La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 24 novembre 2021

La séance est reprise à onze heures.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)

La commission d'enquête entend une table ronde des acteurs industriels des territoires intitulée « l'industrie par ceux qui la font ».

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Nous poursuivons nos auditions en tenant une table ronde intitulée « l'industrie par ceux qui la font » qui réunit des acteurs de l'industrie, qui pourraient notamment avoir une expérience originale en terme de développement industriel ou de relocalisation.

Je souhaite donc la bienvenue, par visioconférence, à :

– M. Vincent Fanon, directeur général associé de Systech,

– M. Laurent Fompeyrine, directeur ingénierie globale santé animale et projets d'investissements de Boehringer Ingelheim France,

– M. Jacques de Heere, président de la SCOP Acome,

– M. Jean-Marie Piranda, président de Frial,

– M. Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

– et M. Frédéric Viguié, président de Didactic.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, Messieurs, à lever chacun la main droite et à dire : « Je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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Vincent Fanon, directeur général de la société Systech

Le sujet auquel se consacre cette commission me passionne car il se trouve que j'ai repris l'entreprise familiale de sous-traitance en électronique, une usine qui produit des cartes électroniques en France, à une heure de Paris. Cette entreprise comptait une quarantaine de personnes lorsque je l'ai reprise, mais elle a connu une forte croissance puisqu'elle rassemble aujourd'hui environ 80 collaborateurs.

La désindustrialisation est un sujet qui nous intéresse parce que l'industrie électronique fait partie des secteurs que la France a laissé partir il y a une vingtaine d'années, comme en témoigne notamment l'exemple de l'usine de Philips à Dreux qui fabriquait des téléviseurs. L'industrie française produisait également en masse des téléphones, alors qu'aujourd'hui, cette production se concentre sur des produits de niche.

Nous avons peut-être atteint le pic de cette désindustrialisation alors que certaines productions reviennent désormais en France. Tel est notamment le cas de notre plus gros client qui conçoit des phares additionnels d'engins de chantier. Longtemps en concurrence avec une entreprise chinoise, Systech est désormais compétitive face à ce mastodonte grâce à sa flexibilité, son sérieux et sa réactivité. Cela démontre, je l'espère, que la relocalisation est en marche.

Le principal problème actuel réside dans l'approvisionnement en composants. Ceux-ci ne sont plus produits en Europe, ce qui engendre une dépendance envers la Chine et les États-Unis. Qui plus est, cette tendance ne semble pas s'améliorer. Bien que ce problème soit commun à tous les secteurs, il me semble plus prégnant dans celui de l'électronique. La fabrication de cartes électroniques illustre bien cette problématique, notamment via l'analyse de sa chaîne de valeur. La première étape consiste en la fabrication des circuits imprimés – printed circuit boards (PCB), résultant de l'assemblage d'alliages dans des usines spécialisées avec du personnel qualifié dans le domaine de la chimie.

Des fabricants français subsistent, mais ils ferment les uns après les autres. Même si la relocalisation de cette production me semblerait bénéfique, elle me paraît impossible malgré les investissements considérables de STMicroelectronics. La perte de ces entreprises productrices de PCB constitue un problème sérieux car elle engendrera une nouvelle dépendance envers la Chine. Ces entreprises ferment pour des raisons diverses, notamment la sévérité des normes liées aux produits qu'elles utilisent et la complexité des assemblages nécessaires pour produire les composants. Systech essaie cependant de s'approvisionner en cartes électroniques auprès d'entreprises françaises, ce qui devient de plus en plus complexe.

La filière électronique étant considérée comme un secteur clé de l'activité française, des moyens doivent y être alloués. Nous avons certes reçu l'aide du gouvernement à travers le plan de relance, mais nous allons de nouveau solliciter son concours afin de surmonter la crise des composants électroniques. Le secteur est ainsi complexe et souffre d'un manque de souveraineté, dans une plus grande mesure que les autres industries.

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Laurent Fompeyrine, directeur ingénierie globale santé animale et projets d'investissements de Boehringer Ingelheim France

Je me réjouis de l'intérêt que voue cette commission aux enjeux industriels ainsi qu'à la nécessité de développer des politiques publiques en faveur de la réindustrialisation. Ces sujets me tiennent particulièrement à cœur du fait de mon parcours professionnel de quarante ans dans l'industrie. J'ai d'abord travaillé chez Airbus à Toulouse pendant cinq ans, avant de rejoindre l'industrie pharmaceutique chez Rhône-Poulenc, puis Sanofi, Merial et enfin Boehringer Ingelheim. Cette société pharmaceutique familiale européenne est indépendante des marchés financiers et intervient à la fois en santé humaine et en santé animale. Elle trouve ses racines industrielles en Allemagne et en France depuis le rachat en 2017 de Merial, filiale vétérinaire de Sanofi. Boehringer Ingelheim se situe à la première place mondiale des groupes pharmaceutiques non cotés ainsi qu'à la seconde place dans le secteur de la santé animale.

Le choix d'implanter une usine repose sur un panel multifactoriel de critères qu'il est important de connaître pour construire une politique industrielle pragmatique. De nombreux critères sont évalués afin de nous aider à faire notre choix d'implantation. Parmi ces critères figurent le capital humain, c'est-à-dire l'ensemble des compétences et des savoirs disponibles dans les pays et les régions d'implantation que nous envisageons, l'écosystème technologique et scientifique comme les réseaux localement existants, la proximité entre la recherche et la production, ou encore la fluidité des partenariats entre les acteurs privés et les institutions publiques.

La corrélation entre le cadre législatif local et les aspects réglementaires, en général internationaux, qui régissent nos produits, principalement des médicaments et des vaccins, constitue également un critère important. Je pense aussi que le délai d'accès au marché est un facteur de choix crucial pour une entreprise pharmaceutique. Bien entendu, un certain nombre de critères économiques liés aux analyses techniques et financières entrent en jeu, comme l'anticipation des coûts d'exploitation, c'est-à-dire les productions pharmaceutiques, les contrôles réglementaires, les contrôles des procédés et la distribution des produits.

Les critères géopolitiques peuvent également être pris en compte. Par exemple, le choix d'implanter en région lyonnaise le principal site de production de vaccins contre la fièvre aphteuse en France est lié en grande partie à l'accès au marché européen. Nous avons reçu un soutien de la France sur un plan réglementaire, en vue de fournir les autorisations administratives de production en France pour ce projet. L'ensemble de ces aspects nous a amenés à faire le choix de ce projet, qui constitue un investissement d'environ 300 millions d'euros.

Boehringer Ingelheim se spécialise sur les deux secteurs de la santé, humaine et animale, et dispose donc d'une vision globale des enjeux de santé. Il est clair que la politique française sur la santé humaine peut avoir une influence sur les décisions prises dans le secteur de la santé animale.

Deuxièmement, en ce qui concerne la chaîne d'approvisionnement, l'enjeu de la diversification importe davantage que celui de la localisation. En effet, la stratégie industrielle d'un groupe international doit aujourd'hui s'appuyer sur une diversification des sites pour être proche de ses marchés de référence et donc répondre à une demande internationale croissante. Faire le choix d'une stratégie industrielle internationale n'implique pas nécessairement une délocalisation. À titre d'exemple, plus de 78 % des traitements produits par Boehringer Ingelheim en santé humaine et mis à disposition des patients français sont intégralement produits en Europe, y compris leurs principes actifs, ce qui est primordial. Pour la santé animale, 68 % des médicaments distribués en France sont produits en Europe. Si nous faisons le choix de maintenir une empreinte industrielle forte en France et en Europe, il est également essentiel d'implanter des usines sur les marchés américains et asiatiques auprès de nos clients, mais également d'assurer une diversification de nos fournisseurs pour parer d'éventuelles failles dans la chaîne d'approvisionnement en matières premières. Faire le choix du 100 % local ne permet donc pas d'assurer la sécurité de la chaîne de production et d'approvisionnement.

Si la France veut attirer les usines de demain, elle doit prioritairement investir dans l'éducation et la formation. Afin de conduire une politique industrielle efficace, de nombreux leviers doivent être activés, dont le plus important serait à mon sens celui de l'éducation, de la formation et de l'apprentissage. En France, nous manquons cruellement d'ingénieurs pour réaliser nos projets et pour gagner le combat de la reconquête industrielle. Je pense qu'il faut particulièrement inciter dans les années à venir les jeunes Français à s'orienter vers des études d'ingénieur ou des études techniques pour ensuite accéder à des emplois industriels.

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Jacques de Heere, président d'Acome

Le groupe Acome est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) industrielle 100 % française, dont la société mère a la particularité d'être une société coopérative de production (SCOP). Acome réalise un chiffre d'affaires de 600 millions d'euros grâce à environ 2 000 collaborateurs, repartis sur une douzaine d'usines. La moitié de l'activité industrielle était réalisée en France et l'autre moitié dans six autres usines à l'international (Chine, Maroc, Tunisie et Brésil). Notre cœur de métier se concentre sur la fabrication des fils et câbles pour deux domaines spécifiques à parts égales, les télécoms et l'automobile. Dans ces deux domaines, nous sommes les derniers industriels à fabriquer des produits en France, les autres entreprises de secteur ayant fermé leurs usines ou ayant été reprises par des groupes étrangers, pour certains Européens.

La maison mère d'Acome est une SCOP et réalise un chiffre d'affaires de 350 millions d'euros pour 12 000 salariés. Ces derniers sont tous actionnaires de l'entreprise, ce qui signifie que chaque salarié dispose d'une voix lors de l'assemblée générale et ce qui permet de mettre en place une très forte dimension participative. Nous avons une forte propension à nous développer également sur les marchés internationaux et nous accompagnons nos clients dans le monde entier. Cependant, l'activité dans le secteur des télécoms revêt un rayonnement plutôt européen tandis que l'activité automobile se déploie à l'échelle mondiale, c'est pourquoi nous sommes présents sur les quatre continents.

La part de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB) français n'a cessé de reculer dans les dernières années pour atteindre aujourd'hui environ 10 %, alors qu'elle représente plus du double dans certains pays voisins comme l'Allemagne ou la Suisse. 24 % du PIB suisse résulte en effet de l'activité industrielle. Nous essayons donc de nous battre quotidiennement afin d'inverser la tendance et nous nous réjouissons des mesures mises en place, certes trop récemment, afin de réindustrialiser la France. Pour cela, nous encourageons les mesures et démarches de moyen et long termes qui doivent être maintenues et renforcées sur la prochaine décennie.

Un exemple récent concerne notre activité dans les télécoms. Nous avons la particularité d'être l'un des industriels qui accompagnent le plan de déploiement du très haut débit en France. Nous fournissons à ce titre très largement la construction du réseau de fibre optique, ce qui fera d'ailleurs de notre pays l'un des meilleurs du monde occidental en termes de couverture du réseau. Voilà quelques années, nous avons souffert de l'invasion de produits en provenance d'Asie et nous avions alors, avec les industriels du secteur et notre syndicat européen, entrepris une démarche anti-dumping auprès des autorités et de la Commission européenne. La décision a été prise samedi dernier : elle prévoit que les câbles de fibre optique en provenance de Chine seront soumis à des taxes à l'importation de 20 % à 40 %. Il s'agit d'une excellente nouvelle pour l'industrie française, bien que cette décision soit prise un peu tardivement puisque le plan de développement de la fibre a déjà été largement initié. Cette mesure nous permettra toutefois de vendre nos produits aux autres pays européens et ce type d'action permettra la réindustrialisation.

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Jean-Marie Piranda, président de Frial

Frial est une entreprise que j'ai créée en 1990 dans le secteur de l'agroalimentaire. Nous commercialisons des produits de la mer et des plats cuisinés surgelés. Elle compte aujourd'hui 450 collaborateurs répartis sur trois sites de production. Nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 182 millions d'euros en 2020.

Lors de la création de l'entreprise, nous achetions essentiellement nos produits de la mer en France et en Europe, puis nous avons internationalisé notre approvisionnement. Dès le début des années 90, le personnel était inquiet, ne comprenant pas pourquoi nous n'achetions pas uniquement des produits français. Cette décision s'inscrivait cependant dans la stratégie de notre entreprise à cette époque qui consistait à conditionner les produits en Asie afin de réinvestir les bénéfices en France pour la construction de trois usines. Cette stratégie nous a permis d'investir plus de 120 millions d'euros entre 1995 et 2005 afin de construire l'usine de plats cuisinés sur le site de Bayeux.

La question de la réindustrialisation n'est pas nouvelle, puisque déjà au milieu des années 90, nous nous demandions s'il était préférable pour notre développement de produire en France ou à l'étranger. Selon moi, il ne faut pas diaboliser la production à l'étranger car nous ne pouvons pas tout produire sur le territoire. Par exemple, la pêche française ne représente que 40 % de la consommation annuelle, ce qui signifie que s'il ne devait se tourner que vers la production nationale, le consommateur ne pourrait plus manger de poisson après le mois de mai. Il est donc préférable d'opter pour une vision internationale. De plus, la décision n'appartient pas directement aux entreprises industrielles, mais aux consommateurs. Notre rôle consiste à proposer des produits qui s'adaptent à la demande.

Sur le secteur des plats cuisinés, nous avons dû faire face à la problématique de la robotisation. Depuis quatre ans, nous avons maximisé la robotisation de l'entreprise, ce qui a entraîné une certaine défiance du personnel qui craignait des suppressions d'emplois. Cependant, avec de la pédagogie, nous avons réussi à expliquer à nos collaborateurs que nous n'avions pas le choix et que nous devions utiliser des robots afin de baisser nos prix de revient et de pouvoir fabriquer des produits sur le territoire français.

Depuis deux ans, la crise de la Covid-19 nous a permis de prendre conscience de la nécessité de relocaliser la production de certains produits sur le territoire national et nous avons donc enclenché le processus de relocalisation depuis deux ans. Nous avons également bénéficié du plan de relance. Nous réalisons désormais 30 % de notre chiffre d'affaires à l'export. Notre principale difficulté réside dans le recrutement : malgré notre implantation en zone rurale, les candidatures se font rares. Nous différons certains investissements car nous savons que nous ne trouverons pas le personnel qualifié sur certaines lignes de conditionnement.

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

J'ai commencé ma carrière d'industriel comme directeur d'usine, puis je suis devenu directeur industriel avant d'entreprendre. Je suis actuellement directeur d'une « jeune pousse » (startup) qui développe des thérapies innovantes, notamment sur les applications des nanotechnologies. Nous travaillons actuellement sur plusieurs projets de développement de vaccins contre la Covid-19.

Je suis quelque peu attristé des débats actuels parce que voilà quelques années, j'avais l'occasion d'affirmer que la France était « fâchée » avec ses usines. Lorsque j'étais étudiant en pharmacie, certains intervenants me conseillaient de me diriger vers le marketing ou la vente plutôt que vers la production industrielle, presque régressive car nous traversions alors la grande époque du concept d'industrie sans usine ou fabless.

Il est frustrant de savoir que nous sommes aujourd'hui réunis pour évoquer la désindustrialisation alors que nous bénéficions en France d'un environnement e xtrêmement favorable, que ce soit sur les aspects logistiques, techniques ou sanitaires. Il nous revient de comprendre les raisons ayant mené à cette situation et de promouvoir notre outil industriel grâce aux technologies de communication dont nous disposons. Le système de contraintes présent dans les usines est souvent dénoncé, mais il ne me paraît pas plus difficile que les conditions de travail des livreurs Uber ou Deliveroo, notamment dans l'industrie du médicament qui dispose de moyens financiers considérables. Nous ne donnons pas assez envie à nos jeunes de venir travailler dans nos usines. Le discours ambiant consiste à séparer la vie professionnelle de la vie personnelle, ce qui n'est pas nécessaire. J'ai œuvré à cela en organisant notamment des journées portes ouvertes pendant lesquelles les enfants des salariés pouvaient venir visiter l'usine et observer leurs parents travailler.

Le plus grand acteur européen de la bioproduction est localisé en Irlande, ce qui s'explique par des raisons fiscales. Il faut avoir le courage de s'installer en France où nous disposons de magnifiques universités, de centres de formation tout à fait remarquables et de centres hospitaliers universitaires (CHU) extraordinaires. Nous rencontrons toutefois des difficultés à faire travailler l'académique avec l'industriel : de ce fait, il est aujourd'hui difficile de trouver de la main-d'œuvre en agronomie, en laboratoire, en pharmacie ou encore dans la production de semi-conducteurs. Cinq millions d'opérateurs ont disparu du marché du travail aux États-Unis pour une raison inconnue. La filière française de bioproduction est ainsi quasiment réduite à néant, au point que je ne trouve plus les composants nécessaires au développement de mes médicaments, notamment en immunothérapie et en oncologie. Il n'existe plus d'équipementier ni de fournisseur de composants français.

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Frédéric Viguié, président de Didactic

Didactic est une société normande basée près du Havre qui existe depuis plus de cinquante ans. Nous développons, fabriquons et commercialisons des dispositifs médicaux à usage unique dans le domaine de la prévention des risques infectieux, à la fois en France et à l'international. Le secteur de la santé rassemble la production de médicaments, mais également celle des dispositifs médicaux. Il s'agit d'un domaine extrêmement vaste qui regroupe les aiguilles et les seringues, mais aussi les scanners et les logiciels informatiques. L'entreprise concentre un ensemble de métiers de la conception, des achats, de la qualité, des affaires réglementaires, du commerce, de l'approvisionnement (supply chain) ainsi que de la fabrication. Nous avons racheté il y a quelques années une entreprise spécialisée dans la fabrication de produits pour les soins de bouche des patients dépendants, notamment en réanimation. Didactic est leader sur ce marché avec des produits fabriqués en France. Le chiffre d'affaires, avant la crise de la Covid-19, s'élève à 70 millions d'euros et l'entreprise est présente dans une quarantaine de pays. Afin d'exporter notre modèle, nous avons créé une filiale espagnole il y a un an, dans laquelle travaillent 90 employés. Cette filiale est détenue par un actionnariat français, notamment par dix cadres de l'entreprise et un partenaire financier français. Nous réalisons 60 % de notre chiffre d'affaires auprès des établissements de santé publique, via des réponses à des appels d'offres, et 20 % auprès d'établissements de santé privés, via des négociations avec des centrales d'achats.

En 2007, un perfuseur coûtait 30 centimes d'euros, contre 17 centimes en 2021, ce qui représente une baisse de 45 %. Avant que je reprenne l'entreprise, la production était majoritairement réalisée en Italie et en France. Cette baisse des prix est induite d'une part par une intensification concurrentielle et l'augmentation du nombre d'appels d'offres, et d'autre part par le regroupement des hôpitaux en centrales d'achats afin d'obtenir de meilleurs tarifs. Le prix est en effet le facteur de choix principal des commissions d'appel d'offres, devant les aspects techniques et logistiques ainsi que la qualité des produits, ce qui n'avantage pas la production française.

La facilité des échanges avec l'Asie constitue également une cause de désindustrialisation, même si cette problématique est moins prégnante qu'auparavant grâce à l'augmentation actuelle du coût du fret maritime. La pression réglementaire est, de plus, beaucoup plus forte en Europe et en France qu'en Asie. Le domaine des dispositifs médicaux est de plus en plus encadré par des instances comme les organismes notifiés ou l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) Enfin, le manque de considération des métiers de l'industrie constitue un véritable enjeu de la désindustrialisation. Le problème de la formation, le manque d'intérêt pour les outils industriels ainsi que le faible recours à la robotisation et à l'automatisation handicapent la France dans sa reconquête industrielle. Dans le domaine des dispositifs médicaux, l'automatisation pourrait nous permettre de dynamiser fortement les filières françaises.

Il me revient également d'évoquer le fait que Didactic est lauréat du plan de relance avec un projet de création d'usine de perfuseurs en Normandie, en partenariat avec une petite ou moyenne entreprise (PME) dans le domaine de l'injection plastique. Bien que l'État ait rempli son rôle sur ce projet, il doit donner une vision et une direction claires à ses actions en termes de politique industrielle. Les subventions, outil court-termiste, ne constituent pas le seul moyen d'action et dans le domaine de la santé publique, les politiques d'achats doivent évoluer afin que le prix ne soit plus le seul critère pris en compte.

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

Le statut de jeune entreprise innovante (JEI) constitue un outil incitatif intéressant. Une startup peut devenir une grande entreprise, une entreprise de taille intermédiaire (ETI) ou encore une « licorne ». Dès lors, une politique promotionnelle et de soutien doit être mise en place. Dans le secteur de la pharmacie et de la biologie, la Covid-19 a représenté un accélérateur. J'ai personnellement un projet d'investissement important à Toulouse soutenu par la Banque publique d'investissement (BPI). La prise de conscience des pouvoirs publics est, certes, incontestable, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires en termes de soutien, de fiscalité et de filières de formation afin d'encourager les installations sur le territoire national.

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De nombreuses mesures ont été prises en termes de politique industrielle depuis cinq ans, notamment en ce qui concerne l'attractivité et la compétitivité de l'industrie. Nous avons mis en œuvre une baisse des impôts de production de 25 milliards d'euros pour les entreprises, ce qui a permis de rendre notre tissu industriel à nouveau compétitif. Des réformes structurelles ont également été menées afin de renforcer l'attractivité des métiers de l'industrie, telles que la réforme de l'apprentissage, qui a permis d'augmenter considérablement le nombre d'apprentis, et celle de l'assurance chômage qui est actuellement mise en œuvre.

Des investissements massifs ont aussi été engagés à travers du plan France Relance, dont certains d'entre vous sont bénéficiaires. Ces investissements irriguent les territoires et permettent de créer de nouvelles lignes de production et de moderniser le tissu productif national. Amorcé dès 2022, le plan France 2030 constituera également un outil de la politique industrielle. Les mesures de simplification administrative telles que la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi ASAP », facilitent également l'implantation de sites industriels. Un grand nombre de mesures a ainsi été pris sur le quinquennat pour réindustrialiser et relocaliser les lignes de production.

Quels éléments se sont-ils révélés les plus efficaces et mériteraient d'être amplifiés en termes de politique industrielle ? À l'inverse, sur quels sujets les mesures ont-elles manqué d'efficacité et devraient prendre une autre direction ?

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

Nous nous sentons accompagnés grâce aux politiques de soutien du gouvernement. Cependant, la création d'une entreprise reste très complexe et les mesures de simplification administrative sont très insuffisantes. Créer une entreprise demeure un véritable parcours du combattant. Cette problématique ne concerne pas que la France, mais il faut que notre territoire soit plus attractif que les autres pays. Des politiques de simplification administrative, sociale et réglementaire doivent donc être promulguées. La fiscalité française est certes complexe, mais pas plus qu'en Chine ou au Brésil.

La problématique ne réside pas dans les relations des entreprises avec le ministère de l'Économie, des finances et de la relance, mais dans le lien avec les autres administrations, qui ne font pas bloc pour encourager les entreprises à s'installer en France. Elles remplissent plutôt un rôle de surveillance et de censure de nos activités. Les administrations telles que l'ANSM devrait davantage représenter un partenaire, à l'image de l'Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux – Food and Drug Administration (FDA), qui travaille main dans la main avec les industriels du médicament. Je prône davantage la méthode du partenariat que du contrôle, cela me semble fondamental.

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Laurent Fompeyrine, directeur ingénierie globale santé animale et projets d'investissements de Boehringer Ingelheim France

L'apprentissage et les contrats d'alternance, ainsi que l'aide de 8 000 euros qui y est allouée, sont décisifs dans le plan de relance industrielle. Environ 120 apprentis travaillent au sein de Boehringer Ingelheim afin d'accéder à des carrières techniques et industrielles. Cette stratégie nous permet de pallier le manque de main-d'œuvre dans ces secteurs. Je me réjouis donc que le gouvernement s'intéresse à ce sujet. Il est pertinent de poursuivre dans ce sens.

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Jacques de Heere, président d'Acome

Je souhaiterais saluer l'effort réalisé sur la baisse des charges, des impôts de production, ainsi que des taxes foncières consentie depuis quelques années et qui nous permet de gagner en compétitivité. Des efforts restent toutefois à accomplir, notamment sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Cet effort de réindustrialisation doit être réalisé sur le moyen terme, dans une perspective de dix ans au minimum, afin de s'inscrire de manière plus cohérente dans l'échelle temporelle des investissements industriels.

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Monsieur Sainsot a évoqué la nécessité d'alléger les réglementations et d'approfondir les simplifications administratives afin de renforcer l'attractivité du territoire. Cependant, ne serait-il pas plutôt envisageable de faire évoluer par secteur d'activité les critères de sélection et les réglementations pour favoriser la production nationale ?

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Frédéric Viguié, président de Didactic

Dans le cadre des marchés publics, la réglementation européenne s'applique. Je perçois aujourd'hui une volonté politique de soutien aux industriels avec notamment le plan de relance et la gestion rapide et efficace des dossiers. La vision à long terme est en revanche plus floue. Par exemple, lors de la crise de la Covid-19, nous nous sommes rendu compte de notre dépendance envers l'Asie pour l'approvisionnement en masques. Cette prise de conscience a engendré une volonté de réindustrialisation et un soutien a été apporté à des entreprises afin qu'elles produisent des masques en France. Cependant, ces entreprises connaissent aujourd'hui de grandes difficultés en raison du niveau des prix asiatiques, impossibles à concurrencer en produisant sur le territoire national. Didactic avait d'ailleurs été sollicitée pour investir dans la production de masques, mais n'a pas souhaité le faire.

Dans le cadre européen, il convient de construire des politiques qui tiennent compte de critères de préférence européenne et de rendre plus tangibles les actions de responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE), ce qui donnerait aux entreprises une visibilité à long terme. Il s'agit aussi parfois de transformer véritablement les entreprises. Par exemple, Didactic ne constituait pas une entreprise industrielle, mais nous allons devoir intégrer un ensemble de savoir-faire techniques tels que l'injection plastique, l'extrusion ou encore l'assemblage en machines automatiques. Afin de réussir cette transformation sur le long terme, nous avons besoin de visibilité sur les politiques industrielles.

Un appel d'offres récent dans le domaine des gants jetables a clairement mis en exergue la prise en compte d'un critère de fabrication sur le territoire européen, ce qui a permis à une entreprise française de remporter cet appel d'offres. Dans ce cadre, l'entreprise dispose désormais d'une visibilité à quatre ans sur ses ventes, et pourra ainsi construire une unité de production sur le territoire, alors que toutes les usines de gants existantes se situent en Asie.

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Au sein de cette commission d'enquête, nous partageons les objectifs de visibilité à long terme que vous évoquez. De votre point de vue collectif, comment pouvons-nous expliquer l'absence en France d'un tissu d'ETI et PME comparable à nos principaux partenaires européens ?

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Vincent Fanon, directeur général de la société Systech

Lorsqu'une entreprise dépasse la barre de la cinquantaine d'employés, elle se heurte à une forme de barrière. Il a ainsi été vivement déconseillé à Systech de franchir ce cap. Si l'entreprise regroupe aujourd'hui 72 collaborateurs, nous étions un peu plus de cinquante pendant longtemps. Nous ne projetions pas de devenir une entreprise employant un nombre très supérieur de personnes. Le dépassement de ce seuil implique la mise en place de nombreuses actions, ce qui n'encourage pas les entreprises à embaucher.

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Vous avez tout de même franchi cette barrière afin de répondre à vos besoins et au marché.

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Vincent Fanon, directeur général de la société Systech

J'ai en effet pris cette décision plutôt révolutionnaire et peu commune car j'avais 35 ans et je ne souhaitais pas limiter le développement de Systech, même si cela engendrait plus de complexité. La plupart des entrepreneurs plus âgés que je rencontre ont plutôt fait le choix de créer d'autres entreprises ou plus simplement de ne pas amorcer une croissance de leur entreprise.

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

Lorsque je parlais de simplification administrative, je pensais notamment à cette problématique des seuils. Il faut que la décision de développer une entreprise soit normalisée et non pas considérée comme un choix héroïque exigeant des efforts colossaux. Aujourd'hui, il est nécessaire d'avoir une taille très importante et une ingénierie conséquente pour installer un site de production en France. La fiscalité est également très problématique, notamment en ce qui concerne les transmissions d'entreprises qui peuvent s'avérer complexes et contraignantes, ce qui n'encourage pas l'investissement. Enfin, il existe une certaine aversion culturelle au risque. En effet, la création d'une entreprise industrielle requiert un capital de départ important, qu'il provienne d'investisseurs familiaux ou institutionnels.

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L'enjeu de la simplification administrative me tient particulièrement à cœur et il n'était auparavant pas considéré comme problématique. Ainsi, entre 2018 et 2020, nous avons travaillé sur ce sujet et mis en place un certain nombre de mesures : donner des pouvoirs dérogatoires au préfet, autoriser les enquêtes électroniques en complément des enquêtes physiques, rendre la consultation de certaines instances facultative ou encore rendre possible la livraison de sites industriels clé en main qui ont déjà fait l'objet d'études environnementales et archéologiques, permettant ainsi de gagner un temps considérable lors de l'installation. Cette dernière mesure a été fructueuse puisqu'elle a permis un afflux considérable de nouveaux investisseurs. J'écoute avec plaisir des recommandations spécifiques sur le parcours d'installation de l'industrie.

Cependant, lors de la promulgation de la loi ASAP, nous avions consulté les organisations professionnelles syndicales et patronales, mais peu d'idées nous avaient été proposées à cette occasion. De même, peu de propositions concrètes sont formulées en vue de la simplification administrative.

Nous avons rencontré le même problème lors des discussions autour de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », dont l'objectif était justement de simplifier la centaine de seuils présents dans la réglementation et de maintenir uniquement trois seuils afin de permettre aux entreprises de se concentrer sur l'application et la mise en conformité de ces contraintes.

La réforme du prélèvement à la source, qui avait suscité de nombreuses réticences, constitue aujourd'hui une mesure de simplification approuvée qui fonctionne.

Je suis conscient de la nécessité d'intensifier nos mesures de simplification, mais il est nécessaire d'émettre des propositions concrètes. Il convient également de prendre en compte les opposants à ces réformes de simplification de l'installation industrielle, qui nous ont reproché à l'époque de porter atteinte au code de l'environnement et qui craignaient des dérives similaires à celles constatées en Chine. Heureusement, un certain nombre de règles s'applique dans notre pays.

Quels sont précisément les éléments qui complexifient le processus d'installation industriel en France ?

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

La problématique actuelle ne concerne pas un formulaire en particulier, mais l'accumulation des formulaires. En effet, nous devons faire face à une augmentation drastique de la main-d'œuvre indirecte au sein de nos entreprises, notamment pour gérer les enjeux administratifs. Par exemple, une de mes filiales comportant douze salariés alloue deux collaborateurs à des tâches administratives, ce qui reste cependant insuffisant. Cette situation se répercute sur le coût de revient industriel et donc notre compétitivité. Ainsi, même la Sécurité sociale nous encourage à produire les médicaments génériques en Asie parce que les principes actifs y sont moins onéreux qu'en France. Il ne s'agit donc pas de citer un formulaire en particulier, mais plutôt de dénoncer l'accumulation de déclarations et de contrôles contraignants.

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Vincent Fanon, directeur général de la société Systech

Il conviendrait d'augmenter le seuil du nombre d'employés de 50 à 200 afin de limiter les freins à l'embauche. La principale difficulté de Systech réside dans le recrutement. En effet, si nous ne manquions pas de candidats qualifiés, nous serions à même d'accueillir une centaine de personnes. Il n'existe quasiment plus de filières de formation dans le domaine de l'électronique, et parmi nos trois concurrents français, deux ont fermé et le dernier est d'une taille bien inférieure à la nôtre, ce qui le rend susceptible d'attirer davantage de talents que Systech. Nous trouvons certes des candidats au sein de l'institut universitaire de technologie (IUT) de Chartres, mais il s'agit de jeunes tout juste sortis de l'école. Or nous avons besoin de personnel d'expérience en fin de carrière à même de gérer la production. Je serais très fier que Systech devienne une ETI, mais il serait nécessaire de recevoir des candidatures de travailleurs expérimentés.

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Monsieur de Heere, en tant que dernier industriel français de votre secteur, comment expliquez-vous votre réussite industrielle ? Serait-ce le fruit de votre gouvernance de type coopérative ?

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Jacques de Heere, président d'Acome

Notre statut est en effet particulier puisque nous vivons dans une démocratie d'entreprise où 100 % de nos salariés sont actionnaires. Ce statut favorise l'engagement et le management participatif. De plus, l'entreprise est très attachée à notre ancrage territorial, avec cinq usines en Basse-Normandie, un millier d'emplois directs et 3 500 à 4 000 emplois indirects. Notre statut de coopérative nous aide aussi pour le recrutement, à une époque où les nouvelles générations recherchent du sens dans leur métier. Enfin, nous dépensons des sommes importantes dans la formation via la création d'écoles de formation en interne afin de pallier les difficultés de recrutement inhérentes à notre implantation dans un territoire rural, peu industrialisé et enclavé. Le statut de notre entreprise comporte des points communs avec les entreprises familiales en raison de sa dimension patrimoniale et de sa stratégie toujours tournée vers le moyen et le long terme. Nous essayons de défendre la pérennité de l'entreprise et de ses emplois en nous appuyant sur notre ancrage territorial. Le statut de coopérative, à ce titre, est tout à fait pertinent.

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Je souhaiterais connaître le point de vue des personnes auditionnées sur la fiscalité des entreprises, sachant que l'impôt sur les sociétés a été abaissé durant le quinquennat de 33 % à 25 %. En France, il est certes difficile de construire une usine, mais également de la transmettre, ce qui engendre le départ de certains entrepreneurs français à l'étranger.

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Laurent Fompeyrine, directeur ingénierie globale santé animale et projets d'investissements de Boehringer Ingelheim France

J'ai participé à l'étude d'un projet pour lequel les États-Unis et la France étaient en concurrence. La baisse des impôts de 33 % à 25 % avait alors permis à la France d'être à nouveau compétitive face aux États-Unis.

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

En ce qui concerne la fiscalité de la succession, tous les efforts d'harmonisation de l'impôt sur les sociétés au niveau européen et mondial seront bénéfiques et permettront d'éviter la concurrence fiscale. Le législateur doit veiller à ne pas être discriminant afin que l'impôt ne devienne pas confiscatoire. Si le contributeur se considère spolié, il va nécessairement se diriger vers l'étranger.

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Jean-Marie Piranda, président de Frial

Lors de la création d'une entreprise, nous ne pensons pas à notre succession, ni au seuil du nombre d'employés pour passer à un autre type d'entreprise. J'ai eu la chance d'être accompagné par des actionnaires actifs, qui ne travaillaient pas dans l'entreprise, mais qui m'ont soutenu dès les années 1990 alors que je n'avais pas d'argent à investir. En 2008, j'ai commencé à penser à ma succession, que je n'avais pas préparée auparavant. Les actionnaires qui m'aidaient depuis le début ont souhaité sortir de l'entreprise et nous avons donc fait le choix d'un rachat par un fonds d'investissement. Ce fonds est resté au capital pendant quelques années, mais notre secteur ayant besoin d'investissements productifs de cinq à dix millions d'euros par an, cet actionnaire a préféré se retirer. J'ai moi-même quitté l'entreprise en 2013, mais l'entreprise a rencontré un problème important en 2019. Le fonds qui portait alors la dette de l'entreprise m'a contacté afin de me convaincre de redémarrer l'activité de l'entreprise. Je suis donc revenu à la tête de Frial et le fonds de dette a recapitalisé l'entreprise et a validé un plan d'investissement de 23 millions d'euros sur deux ans. Nous avons donc réussi à sauver tous les emplois.

Nous avons également bénéficié du prêt garanti par l'État (PGE), que nous avons déjà intégralement remboursé puisque les résultats financiers de l'entreprise le permettaient. Avec le soutien de ce fonds d'investissement, nous avons décidé de céder l'entreprise à un industriel français dans quelques mois. Notre objectif est de réaliser au minimum 50 % de notre activité à l'étranger afin de maintenir notre développement et de limiter notre dépendance à la clientèle française, qui est plus difficile que la clientèle européenne. Un industriel allemand de la même taille rencontrera en effet beaucoup moins de problèmes avec ses clients.

De nombreux dirigeants relativement âgés rencontrent ainsi aujourd'hui un vrai problème en ce qui concerne la fiscalité de la succession.

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Vincent Fanon, directeur général de la société Systech

Nypro, qui a fermé son usine de matériel médical à Chartres, employait 120 personnes en France. Elle réalisait pourtant des profits, mais pas suffisamment pour les actionnaires. Il est certes quasiment impossible de sortir du modèle de l'actionnariat ou encore de nationaliser certaines usines ou certains pans de l'industrie. Cependant, quand des usines sont rentables, des consortiums devraient être mis en place au niveau de l'État pour les sauver. Les actionnaires fixent souvent des objectifs irréalistes aux usines. Systech réalise un résultat de 5 % à 7 %, ce qui ne suffirait pas à des actionnaires classiques. Heureusement, nous ne sommes que deux actionnaires et nous ne nous versons pas de dividende.

Je regrette également le départ de Luxfer, qui constituait le dernier industriel français produisant des bouteilles d'oxygène et que l'État a laissé partir.

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Monsieur de Heere, pensez-vous que la reprise en coopérative, qui a été évoquée pour Luxfer, pourrait constituer une solution en cas de difficultés de transmission d'entreprise ?

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Jacques de Heere, président d'Acome

Il est vrai qu'il existe de beaux exemples de reprise d'entreprises par les salariés sous forme de coopératives, favorisés par un ensemble de leviers économiques, financiers et fiscaux.

En France, nous ne savons pas défendre nos filières, à la différence de l'Allemagne par exemple. L'industrie automobile française se porte mal alors qu'elle emploie plus d'un million de personnes. Cette mauvaise santé financière est due à l'absence d'approche en termes de filière. Le constructeur impose des prix à son fournisseur de premier rang, qui fait de même avec son propre équipementier, ce qui entraîne une destruction de toute la filière. Au contraire, l'Allemagne agit de manière totalement inverse en intégrant ses filières et en défendant une fourniture locale, avec une prestation de qualité et un juste prix bénéfique à tous les acteurs.

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Monsieur Fompeyrine, votre entreprise est passée du groupe Sanofi à Boehringer Ingelheim dans le cadre du rachat de Merial. Quelles différences avez-vous remarquées entre le groupe allemand et le groupe français en termes de management ? Quelles sont vos interactions avec votre écosystème, et notamment avec Lyonbiopôle ?

Monsieur Sainsot, êtes-vous associé à l'Alliance France Bioproduction (AFB) et qu'en attendez-vous ? Votre écosystème au sein du pôle de compétitivité Eurobiomed bénéficie-t-il à votre développement ?

Monsieur Viguié, Didactic opère dans le secteur des dispositifs médicaux, dont la principale problématique est le délai de commercialisation, en raison de la courte durée de vie des produits due à l'innovation permanente dans votre secteur. Pensez-vous que cette problématique tend à se résoudre en France ? La priorisation des entreprises françaises dans la commande publique pourrait-elle constituer une solution, sur le modèle du Small Business Act américain ?

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Laurent Fompeyrine, directeur ingénierie globale santé animale et projets d'investissements de Boehringer Ingelheim France

Les cultures managériales française et allemande diffèrent en effet. De plus, Sanofi est cotée en Bourse tandis que Boehringer Ingelheim est une entreprise familiale et indépendante qui souhaite se développer à long terme sur les marchés de la santé humaine et animale. Il existe également chez Boehringer Ingelheim une réelle complémentarité et des synergies entre les différents services de la société dans le cadre du programme « One Health » qui prend une ampleur considérable dans notre entreprise.

Nous disposons de nombreuses connexions avec Lyonbiopôle et d'autres acteurs institutionnels lyonnais. L'Agence pour le développement économique de la région lyonnaise (Aderly) nous a également apporté son soutien dans le cadre de notre projet dans la région. Sans ces structures, nos projets seraient beaucoup moins avancés. Nous contribuons autant à Lyonbiopôle que leurs ressources contribuent à nos études et à nos recherches. Cette structure se situe au cœur de l'industrie et de la recherche biologique en région lyonnaise.

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Alain Sainsot, président de GTP-Bioways

J'ai été en réalité co-chef de projet au sein du comité stratégique de filière (CSF) bioproduction. L'Alliance France Bioproduction a été porté sur les fonts baptismaux encore plus rapidement que prévu en raison de la crise de la Covid-19 qui a illustré les constats que nous avions émis au sein du CSF. Il est important de suivre très attentivement et de soutenir l'AFB car elle impulse la dynamique de structuration des filières. La présence d'une filière dans un pays constitue en soi un facteur d'attractivité, c'est pourquoi il est impératif d'engager tous les moyens à notre disposition. L'AFB a également pour objectif d'allier l'académique à l'industriel parce que cette coopération fonctionne excessivement mal en France, contrairement aux États-Unis ou à l'Allemagne. GTP-Bioways adhère également à Eurobiomed. Les acteurs du secteur doivent collaborer ensemble et non travailler l'un contre l'autre dans l'esprit velléitaire français.

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Frédéric Viguié, président de Didactic

La question du délai de commercialisation dans le secteur des dispositifs médicaux est de plus en plus préoccupante. Nous traversons actuellement un contexte particulier de transition puisque le secteur sera désormais soumis à un règlement et une directive européenne. Il existe en parallèle une crise des organismes notifiés, chargés de délivrer les autorisations aux entreprises, dont beaucoup n'ont pas encore été validés par le nouveau règlement. Je suis convaincu que l'éloignement des sites de fabrication constitue un obstacle à l'innovation. Leur rapprochement nous permettra donc une plus grande rapidité d'action.

Je soutiens l'éventuelle mise en place d'une priorisation des entreprises françaises dans la commande publique, qui constituerait un Small Business Act à la française. Nous sommes soumis au règlement européen en termes d'appels d'offres, mais le marché allemand demeure extrêmement difficile à pénétrer en raison de la protection dont bénéficient les industriels allemands. Les acheteurs hospitaliers sont également favorables à cette éventuelle mesure. En effet, je discutais hier avec une centrale d'achat et l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui sont extrêmement intéressés pour travailler avec nous sur ce type de projet. Afin de clarifier la direction à prendre, ils ont seulement besoin d'une injonction qui vienne du Gouvernement et d'un alignement entre la direction générale de l'offre de soins (DGOS), le ministère de l'Économie, des finances et de la relance, et le ministère des Solidarités et de la santé.

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Il conviendrait effectivement de mettre en place des injonctions protectrices de l'industrie et facilitatrices de leur activité.

Monsieur de Heere, les mesures européennes anti-dumping applicables depuis ce samedi matin pourraient-elles être transposées au niveau national ?

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Jacques de Heere, président d'Acome

Le périmètre de cette mesure est en réalité restreint puisqu'elle s'applique à tous les câbles à fibre optique fabriqués en Chine qui entrent sur le territoire de l'Union européenne, et a fortiori sur le territoire français. Les entreprises concernées sont soumises à des taxes qui varient en fonction de leur transparence et de leur niveau de participation à cette enquête menée par la Commission européenne. Cette démarche a été initiée par des entreprises, dont Acome, qui fabriquent des câbles à fibre optique en Europe et qui ont été victimes de pratiques de dumping.

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Vincent Fanon, directeur général de la société Systech

Lors de certaines fermetures d'usines, des fonctionnaires remplissaient très bien leur rôle de contrôle aux côtés de l'Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) et des centres des impôts. Lorsqu'une entreprise est défaillante et en cours de liquidation, je regrette l'absence de mise en place d'un écosystème pour trouver des moyens de la relancer. Les fonctionnaires qui interviennent dans cette situation obéissent parfois à des intérêts étranges et il est difficile de savoir qui bénéficie financièrement d'une liquidation.

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Lorsque l'usine Nypro à Chartres a annoncé sa fermeture, les services de la préfecture ont mené des réunions extrêmement régulières pour vérifier que des solutions étaient prévues pour chacun afin que personne ne se retrouve sans ressources. Actuellement, d'autres entreprises du territoire sont en difficulté, notamment dans le secteur automobile où tout le monde se bat de façon coordonnée pour trouver des solutions viables. Bien que ces efforts ne soient pas toujours relayés par les médias, ils sont réalisés avec des personnes compétentes afin d'éviter une situation difficile.

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M. Nous attendons avec plaisir toutes vos propositions, les plus précises possible, afin de réussir la réindustrialisation du territoire.

L'audition s'achève à douze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 11 heures

Présents. - M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul

Excusés. – M. Frédéric Barbier, M. Éric Girardin