Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Mercredi 3 novembre 2021
La séance est ouverte à quatorze heures trente.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête procède à l'audition des représentants du syndicat professionnel Les Entreprises du médicament (LEEM).
Guillaume Kasbarian. Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête.
Dans un premier temps, nous recevons les représentants du syndicat professionnel Les Entreprises du médicament, le LEEM, représenté par :
– M. Frédéric Collet, président de Novartis France, président du LEEM ;
– M. Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM;
– M. Pascal Le Guyader, directeur général adjoint,
– et M. Antoine Quinette, chargé de mission affaires publiques.
Merci de prendre le temps de répondre à notre invitation et à nos questions.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
MM. Collet, Lamoureux, Le Guyader et Quinette prêtent successivement serment.
Je vous remercie de nous donner le temps d'aborder la question de notre empreinte industrielle et de l'attractivité de la France après la crise que nous venons de vivre.
Nous répondrons aux questions que vous nous avez adressées, de façon précise tout en apportant des réponses complémentaires.
Au préalable, je souhaiterais souligner un point important. La crise que nous avons traversée a fonctionné comme un révélateur et un accélérateur. Elle a révélé des fragilités connues, notamment sur le plan industriel (notamment les questions d'indépendance énergétique et sanitaire), et accéléré des forces dont, bien souvent, nous ignorions l'existence. Je pense aux différentes collaborations entre les acteurs et à l'effet de la mondialisation qui a permis de répondre aux besoins des patients et des soignants. Au terme de la crise, nous pouvons constater que l'aspect industriel du médicament est devenu un enjeu stratégique.
Pour répondre aux questions de la compétitivité et de l'attractivité, il est nécessaire de se rappeler que le métier des acteurs du médicament se construit autour de quatre piliers successifs à considérer de façon cohérente et indissociable :
– le premier est la recherche, dont la crise a révélé les forces et les fragilités ;
– le deuxième concerne la recherche clinique qui permet aux patients de bénéficier de traitements innovants ;
– le troisième pilier est la fabrication (le manufacturing ) ; il représente un caractère stratégique essentiel en matière de santé publique, et économique avec de très nombreux emplois qualifiés répartis dans 300 entreprises adhérentes au LEEM, dont 250 sites sont localisés en région ;
– le dernier pilier est l'accès et le bon usage du médicament.
Le premier facteur d'attractivité d'un pays tient à la cohérence des mesures en vigueur et de la chaîne du médicament dans son ensemble.
Les questions de relocalisation de la production des médicaments et d'indépendance sanitaire ne sont pas nouvelles, mais ont été exacerbées par la crise. Pourtant, malgré les conditions (notamment de fortes demandes de certains produits, comme les produits de réanimation, d'anesthésies, les produits respiratoires), nos entreprises ont été en capacité de fournir tous les traitements.
En conséquence de ces événements, le LEEM a établi plusieurs recommandations pour renforcer l'attractivité et la compétitivité de la chaine.
Avant de commencer l'échange, il est important de poser des bases préliminaires.
Tout d'abord, il est illusoire de prétendre à l'indépendance sanitaire sur l'ensemble de la pharmacopée existante en France, comme en Europe. Il est donc essentiel d'identifier les traitements sur lesquels nous voulons assurer une disponibilité en toutes circonstances. Cela peut dépendre du caractère innovant ou essentiel du traitements, caractères qui ne sont pas forcément liés. À cet égard, à l'initiative du LEEM, un certain nombre de mesures ont été prises pour renforcer le stockage de médicaments d'intérêts thérapeutiques majeurs (MITM).
Ensuite, nous devons être conscients que la réponse à la crise ne peut pas se faire à l'échelle nationale. Notre approche doit être européenne et nous devons agir de concert avec ces États sur les produits que nous aurons identifiés.
Au-delà du rapatriement et des mesures sur les stocks, il s'agit de nos capacités à optimiser les structures existantes. Nous avons un historique très fort puisque, la France a été le premier pays industriel en matière de fabrication de médicaments, encore très récemment (dix ans), pour être quatrième aujourd'hui. Il est nécessaire de redynamiser notre savoir-faire pour entamer un processus de réindustrialisation. Il est nécessaire que cette réindustrialisation s'appuie sur notre savoir-faire, et ce qui existe déjà, notamment en régions, dès lors que certaines ont établi un tissu, un écosystème, qui permettra le redéveloppement de structures industrielles.
Enfin, le travail de cartographie est essentiel pour avoir une vision claire, partagée et exhaustive de la structure du tissu industriel en France. Par ailleurs, il est important de connaitre la nature de ce tissu, qu'il s'agisse de principes actifs ou de produits finis, très variable selon les sites.
En ce qui concerne le pacte industriel pour le médicament, le LEEM a travaillé sur un certain nombre de recommandations selon deux axes.
Le premier est celui de la compétitivité. Notre tissu industriel est vieillissant. L'essentiel des produits que nous produisons en France sont issus de la pharmacopée d'hier ; 30 % de notre fabrication sont des génériques. À l'opposé, seul 3 % sont des anticorps monoclonaux. Notre savoir-faire, que nous devons préserver, a été mis sous une pression insupportable par une régulation extrêmement efficace. En conséquence, ces produits génériques, matures, fortement exposés à une concurrence internationale ont fini sur des chaines de coûts et de valeurs très tendues. Cette régulation a créé cette délocalisation à laquelle on a assisté sur les produits matures.
Le second élément est l'attractivité. Il essentiel que bien plus de 3 % des anticorps monoclonaux soient fabriqués en France. Il en est de même pour les nouvelles thérapies géniques et cellulaires ou les nouvelles thérapies géniques.
En matière de stratégie industrielle et de stratégie publique en général, nous devons avoir à l'esprit ces deux éléments d'une équation différente selon que l'on parle de compétitivité ou d'attractivité des entreprises, sur la pharmacopée de demain.
L'enjeu pour la compétitivité est de faire en sorte que les conditions économiques soient restaurées et assurées a minima, pour éviter que ces médicaments ne partent à l'étranger (principalement les molécules chimiques). En ce qui concerne les molécules biologiques, une attractivité est à constituer sur le territoire. Je rappelle qu'elle dépend de la cohérence de l'ensemble de la chaine du médicament.
J'insisterai enfin sur deux axes qui me semblent importants.
Le premier est de faciliter et d'encourager l'investissement par des mesures fiscales ou administratives sur le territoire, pour produire en plus grande quantité des médicaments, ainsi que de moderniser et de créer de nouvelles structures.
Le second aspect est de garantir la soutenabilité économique d'une filière « made in Europe ». J'ai déjà évoqué l'effet extrêmement délétère et direct de la régulation sur ce tissu industriel. En dix ans, le chiffre d'affaires régulé du médicament est resté parfaitement stable et la France est passée, en parallèle, du premier rang au quatrième rang des pays européens producteurs. Par ailleurs, la France est passée du premier pays européen en matière de recherche clinique au quatrième, sur la même période. Si la régulation a été efficace sur les comptes publics, elle a été, en revanche, nuisible sur l'attractivité et la compétitivité du territoire.
Je voudrais revenir sur les propositions pour une politique de médicaments ambitieuse telle que nous l'envisageons au LEEM. Il s'agit de favoriser les investissements et de sécuriser l'approvisionnement (prix planchers, système de critères d'origine dans les appels d'offres à l'hôpital). En outre, il est nécessaire d'accélérer la bioproduction et donc l'attractivité. Dans ce domaine, le crédit d'impôt recherche (CIR) a été efficace, mais il peut être adapté et amélioré.
Quel regard portez-vous sur les programmes d'investissement d'avenir (PIA) sachant que la Cour des comptes a eu un regard assez critique ?
Il nous est difficile de répondre. Sur certains mécanismes, nous avons une réponse immédiate ; sur le PIA, nous sommes beaucoup plus partagés.
Le PIA est un levier qui concentre des milliards d'investissements. Or une question se pose quant à son pilotage et à sa gestion. Certains imaginent que les PIA peuvent servir de levier pour la recherche médicale et pharmaceutique future. Notre but est donc de se savoir si c'est efficace ou non.
Il est difficile de répondre, car la politique industrielle du médicament nécessite une approche holistique. Or l'action de l'État est parfois incohérente. Certaines mesures d'incitation économique ou incentives sont extrêmement importants, comme le programme d'investissements d'avenir (PIA), le plan de relance, l'appel à manifestation d'intérêt, les mesures du comité stratégique de filière (CSF) et du conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Nous avons donc beaucoup d'outils, mais ces mécanismes d'attractivité sont grevés par la régulation, l'environnement économique, les délais d'accès à l'innovation, l'instabilité règlementaire et la lourdeur administrative.
Le système français est décrié. Or il a beaucoup d'avantages d'attractivité vis-à-vis des concurrents européens. Dans le cadre du CSIS, nous montrons que l'investissement redémarre en France. Cependant, l'attractivité est obérée chaque année par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Malgré des progrès incontestables depuis deux ou trois ans, l'enjeu est de donner plus de cohérence entre ces mécanismes d'attractivité et les mécanismes de régulation. Dans notre secteur, in fine, l'attractivité est dictée par le marché.
Vous expliquez donc subir des injonctions contradictoires, mais, pour bien comprendre, est-ce entre différents ministères ou entre différentes administrations ?
Nous avons, si je ne me trompe pas, douze interlocuteurs différents au ministère de la Santé.
En ce qui concerne les produits matures, quand vous avez, dans certaines classes thérapeutiques, des politiques de prix qui vous emmènent en dessous des coûts de production, mécaniquement la délocalisation s'opère. Le prix des antibiotiques injectables, par exemple, aujourd'hui, ne permet plus de maintenir la production en France.
Dès lors que nous sommes considérés comme un secteur stratégique, comme les télécoms ou la défense, l'ensemble des outils de la politique gouvernementale doivent s'aligner sur cet objectif stratégique. Aujourd'hui, ce n'est pas toujours le cas.
Un exemple type des injonctions paradoxales est l'écart qui existe entre la vision stratégique et l'exécution dans le court terme, dans le cadre de la loi de finances, avec cette régulation que nous avons vécue pendant dix ans.
Nous observons, aujourd'hui une plus grande cohérence pour accroître l'attractivité, avec la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, prolongée avec l'accord-cadre et un certain nombre de mesures, notamment industrielles poursuivies dans le cadre du CSIS et la volonté très marquée qui a été celle du Président de la République et du Gouvernement.
Durant cette période, les entreprises du médicament ont répondu présentes. Nous avons mis en place sur le territoire un observatoire indépendant sur le suivi de l'ensemble de l'investissement. Le premier baromètre montre que nous avons progressé de plus de 15 % et que nous avons investi plus de neuf milliards en France, qu'il s'agisse d'investissements industriels ou dans les nouvelles technologies (données, digital).
Un certain nombre d'annonces ont été faites et des engagements ont été pris au plus haut niveau par le Président de la République, notamment sur le rapprochement du prix et du remboursement des médicaments, et la question industrielle. Cependant, dans l'exécution de ces mesures, il semble exister des injonctions contradictoires entre différents services et administrations non alignés sur cet objectif stratégique. Il transparait un défaut de pilotage interministériel.
Effectivement. Aujourd'hui, l'outil de cohérence est le Conseil stratégique des industries de santé, qui a d'immenses qualités et une visibilité internationale, mais demeure ponctuel. Il n'existe donc pas de suivi de cette politique du médicament. Nous avons plaidé à de nombreuses reprises pour un pilotage fort et intergouvernemental, puisque notre secteur dépend des ministères de la Santé, de l'Industrie, du Budget et de la Recherche. Nous avons suggéré d'avoir une coordination permanente auprès du Premier ministre.
Nous sommes là pour relayer et appuyer votre demande, puisqu'elle relève de Matignon et de l'interministériel.
Si nous devions effectuer un comparatif ou benchmark européen des sites d'implantation pour la recherche et la production, quelles seraient d'après vous leurs forces et leurs faiblesses par rapport à la France ?
La France comptabilise plus de 271 sites industriels sur l'ensemble du territoire et 35 000 collaborateurs. Notre tissu industriel est reconnu en matière de compétences, de dynamisme et d'efficience. Nous sommes passés de la première place à la quatrième au niveau européen, passant notamment derrière l'Allemagne, qui a des politiques beaucoup plus efficientes que les nôtres. Mais nous avons un outil industriel qui est en capacité de répondre. Nous sommes positionnés sur des molécules matures, plutôt sur des formes sèches, et qui posent donc la problématique d'attirer de nouveaux volumes de production, notamment de nouvelles molécules qui vont dans d'autres pays européens.
Sur les autorisations de mise sur le marché (AMM) qui sont déposées en Europe, nous avons observé quels étaient les sites de production des molécules. Nous constatons que la France est derrière l'Allemagne, tant pour les molécules chimiques que biologiques. En 2020, quarante molécules ont été déposées au niveau européen, huit sont fabriquées en France et seulement quatre sur les huit sont d'origine biologique. L'Allemagne, quant à elle, en fabrique vingt-six. Nous avons donc un déficit d'attractivité. La question est de savoir comment les investisseurs ou les producteurs donneurs d'ordre viennent fabriquer en France, sachant que nous avons les outils industriels, les compétences et les formations.
La France dispose d'un certain nombre d'atouts incontestables et reconnus. Le premier est celui de l'universalité de l'accès aux soins. Ce système n'est pas mis à mal et est reconnu. Le deuxième est le savoir-faire français sur le plan industriel, mais également dans la recherche et les essais cliniques. A titre d'exemple, dans le domaine de la lutte contre le cancer et de l'oncologie, un essai clinique européen sur deux est réalisé en France. Le troisième atout est représenté par certaines mesures, en particulier le crédit d'impôt recherche.
Toutes nos entreprises opèrent à l'échelle internationale. Elles considèrent la France comme un centre ou hub de fabrication pour le reste du monde et 49 % de notre production est exportée. Les entreprises du médicament représentent le quatrième secteur exportateur en France. Les structures logistiques, routes, voies ferrées, aéroports, sont de plus en plus considérées comme un véritable facteur d'attractivité.
Parallèlement, nous avons un certain nombre de freins par rapport à nos voisins européens. Quand un groupe fait un choix d'investissement, industriel, dans la recherche, dans les nouvelles technologies, digital ou dans l'exploitation des données, il compare d'abord les territoires (Amérique, Europe ou Asie). En Europe, nous sommes en compétition avec quatre des cinq grands dont nous faisons partie, avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni.
Premier frein : la France souffre d'une mauvaise réputation du droit du travail, quels qu'aient été les progrès réalisés ou les avancées dans ce domaine. Nous avons toujours cette image d'un pays dans lequel le droit social est compliqué et pénalisant. Il est important de poursuivre son amélioration et de mieux faire valoir ce qui a été fait récemment.
Deuxième frein : la France souffre d'un manque de visibilité et de stabilité règlementaire. Au-delà des stratégies et des CSIS qui se sont succédé, chaque CSIS fait l'objet de mesures règlementaires qui viennent se contredire. Cette absence de visibilité et ce manque de cohérence dans le temps forment un facteur extrêmement pénalisant pour les entreprises dans leur choix d'investissement.
Troisième frein : la fiscalité, puisque notre secteur est porteur de huit taxes spécifiques.
Dernier frein : les complexités de la règlementation pharmaceutique.
Enfin, comme éléments complémentaires, je soulignerai le manque de cohérence entre le public et le privé, ainsi que le manque de lisibilité et de sectorisation de la structure de portage de l'offre française. Un certain nombre d'organismes portent ces initiatives – Business France et d'autres – mais ils créent une complexité dans l'attractivité.
Sur la fiscalité, nous faisons des études comparatives en Europe et, d'après les plus récentes, que nous rendrons publiques dans quelques semaines, nous constatons une amélioration de la fiscalité générale, mais elle est plus que compensée par un alourdissement de la fiscalité sectorielle. En conséquence, dans le cas spécifique de notre industrie, la compétitivité fiscale de la France a plutôt tendance à se dégrader. À titre d'exemple, dans le PLFSS pour 2022 que vous allez voter, la clause de sauvegarde a des chances d'être à des niveaux records ; or il s'agit bien d'une fiscalité spécifique. Malgré un débat rémanent avec l'administration, vous constatez que les remises produits sont extrêmement élevées et sont parmi les plus lourdes d'Europe. Cette fiscalité sectorielle est un des grands facteurs de « désattractivité » du secteur.
Si nous voulons préparer l'industrie de demain, il est nécessaire d'investir dans l'immatériel, l'intelligence artificielle (IA), le numérique et l'exploitation des données (data). Cependant, les règlementations actuelles du dispositif médical (DM), du médicament, de l'IA sont totalement hétérogènes. Il n'existe pas de cadres de règlementations de ces médicaments du futur. La meilleure reconnaissance des investissements immatériels, et pas seulement industriels est un véritable enjeu de l'avenir.
Le poids de la règlementation est donc pour vous un élément de la « désattractivité » du territoire et le prix du médicament un facteur important de baisse de compétitivité. En tant que représentants du syndicat du médicament, pourriez-vous mettre en parallèle de ces dix dernières années de stabilité du prix du médicament, l'évolution de vos effectifs, de vos chiffres d'affaires, de vos résultats et des dividendes versés ? Un tel tableau nous permettrait de corroborer, ou pas, votre analyse sur la stabilité du prix et la baisse de compétitivité.
Je souhaiterais apporter deux précisions. Je ne fais pas mention de règlementation, mais de régulation. De plus, je n'ai pas évoqué la stabilité du prix du médicament, mais la stabilité du chiffre d'affaires accordé au médicament dont le prix est le plus bas des cinq grands marchés européens. Sur cette période, nous avons connu un recul des prix des médicaments de 40% alors que l'indice des prix augmentait de 15 ou 20%. Durant cette même période, nous avons accueilli des innovations sans précédent, en particulier dans le domaine du cancer avec les immunothérapies et les thérapies géniques, de l'hépatite, de maladies pédiatriques et de maladies chroniques.
Je comprends votre perception, mais je la pondère en insistant sur le fait qu'il ne s'agit pas du prix du médicament, mais du chiffre d'affaires accordé par la régulation aux médicaments. Les produits, dits matures, ont subi une pression très forte et les effets se mesurent directement par la délocalisation, la baisse de compétitivité, alors que nous avons continué à assurer la disponibilité de ces traitements innovants auprès des patients.
Pour vous donner un ordre de grandeur, au début des années 2010 le médicament représentait 15 % des dépenses de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ; aujourd'hui, il est à 11,5 %. Sur la décennie 2010-2020, le chiffre d'affaires n'a presque pas évolué alors que nous avons dû absorber des chocs d'innovation ponctuels, mais importants (traitements de l'hépatite, immunothérapies). Les effectifs du secteur sont restés stables, mais nous n'avons pas détruit d'emplois sur les dix dernières années. Si nous étions restés à 15 % de l'ONDAM, le chiffre d'affaires du secteur aujourd'hui ne serait pas de 24,5 milliards d'euros, mais de 30 milliards d'euros. Par ailleurs, nous n'aurions pas non plus les mêmes problématiques d'absorption de l'innovation que celles que nous rencontrons.
Ce qui s'est détérioré, c'est la valeur ajoutée produite par le secteur. Nous avons conservé les emplois et très peu de sites ont fermé, mais la nature de la production a changé. Nous glissons progressivement vers un modèle de sous-traitance. Près de 70 sites sur les 270 font de la sous-traitance. Ils sont très importants pour le maintien de l'emploi et pour le tissu industriel. Nous reprécisons que notre industrie est essentielle en ce qui concerne l'aménagement du territoire en raison de la répartition des sites.
La valeur ajoutée s'est dégradée : nous basculons vers un mode de sous-traitance, les produits que nous fabriquons ne sont plus couverts par des brevets et ont des coûts de production extrêmement tirés, une politique de prix décroissante et une concurrence en hausse de la part de pays émergents sur les produits matures.
En 2020, nous avons une croissance de l'emploi de 0,53 %, là où l'industrie globale baisse de 1,2 %. L'ensemble de la production pharmaceutique a toujours été en légère croissance et a permis de compenser une décroissance des effectifs dans la transformation des métiers, notamment sur la distribution et la commercialisation.
Sur les 35 000 emplois, 12 000 sont des sous-traitants réalisant des produits matures, vieillissants et sous formes sèches à des prix très bas en raison de la régulation. En conséquence, la marge diminue et les investissements sur ces chaines ne sont pas effectués. Nous n'avons donc pas la possibilité de moderniser nos outils de production pour être plus compétitifs face à des pays comme la Hongrie ou la Pologne. C'est un véritable défi que de moderniser nos outils de productions alors que nos marges baissent, dès lors que les prix baissent.
Par ailleurs, nous connaissons une inflation sur les matières premières, comme l'aluminium et dérivés du pétrole.
Quel est l'effort, en volume, que vous consacrez à la recherche par rapport à votre chiffre d'affaires ? Par ailleurs, vous n'avez pas répondu à ma précédente question sur le résultat et le dividende.
Nous investissons 14 % de notre chiffre d'affaires pour la recherche et nous avons 14 000 collaborateurs dans la recherche et développement (R&D).
En ce qui concerne les résultats, je n'ai pas la marge consolidée du secteur. L'essentiel du tissu en France est composé d'entreprises internationales et donc par nature basées à l'étranger. Quant à la rémunération des actionnaires, je ne sais pas comment elle a évolué. Ce que je peux dire, c'est que nous sommes dans un secteur, qui par nature, comporte des risques. Je rappelle qu'une molécule développée sur dix mille devient un médicament et le temps de développement d'une molécule, exception faite des récents vaccins, est d'environ dix ans pour un à deux milliards d'euros d'investissements. Cette prise de risque est reconnue dans la rémunération des actionnaires. C'est la seule façon de les attirer à engager des sommes avec cette prise de risques. Par comparaison, notre secteur est plus risqué que l'agroalimentaire par exemple. La rémunération des actionnaires est sujet sur lequel nous ne nous cachons pas, mais qui est lié à la prise de risques et à la nature des traitements innovants que nous mettons sur le marché.
Ne voyez pas dans notre réponse une forme de dilution, mais je ne suis pas sûr que la question ait beaucoup de sens. L'industrie pharmaceutique couvre une grande diversité de modèles économiques et dernière des chiffres moyennés, votre question n'a pas de sens. M. Le Guyader a présenté un chiffre de 14 % pour la recherche, mais quand il s'agit des biotechnologies le chiffre est plus proche de 30 %. Autre exemple, dans le domaine du générique, les marges sont extrêmement réduites à l'inverse des biotechs. Nous recouvrons donc des modèle économique ou business models très différents.
Pour compléter l'intervention de M. Collet, il est important de prendre en compte la durée d'immobilisation du capital ; mettre au point un médicament prend 12 ans, deux fois plus de temps que de fabriquer un nouveau modèle d'Airbus en 6 ans.
Dans le secteur de l'industrie pharmaceutique de pointe de recherche, vous avez des taux de profitabilité comparables à ceux des nouvelles technologies, mais le taux d'attrition est très fort et un grand nombre d'entreprises ont disparu faute d'innovations majeures. La forte mortalité de ce secteur explique la nécessité d'une forte profitabilité pour les actionnaires.
Le salaire moyen de notre secteur est de plus de 3 000 euros quand, dans le secteur privé, la moyenne se situe à 2 300 euros. Nous avons donc une redistribution de la richesse créée au travers des salaires. Par ailleurs, toutes nos grandes entreprises ont des accords d'intéressements et de participation pour les employés.
Nous avons signé, la semaine dernière, un accord revalorisant les salaires minimaux conventionnels de la branche de 2,2 %.
Nous savons que les délocalisations ont un impact sur la formation. En est-il de même pour votre secteur ? Le remboursement du prix des médicaments ne risque-t-il pas d'impacter votre capacité à faire des stocks s'il ne s'agit pas d'un marché rentable ? Ne faudrait-il pas une décision législative pour imposer des stocks, à l'image des masques ? Enfin, le tissu de sous-traitance est-il suffisamment dense pour avoir cette dynamique de relocalisation ?
Nous avons des tensions sur le recrutement, assez localisées, notamment dans les grands bassins industriels. L'année 2020 est une année record pour les contrats d'apprentissage, puisque nous en avons signé plus de 7 200. Tout jeune qui est formé sur un métier spécifique pharmaceutique, trouve un emploi dans ce domaine. Pour autant, quelques métiers, comme pharmacien ou technicien de maintenance, sont en tension, notamment sur les sites industriels.
Nous éprouvons une difficulté à attirer des jeunes sur des métiers industriels. Nous tentons d'y remédier avec l'aide de l'Opérateur de compétences interindustriel (OPCO 2i) en menant de grandes campagnes de revalorisation de l'industrie dans son ensemble. Nous avons pallié la désaffectation du contrat d'apprentissage, qui est désormais mieux perçu. D'autre part, la mobilité des jeunes est également un problème auquel nous travaillons.
À l'appel de la ministre déléguée chargée de la Ville, Mme Nadia Hai, nous nous attelons à mieux intégrer les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la Ville (QPV). Nous venons de signer une convention avec l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) et pôle emploi pour identifier ces jeunes et les former pour atteindre un niveau baccalauréat + 2, puisque dans la pharmacie nous ne recrutons pas en deçà de ce niveau.
Notre secteur connait une évolution de la nature des métiers qui est absolument sans précédent. En à peine cinq ans la pharma a énormément évolué, en raison des nouvelles technologies et de la data, notamment. Aujourd'hui, nous proposons plus de 150 métiers différents.
Le stock est un sujet récurent. Suite à un débat récent à l'Assemblée nationale, lors de la discussion du PLFSS pour 2021, un texte a été adopté et il traduit, je crois, un certain équilibre. J'insiste sur trois points.
Tout d'abord, il est important de pencher sur la façon dont on utilise les chiffres. Souvent, des chiffres mis en avant mélangent les déclarations de risques de ruptures des ruptures avérées. Depuis 2016, les industriels ont une obligation de déclaration des risques de ruptures, mais en réalité, elles sont bien moins les ruptures effectives sont bien moins nombreuses que les risques. Sur 2 500 déclarations de risques de ruptures, seuls 5 à 10 % sont réels, soient 120 à 140 ruptures, par rapport à 15 000 médicaments commercialisés.
Ensuite, l'allongement de la durée de stockage est une mauvaise solution, puisque cela aggraverait les ruptures actuelles, pour trois raisons :
– les médicaments à risque de rupture sont souvent des médicaments anciens génériqués à faibles marges. Imposer des obligations de stockage sur ces produits dissuaderait des entrants sur le marché. Des petits génériqueurs ne rentreront pas sur un marché dans lequel vous avez une obligation de stockage qui dégrade la rentabilité de l'exploitation du produit sur le territoire ;
– les laboratoires princeps risqueraient de cesser la commercialisation des molécules. La politique très active en faveur des génériques menée par les gouvernements successifs, montre des taux de pénétration de ces médicaments jusqu'à plus de 80 %. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a parfois demandé aux laboratoires princeps de reprendre la production du fait de la défaillance des génériqueurs ;
– la troisième raison est l'effet de contagion. Si la France allonge ses durées de stocks, nos voisins européens feront de même. Par exemple, si la France durci ses conditions de stockage, le Royaume-Uni fera de même, ce qui peut être problématique à la suite de son retrait de l'Union européenne. Si nous avons pu nous approvisionner pendant la crise de la Covid-19, c'est grâce à la mondialisation. Cela nous a permis de rattraper certains produits vers les patients, là où étaient les besoins. Si les durées de stockage avaient été plus strictes, nous aurions été en rupture. L'enjeu de notre réflexion est donc de relocaliser sans démondialiser. Sur les stocks, nous avons atteint un point d'équilibre. Afin de mieux anticiper les situations problématiques, nous avons créé un outil, « Track Stock », à la disposition des autorités de santé. Par ailleurs, nous avons rédigé une liste des médicaments d'intérêt stratégique sanitaire (MISS) pour lesquels il n'existe pas d'alternative thérapeutique et dont la rupture entrainerait un risque vital. Cette liste est plus restrictive que celle des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui englobe la moitié de la pharmacopée existante.
Enfin, à propos de l'exemple de la Finlande que l'on nous oppose régulièrement, je rappellerais que le pays représente 0,3 % du marché mondial et est totalement dépendant de l'importation. Le stock a, effectivement, une durée plus longue, mais est financé par l'État.
Nous allons connaitre une concentration du tissu de la sous-traitance pour des problématiques règlementaires et d'investissements. Néanmoins, ce modèle est vertueux puisque les sites ont été cédés de donneurs d'ordres à sous-traitants sans perte d'emplois. Les enjeux, ici, sont de capter de nouvelles productions, dont la bioproduction avec le soutien du comité stratégique de filière et de l'Alliance France bioproduction (AFB).
Dans votre chaîne de valeur du moment et son évolution sur les dernières années, vous faites de plus en plus appel au tissu biotechnologique et donc, directement ou indirectement, à la recherche fondamentale. Comment arriverons-nous aux 3 % du PIB dans cette recherche ? Quand allez-vous investir davantage dans la recherche, puisque nous voyons, bien évidemment, les limites de l'intervention étatique ? À travers cette recherche, nous avons, vous en conviendrez, l'élément princeps de notre activité pharmaceutique.
Comment concevez-vous la bioproduction qui, j'imagine, sera un moteur clé pour la compétitivité de notre territoire ?
Enfin, vous avez mentionné la communication interministérielle, pensez-vous que la future Agence d'innovation en santé (AIS) peut répondre à cette question ?
Les rapporteurs du CSIS ont constaté que les recherches privées et publiques fonctionnaient en silos alors que cette dernière est reconnue ; au moins trois instituts majeurs sont dans les quinze premiers mondiaux. L'enjeu principal, qui fait partie des recommandations du LEEM, est dans la façon dont on va fertiliser la recherche publique et privée en France.
Ne nous figeons pas sur un chiffre symbolique. La vraie question serait : que ferions-nous de ces 3 % ? Nous avons là une partie du problème, mais ce n'est pas la seule. Il est nécessaire d'être attentif à éviter le « saupoudrage », à adopter une stratégie pour les investissements. Nous avons des domaines d'excellences sur les territoires et des filières très prometteuses que nous devons soutenir. La crise sanitaire a été un révélateur et nous incite à décloisonner la recherche académique et la recherche industrielle, mais également à être plus efficace dans les délais d'autorisations des recherches cliniques et les délais de délivrance des autorisations des comités de protection des personnes (CPP).
Il parait important de privilégier une approche plus systémique qu'un simple chiffre. Nous pouvons sembler critiques, mais nous pensons que la vision portée par le Président de la République et le gouvernement est la bonne. La difficulté réside dans la mise en œuvre de ces stratégies qui ont été annoncées, de la mise en cohérence et de la pluri-annualité pour opérer dans le long terme.
En ce qui concerne l'AIS, la question n'est pas seulement de savoir ce que se sera, mais aussi de ce que cela supprime. Nous souhaitons que cette agence donne du sens à la politique de recherche en fixant ses axes, se charge de la prospective et de ce qui fait défaut aujourd'hui. Comment allons-nous adapter notre appareil de soin à l'arrivée d'innovations comme la thérapie génique qui feront pratiquement disparaître certaines pathologies ? Nous insistons pour que cette dépense soit perçue comme un investissement et non comme un coût.
Comme l'a précisé M. Lamoureux, dans le domaine des biotechnologies, il est essentiel de prioriser, car aujourd'hui, il y a une certaine dispersion des moyens.
Lorsqu'une innovation voit le jour dans une biotech, elle s'appuie sur les grands laboratoires pharmaceutiques ou big pharma pour passer accéder au marché ou trouver l'échelle à l'extérieur.
La question du financement du risque est essentielle. Notons, enfin, que plus de 70 % des investissements de recherche viennent des entreprises privées. En conséquence, pour passer au 3 %, nous avons déjà effectué une part importante du chemin.
L'AFB est effectivement l'outil qui va permettre d'accompagner le développement de la bioproduction sur le territoire français.
De notre côté, nous avons cartographié l'ensemble des acteurs de bioproduction. L'ensemble est en capacité de produire, mais pas forcément les volumes, il faut donc les faire grandir. Cependant, nous sommes bien placés par rapport à l'Allemagne. Nous sommes présents sur ces quatre biomédicaments : thérapie génique, thérapie cellulaire, thérapie tissulaire et les protéines recombinantes. Le modèle que nous voulons impulser au sein de l'AFB est le suivant, comme cela se fait notamment en Belgique : un acteur imposant créant un écosystème qui va permettre d'attirer les investissements sur le territoire.
Dans le cadre du CSIS, nous avons porté l'extension du CIR au développement préindustriel puisqu'il n'existe pas aujourd'hui ; or il est coûteux.
Nous demandons un groupe de travail pluridisciplinaire sur la simplification de la règlementation sur la bioproduction.
Si nous parvenons à mailler tous ces éléments pour mettre en place un écosystème, nous parviendrons à attirer des investissements sur notre territoire.
Vous avez évoqué les entreprises de façonnage ou Contract Development Manufacturing Organisations (CMDO) et en effet la mutualisation est bien sûr un axe moteur, en particulier sur les thérapies les plus développées, géniques et cellulaires.
Dans un premier livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié le 17 juin 2008, apparaît le terme de pandémie comme un risque qui peut être important. Entre 2008 et l'arrivée de la crise sanitaire actuelle, quelle analyse faites-vous du comportement de nos grands laboratoires pharmaceutiques européens ?
Il me semble qu'il y a eu une imprévoyance alors que le risque de pandémie était déjà cité en 2008. Je citerai pour exemple les 130 millions de doses d'hydroxychloroquine promises par Novartis en mars 2020 puis suspendues en juin de la même année. Que tirez-vous comme enseignements de cette impréparation qui rejaillit dans la population par rapport aux vaccins notamment ?
La menace de pandémie est là depuis plusieurs années, mais la recherche dans le domaine de l'antibiorésistance et des maladies infectieuses a diminué pour des raisons économiques, mais pas uniquement. Néanmoins, la prise de conscience est effective puisque le CSIS a inscrit ces domaines de recherche parmi ses trois priorités d'investissement. L'ensemble des acteurs privés et publics doivent donc y consacrer à nouveau du temps.
La crise nous a également appris que la réponse était liée aux fruits des recherches. L'ARN messager n'était, par exemple, ni prévu ni développé dans le cadre de vaccins, pourtant il l'a été durant la crise.
Quant à l'hydroxychloroquine, à l'époque nous faisions avec nos connaissances. Depuis, nous avons appris que ce n'était pas la panacée.
En revanche, l'un des enseignements de la crise est qu'elle a levé un certain nombre de barrages entre les acteurs qui fonctionnaient en concurrents. Nous avons, aujourd'hui, près de trois cents accords différents dans le monde pour la fabrication des vaccins.
Ce qui caractérise la crise c'est son côté imprévisible. Si nous avions pu l'anticiper, nous ne l'aurions pas eue.
Cette crise a montré une faille de notre système qui porte sur les gestes de prévention, notamment le port du masque courant en Asie.
Quand la menace a été avérée, l'industrie a fourni un effort que nous pouvons saluer. Au début de la crise, nous produisions, de mémoire, quatre milliards de doses, tous vaccins confondus, et qu'à la fin de cette année l'industrie produira onze milliards de doses de vaccins anti-Covid-19. Nous serons probablement en surcapacité de production au mois de juin prochain.
Je rappelle ma question sur les dividendes dont j'aimerais simplement avoir un tableau.
Quel regard portez-vous sur les contrats de partage du risque qui sont mis en œuvre dans certains pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment l'Allemagne, et qui permettent au régulateur et au laboratoire de se mettre d'accord sur un prix élevé d'entrée et des baisses avec des clauses de revoyure assez régulières ?
Comment relocaliser sans démondialiser ? Comme vous, je suis très attaché à une approche européenne de l'ensemble de nos questions économiques et sociales. Cependant, comment relocaliser, non pas en Bulgarie ou en Hongrie, mais en France ?
Le profil des produits qui arriveront dans les années qui viennent nous amèneront à revisiter complètement la politique conventionnelle. Le partage des risques pourrait être une solution dans un certain nombre de circonstances. En ce qui concerne les antibiotiques, par exemple, nous n'avons pas de recherche, car il n'existe pas de marchés. Si un industriel trouve un nouvel antibiotique, il aura l'interdiction de le commercialiser pour le garder pour les situations de résistance. Il s'agit donc de solvabiliser un marché qui aujourd'hui ne l'est pas. Le partage des risques pourrait être adapté également aux thérapies géniques qui sont des traitements coûteux, mais générateurs d'économie sur le système de soin et sur le médicament. Un étalement de charge permettrait d'étaler sur plusieurs années l'amortissement du coût d'entrée de ces traitements.
Nous travaillons sur de nouveaux contrats, mais certains pays, comme le Royaume-Uni, sont plus avancés que nous avec des contrats de paiement à la performance. Ces contrats intègrent des clauses de revoyure qui permettent d'évoluer en fonction de la performance réelle et de la population traitée, si la valeur et le prix sont corrects. Ce sont des modèles sur lesquels nous travaillons, mais que nous devons rendre concrets.
D'autres modèles existent, notamment la santé globale des populations ou population health, dans lequel nous traitons des populations chroniques importantes et sur lesquels les laboratoires envisagent des réductions significatives de prix pour rendre le traitement accessible de la façon la plus rapide.
Nous travaillons sur ces sujets-là, en regardant ce qui se fait dans d'autres pays qui ont des systèmes de santé différents du nôtre.
Les conditions de l'attractivité vont dépendre de la façon dont on va considérer la cohérence de l'ensemble de la chaine du médicament. Les mesures de longs termes, type CSIS, et de courts termes, type régulation et loi de finances, doivent être cohérents sous peine de voir la confiance des investisseurs ébranlée.
Vous ne pouvez pas mener une politique industrielle efficace avec un milliard de baisses de prix sur les produits matures depuis dix ans.
Vous ne pouvez pas non plus avoir une politique industrielle avec des délais d'accès qui place la France entre l'Albanie et la Slovénie, c'est à dire à cinq cents jours quand les Allemands sont à cent trente jours.
Vous ne pouvez pas faire de politique de relocalisation industrielle si vous avez la fiscalité spécifique la plus pénalisante d'Europe.
Vous ne pouvez pas mener une politique industrielle si vous avez un environnement règlementaire et législatif aussi lourd, instable et incompréhensible que le cadre français.
Il est primordial de décloisonner la recherche académique et la recherche industrielle. Les pays qui réussissent sont des pays qui parviennent à instaurer ces coopérations. Quelques exemples parlants : l'allemand BioNTech a collaboré avec l'américain Pfizer ; l'anglais d'Université d'Oxford a collaboré avec le suédo-britannique AstraZeneca qui n'avait jamais fabriqué de vaccin. En France, ce n'est pas notre culture et c'est un point sur lequel nous devons progresser.
Je vous remercie. Si vous avez des compléments à nous envoyer, nous les intégrerons à nos travaux, ainsi que les réponses au questionnaire qui vous a été envoyé.
La séance s'achève à seize heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 14 heures 30
Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, Mme Marie Lebec, M. Gérard Leseul
Excusés. – M. Éric Girardin, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian