COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 6 mai 2021
La séance est ouverte à quinze heures trente.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences procède à l'audition de M. Alexandre Abou, premier conseiller de chambre régionale des comptes, auteur de la thèse Le contrôle dans les délégations de service public d'eau
Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences. Nous allons entendre à présent M. Alexandre Abou.
Vous êtes premier conseiller de chambre régionale des comptes, actuellement affecté aux chambres régionales des comptes de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique. Mais c'est l'universitaire que nous recevons en premier lieu, car vous avez soutenu en mars 2020 une thèse de doctorat en droit public fort instructive, intitulée Le contrôle dans les délégations de service public d'eau.
Je vous souhaite donc la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, Monsieur le conseiller, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Alexandre Abou prête serment.
Je travaille sur les partenariats publics - privés dans le domaine de l'eau, mais également dans les domaines des déchets ou des transports.
Le service de l'eau et de l'assainissement, à la fois indispensable et basique, pourrait, à tort, être considéré comme solide et acquis. Or, il souffre d'une véritable fragilité, notamment aux Antilles. Les défaillances y sont telles que la continuité du service public de l'eau n'est pas assurée en Guadeloupe et que le prix de l'eau est exorbitant à Saint-Martin. Aussi ai-je travaillé sur l'organisation du service de l'eau en France, et plus particulièrement sur les relations entre l'autorité publique et des partenaires privés, qui reposent notamment sur des délégations de service public (DSP).
In fine, les obligations pesant sur les acteurs privés en charge du service s'affaiblissent au fur et à mesure de la vie des contrats, faute de contrôle et de suivi. De surcroît, la situation se caractérise par un manque d'investissements dans le domaine de l'eau, certaines collectivités privilégiant d'autres types de dépenses. Bien évidemment, d'autres collectivités s'évertuent à renforcer leurs réseaux.
En tout état de cause, il est nécessaire de renforcer les contrôles, mais également de se pencher sur la régulation générale des relations et partenariats entre des entreprises privées et des collectivités publiques.
Vous avez pointé l'existence, faute de contrôle et de suivi, d'un certain nombre de dérives, notamment dans les Antilles. Selon vous, ont-elles résulté d'un problème de moyens et d'application des lois existantes ? À l'inverse, est-il nécessaire de faire évoluer les normes ?
Les deux. Il me semble nécessaire d'instaurer une régulation. Il serait ainsi utile de faire évoluer le contenu des contrats de DSP
Il est indispensable :
– d'éviter les renégociations contractuelles trop fréquentes, en imposant des délais ;
– d'imposer des conditions de renégociations, en déployant des outils d'évaluation des services apportés.
Ainsi, les contrats et services en résultant doivent donner lieu à des audits obligatoires, avant la signature de tout avenant, pour bien prendre la mesure de l'équilibre entre les avantages concédés et les risques pris par l'entreprise.
Enfin, le rôle de l'usager, qui est à la fois le bénéficiaire et le financeur du service, doit être renforcé dans la gouvernance de la relation partenariale au sein des commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL), des commissions de DSP, etc.
En pratique, il est tout à fait possible de respecter les règles de passation des contrats et d'aboutir à des contrats extrêmement déséquilibrés. S'agissant des DSP, les formalités à accomplir me semblent aujourd'hui être un peu trop souples. En complément, la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession, stipule que le secteur de l'eau doit être considéré comme les autres secteurs. In fine, beaucoup de choses se font dans le respect des dispositions légales.
Au cours des précédentes auditions, plusieurs intervenants ont pointé l'existence d'une asymétrie entre les autorités concédantes et les entreprises concessionnaires, lors de l'établissement de contrats de DSP. En effet, les concessionnaires négocient plusieurs contrats chaque mois, quand les collectivités ne le font qu'une fois tous les 8 à 15 ans : aussi ces dernières souffrent-elles d'un déficit d'expérience considérable. Quelle est votre position sur le sujet ?
Il s'agit de l'une des problématiques majeures. Il existe, effectivement, un problème d'asymétrie de l'information entre le propriétaire du réseau, que sont les usagers, et les exploitants. Ces derniers disposent de données relatives à la gestion du réseau ou à l'affectation des ressources, que n'ont pas les collectivités.
L'asymétrie relevée ne pourra jamais être totalement résorbée : en revanche, il est tout à fait possible de la réduire. Telle est d'ailleurs la principale raison d'être des audits que j'appelle de mes vœux.
En complément, les obligations du délégataire gagneraient à être précisées. Il est primordial de se pencher sur la question de l'affectation des ressources humaines, en déroulant un audit social. Les exploitants des réseaux doivent communiquer sur les compétences requises pour délivrer le service.
En outre, il est indispensable d'assurer la continuité des moyens informatiques (facturation, suivi technique, suivi des infrastructures), en renforçant les obligations pesant sur les exploitants.
Enfin, les problèmes d'affectation des ressources ont pu poser d'importantes difficultés lors des changements de mode de gestion. À titre d'exemple, le passage en régie de la ville de Paris a généré des coûts informatiques considérables. Il en est allé de même aux Antilles.
Vous écrivez que « La régie apparaît comme un mode de gestion efficace à condition d'être relativement indépendant du pouvoir politique dans la gestion du service, d'être dans une situation de régulation du type autorité organisatrice / opérateur, sans une immixtion trop importante de la gestion du service ». Est-il possible que la régie ne soit pas une solution optimale ?
La régie n'est pas nécessairement la solution optimale. Tout dépend de la manière dont elle a été mise en place et de la manière dont elle rend des comptes aux autorités publiques.
Le patrimoine de certaines régies peut se confondre avec celui des communes. En parallèle, des régies n'amortissent pas leurs installations et peuvent avoir une mauvaise connaissance de leurs installations et s'appuyer sur des ressources non adaptées.
Comment expliquez-vous le mouvement récent de retour à la gestion publique, en particulier dans les grandes collectivités ?
Le Conseil d'État a donné la possibilité, à travers l'arrêt Commune d'Olivet du 8 avril 2009, de résilier des contrats. À partir de 2015 ainsi, certains contrats longs ont pu être interrompus sans pénalités importantes : certaines collectivités en ont profité pour se dégager de contrats très longs, sans nécessairement passer en régie.
De surcroît, le prix de l'eau a fortement progressé dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, et cela jusqu'en 2010. Or il existe un lien entre cette inflation et le développement à l'international d'un certain nombre d'entreprises.
Les principaux acteurs du secteur de l'eau, comme Suez et Veolia, ont connu un développement international très marqué. Ils ont bénéficié, durant de nombreuses années, de contrats extrêmement profitables, qui leur ont permis de se développer. Or, ils n'investissaient pas nécessairement dans les réseaux, privilégiant la réalisation de bénéfices importants.
Pour se développer à l'international, les acteurs évoqués ont pu s'appuyer sur les marges considérables qu'ils réalisaient en France dans le domaine de l'eau, qui relevait alors d'un secteur presque captif. Est-ce bien cela ?
Quel regard portez-vous sur les différences de prix de l'eau entre régies publiques et DSP ? L'écart est-il significatif ? Une délégation de service public est-elle intrinsèquement plus chère pour l'usager ?
Certes, le prix d'une DSP a tendance à être plus élevé que celui d'une régie. En effet, une DSP est exploitée par une entreprise privée qui est, à ce titre, exposée à des risques spécifiques. De surcroît, les filiales privées reversent des frais de siège à leur société-mère et s'acquittent également, parfois, de charges élevées, lesquelles ne sont pas toujours justifiées. En complément, les acteurs privés se financent à des taux moins intéressants que les collectivités publiques. Au regard de l'ensemble de ces éléments, les DSP peuvent présenter un surcout par rapport aux régies.
Toutefois, les régies n'affichent pas toujours l'ensemble de leurs coûts, ce qui biaise les comparaisons. À titre d'illustration, nombre d'entre elles n'ont pas une vision claire de leur patrimoine et n'amortissent pas les équipements afférents, ce qui réduit les coûts qu'elles exposent.
Vous indiquez, dans vos travaux : « Il arrive souvent que l'eau vendue en gros soit vendue beaucoup plus cher que le coût de revient. La marge acquise sur ces ventes permet d'abaisser le prix de l'eau distribuée aux usagers de son propre réseau. Il s'agit de décisions prises notamment par les élus locaux qui souhaitent ménager des tarifs plus avantageux pour leurs administrés ». Faut-il encadrer les modalités de revente entre gestionnaires de l'eau en gros ?
Cette pratique, effectivement, me semble devoir être encadrée. J'ignore si elle est généralisée : elle a toutefois été observée en Martinique ou en Guadeloupe avec le syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), ce qui a abouti à un mouvement de contestation. En tout état de cause, elle semble assez récurrente. Elle découle du fait que plusieurs exploitants partagent une même ressource : d'aucuns, ainsi, ont la tentation de « politiser » ou « d'instrumentaliser » la vente de l'eau en gros. Il est donc primordial de plafonner les écarts relevés. Le Conseil de la concurrence a d'ailleurs observé que Veolia, qui disposait de la ressource, ne communiquait pas sur les coûts afférents. Aussi ses concurrents n'avaient-ils pas accès à la ressource au même prix. Ils n'étaient donc pas sur un pied d'égalité avec elle. Quoi qu'il en soit, cette pratique doit être réglementée.
Pourriez-vous revenir sur le mécanisme d'augmentation des prix de l'eau en gros que vous avez observé en Guadeloupe, ainsi que sur les modes de régulation de ces derniers ?
Pour information, le SIAEAG avait multiplié par quatre le prix de l'eau vendue en gros, ce qui avait abouti au mouvement de contestation susmentionné. Il était confronté à des difficultés particulières, puisqu'exposé à des obligations, en matière de construction de stations d'épuration. Or il finance, comme d'autres collectivités gestionnaires de l'eau, l'assainissement par le truchement de l'eau potable, ce qui est contraire à la loi. In fine, cette situation avait provoqué la colère de ses partenaires. Cap Excellence, comme d'autres acteurs, avait contesté cette pratique.
Cette configuration est une illustration de la « politisation » de la gestion de l'eau, qui vise à rendre captifs un certain nombre d'électeurs en les favorisant. In fine, le problème relevé a pris de l'ampleur et l'eau n'a pas été payée au SIAEAG, ce qui l'a exposé à des déficits importants et ne lui a pas permis de lancer les investissements requis pour assurer la continuité de son réseau. Au même moment, il a rencontré des difficultés avec son partenaire la Générale des eaux de Guadeloupe, filiale de Veolia. Au final, la situation qui vient d'être décrite a contribué à la faillite du système de l'eau en Guadeloupe.
L'idéal serait d'introduire un mécanisme de plafonnement du prix de vente de l'eau en gros. L'idée pourrait être de déterminer le coût de revient afférent et de le multiplier par un coefficient : l'eau captée ne pourrait alors être vendue à un prix plus élevé que ce produit. En tout état de cause, il m'apparaît primordial de plafonner la vente d'eau en gros.
Vous parlez de « relatif désinvestissement » dans le secteur de l'eau en France. Quelles en sont les causes et comment y remédier ?
La consommation d'eau s'est réduite, du fait de la désindustrialisation observée en France, notamment en région parisienne, et de la mise en œuvre de démarches d'économies d'eau.
Aujourd'hui en conséquence, le secteur de l'eau n'est plus très dynamique, ce qui freine les velléités d'investissement des entreprises. De surcroît, les contrats sont beaucoup plus stricts qu'ils l'étaient par le passé, ce qui vient obérer les perspectives de marge des délégataires privés. Cela incite donc ces derniers à se tourner vers l'étranger.
En outre, les investissements dans les capacités et les réseaux reviennent à la collectivité. Les délégataires, pour leur part, doivent entretenir les installations et participer à leur renouvellement. Or l'investissement lié au renouvellement du réseau n'est pas rentable sur la durée d'une délégation : aussi les entreprises privées ne s'y engagent-elles qu'avec parcimonie. En parallèle, les collectivités essaient de faire supporter les coûts des investissements de renouvellement par les délégataires. In fine, aucune des deux parties n'effectue les travaux, ce qui crée une difficulté.
Oui, parce qu'elle peut avoir une vision de long terme. Néanmoins, un contrat de DSP plus long et bien régulé peut également favoriser l'investissement privé.
Plus globalement, les entreprises ont plus de ressources que les collectivités publiques, ce dont il convient de tenir compte. À ce titre, il est indispensable d'inciter les entreprises à investir. Ces dernières ont l'autorisation de passer des provisions au titre des renouvellements : il s'agit d'ailleurs de l'un des rares cas dans lesquels il est possible, pour une entreprise, de passer des provisions au titre d'équipements qui ne lui appartiennent pas.
Parfois pourtant, lesdites entreprises, bien qu'ayant passé des provisions, ne conduisent pas les renouvellements prévus : dans ce cas, il est tout à fait possible de les soumettre à un redressement fiscal. Ce dernier peut donc être un moyen de les contraindre à respecter leurs engagements.
Vous considérez dans votre thèse qu'aujourd'hui, concernant les relations contractuelles dans le secteur de l'eau, l'État est « distant », les collectivités territoriales « émiettées et peu aguerries » et les entreprises « puissantes et rompues à la gestion contractuelle ». Est-ce toujours le cas ? Cela doit-il remettre en cause le principe même de la délégation de service public ?
La situation évolue. Certes, le paysage ne favorise pas la régulation. Néanmoins, le nombre de collectivités gestionnaires s'est contracté sous l'effet de la loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.
Cela doit-il remettre en cause le principe-même de la DSP ? À mon sens, le contrat de DSP n'est pas nécessairement, sous sa forme actuelle, le plus adapté : il serait donc utile de le faire évoluer et de le rendre plus contraignant qu'il l'est, avec une exécution cadrée.
En tout état de cause, la participation d'entreprises privées à la gestion de l'eau ne me semble pas devoir être remise en cause. Dans ce domaine en effet, elles ont également un rôle à jouer. De surcroît, le recours à la régie n'est pas nécessairement la meilleure des options. Au sein de certains territoires ainsi, la capacité d'innovation des acteurs privés ne manque pas d'intérêt. S'agissant du dessalement de l'eau ou de la gestion des stations d'épuration par exemple, certaines entreprises privées ont pris des engagements intéressants.
En parallèle, a été observé un mouvement de retour des collectivités vers le mode de gestion en régie. Cela étant, ces dernières n'ont pas abandonné toute coopération avec des sociétés privées. Les agglomérations de Rennes et de Toulouse, à titre d'exemple, ont repris une partie de la gestion de l'eau en régie : ainsi, celle-ci se fait, selon les secteurs, en régie ou dans le cadre d'une DSP. La Ville de Paris, qui a également repris l'eau en régie, a passé de nombreux marchés de prestations de services pour accompagner cette transformation.
Par ailleurs, que faire pour accroître les investissements ? Comme le montre l'exemple récent de la Guadeloupe, les régions – même si ce n'est pas leur rôle – peuvent désormais participer à la rénovation des réseaux. Le choix pourrait être fait de déployer une structure d'administration de l'eau à l'échelle départementale ou supra-départementale, voire à la maille d'un bassin.
Enfin, il est possible d'accroître les investissements dans les réseaux sans augmenter le prix de l'eau. En pratique, une large part de la facture d'eau sert à financer la protection de la ressource en eau, ce qui pose question. Par application du principe pollueur – payeur, cela ne devrait pas reposer sur les usagers, mais sur les principaux pollueurs : entreprises, monde agricole, etc. Si la participation financière de ces derniers était revue à la hausse, des baisses de prix pourraient être mises en œuvre.
En Guadeloupe, la loi a institué la création d'un syndicat mixte ouvert : ce modèle pourrait-il, selon vous, être dupliqué ?
Le syndicat évoqué n'a pas été créé pour de bonnes raisons. En effet, cette opération a avant tout eu pour objectif de permettre au département et à la région de venir au secours des structures intercommunales.
À mon sens, les régions n'ont pas un rôle à jouer dans le domaine de l'eau, contrairement aux départements. Cela étant, la décision pourrait être prise de constituer des établissements publics dédiés à l'administration de l'eau, sur le modèle des agences de l'eau : ce schéma, toutefois, poserait la question de leur gouvernance. De surcroît, lesdites structures seraient lors nécessairement rattachées à l'État, ce qui pourrait renforcer la politisation de la gestion de l'eau.
Quelles sont vos préconisations pour faire appliquer le principe pollueur – payeur dans le domaine de l'eau ?
Aux Antilles, les offices de l'eau, qui sont les pendants des agences de l'eau présentes sur le territoire métropolitain, possèdent, à travers les contributions versées par les usagers, des ressources importantes. Or ils n'ont pas nécessairement de projets à mener et disposent de trésoreries élevées. Ainsi, ils financent davantage les réseaux que la protection de la ressource.
Par ailleurs, les usagers ne sont pas les principaux pollueurs, loin de là. Pourtant, ils sont à l'origine de la quasi-totalité des ressources des agences de l'eau. Les grandes entreprises – comme Électricité de France (EDF) par exemple – ne sont-elles pas plus responsables de la pollution de l'eau que les usagers ? N'en va-t-il pas de même du monde agricole ? Les usagers, à mon sens, doivent essentiellement financer la rénovation des réseaux qu'ils utilisent, et pas la rénovation de la ressource.
Par ailleurs, vous avez indiqué que la régie publique, du fait de son horizon de long terme, pouvait avoir une vraie plus-value sur le plan des investissements. En parallèle, vous avez souligné que les moyens des collectivités étaient autrement plus limités que ceux des acteurs privés et que les investissements n'étaient finalement portés par aucune de ces deux parties. Quels sont, selon vous, les principaux avantages des DSP ? Au-delà de l'innovation, en avez-vous identifié d'autres ? Dans quelle mesure le manque de moyens financiers et d'expertise des collectivités contribue-t-il au recours aux DSP ? Au cours de la précédente audition enfin, des maires nous ont ainsi indiqué qu'il était parfois fait appel à la DSP, par souci de simplicité. Quel est votre point de vue sur le sujet ?
Il s'agit, effectivement, d'une situation régulièrement observée. Pour information, les premières DSP ne s'assortissaient pas de concessions. Elles correspondaient à des régies intéressées. Ainsi, les collectivités confiaient la gestion de l'eau à des partenaires privés et attendaient de ces derniers qu'ils leur reversent une partie des marges importantes qu'ils dégageaient. Ce schéma leur permettait de se dégager de toute responsabilité, tout en partageant les bénéfices générés. Néanmoins, il ne les incitait pas à contrôler les délégataires. En tout état de cause, les collectivités se doivent de développer des moyens de contrôler les DSP.
L'un des responsables grenoblois ayant favorisé le retour à une régie publique nous avait indiqué qu'il ne restait, à cette époque, plus qu'une seule personne en charge de l'eau au sein de la collectivité. Aussi s'était-il agi de recréer des compétences en la matière.
Il s'agit d'un véritable problème, qui résulte du désintérêt des collectivités pour l'eau. Il n'en demeure pas moins qu'il appartient à ces dernières de prévoir des modalités de contrôle des DSP : d'ailleurs, nombre de contrats de DSP intègrent les coûts associés, lesquels doivent être supportés par les prestataires. Enfin, les compétences présentes dans les collectivités sont très souvent techniques : en revanche, celles-ci manquent généralement de compétences en matière d'audit financier, juridique et social.
Au-delà des compétences d'audit précitées, avez-vous identifié d'autres moyens dont les collectivités devraient se doter pour contrôler un délégataire ou une régie ?
Les collectivités doivent se doter de compétences dans le domaine de la renégociation « encadrée ». La participation citoyenne peut également être d'une vraie utilité en matière de contrôle.
Oui. Le législateur a pris, en Guadeloupe, des mesures très intéressantes sur le sujet. Le conseil de surveillance qui y a été instauré s'assimile à une commission consultative des services publics locaux (CCSPL) : il se compose majoritairement de représentants des usagers et pourrait tout à fait être présidé par l'un d'eux.
Plus globalement, il est important de donner aux CCSPL les moyens de solliciter la collectivité, pour qu'elle réalise des audits, en cas de renégociation de contrat par exemple. Enfin, le président de la CCSPL pourrait être membre de la commission dite de DSP, sans qu'il ait nécessairement voix délibérative.
Quel regard portez-vous sur l'offre publique d'achat (OPA) de Veolia sur Suez ? Quelles pourraient en être les conséquences sur les futurs contrats de DSP ?
Je ne me suis pas penché précisément sur le sujet. Avant que Veolia ne prenne le contrôle de Suez, la situation était relativement figée. En Guadeloupe et en Martinique d'ailleurs, les deux sociétés en charge de la gestion de l'eau étaient des filiales communes de Veolia et Suez.
Cela étant rappelé, les entreprises privées ne sont pas propriétaires des réseaux ; en effet, ces derniers appartiennent aux collectivités. Aussi le monopole résultant de l'OPA précité ne serait-il pas de même nature que le monopole détenu par EDF. Il n'en demeure pas moins que l'émergence d'une situation monopolistique plaide pour l'émergence d'une agence nationale ou d'un référent national, à des fins de régulation nationale.
La mise en œuvre de partenariats intégrés ne manque pas d'intérêt, dans la mesure où elle contribue à atténuer – sans la faire disparaître – l'asymétrie de l'information. La collectivité, en étant associée au projet partenarial, dispose en effet d'un certain nombre d'informations.
De surcroît, le dispositif évoqué, très présent dans le domaine des transports, présente l'intérêt :
– de conclure des partenariats de long terme ;
– d'associer les compétences privées et publiques.
Le dispositif évoqué est assez régulièrement critiqué. D'aucuns considèrent en effet que le mécanisme de codécision associé n'est qu'un mécanisme de façade, dès lors que la participation de la collectivité est minoritaire.
Je m'associe à cette observation, qui correspond à un phénomène observé dans le domaine des transports. Lorsqu'une collectivité dispose d'une participation minoritaire, la société reprend généralement rapidement le contrôle des opérations. En complément, le partenaire, dans ce cadre, n'est pas sélectionné dans une démarche de mise en concurrence. Or cette absence de transparence peut favoriser le risque de collusion.
Par ailleurs, le fait qu'une collectivité soit le principal partenaire d'une société d'économie mixte (SEM) n'est pas toujours synonyme de bonne gestion. Ainsi, la SEM peut être amenée à accueillir l'ensemble des dettes ou des personnes dont ladite collectivité ne veut pas. Enfin, une société publique locale (SPL) a repris la gestion de l'eau à Rennes, laquelle était auparavant assurée par le truchement d'une DSP : les prix de l'eau n'ont pas baissé pour autant.
Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, l'instauration de relations de long terme. Comment concilier la longueur d'un contrat passé avec un organisme privé et la question démocratique ? En effet, la durée d'un contrat excède généralement celle d'un mandat électif.
La participation citoyenne peut y contribuer. De surcroît, les élus sont présents dans les commissions de service public. Plus globalement, la participation démocratique peut s'exprimer dans le cadre de la politique d'investissement d'une collectivité : à titre d'exemple, la stratégie de renforcement du réseau reste du ressort de cette dernière, qui peut donc favoriser tel ou tel territoire.
En Ile-de-France, certaines communes, suite aux élections municipales, souhaiteraient sortir d'un contrat de DSP pour s'orienter vers une régie publique. Pour cela, elles doivent respecter des clauses très contraignantes (dédoublement du réseau), ce qui pose un problème démocratique me semble-t-il.
Faites-vous allusion au syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF) ?
Le problème relevé se pose essentiellement pour les contrats de DSP qui intègrent des clauses concessives importantes. Il se pose beaucoup moins pour les DSP d'exploitation.
Est-il possible d'agir, au plan réglementaire, sur les contrats de DSP qui comportent des clauses concessives, aux fins de réduire les coûts de sortie afférents ?
Il me semble difficile, pour une collectivité, de sortir du mode de gestion tout en restant au sein d'un syndicat. Cela étant, il pourrait être envisagé de créer un syndicat s'occupant de plusieurs DSP. À Toulouse par exemple, le périmètre du syndicat n'est pas intégralement géré par le truchement de DSP. Enfin, je ne suis pas persuadé qu'il soit totalement légal d'exiger des coûts de sortie exorbitants.
L'une des lignes directrices que vous défendez renvoie à la réversibilité de la gestion du service. En quoi la rédaction des contrats pourrait-elle, sur ce plan, s'améliorer ? Plusieurs des intervenants audités par la présente instance ont ainsi regretté ne pas disposer, à la fin du contrat de DSP, des plans du réseau.
Les clauses contractuelles doivent, sur ces sujets, s'améliorer. Par le passé, les plans des réseaux n'étaient pas disponibles moins d'un an avant la fin d'un contrat, ce qui n'est plus le cas désormais. Ainsi, les collectivités sont désormais en droit d'exiger des éléments précis assez longtemps avant une échéance contractuelle.
En revanche, les informations relatives aux compétences du personnel et aux logiciels doivent très nettement s'améliorer. Il est impératif d'imposer aux entreprises la fourniture de l'ensemble de ces éléments. Les logiciels soulèvent une question juridique fondamentale : au-delà de la propriété intellectuelle associée en effet, il convient de penser la question des « biens de retour ».
Les logiciels sont indispensables à la réalisation du service : ils constituent donc des biens de retour et sont, à ce titre, propriété de la collectivité. Ils peuvent être remis en propriété à l'entreprise, sous réserve de garanties en matière de continuité du service public, comme l'a souligné le Conseil d'État.
En tout état de cause, il convient d'imposer, de manière systématique, une solution de « continuité logicielle » aux entreprises. Cette problématique a coûté plus de 30 millions d'euros à la ville de Paris. En Guadeloupe, elle a également eu des effets catastrophiques sur la facturation et le fonctionnement du service. Enfin, les entreprises ont fait des efforts pour développer leurs propres outils : il est indispensable de trouver des alternatives à cette « propriété ».
Je vous invite, si vous en avez le temps, à répondre par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé. Je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
La réunion s'achève à seize heures quarante-cinq.