Présidence
La commission poursuit l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2019 (M. Joël Giraud, rapporteur général).
Article additionnel après l'article 10 : Taxation de la délivrance des titres de séjour
La commission examine, en discussion commune, les amendements I-CF1409, I-CF1410, I-CF1411 et I-CF1412 de Mme Stella Dupont.
Ces amendements concernent les taxes sur les titres de séjour et les taxes de régularisation.
L'amendement I-CF1409 vise à plafonner à 150 euros la taxe perçue lors de la délivrance d'un premier titre de séjour et à 87 euros celle perçue lors de son renouvellement. Il vise aussi à supprimer le droit de visa de régularisation lors de la délivrance d'un premier titre de séjour.
Le montant de ces diverses taxes est très élevé puisqu'il peut atteindre 609 euros pour une personne. Ce montant ne semble pas proportionné aux capacités financières des demandeurs. Il y a une forme de rupture d'égalité entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas. Pour illustrer mon propos, je vais citer deux chiffres tirés du rapport publié en 2017 par le Secours catholique : le revenu mensuel médian d'un couple étranger est de 139 euros et celui d'un couple français est de 930 euros. Vous constaterez, comme moi, que l'écart est important. D'ailleurs, il arrive que les titres ne soient pas récupérés en préfecture, ce qui pose question. Pour faciliter l'intégration, il faut aussi ajuster le niveau des taxes.
Les amendements suivants sont des amendements de repli. L'amendement I-CF1410 vise à plafonner à 150 euros le coût de la délivrance d'un premier titre de séjour ; l'amendement I-CF1411 tend à plafonner à 87 euros le prix du renouvellement d'un titre de séjour, sachant qu'il en coûte actuellement 250 euros ; l'amendement I-CF1412 a pour objet de supprimer le droit de visa de régularisation qui est actuellement fixé à 340 euros.
Je suis cosignataire de ces amendements car j'avais déposé l'un d'entre eux l'an dernier. Je n'ai pas récidivé cette année car, considérant que nous étions dans le domaine réglementaire, le ministre s'était engagé à modifier les choses dans le bon sens. Cela n'a pas été fait.
De deux choses l'une : soit je demande le retrait de ces amendements pour qu'ils soient représentés en séance, considérant que les mesures relèvent du domaine réglementaire ; soit j'émets un avis de sagesse et nous les adoptons pour que le ministre s'explique dans l'hémicycle. Je penche plutôt vers la seconde option.
C'est un vrai sujet. C'est compliqué parce que nous ne voulons évidemment pas d'immigration illégale ; nous voulons maîtriser les flux migratoires de façon de plus en plus forte. Ce n'est pas la question. En l'occurrence, la question est que le coût du titre de séjour est très élevé compte tenu de la situation sociale de la personne qui l'obtient, au point qu'il est parfois payé par des associations qui elles-mêmes bénéficient de dons défiscalisés. On tourne en rond. Tous les immigrés ne sont pas incapables de payer ces montants ; il y a évidemment un courant d'immigration qui a parfaitement les moyens de s'en acquitter.
Si j'ai bien compris, les cartes de réfugiés sont un peu moins chères que les titres de séjour. Quoi qu'il en soit, les choses méritent d'être clarifiées pour éviter que les montants ne soient réglés par des organisations qui bénéficient d'un soutien ou de subventions publiques. Il y a des communes ou des départements qui subventionnent des associations comme le Secours catholique, qui portent assistance aux migrants et qui les aident ensuite à payer ces droits une fois que le titre de séjour est accordé.
J'abonde dans votre sens. Le coût de la délivrance d'un premier titre de séjour – 609 euros par personne – est très élevé, sans compter les renouvellements. Le dispositif mérite d'être revu. Quant au soutien des financements, je dirai que l'argent entre dans une poche mais ressort par une autre du même vêtement.
Il y a aussi un coût de renouvellement annuel si je ne m'abuse, mais je n'ai pas une connaissance approfondie du sujet.
Mon avis sera peut-être légèrement plus nuancé. Il me semble qu'il faut faire une différence entre l'obtention du titre de séjour et son renouvellement. Lors de la demande d'un premier titre de séjour, on peut penser que la personne vient d'arriver et qu'elle n'a pas encore une activité économique et les moyens de s'insérer. En revanche, il faut faire un pari : que ceux qui viennent ne vivent pas uniquement d'aides sociales pendant plusieurs années, qu'ils puissent s'intégrer et donc travailler.
Curieusement, ils sont éligibles à certaines prestations sociales sans conditions de durée. À partir de ces aides sociales, ils peuvent peut-être commencer à rembourser le titre de séjour. En tout cas, il y a une réflexion à mener de la façon la plus responsable possible.
La commission adopte l'amendement I-CF1409.
En conséquence, les amendements I-CF1410, I-CF1411 et I-CF1412 tombent.
Après l'article 10
La commission est ensuite saisie des amendements I-CF823, I-CF832, I-CF883 et I-CF889 de Mme Liliana Tanguy, qui font l'objet d'une présentation commune.
Ces amendements ont pour objet de réviser le dispositif d'exonération de la redevance d'archéologie préventive en milieu maritime. En effet, cette redevance, dont le taux a été augmenté l'an dernier, pèse lourdement sur l'économie maritime ainsi que sur l'équilibre financier de projets tels que la pose de câbles sous-marins ou l'installation d'éoliennes en mer. Sa diminution est donc très attendue par les différents opérateurs concernés.
Nous avons rejeté, l'an dernier, des amendements analogues qui, pour être clair, avaient fait l'objet d'un intense lobbying de la part de certains opérateurs. La loi de finances rectificative pour 2017 a modifié le régime juridique de la redevance archéologique préventive en milieu maritime ; il faut laisser à cette réforme le temps de « vivre ». J'ai moi-même rencontré, l'an dernier, les représentants du principal opérateur de transport d'électricité en France, qui oeuvraient alors fortement pour que l'on modifie d'emblée ces dispositions. Or, je ne crois pas que la situation soit aussi grave que vous le dites. Il convient donc d'en rester au régime actuel, d'autant plus qu'il s'agit de milieux extrêmement sensibles.
Je précise que plusieurs opérateurs – et non un seul d'entre eux – se sont adressés à moi, ainsi du reste qu'à d'autres députés du littoral. Je me suis rendue récemment sur un navire câblier chargé de la pose de fibre optique et je puis vous dire que les entreprises de ce secteur, qui contribuent au développement de l'économie numérique, sont fortement pénalisées par la redevance, car ce marché est très concurrentiel. Imposer une taxe aussi importante à des entreprises qui participent à un secteur d'avenir est dommageable. Au demeurant, nous ne demandons pas la suppression de la taxe, mais uniquement sa diminution. J'ajoute que la question a été discutée avec Bercy et qu'elle est actuellement étudiée par la présidence.
Pour ma part, je ne connais pas ce chiffrage, mais peut-être Mme Tanguy peut-elle nous le communiquer.
Je tiens à ajouter que la redevance d'archéologie préventive s'applique à tous les opérateurs, qu'ils soient français ou étrangers ; elle ne crée donc aucune distorsion de concurrence.
La commission rejette successivement les amendements I-CF823, I-CF832, I-CF883 et I-CF889.
Elle examine ensuite les amendements identiques I-CF357 de M. Philippe Huppé et I-CF923 de M. Daniel Fasquelle.
Beaucoup de plateformes de réservation en ligne, en particulier les plus importantes, ne sont pas domiciliées en France, de sorte qu'elles n'acquittent aucun impôt sur les sociétés. Aussi vous est-il proposé, par l'amendement I-CF357, de créer une taxe de 5 % sur le chiffre d'affaires de ces plateformes, dont je précise qu'elle serait compatible avec le droit européen. L'attente est très forte. Or, manifestement, les discussions au niveau de l'Union européenne sont actuellement au point mort.
L'amendement I-CF923 a pour objet de résoudre le problème soulevé par le fait que les plateformes de réservation en ligne échappent à l'impôt sur les sociétés en France, en créant une taxe sur le chiffre d'affaires de ces plateformes, tout en prévoyant que les entreprises ayant leur siège en France puissent déduire cette taxe de leur impôt sur les sociétés. Une telle mesure reste dans le cadre de ce qui est permis par la législation européenne et permettrait de contrer la stratégie développée par certaines plateformes, qui se domicilient en dehors du territoire français pour échapper à la fiscalité.
Je comprends parfaitement les motifs de ces amendements, puisque j'ai moi-même interrogé, de manière assez vive, Bercy sur le cas d'Airbnb. Toutefois, le dispositif proposé est trop imprécis. Ainsi, le chiffre d'affaires n'est pas défini : s'agit-il du chiffre d'affaires mondial ? du chiffre d'affaires réalisé en France ? En outre, la notion de plateforme de réservation en ligne est elle-même mal définie au plan juridique. À ce propos, il conviendrait de taxer l'opérateur de la plateforme plutôt que la plateforme elle-même, qui n'est qu'un outil.
Je souhaiterais donc que leurs auteurs retirent ces amendements, qui ne sont pas opérationnels en l'état, et que nous ayons un débat plus large sur cette question, que le président et moi ne manquons pas d'aborder dans le cadre de nos discussions avec les institutions internationales ou européennes.
Cet amendement est, certes, imparfait, monsieur le rapporteur général, mais il vise à remédier à un problème bien réel : dans certaines parties de notre territoire, l'industrie touristique est en train de se faire dévorer. De fait, les plateformes s'emparent de la part la plus juteuse de l'activité, notamment en juillet et en août, et ne laissent que les os et des miettes aux professionnels qui sont présents tout le reste de l'année. C'est le cas notamment dans le Luberon, qui se trouve dans ma circonscription. Au-delà des raisons qu'on invoque pour ne rien faire – l'incompatibilité de la mesure avec la réglementation européenne, la complexité du problème... –, il faut envoyer un signal et tenter de faire reculer ces plateformes car, si cela continue ainsi, il n'y aura bientôt plus de professionnels dans certaines villes. Dans une commune comme Avignon, les chambres fournies par les plateformes sont plus nombreuses que celles proposées par les hôtels traditionnels. Certains hôtels abandonnent même leur enseigne et se transforment en plateformes de location. C'est le monde à l'envers !
Nous avons eu ce débat il y a deux ans et, l'an dernier, nous avons déposé des amendements très solides, visant notamment à créer une taxe sur le chiffre d'affaires. Il est donc bon d'y revenir et d'interroger Bruno Le Maire qui, semble-t-il, défend la même idée à l'échelon européen. La France pourrait aller plus vite dans ce domaine.
Les arguments du rapporteur général sont pertinents. Il est vrai que la rédaction de l'amendement et la définition juridique des plateformes de réservation en ligne posent problème. Nous allons donc retirer l'amendement I-CF923 pour le redéposer, dans une nouvelle rédaction, en séance publique. Il s'agit d'un amendement d'appel, car le problème mérite d'être traité.
L'amendement I-CF923 est retiré.
Je précise que l'OCDE a adopté des dispositions qui seront traduites dans nos conventions fiscales à compter du 1er janvier 2019. Il faut donc étudier ces amendements à la lumière de ces futures dispositions.
L'amendement I-CF357 est également un amendement d'appel. Je vais donc le retirer, mais nous le retravaillerons en vue de la séance publique en tenant compte des remarques du rapporteur général. Il convient en effet de viser les opérateurs de plateformes, et non les plateformes elles-mêmes.
L'amendement I-CF357 est retiré.
Je rappelle que plusieurs textes sont en cours de discussion, que ce soit à l'OCDE ou à Bruxelles, notamment une taxe sur le chiffre d'affaires et une directive sur la TVA. Ce n'est donc pas au niveau franco-français qu'il faut régler ce problème.
Il est tout de même bon que la représentation nationale se penche sur le sujet, madame Cariou, d'autant plus que nous allons tous dans le même sens.
Article 11 : Suppression de dépenses fiscales inefficientes
La commission examine l'amendement I-CF42 de Mme Émilie Bonnivard.
Cet amendement a pour objet de supprimer l'alinéa 3 de l'article 11, qui tend à priver les entreprises qui font des investissements en immeubles en vue de réaliser des opérations de recherche scientifique ou technique de la possibilité de pratiquer un amortissement exceptionnel égal à 50 % du prix de revient de ces investissements dès la première année de leur réalisation. Compte tenu des fins poursuivies par ces entreprises et de la volonté du Gouvernement et de la majorité de soutenir la recherche et l'innovation, il ne semble pas opportun de supprimer cet avantage fiscal.
Cet amendement n'a pas de véritable portée, puisque le dispositif concerne les investissements réalisés avant le 1er janvier 1991. Il convient, me semble-t-il, de soutenir la démarche de rationalisation des dépenses fiscales. En outre, il existe, dans ce domaine, des dispositions un peu plus intéressantes que nous évoquerons lorsque nous examinerons l'article 14.
Je soutiens l'amendement de Mme Bonnivard. On nous parle de « start-up nation », de « développement de la recherche et de l'innovation ». Or, en supprimant cet avantage fiscal, le Gouvernement va augmenter la fiscalité des entreprises qui contribuent à la recherche scientifique ou technique. C'est ce que nous dénonçons à travers cet amendement.
La commission rejette l'amendement I-CF42.
Puis elle est saisie de l'amendement I-CF1052 du rapporteur général.
Actuellement, les demandeurs d'emploi depuis plus d'un an bénéficient, lorsqu'ils ne sont pas aux frais réels, de dispositions spécifiques au titre de la déduction forfaitaire pour leurs frais professionnels. Cela part d'une intention extrêmement généreuse, mais la dépense moyenne par bénéficiaire n'est que de 2,52 euros. Je ne suis donc pas certain qu'une telle disposition soit une aide considérable pour les demandeurs d'emploi... En revanche, ses bénéficiaires étant très nombreux – 800 000 en 2016 –, ce dispositif inutile coûte entre 1 et 2 millions d'euros suivant les années. Je vous propose donc de supprimer cet avantage qui pourrait être assimilé à une détestable aumône.
La commission adopte l'amendement I-CF1052.
Elle examine ensuite l'amendement I-CF1308 de M. Serge Letchimy.
Cet amendement vise à revenir sur la suppression du dispositif de défiscalisation destiné à favoriser la construction de logements sociaux outre-mer.
En matière d'investissement en faveur du logement social, un crédit d'impôt spécifique permet aux organismes de logement social de bénéficier directement de l'avantage fiscal au titre de l'acquisition ou de la construction de logements neufs dans les départements d'outre-mer jusqu'au 31 décembre 2020. Sont également éligibles au crédit d'impôt certains travaux de réhabilitation, notamment ceux qui sont effectués sur des logements achevés depuis plus de vingt ans et situés dans les quartiers relevant du Nouveau programme national de renouvellement urbain.
Nous sommes donc en présence de deux dispositifs qui répondent aux mêmes objectifs : l'amélioration quantitative et qualitative du parc de logements sociaux outre-mer. Dans une logique de rationalisation des dépenses fiscales, le projet de loi prévoit l'extinction de la défiscalisation au titre du logement social dans les départements et régions d'outre-mer, le crédit d'impôt étant un bien meilleur instrument puisqu'il évite l'évaporation fiscale. Défavorable.
Ce double dispositif a été inventé parce qu'on manque, outre-mer, d'opérateurs et de bailleurs sociaux. Or, je n'ai pas le sentiment que ces derniers soient revenus en force dans ces territoires. Dès lors, supprimer le second dispositif va mettre à mal la construction de logements sociaux outre-mer.
La dépense fiscale étant en augmentation, je pense que le crédit d'impôt fonctionne correctement.
La commission rejette l'amendement I-CF1308.
La commission est ensuite saisie de deux amendements identiques, I-CF672 de M. Philippe Gomès et I-CF1379 de M. Max Mathiasin.
L'amendement I-CF672 vise à étendre le champ de la réduction d'impôt en faveur du logement social afin que les collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie en bénéficient au titre des opérations de réhabilitation et de rénovation.
Actuellement, les organismes de logements sociaux des collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution et de Nouvelle-Calédonie ne peuvent pas bénéficier du crédit d'impôt de l'article 244 quater X, en raison de la compétence de ces collectivités en matière fiscale. L'amendement I-CF1379 vise donc à étendre à tous les territoires ultramarins le bénéfice de cette réduction d'impôt accordée pour les dépenses de rénovation ou de réhabilitation de logements sociaux achevés depuis plus de vingt ans. Il s'agit d'inciter les propriétaires à effectuer, dans les logements anciens, les travaux nécessaires pour parvenir à des performances techniques voisines de celles des logements neufs, et ce afin de se prémunir contre les risques sismiques et cycloniques.
Sagesse. Le Gouvernement vous demandera peut-être de déposer l'amendement sur la seconde partie du projet de loi de finances, afin d'éviter tout effet d'aubaine sur l'année en cours, mais je souhaite que nous marquions dès à présent notre volonté de poursuivre dans la voie que vous avez tracée.
La commission adopte les amendements I-CF672 et I-CF1379.
Elle en vient ensuite à l'examen de l'amendement I-CF1058 de Mme Huguette Bello.
Le présent amendement vise à maintenir jusqu'au 31 décembre 2025 le dispositif prévu au VI de l'article 199 undecies C, relatif à l'acquisition de logements achevés depuis plus de vingt ans en vue de leur réhabilitation. Ce dispositif permet à des propriétaires occupants qui ne disposent que de très modestes ressources de bénéficier de financements pour la réhabilitation de leur logement. Sa suppression, à l'article 11 de ce PLF, est incompréhensible à plusieurs titres. En effet, les logements insalubres et, par conséquent, les besoins de réhabilitation demeurent importants dans les outre-mer. Par ailleurs, le dispositif du crédit d'impôt qui doit se substituer à la défiscalisation est inadapté aux caractéristiques de ces opérations. En outre, les organismes de logements sociaux associatifs qui interviennent le plus souvent dans ces opérations ne bénéficieront probablement pas des mécanismes de préfinancement du crédit d'impôt. Enfin, le maintien des dispositifs d'aide fiscale au logement social figure parmi les engagements du Livre bleu outre-mer.
Cet amendement tend donc à reconduire le dispositif existant, d'une part, en le limitant exclusivement aux réhabilitations des logements dégradés des familles défavorisées et, d'autre part, en prévoyant un contrôle renforcé des intermédiaires et des agréments.
Avis défavorable, notamment pour les mêmes raisons que celles exposées lors de l'examen de l'amendement I-CF1308.
La commission rejette l'amendement I-CF1058.
Puis elle est saisie de l'amendement I-CF1054 du rapporteur général.
Il s'agit de supprimer la réduction d'impôt sur le revenu dont bénéficient des contribuables domiciliés en France à raison des intérêts perçus au titre du différé de paiement qu'ils accordent à des exploitants agricoles âgés de moins de quarante ans qui s'installent ou sont installés depuis moins de cinq ans, dans le cadre de la vente de l'ensemble des éléments de l'actif affectés à l'exercice d'une activité agricole, d'une branche complète d'activité ou de l'intégralité de leurs parts d'un groupement ou d'une société agricole dans lequel ils exercent.
Cette niche fiscale ne bénéficie qu'à une dizaine de contribuables chaque année – ils étaient treize en 2016. L'avantage est donc concentré sur quelques exploitations, mais il est relativement important puisqu'il s'élèverait en moyenne à 38 000 euros par exploitation pour une dépense fiscale de 500 000 euros. Je propose que ce type de mesures un peu trop précisément ciblées, voire abusives, soit supprimé.
Il s'agit d'une dépense fiscale intéressante. Le fait qu'un dispositif soit très ciblé ne signifie pas forcément qu'il est inefficient – pour le coup, on ne peut pas parler de saupoudrage ! La question qui se pose est donc celle de savoir s'il est efficace. En l'espèce, il concerne des exploitants agricoles âgés de moins de quarante ans, donc des jeunes. Toutefois, je ne comprends pas si les bénéficiaires du dispositif sont ceux qui quittent l'exploitation ou ceux qui s'installent. Peut-être s'agit-il d'une aide à l'installation des jeunes agriculteurs...
Il ne s'agit pas d'une aide directe à l'installation ; si tel était le cas, je n'en aurais jamais proposé la suppression.
Après l'examen du projet de loi de finances pour 2018, un groupe de travail sur la fiscalité agricole, dont Marc Le Fur et moi-même sommes membres, a été constitué avec pour mission de dresser un état des lieux de la fiscalité agricole. L'an dernier, lorsque nous avons déposé des amendements sur ce sujet, on nous a répondu qu'il convenait d'attendre les conclusions de ce groupe de travail, qui les a remises il y a quelque temps. Nous retrouvons, du reste, certaines de ses préconisations dans le projet de loi de finances, notamment sur l'aide à l'investissement et l'aide aux jeunes agriculteurs. Je m'étonne donc du dépôt d'un tel amendement, dont nous n'avons pas été saisis.
La mesure dont nous discutons est, d'une certaine manière, une aide à l'installation, puisque le crédit d'impôt bénéficie à ceux qui accordent un différé de paiement aux agriculteurs qui rachètent une exploitation. Il s'agit donc bien, selon l'exposé sommaire de l'amendement, de favoriser l'installation de jeunes agriculteurs.
Comme l'a dit Véronique Louwagie, il faut replacer cette mesure dans un contexte global. Pardonnez-moi, monsieur le rapporteur général, mais je ne sais pas s'il est pertinent de supprimer cet avantage. Ne pourrions-nous pas examiner cet amendement, qui vient un peu comme un cheveu sur la soupe, dans le cadre plus global de la transmission d'entreprises agricoles. Je ne voudrais qu'il ait des effets collatéraux que nous n'aurions pas mesurés.
Pourriez-vous, monsieur le rapporteur général, nous donner une évaluation du nombre d'exploitations concernées ?
Je viens de l'indiquer : en 2016, treize agriculteurs étaient concernés, soit un bénéfice de 38 000 euros par exploitation pour une dépense de 500 000 euros.
Peut-être ces chiffres s'expliquent-ils par le fait que le dispositif est méconnu, auquel cas il faut le faire connaître davantage. En tout cas, tout ce qui peut faciliter la transmission d'exploitations agricoles me semble aller dans le bon sens. En l'espèce, il s'agit bien d'une aide à l'installation des jeunes car la transmission du capital d'exploitation est un véritable enjeu au regard du renouvellement des agriculteurs. Plutôt que de supprimer cette disposition, qui peut être intéressante dans un certain nombre de cas, il conviendrait d'en faire davantage la publicité.
J'ai retrouvé la présentation de cette mesure dans la brochure de 2017 relative à l'impôt sur le revenu. Afin de favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, l'article 199 vicies A du code général des impôts a instauré une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des contribuables qui ont cédé leur exploitation à un jeune exploitant entre 2005 et 2010. Cependant, la déduction des intérêts est possible pendant une période maximale de douze ans, soit, en théorie, jusqu'en 2022. Il faudrait donc s'assurer, monsieur le rapporteur général, que la situation visée par votre amendement ne correspond pas au reliquat de la mesure fiscale qui s'est appliquée entre 2005 et 2010 et dont le bénéfice serait en train de s'éteindre progressivement. Si tel est le cas, laissons-la aller à son terme. Sinon, il faut éclaircir cette question, car il est hors de question de supprimer une mesure en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs.
Puisque la mesure concernée est probablement destinée à favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, je préférerais que l'amendement soit retiré. S'il s'agit bien, comme le dit M. Aubert, d'une mesure en cours d'extinction, laissons-la aller à son terme.
Il s'agit, me semble-t-il, d'un faux débat. Les dispositifs d'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, vous les connaissez tous ; ils vont d'ailleurs être renforcés. En l'espèce, peut-être s'agit-il, comme l'a suggéré M. Aubert, de la fin de l'application d'un dispositif. Aussi vais-je retirer l'amendement, pour le redéposer en séance publique. En tout état de cause, que l'on ne me dise pas qu'un dispositif qui bénéficie à une dizaine de personnes chaque année permet de favoriser l'installation des jeunes agriculteurs. Je crois plutôt qu'il s'agit d'une mesure qui cible des cas particuliers et qui faisait sans doute l'objet d'un amendement on ne peut plus orienté, adopté dans le feu de l'action et la joie d'une nuit sans lune. Encore une fois, lorsqu'une petite niche – son montant total est inférieur à 500 000 euros – bénéficie à une dizaine de personnes, pour des sommes relativement importantes par exploitation, on peut dire qu'il s'agit d'un dispositif relativement abusif, car il ne contribue pas réellement à aider les jeunes agriculteurs.
J'ai compris que le Gouvernement allait déposer un grand projet de loi de réforme de la fiscalité agricole. Peut-être cette question pourrait-elle être abordée dans ce cadre. Si le dispositif présente un intérêt, il faut en étendre le bénéfice ; s'il n'en a pas, il faut en effet le supprimer.
L'amendement I-CF1054 est retiré.
La commission en vient à l'examen, en discussion commune, des amendements identiques I-CF153 de M. Jean-Pierre Vigier, I-CF206 de Mme Marie-Christine Dalloz, I-CF276 de M. Marc Le Fur, I-CF455 de Mme Anne-Laurence Petel, I-CF648 de M. Jean-Paul Dufrègne, I-CF1040 de Mme Valérie Lacroute, I-CF1150 de M. François Pupponi, I-CF1355 de Mme Sarah El Haïry, I-CF1374 de M. Olivier Gaillard et I-CF1396 de Mme Dominique David, et de l'amendement I-CF913 de Mme Sabine Rubin.
L'amendement I-CF206 a trait aux sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), dont le développement est encouragé par la loi « Hamon » de 2014. Actuellement, la loi impose à ces sociétés de verser 15 % de leur résultat en réserve légale, puis au minimum 50 % du solde dans des réserves impartageables. Or l'alinéa 14 de l'article 11 du PLF tend à supprimer les avantages fiscaux liés à ces contraintes. C'est un mauvais signal adressé aux SCIC, qui sont nécessaires dans de nombreux domaines, qui vont du développement de fruitières à l'installation des médecins dans les territoires ruraux.
L'amendement I-CF455 tend également à supprimer l'alinéa 14 de l'article 11, qui vise à réduire la déductibilité des résultats des SCIC dotés aux réserves impartageables pour la réserver aux versements aux réserves impartageables dépassant les dotations obligatoires en application des articles 16 et 19 nonies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut des coopératives.
La suppression de la déductibilité de 57,5 % des sommes mises en réserves impartageables correspondant aux réserves obligatoires du fait de la loi serait très dommageable pour les SCIC et remettrait en cause la création de nouvelles sociétés de ce type ou la transformation d'associations, alors qu'il s'agit d'un moyen privilégié d'évolution de leur modèle économique. Or, je le rappelle, le Gouvernement entend favoriser le changement d'échelle de ce mode d'entreprendre qui concilie activité économique et intérêt général. Les SCIC contribuent en effet à la lutte contre les déserts médicaux et au développement de l'énergie citoyenne, de l'habitat partagé, de la revitalisation des territoires et du secteur du sport.
Si ce dispositif a été peu utilisé par les SCIC, c'est uniquement parce qu'il est récent. Je propose donc que l'on renonce à le supprimer.
L'amendement I-CF648 tend également à supprimer l'alinéa 14 de l'article 11. De nombreuses SCIC nous ont alertés quant aux conséquences qu'aurait l'adoption de cette disposition sur leur modèle. Il est en effet à craindre que la croissance des SCIC existantes s'arrête net et que la création de nouvelles structures répondant à ce modèle soit remise en cause.
À mi-chemin entre la société commerciale et l'association, la SCIC est une structure juridique unique. La déductibilité des résultats affectés aux ressources impartageables est l'un de ses leviers de croissance. Le Gouvernement propose de supprimer cet avantage. Ce faisant, il part d'un faux constat. En effet, ce dont il faut tenir compte, ce ne sont pas les chiffres bruts actuels, mais l'évolution du dispositif sur plusieurs années et son utilité à l'avenir. Le recours au statut de SCIC augmente de 15 % par an depuis 2012. Grâce au renforcement du statut de ces sociétés en 2014, les collectivités locales ont pris conscience de l'intérêt de recourir à ce type de structures et les initiatives sont désormais nombreuses dans ce domaine. Ainsi, ma commune, Nemours, ayant la chance d'être retenue dans le dispositif « Action coeur de ville », nous envisageons de monter une SCIC pour favoriser la revitalisation du centre-ville. Supprimer l'avantage fiscal accordé à ces sociétés, ce serait envoyer un signal très négatif aux collectivités et remettre en cause le développement de celles qui ont été créées ces dernières années et dont les résultats ne se traduisent pas encore dans les chiffres.
L'amendement I-CF1040 est donc un amendement de cohérence, tourné vers l'avenir et le développement des SCIC.
Nous encourageons actuellement certaines associations à se transformer en SCIC, car on leur demande de favoriser une hybridation de leurs ressources. Les SCIC sont en effet des coopératives qui permettent d'associer les usagers, les personnes morales, les collectivités et le porteur de projet pour répondre à des besoins territoriaux, que ce soit la lutte contre les déserts médicaux ou le développement du logement social. C'est un type de structures qui est en pleine croissance. Adopter cette disposition freinerait gravement leur développement. Le Président de la République appelle de ses voeux le développement d'une société de l'engagement. Or les SCIC sont un des modèles de l'économie sociale et solidaire, un modèle, qui plus est, agile et qui a vocation à perdurer. C'est en définitive l'un des seuls outils qui permettent une co-construction active.
J'abonde dans le sens de mes collègues. Le Gouvernement, je le rappelle, soutient le développement des SCIC, qui est accompagné par les collectivités, en particulier le bloc communal. Il est donc important de maintenir le dispositif actuel pour renforcer cette mission d'utilité sociale et d'intérêt collectif.
Tout a été dit, je crois. J'ajouterai simplement que le « pass numérique », qui vient d'être lancé pour favoriser l'accès des citoyens au numérique, est né au sein d'une SCIC de Gironde. Il est donc important de soutenir ce type d'initiatives.
Je sais l'importance que peuvent avoir les sociétés coopératives d'intérêt collectif dans un certain nombre de territoires, notamment les plus fragiles. Toutefois, le dispositif actuel crée un effet d'aubaine puisqu'il incite ces sociétés à placer la totalité de leurs excédents dans les réserves impartageables pour bénéficier d'une exonération totale d'impôt sur les sociétés. Néanmoins, la mesure proposée par le Gouvernement permettrait de réaliser une économie somme toute marginale, puisqu'elle s'élèverait à environ 2 millions d'euros. Compte tenu de l'intérêt que présentent ces structures dans un certain nombre de territoires, je m'en remets à la sagesse de la commission.
La commission adopte les amendements I-CF153, I-CF206, I-CF276, I-CF455, I-CF648, I-CF1040, I-CF1150, I-CF1355, I-CF1374 et I-CF1396.
En conséquence, l'amendement I-CF913 tombe.
Elle examine ensuite l'amendement I-CF1253 de M. Éric Alauzet.
Les niches fiscales anti-écologiques, dont on parle beaucoup, représentent plusieurs milliards d'euros. Cet amendement porte cependant sur une toute petite niche, précisément parce que son montant n'est pas très important. Nous verrons ainsi si l'on est en mesure de supprimer ce type de dispositif. Il s'agit de revenir sur l'exonération, sur agrément, des bénéfices réinvestis dans l'entreprise pour les sociétés de recherche et d'exploitation minière dans les départements d'outre-mer. Cette dépense fiscale est de très faible importance et peu pertinente.
Je précise que, pour bénéficier de ce régime fiscal, les demandes d'agrément ont dû être présentées avant le 31 décembre 2001. Ce dispositif ne vit donc qu'en raison des engagements qui ont été pris antérieurement à cette date, de sorte qu'il n'est pas susceptible de générer des dépenses supplémentaires. Sans doute est-ce, du reste, la raison pour laquelle il n'est plus suivi de manière correcte. Compte tenu du débat sur les outre-mer, je vous incite à retirer l'amendement, faute de quoi j'y serai défavorable.
L'amendement I-CF1253 est retiré.
La commission adopte l'article 11 modifié.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 14 heures
Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, Mme Olivia Gregoire, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Daniel Labaronne, Mme Valérie Lacroute, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Catherine Osson, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Fabien Roussel, M. Benoit Simian, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-François Parigi, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. - M. Max Mathiasin, M. Matthieu Orphelin, Mme Anne-Laurence Petel, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Maina Sage, Mme Liliana Tanguy
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