La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a procédé à l'audition, en table ronde, de représentants des organisations syndicales des travailleurs du nucléaire, avec la participation de M. Alexandre Grillat, secrétaire national Affaires publiques et Relations institutionnelles (CGC), Mme Virginie Neumayer (FNME-CGT), M. Vincent Rodet, délégué fédéral industries électriques et gazières de la FCE-CFDT, M. Cédric Noyer, coordinateur FO Orano, M. Philippe Page (FNME-CGT), M. Jean-Pierre Bachmann, coordinateur UFSN-CFDT, M. Patrick Bianchi, président de la filière CFTC du nucléaire, M. Marc-Jacques Kuntz, secrétaire général Production ingénierie CFE-CGC Énergie, M. Yannick Tessier, délégué syndical FO-STMI.
Mesdames, messieurs, mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui une table ronde composée des principales organisations représentatives des travailleurs du nucléaire.
Je rappelle que nous avons reçu le 17 mai une association qui représentait des salariés travaillant dans des entreprises de sous-traitance. L'exercice qui était orienté sur la problématique de la sous-traitance était donc assez différent de celui d'aujourd'hui, qui s'intéresse aux salariés dans leur globalité, ce qui ne vous empêchera pas de revenir sur la sous-traitance, si vous le souhaitez.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mesdames, messieurs, à tour de rôle et par ordre alphabétique, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Jean-Pierre Bachmann, Patrick Bianchi, Alexandre Grillat, Marc Kuntz, Mme Virginie Neumayer, MM. Cédric Noyer, Philippe Page, Vincent Rodet et Yannick Tessier prêtent successivement serment.
Je vais maintenant donner la parole à chaque organisation pour un exposé liminaire que je vous invite, pour la qualité des échanges, à limiter à quelques minutes car vous êtes nombreux – ce qui, au demeurant, est une bonne chose. Il convient d'être concis, afin de conserver une spontanéité suffisante à cette table ronde et éviter une succession de monologues.
Vous pourrez compléter vos propos lors des questions-réponses qui suivront ou également faire parvenir une contribution écrite si vous le souhaitez, ce que d'ailleurs certains ont déjà fait. Je donnerai ensuite la parole à Mme la rapporteure qui vous posera une première série de questions avant d'inviter mes collègues à vous solliciter également.
Technicienne en radioprotection de formation et de métier, je suis en charge des questions sur le nucléaire au niveau confédéral de la CGT. En tant que salariée d'une entreprise prestataire, j'ai d'abord travaillé sur les sites d'EDF et du Commissariat à l'énergie atomique. J'ai ensuite eu l'opportunité d'être recrutée au centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Tricastin.
Comme convenu lors de la préparation de cette table ronde, nous ne présenterons pas de déclaration liminaire, mais nous vous communiquerons une contribution à la suite de cette audition pour compléter les réponses aux questions qui nous auront été posées. Nous préférons, en effet, les échanges et ainsi mieux prendre en compte les sujets sur lesquels vous voulez travailler.
Mesdames, messieurs les députés, merci de nous donner la parole. La CFDT est attachée à la démocratie sociale, parfois décriée, mais si précieuse, notamment à propos de la vie des entreprises et de celle des salariés.
En liminaire, je salue l'ensemble de nos camarades et des salariés du secteur nucléaire qui représente 220 000 emplois en France et nos camarades qui ont répondu au questionnaire. Nous vous remettrons un document et interviendrons dans le cadre des questions-réponses.
Orano représente la moitié de l'ex-Areva et travaille sur la partie du cycle du combustible. Les débats sont actuellement ouverts sur la programmation pluriannuelle de l'énergie. Dans le cadre de la réunion d'aujourd'hui, nous avons bien des choses à dire, mais nous nous attacherons pour l'essentiel à répondre à vos questions.
Je suis employé à la centrale du Tricastin où les salariés sont inquiets de l'avenir du cycle. Des projets sont en cours, dont la fermeture de certains réacteurs de 900 mégawatts, que nous évoquerons même si ces sujets ne sont pas liés à la question de la sûreté-sécurité.
Nous aborderons la problématique de la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE), qui accompagne la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) spécifiques. Dans le domaine du nucléaire, un tel recul en matière de sûreté-sécurité génère un risque pour l'avenir.
Nous évoquerons les autres thèmes dans le cadre du jeu des questions-réponses.
À l'instar de mes collègues, je ne ferai pas de déclaration liminaire longue, mais peut-être mettrons-nous en avant quelques points saillants avant de préciser les réponses que nous apporterons lors des échanges qui suivront.
La question de la sûreté nucléaire repose en partie sur des facteurs humains. Assurer la sûreté nucléaire, et plus largement la sécurité, suppose que les salariés de la filière nucléaire travaillent dans la sérénité. Cela nous amène à mettre en avant des éléments de contexte qui peuvent expliquer l'état d'esprit des salariés de la filière.
Aujourd'hui, l'avenir de la filière nucléaire manque de visibilité. Donner de la visibilité contribuerait donc à la sérénité dont les salariés du nucléaire ont besoin pour exercer leur métier et pour relever les défis de la sûreté.
Il ne faut pas occulter le versement de très nombreux dividendes par la filière nucléaire française depuis l'ouverture des marchés et les introductions en bourse des premiers principaux opérateurs que sont Orano, anciennement Areva, Framatome et EDF. La « financiarisation » de la gouvernance des entreprises a nécessairement eu des conséquences sur la manière dont les entreprises ont été mises sous pression financière. Or les questions de sûreté et de sécurité relèvent du niveau des dépenses d'investissement en capital, CAPEX, et des dépenses d'exploitation, OPEX, donc de la masse salariale et de la chaîne de sous-traitance. Il ne faut pas occulter vingt ans de financiarisation de la gouvernance, au cours desquels la filière du nucléaire a versé des dividendes très élevés à l'État, son actionnaire. Quand on évoque les CAPEX et les OPEX au coeur de la sûreté, il convient de garder à l'esprit la pression financière dont les impacts ne sont pas neutres sur la gouvernance et, finalement, sur l'ensemble de la chaîne.
Dans ses dernières études, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) révèle que le marché au sens concurrentiel, autrement dit l'ouverture des marchés, n'est pas de nature à donner les signaux économiques de long terme dont a besoin la filière nucléaire, qui est une industrie à haute intensité capitalistique et de long terme.
Relever tous les défis de la sûreté nécessite de requestionner la compatibilité du nucléaire à la logique du marché concurrentiel dans le domaine de l'énergie.
Je suis employé au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), une maison créée par le général de Gaulle. Si Orano, EDF et le CEA travaillent chacun de leur côté, nous connaîtrons des difficultés.
Les questions posées portent sur EDF, mais, de mon point de vue, l'ensemble du nucléaire doit être pris en compte, notamment si l'on considère les installations nucléaires. Lorsque je les ai rencontrés, j'ai expliqué à M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF, et à M. Philippe Varin, vice-président du Conseil national de l'industrie (CNI), que l'on construisait de grands réacteurs.
Vous parlez de sûreté-sécurité. Personnellement, l'assainissement-démantèlement m'inquiète. On parle de centrales propres mais il faudra un jour prendre en compte l'assainissement-démantèlement dans son ensemble et non considérer les deux séparément. Suite aux événements graves survenus récemment chez Areva, nous ne sommes plus actionnaires d'Orano, dont nous avons perdu le contrôle. Le CEA, dont la structure date de 1945, se retrouve, lui aussi, dans l'expectative. Il est grand temps que l'on se saisisse de la problématique du secteur nucléaire français dans son ensemble.
J'ajouterai deux observations.
Aux termes de l'ordonnance Macron, la commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) se substituerait au CHSCT. J'ai pris contact avec Mme Scotton. L'administrateur général du CEA, M. Jacq, pour sa part, rencontrera Mme Pénicaud parce qu'il est impensable de mettre en place une commission et de minorer le CHSCT qui assure la sûreté-sécurité de nos installations. Une telle réponse induirait des problèmes à long terme.
Je répondrai à vos questions, mais je précise que, si j'ai été désigné par M. Orosco pour représenter la filière CFTC du nucléaire, je reste un homme de terrain et je connais le nucléaire uniquement sous cet angle.
Nous sommes précisément intéressés par les retours de terrain. Si nous avons entendu de nombreuses personnes au cours des auditions qui nous ont rapporté leurs nombreuses expériences, nous sommes également intéressés à entendre ceux qui vivent au quotidien au sein des structures. L'objet de notre commission d'enquête vise à déterminer si la sûreté et la sécurité sont assurées, si des marges d'amélioration sont nécessaires et, si oui, lesquelles.
À de nombreuses reprises, la nécessité a été rappelée de traiter la sûreté-sécurité en prenant en compte le facteur humain qui est déterminant, et ce à différents niveaux. Il nous a été expliqué que la culture de sûreté était un facteur essentiel pour assurer la sûreté dans toutes les installations.
Nous vous avons envoyé un questionnaire. Merci à ceux qui y ont déjà répondu. À cet égard, je formulerai quelques observations au vu des réponses reçues, mais avant tout nous avons besoin de déterminer, dans le domaine de la sûreté, les éléments susceptibles de présenter des risques et de générer des dangers pour les personnes qui travaillent dans les centrales et ainsi les moyens d'y remédier.
Nous vous interrogerons également sur la sous-traitance. La culture de sûreté ne nous semble pas présente partout. C'est pourquoi nous sollicitons votre opinion.
Sur le plan de la méthode, vous nous avez transmis un questionnaire, nous nous sommes pliés à l'exercice. Nous avons agrégé les dernières remarques des militants hier soir. C'est la raison pour laquelle nous vous le remettrons seulement ce matin, sur clé USB, à l'issue de cette audition.
Nous comprenons que vous voulez « zoomer » sur les questions liées à la culture de sûreté, qui forment une partie du questionnaire. Nous répondrons rapidement aux premières questions posées, avant de nous attacher au coeur de vos préoccupations. Nous déroulerons le questionnaire présenté dans sa forme, en commençant par la gouvernance. Nous procéderons par une réponse globale reprenant les deux sous-questions qui y sont liées.
Nous rappelons que la CFDT a été favorable à la création de l'autorité indépendante qui a succédé à la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN). La CFDT est attentive aux intentions « export » de la filière France, lesquelles doivent porter exclusivement sur des projets dans des pays qui disposent d'une autorité de sûreté crédible. À une époque, les intentions d'export vers la Libye avaient paru peu réalistes. Heureusement, elles n'ont pas été conduites à leur terme.
La CFDT considère que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a des moyens réglementaires et juridiques permettant d'investiguer, d'analyser et d'intervenir sur la sûreté des installations dans les entreprises de la filière nucléaire et dans les installations nucléaires de base (INB). Parfois et c'est normal, entre une autorité de régulation et des exploitants, les seconds estiment que la pression de la première est forte. Il n'en demeure pas moins que certaines décisions s'imposent. Nous en avons eu une illustration récente avec la mise à l'arrêt assez longue de quatre réacteurs du Tricastin pour renforcer une digue sur le Rhône. Un débat inhabituel a été ouvert autour de cette question, mais les acteurs sont restés dans leurs compétences.
Quelles sont nos sources d'information ? La France compte 1 500 années-réacteur d'exploitation cumulées depuis le lancement du parc EDF. Pour nos militants, cela représente un grand nombre de comités d'entreprise (CE), de CHSCT, de réunions de délégués du personnel, de réunions d'instances de représentation du personnel des installations nucléaires de base, et s'est traduit par multiples remontées d'informations suite aux contacts que nos militants entretiennent avec les salariés.
Nous constatons que le nombre d'injonctions de l'ASN aux donneurs d'ordres et aux sous-traitants a augmenté depuis plusieurs années.
Nous ne nous considérons pas qualifiés pour apprécier les ressources de l'Autorité de sûreté nucléaire. Néanmoins, nos collègues de la CFDT qui y travaillent font parfois état d'un manque de ressources. Des questions traversent l'ensemble de la filière, dont le tuilage des compétences ou encore l'équilibre entre profils « seniors expérimentés » et profils « jeunes collègues » se constate très probablement autant chez les autorités de sûreté que chez les exploitants ou chez les sous-traitants
Syndicalement, on ne peut pas parler de gouvernance en évoquant exclusivement l'ASN ou les exploitants. Même s'il s'agit du passé, nous pointons le fait que l'État a été gravement déficient en laissant les problèmes d'Areva s'empiler jusqu'à l'agonie et en laissant EDF servir des dividendes qui ont scandaleusement creusé sa dette. En effet, l'entreprise s'est endettée pour servir un dividende. Le fait est assez illustratif de la déficience de l'État dans la conduite à long terme de cette filière.
La CFDT observe que le questionnaire ne fait pas référence aux autres impacts de la gouvernance sur la sûreté nucléaire.
Je précise que nos représentants siègent à la commission locale d'information, à l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), au Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN), au Conseil de politique nucléaire et au Haut Comité pour la transparence nucléaire, soit quatre entités dont le rôle est extrêmement important dans les questions de sûreté.
Si vous le permettez, Monsieur Rodet, un mot sur la philosophie de l'exercice : le questionnaire permet d'apporter des réponses écrites. Ce matin, l'exercice consiste à nous rapporter ce qui n'y figure pas, éventuellement ce que vous voulez ajouter aux différents items. Par exemple, s'agissant de la gouvernance, vous avez toute liberté de nous dire ce que vous voudriez voir examiner en complément des questions soumises préalablement. L'exercice ne consiste pas à livrer un point de vue exhaustif ; au contraire, liberté vous est donnée de sortir du cadre.
Dans la mesure où vous êtes nombreux, si vous répondez tous à chaque question du questionnaire, le temps viendra à manquer. Au surplus, nos collègues n'auront pas le temps de poser leurs questions. Aussi nous vous proposons de souligner les points important du questionnaire, voire d'ajouter des éléments qui n'y figurent pas.
La bonne gouvernance passe par la maîtrise publique du secteur et un modèle d'entreprise intégrée afin de répondre à l'ensemble des besoins, qu'ils soient techniques ou financiers.
Sur les questions de la gouvernance, nous pensons que l'ASN, le gendarme du nucléaire, remplit correctement ses fonctions au regard du nombre d'inspections et de comptes rendus qu'elle produit ; toutes ses décisions sont justifiées d'un point de vue technique parce que ses inspections présentent des écarts avec les référentiels de sûreté. Toutefois, ainsi que le soulignait Mme Pompili, il convient d'apporter des modifications au dispositif. La prise en compte des salariés et leur compréhension des décisions de l'ASN sont essentielles. Vincent Rodet faisait état de l'arrêt des quatre réacteurs du Tricastin. En tant que salariée, j'ai été concernée. Il fut extrêmement difficile pour les personnels de mener les opérations d'arrêt des tranches et de redémarrage comme fut délicate la gestion des étapes transitoires de sûreté qui ont perturbé le travail. Œuvrer en toute sérénité nécessite des échanges et suppose un plus grand nombre d'inspections terrain de l'ASN parallèlement à des échanges et à des analyses qui placent les salariés concernés au premier rang.
Après inspections, l'ASN procède à des retours auprès de la direction ; et ensuite, auprès de vous ?
Aux termes de nos échanges avec eux, les inspecteurs disent manquer de moyens pour assurer un retour rapide des inspections et pour nous présenter leurs comptes rendus. Dans la mesure où ils y passent beaucoup de temps, se pose également la question de la réactivité des décisions ; nous sommes dans l'expectative en attendant la prise de décision. Il s'agit là d'un élément qu'il nous paraît important d'améliorer et qui renvoie à la question des moyens.
Dernier point, des inspecteurs de l'ASN ont une fonction particulière d'inspection du travail auxquels nous sommes directement confrontés. Pour l'exercer, ils sont souvent seuls, tout au plus accompagnés d'un collègue. Ces inspecteurs sont très spécifiquement centrés sur ce métier et isolés des autres inspecteurs. Par ailleurs, au regard des politiques sociales qui sont menées aujourd'hui dans les entreprises, ils sont de plus en plus sollicités. Nous appelons donc votre attention sur les moyens dédiés. Grâce à eux, nous obtenons des retours dans la mesure où nous échangeons plus directement avec eux qu'avec d'autres inspections.
S'agissant de l'ASN, nous nous inscrivons sur la même ligne que la CGT. J'ajoute simplement que l'ASN joue un rôle de sauvegarde de la filière. L'existence même de l'ASN permet de maintenir une filière française qui tourne à peu près.
Aux élus que vous êtes, nous demandons que, grâce à l'action de l'ASN, les règles qui s'appliquent aujourd'hui au nucléaire français dans un cadre européen, voire mondialisé, soient appliquées demain au nucléaire à l'étranger. Par exemple, Orano, qui a une activité à l'étranger, peut s'y approvisionner en combustible. Harmoniser les règles sur la sûreté nucléaire s'avère nécessaire.
Sur le plan de la culture du nucléaire et de la culture de sûreté, la fragilisation de la filière et le manque de visibilité sont deux facteurs prépondérants, y compris dans la direction d'entreprise. C'est la raison pour laquelle l'État devrait recouvrer son rôle. La fragilisation et le manque de visibilité poussent à réduire les coûts et à offrir des arguments à ceux qui souhaitent la fin du nucléaire, mais, au-delà de ces économies, cela engendre des conséquences sur les politiques de recrutement, sans compter que la sûreté-sécurité n'est pas un poste rentable dans l'entreprise, en tout cas sur un plan économique factuel. Il est donc facile de décider des réorganisations en supprimant les postes des personnes en charge de la sûreté et de la sécurité. Il s'agit là d'une dérive à laquelle nous assistons depuis quelques années parallèlement aux difficultés de la filière.
Pour une pérennisation de la sûreté nucléaire, je prône une vision stabilisée de l'avenir de la filière. Il faut cesser, en fonction des alternances politiques, de vouloir développer la filière ou de vouloir l'arrêter. Une visibilité et une stabilité de l'outil nucléaire s'imposent. À un moment donné, il faut être capable de décider de renouveler le parc et d'investir. Peut-être, dans trente ans, des solutions émergeront-elles et pourrons-nous débattre d'une sortie possible ou d'une moindre part du nucléaire dans l'alimentation énergétique de notre pays.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés au dogme dangereux de la sortie du nucléaire ; il pousse les industries à faire des économies, alors que ce n'est pas le moment. Dans une période où le climat est la priorité, nous devrions, au contraire, affirmer que le nucléaire offre une réponse.
Présidence de M. Hervé Saulignac, vice-président de la commission d'enquête.
Madame la rapporteure, comme vous le dites fort justement, la CFE-CGC est convaincue que les facteurs humains jouent un rôle central dans la sûreté. Ainsi que je le rappelais dans mon intervention liminaire, la sérénité offerte aux salariés du nucléaire contribuera à cette culture de sûreté liée au facteur humain.
À l'unisson des propos de la CFDT, nous pensons que l'ASN participe à la crédibilité de la filière française et donc à la crédibilité de la filière nucléaire française à l'export, au-delà du fait que nous partageons l'idée selon laquelle elle dispose aujourd'hui de moyens réglementaires et que ses décisions sont suivies d'effets, même si l'anticipation permettrait probablement de détendre les sujets.
Deuxième point saillant des réponses que nous avons préparées pour le questionnaire : depuis quarante ans, la filière nucléaire – 1 500 années-réacteur – a été améliorée en continu. Après l'accident à la centrale de Three Miles Island, tous les réacteurs ont été équipés de recombineurs d'hydrogène et, après Fukushima, les évaluations complémentaires de sûreté et la Force d'action rapide nucléaire (FARN) ont vu le jour.
La culture de sûreté est liée à la démarche d'amélioration continue du parc nucléaire français qui dispose d'une filière et d'une ingénierie intégrées. L'ensemble des composantes de la filière permet à la filière française, dans ses spécificités, d'améliorer en continu les éléments de sûreté.
Troisièmement : facteur humain égal compétence. Malgré la pression sur les OPEX que les opérateurs nucléaires subissent depuis plusieurs années en raison d'une pression actionnariale forte de la part de Bercy, le transfert de compétences vers les entreprises de rang 1 de la filière a plutôt été réussi, mais il s'agit de s'attacher aux compétences futures. Afin que la filière nucléaire dispose demain des compétences permettant de relever les défis industriels de performance et de sûreté, il convient d'attirer les talents et, pour ce faire, de conserver l'entière visibilité de la filière nucléaire française. Or, il n'est pas rare d'assister au « nucléaire bashing », à certaines opérations médiatiques que les salariés de la filière nucléaire vivent douloureusement. Une telle attitude ne contribue pas à l'attractivité de la filière et peut même, en raison de la non-attractivité potentielle qu'elle provoque, être de nature à fragiliser la filière dans la durée et donc à poser la question de la sûreté. Cette visibilité et cette sérénité nous semblent indispensables à assurer.
L'État ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité. Depuis plusieurs années, l'État stratège n'a pas été capable de donner la visibilité nécessaire à la filière nucléaire. Il est donc indispensable que l'État s'y attache à l'avenir.
Par ailleurs, l'État, en tant qu'actionnaire, s'est parfois contenté de récupérer des dividendes des entreprises du nucléaire à un niveau tel qu'elles ont dû faire pression sur les OPEX et CAPEX ; cela n'a fait que creuser la dette.
Sur la question des CAPEX et des OPEX nécessaires pour relever les défis de la sûreté, nous demandons que l'État, en tant qu'actionnaire responsable, donne à la filière la visibilité nécessaire.
En outre, nous sommes convaincus que le bien-être des salariés de l'ensemble des entreprises de la filière nucléaire passe par une médecine du travail spécifique au nucléaire. Il convient de préserver cette médecine et de la doter des moyens qui l'autoriseront à relever les défis et de couvrir les spécificités consubstantielles à la filière nucléaire.
Enfin, tous les acteurs de la chaîne de valeur du nucléaire sont concernés par les questions de sûreté lorsqu'ils doivent retenir des entreprises sous-traitantes de rang 1 ou 2. Il faut établir, à l'occasion des appels d'offres, une mieux-disance sociale. Si des progrès ont été accomplis récemment grâce à l'instauration de la charte sociale de la sous-traitance, nous sommes convaincus, en raison des enjeux de sûreté la filière nucléaire, que la question de la sous-traitance doit être exemplaire. Or la sous-traitance est aujourd'hui une question de politique achat qui, selon nous, ne doit pas dépendre de la seule pression financière.
Je vais dénoter par mon propos. Si l'ASN exerce une fonction étatique d'importance, elle est toutefois un empêcheur de tourner en rond. J'ai été exploitant d'INB. Je veux bien que l'on trouve des règles à six pattes, par exemple, s'agissant des équipements à pression nucléaire, de type Flamanville que nous utilisons au centre de Cadarache sur le réacteur Jules-Horowitz !
Si l'ASN est le garant du nucléaire et est présente au quotidien dans les centres de nucléaires, il n'en reste pas moins que les coûts explosent. Et surtout, il faut trouver des solutions. Par exemple, l'ESPN niveau 1 à Flamanville et le réacteur Jules-Horowitz subissent les décisions de l'Agence qui leur interdisent de fonctionner correctement, ce qui coûte des millions d'euros. Je m'interroge sur les intentions de l'ASN. Le nucléaire civil est très surveillé. Je le souligne car vous avez omis dans votre questionnaire les INB secrètes pour lesquelles le secret est préférable à la configuration de contrôle imposé aux INB dans le civil. L'ASN, tous les jours, demande des arrêts de tranche et procède à des surenchères de questions. Or, il faut savoir si nous voulons fonctionner correctement, ce qui oblige parfois à ne pas tout comprendre chaque fois que se produit un incident.
Autre difficulté, selon nous, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est à la fois expert et exploitant. Il est, à l'origine, une émanation du CEA. Il est chargé de l'étude de sûreté et de sécurité en fonction des menaces de référence, grâce aux moyens d'analyse et d'expertise dont il dispose dans le domaine de la protection physique. Nous assistons à une régression des compétences de ses personnels. On se retrouve entre deux feux, ce qui n'est pas simple.
On parle d'exportation du nucléaire ; or, la France n'arrive plus à exporter. L'Inde et le Japon exploitent des réacteurs à neutrons rapides quand la France atteint 900 millions d'euros dépensés en avant-projets pour son réacteur ASTRID – Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration – qui n'est toujours pas opérationnel. Nous restons dans l'expectative parce que l'ASN multiplie les expertises. Il faut finir par savoir ce que l'on veut !
Enfin, la sûreté et la sécurité sont essentielles dans le domaine de la défense. Le haut fonctionnaire de défense et le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND) mériteraient votre attention. Il serait utile que vous vous penchiez sur la question pour savoir ce qui se passe dans le secteur de la défense.
Mesdames, messieurs, je souhaite vous expliquer dans quel contexte nous concevons l'activité très spéciale qu'est la production de l'électronucléaire. Nous ne faisons pas du nucléaire pour faire du nucléaire, nous produisons de l'électricité. C'est une noble tâche que de répondre à cette mission extraordinaire de service public, laquelle consiste tout à la fois à fournir un bien de première nécessité et un produit qui conditionne le progrès humain sur la planète.
La CGT représente les salariés et défend la notion de service public, à laquelle elle reste fortement attachée. Électricité de France ne porte pas ce nom par hasard. Elle est issue des lois de 1946 qui, à notre sens, restent extrêmement modernes.
Pour ce qui est de la production, dans ce mix énergétique auquel nous sommes fortement attachés, nous assistons aujourd'hui au développement d'énergies nouvelles et sans doute connaîtrons-nous dans le futur des changements des centrales de combustion thermique. Pour l'heure, le nucléaire est indispensable et combine, décennie après décennie, différents atouts, dont l'indépendance des prix et la possibilité de fonctionner en bonne intelligence avec les énergies renouvelables.
Porter un regard philosophique sur le nucléaire est passionnant mais, afin de progresser dans notre réflexion, il convient de se focaliser sur l'objet de notre commission qui est la sûreté et la sécurité.
Je serai synthétique, rassurez-vous, mais je veux rappeler que les salariés donnent un sens à leur action. Ils se rendent au travail pour répondre à un besoin d'ordre public de production d'électricité, qui répond à un besoin fondamental des populations, des collectivités et des entreprises. Le sens du travail relève de ce que l'on a dans la tête et dans le ventre ; il a une incidence sur les gestes professionnels et donc sur la sûreté nucléaire. Pour la CGT, tout conditionne la sûreté nucléaire. Certains s'interrogent sur ce qui est coeur de métier ; pour nous, tout est coeur de métier.
Vous nous avez interrogés sur les éléments que nous considérons incontournables à la garantie de la sûreté. Les questions de formation professionnelle et de compétences à tenir dans la durée touchent à des thématiques, telles que la sociologie des entreprises concernées, que ce soit les entreprises donneuses d'ordre ou les entreprises prestataires, et à la façon dont les salariés sont attachés à l'outil de travail dans le temps, ce qui pose la question des garanties sociales, des formations et de la rémunération.
Si le marché du travail venait à reprendre, ce que tout le monde souhaite, certaines industries connaîtraient sans doute des appels d'air. Comment, dès lors, conserver les compétences des salariés de cette branche professionnelle spécifique ?
S'ajoute la question de la représentation du personnel. Celui-ci doit pouvoir interroger, exprimer ses remarques et ainsi faire avancer la sûreté et la sécurité. À cet égard, quelques outils existent – les CE, les CHSCT, les réunions des délégués du personnel –, pendant encore quelques mois pour ce qui nous concerne.
Il y a quelques années, la loi avait permis un progrès en ce sens. Par exemple, les salariés des entreprises prestataires pouvaient être élus sur le registre des délégués du personnel et sur le registre des CHSCT. Sur un certain nombre de sites du parc nucléaire d'EDF, des représentants salariés des prestataires siègent au sein des instances représentatives du personnel. Cette opportunité va disparaître, ce que nous considérons comme un véritable retour en arrière, d'autant que nous avions eu bien du mal à obtenir ces dispositions. Or, à partir de 2019, ces salariés ne pourront plus s'exprimer en tant que tels auprès du donneur d'ordre, en tout cas, dans un organisme officiel. On vous expliquera qu'il existe des organismes informels mais, pour nous, la protection des salariés qui, avec courage, prennent la parole pour défendre les intérêts collectifs de leurs collègues, les conditions de travail et les conditions de vie, posera question très rapidement. Nous profitons de l'occasion pour vous alerter. Dans les mois qui viennent, ces salariés se retrouveront sans la protection de leur mandat. Nous le savons tous, il n'y a pas que des philanthropes dans le patronat, et un certain nombre de salariés seront mis sur le gril.
En filigrane, se dessine la question de la sous-traitance. La sous-traitance est massive, elle n'intervient pas à la marge. Nous sommes obligés de la prendre en compte. Les sous-traitants que nous avons rencontrés nous disent, notamment ceux qui doivent travailler dans les zones contrôlées, qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que les salariés des donneurs d'ordre, notamment pour ce qui est des visites médicales. Nous voudrions vérifier ce point auprès de vous.
Les salariés des entreprises sous-traitantes ajoutent ne pas être traités comme des travailleurs du nucléaire et souhaiteraient bénéficier d'une convention collective commune. Relever de conventions collectives différentes suppose évidemment des droits différents et engendre le sentiment qu'il y a, d'un côté, les salariés d'EDF, d'Orano et du CEA, de l'autre, des « sous-salariés ». C'est ainsi qu'ils ne s'attachent pas aux questions de sûreté quand elles se posent et laissent les autres agir ; en outre, les sous-traitants peuvent subir une pression de leur patron qui les incite à minimiser les signalements afin de ne pas être considérés comme des facteurs de problèmes, engendrant en conséquence des difficultés à leur entreprise. La pression sur les sous-traitants pose problème. J'aimerais donc avoir votre avis sur la création d'une convention collective commune.
Toujours sur le thème de la sécurité, le grand nombre de sous-traitants engendre de nombreux va-et-vient dans un grand nombre d'installations.
En outre, certains sous-traitants ont été condamnés pour travail dissimulé. Bouygues notamment l'a été sur le chantier de l'EPR de Flamanville. Parallèlement, on nous affirme que personne n'entre sur les sites sans avoir été criblé et fait l'objet d'une enquête. On ne reçoit pas un badge pour entrer sur de tels sites sans avoir montré patte blanche. Le travail dissimulé suppose le travail au noir. Comment ces personnes ont-elles pu entrer ?
Mme Pompili a relevé l'aspect massif de la sous-traitance. Le facteur humain est, en effet, un élément essentiel de la sûreté et de la sécurité.
La sous-traitance a pris de l'ampleur au cours de ces dernières années. Selon vous, quelles sont les activités qui ont fait l'objet de la plus large sous-traitance ? Le fait que de plus en plus d'activités soient sous-traitées pose-t-il problème ?
Un statut plancher du travailleur du nucléaire qui inclurait les sous-traitants du nucléaire pourrait-il assurer à la fois la protection des conditions de travail et de rémunération de l'ensemble des personnels ainsi que la prévention d'exposition aux risques ?
Je m'exprime au nom du groupe communiste. Les propos des représentants des organisations syndicales sur la culture de la sécurité renvoient à des débats que nous avons déjà tenus, notamment lorsque nous avons abordé le statut des cheminots.
La culture de la sécurité et de la sûreté dans l'entreprise est majeure. Plus pratiquement, les travailleurs salariés comme les travailleurs sous-traitants sont préoccupés par la disparition du CHSCT. Je souhaite que les représentants syndicaux explicitent concrètement les difficultés auxquelles ils seront confrontés dans leur rôle face aux mutations réglementaires qui interviendront dans les mois qui viennent. Que représente la disparition du CHSCT dans l'exercice de leurs mandats et dans l'expression des problèmes de santé au travail rencontrés par les salariés ?
Ma question, très simple, porte sur le suivi dosimétrique des intervenants, notamment les intérimaires dans les différentes entreprises travaillant dans une installation nucléaire de base. Un intérimaire employé chez Orano bénéficiera d'un suivi dosimétrique ; il arrêtera ensuite de travailler pendant un petit moment. S'il travaille plus tard chez EDF, il aura un nouveau suivi dosimétrique. Ces suivis sont-ils agrégés et, si oui, comment ?
Nous devions traiter essentiellement de la sous-traitance. Le CHSCT est un sujet important, mais je vous propose de le lier très directement au sujet traité par la commission d'enquête sûreté et sécurité. Si nous dissertons sur la disparition du CHSCT, nous risquons de nous éloigner de l'objet de notre préoccupation.
Aujourd'hui, des commissions spécifiques regroupent des élus spécifiques. Des salariés ont davantage la fibre CHSCT sécurité-sûreté pendant que d'autres ont plus la fibre économique et vie de l'entreprise. Personnellement, je n'ai jamais siégé en CHSCT, je siège plutôt en CE.
Ces instances seront fusionnées. Les réorganisations ne concernent pas les mêmes salariés, ni les mêmes profils, ni les mêmes compétences que les organisations syndicales auront à mobiliser sur les listes électorales. Suite à la fusion des instances, non seulement moins de monde siégera au sein des commissions, mais elles compteront moins de personnes animées de la fibre compétence sûreté-sécurité. C'est catastrophique. Pour vous donner un ordre de grandeur : sur un établissement comme le Tricastin, on passera d'une trentaine d'élus du CHSCT à la fibre sûreté-sécurité à environ six salariés. En établissant leur liste de candidats, les organisations syndicales seront tenues à faire des choix.
Le CHSCT est mon cheval de bataille. Nous avons créé un comité social et économique qui recouvre toutes les fonctions, dont la fonction économique et la fonction d'ester en justice au nom du CHSCT puisque neuf membres du comité social et économique siégeront au sein de la commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Nous chercherons des salariés de proximité afin de pourvoir les postes, car de telles responsabilités nécessitent entre 50 et 60 heures par mois de délégations. En effet, notre travail ne se limite pas à assister à des réunions, nous nous rendons également dans les installations, rencontrons les représentants de l'ASN, travaillons avec eux sur les rapports rendus. Selon moi, le fonctionnement issu de la réforme est mal pensé.
L'administrateur général du CEA, M. Jacq, rencontrera Mme Pénicaud sur ce thème, crucial dans les INB. Selon moi, il n'y a pas de débat possible, car il est impossible de penser autrement dans le nucléaire.
J'en viens à la question sur le travail dissimulé. Lorsque l'on fait entrer une personne, on ne vérifie pas son contrat de travail ; on ne sait donc pas si elle a un contrat. Le travail dissimulé existe parce que dans le secteur de l'assainissement-démantèlement, des sociétés, qui par ailleurs ont pignon sur rue, travaillent durant un temps très long sur nos installations. C'est ainsi qu'elles mènent des activités autres que celles pour lesquelles elles sont payées, le cahier des charges de leur contrat évoluant au fur et à mesure de l'activité. C'est la raison pour laquelle on parle de travail dissimulé. Plus grave encore, on assiste à un « surempilage », que l'ASN essaye de combattre dans les INB, entre l'exploitant donneur d'ordres et la société qui doit répondre au cahier des charges. Nous sommes donc confrontés au travail dissimulé, interdit par la loi. Théoriquement, on ne peut pas demander à une entreprise de réaliser d'autres activités que celles qui figurent au cahier des charges. Malheureusement, cela existe, car les mêmes sociétés sont employées pendant trop longtemps.
Sur le chantier de l'EPR, je citerai une société qui a été condamnée en première instance pour le travail dissimulé de 163 salariés polonais, une société qui avait son siège social à Dublin, qui a embauché des ouvriers polonais grâce à une filiale implantée à Chypre au moyen de contrats de travail chypriotes, écrits en grec, c'est-à-dire que les personnes ne comprenaient pas ce qu'elles signaient.
Une problématique de sûreté-sécurité se pose dans la mesure où ces personnes ne lisent pas le français et, par conséquent, ne comprennent pas les consignes de sécurité qui s'appliquent dans les installations nucléaires de base.
J'aborde maintenant le statut de travailleur nucléaire. Selon moi, il est grand temps d'instaurer un statut du travailleur nucléaire afin d'offrir la possibilité aux salariés des sous-traitants de bénéficier des mêmes droits que les salariés des donneurs d'ordre, qui sont très bien suivis. Aussi, dans le cadre des appels d'offres, des obligations sociales doivent être intégrées : des contraintes de visites médicales onéreuses, des contraintes de radioprotection liées notamment au changement de lieu de travail qui, pour l'heure, n'impose pas un suivi des informations médicales.
J'en viens maintenant aux techniciens qualifiés en radioprotection (TQRP). Quand elle doit être suivie dans une entreprise nucléaire comme le CEA, la radioprotection des salariés de sous-traitants est elle-même sous-traitée. Ainsi les sous-traitants gèrent la radioprotection pour leurs salariés. Il convient de mieux réfléchir à la santé de ces personnes qui ingèrent des doses de radioactivité et qui, dans ce cas, ne peuvent plus travailler dans une installation nucléaire de base, elles peuvent même être licenciées et se retrouver sans suivi médical.
Dans son intervention liminaire, Philippe Page a insisté, au-delà des valeurs de service public qui sont au coeur de l'engagement, sur le rôle crucial de la qualité et les questions de sûreté élargie à l'ensemble des acteurs. En ce sens, c'est bien la qualité du dialogue social, notamment auprès des opérateurs de rang 1, qui a permis de faire avancer le cahier des charges sociales et de limiter le recours à la sous-traitance à un échelon 3. Toutefois, des progrès restent à accomplir. C'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à la mieux-disance sociale et à la création d'une convention collective plancher qui s'appliquerait à tous les acteurs du nucléaire. D'ailleurs, la notion de convention collective plancher est en cours de discussion dans le cadre de la réforme ferroviaire.
J'adresse donc ce message qui dépasse la compétence de la commission : il conviendrait que tous les acteurs présents sur le marché de l'électricité bénéficient d'une convention collective plancher. La question de conventions collectives planchers, de manière générale et spécifiquement pour le nucléaire, paraît essentielle à la CFE-CGC. Je laisse Marc Kuntz aborder la question des visites médicales et des dosimétries.
S'agissant des visites médicales, à mon sens, la réglementation est strictement la même pour les personnes qui sont exposées aux rayonnements ionisants, qu'il s'agisse des salariés des entreprises prestataires ou des agents EDF. Par contre, le service au sein des entreprises est quelque peu différent. À EDF, des médecins du travail sont présents dans chacune des centrales nucléaires et, il me semble, en nombre largement suffisant.
Le site de Penly compte un poste et demi de médecin du travail pour 800 salariés d'EDF. Les médecins sont très accessibles et les salariés les rencontrent systématiquement une fois par an, puisque la visite annuelle est obligatoire ; au surplus, leur porte est toujours ouverte, nous les croisons à la cantine, ils vont bien au-delà de leur stricte mission de médecin du travail. C'est ainsi qu'ils règlent les petits problèmes, rédigent un certificat sportif ou vaccinent en cas de besoin. Indépendants de leur employeur, ils ont la confiance des salariés qui s'ouvrent à eux et leur font part de leurs problèmes de santé, ce qu'ils ne s'autoriseraient pas avec un médecin qu'ils connaîtraient moins bien.
Le service des prestataires, notamment de ceux qui interviennent en arrêt de tranche, est assez différent. Par nature, ils interviennent sur différents sites, la durée d'un arrêt de tranche pouvant s'étendre entre trois semaines et trois mois. Le prestataire peut travailler à Flamanville alors que son médecin du travail a son cabinet au siège de l'entreprise, à proximité de Lyon. Par nature, le rapport n'est pas le même et le service différent. S'ajoute une difficulté d'ordre pratique : le salarié qui travaille à Flamanville traversera la France pour rencontrer son médecin, ce qui pose le problème de l'exposition aux risques routiers.
Par ailleurs, les médecins du travail interentreprise n'ont pas sous leur responsabilité le même nombre de salariés. Un médecin du travail en service interentreprises ne surveille pas 800 mais 2 000, 3 000, voire 4 000 salariés. Leur travail est donc bien plus lourd. Parallèlement, on connaît une pénurie de médecins du travail. C'est ainsi que la législation a changé pour que les visites médicales puissent être réalisées, en partie, par d'autres personnels de santé qui ne sont pas obligatoirement des médecins du travail.
À EDF, nous avons, pour l'instant, cette chance que les postes de médecins du travail sont occupés dans leur quasi-totalité. Cela dit, la tâche est un peu plus dure pour d'autres services de médecine du travail.
Dans la mesure où vous parliez de sous-traitance, je vous propose d'associer aux questions posées la question n° 8, qui est centrale : « la sous-traitance aggrave-t-elle les risques ? ».
Pour éviter toute vision erronée de la sous-traitance, il convient de distinguer un fournisseur d'un prestataire et d'un sous-traitant. Certains appareils sont conçus par des fournisseurs, lesquels sont bien plus qualifiés pour les entretenir que l'opérateur, le donneur d'ordre et l'exploitant. De tout temps, certaines activités sont nécessairement sous-traitées, parce que la compétence se situe au niveau du concepteur de l'outil ou de l'appareil. Le nucléaire n'échappe pas à cette règle qui concerne d'autres secteurs.
Nous sommes contre la sous-traitance d'activités et d'INB en ce qu'elle provoque une dilution des responsabilités du donneur d'ordre, extrêmement défavorable à la sûreté nucléaire. Il en va différemment de l'intervention des prestataires.
Les salariés des prestataires que vous avez auditionnés ont eu raison de dénoncer leurs conditions sociales qui sont parfois très défavorables. Dans la mesure où un fournisseur qui a un savoir-faire particulier peut le valoriser, il est en position de force vis-à-vis du donneur d'ordre afin d'obtenir un contrat qui rémunère de façon satisfaisante l'activité. A contrario, les tâches de servitude, habituelles dans les centrales et les INB, sont malheureusement moins valorisables. Les conditions sociales sont plus dures et les salariés le vivent très mal.
Lorsqu'un ensemble d'activités est homogène, la convention collective qui s'applique devrait être commune. Les salariés en charge d'une activité comme l'assainissement peuvent relever de plusieurs conventions : de la convention collective du BTP, de la propreté, de la métallurgie ou encore de la convention collective Syntec. Le problème réside dans la distorsion que dénonce la CFDT : faire jouer les conventions collectives pour mettre les salariés en concurrence est une procédure que les syndicalistes considèrent comme déloyale. Aussi jugeons-nous nécessaire d'avoir un groupe homogène par activité. Au moment des passations de contrat, cela évite de faire jouer les différences de contraintes sociales en tant qu'élément de performance économique. Il faut valoriser le savoir-faire des salariés. C'est ainsi que, pour une activité sensible comme le nucléaire, il convient de valoriser les hommes et les femmes qui y travaillent. Si les entreprises font du dumping social pour être les moins-disantes, cela engendre une tension sur les moyens à apporter au contrat avec, pour résultat, un affaiblissement en profondeur de l'activité, puisque la sûreté repose sur un socle durable, pérenne et viable – autrement dit, l'effort de sûreté doit être permanent. En revanche, diminuer l'effort de sûreté d'un acteur engendre la diminution de la protection en profondeur. L'impact ne sera pas immédiat mais se ressentira dans le temps. Par exemple, faute d'entretien, un réseau connaîtra des problèmes dans vingt ans. Nous n'en sommes pas là dans le secteur du nucléaire, mais on finira par altérer la sûreté si, par le biais de la sous-traitance et des prestations, on néglige les hommes et les femmes, et donc l'outil.
À votre question, nous répondons donc que le transfert total des activités altère la sécurité. Celui qui fabrique les générateurs de vapeur et qui les pose dans les centrales nucléaires peut-il créer un problème de sûreté ? N'est-ce pas lui qui les fabrique ? Il est au moins aussi qualifié que celui qui les met en oeuvre. Il convient de prendre garde à ne pas tout généraliser.
J'en viens aux questions de suivi. Les sous-traitants sont suivis par le service « santé autonome » de l'entreprise donneur d'ordre. Avec la réforme de la santé au travail, les visites médicales des préposés du donneur d'ordre sont désormais plus longues. Une mise à niveau est intervenue. La remarque faite par les sous-traitants est erronée en ce sens que ce qui était vrai hier ne l'est plus aujourd'hui. Au surplus, un contrôle renforcé s'applique aux salariés qui sont affectés aux travaux dangereux et à des conditions de travail particulières mais la distinction se situe entre salariés directement affectés et salariés non affectés. La distinction ne porte pas uniquement sur le suivi des salariés des sous-traitants donneur d'ordre. Pour simplifier, la réforme relative à la surveillance des salariés s'est effectuée plutôt dans le mauvais sens et ne constitue pas un progrès.
S'agissant du travail dissimulé, Mme Pompili a fait référence à ce que nous avons appelé « l'affaire Atlanco » sur le chantier de Flamanville : un véritable scandale, mettant à jour des manoeuvres de Bouygues dont le traitement social s'est révélé lamentable, s'agissant de salariés polonais qui, quasi clandestinement, un dimanche matin, ont été évacués par bus de la cité HLM où ils étaient logés.
Il ne s'agissait pas d'une INB, nous étions dans la phase chantier de génie civil. La CGT a porté l'affaire au tribunal, sans grand effet sur Bouygues, car le montant de l'amende ne changera sans doute pas grand-chose à ses méthodes. La présence syndicale a été fondamentale puisque nous avons pu dénoncer les méthodes de Bouygues sur le chantier. Cela a pris beaucoup de temps d'autant qu'il a fallu surmonter la barrière de la langue et que les personnes concernées ont dû prendre sur elles et faire preuve de courage pour dénoncer la situation.
Vous avez raison : Chypre, Dublin... À l'arrivée, des contrats de travail illisibles et surtout une protection sociale non garantie puisque des cotisations ont été prélevées alors que les salariés n'avaient aucune protection sur le sol français. Un dossier infernal ! Nous demandons qu'une telle situation ne soit plus rendue possible mais nous ne cachons pas nos craintes.
Comment la convention collective pourrait-elle répondre aux garanties sociales de ce que vous appelez, avec raison, une sous-traitance de masse ? Le phénomène de sous-traitance existe dans d'autres secteurs et à cet égard la convention se pose d'une façon générale. Hélas ! le législateur a permis au patronat de faire ce qu'il veut, c'est-à-dire qu'une entreprise peut relever de la convention collective des bureaux d'études alors que leurs salariés travaillent au coeur des centrales nucléaires, dans les bâtiments des réacteurs nucléaires. La convention dite Syntec a, en quelque sorte, « cancérisé » les conventions collectives de la métallurgie dans le secteur du nucléaire, engendrant, depuis environ quinze ans, un abaissement des garanties sociales des salariés. Mais tout cela est absolument légal ! Nous trouvons, quant à nous, cela tout à fait amoral.
Il y a deux façons de voir les choses.
Soit travailler à une vraie convention collective, sujet que nous avons déjà abordé dans cette salle il y a deux ou trois ans dans le cadre de la commission, dont Denis Baupin était rapporteur. La CGT avait présenté un certain nombre de projets constituant une base de convention collective.
Soit contraindre les employeurs de ce secteur à faire en sorte que les salariés de telle branche professionnelle dont c'est le coeur de métier et qui, pour certains d'entre eux, passent toute leur carrière dans la même activité, bénéficient de garanties liées au secteur d'activité. On pourrait d'ailleurs déterminer qu'à partir du moment où ces salariés travaillent dans la même activité plus de la moitié de leur carrière, ils bénéficient des garanties liées au secteur d'activité.
Il existe deux possibilités d'ouvrir le chantier, mais ce qui est certain, c'est qu'il faut absolument l'ouvrir !
M. Wulfranc s'est exprimé au nom du parti communiste. Je le relève puisqu'il nous a dit de quel club il faisait partie ! Merci.
La disparition du CHSCT pose la question de la représentation des salariés prestataires qui ne sera plus assurée. Elle nous renvoie à la négociation d'entreprise, bien plus compliquée qu'avant, vous l'aurez compris.
Jusqu'à présent, la loi sur la transparence de la sûreté nucléaire offrait des moyens supplémentaires aux CHSCT des INB. Dans les entreprises concernées, nous avions négocié des temps et des sièges supplémentaires pour analyser annuellement l'ensemble des éléments de la sûreté nucléaire. La loi TSN n'est pas remise en cause, mais dans la mesure où les CHSCT disparaissent, leurs prérogatives accordées par la loi TSN dans les INB s'envolent de fait ! Nous ne savons pas aujourd'hui quelles prérogatives nous pourrons obtenir puisque tout est renvoyé à la négociation d'entreprise.
Un mot rapide sur la médecine du travail. Le nucléaire n'est pas une réserve d'Indiens ! Les nouvelles mesures législatives en faveur d'une meilleure médecine du travail sont déclinées chez nous. Le vrai problème réside dans le manque de médecins du travail, dont souffrent certains sites, mais cette difficulté dépasse le seul cadre du secteur nucléaire.
Il nous a été indiqué qu'au cours de l'accident de Fukushima, les personnels des sous-traitants avaient fait jouer leur droit de retrait et n'avaient donc pas contribué au maintien en sécurité du réacteur. Tout aussi bien que moi, vous savez qu'une partie non négligeable des personnels dans les centrales nucléaires est composée de salariés des entreprises sous-traitantes. Pensez-vous nécessaire de les inclure aux exercices relevant du plan d'urgence interne (PUI) ainsi qu'ils le réclament ?
Il nous a également été indiqué que les travailleurs sous-traitants étaient dans l'impossibilité de déclarer une contamination interne en accident du travail. Est-ce également le cas à EDF ?
Au-delà des sujets de la sous-traitance, se pose plus largement la question des ressources humaines et des compétences dans le secteur nucléaire. Vous l'avez dit, l'État stratège doit définir clairement ses intentions en matière nucléaire. Que la France décide ou non d'une production de 50 % de nucléaire à l'avenir, il convient, de toute façon, de prendre en compte la gestion des démantèlements.
En tant qu'organisations syndicales, participez-vous à l'évaluation des compétences qui seront requises pour gérer les problèmes de sûreté – l'ASN a demandé des travaux supplémentaires, notamment pour sécuriser le coeur du réacteur –, pour prolonger les centrales comme pour les démanteler ? Participez-vous à la réflexion ? Je vous interroge car, au fil des auditions, nous nous sommes rendu compte que se posait une difficulté de renouvellement des compétences liée au manque d'attrait pour les études qui mènent à la filière nucléaire ? Au-delà de votre fonctionnement quotidien, de quelle manière participez-vous à cette anticipation ?
Pour compléter la question de Perrine Goulet sur les PUI, j'ajoute que FO a répondu, s'agissant des dispositifs de sûreté post-Fukushima, que restaient en suspens les questions d'évacuation des personnels non indispensables en cas d'accident, d'alerte et d'information des populations.
Vous rapportez qu'en 2013, un épisode de blizzard à La Hague a révélé des problèmes d'impréparation et la prise de mauvaises décisions. Cela fait partie des exemples concrets et éclairants.
J'ai eu des retours de terrain, notamment de sous-traitants, qui m'ont expliqué que, dans le cadre de leurs interventions, ils trouvent parfois ce qu'on appelle des points chauds, et qu'on leur demande de les laisser de côté en attendant de pouvoir les traiter. Cela pose à nouveau la question de la culture du secret. À votre connaissance, ces informations sont-elles réelles et concrètes ?
Je ne suis pas employé à l'établissement de La Hague, mais j'ai été informé de cet incident. Suite à un épisode neigeux, l'évacuation a été difficile, le personnel s'est retrouvé coincé parce que la situation n'avait pas été anticipée. Nous avons repris cet incident, destiné à illustrer la problématique de l'anticipation de l'évacuation d'un site un jour d'intempérie. Alors que la météo avait annoncé la neige, l'entreprise n'a pas décidé d'alléger le dispositif en conservant uniquement les personnels indispensables au fonctionnement des ateliers. Il ne s'agit pas d'un épisode majeur, mais il illustre la difficulté qui s'attache à l'évacuation d'un site et à l'anticipation de la décision relative aux personnels jugés indispensables lors d'une telle journée.
Je reviens d'un mot sur un autre sujet. Nous sommes demandeurs d'une convention collective du nucléaire depuis 1976, à peu près. Selon nous, la qualité du travail est liée aux conditions de travail. Une convention collective commune est l'un des aspects susceptibles d'améliorer la sûreté et la sécurité. Il convient de conserver à l'idée l'esprit que les conditions de travail sont un facteur déterminant de la qualité de travail en termes de sûreté-sécurité.
Sur les points chauds, aucun exemple de secret ne m'a été remonté ; il faut parfois se méfier de ce qui se dit.
Un collègue fait partie du groupe Orano. L'activité de sa société, qui est sous-traitante, porte plutôt sur l'assainissement dans les centres d'EDF ou du CEA. Nos visions se rejoignent, il n'y a pas d'antagonisme. Il convient, je pense, de distinguer la sous-traitance interne. Il existe en effet une différence entre une société filiale d'Orano et le sous-traitant d'une entreprise dont le nucléaire n'est pas l'activité première. Les employés des sociétés filiales sous-traitantes d'Orano sont suivis sur le plan médical au même titre que les salariés d'Orano.
Ce n'est pas tant le fait de la sous-traitance qui m'interpelle, mais le fait d'expliquer à la personne qui découvre des points chauds non répertoriés que l'on va mettre tout cela sous le tapis en attendant de s'en occuper.
J'interviendrai sur la question des compétences. Parmi les représentants des organisations syndicales, nous sommes trois à siéger au comité stratégique de la filière nucléaire. Depuis plusieurs années que le CSFN existe, le sujet des compétences est débattu dans le cadre du paritarisme – organisations syndicales et organisations d'employeurs de l'ensemble de la filière.
Que ce soit pour réussir la prolongation de tout ou partie du parc sur une durée plus ou moins longue, que ce soit pour démanteler – quel que soit le choix du PPE, il faudra démanteler un jour – et quels que soient les choix du nouveau nucléaire français, la filière doit disposer des compétences nécessaires demain et après-demain.
Au-delà des travaux que nous menons dans le cadre du dialogue social au sein du CSFN, il convient que la filière attire des jeunes. Les compétences de demain seront celles qui auront été transmises par ceux qui, aujourd'hui, connaissent les métiers, mais il faut attirer les bons, que ce soit des ingénieurs, des agents de maîtrise, des agents d'exécution sur des compétences plus ou moins pointues. Ces compétences ne seront au rendez-vous que si les gens sont convaincus que le nucléaire n'est pas mort. La question de la visibilité porte sur la filière et sur l'avenir de la filière ; elle est essentielle pour l'attractivité afin d'être assuré de disposer des compétences nécessaires à l'avenir pour relever les défis industriels de l'ensemble des composantes de la filière nucléaire française.
Nous sommes en train de décrire les conséquences du dumping social qui engendrent les conditions de la précarité des salariés intérimaires comme des salariés détachés, le comble de la précarité ! Et qui dit précarité dit droit d'expression des salariés amoindri et moins de droits d'intervention pour faire évoluer leurs conditions de travail. On ne peut se soucier uniquement des conséquences, il faut s'attaquer en profondeur aux causes.
Une fois dit cela, je reviens sur la question des compétences, le socle sur lequel s'appuyer pour exploiter en toute sûreté nos outils de travail. Nous avons la possibilité de nous engager sur des accords de programmes de compétence et d'en refuser certains. Je pense notamment au plan de départs volontaires qui a sévi chez Areva, devenue Orano, comme chez Framatome, et dont nous avons constaté les conséquences désastreuses. Le plan est engagé depuis plusieurs mois. Il est nécessaire tout à la fois de réformer les organigrammes et d'imaginer des fonctions coeur de métier qui ont été supprimées. Tout cela est bien compliqué quand ceux qui sont partis ne sont plus là pour transmettre leurs savoirs. Au cours des périodes récentes, des effets balanciers chez EDF se sont révélés désastreux. Je ne reviendrai pas sur la dernière décennie et les plans de performance.
Les compétences nécessitent de la constance, car il convient de les transmettre et donc d'anticiper. Sur le parc, je connaissais les bâtisseurs des centrales nucléaires. Il faut qu'ils transmettent leurs compétences spécifiques. Dans le nucléaire, quel que soit le métier – soudeur, robinetier… –, les compétences professionnelles se conjuguent à la spécificité du nucléaire qui requiert d'appréhender l'environnement de travail, l'installation, les processus qualité. C'est en ce sens qu'il faut oeuvrer et que l'État doit prendre ses responsabilités, tout autant s'agissant des formations initiales que sur cette vision à moyen et long termes des compétences indispensables.
Qu'ils travaillent directement pour les donneurs d'ordre ou pour les entreprises sous-traitantes, les salariés s'entendent bien. Ce sont les circonstances, la pression accrue sur leurs conditions d'intervention qui engendrent des tensions susceptibles de dégrader les relations. Cela renvoie à la façon dont on écoute les salariés, à la manière de prendre en compte leurs conditions d'intervention, aussi bien en termes de délais que de moyens accordés. Ne serait-ce qu'obtenir une simple pièce de rechange devient extrêmement difficile et se consacrer à son coeur de métier réclame des efforts et une attention de tous les instants. Ces qualités font partie de la spécificité, non pas uniquement du secteur du nucléaire, mais du monde industriel en général.
Aux questions précises posées nous avancerons quatre réponses précises :
Sur les PUI et le droit de retrait, nous avons apporté une réponse détaillée à la question n° 9. Pour nous, l'organisation du PUI doit relever de la prérogative de l'exploitant. L'exploitant organise un PUI, procède à des exercices préventifs. En revanche, la gestion globale d'un accident majeur engage des services de plus haut niveau, dont ceux de l'État. Les salariés ont un droit de retrait ; néanmoins, la préfecture dispose d'un pouvoir de réquisition pour une approche proportionnée au problème.
Nous pointons la création de la FARN, qui a vu le jour après l'accident de Fukushima. Elle est en capacité d'intervenir en vingt-quatre heures pour appuyer un site en ressources humaines formées en permanence. Pour la moitié de leur activité, ces personnes sont en exercices permanents. Sur les installations techniques, des prises d'eau dites « FARN » ont été installées auxquels les moyens déployés par la FARN se connectent.
Nous avons apporté une réponse détaillée à la question n° 24 : une contamination interne n'est déclarée en tant qu'accident du travail qu'à la condition que l'ATP terminal, c'est-à-dire la mesure après décontamination le jour de la détection, reste supérieur au seuil d'enregistrement dosimétrique de 0,5 millisievert. En deçà, le dosage est inscrit au registre des accidents bénins. Il n'en reste pas moins que la CFDT revendique un enregistrement et une traçabilité des seuils inférieurs à 0,5 millisievert, car une légère contamination interne n'est précisément pas un fait bénin. L'enregistrement permet de participer à la cartographie des points chauds. C'est un indicateur important de la propreté radiologique. Il me permet de basculer sur la question des points chauds.
Nous sommes très étonnés qu'un point chaud soit occulté. Des points chauds sont découverts. Tout l'intérêt de la démarche consiste précisément à actualiser une cartographie des points chauds, mais il est vrai que tous les points chauds ne peuvent pas être traités en temps réel, dans l'heure ou la journée qui suivent leur découverte.
Nous considérons que votre remarque est problématique. Si elle est récurrente et illustrée, il faudra considérer qu'il s'agit d'un problème sérieux. Lorsqu'un salarié du donneur d'ordre ou d'un sous-traitant enregistre une exposition anormale en sortant de zones contrôlées, son parcours de travail est retracé et une enquête est ouverte. Il paraît inconcevable qu'un point chaud soit occulté volontairement. Cela questionnerait la culture sûreté globale si précieuse en termes de défense en profondeur !
Nos collègues se sont largement exprimés sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). La CFDT résume la question de façon lapidaire : pour avoir une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, il faut qu'une filière soit attractive. Imaginez qu'un jeune soit intéressé par un diplôme universitaire de technologie « métiers du nucléaire » et qu'à chaque fois que ses parents ouvrent un journal, ils lisent que le nucléaire est la catastrophe annoncée dans six mois, que tout va fermer. Nous aurions de gros problèmes dans ce pays ! Nous ne disposons que de peu d'années pour garantir le tuilage entre ceux qui ont vécu l'épopée de la construction d'un parc et ceux qui vont le conduire dans la durée. Quand bien même ne retiendrait-on qu'une production de 50 % d'énergie nucléaire à une échéance à définir, le nucléaire s'inscrira encore pour longtemps dans le paysage. Vous avez raison, il faudra des compétences de tous niveaux : des bacs professionnels, des diplômes universitaires de technologie, des diplômes issus de formations en alternance. Nous croyons beaucoup à l'alternance.
Mener la concertation sociale – je ne dis pas la négociation – autour de la fermeture de Fessenheim n'est pas chose aisée car il s'agit de s'impliquer syndicalement dans un dossier de fermeture dont les motivations ne nous semblent pas convaincantes. Néanmoins, dans la mesure où la fermeture est désormais actée, répondant à notre travail syndical, nous l'accompagnons. Au-delà de Fessenheim, des tranches devront peut-être être fermées avant leur durée de vie technique optimale pour lisser le chantier de fermeture. Nous acceptons de parler de fermeture. Mais les syndicats exigent en contrepartie que la question du nucléaire neuf français ne soit pas taboue. Nous ne demandons pas que soit annoncée la reconstruction d'un parc de dizaines de tranches. La sensibilité autour du nucléaire neuf est telle qu'annoncer une tranche à moyen terme plomberait la GPEC. Une filière qui ne construit pas de neuf, c'est le village d'Astérix ! Il faut donc que le débat sur la GPEC soit exempt de tabous.
Revenons au coeur de notre sujet, au coeur du réacteur de notre commission que sont la sûreté et la sécurité.
Il me semble que le sujet qui vient d'être évoqué sur les compétences se plaçait au coeur du sujet de la sûreté.
Cela peut l'être. En l'occurrence, M. Rodet a évoqué l'attractivité de la filière et la nécessité d'avoir des personnels compétents. L'absence de personnel compétent pose la question de la sûreté et de la sécurité.
Il est interdit qu'un intérimaire sur une installation entre « en chaud ». On peut donc exclure le fait qu'un intérimaire soit touché par la radioactivité.
Vous avez posé une question intéressante sur la sous-traitance. Il arrive que des salariés se déplacent de site en site avant de retourner dans leur établissement. Il serait une bonne chose qu'un passeport faisant état des doses accumulées les suive. Tout incident est rapidement répertorié. Mais la contamination peut être la conséquence d'une accumulation le long d'une vie. Le suivi dans l'entreprise par un passeport donnerait la possibilité au salarié de traduire la contamination en accident de travail.
Vous avez parlé de points chauds et posé de bonnes questions. Mais tout cela est très compliqué. Avant de vous répondre, je préciserai un point : quand un salarié d'une entreprise sous-traitante a été contaminé, il est licencié, puisqu'il ne peut pas être « mis au vert » contrairement aux salariés qui peuvent travailler dans leurs bureaux, le temps d'absorber la dose avant de retourner « en chaud ».
Le problème est là. Dès lors qu'un salarié sous-traitant est contaminé, on le sort du système. Le cahier des charges et le marché étant dédiés à ce travail-là, on est obligé de s'en défaire. La question est à double tranchant. Comment un entrepreneur peut-il décider d'exploiter la dosimétrique qui, certes est fiable, mais qui engendre des conséquences financières pour lui et des conséquences graves pour son personnel ?
Or le statut du travailleur doit être respecté. Tous ces salariés qui travaillent dans nos entreprises nucléaires ne doivent pas craindre d'être licenciés. À partir du moment où ils ingèrent des doses, il faut trouver le moyen de les garder. Il convient pour le moins de rassurer l'entreprise et surtout de ne pas minorer les doses – car nous pourrions également évoquer l'exploitation des dosimètres !
S'agissant des points chauds, reconnaissons que nous avons la culture du secret. La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite « loi TSN », s'applique, mais une entreprise comme le CEA ou des entreprises très anciennes ont un lourd passif. Parce que nous avons quatre ministères de tutelle, notre plan à moyen et long terme (PMLT) n'a pas été signé depuis des années. Lorsque Ségolène Royal l'a signé, nous étions satisfaits, mais les autres ministres ne le signant pas, nous nous retrouvons constamment dans l'expectative. La lisibilité de nos chantiers et de nos actions est toujours arrêtée par l'État. Le dernier Premier ministre à avoir signé le PMLT est M. Laurent Fabius. Voilà donc un petit moment qu'il n'a pas été revu ! Nous gardons donc sous le coude tous les points chauds. Il faut avoir en mémoire que ces anciennes entreprises ont vécu une vie et pris des habitudes à une époque qui court de 1958 à 1990, où l'ASN n'existait pas.
Aujourd'hui, comment vous dire ? Des choses se passent...
Quand le salarié d'une entreprise relève un point chaud, comment voulez-vous qu'il aille voir le donneur d'ordre pour lui demander d'assainir ?
Je ne peux tout vous expliquer, d'autant que je suis filmé. Les sommes d'argent en jeu sont considérables, le nucléaire se décline en millions d'euros, en milliards d'euros. Dès que soulevez la question des points chauds, rendez-vous compte de l'impact financier ! Je vous donne une piste : de 1959 à 1993, on ignorait les problèmes qui s'attachaient au plutonium. Il y a de cela soixante ans, on creusait des tranchées avec un petit tractopelle. Aujourd'hui, quand on découvre des points chauds, on demande à des entreprises d'ouvrir un chantier dans le cadre duquel elles sont exposées. C'est un coup de poker : elles creusent à 8 mètres de profondeur sans savoir ce qu'elles vont trouver. On envoie les sous-traitants qui ingèrent des doses ; ensuite, on ne les revoit plus. Comment voulez-vous que des personnes affirment qu'il y a un point chaud et demandent d'y remédier.
Actuellement, comment procède-t-on ? On met tout sous cocon et on attend. Vous avez posé de bonnes questions et je suis content de vous répondre.
Vous avez tous souligné des inquiétudes, une précarisation, une financiarisation, autrement dit une forme de mal-être.
Nous avons été confrontés à la question sur le cas Germanwings. Nous avons interrogé les différents dirigeants sur leur façon d'anticiper ou de gérer un salarié lambda qui se retrouve en burn-out ou encore une personne qui se radicalise. Il nous a été répondu que les gens travaillent par équipe, de deux personnes minimum, et qu'elles « se surveillent », ce mode de fonctionnement étant l'un des principaux outils de prévention et de détection des problèmes. Un tel système fonctionne-t-il partout ? Est-il performant ? Faudrait-il l'améliorer ?
M. Rodet a évoqué la FARN. Des exercices ont été déployés depuis plus d'un an. Quelles critiques, négatives ou constructives, portez-vous sur ce dispositif ?
Avant de répondre à votre question, je souhaite relever des éléments encourageants qui vont dans le sens de la sûreté. Au cours des dix dernières années, la direction du parc nucléaire d'EDF a remplacé la moitié des salariés. Dix mille nouvelles personnes ont été embauchées sur 23 000. Les chiffres montrent que le nombre d'arrêts automatiques réacteurs – l'indicateur par excellence de l'évolution de la sûreté – a été divisé par deux. Nous n'en avons jamais enregistré aussi peu que l'an dernier. Cela atteste du renouvellement des compétences. Pour autant, il convient de rester attractifs pour les prochaines embauches et que les personnes qui ont été recrutées aient envie de rester.
Par ailleurs, les accidents de sécurité « classiques » sont en diminution constante depuis dix ans, aussi bien chez les prestataires que chez les salariés d'EDF ; les niveaux sont de plus en plus bas.
Pour ce qui est de la radioprotection, globalement, les gens sont de moins en moins exposés. La dosimétrie moyenne ne fait que baisser.
Ensuite, les nouvelles technologies de l'information permettent de standardiser les méthodes de travail. Aujourd'hui, nous oeuvrons pour que l'accueil des prestataires, les méthodes de consignation et le passage au bureau de consignation soient exactement les mêmes, quels que soient les sites nucléaires. La standardisation de nos méthodes de travail va croissant, ce qui représente un grain de confort pour les intervenants.
Vous avez évoqué deux situations. Je ne connais pas le dossier Germanwings en détail, mais une fois qu'il a décroché les sécurités, un pilote est seul maître à bord de son appareil, ce qui n'est pas le cas dans une centrale nucléaire. Si j'ai bon souvenir, on a relevé un certain nombre d'alertes dans la vie de cette personne et le fait que des débriefings de situations précédentes n'avaient pas été correctement réalisés. À EDF, la détection des collègues en souffrance comme le débriefing font partie intégrante de notre vie quotidienne de travail.
Plusieurs possibilités s'offrent à un collègue en souffrance : il peut s'exprimer auprès de ses collègues proches, du management, des syndicalistes ou de son médecin du travail. Certaines centrales nucléaires ont développé des groupes de confiance, d'autres encore entretiennent des groupes multidisciplinaires.
De notre point de vue syndical, les groupes multidisciplinaires ne sont pas à la hauteur dans les centrales nucléaires françaises. Nous faisons pression pour que la situation s'améliore. Le 28 avril dernier, le comité exécutif a décidé de demander aux centrales nucléaires d'améliorer la prise en compte des risques psychosociaux. Lors du prochain renouvellement des habilitations pour la sécurité classique qui ont lieu tous les trois ans, cela se traduira par l'obligation d'aborder le thème des risques psychosociaux. Au surplus, dans la formation des managers, sera intégré un module de gestion des risques psychosociaux. Ce sont là des thèmes sur lesquels nous progressons.
De mon point de vue, une personne isolée sur une centrale nucléaire a moins de pouvoir de nuisance qu'un pilote sur un avion de la Germanwings.
Non, on ne peut dire « tout va bien ». Peut-être un collègue qui voudrait avoir une action malveillante arrêterait-il la production de la tranche, mais de multiples protections automatiques et de systèmes de sauvegarde se mettraient en route et je vois mal comment une personne seule pourrait inhiber l'ensemble des protections et des systèmes de sauvegarde. Je ne conçois pas que ce soit possible.
Il y a plusieurs façons de concevoir la surveillance. À la CGT, nous ne sommes pas favorables au flicage entre collègues. Depuis plus de dix ans, par la voie des CHSCT et la médecine du travail, nous avons reçu des formations ou des informations sur les troubles du comportement, et ce avant que l'on soit confronté à des phénomènes de radicalisation dans le milieu du travail.
Nous avons une culture du travail en équipe, qui est d'autant plus forte chez ceux qui travaillent en 3 x 8, car les membres des équipes ne se quittent pas durant des années. Cependant, comme partout, il arrive que l'un de nos collègues n'aille pas bien. Mais aucun tabou ne l'empêche de se rendre au service médical lorsque cela se produit, car cela se produit régulièrement, ou d'être accompagné par l'un de ses collègues. Les choses se déroulent de manière courtoise et sans pointer du doigt qui que ce soit.
Vous faites référence à des possibilités de radicalisation.
Un sabotage s'est produit dans une centrale belge il n'y a pas très longtemps qui a provoqué un arrêt de la centrale pendant plus de six mois, sans que les autorités en aient retrouvé l'auteur. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons négliger cette question.
Un arrêt de production ne signifie pas la présence d'un problème de sûreté pour les populations alentour.
Nous parlons des salariés. Bien sûr, nous sommes suivis, nous passons en commission RPS. Pour revenir à la sous-traitance, les nouvelles personnes font l'objet d'enquêtes plus ou moins longues. Les plus longues sont celles concernant les INB. Pour le nucléaire civil, elles peuvent atteindre deux ou trois mois.
Sous la direction d'Henri Proglio, EDF sous-traitait. Elle fait marche arrière et recourt davantage au travail direct. Mais dans certaines institutions nucléaires, la sous-traitance est importante et parfois les salariés des sous-traitants gèrent l'INB. Il est très compliqué pour un chef d'installation de coordonner plusieurs entreprises alors même qu'il n'est pas donneur d'ordre, de transmettre la culture de sécurité et de savoir ce qu'il s'y passe. La radicalisation a été évoquée. Le CEA étant un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), nous nous sommes posé la question du port du voile. De par la loi, le port du voile est interdit dans les INB. Il n'en reste pas moins que des femmes le portent, ce qui est vraiment ennuyeux. Ces personnes entrent « en chaud » voilées. Pour tout dire, la sécurité est plus ou moins suivie.
Les salariés du donneur d'ordres sont surveillés, entourés et suivis ; mais la sous-traitance occupe une place de plus en plus large dans l'industrie nucléaire. Vous avez évoqué l'affaire Bouygues impliquant des Polonais. L'exploitation du réacteur Jules Horowitz a conduit à embaucher massivement des salariés portugais intérimaires. Suite à un arrêt de tranche, ils se sont retrouvés sans travail. Que ce soit les Portugais ou les Polonais, il est difficile aujourd'hui de gérer la sous-traitance dans le nucléaire, notamment en raison de la langue. Peut-être EDF n'emploie-t-elle plus de sous-traitants, mais quand une INB n'est gérée que par des salariés de sous-traitants, nous nous demandons si nous sommes vraiment garants de la sûreté et de la sécurité de toutes ces personnes, dans la mesure où parfois, au bout de trois ans, parfois moins, on change de salariés. Dans ces circonstances, savons-nous gérer la sécurité ? Je pose la question.
En l'occurrence, nous vous auditionnons pour apporter des réponses, et les questions, c'est nous qui les posons. Mais c'est habile !
Nous arrivons au terme de l'entretien. J'ai bien compris qu'une question vous donnait l'opportunité d'élargir à des sujets que vous n'auriez pas traités. Faites-le, mais je vous propose de considérer que vos dernières prises de parole seront vos conclusions.
Je poserai une question simple : est-il compliqué aujourd'hui d'entrer sur un site nucléaire de base sans autorisation ? Ne me répondez pas qu'il est difficile d'accéder au réacteur ou aux piscines.
Depuis l'instauration du plan Vigipirate en 1995, les conditions d'accès des installations nucléaires de base que nous connaissons ont été considérablement durcies. Certains sites recourent même à l'usage des rayons X. On n'introduit ni téléphone ni clé USB. Les salariés ressentent le contexte sécuritaire, qui peut être pesant. Si certains disent qu'il est facile d'entrer sur une INB, les salariés ne le pensent pas. Avant, on entrait en voiture ; désormais, nous empruntons des bus, on perd un quart d'heure à faire en bus le tour d'un site de 300 hectares. Des contrôles biométriques sont effectués avant d'accéder sur les lieux contenant de la matière qui comprennent, en outre, des zones protégées.
Peut-on aller plus loin ? Il faudrait que les mesures de sécurité soient proportionnées car on ne peut trop contraindre la liberté des salariés sans que, tôt ou tard, ils finissent par en souffrir. Pour l'heure, les personnels sont loyaux. Ils ont besoin d'être valorisés et de conserver le sens de leur travail. Une pression sur les coûts et les effectifs pose la question de la gestion prévisionnelle des emplois. Pour gagner en visibilité sur leur emploi et pour sécuriser les compétences, il faut être attentif aux salariés des sous-traitants dont la vision sur l'emploi s'arrête avec la fin du contrat de sous-traitance. Inversement, au terme d'un contrat de trois ans, le donneur d'ordre peut être privé des compétences des entreprises sous-traitantes. Si les salariés ne sont pas transférés et si l'entreprise qui reprend l'activité ne conserve pas les compétences, celles-ci peuvent être perdues, alors qu'elles sont parfois stratégiques. Il convient de ne pas écarter ces questions, qui sont en lien avec la sûreté.
Bien entendu, le transfert réclame une gestion prévisionnelle des emplois et des carrières (GPEC). Dans nos préconisations, nous demandons une GPEC de filière, qui peut être une filière de bassin englobant les donneurs d'ordre comme les sous-traitants. On ne peut plus conserver de frontières et élaborer une GPEC pour les seuls salariés des donneurs d'ordre.
On ne peut pas dire que la radicalisation ne relève pas de notre compétence. Nous sommes attentifs à notre camarade le plus proche, car notre sécurité personnelle dépend de lui. Toutefois, sauf cas évidents, on ne peut pas détecter toutes les radicalisations, ce repérage relevant du travail des officiers de sécurité. Nous touchons là les limites de nos interventions.
Nous sommes favorables au renforcement du dialogue social, ce qui impose de revoir les questions liées au CHSCT, ce qui est compliqué dans le cadre des ordonnances. Nous sommes favorables à l'amélioration de la gouvernance en ouvrant les conseils d'administration aux représentants des salariés ainsi que cela se pratique dans les Epic, mais non chez les sous-traitants. Enfin, il convient d'avoir une approche rationnelle de la future programmation pluriannuelle de l'énergie et de la place du nucléaire. Telles sont les préconisations de la CFDT.
Comment se déroule concrètement l'intrusion d'une organisation activiste qui souhaite faire du buzz médiatique et prétend démontrer la facilité d'accès à une centrale nucléaire ? La question nous interpelle fortement, en tant qu'organisation syndicale qui veille à ne jamais exposer ses militants à un danger. Cette organisation alerte quelques minutes ou quelques dizaines minutes avant l'action, en considérant que cette alerte préalable vaut un droit dérogatoire à ne pas subir les mesures de rétorsion qui s'appliquent en cas d'intrusion sur un site nucléaire. Le format médiatique est prélivré. Pour nous, tout cela relève d'un cirque qui frise l'indécence face au sérieux et au professionnalisme de dizaines de milliers de salariés qui travaillent au quotidien sur les sites.
Que la justice s'applique ! Dans le contexte qui est celui de notre pays, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. D'autant que les personnes concernées sont fermées intellectuellement ; elles refusent tout, ne serait-ce qu'une simple discussion.
Vous avez rédigé une réponse écrite qui sera utilisée comme il se doit. Sur ce sujet précis, nous nous sommes entretenus avec les gendarmes, les forces spéciales et, évidemment, les personnes qui ont pris la responsabilité de cette intrusion. Nous disposons des horaires, des enregistrements, et nous pouvons affirmer, avec différentes autorités qui ont une autre légitimité, que le groupe qui s'est introduit sur le site n'avait prévenu personne avant l'intrusion. Mais c'est presque accessoire, l'essentiel est de retenir que vous condamnez fermement de telles pratiques.
Oui, il est compliqué de pénétrer sur une centrale nucléaire sans y être autorisé. Les intrusions mettent en danger ceux qui pénètrent et ceux qui assurent les fonctions de sécurité. Bien évidemment, nous condamnons ces intrusions. Par ailleurs, relevons que se posent des problèmes de moyens pour les personnels qui assurent ces fonctions de sécurité. Dans la dernière période, la CGT a porté seule la revendication du gréement et du renforcement des équipes de protection du site face à la charge de travail qui nous est demandée continuellement pour répondre à ces exigences sécuritaires.
Des exercices de la FARN ont lieu sur différents sites. Il existe quatre colonnes FARN régionales organisées sur différents centres nucléaires de production d'électricité. De notre réseau militant réparti au coeur du dispositif, nous avons plutôt de bons retours sur l'appréciation des matériels ou la réussite des exercices. En revanche, nous nous interrogeons pour le futur. Aujourd'hui, la FARN est gréée par des personnes qui, pendant des dizaines d'années, ont été exploitants ou à la maintenance. Dès lors, comment renouveler ces personnels et avoir, au sein de ces FARN, les compétences techniques du geste professionnel ? Il convient donc d'anticiper les départs à la retraite qui affecteront les quatre colonnes et les équipes qui pourvoiront ces remplacements. Il faut adopter une vision à long terme, à un double degré. On ne peut pas embaucher directement pour gréer une FARN avec des personnes dépourvues de l'expérience terrain de ces métiers même si nous pouvons en intégrer certains sur la base de la règle des 50 %.
L'expérience est plutôt une réussite, mais pose un point d'interrogation et soulève une inquiétude pour l'avenir que nous soumettons aux directions.
Je lance une alerte, qui ne concerne pas uniquement la FARN, sur la sous-traitance, les conditions de travail et les questions de sûreté. Comment remplacer le droit d'alerte et le droit de retrait exercés par les CHSCT dans les centrales nucléaires ? Le CHSCT exerce régulièrement ce droit sur les entrées dans les bâtiments réacteur en puissance. Rien dans les dispositifs du CSE ou des commissions santé ne permet d'y répondre. Une inquiétude forte pèse sur l'ensemble des salariés en général et du nucléaire en particulier. Quel dispositif le législateur instaurera-t-il pour remplacer les droits de retrait et d'alerte ? À ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse, d'où une inquiétude forte.
Concernant la FARN, je rejoins les propos tenus à l'instant. L'inquiétude porte sur sa pérennité. Nous sommes toujours favorables aux moyens qui renforcent la sûreté et la sécurité.
Sur la façon de prévenir les accidents, je suis convaincu que l'action d'une personne isolée ne pourrait avoir d'incidences sur la sûreté ou la sécurité. Certes, cela pourrait créer un petit accident, mais qui serait exactement de même ampleur que dans n'importe quelle usine chimique. Je ne crois pas à un accident nucléaire majeur lié à l'action d'une personne seule.
Avec les directions d'Orano ou d'EDF, vous avez évoqué le fonctionnement en binôme ou en équipe. Cela a toujours été vrai et l'est toujours. Toutefois, nous alertons sur le fait que les effectifs étant en baisse constante, certaines activités, auparavant effectuées à deux par un contrôle croisé, sont parfois réalisées par une seule personne. Nos directions ne nous disent pas de travailler seuls mais faute de personnels en nombre suffisant, les salariés qui veulent avancer dans leur travail interviennent parfois seuls. Une vigilance est requise quant aux effectifs nécessaires à la réalisation du travail en sûreté et en sécurité. Il est important de disposer d'un niveau suffisant de personnels.
Sur l'accès aux centrales, je suis catégorique : il n'est pas facile de pénétrer sur un site nucléaire. Quant à avertir que l'on va pénétrer sur un site évite de se faire tirer dessus. Sans doute les personnes concernées ont-elles bien fait de prévenir.
Le mot de conclusion de la CFE portera sur les questions de sûreté : le facteur humain rend nécessaire la sérénité, la visibilité, l'attractivité de la filière pour gréer le renouvellement des compétences.
À la question spécifique relative à l'intrusion, je répondrai qu'un salarié n'entre pas sur un site nucléaire comme il veut, il faut passer un certain nombre de sas. Dans le cas d'une intrusion agressive, tout le monde peut prendre une pince et couper le grillage, mais il existe plusieurs niveaux, plusieurs zones avant d'atteindre la zone vitale. Le rôle de la protection du site consiste à intervenir une fois que la première barrière a été franchie. Il faut donc introduire de la rationalité dans le débat. La filière ayant besoin de sérénité, toutes ces opérations qui n'ont d'autre but que de décrédibiliser la filière ne participent pas à l'objectif de sûreté.
Le CEA a la chance de disposer des forces locales de sécurité (FLS), créées dès l'origine, en 1960. Nous avons été les seuls à avoir arrêté des personnes qui étaient arrivées jusqu'au grillage. Ces forces sont à la fois des pompiers et des agents lourdement armés. Elles rassemblent des personnes issues du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et de l'armée. Souvent des opérations conjointes sont organisées entre les FLS et le GIGN. En pleine journée, ils arrivent en parachute et simulent des attaques. Selon nous, l'intrusion est impossible. Les FLS connaissent bien les installations. C'est pour moi l'occasion de dire que sous-traiter la sécurité est une option dangereuse. M. Gérard Collomb a réglementé l'armement des sous-traitants, d'Onet par exemple. Je crois qu'il faut faire attention à l'emploi de sous-traitants. À Cadarache, dans l'ensemble des centres civils ou militaires, la FLS est un outil qui donne toute satisfaction et assure une sécurité optimale.
Merci à toutes et à tous pour ce temps d'échange qui était important pour nous – pour vous également, je l'espère.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 14 juin 2018 à 9 heures :
Présents. – M. Philippe Bolo, Mme Émilie Cariou, M. Anthony Cellier, M. Paul Christophe, M. Grégory Galbadon, Mme Perrine Goulet, M. Jimmy Pahun, Mme Mathilde Panot, M. Patrice Perrot, Mme Barbara Pompili, M. Hervé Saulignac, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi.
Excusée. – Mme Bérangère Abba.