La séance est ouverte à 17 heures 20.
Présidence de M. Éric Ciotti, président
Je remercie M. René Bailly, directeur du renseignement de la préfecture de police de Paris de 2009 à 2017, d'avoir répondu à notre invitation. Je précise que cette audition ayant lieu à huis clos : nos échanges seront consignés mais ne feront pas l'objet d'une retransmission audiovisuelle.
Monsieur, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. René Bailly prête serment.)
Votre audition est attendue, car nous espérons obtenir des réponses précises sur les événements tragiques qui ont frappé la préfecture de police le 3 octobre. Certes, vous n'étiez alors plus en fonction, mais nous aimerions vous entendre sur ce que Mme Françoise Bilancini, dans sa note adressée le 5 octobre au ministre de l'Intérieur, des personnes que nous avons auditionnées, préfets et cadres administratifs de la préfecture de police, et M. Christophe Castaner lui-même, devant la commission des lois, ont qualifié de « faille » ou de « dysfonctionnement ».
Dans la lettre de mission adressée à votre successeure au moment de sa prise de fonction, il est fait mention de la « professionnalisation » de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). Ce mot, lourd de conséquences, pourrait signifier qu'il existait auparavant un défaut de professionnalisme. C'est la critique sous-jacente qu'il nous a semblé percevoir, en dépit des précautions oratoires, dans les propos des responsables actuels. Ceux-ci ont souligné qu'ils avaient amélioré les procédures, renforcé les liens et la coopération avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Nous pouvons interpréter ces remarques comme une critique en creux de la période lors de laquelle vous étiez en responsabilité, du 15 mai 2009 jusqu'au premier trimestre 2017. Comment avez-vous perçu cette remise en cause plus ou moins explicite ?
Nous vous interrogerons également sur la genèse des signalements, tels qu'ils sont décrits par Mme Bilancini dans sa note adressée au ministre de l'Intérieur, sous couvert du préfet de police. Au lendemain de l'attentat qui a frappé Charlie Hebdo, Mickaël Harpon aurait, lors d'un échange verbal avec deux de ses collègues, exprimé une forme d'apologie du terrorisme en déclarant : « c'est bien fait ». La situation de cette personne et ces propos auraient donné lieu à des échanges informels, fin août ou début septembre.
Avez-vous eu connaissance de ces faits ? Vous ont-ils été remontés ? Est-il concevable que, dans l'un des premiers services de renseignement français – appartenant au deuxième cercle, certes, mais assurant des missions très importantes sur une plaque territoriale stratégique –, des faits qui nous paraissent aussi graves n'aient pas entraîné une plus grande vigilance et le déclenchement d'une procédure de précaution à l'encontre de Mickaël Harpon ?
Monsieur le président, je tiens d'abord à signaler que c'est la première fois, depuis que les faits ont été commis, que j'ai l'occasion d'en parler avec d'autres personnes que les membres de ma famille. Depuis les événements, je n'ai bien sûr pris aucun contact avec les fonctionnaires du service. Pourquoi serais-je allé les ennuyer dans ces circonstances dramatiques, quand je n'ai pas été en relation avec le service depuis deux ans et demi ?
Je ne dispose pas d'autres éléments sur ce drame épouvantable. Je l'ai vécu dans une proximité un peu plus grande que d'autres, car je connaissais intimement l'une des malheureuses victimes, pour des raisons que je pourrai développer.
Je suis arrivé à la DRPP non pas à la mi-mai, mais en juin 2009. Vous avez parlé à plusieurs reprises de « professionnalisme ». Je dois dire que, venant de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui venait d'être créée et où j'étais directeur-adjoint, et auparavant de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), où j'exerçais les mêmes fonctions, soit deux grands services dont le professionnalisme a toujours été reconnu, j'ai trouvé les personnels de la DRPP très professionnels.
Je tiens à le souligner, pour eux. C'est le constat que je fis à mon arrivée, et cela demeure, depuis mon départ en avril 2017 et au-delà du drame qui nous occupe, mon intime conviction. Cela m'incite à dire, et je ne reviendrai pas là-dessus, que la faute d'une, de deux ou de trois personnes ne doit pas rejaillir sur l'ensemble du dispositif. Les personnels qui ont la chance d'être aujourd'hui vivants en sont tout aussi victimes que ceux qui ont été assassinés .
À mon arrivée, le service était composé de quatre sous-directions : trois sous-directions spécialisées – renseignement territorial, sécurité intérieure, immigration clandestine et travail illégal – et une sous-direction transversale, la sous-direction des ressources et des moyens, à laquelle appartenait l'auteur des faits. Il me semble, car cela remonte loin, que celui-ci travaillait déjà en 2009 dans l'unité informatique de cette sous-direction. Celle-ci comprenait d'autres services chargés notamment de la gestion des moyens techniques, des interceptions de sécurité, à la disposition des trois sous-directions spécialisées.
Concernant les faits eux-mêmes, parce que c'est ce qui me préoccupe le plus, j'ai dit que je ne connaissais pas du tout les orientations de l'enquête. Je n'ai pas eu d'écho particulier sur cette affaire
Non. J'ai seulement suivi les dernières minutes de l'audition du préfet Cadot, dans la salle où j'attendais.
Je connaissais très bien l'une des victimes, M. Damien Ernest. C'est lui qui s'occupait des problèmes de mon ordinateur et qui gérait mon téléphone. L'une de ses filles ayant rencontré un problème de santé très grave, j'étais parvenu, par le biais de connaissances dans le milieu hospitalier parisien, à ce qu'elle soit adressée à un spécialiste. Cela m'émeut d'en parler ; sans que je fasse montre d'une curiosité excessive, il venait régulièrement me tenir au courant de l'évolution de l'état de santé de sa fille, dont il était très heureux.
J'ai eu affaire à quelques reprises à Mickaël Harpon, qui ne s'est jamais trouvé seul dans mon bureau. Il venait, toujours accompagné de son chef de section, s'occuper de mon dispositif informatique.
Je l'ai lu dans la presse, je l'ai entendu à la radio : il y aurait eu un signalement en 2015 sur les propos que vous venez de rappeler. J'ignore le contexte, je ne sais pas si ces mots ont été prononcés dans le cadre d'une altercation entre fonctionnaires, si cette personne a dit cela par dérision ; je ne dispose d'aucun élément là-dessus.
Ce que je crois intimement, c'est que ce signalement qui, je le dis très solennellement, ne m'a été communiqué à aucun moment, que ce soit par écrit ou oralement, et que j'ai découvert après les faits, est resté en quelque sorte à huis clos, comme cette audition. Il n'est pas sorti du bureau.
Précisément, il est intéressant d'expliquer comment les bureaux sont organisés à la DRPP. Si, à mon arrivée en 2009, j'ai trouvé les personnels du renseignement territorial, de la sécurité intérieure et de la lutte contre le terrorisme très professionnels, j'ai constaté que l'installation des services n'était pas cohérente. Cela n'a peut-être pas été dit lors des auditions précédentes. Les services étaient complètement dispersés sur trois étages, le service de lutte antiterroriste se trouvant, par exemple, à proximité du renseignement territorial. Mon premier objectif, qui n'a pas été entièrement rempli et je vous dirai pourquoi, fut donc de réinstaller les groupes de fonctionnaires au sein de la direction. Ce n'est pas un grand exploit que de l'avoir fait, et tout le monde y a participé d'ailleurs de très bon gré. La sécurité intérieure et le renseignement territorial sont allés occuper chacun un étage, ce qui a créé un peu d'étanchéité entre les fonctionnaires sur le plan matériel. Sur le plan stratégique, les sous-directeurs, dont les bureaux se trouvaient dans le voisinage immédiat de la direction, où ils n'avaient rien à faire, ont été installés au sein de leur service, à proximité de leurs effectifs. J'ai pensé que c'était important pour la communication.
L'unité informatique, retenez-le, avait été installée peu avant mon départ, en 2016 ou en 2017, face au bureau du sous-directeur des ressources et des moyens. Il suffisait aux six ou sept agents de l'unité de traverser un couloir large de 2,50 mètres pour frapper à sa porte. Avant ce déménagement, ils se trouvaient dans un local très exigu qui donnait sur la place de la Cité. Cela me préoccupait car le serveur se trouvait au milieu et je craignais qu'il tombe en panne l'été, faute de système de refroidissement. Ce déménagement a permis de les installer dans un open space où se trouvaient le chef de section, son adjoint, M. Ernest, et Mickaël Harpon. Comme cela a été dit, constaté et déploré, il y avait une ambiance, je ne dirais pas familiale, mais de proximité : les personnes se côtoyaient, se voyaient tous les jours, partageaient et connaissaient beaucoup de choses sur la vie privée de chacun.
J'ignore toujours à qui ce signalement a été communiqué, à quel niveau il s'est arrêté, mais je présume que cette proximité explique qu'il ait pu être gardé en interne, au sein de ce bureau. C'est une proximité historique ; on ne dévoile pas tout ce que l'on apprend, on ne signale pas, assurément, ce type de comportement. Car l'on se doute bien que dénoncer ces propos conduirait inévitablement, et assez rapidement, à l'éviction de l'intéressé du service. Donc, on se protège, on s'auto-protège. Je ne dispose pas d'éléments particuliers pour l'affirmer, mais le recul, la connaissance et l'expérience des contacts avec eux me le font croire.
Je souhaite donner ici lecture d'un passage clé de la note de Mme Bilancini, dont la presse a fait largement état.
« Plusieurs collègues directs de l'intéressé (Laurent S., Élodie C.) ont ainsi révélé avoir noté par le passé, chez l'intéressé, des signes de radicalisation, et déclarent en avoir alerté leur hiérarchie ou pris conseil auprès de collègues spécialistes de ces problématiques.
Laurent S. déclare ainsi avoir eu une vive querelle avec l'intéressé en 2015, à la suite de l'attentat contre Charlie Hebdo, M. Harpon ayant déclaré : “c'est bien fait”. Accompagné d'un collègue de la même section, Laurent S. dit avoir informé verbalement, en juillet 2015, un fonctionnaire de la SDSI, le major Bertrand L., en charge des signalements de radicalisation, du mariage de M. Harpon avec une musulmane, de sa conversion à l'islam et du fait qu'il ne serrerait plus la main des femmes ni ne les embrasserait. À ce stade, aucun autre élément n'était évoqué.
Le major Bertrand L. confirme que cet échange a bien eu lieu, qu'il était informel, et que ses deux collègues étaient dans la retenue. Il leur demandait alors s'ils souhaitaient formaliser ce signalement, ce qui n'était pas leur intention, leur démarche s'inscrivant dans une perspective de conseil. Ils déclaraient qu'ils souhaitaient en parler à leur chef de section, le commandant Pascal P. Ce dernier serait revenu vers le major Bertrand L. fin août/début septembre 2015, en présence d'un autre fonctionnaire de la SDSI, le gardien de la paix Stéphane A., pour lui dire “qu'il n'y avait pas de sujet avec M. Harpon et qu'il gérait à son niveau”. »
Cela fait quand même au moins quatre fonctionnaires qui ont eu connaissance de ces éléments, dont un commandant et un major en charge des signalements de radicalisation. Comment est-il possible, au-delà de la proximité que vous évoquez, que ces éléments ne soient pas remontés ?
M. Pascal P., que j'identifie maintenant comme le chef de l'unité informatique, a pour le moins manqué de bon sens et de discernement. Il n'a pas voulu en parler pour ne pas nuire à ce collègue. Il a neutralisé l'information. Je ne peux pas expliquer qu'il ne se soit pas soumis à l'obligation morale qu'il avait de l'exprimer. Ce qui m'étonne, c'est qu'apparemment, plusieurs autres fonctionnaires ont détecté des éléments et n'en ont pas parlé, alors que leur hiérarchie est à leur écoute.
Lorsque je rencontrais le commandant P., nous avions un dialogue constructif sur les thématiques de son service, et il ne me semblait pas handicapé au point de ne pas pouvoir exprimer des choses qui le préoccupaient. Je crois qu'il a voulu protéger ce fonctionnaire, ou qu'il a manqué de discernement parce qu'il n'a pas cru à la menace que Mickaël Harpon représentait, ou peut-être, ne l'a pas appréciée comme il convenait de le faire.
Mme Bilancini le confirme et vous venez de le rappeler : à aucun moment ces signalements n'ont été communiqués à une hiérarchie intermédiaire. Et pourtant, il ne manquait pas de commissaires ; même si, après la réforme des corps et carrières, leur nombre a été fortement réduit en comparaison des effectifs d'un autre grand service du renseignement, situé à Levallois-Perret. Les commissaires étaient là, à l'écoute, particulièrement mobilisés sur ces questions puisque nous ne parlions que de la menace terroriste, depuis des années. Même les fonctionnaires du renseignement territorial étaient impliqués dans le dispositif et effectuaient des signalements auprès de leurs collègues de la sécurité intérieure lorsque leurs sources leur donnaient des informations ; le métier du renseignement, c'est aussi de traiter les sources, d'aller chercher le renseignement.
Tout ce dispositif fonctionnait bien, mais un seul homme peut l'annihiler ; c'est le constat que je fais malheureusement aujourd'hui. M. le préfet Cadot l'a rappelé tout à l'heure : quelle que soit la qualité d'un dispositif, un seul élément peut ne pas jouer son rôle, et cela semble avoir été le cas. Je ne vois pas comment on peut procéder autrement, si ce n'est de rappeler les consignes, de faire signer des engagements aux fonctionnaires. Pour autant, la personne aurait-elle fait remonter l'information ? Je ne le crois pas.
Je reviens sur la lettre de mission à Mme Françoise Bilancini, dans laquelle le préfet Cadot fixait un certain nombre d'objectifs et indiquait très clairement la nécessité d'améliorer la coordination, la fluidité des relations avec le service central du renseignement territorial (SCRT) et la DGSI. Comment définiriez-vous les relations entre le service que vous dirigiez alors et ces services de renseignement ?
Existait-il au sein de la DRPP, et plus généralement de la préfecture de police, des instructions écrites qui établissaient une procédure de remontée d'information, dans l'hypothèse de la détection d'une radicalisation potentielle parmi les agents ? Les députés que nous sommes et dont le regard est forcément extérieur – c'est le sens de notre mission – ont le sentiment que de telles procédures n'ont été intégrées qu'à partir de 2017, et plus concrètement encore au travers d'une note d'instruction datant du 7 octobre 2019, soit après l'attaque.
J'aurais pu en parler en préambule : je suis arrivé en 2009 pour des raisons bien précises. Je rappelle que j'étais directeur central adjoint à la DCRI depuis 2008, après avoir occupé les mêmes fonctions entre 2006 et 2008 à la DCRG. Je ne souhaitais pas particulièrement revenir à la préfecture de police, où j'avais passé dix-neuf ans et neuf mois, ce qui est un peu long, à la section antiterroriste des renseignements généraux (RGPP). Mais on m'a demandé, intimé même, malgré mes réticences initiales, de retourner à la préfecture de police, à la DRPP, pour une simple et bonne raison : il fallait que la circulation de l'information soit rétablie sur les ponts qui mènent à l'île de la Cité !
Cette circulation, à vrai dire, était inexistante : il n'y avait aucun échange d'informations. Il ne m'appartient pas de dire pourquoi. On m'a demandé une fois à quand remontait la coordination avec les services de renseignement. J'ai répondu : « au 3 juin 2009 ». Et si j'en ai un souvenir aussi précis, c'est que je suis arrivé à la DRPP le jour précédent.
J'avais des instructions très précises, tant de la part du ministre de l'Intérieur, de la DCRI, que du préfet de police d'alors, M. Michel Gaudin : il s'agissait de communiquer les informations. Du 3 juin 2009 jusqu'à mon départ, en avril 2017, la coordination avec le service central du renseignement n'a fait que s'amplifier.
Dès le départ, nous avons passé toutes les informations. Cela signifie que nous communiquions à la DCRI, devenue la DGSI, les notes d'information sur la sécurité intérieure que nous adressions chaque jour au préfet de police et au ministre de l'Intérieur ; nous en rédigions entre 1 500 et 2 000 par an. Cela me paraissait capital. Je rappelle qu'avant 2009, aucune note n'était transmise, ce qui ne semblait déranger personne. Mais s'il était survenu une vague d'attentats, il aurait fallu rendre des comptes, et cela aurait été très difficile !
Je communiquais tous les mois au directeur, M. Patrick Calvar, un listing complet de nos interceptions de sécurité. Ce n'est pas rien. Cela signifie que nous dévoilions tous les objectifs que nous traitions au plan opérationnel sur la plaque urbaine parisienne. Les services n'avaient qu'à mettre, passez-moi l'expression, un coup de Stabilo boss sur les lignes dont ils voulaient un double, et ils l'obtenaient systématiquement. Auparavant, lorsque j'étais moi-même à la DCRG, puis à la DCRI, je n'avais aucune connaissance des objectifs suivis par la DRPP.
La coopération était donc totale, rien n'était caché. Nous passions également à la DCRI puis à la DGSI toutes les notes de contact, c'est-à-dire les notes que l'on établit après avoir recueilli des informations auprès des sources. Cela me paraissait la moindre des choses puisque c'est cette direction qui finançait cette activité. J'en souffrais d'ailleurs lorsque j'étais directeur adjoint de la DCRI : on refusait de nous transmettre les notes de contact alors que j'envoyais, par porteur, le financement du traitement de ces sources !
Toutes les notes d'information, tous les objectifs traités, toutes les interceptions de sécurité, toutes les notes résultant du traitement des sources étaient communiqués. Nous faisions preuve d'une franchise totale à l'égard du service central du renseignement.
Dès mon arrivée, j'ai nommé un officier de coordination, qui est allé s'installer à la DCRI. Cela n'empêchait pas les fonctionnaires de cette direction d'interroger directement leurs homologues de la DRPP, et ils ne s'en privaient pas. Tout cela était relativement fluide, et ne nécessitait pas de contrôle de ma part.
La coopération s'est encore amplifiée avec l'installation d'un officier de liaison de la DCRI à la DRPP. Alors qu'il n'y a pas beaucoup de place – l'immobilier est un problème à la DRPP et j'aimerais évoquer avec vous la sécurité des locaux –, j'ai tenu à ce qu'il ne soit pas installé dans un placard, mais au secrétariat attenant au bureau du sous-directeur de la sécurité intérieure. Cela signifie que toutes les informations qui parvenaient au sous-directeur étaient à sa disposition.
À la demande de M. Patrick Calvar, j'ai également désigné un officier de liaison pour travailler au sein de la cellule interservices Allat installée à la DGSI, qui synthétisait le renseignement sur la menace terroriste.
Deux officiers de liaison de la sous-direction du renseignement territorial étaient également installés au SCRT, pour traiter toutes les informations concernant l'ordre public, les violences urbaines, y compris les cas ou les signalements de radicalisation potentielle.
Nous avons donc mis en place un dispositif que je considère comme pertinent ; je n'ai jamais douté de son efficacité.
Tout le monde était très sensibilisé à la menace dont la France faisait l'objet. C'était, au-delà de l'ordre public, notre préoccupation principale et nous en parlions plusieurs fois par jour. Tous les services étaient impliqués dans le dispositif, même la sous-direction de l'immigration clandestine et du travail illégal. En effet, celle-ci procédait à l'interpellation de nombreuses personnes, notamment des étrangers en situation irrégulière. Parmi les individus qui se trouvaient en garde à vue ou en rétention administrative, on pouvait légitimement espérer qu'il puisse se trouver des profils susceptibles de nous intéresser et de constituer des sources. Nous pouvions aller librement leur parler. Tous les agents étaient donc impliqués et pas une personne, je pense, pouvait s'estimer ne pas être sensibilisée à la lutte contre le terrorisme et au phénomène de la radicalisation.
Pour ce qui est de la radicalisation des agents, nous avons reçu entre quatre et six signalements de comportements suspects. Si je me souviens bien, ils visaient des fonctionnaires de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), peut-être des fonctionnaires de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Un cas, concernant un fonctionnaire de la gendarmerie nationale, avait particulièrement appelé notre attention. Ces signalements ont fait l'objet de notes, de communications écrites, de rapports adressés immédiatement aux directeurs actifs de ces services, sous couvert, bien évidemment, de l'autorité du préfet de police. Je n'ai pas eu de retour – je n'avais pas à en connaître – sur le sort ou les décisions qui ont été prises à l'égard de ces fonctionnaires.
S'agissant de la détection interne, je n'ai pas souvenir d'avoir eu de signalement, et certainement pas sur la personne dont les agissements ont conduit à la création de cette commission d'enquête. Cela fait deux ans et demi que j'ai quitté ce service, je n'ai pas souvenir d'éléments précis ou de fonctionnaires qui auraient pu attirer notre attention.
Il est arrivé que je demande à la DGSI, et à la DCRI, de réaliser des vérifications, voire des surveillances, sur des fonctionnaires de la DRPP qui pouvaient présenter des signes de déloyauté à l'égard du service ou de non-respect de la confidentialité, dans leurs activités sur Facebook, par exemple. Mais il ne s'agit pas là de radicalisation.
La DGSI avait attiré mon attention sur un ou deux cas de fonctionnaires qui lui paraissaient suspects. Ils appartenaient à une section de la sous-direction de la sécurité intérieure, spécialisée sur les communautés étrangères, et plus particulièrement sur les opposants à ces communautés. Ils entretenaient, dans le strict cadre professionnel, des relations avec des représentants d'ambassade. L'objet n'était pas de faire du contre-espionnage, mais de savoir, par exemple, de quels éléments l'ambassadeur de Turquie disposait, et quelles craintes il nourrissait sur une éventuelle attaque de l'ambassade lors d'une manifestation interdite du PKK dans la capitale. La DGSI m'avait informé qu'elle procédait à des vérifications pour s'assurer que ces fonctionnaires n'étaient pas déloyaux.
Mais je n'ai pas souvenir de cas précis de radicalisation. Je n'ai pas donné d'instruction particulière concernant les carences éventuelles d'agents de la direction que l'on aurait pu suspecter de nourrir des intentions malsaines à l'égard du service, ou à plus forte raison, de leurs collègues.
Vous avez répondu à mes interrogations. Je voulais vous demander si vous aviez eu à traiter de cas suspects au sein de la DRPP. Vous avez répondu par la négative. Je voulais savoir aussi si vous aviez été proactif en matière de détection, vous venez de le confirmer.
Je tiens à le redire, sincèrement et solennellement : tous les fonctionnaires de la DRPP ou presque, puisqu'il suffit d'un seul pour arriver à ce que l'on a connu, ont effectué un travail de grande qualité.
J'ai travaillé pendant plus de quarante ans dans les services du renseignement. Durant les huit dernières années que j'ai passées à la préfecture de police – c'est un bail assez long pour un directeur, peut-être le plus long ; je ne m'en vante pas, j'aurais peut-être aspiré à d'autres fonctions – les agents du renseignement territorial ont été confrontés aux manifestations les plus importantes, les plus difficiles que la France ait connues.
Je ne parle pas des gilets jaunes, je ne parle pas non plus des « black blocs », que j'ai suivis personnellement de près, puisque j'allais moi-même aux manifestations ; le préfet Cadot, le préfet Boucaut le savaient et le préfet Gaudin s'en souvient encore. Je pense aux 340 000 participants à la Manif pour tous – loin, tout de même des 2 millions revendiqués par les organisateurs –, troisième manifestation en nombre après la manifestation en faveur de l'école privée de 1984 et celle qui s'était tenue, en 2002, avant le deuxième tour de l'élection présidentielle opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen.
Ils ont également montré tout leur professionnalisme lors de l'attaque des policiers quai de Valmy et de l'incendie de leur voiture. Si les auteurs ont été interpellés le soir même, ou au plus tard le lendemain matin, c'est que des fonctionnaires du renseignement territorial, qui travaillaient sur les manifestations avec ceux de la sécurité intérieure, chargés du suivi des « black blocs », sont allés quasiment au contact de ces personnes, au péril de leur vie, pour les identifier malgré leur tenue. Ils ont notamment repéré le haut d'un caleçon, d'une couleur bien particulière, en l'occurrence celui de M. Bernanos. Cela a conduit en prison pour quelque temps l'arrière-petit-fils de l'écrivain, très bien entouré par les comités de soutien.
Je tiens à rendre hommage à ces fonctionnaires qui ont particulièrement bien travaillé et qui doivent se trouver très affectés par ce qui est arrivé à la préfecture de police. De leur côté, les fonctionnaires de la sécurité intérieure ont travaillé sur des dossiers qui n'intéressent pas cette commission, participé à des opérations qui ont permis de démanteler des réseaux terroristes très importants, pas uniquement liés à l'islam radical, mais aussi à la mouvance insulaire. Ils étaient les seuls à travailler sur ces objectifs, au péril de leur intégrité physique, car on connaît les menaces qui peuvent venir de ces gens-là. Voilà ce que je peux dire sur ces personnels qui ne méritaient sûrement pas ce qui est arrivé.
Je vous remercie de vous être déplacé jusqu'ici, M. Bailly.
Ma première question est simple. Le directeur de cabinet du préfet de police vient de nous expliquer qu'il est destinataire de tous les documents. Lorsque vous étiez directeur de la DRPP, les renseignements récoltés passaient-ils par le préfet ou son directeur de cabinet avant toute transmission ?
Toutes les informations, notes ou contacts, tous les documents réalisés par la DRPP étaient transmis au préfet de police, quelle que soit la thématique, par voie électronique sécurisée. La DCRI, devenue DGSI, en était également destinataire, et de la même façon les informations relatives à l'ordre public, dont on sait qu'il peut vite dégénérer dans la capitale, étaient transmises en temps réel à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). Cela vous paraîtra peut-être accessoire, mais je redoutais parfois que l'une ou l'autre direction ne réagisse à un document avant que le préfet de police n'ait eu le temps de le consulter, ce qui aurait pu être la conséquence de cette transmission directe systématique.
Cela me paraît au contraire très important. Le système est compliqué : les informations doivent passer par le préfet de police et les chefs de service prennent des risques en les transmettant aux collègues en charge du renseignement. Que les professionnels de la sécurité et du renseignement, c'est-à-dire la DRPP, la DGSI et la SCRT soient contraints d'attendre le feu vert du préfet pour recueillir du renseignement constitue un problème.
Vous avez mentionné des signalements concernant des fonctionnaires de la DSPAP, de la DOPC et de la gendarmerie nationale. Ces déclarations émanaient-elles de collègues de travail ?
Pour répondre à votre première question, les préfets qui se sont succédé quand j'étais en poste à la DRPP prenaient bien connaissance des notes d'information, par exemple sur la sécurité intérieure, ou je les en avisais, mais je n'ai que très rarement reçu des instructions de leur part quant au suivi des objectifs en la matière ou sur la lutte contre le terrorisme.
Mon propos visait plutôt le système très hiérarchisé de la préfecture de police, où même un service de renseignement extérieur doit attendre l'aval du préfet de police pour obtenir un renseignement. On imagine aisément ce qui peut se passer en cas d'urgence, d'attentat imminent !
Ce n'était pas le cas. Et je vais vous dire plus, vous qui connaissez la maison : quand le sous-directeur Frédéric Ferrand recevait des informations à caractère opérationnel sur les objectifs « chauds », pour employer le jargon du terrain, c'est-à-dire ceux qui présentaient un danger potentiel, et que la DCRI devait en connaître avant toute chose, il venait m'en parler après en avoir informé cette direction. S'il y avait des dispositifs communs à mettre en œuvre, s'il fallait procéder à des investigations supplémentaires ou demander des interceptions, c'était déjà dans les tuyaux avant même que je n'en sois avisé.
Il prenait sur lui pour transmettre les renseignements à ces services-là, mais ce n'est pas normal.
Je vous remercie de m'interroger sur ce point, car la question a également été posée au préfet Cadot, et je ne partage pas complètement son point de vue. Je sais pourquoi j'ai été nommé à la DRPP en 2009, et je n'ai pas compris pourquoi la réforme du renseignement opérée l'année précédente n'était alors pas arrivée sur l'île de la Cité. Les ponts étaient sans doute bien contrôlés…
Mes propos m'engageront peut-être plus que je ne le souhaiterais, mais je sais dans quel cadre je m'exprime devant vous aujourd'hui. Revenons à la fusion entre la direction de la surveillance du territoire (DST) et la DCRG, que j'ai vécue de l'intérieur, puisque j'étais alors en poste aux RG sous l'autorité du directeur central Joël Bouchité. Nous étions dans le même bâtiment que le personnel de la DST, dirigée à l'époque par Bernard Squarcini.
Ce que j'ai bien compris, c'est que la fusion de 2008 n'en était pas une ; c'était plutôt une fusion-acquisition. À mon grand regret, on s'est « débarrassé » du renseignement territorial, sans doute considéré, à tort, comme moins noble que la sécurité intérieure. Les manifestations des gilets jaunes ont en effet montré l'importance du renseignement de proximité, essentiel à la surveillance des mouvements contestataires susceptibles de mettre en péril la sûreté de l'État ou d'entraîner les bouleversements que certains espèrent.
Les personnels des ex-RG ont été mal accueillis au sein de la DCSP où a été intégrée la nouvelle sous-direction de l'information générale (SDIG). Il m'a semblé à l'époque, j'en suis un peu moins convaincu aujourd'hui, que ce n'était pas le rôle de la sécurité publique de produire du renseignement. Bien que qualifiés en leur temps de généraux, les RG avaient une vocation précise, une mission spécifique qui aurait justifié l'existence d'un service propre ; ils n'auraient pas dû être absorbés par la sécurité publique, dont les investigations ont pour champ principal la lutte contre la délinquance.
Ce rattachement est probablement désormais bien assimilé, et je ne doute pas que les fonctionnaires qui y sont affectés ont trouvé leur compte et y sont heureux. Je peux néanmoins vous dire qu'au moment de la réforme, les personnels concernés ont beaucoup souffert de ce manque de considération : ils ont été pour ainsi dire évincés du renseignement intérieur et l'ont très mal vécu. Les fonctionnaires des RG qui ont eu la chance d'être affectés à la DCRI ont eux aussi essuyé une pointe de dédain de la part de leurs collègues issus de la DST. On pouvait aisément identifier l'origine des uns et des autres au numéro de série figurant sur les badges, et j'ai parfois constaté en prenant l'ascenseur qu'on ne s'adressait pas la parole entre anciens de la DST et ex-RG. Je suppose que, depuis la fusion, le temps a fait son œuvre et que l'atmosphère s'est réchauffée, mais ces comportements ont laissé des traces et sécrété de l'amertume.
La réforme a donc été mal digérée et, pour ma part, je n'ai pas compris pourquoi elle n'était pas arrivée à la DRPP.
Quand je suis arrivé à la DRPP et qu'on m'a demandé quelle réforme avait été menée, j'ai répondu que la grande réforme se résumait à un changement de sigle : on est passé des RGPP à la DRPP sans rien changer. Toutes les missions ont été conservées, en particulier la lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal des étrangers, dont je n'ai jamais compris pourquoi elle incombait aux RGPP. Parce que celle-ci n'était pas la plus appréciée des fonctionnaires, à l'exception de ceux qui en ont fait au fil des années leur spécialité, il est probable que personne ne voulait en hériter.
Auriez-vous souhaité voir la DGSI fusionner avec le SCRT, ou du moins, en prendre le contrôle ?
Sans aller jusqu'à la fusion, il faudrait trouver un habile dispositif pour satisfaire à la fois l'ancien préfet de police qui m'a précédé et ceux qui ne sont pas enclins à accueillir le renseignement territorial au sein de la DGSI ou, en d'autres termes, pour que tout ce qui relève de la sécurité intérieure, puisque c'est la dénomination retenue aujourd'hui, soit en effet sous l'autorité de la DGSI. Je vous ai indiqué tout à l'heure en réponse à l'une de vos questions que, dans le domaine de la sécurité intérieure, je ne recevais jamais d'instructions du préfet de police, sa seule demande étant que je balaie les objectifs au cours de la réunion hebdomadaire sur le terrorisme. Pour en revenir à notre sujet, je m'en suis ouvert il y a quelques années à l'un des trois préfets de police sous l'autorité desquels j'ai exercé, et celui-ci ne voyait là aucune remise en cause de son autorité. Ce qui intéresse le préfet de police de Paris, c'est de recueillir les informations émanant de ses services, et pas obligatoirement de piloter ces derniers. En petite couronne, c'est-à-dire dans le Val-de-Marne, en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine, il y a un service territorial de sécurité intérieure qui dépend de Levallois et sur lequel le préfet n'a aucune autorité. À Roissy se déploie également un important dispositif de sécurité intérieure.
Vous ne m'avez pas répondu au sujet des signalements concernant les fonctionnaires de la DSPAP, de la DOPC et de la gendarmerie nationale.
Ces signalements venaient de l'intérieur, ce qui montre qu'il y a des services au sein desquels l'information circule, et que, quel que soit leur grade, les responsables qui détectent un comportement présentant des risques pour leur service en avisent leur supérieur. Je pense en particulier au cas d'une gendarmette qui avait une liaison avec l'une de nos cibles et qui l'a fait pénétrer dans un site très protégé de la gendarmerie nationale, à notre grande stupéfaction. J'ai donc adressé une note à ce sujet au directeur de la gendarmerie nationale de l'époque, M. Denis Favier.
Pour en revenir à un point qui me paraît important, si je résume vos propos à gros traits, vous seriez donc favorable à la suppression de la DRPP.
Sans fausse modestie, je crains que mon avis importe peu en la matière.
Je ne suis plus en activité…
…et vous aurez pu constater que je parle assez librement. Compte tenu de la gravité des faits, je ne tiens pas à polémiquer sur les commentaires quelque peu désagréables de la personne qui m'a succédé, et que j'ai d'ailleurs bien connue, puisqu'elle était sous mes ordres à la DCRG puis à la DCRI. Je reconnais qu'elle a une grande compétence, en particulier dans le domaine des ressources humaines, qui correspond au dernier poste qu'elle a occupé à la DGSI. J'ai pour ma part développé de modestes compétences opérationnelles sur le terrain, où je n'hésitais pas à me rendre en tant que directeur, ce qui m'était parfois reproché comme une prise de risque inconsidérée. Je me suis malheureusement fait gazer au cours d'une des manifestations les plus dures que j'aie pu connaître lorsque des « blacks blocs » étaient en action ; il me semblait pourtant que, au vu du contexte, j'étais à ma place à ces moments-là. Les préfets de police étaient d'ailleurs assez friands des informations que nous pouvions rapporter du terrain et ne m'interdisaient jamais de m'y rendre.
Je ne souhaite pas la dissolution de la DRPP. Permettez-moi toutefois de poser une question à mon tour : pourquoi la DST ou, à sa suite, la DCRI n'ont-elles jamais eu de direction régionale à Paris ?
Cette question d'organisation sera sans doute un des sujets dont nous débattrons une fois les auditions achevées pour formuler des recommandations.
Votre analyse me paraît à cet égard très intéressante, et sur bien des points je la partage. Si j'ai bien compris, vous souhaiteriez l'intégration du volet sécurité intérieure à la DGSI, tandis que le volet renseignement territorial resterait sous l'autorité directe du préfet de police, à l'instar, vous l'avez rappelé, de la SCRT, rattachée à la direction centrale de la sécurité publique, donc sous l'autorité directe des préfets ?
Devant d'autres commissions que la vôtre, j'ai défendu, avec chacun des préfets de police sous l'autorité desquels j'ai exercé, le maintien de l'immigration clandestine dans le champ de compétence de la DRPP, pour lequel je n'avais pas trop d'arguments. J'ai d'ailleurs fait valoir auprès de chacun d'eux le coût quasiment nul d'un éventuel transfert vers la DSPAP : les locaux de la sous-direction venant d'être refaits, il suffisait de laisser les fonctionnaires et leurs ordinateurs dans leurs locaux et de changer le sigle en haut des documents. Les effectifs étaient presque aussi importants qu'à la sécurité intérieure : on a parfois atteint les 200 fonctionnaires, tant il y avait à faire dans la capitale ! Cette sous-direction était d'ailleurs la section judiciaire de France qui réalisait le plus grand nombre de gardes à vue et, bien qu'il s'agisse d'immigration, elles étaient assurées par les RGPP, ce qui est assez singulier pour être souligné. La réforme s'est donc faite ainsi, juste avant mon départ, et j'ai participé à ce transfert.
En 2016 ou en 2017, je ne me souviens plus exactement.
Concernant le renseignement territorial, le principal intéressé est le directeur de l'ordre public et de la circulation, sous l'autorité, bien sûr, du préfet de police, et il est destinataire de toutes les notes en la matière, par exemple au sujet des risques d'une manifestation ou d'un rassemblement ayant lieu à Paris. Partout ailleurs en France, cette activité a été transférée à la sécurité publique, malgré les réserves dont je vous ai fait part. Ce fonctionnement est sans doute désormais parfaitement rôdé, car je n'ai jamais entendu dire qu'il posait problème, et les fonctionnaires y sont sans doute heureux. Le transfert à la DOPC ne serait à mon avis pas une difficulté pour le préfet de police, qui reste de toute façon l'autorité supérieure de son directeur. Il resterait donc à la DRPP la sécurité intérieure, à la tête de laquelle on pourrait nommer un directeur placé sous l'autorité du préfet de police mais dépendant directement de la centrale de Levallois. Cela ne gênerait en rien la transmission de l'information ou la gestion, mais mon avis n'est sans doute pas celui de la plupart des fonctionnaires…
J'aimerais si vous le permettez aborder la question du budget de la DRPP. Vous avez parlé de professionnalisation, mais le problème n'est pas de sensibiliser les fonctionnaires aux phénomènes de radicalisation, car ils le sont déjà. Le cas de M. Pascal P. mis à part – si j'avais su que celui-ci détenait de telles informations, je l'aurais reçu personnellement et le problème aurait été réglé rapidement –, ces fonctionnaires font un travail remarquable. Ils mériteraient simplement d'être aidés, d'être logés convenablement.
Les accès à l'ensemble des bureaux de la sécurité intérieure (et du renseignement territorial) n'étaient protégés, jusqu'en avril 2017 (date de mon départ), que par des portes à pass magnétique relativement fragiles et se faisaient par des escaliers desservant tous les étages de l'immeuble et donc accessibles au public venant effectuer des démarches administratives (titres de séjour par exemple…). Il n'y avait pas vraiment de circuit sécurisé pour les fonctionnaires du service. Bien souvent, monsieur le président, nous apprenions qu'une de nos cibles était aux services des permis de conduire ou des étrangers ! Nous la prenions alors en filature in situ. Je suppose qu'on ne vous a jamais parlé non plus des véhicules de la sécurité intérieure, dont les agents ont pourtant fort besoin, car ils sont souvent sur le terrain et qui stationnent sur la voie publique sans aucune protection ou surveillance dans le quartier de l'île de la Cité ! Concernant le matériel, le budget de moins de 2 millions d'euros était en grande partie absorbé par la masse salariale ; je ne disposais que d'environ 10 000 à 15 000 euros par an pour changer les ordinateurs. J'ai été le premier défenseur en 2008 du budget de la DCRI, qui était très nettement supérieur à celui alloué à la DRPP. Or la professionnalisation passe aussi par là, et je suis le premier à me réjouir de ce que Mme Bilancini dispose de moyens plus importants car c'est un signe de reconnaissance encourageant pour les fonctionnaires, qui n'hésiteront pas à s'en servir.
J'ai noté votre analyse sur le rattachement du renseignement territorial à la sécurité publique, bien que nous sortions là du périmètre de la préfecture de police. Seriez-vous favorable à l'installation d'une direction générale unique du renseignement territorial sur le territoire national, à l'image de la DGSI pour la sécurité intérieure ? Puisqu'il n'est selon vous pas pertinent de rattacher le renseignement territorial à la sécurité publique, que préconisez-vous ?
En 2009, il ne me semblait en effet pas très pertinent de donner à la sécurité publique une mission de renseignement, et la manière dont on a procédé ne l'était pas non plus. Pour le dire plus clairement encore, les fonctionnaires qui sont partis au renseignement territorial, à la SDIG devenue ensuite SCRT, ne l'ont pas véritablement choisi ; ils y ont été contraints, ce qui n'est jamais une bonne façon de faire.
À quelle direction auraient-ils dû être rattachés, selon vous ? Aurait-il fallu constituer une direction autonome unique ?
Oui, mais on nous opposerait immédiatement qu'il n'est pas question de reconstituer la DCRG, « qu'on a eu tant de mal à dissoudre ».
Je ne suis pas un spécialiste du renseignement, mais j'ai participé, en tant que membre ou vice-président, à plusieurs commissions d'enquête, qui m'ont d'ailleurs donné l'occasion de vous auditionner. Et j'ai l'impression que notre échec vient de la multiplicité de nos services de renseignement, qu'il faudrait totalement refondre. Je le dis avec d'autant moins de retenue que nous sommes ici à huis clos. Cela me permet également de suggérer que nous nous inspirions d'un pays expert en la matière, Israël. La sécurité intérieure, le renseignement militaire et le renseignement extérieur y sont confiés respectivement au Shabak, également appelé Shin Beth, à l'Aman et au Mossad, mais c'est le Shabak qui chapeaute l'ensemble. J'ai d'ailleurs auditionné pendant près de deux heures son ancien directeur, Yoram Cohen, avec Éric Ciotti et Guillaume Larrivé.
À vous écouter, on a le sentiment ici que chacun se bat pour défendre son pré carré. Vous nous avez expliqué tout à l'heure que vous transmettiez toutes vos informations, que vous aviez créé un poste d'officier de liaison, mais la circulation se faisait-elle dans l'autre sens ? Comment un service de renseignement peut-il fonctionner si, passé le périphérique de Paris, il n'est plus compétent ? Vous avez affirmé tout à l'heure que la transmission de l'information par les fonctionnaires relevait d'une obligation morale, mais ce qu'il faudrait, c'est une obligation réglementaire stricte, assortie de sanctions.
Je trouve cette audition très instructive, et avec tout le respect que j'ai pour Mme Bilancini, je salue votre professionnalisme et votre connaissance parfaite des services que vous avez dirigés, M. Bailly. Vous avez simplement été contraint d'exécuter les ordres qui vous ont été donnés avec les moyens qui vous étaient alloués. Vous êtes aujourd'hui un peu plus libre de vos propos car, si j'ai bien compris, vous êtes désormais à la retraite, mais notre devoir étant de faire en sorte qu'un tel drame ne se reproduise pas, je ne vois pas comment nous pourrons faire l'économie d'un changement complet dans l'organisation des services de renseignement, et je pense que le président Ciotti et mon collègue Jean-Michel Fauvergue ne me contrediront pas sur ce point ; nous en discuterons sans doute entre nous lors de la formulation des recommandations.
Vous m'avez sans doute entendu employer tout à l'heure le terme d'amateurisme : lors de son audition à huis clos, votre successeure a parlé d'esprit de famille, des amis que chacun invitait à rejoindre son service, ce qui nous a donné le sentiment que sous son autorité, il semblait y avoir un certain amateurisme, bien loin de l'effort de professionnalisation qu'elle était censée engager. C'est une importante source d'inquiétude, car l'organisation du renseignement, c'est la base de tout. Tout récemment, les services sont parvenus à déjouer un attentat d'envergure qui devait avoir lieu à Villepinte, grâce à des informations recueillies auprès de services étrangers. C'est bien la preuve que tout doit être centralisé. La DRPP ne peut pas continuer à faire ainsi cavalier seul !
Une obligation morale peut vite devenir une obligation pénale : celui qui n'a pas dénoncé un comportement fautif dont il avait été informé risque de voir sa responsabilité engagée et, en l'occurrence, les conséquences de la rétention d'information sont extrêmement lourdes à porter pour lui.
Je pense en particulier à celui qui a dit qu'il « gérait » la situation.
Personnellement, j'ai eu très peu de retours opérationnels de la centrale de Levallois, qui ne m'a jamais transmis d'instructions, ni désigné d'objectifs. Ceux que nous avons suivis, et je peux vous assurer qu'ils sont très nombreux, nous sommes allés les chercher, nous les avons trouvés nous-mêmes.
Par conséquent, pour parvenir à une meilleure efficacité globale des services il me paraît opportun aujourd'hui que la DGSI (avec l'apport de ses moyens techniques et technologiques très importants) ait la main directe sur le traitement de la sécurité intérieure par la DRPP sans pour autant, comme dans tous les autres départements du territoire national, méconnaître le droit d'en connaître des autorités préfectorales.
Nous sommes là au cœur du sujet qui nous préoccupe, et sur lequel j'aurai, en tant que rapporteur, la charge de formuler des préconisations. Ce travail alimentera peut-être le livre blanc et la loi de programmation à venir, et il serait utile que nos premières recommandations soient émises avant les mois de février ou de mars.
Je souhaite revenir sur une question à laquelle vous n'avez pas répondu de façon assez précise. Si je comprends bien, il n'existait pas de procédure de remontée des informations lorsque le signalement informel a été fait à l'été 2015. L'instruction n'a été donnée que le 7 octobre 2019. Le préfet Cadot nous a fait part tout à l'heure des documents qui avaient circulé relativement à la prévention de la radicalisation, mais ces derniers étaient tournés vers l'extérieur plutôt que vers l'intérieur. Pensez-vous que l'existence d'une instruction équivalente à celle envoyée le mois dernier par le préfet de police Lallement aurait pu considérablement modifier le cours des événements ? Le signalement aurait-il pu dans ces conditions être formalisé et aboutir à la mise à l'écart de l'auteur de l'attentat ?
Incontestablement, c'eût été plus rassurant pour le personnel.
Je n'en ai pas le souvenir.
Un dispositif est toujours perfectible. Je ne m'explique pas la façon dont ces agents ont agi, mais le juge d'instruction saisi de l'affaire, Jean-François Ricard, avec lequel j'ai eu l'occasion de collaborer lorsqu'il était au pôle antiterroriste, aura peut-être des éclaircissements à apporter sur les raisons pour lesquelles l'information n'est pas remontée. Le préfet Cadot l'a rappelé, plusieurs fonctionnaires auraient tu leur inquiétude, mais le meilleur des dispositifs n'aurait pas pu empêcher cela. Je vais m'appuyer sur une triste actualité pour illustrer mon propos : le chauffeur d'un poids lourd de plus de cinquante tonnes s'est engagé sur un pont qui ne pouvait en supporter que vingt, malgré les panneaux, et en dépit, peut-être, des instructions de son employeur, ce qui a entraîné un tragique accident. La solution serait-elle de placer un gendarme à l'entrée du pont pour arrêter les convois non autorisés ? On peut toujours aller plus loin, mais on ne pourra jamais complètement se prémunir contre la défaillance, la lâcheté ou le manque de discernement d'une personne.
Je suis le fil de ma question, car elle me paraît centrale pour comprendre les mécanismes internes à la DRPP à l'époque. Après l'attentat contre Charlie Hebdo, l'auteur de l'attaque de la préfecture aurait émis un commentaire valant très clairement incitation à commettre des actes terroristes. Comment interprétez-vous le fait que, même après les attentats du 13 novembre 2015, aucune instruction n'ait été donnée en interne sur les procédures de détection pouvant concerner les agents eux-mêmes ?
Comme vous l'imaginez, nous étions préoccupés par les événements que vous venez de rappeler. Il me revient à l'esprit que la sous-direction de la sécurité intérieure avait établi des grilles mettant en évidence différents points de vigilance car plusieurs entités nous avaient demandé de l'aide.
Plus que cela : des réunions ont eu lieu. Le préfet Cadot a mentionné, lors de son audition, la RATP et la SNCF, mais je peux vous dire qu'il y en a eu bien d'autres. Nous avions établi à la demande des responsables de ces structures des grilles d'évaluation des signes de radicalisation. Pouvaient être considérés suspects, par exemple, un homme qui portait la barbe en pointe, un homme qui rentrait le bas de son pantalon dans ses chaussettes, un homme qui ne serrait plus la main de ses collègues femmes, un chauffeur de bus qui refusait de faire monter une femme voilée se rendant au travail. Cette grille était connue au sein de l'ensemble de la direction, y compris à la sous-direction du renseignement territorial.
Il me revient en mémoire à l'instant que Bernard Charbonnier, le sous-directeur des ressources de l'époque, qui était donc en charge de l'unité informatique, avait passé les trois quarts de sa carrière à la lutte antiterroriste à la DCRG. Il n'avait donc pas besoin d'être sensibilisé à ce phénomène. L'unité informatique était elle-même sensibilisée, puisqu'elle intervenait dans les bureaux de la sécurité intérieure, où on ne parlait que de lutte antiterroriste. Et, dans 90 % des cas traités au sein de la DRPP, cette mission concernait l'islam radical. Le renseignement territorial y était associé, et nous avions incité nos collègues de l'immigration clandestine à nous indiquer ceux qui pouvaient constituer des « clients potentiels ». Sachant cela, vous comprendrez que ce qui s'est produit puisse me paraître étonnant. Je n'ai d'ailleurs pas de terme idoine pour qualifier ce comportement peu digne d'un policier ; c'est désolant, calamiteux.
Je l'ai connu, en effet.
Vous nous avez indiqué qu'il venait toujours dans votre bureau accompagné de son supérieur.
Il est venu seul dans mon bureau peut-être une ou deux fois, en passant derrière mon dos pour accéder à l'unité informatique. S'il avait voulu passer à l'acte entre 2015 et 2017, c'eût été très facile pour lui, sans même que je détecte quoi que ce soit. Il aurait même pu poursuivre ses exactions en passant par mon secrétariat, car personne n'était armé.
Il était malentendant, mais comme il s'exprimait très peu, je croyais qu'il était aussi muet. Il bénéficiait d'un poste « aménagé », que j'aurais tendance à écrire « à ménager », en deux mots, ce qui n'est pas peu de chose dans l'administration. Je pense d'ailleurs – sans toutefois connaître les circonstances dans lesquelles Mickaël Harpon s'est exprimé et s'il a tenu d'autres propos semblables – que si nous avions engagé à l'époque une procédure visant la phrase « c'est bien fait », il aurait bénéficié du soutien total de son organisation syndicale, compte tenu de son statut, à la fois d'agent et de personne handicapée. Il aurait fallu davantage d'éléments.
Monsieur le directeur, j'aimerais vous interroger sur un autre point qui renvoie au problème de l'articulation entre la DGSI et la DRPP : l'affaire de la mosquée de Gonesse. La presse a fait état d'un élément qui ne figure pas dans la note de Mme Bilancini, à savoir la fréquentation par Mickaël Harpon de la mosquée de Gonesse, où officiait un imam lui-même radicalisé et inscrit au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) pour atteinte à la sûreté de l'État. Nous n'avons à ce stade pas plus d'informations, et ces faits n'ont pas été confirmés, puisque les préfets que nous avons entendus jusqu'à présent nous ont indiqué que ces éléments étaient du ressort de la justice et qu'ils n'en avaient pas connaissance. Est-ce aussi votre cas ?
Cette affaire nous plonge au cœur des relations entre la DRPP et le renseignement territorial du département du Val-d'Oise, lequel, selon un article paru le mois dernier dans Le Canard Enchaîné et que vous avez sans doute lu, aurait ciblé Mickaël Harpon et transmis ses coordonnées téléphoniques à différents services, dont la DGSI et la DRPP, où elles n'auraient pas été recoupées. Bien qu'il faille traiter ces informations sous toutes réserves, j'aimerais entendre votre analyse sur ces faits et sur le dysfonctionnement que cela laisse supposer entre les RT, la DGSI et la DRPP.
Monsieur le président, personnellement, je n'ai eu connaissance de cette information que par voie de presse. C'est parce que les faits sont survenus que l'on peut considérer ce que vous décrivez comme un dysfonctionnement, et Mme Bilancini serait sûrement du même avis. Je ne pense pas que beaucoup de directeurs auraient accepté d'insérer les numéros de téléphone des fonctionnaires sous leurs ordres dans la base de données utilisée pour cribler les terroristes potentiels. À présent que la question s'est posée, on pourrait l'envisager, car ce qui s'est produit est de nature à modifier notre vision des choses. C'est en tout cas un point à ajouter à la liste des améliorations possibles de nos dispositifs, et non pas des dysfonctionnements, un terme dont l'utilisation ne me paraît pas justifiée ici.
Nous rencontrons des difficultés de recrutement pas uniquement pour la langue arabe. Je vous remercie de me donner l'occasion de conclure sur les fonctionnaires, car c'est un sujet qui me tient à cœur, et on en parle peu, sauf quand surgissent des problèmes de cet ordre. Je n'ai pas souvenir, par exemple, que le préfet de police ait reçu des félicitations de la part de députés parisiens, je pense notamment à un parlementaire qui n'appartient pas à la majorité actuelle, lorsque ses services ont identifié les auteurs de l'attaque de la voiture de police sérigraphiée quai de Valmy.
J'ai été le premier à accueillir des fonctionnaires d'origine maghrébine dans un service de renseignement, avant l'an 2000, lorsque j'étais à la section antiterroriste. Ces derniers ont sans doute une pratique religieuse différente de la mienne, mais ils sont dignes de confiance, fournissent un travail remarquable et sont pleinement engagés au service du drapeau français. Je pense particulièrement à eux dans de tels moments, car pour eux c'est la double peine.
La séance est levée à 17 heures 25.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, Mme George Pau-Langevin, M. Éric Poulliat, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Laurence Vichnievsky
Excusés. - Mme Isabelle Florennes, M. David Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Michel Mis, M. Guy Teissier