La commission spéciale procède à l'audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Mes chers collègues, pour achever le cycle d'auditions préparatoires de notre commission spéciale, nous avons le plaisir d'accueillir M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Monsieur le ministre, merci d'avoir accepté notre invitation à cette réunion qui se tiendra sous la forme d'une séance de questions cribles.
Après nos riches débats sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (ÉGALIM), la Convention citoyenne pour le climat (CCC) a émis des propositions dont s'inspire le projet de loi qui nous est soumis. Nous souhaitons vous entendre afin d'être éclairés sur les mesures proposées, qui doivent contribuer à réduire l'empreinte carbone du secteur agricole et alimentaire.
Après une brève intervention liminaire du rapporteur général, je vous demanderai de répondre aux questions posées successivement par les rapporteurs thématiques concernés, puis par un orateur de chaque groupe politique.
e ur général. Monsieur le ministre, vous êtes chargé d'un très grand nombre d'articles du projet de loi, dont plusieurs qui en sont emblématiques.
Comment le dispositif de l'article 59 s'articule-t-il avec l'expérimentation du menu végétarien hebdomadaire, toujours en cours et non encore évaluée ? Quand aurons-nous le bilan de cette expérimentation ? Est-il opportun de lancer une nouvelle expérimentation avant d'avoir obtenu les conclusions de la précédente ?
L'étude d'impact montre que l'expérimentation du menu végétarien hebdomadaire se heurte à des réticences dans les départements où l'élevage est une activité importante. Je rappelle que la restauration scolaire sert 300 millions de repas par an, qui représentent des débouchés pour les éleveurs. Pourtant, l'étude d'impact est muette quant aux effets économiques et sociaux de l'expérimentation sur les filières d'élevage. Comment s'assurer que la viande servie dans la restauration collective sera de meilleure qualité et profitera à l'élevage en France, parallèlement à la proposition de menu végétarien ?
L'article 60 étend les dispositions de la loi ÉGALIM à la restauration collective privée. L'étude d'impact évoque un rapport sur les modalités juridiques de cette extension, qui aurait dû vous être remis au plus tard le 31 décembre dernier. Quand sera-t-il disponible ? En avez-vous de premières conclusions ? Pourrions-nous avancer la date d'entrée en vigueur de la mesure, fixée à 2025 ?
L'article 66 tend à renforcer le label « commerce équitable » et l'agroécologie, ce dont je me réjouis. Quels moyens sont mis en œuvre pour assurer cette certification et son contrôle ?
. La loi ÉGALIM prévoit la remise au 1er mai 2021 d'un rapport d'évaluation de l'expérimentation d'au moins un repas végétarien par semaine ; nous n'en disposons pas encore. Nous avons ouvert une plateforme destinée à recenser les retours d'expérience de centaines d'écoles, collèges et lycées ayant réalisé cette expérimentation, afin d'en faire la meilleure évaluation possible. J'ai pris l'engagement d'avancer la date de remise à une date antérieure à l'examen de la loi dans l'hémicycle, soit fin mars ou tout début avril, afin que la représentation nationale puisse légiférer en toute connaissance de cause.
Je note également deux points soulignés par une évaluation émanant de l'association Greenpeace. Le premier est une très forte progression : le pourcentage d'élèves n'ayant jamais accès à un menu végétarien est passé de 69 % en 2018 à 6 % en 2020. Le second est la différence selon la taille des collectivités, qui est peu étonnante et conforte la volonté du Gouvernement d'investir massivement dans les cantines des communes de petite taille. Mon unique objectif, c'est de laisser le choix, en tenant compte de l'aspect nutritionnel.
Quant à l'accès à la viande dans les cantines, ma boussole est de garantir l'équilibre nutritionnel de l'assiette de nos enfants par des repas diversifiés. Nous voulons proposer de la viande de meilleure qualité en favorisant les circuits courts et les viandes sous label – ce à quoi contribuent les dispositions de la loi ÉGALIM étendues par l'article 60 du présent projet de loi – au moyen des projets alimentaires territoriaux, dans lesquels nous investissons massivement. Enfin, nous finalisons les discussions en vue de la signature d'un décret imposant d'indiquer l'origine de plusieurs produits, dont les viandes, dans la restauration, notamment collective.
L'évaluation de l'application de l'article de la loi ÉGALIM visant l'emploi dans la restauration collective publique de 50 % de produits de qualité et durables, dont 20 % de produits bio, est difficile, faute de mécanisme centralisé de collecte des informations. En juillet dernier, nous avons lancé une enquête de grande ampleur portant sur 460 millions de repas sur les quelque 3,6 milliards servis par an, ce qui est colossal. Cette enquête, la première de ce type, a montré que l'on en était à 7 % de produits bio et à un peu plus de 15 % de produits de qualité et durables, à partir d'informations datant du début de l'année 2020, sachant que la mesure doit entrer en vigueur le 1er janvier 2022, soit un an et demi à deux ans plus tard. Nous avons lancé une nouvelle étude, mais cela montre que nous devons aller plus vite pour atteindre les objectifs de la loi ÉGALIM, ce qui conforte notre volonté de développer les projets alimentaires territoriaux, l'offre et la demande de produits bio, les labels et les structurations de filières.
Si la date de mise en œuvre des dispositions relatives à la restauration collective privée a été fixée à 2025, c'est pour reprendre les délais que vous avez votés dans le cadre de la loi ÉGALIM concernant la restauration publique.
Vous pointez enfin les mécanismes de contrôle des labels équitables. Ces contrôles sont confiés à la Commission de concertation du commerce (3C), qui doit être renforcée afin de les améliorer, mais aussi à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dès qu'il y a abus quant à l'information des consommateurs. Or le Gouvernement a montré qu'il était capable de mobiliser fortement la DGCCRF, notamment en lien avec la loi ÉGALIM, dans le cadre de laquelle l'équivalent de six mois de contrôles a été réalisé en six semaines.
Sans paysans, pas d'aliments dans nos assiettes. Le projet de loi traite d'abord d'eux, notamment de leur rémunération, sujet sur lequel je vous sais très engagé. Vous l'avez dit, nous allons de l'avant grâce à l'accélération des contrôles de la DGCCRF, mais il nous faut mobiliser de nouveaux leviers. Que pensez-vous de la création d'un « rémunérascore », outil destiné à mieux informer le consommateur et à s'assurer que le prix payé bénéficie, en amont, au paysan ?
Les engrais azotés, autre sujet majeur, sont un enjeu pour le climat et font l'objet d'une mesure phare du projet de loi. L'approche du Gouvernement consiste à étudier la question au niveau européen, puis à proposer une trajectoire dont le non-respect deux années d'affilée donnerait lieu au paiement d'une redevance par l'agriculteur. Le Conseil d'État a appelé notre attention sur les interrogations que soulève la rédaction du projet de loi, mais la question fondamentale est la capacité de nos agriculteurs à suivre cette trajectoire et les outils et moyens mis à leur disposition pour mieux gérer le cycle de l'azote et atteindre nos objectifs partagés de baisse des émanations d'ammoniac et de protoxyde d'azote.
. Je suis très favorable à la création d'un « rémunérascore » destiné à informer le consommateur de la juste rémunération de l'agriculteur. Encore faut-il le traduire légistiquement et le mettre en œuvre, sachant que l'établissement d'un prix est très difficile à réaliser. Le prix est actuellement fixé en marche arrière : on arrête un prix standard dont on retranche ensuite la valeur de services rendus, concernant par exemple le positionnement du produit sur les étals. La loi ÉGALIM propose de le construire en marche avant. Cette question fait l'objet d'une étude par M. Serge Papin, l'ancien P.-D.G. de Système U.
En tout cas, cette très belle idée devrait au moins faire l'objet d'une expérimentation. Certains l'ont déjà appliquée à des produits bruts, pour lesquels elle est beaucoup plus simple à mettre en œuvre. Je soutiens aussi des initiatives comme « C'est qui le patron ?! », mais il en existe beaucoup d'autres. Le succès qu'elles rencontrent souligne la demande du consommateur d'être informé de la rémunération de nos agriculteurs.
L'accompagnement du monde agricole dans la transition vers la réduction de l'emploi des engrais azotés passe d'abord par la recherche, dont relèvent les plans stratégiques confiés à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) ou les travaux sur la sélection variétale, dont la France est une championne mondiale – nous devons poursuivre en ce sens, notamment grâce aux ressources que vous votez chaque année dans le cadre du compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (CASDAR).
Concernant le matériel, le plan de relance consacre 215 millions d'euros à l'agroéquipement ; celui-ci passe aussi par des projets régionaux comme les plans de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE).
Enfin, vous connaissez mon attachement et celui du Président de la République au plan protéines végétales : il nous faut produire plus de légumineuses pour sortir de la dépendance au soja brésilien et proposer davantage de légumes secs à nos enfants ; en outre, en captant l'azote, une plante comme la luzerne réduit de facto l'effet des émissions et apporte au couvert du sol la teneur en azote nécessaire. Nous agissons en ce sens à la fois au niveau national, par le plan protéines végétales qui est doté de 100 millions d'euros, et dans le cadre de la politique agricole commune (PAC).
Concernant l'article 1er, s'il est essentiel que toutes les filières en viennent à adopter l'affichage environnemental, il paraît difficile de retenir des critères identiques pour les produits électroniques et pour ceux issus de l'agriculture. Des réserves ont pu être émises quant à la prise en considération du seul critère carbone, au détriment de certaines externalités environnementales. Quelle formule adopter pour permettre aux filières agricoles de développer l'affichage environnemental tout en tenant compte de leurs spécificités ?
. L'affichage environnemental est primordial. Il importe d'en faire un élément d'information du consommateur en vue de privilégier les circuits courts et les productions locales, jusqu'alors défavorisés par certaines pratiques culturales. Ainsi, depuis deux ans, notre pays est devenu importateur net de colza et il l'est depuis longtemps pour le soja. Or ces productions sont issues de pratiques comme la déforestation qui, outre le problème du carbone, sont dévastatrices pour la biodiversité.
Pour réaliser cette ambition, il nous faut toutefois éviter un écueil d'ordre scientifique. L'évaluation environnementale repose en effet sur une méthode d'analyse du cycle de vie transcrite dans la base de données Agribalyse qui est intéressante – elle a permis une indispensable révolution dans le domaine du bois de construction – mais qui, si elle n'intègre pas de correctifs, conduit à mieux noter un élevage intensif d'Amérique du Sud qu'un élevage extensif du Massif central. De telles aberrations sont contre-productives pour la promotion de la production et des circuits de proximité. L'indicateur doit donc inclure l'ensemble des externalités et considérants, ce qui nécessite un travail scientifique que nous réalisons avec l'ADEME, l'Agence de la transition écologique, et qui devra être fait d'ici au vote. Je suis sûr que le législateur sera attentif à cet enjeu.
Lors d'une audition récente, vous avez insisté sur l'importance du frais et du local et vanté les mérites de votre nouvelle plateforme de mise en relation des consommateurs avec les producteurs. J'appellerai votre attention sur l'impasse dans laquelle le couvre-feu place les réseaux de distribution des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP). Alors que s'ouvre la saison maraîchère, les paysans ne peuvent maintenir des distributions avant 18 heures sans risquer l'épuisement professionnel. Résilient, le modèle AMAP n'a eu besoin d'aucun soutien lors du premier confinement et il contribue à l'autonomie alimentaire du pays. Les agriculteurs concernés demandent simplement que les distributions en AMAP et les circuits de distribution alimentaire sans intermédiaires soient reconnus comme des activités de première nécessité. Allez-vous accéder à cette demande ?
Vous avez affirmé que la viande était nécessaire pour bien grandir, ce qui est scientifiquement faux. Les enfants ont besoin de protéines, mais pas forcément de protéines animales. En outre, ce sont les enfants de milieux défavorisés qui consomment trop de viande. Il est primordial de leur proposer des repas riches en fruits et légumes frais, car c'est de cela qu'ils manquent.
Selon votre propre étude d'impact, une expérimentation de menus végétariens sur une base volontaire aurait un effet dérisoire, alors que, si la mesure était rendue obligatoire pour l'ensemble de la restauration collective publique, le bénéfice sur l'empreinte carbone serait jusqu'à cinq à dix fois supérieur, et serait à lui seul plus élevé que celui apporté par la quasi-totalité des mesures proposées dans le projet de loi. Entendez-vous introduire cette obligation dans le texte ?
Vous êtes le premier à me parler de la difficulté qu'entraîne le couvre-feu pour les AMAP ; je vais y regarder de plus près. Je crois beaucoup à ce réseau. Le plan de relance prévoit un financement des circuits solidaires et des circuits de distribution de très grande proximité, dont celui des AMAP. Nous devons valoriser ce dispositif remarquable, notamment par la plateforme, qui se révèle efficace puisque, depuis son lancement, elle a donné lieu à plus de 300 000 connexions pour plus de 14 000 points de vente.
La question de la viande dans les cantines a fait couler beaucoup d'encre. Le programme national nutrition santé (PNNS) élaboré par des scientifiques et des nutritionnistes recommande de consommer une à deux fois par jour poisson, œuf ou viande, de manière alternée. C'est aussi ce que prévoient les textes réglementaires de 2011. Une approche telle que celle proposée par la loi ÉGALIM, consistant à donner le choix à nos enfants, est très différente de celle revenant à leur interdire l'accès à la viande. Les moyens d'information étant ce qu'ils sont, il est important d'être précis sur ce dont nous parlons.
Quel est l'enjeu de l'accès à la viande pour nos enfants, notamment dans les milieux défavorisés ? J'ai été trois ans ministre de la ville. Vous connaissez bien le terrain, Monsieur le député. Beaucoup de familles viennent me dire : « Heureusement qu'il y a la cantine pour avoir des repas bons et équilibrés ! » La question est l'accès à une viande de bonne qualité. Mon combat n'est pas de m'opposer à la viande, mais de proposer à nos enfants de la viande de bonne qualité, c'est-à-dire de la viande de proximité, issue de nos pratiques culturales et sous label. Quand j'aurai signé, d'ici quelques semaines ou quelques mois, le décret imposant d'indiquer l'origine de la viande dans toutes les restaurations, vous verrez qu'il fera parfois du bruit.
Concernant les menus végétariens, le projet de loi va plus loin que la loi ÉGALIM. Soit vous n'écoutez pas ce qu'on vous dit, soit vous déformez les propos tenus : c'est usant ! Vous voulez imposer des pratiques alimentaires à nos enfants, dites-le ! Ce n'est pas républicain. Pour ma part, je suis pour le choix. Voilà encore un exemple du jeu auquel vous et vos collègues vous livrez en permanence.
Je l'ai dit, je me suis engagé à vous fournir les résultats de l'expérimentation avant l'arrivée du projet de loi dans l'hémicycle. Le texte présenté me convient parfaitement, car ce que des cantines peuvent faire dans certains territoires n'est pas possible ailleurs. Je recommande d'investir massivement dans les cantines. C'est pourquoi nous consacrons 50 millions d'euros, dans le cadre du plan de relance, à l'accompagnement de la montée en gamme des cantines, à la promotion du frais et du local par le financement de légumeries ou de conserveries et à l'investissement dans les matériaux de cuisson – remplacer les barquettes en plastique par d'autres matériaux permet de donner accès à des aliments de meilleure qualité. Tout cela est pragmatique et tient compte de la réalité du terrain.
. Où en êtes-vous dans la préparation du décret sur la liste des catégories de biens agricoles concernés par l'étiquetage spécifique ? Qu'en est-il de l'articulation entre le droit communautaire et l'article 1er ?
L'article 4 interdit la publicité sur toutes les énergies fossiles. Mais il existe des mélanges entre énergies fossiles et énergies renouvelables. C'est le cas dans la plupart des biocarburants, même à 85 % d'origine renouvelable. Ne faudrait-il pas préciser que la mesure n'est pas applicable aux produits mixtes ?
Concernant la consigne de verre, le texte est inapplicable par la viticulture française, dont les normes interdisent la réutilisation des bouteilles, qui sont donc cassées mais en grande partie recyclées. Ne faut-il pas exclure les bouteilles de vin et de spiritueux du champ de l'article 12 ?
. Nous n'avons pas commencé à rédiger pour le secteur agroalimentaire le décret sur l'éco-score prévu à l'article 1er. Auparavant, il nous faut traiter scientifiquement le biais méthodologique d'élaboration de la base de données Agribalyse que j'ai évoqué et qui fait que des élevages laitiers nord-américains de dizaines de milliers de vaches, dont vous avez peut-être vu des images dans le film Legacy, notre héritage, peuvent présenter un niveau d'émission de CO2 par tête inférieur à celui d'élevages de vaches laitières normandes de quelques dizaines d'unités.
Vous avez raison de rappeler que les labels sont de compétence communautaire. Dans le cadre du marché commun, si nous voulons informer le consommateur, il est d'ailleurs logique de les promouvoir au niveau européen, comme nous le faisons pour le Nutri-Score. Cela étant, l'article 1er mentionne une expérimentation, qui n'est pas incompatible avec le droit communautaire.
Concernant l'article 4 sur la publicité, sur la base du volontariat, nous avons obtenu des engagements, comme le demandaient les parlementaires, sur le fondement de la rédaction actuelle du projet de loi.
J'ai noté votre remarque sur les produits mixtes. Je n'ai pas la réponse mais nous vous l'apporterons.
Quant à la consigne de verre, des discussions sont en cours entre la commission spéciale et des acteurs de la profession afin que l'esprit de l'article 12 soit respecté sans conséquences non voulues, puisque pour le mousseux, par exemple, des normes de sécurité strictes interdisent la réutilisation des bouteilles.
. J'ai deux questions qui feront l'objet d'amendements d'appel de la part de notre groupe.
Vous avez déclaré récemment qu'il fallait encourager le monde agricole à produire des crédits carbone, notamment grâce à la captation de CO2 par les sols. Nous proposons l'expérimentation de marchés carbone régionaux, car, contrairement à nos camarades de La France insoumise, nous préférons à la contrainte et à la planification des objectifs exigeants laissant aux acteurs l'autonomie nécessaire pour définir la meilleure stratégie. Comment entendez-vous soutenir les agriculteurs dans ce domaine ?
En France, un peu plus de cinq millions d'hectares de forêt sont sans usage, ce qui est moins protecteur que la libre évolution. Les Allemands ont fixé un objectif national de 5 % de forêts en libre évolution. Une réflexion est-elle engagée à ce sujet et un tel objectif est-il envisageable pour les années qui viennent ?
. Vous connaissez mon amour pour les forêts, mais celles-ci ont réalisé une véritable OPA sur les crédits carbone : tout le monde est persuadé que, pour faire de la compensation carbone, il faut investir dans la forêt. Pourtant, à l'échelle du globe terrestre, mer exceptée, le premier lieu de captation de carbone n'est pas la forêt, mais c'est le sol. Mais le monde agricole n'a pas été considéré comme un acteur de captation du carbone.
Pour qu'il le soit, il convient, d'abord, d'instaurer des méthodes. Nous venons d'en finaliser deux, l'une pour le sol, Carbon Agri, l'autre concernant les haies – nous finançons massivement la replantation de haies ; nous prévoyons d'en planter sur 7 000 kilomètres d'ici à 2022.
Ensuite, il faut financer les bilans carbone. Dans le cadre du plan de relance, nous consacrons 10 millions d'euros à ceux des installations des jeunes agriculteurs, dont je salue le travail : ils sont très investis dans ce domaine et nous avons beaucoup œuvré avec eux à la mise en œuvre de cette mesure.
Enfin, il faut faire coïncider l'offre et la demande, en instaurant des plateformes régionales ou nationales où la compensation – qu'elle soit obligatoire, comme au sein du marché européen, ou volontaire – serait apportée par le sol en tant que puits de carbone. Nous travaillons activement avec plusieurs instituts spécialisés au montage de ces plateformes, qui fait partie des beaux projets montrant qu'agriculture et environnement sont intrinsèquement liés.
Je crois à la multifonctionnalité de la forêt. Celle-ci a au moins une triple fonction : une fonction de préservation de l'environnement, une fonction sociétale et une fonction économique. À l'époque où je faisais des études forestières après des études d'agronomie, on disait : « La forêt avance mais le bois recule. » C'est toujours le cas : la forêt n'a jamais été aussi étendue depuis le Moyen Âge, elle a presque doublé depuis la révolution industrielle ; pourtant, l'on consomme moins de 50 % de la production nouvelle annuelle de bois et l'on ne cesse d'en importer, alors même que l'on veut réaliser plus de constructions en bois et utiliser davantage de biomatériaux – la nouvelle réglementation environnementale 2020 va y contribuer, et c'est très bien.
La bonne formule est la gestion durable : il faut des zones de libre évolution et des zones de protection, mais, au-delà des zones protégées, il convient d'assurer une gestion durable de nos forêts tenant compte de cette triple fonction. Il faut faire avancer la forêt en faisant avancer le bois.
À la suite d'un échange avec M. Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, je m'inquiète de l'affichage du cycle du carbone : des produits importés peuvent apparaître plus compétitifs du point de vue de l'économie de carbone que des produits fabriqués sur le continent, a fortiori en France. Avons-nous de bons indicateurs de mesure, pondérés et corrélés à d'autres éléments ?
Êtes-vous prêt à repenser, dans les mois et les années qui viennent, le cahier des charges AB, notamment le label AB français, et celui de la certification haute valeur environnementale de niveau 3 (HVE3) ? Il s'agirait de prendre en compte le carbone et d'intégrer une modernisation – je pense notamment à la HVE3 en phytopharmacie –, voire des clauses sociales.
. Je partage votre inquiétude quant à l'analyse du cycle de vie. Comme je l'ai dit, il faut trouver une solution scientifique, car il serait incohérent d'inciter nos consommateurs à privilégier l'élevage intensif sud-américain, à rebours de ce que nous souhaitons. L'analyse du cycle de vie est pertinente pour la forêt et le bois, mais elle a des effets négatifs que nous devons corriger si nous voulons privilégier l'élevage extensif dans nos territoires. Le législateur pourrait lui fixer un cadre une fois le travail scientifique achevé. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas procéder à cet affichage ; mais il faut donner la bonne information.
En vue de faire un point d'étape sur la norme HVE, nous lançons des études dont le résultat est prévu pour le début 2022. Je n'opposerai pas les différents types de culture, auxquelles je vous sais également attaché : il est bon de promouvoir le bio, le HVE et les transitions dans l'agriculture conventionnelle. Pour engager une dynamique, il faut inspirer la confiance et la maintenir lors des certifications. Parallèlement, nous créons de fortes incitations par les mesures de soutien au bio ou à la HVE – le crédit d'impôt pour la HVE est d'ailleurs opérationnel depuis le 1er janvier 2021.
Pour certains agriculteurs, l'article 19 remettrait en cause les fondements historiques de la politique de l'eau, point de vue contre lequel le MoDem s'inscrit en faux : au contraire, l'ajout proposé à l'article L. 210-1 du code de l'environnement assoit ces fondements. La définition des systèmes aquatiques n'est pas floue, puisqu'elle fait référence à des éléments clairement identifiés. Enfin, la sécurité des projets de territoire résulte non du dispositif juridique mais de la volonté de trouver un équilibre avec des associations de défense de la nature et d'usagers de l'eau. L'eau est un bien commun, mais son usage est source de conflits et la conciliation entre les usagers doit être notre objectif. À nos yeux, les précisons apportées ici au droit de l'environnement sont à cet égard un élément de clarification : il s'agit bien de promouvoir une gestion équilibrée de la ressource en eau.
Nous avons déposé un amendement d'appel relatif à la situation résultant des fortes inondations de ces derniers mois. Des volumes gigantesques déferlent vers la mer sans pouvoir s'infiltrer dans les sols et les nappes déjà saturés, ni être retenus dans les zones humides et les aquifères, déjà gorgés d'eau. Il serait utile de retenir temporairement cette eau dont nous aurions besoin durant l'été.
. L'eau est la mère des batailles. Il est impossible de faire de l'agriculture sans eau. C'est une évidence qu'il est bon de rappeler, même si des expérimentations à faible échelle de cultures spécifiques en circuit fermé d'eau sont menées çà et là.
L'eau est un sujet incroyablement complexe. Le conflit d'usage de l'eau existe depuis que l'homme est sédentaire. Parce que le sujet est compliqué, il faut l'aborder de manière sereine et avoir le courage politique de le faire, mais dans un cadre de discussion et de concertation, comme celui des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Mais il faut aussi avoir l'honnêteté de dire qu'une bonne concertation ne doit pas durer trop longtemps. En la matière, le fameux décret sur le débit d'usage, en cours de finalisation, issu de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), représente une grande avancée.
L'article 19 ne fait que réaffirmer le droit, il ne modifie pas la réglementation. Je partage votre analyse sur ce point.
S'il est scientifiquement démontré que la nappe phréatique est pleine et que le sol est gorgé d'eau, par définition, l'eau de surface finit à la mer et son prélèvement est sans conséquence sur le niveau d'étiage de la rivière le reste de l'année. La disposition que vous proposez, de bon sens, ne devrait donc rencontrer aucune opposition. Si on demandait ces jours-ci ce qu'ils en pensent à des Charentaises ou Charentais, ils répondraient, comme beaucoup de Français, qu'il est temps de la mettre en œuvre.
Nous sommes tous attachés à la défense des producteurs dans nos territoires, quels que soient le type d'agriculture et le système de culture auxquels ils adhèrent. Or je crains que le débat parlementaire à venir ne serve de prétexte à des caricatures et que les agriculteurs ne soient montés les uns contre les autres ainsi que contre les défenseurs de l'environnement et une partie des citoyens. Je vous sais attaché à les défendre, ainsi que la plupart des parlementaires. Comment réconcilier tout ce beau monde ?
La méthode employée au début du quinquennat, avec la tenue d'états généraux de l'alimentation, sous la responsabilité de Stéphane Travert, était de nature à ouvrir le dialogue entre tous les acteurs de la filière : producteurs, transformateurs et distributeurs. Dans un rapport remis l'été dernier, au sortir du premier confinement, mes collègues Travert, Potier et Ramos et moi-même proposions sur le même modèle un dialogue annuel concernant un plan de transformation écologique de l'agriculture, sous l'égide du ministère de l'agriculture et du ministère de la transition écologique, avec les acteurs de l'alimentation et les acteurs de l'environnement. Y êtes-vous favorable et êtes-vous prêt à inscrire cette proposition dans le texte ?
. Merci pour votre approche, que beaucoup d'entre nous partagent. Opposer environnement et agriculture est un non-sens. La plus grande richesse d'un agriculteur est le sol, lequel est très dépendant de l'environnement. On le voit bien dans Nous paysans, le documentaire en forme d'hommage diffusé la semaine dernière sur une chaîne de télévision publique.
Je suis favorable à la méthode des états généraux de l'agriculture, fondée sur l'approche par filière. Dans la continuité de l'atelier 5, j'ai confié à M. Serge Papin, je l'ai dit, une mission sur la création de valeur et sa répartition ; il fera ses recommandations d'ici à la fin du mois d'avril. Pour le reste, je suis favorable à ce que l'on fasse le point par filière, mais je ne suis pas sûr que cela doive avoir lieu tous les ans ni passer par la loi.
L'un de mes amendements, co-construit avec des équipes du centre d'économie rurale (CER), me tient particulièrement à cœur. Nous avons travaillé sur une expérimentation visant à valoriser le patrimoine agro-écologique d'une exploitation agricole sur son bilan comptable. En effet, si un agriculteur prend soin de son environnement, il doit pouvoir valoriser durablement ces efforts, comme dans tout autre métier. Tandis que les paiements pour services environnementaux (PSE) sont annualisés, l'amendement vise une valorisation durable. L'expérimentation permettrait de vérifier le meilleur moyen d'y parvenir.
. J'examinerai en détail votre amendement. La création de valeur environnementale doit être associée à une création de valeur pour l'agriculteur. Je l'ai dit à plusieurs reprises, dans la transition agro-écologique, la notion de compte de résultat ne doit pas être taboue dès lors qu'elle permet d'accélérer cette transition. Nous convergeons sur ce point.
En revanche, l'écriture comptable ne suffit pas à créer de la valeur. On crée de la valeur en traduisant l'amélioration de la qualité de la production culturale dans son prix de vente. Si je me bats autant, comme vous l'avez fait dans le cadre de la loi ÉGALIM, pour mettre fin à la guerre des prix, c'est parce que celle-ci tire tout le monde vers le bas et empêche une amélioration de la qualité que nos agriculteurs veulent pourtant ardemment. La qualité n'est possible que si elle est rémunérée par le prix. On ne peut pas améliorer la qualité tout en menant une guerre des prix, à moins que la variable d'ajustement ne soit l'agriculteur, auquel cas il ne vit plus de son travail, ce qui conduirait à la disparition de l'agriculture et à l'importation massive des produits agro-alimentaires.
Regardons donc cela ensemble, Madame la députée.