Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 5 février 2020 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CSM
  • exécutif
  • indépendance
  • inspection
  • instruction
  • juridiction
  • magistrat
  • nomination
  • parquet

La réunion

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La séance est ouverte à 16 heures 15.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.

La Commission d'enquête entend M. Jacky Coulon, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats, et Mme Nina Milesi, secrétaire nationale.

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La commission d'enquête entend M. Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats (USM), et Mme Nina Milesi, secrétaire nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jacky Coulon et Mme Nina Milesi prêtent successivement serment.)

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

La France compte environ 8 500 magistrats de l'ordre judiciaire, dont 2 200 adhérents de l'union syndicale des magistrats (USM). Aux dernières élections professionnelles, notre organisation a recueilli 64 % des voix, ce qui fait de l'union syndicale des magistrats l'organisation professionnelle de loin la plus représentative. Les deux autres organisations professionnelles, dont vous entendrez des représentants, sont le syndicat de la magistrature et FO magistrats.

L'union syndicale des magistrats se caractérise par son apolitisme. Cela ne signifie pas que l'USM s'interdit de participer au débat politique, cela veut dire qu'elle intervient sans arrière-pensées politiques et sans idéologie préconçue.

L'objet même de l'union syndicale des magistrats, et cela figure en tête de nos statuts, est d'assurer l'indépendance de la fonction judiciaire. C'est dire que nous sommes tout à fait dans le sujet qui vous préoccupe et qui nous préoccupe aussi. L'intitulé de votre commission d'enquête est d'ailleurs intéressant, car le pouvoir judiciaire va bien au-delà de « l'autorité judiciaire » figurant dans la Constitution. L'indépendance de la fonction judiciaire est une garantie essentielle des droits et libertés des citoyens. C'est le fondement de la démocratie. À cet égard, nous sommes actuellement préoccupés par ce qui se passe en Pologne, cas sur lequel nous aurons peut-être l'occasion de revenir.

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Nina Milesi, secrétaire nationale de l'union syndicale des magistrats

L'indépendance de la justice est un droit constitutionnel pour les citoyens, qui doivent avoir la garantie que les magistrats n'exercent leurs fonctions qu'en application de la loi et de l'intérêt général, hors de toute considération politique. Elle doit être protégée sur le plan institutionnel par le statut des magistrats. Elle ne doit pas être confondue avec l'impartialité, qui est également une garantie essentielle de la confiance du public en la justice. L'impartialité repose sur une absence de parti pris et de préjugés du magistrat tout au long de la procédure qui le conduit à rendre une décision.

Loin d'être totalement assurée, l'indépendance de la justice demeure incomplète au regard des règles statutaires qui régissent les membres du parquet, notamment s'agissant de la nomination et la discipline.

Récemment encore, la première présidente et le procureur général de la Cour de cassation ont dû rappeler que « l'indépendance de la justice […] est une condition essentielle du fonctionnement de la démocratie », rappel adressé au Président de la République. C'est dire que l'indépendance de la justice n'est jamais totalement acquise ni facile.

S'agissant du statut des magistrats, j'évoquerai les conditions de nomination des magistrats et la discipline des magistrats du parquet.

Pour que les nominations des magistrats soient exemptes de suspicion de partialité en lien avec des affinités politiques, elles ne doivent pas rester entre les mains du pouvoir exécutif, comme c'est le cas aujourd'hui. À titre principal, l'USM demande une réforme constitutionnelle afin que le conseil supérieur de la magistrature (CSM) gère la totalité des carrières des magistrats et puisse mener une politique réelle et efficace de gestion des ressources humaines. C'est aujourd'hui la direction des services judiciaires, c'est-à-dire le ministère de la justice, qui gère la majeure partie des carrières des magistrats du siège comme du parquet. À titre subsidiaire, un régime unique de désignation de tous les magistrats doit être instauré.

Actuellement, le principal obstacle à l'indépendance du pouvoir judiciaire réside donc dans le statut des magistrats du parquet qui dépendent du ministère de la justice pour leur nomination, puisque le ministre propose leur nomination au CSM qui n'émet qu'un avis simple. C'est pourquoi nous demandons un statut unique, à savoir un alignement complet des conditions de nomination des magistrats du parquet sur celles des magistrats du siège, c'est-à-dire un avis conforme du CSM pour toutes les nominations et le transfert au CSM du pouvoir de proposition des candidats aux fonctions de procureurs, procureurs généraux et membres du parquet général, soit les postes les plus importants du parquet.

Certes, des avancées notables ont été réalisées. Les instructions individuelles dans les dossiers ont été supprimées par la loi du 25 juillet 2013 et le CSM dispose désormais de la liste des candidats ayant postulé aux postes les plus importants du parquet. Ces réformes sont encore insuffisantes. Le Président de la République avait envisagé de reprendre un certain nombre de dispositions dans son projet de réforme constitutionnelle, mais tout semble arrêté.

S'agissant de la discipline des magistrats du parquet, aujourd'hui le CSM, dans sa formation « parquet », ne rend que des avis qui peuvent ne pas être suivis par le ministère de la justice. Ainsi, en matière disciplinaire, le garde des Sceaux saisit le CSM, requiert devant le CSM et prend la décision. Dès lors, on ne peut pas considérer qu'un magistrat du parquet est totalement indépendant. Sa nomination et l'exercice du pouvoir disciplinaire à son égard dépend entièrement du pouvoir exécutif. Nous demandons donc que le conseil supérieur de la magistrature ait le même rôle pour le magistrat du siège que pour le magistrat du parquet. Nous estimons également que la « mutation pour nécessités de service » d'un magistrat du parquet doit être supprimée. L'USM demande enfin que l'article 4 de l'ordonnance statutaire soit ainsi modifié : « Les magistrats du siège et du ministère public sont inamovibles ».

J'en viens aux moyens. Pour qu'une justice soit réellement indépendante, que cette indépendance ne reste pas théorique, il faut que la justice judiciaire ait les moyens de fonctionner décemment. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je sais que c'est un lieu commun que de dénoncer les difficultés de fonctionnement rencontrées par les magistrats, les greffiers et les tribunaux en raison d'un manque de moyens chronique. Certes, le budget de la justice a été préservé par rapport à d'autres budgets, mais il reste, parmi les grandes démocraties européennes, dans la fourchette basse. Cette situation qui pose de nombreux problèmes a été dénoncée par toutes les instances de la justice judiciaire, y compris par la Cour des comptes qui a stigmatisé à plusieurs reprises des réformes prises sans étude d'impact, et sans ajustement des effectifs, ce qui désorganise grandement la justice.

C'est pourquoi nous demandons que toute nouvelle réforme de la justice soit précédée d'une étude d'impact réelle et sérieuse et qu'elle soit conditionnée à l'octroi des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Aujourd'hui, ces principes n'étant pas suivis, les dysfonctionnements sont multiples. L'immobilier se dégrade. C'est notamment le cas des tribunaux de Bobigny, Toulon, Cayenne et Perpignan. Sur le plan des effectifs, la situation des magistrats s'est grandement améliorée grâce des recrutements massifs, ces dernières années, mais elle reste largement sous-évaluée. Les dysfonctionnements des extractions judiciaires de détenus sont tels que l'USM a publié un livre blanc : nombre de magistrats obtiennent difficilement l'extraction le jour et à l'heure qu'ils souhaitent.

Outre l'insuffisance des moyens, la façon dont ils sont gérés pose également problème. La mission justice comporte six programmes dont les poids respectifs sont très divers et dont un seul est relatif à la justice judiciaire. L'administration pénitentiaire bénéficie toujours prioritairement des moyens supplémentaires alloués au ministère de la justice.

S'agissant d'une autorité régalienne, nous estimons que le budget des juridictions judiciaires devrait être différencié de ceux consacrés à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire et de la jeunesse (PJJ). Nous souhaiterions donc bénéficier d'une mission distincte.

Il ne peut y avoir d'indépendance réelle de la justice sans autonomie financière. C'est pourquoi nous demandons que le conseil supérieur de la magistrature puisse donner un avis sur le projet de budget avant sa présentation au Parlement. Cette réforme impliquerait la modification des textes relatifs à la compétence du CSM et le contenu de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

À plus long terme, l'USM considère que l'indépendance de la justice judiciaire passe par le transfert au CSM de prérogatives de l'exécutif en matière budgétaire, tant au niveau national que pour le budget de fonctionnement de chaque juridiction.

Le CSM lui-même pourrait faire l'objet d'une réforme visant à renforcer son indépendance budgétaire. Depuis 2010, il bénéficie d'un programme budgétaire spécifique au sein de la mission justice. C'est une avancée mais nous la jugeons insuffisante. Nous souhaiterions que le CSM soit érigé en pouvoir public, ce qui lui permettrait de fixer les moyens nécessaires à son fonctionnement. Cette réforme se justifierait à plus d'un titre. Le CSM est une autorité constitutionnelle. Il est également une juridiction constitutionnelle en matière de discipline des magistrats. Une telle autonomie est justifiée par le principe même de la séparation des pouvoirs. Seul un organe réellement indépendant sera à même de garantir l'indépendance de la justice.

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Vous dites que vous êtes un syndicat apolitique mais que vous pouvez critiquer la politique conduite en matière de justice. D'ailleurs, le dernier discours de votre présidente, Céline Parisot, intitulé « Justice et dépendances » remettait en cause la politique actuelle. Pourriez-vous préciser la nature des critiques que vous adressez à la loi de programmation et de réforme pour la justice ? Dans un article récent, vous écriviez : « lier carte judiciaire et électorale est tout simplement scandaleux ».

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

S'agissant de la possible adéquation de la carte électorale avec la carte judiciaire, vous le savez, un message du cabinet de la ministre de la justice adressé au ministère de l'intérieur demandait l'intervention d'un spécialiste en matière électorale en vue de la possible suppression de la fonction de juge d'instruction dans certaines juridictions.

Pour l'USM, la suppression éventuelle de juges d'instruction doit être liée à la taille efficiente et pertinente d'une juridiction. Nous considérons que lorsqu'une juridiction est trop petite pour pouvoir bien fonctionner, il ne faut pas hésiter à la supprimer, quitte à la remplacer par d'autres services. Les juridictions ne peuvent fonctionner en dessous d'une taille minimale. La ministre avait déclaré : « je ne veux fermer aucun site judiciaire ». Certes, la justice de proximité est nécessaire, mais en tout état de cause on ne saurait prendre en compte la couleur politique des élus locaux pour ne pas fermer des sites judiciaires dont la présence est devenue injustifiée, comme cela s'est pratiqué par le passé. À l'occasion de précédentes réformes de la carte judiciaire, certaines juridictions ont été sauvées en raison de la couleur politique du député ou du maire. Au regard de notre apolitisme, seul le critère de la taille efficiente de la juridiction est à retenir. Nous ne sommes pas opposés à la fermeture de juridictions dans la mesure où ces décisions ne sont pas inspirées par des considérations politiques.

L'USM n'est donc pas systématiquement opposée à la suppression de postes de juge. Dans une petite juridiction, un juge d'instruction isolé qui ne traite qu'une quinzaine de dossiers par an n'a pas les moyens de fonctionner efficacement, dans la mesure où, happé par d'autres activités juridictionnelles – juge aux affaires familiales, audiences correctionnelles – il a très peu de temps à consacrer à l'instruction. De plus, l'expérience montre qu'il vaut mieux regrouper les juges d'instruction dans des pôles pour améliorer leur efficacité.

La loi de programmation prévoit aussi des suppressions de postes de juge d'application des peines. Nous y sommes, en revanche, totalement opposés parce que, contrairement à celle de juge d'instruction, cette fonction nécessite absolument une proximité. Il s'agit de traiter des cas difficiles de personnes en situation de précarité, des personnes « en sursis avec mise à l'épreuve », qui sera prochainement appelé « sursis probatoire », qui ne peuvent pas se déplacer facilement. Si on les éloigne du juge, leur suivi ne sera pas efficace. C'est l'une des dispositions de la loi de programmation et de réforme pour la justice que nous critiquions. À notre connaissance, il n'est pas prévu de suppressions de fonctions de juge d'application des peines, mais la possibilité ouverte par la loi nous inquiète.

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C'est un lieu commun du monde judiciaire de souhaiter faire évoluer les règles relatives aux avis simples et conformes rendus par le CSM sur les nominations. La position d'un magistrat en administration centrale, particulièrement au ministère de la justice, ou en cabinet occupe aussi les réflexions des membres de la commission d'enquête. Quelle est la position de votre syndicat sur le fait qu'un magistrat qui, au cours de sa carrière, se trouve en situation de proximité avec l'exécutif, puisse éveiller une certaine suspicion sur son indépendance.

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Ce n'est pas parce que, pendant un temps donné, un magistrat est en administration centrale qu'il sera dépendant du pouvoir en place pour la suite de sa carrière. Certes, en administration centrale, on est intégré dans une hiérarchie, mais quand on est en juridiction, on bénéficie d'un statut différent, garantissant son indépendance. Le statut du magistrat en administration centrale est proche de celui du parquet. On parle d'ailleurs de substitut ou de premier substitut. Nous réclamons plus d'indépendance pour le parquet et que les magistrats en administration centrale aient un statut différent de ceux du parquet.

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Ugo Bernacilis, président

Serait-il utile de prévoir d'autres positions statutaires, afin d'établir clairement la distinction et éviter toute confusion ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

C'est envisageable, puisqu'un magistrat directeur d'administration est en détachement. Un magistrat qui intervient comme formateur à l'école nationale de la magistrature (ENM) l'est également.

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Les passages en administration centrale sont le plus souvent des « boosts » dans la carrière des magistrats concernés. Cela appelle-t-il des remarques de votre part ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Je ne pense pas que ce soit une question statutaire et ce n'est pas le cas de tous les passages en administration centrale. Les magistrats nommés dans les cabinets ministériels sont plus probablement amenés à avoir une carrière particulière. D'autres ne bénéficient pas des mêmes avantages, raison de plus pour demander que la nomination des magistrats échappe au pouvoir exécutif. Si le CSM nommait les procureurs et les procureurs généraux, on n'aurait pas comme procureur de la République celui qui était conseiller du ministre dans son cabinet.

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Il existe une polémique relative à la décoration des magistrats. Il y a encore environ trois semaines a été décoré un procureur à Lyon qui avait classé sans suite une affaire concernant les comptes de campagne du Président de la République. Évidemment, la presse a écrit qu'il avait été décoré pour cette raison. C'était sans doute un raccourci, mais que pensez-vous de ce sujet ? Ces décorations ne peuvent-elles pas être interprétées comme des échanges entre l'exécutif et l'autorité judiciaire ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

C'est surtout une question d'image. Dans l'affaire du procureur de Lyon, le délai d'instruction de la demande d'une telle médaille ne pouvait avoir aucun lien avec la décision qu'il avait prise quinze jours avant.

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Le fait d'être décoré, même de manière décorrélée dans le temps, est-il de nature à créer une dépendance vis-à-vis de l'exécutif, une sorte de pensée conforme, à l'instar des passages en administration centrale et en cabinet ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Pas vraiment. Sans être indispensables, les décorations ne sont pas non plus une marque de dépendance.

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Le conseil supérieur de la magistrature ne peut pas s'autosaisir pour rendre des avis et l'inspection générale de la justice ne peut pas non plus s'autosaisir en matière disciplinaire, quand apparaît une affaire sur un magistrat qui aurait commis des manquements déontologiques. Souhaitez-vous voir évoluer le fonctionnement de l'inspection générale de la justice, tout comme celui du CSM ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

La prérogative d'émettre des avis spontanés devrait être réattribuée au CSM. Elle lui a été retirée lors de la précédente réforme constitutionnelle de 2008. Il est fâcheux que le CSM ne puisse pas se saisir de sujets relatifs à l'indépendance et émettre un avis sur une situation qui lui paraîtrait problématique.

En ce qui concerne les enquêtes administratives de l'inspection générale de la justice, des progrès importants sont à faire, car aucun texte ne régit cette phase pré-disciplinaire. La méthodologie arrêtée par l'inspection générale guide la procédure, ce qui est intolérable et insuffisant. Il y a moins d'une dizaine d'années, avant des décisions du Conseil d'État, puis du CSM, un magistrat visé par une enquête administrative n'avait aucun droit. Il n'avait pas accès au dossier, ne pouvait être assisté, n'avait que le droit de répondre aux questions qui lui étaient posées. Puis le CSM écarta une enquête administrative en faisant valoir que, compte tenu des conditions de son déroulement, les auditions effectuées par l'inspection n'avaient aucun crédit : la personne concernée, sans assistance, se trouvait en situation de précarité en raison de son état de santé. À la suite de cela, l'inspection a légèrement modifié sa méthodologie en permettant l'assistance de l'intéressé en cas de situation de précarité, appréciée au cas par cas. En 2016, la loi a introduit la possibilité pour les chefs de cour de prendre des avertissements à l'égard des magistrats. La procédure prévoyait que le magistrat pouvait se faire assister d'un délégué syndical ou d'un avocat ayant accès au dossier et pouvant défendre l'intéressé. L'inspection a de nouveau modifié sa méthodologie en prévoyant que le magistrat visé par une enquête administrative puisse être assisté par un représentant syndical ou un avocat, mais uniquement lors de son audition. On ne peut pas intervenir, on ne peut pas poser de questions, on n'a pas accès au dossier et on ne peut pas demander d'investigations complémentaires. Ce n'est pas une assistance au sens où on l'entend dans une procédure pénale, où l'avocat assiste un mis en examen devant un juge d'instruction. Nous réclamons une modification de l'enquête administrative sur ce point.

Actuellement, le service de l'inspection générale dépend exclusivement du garde des Sceaux. Elle ne remet le dossier qu'au garde des Sceaux et non au magistrat visé lorsqu'il n'y a pas de poursuites disciplinaires. Il faudrait que l'inspection soit rattachée au CSM, puisse être saisie par le CSM et ne soit pas uniquement un organe au service du garde des Sceaux.

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Avez-vous eu connaissance, dans le cadre de votre mandat syndical ou de vos prérogatives professionnelles, de manquements directs ou indirects à l'indépendance de la justice ?

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Nina Milesi, secrétaire nationale de l'union syndicale des magistrats

Je n'ai été que magistrate du siège et je n'ai jamais été victime ou témoin de pressions d'un membre du pouvoir exécutif, d'un membre du pouvoir législatif, d'un collègue ou de la hiérarchie.

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

J'ai été magistrat du parquet et magistrat du siège. Depuis la loi de 2013 interdisant les instructions individuelles du garde des Sceaux à l'égard des parquets, cette disposition législative a toujours été respectée à la lettre dans les affaires dont j'ai eu à connaître. J'ai même connu un procureur de la République qui avait demandé des instructions et auquel le ministre de la justice avait répondu qu'il n'avait pas à lui en donner et qu'il devait faire ce qui lui semblait être le plus adapté ! L'image publique de la justice est entachée par le statut du parquet. Le statut du parquet qui met la nomination et la discipline des procureurs de la République aux mains du pouvoir exécutif nuit à l'image d'indépendance de la justice, une indépendance que l'on constate pourtant concrètement dans les affaires individuelles. Je peux vous garantir que depuis 2013, je n'ai pas eu d'instructions dans des dossiers individuels.

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À titre syndical, êtes-vous sollicités pour effectuer des médiations entre un magistrat et une hiérarchie trop pressante dans une affaire, pour en accélérer ou ralentir le rythme, effectuer tel acte d'enquête ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Nous n'avons jamais eu de collègues qui se seraient plaints d'atteintes à l'indépendance. Il y a d'autres difficultés, comme la dépendance de la police judiciaire vis-à-vis du ministère de l'intérieur, que vous connaissez bien, monsieur le président.

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Les manquements éventuels à l'indépendance vis-à-vis de l'exécutif ne se limitent pas au garde des Sceaux et à la direction de l'administration centrale. Le ministère de l'intérieur est aussi l'exécutif.

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Le ministre de la justice ne donne pas d'instructions dans les dossiers individuels. Nous pourrons revenir sur la question des remontées d'informations.

Par ailleurs, les officiers de police judiciaire, qui dépendent du ministère de l'intérieur, rendent compte de ce qu'ils font au ministère de l'intérieur, même dans le cadre d'une instruction dirigée par un juge d'instruction.

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Souhaitez-vous que le CSM ait un pouvoir de proposition ou un pouvoir d'avis conforme sur la nomination des postes les plus importants du parquet?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Un pouvoir de proposition pour les nominations des procureurs de la République et des procureurs généraux. Cela revient à étendre le dispositif existant pour les chefs de juridiction. Pour les autres magistrats du parquet, qui ne sont ni procureurs ni procureurs généraux, c'est-à-dire les vice-procureurs, procureurs adjoints, substituts, qui représentent l'essentiel des magistrats du parquet, on ne peut pas demander au CSM, compte tenu des moyens qui sont les siens, de procéder à leur nomination. Pour eux, nous demandons que leur nomination soit conditionnée à un avis conforme du CSM.

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J'ai un souvenir précis des conditions d'adoption de la loi du 23 mars 2019. Nous avons commencé par un examen long et approfondi de l'étude d'impact. Pourquoi avez-vous dit qu'il n'y avait pas eu d'étude d'impact ?

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Nina Milesi, secrétaire nationale de l'union syndicale des magistrats

J'ai dit que c'était le cas pour de multiples réformes, pas pour toutes les réformes. Beaucoup de réformes concernant la justice sont adoptées sans étude d'impact réelle.

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Nous déplorons souvent le manque de sérieux de l'étude d'impact et nous ne sommes pas les seuls. Dans son rapport sur l'approche méthodologique des coûts de la justice, publié en janvier 2019, la Cour des comptes faisait le même constat. Je pense notamment à l'étude d'impact relative au projet de loi de programmation et de réforme pour la justice où est envisagée l'économie d'une douzaine de postes de juge d'application des peines. Comment est-on parvenu à ce chiffre ? Cela aurait pu être cinq, quinze, vingt ou trente !

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Il s'agit donc moins, pour vous, d'absence d'étude d'impact que d'une contestation de fond de son contenu, ce qui est légitime et propre à votre syndicat.

Lors de la discussion de la loi de programmation, je n'ai pas entendu votre syndicat s'exprimer en faveur de la fermeture des juridictions, j'ai même cru l'inverse, puisque le débat incitait la ministre à se positionner clairement sur l'absence de fermeture. Si ces fermetures devaient intervenir dans le respect de l'indépendance de la justice, quels en seraient les critères les plus évidents ? Vous avez parlé de pertinence, mais qu'est-ce que cela signifie dans l'esprit de votre syndicat ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Lorsque l'effectif d'une juridiction n'est pas suffisant pour la rendre apte à prendre des décisions dans un délai raisonnable, par exemple, en raison de la vacance d'un ou deux postes, soit on le renforce, soit on estime que le volume d'affaires à traiter n'est pas suffisant et on la ferme. C'est une position que l'USM a toujours défendue. Il est vrai que lors des débats sur la loi de programmation, la ministre a défendu l'idée de ne fermer aucun site. Mais nous ne sommes pas là pour défendre telle ou telle juridiction, et nous avons toujours dit que si une juridiction n'était pas en état de fonctionner faute d'effectifs suffisants et si on ne pouvait les lui attribuer, il valait mieux transférer son activité à la juridiction voisine. C'est la position constante de l'USM par rapport à ce que nous appelons la taille efficiente de juridiction.

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Il existe des règles, d'ailleurs plus ou moins précises, sur la mobilité fonctionnelle et géographique des magistrats, mais aussi des règles relatives à l'intégration dans le corps judiciaire de personnes n'ayant pas suivi le cursus de l'ENM, anciens avocats, juristes ou autres. Ces personnes intégrées à un moment ou à un autre de leur carrière vous semblent-elles présenter les mêmes garanties d'indépendance que les magistrats ayant suivi un cursus classique à l'ENM ? Si oui, dont acte ; si non, pour quelles raisons ? Et les règles qui prévalent pour l'intégration des magistrats venant de l'extérieur vous paraissent-elles suffisantes eu égard aux garanties d'indépendance ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

L'intégration, mode de recrutement parallèle à celui des concours, doit intervenir dans le cadre d'une procédure pilotée par la commission d'avancement, laquelle étudie les dossiers et entend les personnes concernées en ayant à l'esprit l'obligation d'indépendance. Après quoi intervient une décision du CSM. Nous avons connu des exemples où il avait émis un avis non conforme, parce qu'il estimait que les conditions d'indépendance n'étaient pas suffisamment garanties.

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Vous appelez de vos vœux un mode de désignation des parquetiers, dans lequel le pouvoir exécutif n'exerce aucun rôle. Dans le même temps, vous nous dites ne jamais avoir eu à connaître d'instruction ou de tentative d'immixtion du pouvoir exécutif dans l'exercice de la justice. Vous citiez même l'exemple inverse d'un magistrat qui avait demandé des instructions et à qui elles avaient été refusées. Cela ne peut que semer le doute dans nos esprits. Votre prédécesseur dans cette salle François Molins observait que nous vivions dans une société du complot. Si cette commission a été créée, c'est bien que la question se pose. Vous nous dites que ça n'existe pas mais qu'il faudrait faire quelque chose contre cela. Pourriez-vous nous éclairer sur ce paradoxe ?

Si on en venait à la solution que vous préconisez en matière de nomination, qui est peut-être la meilleure, même si cela fonctionne bien actuellement, quel rôle donner au pouvoir politique ? Comment le gouvernement pourra-t-il mener la politique pénale qu'il souhaite, ce qui est une de ses missions premières dans l'exercice du mandat qui lui est confié ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Votre question appelle une double réponse. Premièrement, il suffit de voir, dès qu'une affaire un peu médiatique est engagée, les accusations portées par les uns et par les autres contre le parquet, considéré comme étant à la solde du pouvoir, même si nous ne cessons de dire qu'il n'y a pas d'instructions individuelles. Dans l'affaire Balkany, on a dit que le parquet, inféodé au pouvoir, menait un procès politique. Certains peuvent le dire parce que les conditions de nomination et de discipline du parquet ne garantissent pas son indépendance. L'image ne correspond certes pas à la réalité mais elle est très défavorable au parquet, car il est vrai que la nomination et la discipline des magistrats du parquet sont entièrement entre les mains du pouvoir exécutif.

Deuxièmement, la dépendance du parquet est-elle légitime pour permettre au gouvernement d'appliquer la politique pénale dont il doit répondre devant le Parlement ? À l'USM, nous estimons que le gouvernement doit pouvoir mener une politique pénale sans avoir la mainmise sur les nominations des procureurs de la République et des procureurs généraux. Pour cela, le ministre de la justice dispose du pouvoir de prendre des circulaires applicables au magistrat du parquet, même s'il est nommé par le CSM. Le statut du parquet prévoit que le magistrat du parquet exécute les dispositions prévues par circulaire et rend compte de son activité, faute de quoi cela constitue une faute disciplinaire.

Tout magistrat, qu'il soit du parquet ou du siège, doit respecter la loi. L'indépendance de la justice, ce n'est pas faire n'importe quoi et prendre une décision par rapport à son propre état d'esprit ou ses convictions. Si un magistrat du siège estime qu'une loi n'est pas adaptée, il l'applique quand même, il n'a pas le choix. En démocratie, la volonté populaire oblige à appliquer la loi, qu'elle plaise ou non au magistrat. S'il y a des instructions du garde des Sceaux à l'égard des magistrats du parquet, même s'ils n'ont pas été nommés par le pouvoir exécutif, on peut leur demander d'appliquer cette politique pénale.

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Nous ne doutons pas que les magistrats du siège appliquent la loi, bien qu'en matière d'application des peines planchers, on ait vu des comportements très différents d'un tribunal à un autre.

Quel rôle doit rester entre les mains du ministre de la justice ? En quoi consiste l'élaboration d'une politique pénale pour le gouvernement ? À la lecture des circulaires de politique pénale rédigées par les différents gardes de Sceaux à leur entrée en fonction, on a le sentiment que c'est un gentil exercice répondant à l'air du temps. Il s'agit de courir après les méchants, de poursuivre les terroristes, etc. Le seul intérêt, c'est que cela donne une indication sur les priorités du moment.

Par ailleurs, existe-t-il des dispositifs d'alerte internes à la disposition des magistrats en cas de tentative du pouvoir exécutif d'orienter le cours d'une enquête préliminaire ou d'une instruction ? La loi Sapin 2 a créé un dispositif de lanceurs d'alerte pour l'administration et les entreprises. Au ministère de l'intérieur, il existe la plateforme de signalement de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Existe-t-il un dispositif équivalent au sein du ministère de la justice ?

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Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

En ce qui concerne l'exercice de la politique pénale par le garde des Sceaux, votre question me surprend, car il est du pouvoir, voire du devoir, du ministre de fixer des priorités. Fixer pour priorités la lutte contre le terrorisme ou les violences au sein de la famille, ce n'est pas rien. Ce sont des orientations de politique pénale que les magistrats du parquet doivent appliquer.

Le principal dispositif d'alerte, ce sont les syndicats de magistrats. Environ un quart des magistrats sont adhérents chez nous. S'ils subissaient des atteintes à l'indépendance, nous aurions inévitablement des remontées. Nous entretenons des contacts fréquents avec nos adhérents par des listes de discussion. Ils ont tous nos adresses mail. Le téléphone fonctionne beaucoup au bureau de l'USM. Ce canal ne manquerait pas d'être utilisé. Mais je ne vois pas comment on pourrait mettre en place au sein du ministère de la justice ou du ministère de l'intérieur un système d'alerte sur leurs propres pressions.

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Les possibles connivences et le jeu des réseaux locaux dans les tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes et les petits tribunaux de province ont été évoqués lors des auditions. Cela rejoint un questionnement des citoyens. En tant que représentant d'un syndicat représentant des magistrats, comment abordez-vous ce problème bien réel ?

Permalien
Jacky Coulon, secrétaire général de l'union syndicale des magistrats

Nous n'avons aucun adhérent qui soit juge dans un tribunal de commerce ou dans un conseil de prud'hommes. Nous sommes un syndicat de magistrats professionnels. Dans les tribunaux de commerce, les juges sont élus par leurs pairs et, dans les conseils de prud'hommes, ce sont des représentants d'employeurs ou de salariés. En tant qu'organisation syndicale de magistrats, nous n'avons pas de commentaire à faire sur la dépendance ou l'indépendance de ces juridictions.

Il y a eu, à l'occasion de la réforme de la carte judiciaire, dite « Dati », de nombreuses suppressions de petits tribunaux de commerce, en raison peut-être du sentiment que vous évoquiez. Mais nous n'avons pas d'informations particulières, car nous n'avons pas de contact avec les tribunaux de commerce ou les conseils de prud'hommes.

La séance est levée à 17 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Ian Boucard, Mme Émilie Guerel, M. Olivier Marleix, M. Sébastien Nadot, M. Didier Paris, M. Bruno Questel, M. Antoine Savignat