de mise en service opérationnelle. Seule une qualification du procédé de fabrication et un suivi rigoureux de celui-ci permettent de garantir la qualité de la pièce. Cela permettra de retrouver une vision plus concrète, proche du métier, de la qualité au service de la sûreté nucléaire.
Ce volet de qualité bénéficiera également du fonctionnement en entreprise étendue, en s'appuyant sur le numérique. La transition numérique engagée par EDF et coordonnée avec la commission numérique du GIFEN va permettre de transformer l'ingénierie nucléaire en une ingénierie centrée sur la donnée, ou data centric. Mise au coeur des processus tout au long du cycle de vie, la donnée permettra une meilleure traçabilité ainsi qu'une réduction des erreurs. Les jumeaux numériques et les outils de gestion de projets numériques permettront aussi de partager avec les différentes parties prenantes les meilleures pratiques et les grands éléments des projets, dans des environnements bien mieux sécurisés.
Le deuxième volet essentiel du plan, c'est le renforcement des compétences. Le domaine du nucléaire est bien sûr dépendant de décisions politiques, qui obéissent à une logique et des horizons de temps qui ne sont pas ceux de l'industrie, laquelle vit dans le temps long, voire très long. Le rapport Folz le dit très bien, la filière n'a pas été mise en situation de gérer ses compétences dans la durée. Nous avons besoin d'une visibilité très importante dans une industrie comme la nôtre.
Il nous faut maintenant restaurer nos compétences, en nous attachant à en disposer pour nos grands programmes. Citons le Grand carénage qui a commencé en 2014, la fin de Flamanville 3, la construction, au Royaume-Uni, de la centrale d'Hinkley Point à peu près au tiers de sa réalisation, les projets indiens et britanniques et l'EPR 2, encore en gestation, en attendant la décision du Gouvernement français sur les prochains réacteurs à construire.
En matière de compétences, le premier point, c'est la formation. À travers la commission « compétences et formation » du GIFEN a déjà été engagé un plan de formation pour que la filière dispose des ressources nécessaires. Ce plan associe d'ailleurs l'opérateur de compétences de l'industrie, prévu par la loi sur la formation professionnelle, et les administrations concernées, sur le plan national comme territorial. Ces initiatives concernent tant les grands groupes que les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE). Elles incluent des partenariats avec les écoles d'ingénieurs et les centres de formation de techniciens. EDF consolidera cette démarche avec la création d'une université virtuelle des métiers du nucléaire, qui rassemblera l'ensemble des informations et formations nécessaires à l'acquisition de compétences.
Le deuxième point concerne le soudage. De toute évidence, nous avons perdu beaucoup de compétences en ce domaine. Nous avons besoin d'un redressement majeur, qui va toucher nombre des entreprises concernées dans la filière. Nous allons donc engager un plan spécifique pour le recrutement et la formation en nombre suffisant de soudeurs disposant d'une qualification de niveau nucléaire, qui n'est pas courante.
Le troisième point en matière de compétences concerne l'ingénierie nucléaire. Il est indispensable d'y créer un véritable outil de gestion des savoirs, ou knowledge management, doté d'un budget spécifique. Nous voulons qu'il se déploie dans tous les différents centres et bureaux d'études de l'ingénierie nucléaire. L'outil permettra de décloisonner les centres d'ingénierie d'EDF, y compris ceux d'Edvance, et de faciliter les parcours croisés entre exploitation et construction. On cherchera aussi à faire appel à des ingénieurs venant d'autres secteurs industriels ; ils sont aujourd'hui trop peu nombreux. Nous avons besoin d'ingénieurs disposant d'une grande expérience dans des industries de pointe, car nous avons un peu vécu en vase clos au sein des bureaux et centres d'étude du nucléaire.
Nous allons mener d'autres actions en matière de compétences et de gestion des carrières. Par exemple, nous allons renforcer et systématiser la formation à la gestion de projet. C'est déjà un objectif interne chez EDF depuis 2016. Ainsi, la totalité des managers de projet expérimentés et seniors auront reçu une formation certifiée aux meilleurs standards internationaux dans les deux prochaines années. Nous allons aussi mieux faire travailler les chefs de projets avec les spécialistes de la gestion de contrat, ou contract management, que nous avons instaurée depuis 2015.
Enfin, un troisième volet complétera ces volets compétences et qualité : celui de la gouvernance, ou de la gestion, des grands projets nucléaires. À défaut de client externe, tout grand projet aura un « client interne », qui aura pour rôle de valider les conditions de lancement du projet, de définir ses objectifs, d'approuver et suivre les principaux contrats et d'être le garant de la culture de la sûreté nucléaire et de la qualité industrielle. Je présiderai moi-même un comité stratégique qui fédérera les différents clients internes. La semaine dernière, j'ai prévenu le conseil d'administration que je le tiendrai régulièrement informé de l'avancement de ces grands projets, comme je le fais déjà pour Flamanville, Hinkley Point et pour le Grand carénage.
Le délégué général à la qualité industrielle et aux compétences, dont je viens d'annoncer l'embauche imminente, devra piloter l'exécution du plan. Il aura donc un rôle prépondérant pour analyser les problèmes et mettre en place les solutions et les meilleures pratiques, tant chez EDF que chez Framatome et à l'intérieur de la filière.
Je vais dédier un budget de 100 millions d'euros à l'ensemble du plan Excell, qui sera mis en place sur les exercices 2020 et 2021.
Pour ce qui est du calendrier, nous allons franchir les premiers jalons de la mise en place du plan Excell dès le premier trimestre de l'année 2020, car la mobilisation est immédiate. D'autres actions seront mises en oeuvre tout au long de l'année 2020 – il nous faudra quelques mois, car ce ne sera pas si facile.
Comme vous le voyez, ce plan est très concret et il va entrer en application immédiatement. Je peux vous citer quelques-uns de ses jalons, à savoir le lancement du plan soudage, la mise en place d'un client interne, la démarche structurée de gestion des savoirs ou le lancement d'un processus de qualification des procédés industriels. Nous essayons d'agir de façon très déterminée pour corriger les dysfonctionnements identifiés et synthétisés dans le rapport de M. Folz.
J'espère que nous arriverons à mobiliser tous les leviers. C'est, en tout cas, notre responsabilité, en tant que chef de file de la filière, de rétablir une industrie nucléaire performante, qui pourra redevenir conquérante à l'international. C'est aussi notre devoir de donner à l'État toutes les clés des décisions qu'il aura à prendre, le moment venu, pour lancer de nouvelles constructions.
Je voudrais revenir sur le passé, mais surtout parler du présent et de l'avenir. Nous avons tous pris connaissance du rapport de M. Jean-Martin Folz sur l'EPR de Flamanville, que vous aviez vous-même commandé. On y découvre de nombreuses non-conformités qui ont engendré des retards, un manque de savoir-faire technique, un non-respect des normes de conformité, une impréparation, voire des fautes professionnelles des entreprises prestataires.
Face à ce constat, j'aurai d'abord deux questions d'ordre général. Premièrement, quelles ont été les mesures prises par EDF pour y remédier ? Deuxièmement, où en est-on aujourd'hui du chantier ?
L'avenir nous force à apprendre de nos erreurs. C'est ainsi que, vendredi dernier, vous avez présenté le plan Excell pour « créer les conditions d'un regain de confiance dans la filière et répondre aux difficultés décrites dans le rapport ». Que ce soit dans l'éventualité de la construction de nouveaux EPR, pour l'entretien du parc installé ou pour le démantèlement et la déconstruction des réacteurs vieillissants, « la filière doit se ressaisir » – ce sont les mots de M. Bruno Lemaire. Oui, la filière nucléaire doit se structurer et se transformer à tous les étages ; oui, les savoir-faire et les compétences doivent être préservés et améliorés. Pour cela, comme vous le savez, les territoires ont beaucoup à vous apporter. Comment allez-vous associer à la mise en oeuvre du plan Excell ces territoires où tout un écosystème d'entreprises, de TPE-PME, de femmes et d'hommes, s'est construit au fil de notre histoire nucléaire, où il faut compter avec tout ce socle de connaissances et de compétences ?
Pour ce qui est de la filière, elle ne se limite évidemment pas à EDF, à Framatome et aux entreprises de rang 1 et 2 ; elle comprend également d'autres acteurs, tels Orano et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). De quelle manière pensez-vous les associer à ce regain de confiance de la filière, ce qui permettrait de la rendre à nouveau attractive auprès des jeunes ?
Par ailleurs, Excell prévoit des actions pour une meilleure qualification des prestataires et une meilleure relation client-fournisseur. Qu'en est-il des référentiels de certification de prestataires ? Chaque grand donneur d'ordre a ses propres référentiels de certification, qui ont des coûts conséquents pour les entreprises. Un cahier des charges sociales commun a été établi en 2012 par les donneurs d'ordres, laissant toutefois la possibilité de mettre en oeuvre des déclinaisons personnalisées. De la même manière, peut-on envisager que le plan Excell conduise à une uniformisation, ou au moins à un socle commun des certifications – bien évidemment, sans diminuer en quoi que ce soit les exigences en la matière ?
Par ses choix énergétiques historiques, la France a fait naître une filière d'excellence dans le nucléaire, une filière énergétique qui, qu'on le veuille ou non, contribue à l'atteinte de nos ambitions climatiques. Certes, nous réduisons la part du nucléaire dans notre mix énergétique, mais réduire ne signifie pas arrêter. Ne nous y trompons pas, nous devons continuer sur la voie de l'excellence et le maintien de ces compétences, car maintenir l'excellence, ce n'est pas une option, c'est un devoir envers les Françaises et les Français.
Je ne reviendrai pas sur les critiques du rapport Folz sur la gouvernance du projet, qui ont été progressivement corrigées et sur lesquelles vous vous êtes expliqué. Je m'attarderai plutôt sur la question de la formation et de la compétence. Sur ce point, le rapport note une perte de compétence en matière nucléaire, que vous avez d'ailleurs vous-même largement évoquée. Cette perte est due au départ en retraite de nombreux spécialistes, mais aussi au fait que certains savoir-faire sont restés inutilisés pendant de trop nombreuses années. En outre, les bureaux d'études se seraient coupés des réalités du monde industriel en émettant des spécifications irréalistes ou en tombant dans les excès de l'overengineering. Le rapport note également une perte de compétence chez les industriels, car la part du nucléaire dans leurs activités a très fortement décru ces dernières années, ainsi qu'un manque de professionnalisme et de savoir-faire chez les soudeurs, même pour réaliser des soudures classiques.
Tout cela pose clairement le problème de la formation. Dans le secteur du nucléaire français, elle nécessite sûrement d'être accrue et encore plus spécifique qu'à l'heure actuelle, afin de pallier le manque d'expérience dans un contexte de non-construction de centrales nucléaires – nous ne sommes plus dans l'ère où l'on construisait régulièrement des centrales nucléaires. Pouvez-vous nous préciser le plan d'action que vous envisagez pour la formation de vos agents, mais également pour préserver les compétences en interne et chez les sous-traitants et les fournisseurs ? Vous avez évoqué l'évolution des relations entre clients et fournisseurs ; je souhaite que vous nous donniez des détails sur ces changements et sur le nouveau fonctionnement auquel ils aboutissent, ainsi que sur la qualification des procédés industriels.
Se pose aussi la question extrêmement importante du renforcement du contrôle des fournisseurs et, potentiellement, de l'internalisation de l'activité d'inspection : avez-vous l'intention d'aller dans cette direction ? La question du contrôle, à réaliser le plus en amont possible pour qu'il soit le plus efficace possible, est essentielle, de même que l'amélioration de l'activité de soudage.
Enfin, quel calendrier envisagez-vous pour retrouver l'excellence industrielle de la filière nucléaire ?
Si vous avez parfaitement répondu aux questions posées par le rapport Folz, il me semble qu'il subsiste cependant une zone d'ombre. Comme vous l'avez dit vous-même, la technologie EPR fonctionne bien à Taishan. Or nous ne disposons pas d'une analyse comparée qui expliquerait pourquoi la construction de l'EPR a mieux marché à Taishan qu'à Flamanville, ce qui serait pourtant très intéressant. L'estimation initiale trop optimiste n'est sans doute pas en cause, puisque tel a également été le cas à Taishan : c'est donc sans doute plutôt du côté des compétences qu'il faut chercher. Des compétences supérieures ont-elles été mises en oeuvre à Taishan ? Y a-t-il, en Chine, une gouvernance différente ? L'administration chinoise est-elle moins regardante que l'administration française, ce qui implique moins de contrôles ? Ou bien faut-il considérer que le succès de l'EPR à Taishan n'est dû qu'à un coup de chance ? En tout état de cause, nous devons savoir ce qui s'est passé, pour crever l'abcès.
Ma deuxième question porte sur la crédibilité à long terme de la filière nucléaire française, que vous avez évoquée dans votre propos liminaire et qui conditionne la perspective de réinvestir dans ce secteur à l'avenir. Ma circonscription d'Alsace n'est pas très éloignée de Fessenheim, ce qui me conduit à insister sur un point qui n'a pas encore été mentionné : les jeunes générations ne pourront croire à nouveau dans le nucléaire et dans la constructibilité de nouvelles centrales qu'à la condition qu'on leur fasse la démonstration de la déconstructibilité. J'aimerais savoir ce que vous comptez démontrer sur le site de Fessenheim en matière de capacité de déconstruire ce que l'on construit – avec bien du mal, d'ailleurs – aujourd'hui.
J'ai maintenant pour habitude de poser à tous les intervenants que nous recevons ici une question subsidiaire relative au Brexit. Nous avons aujourd'hui un peu plus de visibilité sur le sujet. Quels sont, pour vous, les risques économiques ou industriels en relation avec le Brexit que vous identifiez, notamment en ce qui concerne Hinkley Point ? Cette question peut sembler un peu compliquée, mais j'imagine que vous êtes particulièrement attentif à ce qui va se passer outre-Manche dans les semaines qui viennent.
Vos prédécesseurs et vous-même êtes déjà venus à plusieurs reprises devant cette commission pour présenter des plans d'action destinés à remédier aux problèmes de l'EPR de Flamanville. Je me souviens notamment que les échanges que nous avions eus au sujet de Hinkley Point avaient été l'occasion d'évoquer les problèmes industriels qui se posaient déjà à Flamanville. En quoi Excell serait-il plus crédible que les plans précédents ? Comment expliquez-vous que ce plan-là n'ait pas été produit plus tôt, alors que les alertes sur l'EPR de Flamanville sont déjà anciennes ?
Le Gouvernement a donné, par courrier, à EDF des instructions concernant la construction de six nouveaux réacteurs EPR en France – cette information a été révélée par le journal Le Monde. Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué les décisions qui pourraient être prises un jour par l'État concernant la construction de nouvelles centrales nucléaires, alors qu'en d'autres occasions, vous avez affirmé de façon catégorique que la France se préparait à construire de nouvelles centrales. C'était le cas dans un entretien du 17 octobre dernier, où vous disiez que l'étude de la faisabilité de construire de nouvelles centrales « s'inscrit dans une continuité qui remonte au Gouvernement précédent […]. Il est clair que la France se prépare à construire de nouvelles centrales nucléaires. C'est dans la mission que j'ai reçue lorsque j'ai été nommé, il y a cinq ans ».
J'aimerais avoir plus de détails sur les circonstances dans lesquelles le précédent gouvernement aurait donné très clairement cette mission à EDF, car ce n'est pas ce qui apparaissait dans le débat public ou les orientations de la politique énergétique. Par ailleurs, la ministre de la transition écologique et solidaire Élisabeth Borne a, de son côté, déclaré que l'idée de construire six nouveaux EPR, c'était « le point de vue du PDG d'EDF » et que le Gouvernement avait également demandé à EDF d'étudier « un scénario 100 % énergies renouvelables ». Sur ce point, je voudrais savoir si le Gouvernement a formalisé par écrit auprès d'EDF sa demande d'étude d'un scénario 100 % énergies renouvelables.
On a entendu dire que six EPR pourraient être construits sur trois sites différents : ces trois sites sont-ils choisis ; le cas échéant, pouvez-vous nous dire où ils se situent ?
Enfin, pouvez-vous nous parler du projet Hercule, ou ce sujet doit-il donner lieu à une autre audition ? Comme vous le savez, les informations qui ont été rendues publiques au sujet de ce projet, notamment celles relatives aux discussions avec Bruxelles, ont déjà commencé à susciter des inquiétudes, notamment chez les syndicats, car elles font apparaître le risque d'une scission ou d'un démantèlement de l'entreprise EDF.
Nous reviendrons effectivement sur le projet Hercule au cours d'une autre audition au début de l'année prochaine, mais cela ne doit pas vous empêcher d'en dire un mot aujourd'hui puisque vous l'avez déjà évoqué avec les sénateurs. Compte tenu de son importance, il est certain que ce sujet va beaucoup nous occuper au cours des mois qui viennent. Il en sera de même, je n'en doute pas, pour nos collègues de la commission des finances et de la commission du développement durable.
Je voulais d'abord vous remercier d'avoir rappelé que, si l'énergie électrique en France est très largement décarbonée, c'est grâce à l'énergie nucléaire, qui permet d'afficher un faible taux d'émissions de gaz à effet de serre.
Vous avez dit que « la filière n'a pas été mise en situation de gérer ses compétences dans la durée ». Si tel est le cas, pouvez-vous nous préciser quelle faute a été commise et par qui ? Selon vous, quelle est la part de responsabilité des annonces politiques dans la perte de compétence dont souffrent aujourd'hui la filière nucléaire en général et EDF en particulier ?
Pour ma part, j'ai l'impression que vous êtes parfois placé devant une injonction contradictoire par les politiques, par l'État ou par les gouvernements successifs. D'un côté, on vous oriente vers la construction de six nouvelles centrales nucléaires, de l'autre, on vous demande d'élaborer un scénario 100 % énergies renouvelables… Comment présentez-vous cela à votre conseil d'administration ? Ces deux orientations correspondent à des choix complètement différents en termes d'investissements d'EDF. Or une entreprise doit faire des choix d'investissements. Dans le cas qui nous occupe, comment EDF peut-elle faire des investissements sur les compétences nucléaires et en même temps investir sur le renouvelable ?
Le Gouvernement a défini des objectifs dans le cadre de la dernière programmation pluriannuelle de l'énergie et a également pris des engagements visant à atteindre la neutralité carbone en 2050. Selon vous, quel est le bon pourcentage de nucléaire dans la production d'électricité pour atteindre ces objectifs, et comment EDF peut-il maintenir ses compétences nucléaires quand l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables est évoqué – ce qui nécessite par ailleurs de développer les capacités de stockage et, pour cela, d'investir massivement ?
Globalement, comment faites-vous pour satisfaire tous ces objectifs à la fois ?
Vous nous avez fait part de votre volonté de relancer les savoir-faire, mais cela nécessite, à mon sens, un plan d'action pour le futur. C'est bien de pouvoir compter sur des soudeurs spécialisés, mais si on ne fait jamais appel à eux, ça ne sert pas à grand-chose ! Dans un monde qui tend à rejeter le nucléaire, ou en tout cas qui s'en méfie, comment peut-on envisager de former des personnels à des compétences spécifiques tout en sachant qu'on fera très peu appel à eux ?
Comme vient de le dire Mme Laure de la Raudière, si on pollue moins aujourd'hui en France, c'est grâce au nucléaire – c'est vrai notamment pour les voitures électriques. Cependant, quels arguments pouvez-vous utiliser pour convaincre nos concitoyens que l'énergie nucléaire n'est pas dangereuse, alors qu'ils ont tendance à craindre cette énergie et à lui en préférer d'autres ? En d'autres termes, quel est votre projet pour développer éventuellement les EPR et pour construire de nouvelles centrales nucléaires, puisque vous semblez envisager cette possibilité ?
Je m'attendais à ce que vos questions dépassent un peu le thème des conséquences du rapport de M. Jean-Martin Folz. Je suis à votre disposition pour élargir mon propos au-delà des strictes questions de qualité, de compétences et de gestion de projets. Nos rencontres ne sont pas si fréquentes que l'on puisse ne pas trouver utile de parler de l'ensemble des sujets.
Monsieur Cellier, le rapport Folz rappelle comment le projet de Flamanville a été lancé, il y a quasiment vingt-cinq ans, dans un cadre franco-allemand. Les décisions ont été préparées puis gelées pendant un quinquennat. Durant cette période charnière entre deux siècles, la filière ne prépare donc pas de construction. Puis Areva gagne un contrat en Finlande sur la base des études qui ont été réalisées sur l'EPR. L'avenir montrera que ce contrat était beaucoup trop optimiste et précipité. Deux ans plus tard, EDF lance la construction de Flamanville, là aussi, par une décision précipitée, comme on peut le voir aujourd'hui.
Depuis quelques années, nous avons rattrapé une partie des difficultés qui ont été créées par la double contrainte dans laquelle était EDF. Sur le plan programmatique, certains gouvernements ont souhaité construire de nouvelles centrales après la fin du programme, avec le palier N4 à Chooz et à Civaux ; d'autres gouvernements ne l'ont pas voulu. Nous avons aussi rattrapé les difficultés qui sont indiscutablement nées d'une décision précipitée, peut-être parce que du retard avait été pris, peut-être en raison de la rivalité entre Areva et EDF qui a fait beaucoup de tort à la filière et qui est désormais derrière nous. Petit à petit, on s'est aperçu que Flamanville souffrait des difficultés que j'ai énumérées dans mon propos introductif, et un certain nombre de mesures ont été prises.
Mme Batho et M. Herth me demandent pourquoi lancer un plan aujourd'hui et pourquoi on a rencontré des difficultés successives à Flamanville tandis que les choses se sont mieux passées à Taishan. Il est difficile de faire une réponse synthétique, tant les critères sont nombreux et leurs facettes diverses. Comme l'indique le rapport de M. Jean-Martin Folz, la gouvernance du projet de Flamanville n'a manifestement pas été à la mesure des enjeux. Je crois que les choses ont changé en 2015, lorsque j'ai nommé un chef de projet pour la période 2015-2019. Celui-ci prendra d'autres responsabilités le 1er janvier 2020, date à laquelle son successeur, qui est d'ores et déjà présent, prendra officiellement ses fonctions. C'est donc une véritable direction de programme que j'ai créée, avec un chef de projet ayant en main l'ensemble des responsabilités : sur l'ingénierie, le chantier, les budgets, les personnes, les contrats, etc. Mais il est clair que cette décision est arrivée tardivement et que cela n'a pallié qu'une partie des difficultés.
Au-delà de la gouvernance et du caractère intermittent des décisions de l'État en matière de programmation de centrales nucléaires, l'autre source de difficultés réside dans l'absence de construction. Alors qu'en Chine il y a eu simultanément vingt chantiers de construction de centrales nucléaires, en France, il n'y a eu, depuis le milieu des années 1990, que celui de Flamanville. Certains sujets sont liés à la conception – a-t-on fait la bonne étude, la bonne justification de sûreté, les bons calculs ? –, d'autres sont tout simplement liés à l'exécution des chantiers. Depuis trois ans, nos problèmes relèvent presque exclusivement de la qualité des soudures, que les Chinois peuvent maîtriser d'autant mieux qu'ils ont à souder des pièces métalliques sur des centrales nucléaires dans vingt chantiers à la fois, là où nous n'en avons qu'un seul. Il ne faut pas se voiler la face, l'une des différences essentielles, c'est bien celle-là.
Monsieur Herth, vous avez cité l'Autorité de sûreté nucléaire. À mon niveau, je n'ai pas connaissance du moindre sujet sur lequel la sûreté des deux EPR de Taishan auxquels nous participons aurait été mise en cause en Chine. Certains des ingénieurs d'EDF pourraient trouver, lorsqu'un problème se pose, que les choses vont un peu plus vite en Chine qu'en France. Là aussi, il faut se demander si la réactivité de l'autorité de sûreté chinoise n'est pas liée au fait qu'elle doit gérer vingt chantiers en même temps. Je ne retiens donc pas comme raison des difficultés que nous avons eues à Flamanville une différence d'appréciation des critères de sûreté entre la Chine et la France. Par contre, je retiens que nous ne nous sommes pas assez élevés nous-mêmes, chez EDF et chez Areva puis Framatome, contre des changements de réglementation en cours de chantier – certains que nous avons proposés nous-mêmes, d'autres que nous avons subis. De toute évidence, c'est quelque chose qui n'aurait pas dû se faire ; il faut des règles du jeu stables au moment où l'on démarre un grand projet comme celui-là, on ne peut pas vivre dans l'instabilité.
Oui, Madame Battistel, nous en sommes arrivés là par manque de savoir-faire lié au manque de constructions, par manque d'expérience.
Le plan n'a pas été prévu plus tôt parce que le chantier ne s'est pas mal déroulé de 2015 à 2018. Avec mes équipes, nous avons travaillé, pendant le premier semestre 2015, sur un nouveau devis et une nouvelle date objective de mise en service. Nous avons tenu trois ans sur ces bases-là, puis nous avons rencontré des problèmes successifs de soudage qui ne nous ont pas permis de maintenir le délai ni le devis. Pendant ces trois ans, toutefois, nous avons résolu des problèmes apparus sur le chantier. Nous avons notamment rencontré des difficultés sur la teneur en carbone du fond de cuve et du couvercle, que nous avons résolues avec l'Autorité de sûreté nucléaire. Des décisions ont été prises après une instruction assez longue et très approfondie de l'ASN sans que cela nuise au budget global et à la date de mise en service de Flamanville. Pendant cette période de trois années, donc, les choses n'ont pas été parfaites mais il n'y a pas eu de dérives.
Sur 300 000 soudures à Flamanville, nous avons rencontré des problèmes sur une cinquantaine, une soixantaine tout au plus. Aussi ne peut-on pas dire que tout a été mal fait. Sur le circuit primaire, nous avons eu à faire des soudures aussi difficiles que sur le circuit secondaire principal, qui se sont bien déroulées. Sur le circuit secondaire principal, nous avons eu un phénomène inattendu, celui que M. Jean-Martin Folz décrit très bien et qui met en péril, aux yeux de l'Autorité de sûreté nucléaire, la capacité du réacteur à être mis en service. Même si EDF a soumis à l'ASN une opinion contraire sur ce sujet, c'est, par définition, l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire qui prévaut. Nous avons donc à réparer, là où nous avions proposé, dans une première étape, de ne pas le faire, et, dans une deuxième étape, d'attendre avant de le faire. Cela n'a pas été considéré comme satisfaisant par l'ASN et nous nous sommes alignés sur sa décision. Puis nous nous sommes demandé pourquoi nous en étions arrivés là. D'où l'idée du rapport de M. Jean-Martin Folz, pour reprendre, sur la longue durée, les différents déboires du chantier, essayer de trouver une explication puis mettre en place ce plan qui vise clairement l'ensemble de la filière, mais surtout à faire en sorte que les choses soient mieux anticipées lors de la construction des futurs réacteurs.
Monsieur Cellier, vous avez parlé d'associer les territoires et la filière au plan Excell sans se restreindre aux très grandes sociétés. Je partage totalement votre point de vue. À la suite de la restructuration de la filière qui a été décidée par la Présidence de la République en juin 2015, nous avons créé le GIFEN, un peu sur le modèle du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). C'est au travers du GIFEN que l'on va toucher l'ensemble des acteurs de la filière : les territoires et les entreprises, de rang 1 ou 2, mais aussi de rang 3 et parfois plus.
L'université des métiers que nous envisageons de créer n'est pas une université physique, elle n'est pas dans un lieu précis du territoire. Elle a vocation à se déployer partout où il y a des acteurs du nucléaire, des centrales nucléaires ou des installations d'Orano – Orano et son écosystème sont évidemment des participants actifs au sein du GIFEN. Nous allons nous appuyer sur ce tissu industriel ainsi que sur le pôle nucléaire de Bourgogne, pôle de compétitivité qui a été créé il y a quelques années, qui est implanté principalement en Bourgogne mais qui rayonne sur le territoire. Provence-Alpes-Côte d'Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie et Hauts-de-France sont aussi des régions où les préoccupations autour de la filière nucléaire sont particulièrement fortes ; j'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec les présidents de chacune d'entre elles.
Nous sommes très conscients de la nécessité d'associer le territoire et d'aller chercher la capillarité. Cela permettra, de surcroît, de rassembler davantage les bonnes volontés pour que l'université des métiers du nucléaire soit une réussite, ses formations étant de qualité. Un programme a déjà été lancé au sein du GIFEN pour aller à la rencontre des lycéens et leur faire comprendre les mérites et les perspectives de la filière nucléaire, en particulier dans le métier du soudage dont on sait que c'est évidemment aujourd'hui un peu notre talon d'Achille.
Vous avez posé des questions sur les référentiels de certification et sur le détail du cahier des charges contractuel. Je ne peux pas vous en donner le détail aujourd'hui, car il est en train d'être finalisé au sein du groupe EDF, mais je me suis engagé à ce qu'il soit totalement mis en oeuvre à la fin du premier trimestre de 2020. Nous aurons ainsi une relation harmonisée et modernisée au sein de la filière. Nous allons utiliser des normes internationales récentes qui ont associé au sein des organismes de normalisation des acteurs de tous les pays, y compris des acteurs français. C'est la norme ISO 19443, qui est maintenant reconnue au plan international, qui servira de guide de référence pour la totalité des projets neufs. On ne peut pas faire les choses du jour au lendemain sur le parc existant. Aussi un programme nous permettra-t-il d'appliquer progressivement cette norme récente, puisqu'elle date de fin 2018, à l'intérieur des prestations pour le parc existant, de façon à ne pas demander à notre chaîne d'approvisionnement des bouleversements trop rapides dans ses pratiques industrielles.
Les autres questions que vous avez posées concernent surtout le mix électrique et les problèmes de stratégie. Je rappelle que la programmation des moyens de production de l'électricité appartient à l'État et non à un opérateur, fût-il EDF. Dans certains domaines, par exemple celui des énergies renouvelables, l'État lance des appels d'offres ; EDF en gagne certains et pas d'autres. C'est l'État qui définit la programmation des moyens de production de l'électricité, dans un cadre légal que vous fixez au sein du Parlement, à travers une programmation pluriannuelle de l'énergie – l'actuelle est presque terminée et la prochaine nous amènera jusqu'à la fin de l'année 2028. EDF inscrit sa propre stratégie à l'intérieur de cette programmation. Nous la préparons au sein de l'entreprise et nous en parlons très régulièrement en conseil d'administration où siège un commissaire du Gouvernement – actuellement, une commissaire. De par la loi, ce commissaire du Gouvernement peut remettre en cause une décision présentée au conseil d'administration d'EDF, qui ne serait pas cohérente avec la stratégie nationale en matière de programmation des moyens de production d'électricité, ou plus généralement avec la stratégie nationale bas-carbone. Nous sommes donc très encadrés dans les décisions que nous avons à prendre au sein du conseil d'administration, non seulement par les dispositions légales mais aussi par la présence d'un commissaire du Gouvernement.
À ce titre, Madame Batho, je crois qu'il n'y a pas de doute que les gouvernements successifs nous ont demandé de préparer la construction de nouveaux EPR. Je n'étais pas en poste lorsque vous occupiez l'Hôtel de Roquelaure…
La lettre de mission que j'ai reçue, dont j'ai informé mon conseil d'administration, les nombreuses déclarations de Mme Ségolène Royal et les discours des membres du Gouvernement qui se sont penchés sur la stratégie d'EDF au moment de ma nomination font clairement état de la demande que nous préparions la construction de nouvelles centrales nucléaires – que nous la préparions, pas que nous la décidions. À ce titre, à partir de novembre 2014, date de mon arrivée à la tête d'EDF, un programme d'EPR 2, dénommé à l'époque EPR-Nouveau modèle, a été validé par le conseil d'administration d'EDF, y compris par les représentants de l'État qui ont eu à s'exprimer dessus, et ce à plusieurs reprises. À mon arrivée, ce programme de préparation de la construction de nouveaux EPR était déjà inscrit dans les dépenses du groupe. Madame Batho, je ne crois pas vous surprendre en disant que les gouvernements du quinquennat précédent et du quinquennat en cours ont demandé à EDF de préparer la construction de nouveaux EPR. Mais si vous avez été surprise, j'en prends bonne note.
Nous avons, en effet, reçu, dans le cadre de la préparation de la décision éventuelle que le Gouvernement pourra prendre à partir de mi-2021, des questions de la part des administrations, des ministres qui sont concernés par ces sujets-là. Des groupes de travail ont été formés à la demande des ministères concernés, associant des collaborateurs d'EDF et des fonctionnaires. Ils préparent les éléments de décision de façon que le dossier que je présenterai mi-2021 au Gouvernement réponde très complètement aux questions qui ont été posées. De ce point de vue, certaines concrétisations ont déjà eu lieu. Nous avons lancé des appels d'offres pour établir des devis pour les futurs EPR sur des bases actualisées. Cela a quelque peu ému les journaux, mais il est normal que nous préparions des devis en ayant consulté les entreprises.
Par ailleurs, j'ai reçu du ministre de l'économie et des finances et de la ministre de la transition écologique et solidaire une lettre dans laquelle ils me demandent de leur fournir un certain nombre de jalons afin qu'ils puissent communiquer à leurs départements ministériels respectifs des informations de nature à alimenter le dossier que j'évoquais à l'instant.
J'ajoute – et je réponds, là encore, à l'une de vos questions, Madame Batho – que nous ne sommes pas sans savoir que figure dans la PPE un scénario « 100 % ENR ». EDF, comme il l'a fait, par exemple pour le cahier d'acteurs de la PPE ou pour le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs et comme il aura à le faire très certainement dans le cadre des études prévues par la PPE, sera bien entendu amené à émettre, dans un document écrit et public, une opinion sur la manière dont il envisage un tel scénario, que la demande lui en soit adressée directement par le Gouvernement ou par l'intermédiaire de Réseau de transport d'électricité (RTE). Ce mode de fonctionnement me semble normal : le Gouvernement ou RTE étudie des scénarios, réalise des projections et demande à EDF d'alimenter celles-ci mais à la fin, c'est le Gouvernement qui décide – il n'y a aucun doute sur ce point. Sur le scénario « 100 % ENR », EDF aura donc l'occasion d'indiquer la manière dont il voit les choses, mais il nous faut tout de même un peu de temps pour mener nos réflexions et produire un document.
Monsieur Herth, vous avez évoqué le sujet très important de la capacité à déconstruire. Je crois, en effet, que le métier de la déconstruction va prendre de l'importance, non seulement en France, mais aussi dans de nombreux autres pays où nous sommes implantés, notamment en Grande-Bretagne. Dès mon arrivée, j'ai donc créé une direction de programme consacrée à la déconstruction, en lui allouant des moyens spécifiques. Actuellement, en France, neuf chantiers de déconstruction sont en cours. À cet égard, nous envisageons celui de Fessenheim, qui démarrera dans quelques années, comme la poursuite du chantier de déconstruction du réacteur à eau pressurisée unique de Chooz A, situé sur la Meuse, dans le département des Ardennes. Les principes de fonctionnement de ce réacteur sont identiques à ceux des réacteurs de Fessenheim et de l'ensemble du parc en fonctionnement. Nous aurons achevé dans deux ou trois ans le travail de déconstruction de ce réacteur qui, de mémoire, a été arrêté de fonctionner il y a environ vingt-cinq ans. Il s'agit en quelque sorte, pour nous, d'un chantier témoin dans le domaine de la déconstruction de réacteurs à eau pressurisée. Nous appliquerons ainsi les savoir-faire que nous avons acquis dans ce cadre aux deux réacteurs de Fessenheim. Je vous rappelle cependant que doivent normalement s'écouler environ cinq années entre le moment où Fessenheim arrêtera sa production, en 2020, et le moment où l'ASN donnera l'autorisation de lancer sa déconstruction, qui est elle-même un chantier nucléaire obéissant, à ce titre, à des règles extrêmement strictes.
Je ne reviendrai pas sur le projet Hercule, qui méritera, le moment venu, de faire l'objet d'une audition spécifique.
Du reste, les discussions que le Gouvernement a entamées avec la Commission européenne pourraient aboutir à une évolution profonde de l'ARENH – l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique –, ainsi que de la structure des actifs, dans le cadre du projet Hercule, qui vise, non pas du tout à démanteler EDF, mais à l'organiser en deux sociétés, l'une contrôlant l'autre. Le groupe resterait donc intégré, le statut des agents ne serait pas modifié et leur mobilité serait encouragée entre les différentes sociétés du groupe, comme elle est encouragée aujourd'hui entre Enedis et EDF. Or cette évolution nécessitera une traduction législative. Ainsi, non seulement, j'aurai plaisir à venir expliquer devant vous ce dont il s'agit, lorsque les choses seront un peu plus précises, mais la Représentation nationale sera évidemment saisie d'un projet de loi sur ce sujet.
Madame Battistel, vous avez insisté sur la nécessité de renforcer l'inspection et le contrôle ainsi que la formation. Ce sont, en effet, des éléments très importants. Je crois qu'il existe un déficit de formation, non pas à EDF, mais dans la filière en général, et ce parce que les chantiers ne sont pas assez nombreux et que les gens, qui ne cessent d'entendre ou de lire des opinions opposées au développement de l'industrie nucléaire, s'interrogent. De fait, de nombreux « experts » auto-désignés s'invitent dans les médias, où ils proclament que l'industrie nucléaire, c'est fini. Ce n'est pas du tout vrai ; il suffit d'aller voir ce qui se passe dans des pays voisins du nôtre, qui nous envient notre parc nucléaire. Dans certains pays de l'Est – la République tchèque, la Pologne ou la Slovénie notamment – ou en Grande-Bretagne, où les deux principaux partis avaient inscrit ce point dans leurs programmes électoraux respectifs, la construction de nouvelles centrales nucléaires fait actuellement l'objet d'un consensus. Il est donc clair que, sans aller aussi loin qu'en Inde, en Chine, en Russie ou au Moyen-Orient, nous devrons encourager la formation, car l'industrie nucléaire française a évidemment un avenir, que je crois important.
Enfin, Monsieur Herth, nous n'avons pas détecté de risques importants liés au Brexit, dès lors que deux conditions sont remplies, du moins pour l'instant.
Premièrement, le traité Euratom ne subira pas de modifications substantielles. Mme Theresa May avait expressément indiqué, début 2017, que la Grande-Bretagne sortirait de ce traité, ce qui avait suscité notre inquiétude. Mais cette question a fait l'objet de discussions entre l'équipe de négociation de M. Barnier et le gouvernement de Mme May, de sorte que la sortie du traité Euratom ne produise pas de dysfonctionnements et que les règles relatives à la qualification des matériels et à l'échange de matériels ou de standards ne soient pas modifiées. Nous ne nous attendons donc pas à ce que la sortie formelle de la Grande-Bretagne du traité Euratom ait la moindre conséquence.
La seconde condition a trait à la libre circulation des personnes, en particulier des Français qui ont acquis un savoir-faire à Flamanville ou à Taishan et qui ont vocation à se rendre sur le chantier de Hinkley Point. À cet égard, nous avons reçu du gouvernement britannique toutes les garanties nécessaires par écrit. Au demeurant, cette question touche également l'aéronautique, l'automobile, la pharmacie… En tout état de cause, les industriels ont la garantie qu'ils n'éprouveront aucune difficulté à détacher, pour trois mois ou trois ans, telle personne sur le chantier de Hinkley Point.
Je souhaiterais vous poser une question qui vous étonnera peut-être, car elle est personnelle. Lorsque notre commission s'est prononcée, en avril dernier, sur votre renouvellement, vous avez été plébiscité, puisque celui-ci a recueilli plus de 90 % de suffrages positifs. En quoi les derniers événements ont-ils pu vous amener à vous questionner sur votre management et sur la manière dont vous allez gérer cette entreprise importante qu'est EDF dans les années qui viennent ?
Le 13 novembre dernier, au Sénat, vous avez annoncé, à propos du nouveau modèle d'EPR, un prix de 65 à 70 euros par mégawattheure en LCOE – c'est-à-dire en coût actualisé de l'énergie –, ce qui confirme les données de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) à ce sujet. Je précise que je suis député de la Seine-Maritime, département qui comprend les centrales de Paluel et de Penly – il est également candidat pour accueillir l'un des EPR – mais aussi les parcs éoliens offshore de Dieppe-Le Tréport et l'usine Siemens-Gamesa du Havre, dont la R&D se trouve à Rouen.
Ne remuez pas le couteau dans la plaie, Monsieur le président !
La ministre de la transition écologique et solidaire vous a demandé de travailler à un scénario 100 % ENR. Vous êtes, quant à vous, plutôt favorable, semble-t-il, à l'autre scénario, c'est-à-dire celui qui prévoit la construction de six EPR. Toutefois, si l'on construit moins de six EPR, le LCOE sera plus élevé et dépassera largement, me semble-t-il, celui des alternatives 100 % ENR. Dès lors, j'ai le sentiment qu'il faut en construire six ou n'en construire aucun. Partagez-vous ce sentiment ?
C'est un point dont nous avons débattu lors de l'examen du projet de loi énergie-climat. Quoi qu'il en soit, les prérogatives de l'État sont extrêmement claires.
Je souhaite que l'on se comprenne bien. En ce qui concerne l'EPR de Flamanville, les difficultés liées à la gouvernance, aux savoir-faire industriels, à la sous-estimation initiale des délais et des coûts, à l'effet tête de série ou aux pertes de compétences de la filière ont été soulignées à plusieurs reprises dans l'histoire du chantier. N'a-t-on pas relativisé ces problèmes ou ne s'est-on pas rassuré à bon compte en attribuant ces difficultés à l'effet tête de série, alors qu'il aurait fallu aller beaucoup plus tôt au fond des choses ?
S'agissant de la construction éventuelle de nouveaux réacteurs EPR, je ne suis pas du tout étonnée par ce que vous avez indiqué à propos du précédent quinquennat, mais, et cela rejoint la remarque de Mme Laure de La Raudière, cela n'a jamais été explicitement dit par les gouvernements successifs, que ce soit sous le précédent quinquennat ou sous l'actuel, du reste. La question a été posée au cours des débats sur le projet de loi énergie-climat, qui ont duré plusieurs semaines, et la réponse a été négative. Or nous avons découvert, dans le journal Le Monde du 12 septembre, le contenu de la lettre de mission qui a été donnée à EDF. Le discours qui est tenu à EDF n'est donc jamais officialisé vis-à-vis de la Représentation nationale.
Par ailleurs, je vous remercie pour votre réponse sur le 100 % renouvelable, qui apporte une clarification sur le fait qu'il n'y a pas eu de commande à EDF en dehors de la PPE.
Enfin, si, en 2022 – puisque EDF doit répondre mi-2021 à la demande d'étude du Gouvernement –, celui-ci décide, pour différentes raisons liées à la sûreté, au coût, à la maîtrise industrielle ou au choix de politique énergétique, de ne pas le faire, quel est le plan B sur lequel travaille EDF ?
Je souhaiterais connaître l'estimation du prix du mégawattheure pour l'EPR de Flamanville et quelle serait l'économie d'échelle si l'on en construisait six – ce qui permettrait d'atteindre 65 euros par mégawattheure. Par ailleurs, vous l'avez dit, la PPE, qui est définie par l'État, couvre une période qui s'étend jusqu'à 2028. Mais une telle visibilité est-elle suffisante pour le PDG d'EDF, compte tenu de la stratégie de la filière nucléaire et des recherches qu'elle doit mener sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires ? J'en reviens encore aux injonctions contradictoires entre ce qui est dit devant la Représentation nationale et les instructions qui vous sont données en matière de construction d'EPR. Si je vous pose ces questions, c'est parce que nous n'y voyons pas clair – et je ne sais pas comment vous, vous pouvez y voir clair pour définir une orientation à moyen terme pour EDF.
Je vais d'abord répondre à votre question, monsieur le président. Quelles sont mes impressions par rapport à ce qu'était la situation en début d'année, lorsque vous m'avez entendu dans le cadre de ma reconduction ? Cette question recoupe un peu celle de Madame Batho : a-t-on caché ou relativisé les problèmes ?
Ma question portait plutôt sur l'impact que cela a eu sur vous et sur la manière dont, à l'avenir, vous allez gérer EDF.
Tout d'abord, je vais m'adjoindre les services d'une personne qui ne fera que cela. Cette personne viendra d'une autre industrie ; elle me communiquera donc son rapport d'étonnement, son plan d'action, et je vais devoir l'aider à aller au-delà des impressions que l'on peut avoir de façon un peu superficielle, pour remettre au carré des pratiques qui n'ont pas été les bonnes et dont M. Jean-Martin Folz s'étonne.
À qui la faute, demandez-vous, Madame de la Raudière. À nous-mêmes, évidemment, car notre niveau de rigueur et d'exigence devrait nous permettre d'éviter ces problèmes. Néanmoins, on ne peut pas passer sous silence le fait que la filière a été soumise à des discours qui ont varié selon les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays. Les agendas et les décisions politiques peuvent changer ; je n'utiliserai pas le mot « faute » à ce propos. Mais la question se pose de savoir comment une filière qui doit travailler pendant plusieurs décennies pour acquérir des savoir-faire puis les préserver peut s'accommoder d'un tel contexte. Nos principaux concurrents sur les marchés extérieurs, les Russes et les Chinois, ne sont pas dans la même situation.
Certes. Comment pouvons-nous nous adapter, dans un monde démocratique, à une situation dans laquelle les discours des gouvernants peuvent varier en fonction du résultat des élections ? Je ne peux pas vous apporter de réponse, Madame de La Raudière. Cette question n'est pas facile et affecte, non seulement le quotidien de ceux qui travaillent dans la filière, mais aussi l'attractivité de celle-ci. De fait, elle se pose à ceux qui ont 16 ans et sont en classe de seconde ou de première, à ceux qui ont 20 ans et viennent de rentrer dans une école d'ingénieur ou terminent un diplôme de technicien et qui se demandent s'ils doivent s'orienter vers l'instrumentation nucléaire ou vers l'instrumentation médicale, vers la métallurgie adaptée au nucléaire ou vers la métallurgie adaptée à la construction navale. Il est important, pour nous, de savoir vivre avec l'environnement dans lequel on est et qui s'impose à nous.
Pour en revenir à la question du management, j'aurai à mes côtés quelqu'un pour donner les impulsions au plan Excell, en dehors de toute responsabilité programmatique. Je bénéficierai certainement d'un niveau d'information plus profond qu'actuellement, puisque les aspects sous-jacents des problèmes sont éclipsés par les objectifs programmatiques. Lorsque ces derniers sont atteints, on a tendance à en déduire que les problèmes sous-jacents n'étaient pas si graves, et on ne comprend qu'à la fin qu'ils ont été sous-estimés car ils n'avaient pas d'effets immédiats sur les objectifs. De fait, au cours de la période 2015-2018, le devis et la date de livraison de Flamanville n'ont pas été révisés.
S'agissant de la visibilité, l'échéance de 2028 n'est évidemment pas la plus adéquate, mais les PPE sont prévues pour deux fois cinq ans, et nous nous y adaptons.
Vous m'interrogez sur un plan B, dans l'hypothèse où nous ne construirions pas d'EPR. Nous souhaitons que l'État prenne la décision de construire six EPR lorsqu'il l'estimera utile, car c'est une décision « sans regret ». Quoi qu'il arrive, nous aurons besoin de 10 gigawatts d'énergie nucléaire. Nous avons aujourd'hui une capacité de 63 gigawatts ; avec six EPR nous aurions les 10 gigawatts nécessaires, ce qui nous laisserait le temps de voir si le prix du stockage baisse d'un facteur dix ou vingt, et si le cycle de vie des batteries est acceptable. Le stockage par batterie semble aujourd'hui la solution la plus proche, mais nous ne savons pas s'il n'entraîne pas des problèmes environnementaux extrêmement graves. Si nous voulons préserver la filière nucléaire, et la possibilité de peut-être construire d'autres centrales à l'avenir, il n'y a pas de regrets à construire six EPR pour remplacer les réacteurs qui seront fermés à l'horizon 2035-2045.
Madame Batho, vous m'avez parlé d'une instruction de construction : je n'en ai pas. J'ai reçu la demande de deux ministres d'alimenter un dossier.
Il m'est demandé d'alimenter un dossier assez complet pour le Gouvernement – la lettre a été publiée par un quotidien –, avec des informations à fournir assez rapidement et d'autres au fil du temps. Ces informations concernent très directement la manière dont nous travaillons avec la filière nucléaire.
Quels effets sur l'entreprise aurait la décision de ne pas construire de nouvelles centrales nucléaires ? L'entreprise devra en tenir compte et le conseil d'administration, dans lequel l'État est très présent, devra prendre les dispositions nécessaires pour la mettre en oeuvre. L'État sera aux premières loges : d'un côté, il aura pris la décision, de l'autre, il pourra en mesurer les conséquences au sein du conseil d'administration.
Quant à construire six EPR ou rien, Monsieur Adam, je ne raisonne pas comme cela. Est-ce que, pour préserver la filière nucléaire, nous avons besoin de construire six EPR dès que possible, dès que les décisions seront mûres ? EDF répond oui ; l'État écoutera et décidera par lui-même.
Le coût de construction de l'EPR de Flamanville est évidemment très élevé, chacun peut faire les calculs. Mais pour le redémarrage d'une filière, ces chiffres ne sont pas aberrants ; ils ne sont pas plus élevés que ceux du lancement de la filière éolienne offshore en France. Le démarrage de la filière a été extrêmement coûteux, mais les prix ont nettement baissé dans l'appel d'offres quelques années plus tard seulement. Notre objectif est d'obtenir un coût du mégawattheure à 65 à 70 euros en construisant six EPR – nous comptons sur un effet de volume. Mais le premier EPR, avec toutes les vicissitudes qu'il connaît, a un coût beaucoup trop élevé. On peut aussi penser que le coût de création d'une filière française d'éoliennes offshore est beaucoup trop élevé, mais des bénéfices en sont tirés par des créations d'emplois en Seine-Maritime, en Loire-Atlantique ou dans la Manche.
C'est le coût du devis. Le coût du mégawattheure produit dépendra de l'amortissement et du taux d'actualisation, mais il est clair que ce coût est trop élevé.
Pour le redémarrage de leur filière, nos clients britanniques ont accepté des coûts élevés : 92,50 livres sterling de 2012 le mégawattheure. Chez eux aussi, la dernière centrale nucléaire a été mise en service en 1995 ; trente années se seront donc écoulées à l'entrée en service de la centrale de Hinkley Point. Le gouvernement britannique a accepté de garantir un prix qui sera à trois chiffres en livres sterling.
Vous estimez le prix du mégawattheure produit par les EPR à 65 euros si nous en construisons six. À combien s'élèvera-t-il si nous n'en construisons que quatre ou deux ?
Ce prix fait partie des informations que nous devons donner au Gouvernement d'ici à la mi-2021. La construction de six EPR permettra d'assurer un coût légèrement moindre à celui du mégawattheure produit en construisant des centrales à gaz, en retenant un prix du carbone raisonnable. La production à base de gaz est pilotable, disponible à la demande, ce qui en fait, pour nous, le seul véritable concurrent du nucléaire.
Nous pensons très sincèrement que les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire sont complémentaires. C'est pourquoi dans notre cahier d'acteur, rendu public mi-2018, lors de la préparation de la PPE, nous avons adhéré sans avoir besoin d'injonction à l'idée que l'évolution du mix énergétique français aboutisse à la fin de vie de quatorze réacteurs, y compris les deux de Fessenheim, d'ici à 2035, afin de satisfaire l'objectif de la loi. Énergies renouvelables et énergie nucléaire sont complémentaires dans le cadre d'une électricité décarbonée. Si nous ne construisons pas de centrales nucléaires, nous ferons des centrales au gaz, et le Gouvernement a plusieurs fois déclaré qu'il n'était pas question d'en construire d'autres, en dehors de la centrale de Landivisiau qui répond à un besoin très ponctuel en Bretagne.
Vous n'avez pas évoqué les sites envisagés.
Par ailleurs, telles que les choses sont présentées, il n'y a pas de plan B. Vous venez de dire que la seule alternative serait la construction de centrales à gaz, ce dont il ne peut être question, par définition. Je comprends donc qu'un seul scénario est étudié, celui de la construction de six EPR, et le moment venu, l'État n'aura pas de choix : il se sera placé lui-même devant le fait accompli.
Vous venez de dire que quatorze réacteurs seront fermés pour atteindre la part de 50 % d'énergie nucléaire dans le mix énergétique, mais six réacteurs seront ajoutés entre-temps…
Nous avons étudié les sites sur lesquels des centrales EPR pourraient être envisagées. Dans le dossier que nous remettrons au Gouvernement mi-2021, nous formulerons des recommandations à ce sujet. Lorsque le travail avait été fait il y a une dizaine d'années, le site de Penly avait été considéré comme le plus propice, et rien n'indique que la conclusion serait différente aujourd'hui.
Mais nous devons choisir trois sites, et nous aurons à tenir compte de l'avis des collectivités territoriales. Vous êtes proches des maires, des présidents de région et des présidents de conseil général, vous n'ignorez donc pas que nous avons reçu des manifestations d'intérêt, notamment de la région Normandie concernant le site de Penly, de la région des Hauts-de-France concernant Gravelines et de la région Auvergne Rhône-Alpes pour les sites du Tricastin et du Bugey. Nous tiendrons évidemment compte de l'opinion des élus locaux concernés, et toutes ces informations figureront dans le dossier que nous remettrons à la mi-2021.
S'agissant des dates, si la décision de principe de construire six EPR est prise à la mi-2021, nous pourrons en mettre en service au mieux un ou deux en 2035, compte tenu du délai nécessaire pour les travaux préparatoires. Nous évoquons donc six EPR qui ne seront pas en service avant 2040.
Dans la discussion qui s'engage sur la localisation des futurs EPR, je comprends l'intérêt des collectivités locales, mais j'aimerais connaître votre avis sur leur positionnement stratégique, notamment pour la tenue du réseau dans le temps. La question ne se pose pas aujourd'hui en raison de la configuration du maillage des sites importants de production électrique, mais prenez-vous cet élément en compte parmi les critères de sélection des quatorze centrales que vous entendez fermer ? Il faut choisir de fermer des centrales tout en préservant les sites, afin de ne pas hypothéquer notre capacité future de développer de nouvelles technologies.
Le démantèlement va commencer avec Fessenheim, et la question du recyclage des matières, notamment des métaux, va se poser. Il sera nécessaire de constituer une filière européenne – j'espère française – de recyclage des matériaux issus du démantèlement nucléaire. Ce serait une filière de pointe avec une activité économique intéressante à l'échelle européenne, une fois le rythme de croisière atteint. Où en est le développement de cette technologie et quelles sont les perspectives d'industrialisation ? Le projet d'installer ce site de recyclage des métaux à Fessenheim est-il viable et quels sont les freins qu'il reste à lever ?
Si la PPE s'arrête en 2028, la loi qui fixe à 2035 l'échéance à laquelle la part du nucléaire dans le mix énergétique devra être de 50 % nous fournit des indications à plus long terme. Le Gouvernement a donc indiqué que quatorze réacteurs – et non pas centrales – devront avoir fermé d'ici à 2035, ce qui est cohérent avec les indications que nous avions données dans le cahier d'acteur, lorsque le Gouvernement nous demandait comment nous comptions passer à 50 % de production nucléaire.
Il est prévu que la fermeture de ces quatorze réacteurs – douze après la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en 2020 – ne mettra en péril aucun site. Aucun site à deux ou quatre réacteurs ne fermera en totalité, à l'exception de Fessenheim.
Le projet de reconversion partielle de Fessenheim prévoit d'y installer un four permettant de gérer des métaux très faiblement radioactifs pour les réinsérer dans le circuit économique. Nous en avions parlé, Monsieur Schellenberger, lors de notre visite à Fessenheim en compagnie de Mme Emmanuelle Wargon et de M. François de Rugy, alors ministre de l'écologie.
Ce projet est principalement suspendu à deux questions. Tout d'abord, nous attendons un changement de réglementation permettant de ne pas retenir la nature radioactive des métaux très faiblement irradiés – c'est ce que l'on appelle le seuil de libération. La France est l'un des seuls pays d'Europe qui ne fixe pas de seuil de libération, tandis que même des pays très opposés au développement de l'industrie nucléaire l'ont fait. Ensuite, pour que le four soit viable, il faut un plan de charge, qui serait mieux assuré si nous pouvions retraiter des métaux en provenance d'Allemagne. Nous avions abordé ce dossier lors de notre déplacement dans le Haut-Rhin, mais, à ma connaissance, il n'a pas beaucoup progressé. Ce sujet reste néanmoins à l'ordre du jour et nous espérons que cette installation pourra se faire.
Pouvez-vous nous préciser le calendrier de décision et les critères de choix des sites retenus pour le démantèlement des quatorze réacteurs ?
Pour nourrir le dossier de décision sur les éventuels futurs EPR, le Gouvernement vous a demandé de fournir des éléments à la mi-novembre 2019 et à la mi-décembre 2019 sur l'état des lieux de la filière, l'analyse de ses capacités à répondre aux attentes, et d'autres sujets. Le plan Excell constitue-t-il votre réponse à cette demande ?
Le calendrier de décision figurera dans la PPE, dont la publication est imminente.
Ce n'est pas l'entreprise qui va décider. Pour la programmation des moyens de production, nous allons appliquer la PPE.
Non, mais elle fixe le calendrier que nous appliquerons.
Le choix des sites se fera le moment venu. Nous estimons que cette décision doit être prise de manière à optimiser les délais pour les salariés qui devront se reconvertir – ils doivent être prévenus suffisamment tôt, mais pas non plus trop tôt. Il faut également se soucier des entreprises qui travaillent sur le site en même temps que nos salariés, traiter le sujet avec RTE et aussi prendre en compte les observations de l'ASN sur la sûreté nucléaire, qui n'est pas nécessairement la même sur chaque site. Ainsi, le site de Fessenheim était très bien noté par l'ASN ces dernières années, néanmoins la décision qui a été prise est celle que l'on connaît. Un ensemble de critères sera donc pris en compte pour décider, et cette décision n'interviendra pas immédiatement, mais quelques années avant la fermeture effective. Et je répète qu'il n'est pas question de mettre un site en péril.
Quant à votre deuxième question, qui se réfère à la lettre du Gouvernement qui a été publiée dans la presse, nous alimentons effectivement les administrations de divers documents, et le plan Excell n'en fait pas partie. Nous avons d'autres échanges et nous partageons un lourd volume de documents avec les deux ministères concernés.
Merci, Monsieur le président, nous avons pu épuiser nos questions. Par provocation, je suis tenté de dire que la qualité de nos échanges aujourd'hui plaide pour un nombre réduit de parlementaires – un tiers de moins, cela me convient !
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 16 h 30
Présents. – M. Damien Adam, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Anthony Cellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Huppé, Mme Laure de La Raudière, M. Roland Lescure, M. Mickaël Nogal
Excusés. – M. Philippe Bolo, Mme Pascale Boyer, M. Alain Bruneel, Mme Anne-France Brunet, M. Dino Cinieri, Mme Michèle Crouzet, M. Rémi Delatte, M. Daniel Fasquelle, M. Sébastien Jumel, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Frédérique Lardet, M. Serge Letchimy, M. Max Mathiasin, Mme Anne-Laurence Petel, M. François Ruffin, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Huguette Tiegna
Assistait également à la réunion. – M. Raphaël Schellenberger