Lundi 10 février 2020
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission poursuit l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623 rectifié) (M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général, MM. Nicolas Turquois, Jacques Maire, Mmes Corinne Vignon, Carole Grandjean et M. Paul Christophe, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous avons examiné 4 221 amendements. Il nous en reste 15 360.
Article 19 (suite) : Habilitation à prendre des dispositions transitoires pour les salariés des régimes spéciaux
La commission est saisie des amendements identiques n° 6304 de M. Éric Coquerel, n° 6423 de Mme Mathilde Panot, n° 6457 de M. Adrien Quatennens et n° 6542 de Mme Bénédicte Taurine.
Avec cet amendement, nous nous opposons à ce que le régime spécial des employés du Port autonome de Strasbourg soit supprimé par ordonnance. Nous tenons d'autant plus à ce régime qu'il est, avec 150 cotisants et 200 retraités, le plus petit de France. Il est autonome et ne coûte rien à l'État. Malheureusement, il ne s'applique plus aux nouveaux entrants depuis 2005. Ce régime nous intéresse beaucoup, parce qu'il assure une pension égale à 75 % du salaire des six derniers mois, qu'il est calculé sur 37,5 ans de cotisations – le régime que nous connaissions avant la régression – et qu'il garantit un départ à la retraite à 60 ans. Comme le droit social en Alsace, dont nous avons beaucoup parlé hier, nous souhaiterions que ce régime, au lieu d'être supprimé, soit généralisé, non seulement à tous les salariés des ports autonomes, mais à tous les salariés français.
Une fois de plus, nous refusons d'habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances, car cela dessaisit le Parlement de son pouvoir de discussion. Nous parlons d'un régime qui compte 150 cotisants pour 200 retraités et qui ne s'applique pas aux nouveaux entrants depuis 2005 : on ne voit donc pas l'urgence qu'il y a à le fondre dans le nouveau régime universel. Pourquoi le Parlement ne peut-il être informé précisément de ce qui va arriver à ce régime spécial ?
L'article 19 concerne différents régimes spéciaux. Nous avons déjà rappelé que les régimes spéciaux, dont il a beaucoup été question depuis le début de l'examen de ce projet de loi et dans le débat public, ne représentent que 3 % de la population active. Mais le grand pari d'Emmanuel Macron, c'est de rendre les Français jaloux les uns des autres : il espère que cette jalousie sera plus forte que l'aspiration commune à de bons niveaux de pensions.
Le Port autonome de Strasbourg, mes collègues l'ont rappelé, ce sont 150 cotisants pour 200 retraités. Ce régime ne coûte pas un sou à l'État et garantit une retraite à 60 ans pour 37,5 années de cotisations. Vous feriez mieux d'étendre ce régime à tous les Français et d'harmoniser notre système par le haut que d'alimenter la jalousie des uns ou des autres pour mener à bien votre grand projet de régression sociale. Vous ne ferez presque que des perdants !
Nous voulons exclure du champ d'application de cet article les employés du Port autonome de Strasbourg. Comme mes collègues l'ont rappelé, ce régime concerne un très petit nombre de personnes. Vous nous avez dit hier, monsieur le rapporteur, qu'il n'était pas utile de rouvrir le débat sur le régime spécial des ministres du culte, puisqu'il allait s'éteindre de lui-même du fait de l'évolution démographique. Pourquoi vous en prendre à celui du port autonome ? Le délégué syndical du port autonome a expliqué que ce système indépendant ne coûte rien à la collectivité. Il a ajouté qu'il n'est pas acceptable de changer les règles en cours de route, et cela vaut pour tous les salariés concernés par votre réforme. Il a noté, enfin, que tous les régimes spéciaux avaient été sondés par le Gouvernement, à l'exception de celui du port autonome : il se demandait si c'était à cause de sa petite taille.
Vous continuez d'agiter des peurs. Je ne connais pas la pyramide des âges des salariés du Port autonome de Strasbourg mais j'imagine qu'une grande partie des 150 cotisants est née avant 1975, puisqu'on n'embauche plus sous ce statut depuis 2005. Par ailleurs, multiplier, comme vous le proposez, des régimes qui ne concerneraient que 150 ou 200 personnes ne me semble pas être le meilleur moyen de faire unité au sein de la Nation. Ces personnes vont être intégrées extrêmement progressivement dans le régime général, sans bouleversement. Nous voulons faire un régime universel qui garantisse à tous les Français de partir à la retraite dans des conditions similaires. D'un point de vue financier, enfin, je doute que l'on puisse financer durablement, en l'appliquant à tous les Français, un système qui reposerait, en proportion, sur 150 cotisants pour 200 retraités.
Avis défavorable.
Nous agitons des peurs, mais ce n'est pas nous qui avons dit que nous allions supprimer tous les régimes spéciaux ! Nous avons entendu les déclarations du Premier ministre, nous les prenons au sérieux et nous nous inquiétons. Sans aller jusqu'à généraliser le régime du port autonome de Strasbourg, on pourrait revenir à quarante ans de cotisations – en tenant compte des périodes de chômage, de revenue de solidarité active et de formation –, garantir un départ à 60 ans à taux plein à tous les Français et faire en sorte qu'aucune pension ne soit en dessous du SMIC. On y parviendrait si on supprimait les 52 milliards d'euros d'exemptions et d'exonérations qui ne servent à rien, si on créait des emplois – qui dit emploi dit cotisation – et si on assurait l'égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Si vous voulez débattre d'une réforme qui constituerait un vrai progrès, et non la régression que vous proposez, nous sommes à votre disposition.
Le Gouvernement nous demande une nouvelle fois de l'habiliter à prendre des ordonnances pour organiser une vague transition vers son mauvais système. L'article 19 concerne un certain nombre de salariés qui sont particulièrement visés par la régression que vous voulez imposer à toutes et à tous. Je crois que vous ne mesurez pas la défiance qui habite le pays, et pas seulement parmi les salariés qui dépendent aujourd'hui d'un régime spécial : la défiance est beaucoup plus générale.
Le journal L'Humanité a publié ce matin un appel signé par de nombreuses personnalités, des artistes, des écrivains, des intellectuels et des parlementaires. Le message est très clair : si vous êtes si sûrs de vous et si convaincus du bien-fondé de votre projet, si convaincus, même, qu'il n'est pas contesté dans la rue, ayez le courage de le soumettre à un référendum.
La discussion sur le régime spécial du Port autonome de Strasbourg illustre bien les enjeux de cette réforme, qui consiste à passer de systèmes de retraite construits sur des statuts à un système universel construit sur les professions. On comprend bien qu'avec 0,75 actif pour un retraité, ce régime spécial, comme bien d'autres, n'est pas viable d'un point de vue économique. Tout le travail qui prépare les ordonnances a précisément vocation à créer les conditions d'une transition respectant les choix professionnels et personnels des salariés concernés. Je rappelle que le système universel ne concerne pas les personnes qui sont à moins de dix-sept ans de la retraite.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6305 de M. Éric Coquerel, n° 6356 de M. Bastien Lachaud, n° 6424 de Mme Mathilde Panot, n° 6458 de M. Adrien Quatennens et n° 6543 de Mme Bénédicte Taurine.
Cette série d'amendements identiques est dans la continuité de la précédente. Nous n'acceptons pas que le Gouvernement recoure aux ordonnances pour modifier un autre régime spécial. Je m'associe aux propos de Pierre Dharréville : plutôt que de recourir à des ordonnances, qui révéleront après coup l'ampleur des dégâts causés par votre réforme, mieux vaudrait faire voter les Français, par la voie d'un référendum. Ce serait une manière de prendre en compte, par la voie démocratique, l'opposition croissante qui s'exprime dans le pays.
Vous voulez modifier par ordonnance le régime de retraite des membres du Conseil économique social et environnemental (CESE), ce qui me semble très problématique. La Cour des comptes pose certes la question de la transformation de son régime actuel en un régime complémentaire par capitalisation à cotisations définies, avec participation du CESE. Le CESE a répondu qu'il ne s'agissait pas d'un régime complémentaire, mais bien d'un régime principal. Compte tenu de la place qu'occupe le CESE dans nos institutions, il serait légitime que nous l'écoutions et que nous ayons un vrai débat démocratique sur cette question.
Je m'associe à l'appel de mes collègues Pierre Dharréville et Éric Coquerel en faveur d'un référendum. Compte tenu de l'état du pays et de la mobilisation de l'opinion contre votre réforme, ce serait une manière de sortir de cette crise par le haut.
Vous avez parlé, monsieur le rapporteur, de l'unité au sein de la Nation. Attiser la jalousie des Français en montrant du doigt les régimes spéciaux, qui ne concernent que 3 % de la population active, ne me semble pas de nature à la favoriser. Monsieur Michels, ces régimes ne sont pas seulement liés à un statut. Ils sont le résultat de luttes menées pour faire reconnaître la pénibilité et les spécificités de certains métiers. Ils correspondent à une réalité historique et le Parlement doit pouvoir en débattre, sans laisser le Gouvernement décider seul de leur avenir à travers les vingt-neuf ordonnances que comporte ce texte : c'est du jamais vu pour un projet de réforme des retraites !
Nous voulons exclure du champ d'application de cet article le CESE. Comme l'a dit mon collègue Bastien Lachaud, la Cour des comptes pose la question d'une transformation de son régime de retraite actuel en un régime complémentaire par capitalisation à cotisations définies, avec participation du CESE : c'est la preuve, s'il en fallait une, que ce projet de loi contient, dans chacun de ses interstices, un encouragement à la capitalisation. Le CESE a répondu qu'il s'agissait de son régime général, et non d'un régime complémentaire, mais on voit bien que votre intention réelle, derrière cette régression, c'est bien d'encourager à la capitalisation. Vous le faites grâce à deux leviers : premièrement, en maintenant un âge légal qui ne vaut plus rien, puisque les gens ont compris qu'ils ne pourront pas partir avec une pension à taux plein à l'âge légal. Mieux vaut, s'ils veulent partir à la retraite à l'âge légal, qu'ils aient complété leur retraite avec des produits par capitalisation. Deuxièmement, la mesure que vous avez prise en faveur des hauts revenus – les trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) – est un encouragement à passer de la sécurité sociale à la capitalisation. Je m'associe donc au mot d'ordre de mes collègues : pour nous, c'est le retrait ou le référendum.
On entend à longueur de temps que les agents de la SNCF et de la RATP, les salariés de l'Opéra de Paris, de la Comédie-Française ou du Port autonome de Strasbourg, pour ne citer qu'eux, sont des privilégiés. N'oublions pas que certaines personnes sont bien plus avantagées par un autre régime spécial, celui de retraites chapeaux. La Cour des comptes a, par exemple, rappelé que le patron de Dexia, dont la gestion de la banque a coûté 7 milliards d'euros aux contribuables, touche une retraite chapeau de 300 000 euros par an. Il semblerait judicieux de se pencher sur ces retraites chapeaux avant de remettre en cause celle des agents de la SNCF.
Chacun sait que nos concitoyens ressentent aujourd'hui une certaine défiance vis-à-vis de nos institutions. Il semble donc important que toutes les assemblées soient intégrées au régime universel. La loi organique le prévoit pour l'Assemblée nationale et le Sénat. Je vous rappelle, d'ailleurs, que depuis la loi pour la confiance dans la vie publique de 2017, le système de retraite des députés a été aligné sur celui de la fonction publique, ce qui constitue une évolution significative. Le Sénat n'a pas encore adopté une telle disposition.
Plusieurs d'entre vous demandent l'organisation d'un référendum. Il me semble que l'on recourt généralement au référendum lorsqu'une question n'a pu être tranchée au Parlement au terme d'un débat approfondi, ce qui n'est pas vraiment le cas. La présidente nous a indiqué au début de cette séance que nous avions examiné 4 221 amendements : nous aurions eu tout le temps d'examiner l'intégralité du projet de loi si les députés de La France insoumise n'avaient pas déposé 19 000 amendements dans le but de laisser le débat s'enliser. Compte tenu de la manière dont nos débats se sont déroulés, si un référendum devait avoir lieu, nos concitoyens ne seraient absolument pas éclairés sur les enjeux de la réforme. Plus nous expliquons le texte, plus nos concitoyens se manifestent pour nous dire qu'ils le comprennent mieux et qu'ils n'avaient pas compris un certain nombre de points. Vous essayez de noyer le débat en ne produisant qu'une contestation virulente et bruyante. Le rôle des assemblées est de débattre sur le fond des choses, non de supprimer les alinéas du texte, amendement après amendement.
Avis défavorable.
Ce débat est intéressant. Cela fait deux ans et demi que vous tentez de préparer l'opinion publique à votre réforme, par des slogans divers et variés et des concertations plus ou moins discutables et discutées. Et, au bout du compte, votre projet ne passe pas.
De notre point de vue, vous avez aujourd'hui le choix entre deux options. Pour le retrait, tapez 1 : c'est la solution que nous préférons et que nous proposons depuis longtemps. Pour le référendum, tapez 2 : puisque la contestation est vive dans le pays, donnez la parole au peuple pour vérifier que vous avez raison et que vous disposez d'une majorité pour mener votre projet à son terme. Vous, vous choisissez de taper 3 : « On continue, on fonce dans le tas », ce qui n'est pas l'une de nos solutions. Je vous suggère de revenir aux deux premières solutions, et plutôt à la première.
Comme Pierre Dharréville, je pense que si étiez raisonnables, vous retireriez ce projet pour le rediscuter à fond, puisqu'il ne passe pas auprès de la majorité des syndicats de ce pays, tant dans le privé que dans le public. Une opposition majoritaire grandit dans le pays. Pourquoi recourir au référendum ? Parce que l'issue des urnes est toujours une issue pacifique en cas de blocage. Et il y a bien un blocage, puisque vous essayez de faire passer par la force une loi qui ne passe pas dans l'opinion. Plus vous argumentez, plus les Français sont convaincus de la nocivité de votre projet de loi. Dans un tel contexte, il vaut toujours mieux appeler le peuple aux urnes que passer en force. Voilà pourquoi nous vous conseillons le référendum : il serait effectivement, comme l'a dit Bastien Lachaud, un moyen de sortir par le haut de cette crise.
Vous vous plaignez de nos 19 000 amendements, mais certaines réformes, par le passé, ont fait l'objet de plus de 100 000 amendements. Pour notre part, nous nous sommes contentés de déposer des amendements de fond. D'ailleurs, quand on regarde les réseaux sociaux, on s'aperçoit que les arguments que nous avons exposés ce week-end ont servi à éclairer le débat public et à renforcer l'opposition à cette réforme.
Puisque certains rappellent à l'envi la nécessité de préserver les régimes spéciaux de retraite, je crois utile de rappeler que l'article 19 organise la réduction progressive des régimes spéciaux jusqu'à leur suppression totale, sur une période de vingt ans, au nom d'une plus grande équité et d'une meilleure cohésion des Français. Il prévoit, premièrement, une assiette commune de cotisations pour l'ensemble des actifs et, deuxièmement, le même taux de cotisation pour tous.
Deux logiques s'affrontent dans nos débats : d'un côté, la volonté de maintenir un système hérité du programme du Conseil national de la Résistance et, de l'autre côté, celle de créer un système assurant plus d'équité et de cohésion, parce que c'est ce que les Français demandent, notamment sur la question des retraites, depuis plusieurs dizaines d'années.
Je me demandais hier comme vous alliez bien pouvoir défendre cette série d'amendements. Vous avez trouvé l'argument du référendum, ce qui est habile, mais les Français qui nous entendent doivent être très surpris de vous entendre défendre le régime spécial des membres du CESE. Vous ne manquez pas d'air !
Il me semble important que le Parlement prenne ses responsabilités. Je ne suis favorable ni au référendum, ni aux ordonnances parce que, dans les deux cas, les parlementaires se trouvent dessaisis de leurs responsabilités et privés de leur faculté de légiférer.
Monsieur le secrétaire d'État, dans la mesure où les régimes spéciaux perdureront plus longtemps que la période de transition de vingt ans, est-on assuré des ressources de ces régimes spéciaux pendant cette période de transition ?
Je me suis déjà exprimé au sujet du référendum lors d'une séance de questions au Gouvernement. Jean-Paul Delevoye, lui aussi, avait été interrogé à ce sujet, avant même la remise de son rapport – si ma mémoire est bonne, c'était lors d'une réunion ouverte à Metz. Il avait répondu en demandant quelle question il faudrait poser si l'on organisait un référendum. Je vous la pose à mon tour. Faut-il demander aux Français s'ils sont favorables à plus de redistribution ? S'ils sont favorables à un système à l'équilibre qui assure la solidarité dans la durée ? S'ils sont favorables à des droits familiaux dès le premier enfant ? S'ils sont favorables à des périodes de transition douces et adaptées ?
Comme Gérard Cherpion, je m'étonne que l'on puisse reprocher aux ordonnances de dessaisir le Parlement de ses prérogatives et que l'on réclame un référendum, qui dessaisit encore davantage le Parlement de son pouvoir. Le Parlement donne un cadre à l'ordonnance au moment de l'habilitation et il doit ensuite la ratifier. Je rappelle que si nous recourons aux ordonnances sur ce texte, c'est pour laisser le temps au dialogue social et à la concertation de produire des réponses de qualité. À chaque fois qu'il le pourra – c'est déjà arrivé et j'espère que cela se produira encore souvent, à la fois en commission spéciale et en séance publique –, le Gouvernement gravera dans le marbre de la loi les dispositions issues des concertations qui auront abouti. Plus le dialogue social aura avancé, moins il y aura d'ordonnances et plus nous aurons de raisons d'être satisfaits.
La commission rejette les amendements.
Elle discute ensuite de l'amendement n° 22645 du Gouvernement.
Cet amendement vise à faire progressivement converger les assiettes et les taux de cotisations applicables aux anciens assurés des régimes spéciaux et à leurs employeurs vers ceux de droit commun dans le cadre du système universel. Il complète l'ordonnance en prévoyant la possibilité pour les employeurs des régimes spéciaux de prendre en charge, durant la période transitoire de vingt ans, la part de la cotisation non encore assumée par leurs salariés, ainsi que les conditions d'exonération de ces prises en charge. Cette prise en charge garantira l'acquisition de points pour les salariés et évitera toute perte de droits. Cette disposition traduit la volonté du Gouvernement de trouver des transitions douces et adaptées, dans lesquelles les salariés concernés auront 100 % de leurs droits acquis et verront progressivement leurs droits évoluer, avec une prise en charge par leur employeur à chaque fois que cela sera possible.
Cet amendement est assez éclairant. Ce qui est frappant, d'abord, c'est que la prise en charge de ces écarts de cotisations sera à géométrie variable, puisqu'il est écrit que les employeurs « peuvent » – et non qu'ils « doivent » – les prendre en charge. Quid de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans des entreprises où les employeurs décideront qu'ils ne peuvent pas prendre en charge cet écart ? Mais le plus choquant, c'est la dernière phrase de votre amendement, celle où vous écrivez que « les employeurs peuvent bénéficier d'une exonération de cotisations sociales ». Nous y revoilà !
L'un des leitmotivs de votre projet de loi, c'est le déficit. Or nous avons démontré méthodiquement qu'il est une construction politique et qu'il est largement le fait des exonérations sociales auxquelles vous avez procédé. Avec cet amendement, vous nous promettez de continuer à mener exactement la même politique : vous allez continuer à accorder des exonérations, en échange d'une prise en charge tout à fait aléatoire de cet écart de cotisations.
Monsieur le secrétaire d'État, si vous manquez d'inspiration et que vous ne savez pas quelle question poser au référendum, j'ai une proposition à vous faire : « Êtes-vous favorable au fait que, plutôt que d'organiser le partage des richesses, nous vous contraignions à travailler toujours plus longtemps, au-delà de l'espérance de vie en bonne santé ? » Voilà qui serait sincère !
Le Gouvernement avoue enfin, après bien des dénégations, que toutes les générations seront effectivement concernées par la réforme des retraites, y compris les personnes nées avant 1975 ! Nous le disons depuis longtemps et lorsque nous avons interrogé le Premier ministre à ce sujet lors d'une séance de questions au Gouvernement, il a répondu de façon alambiquée et du bout des lèvres. La réalité, c'est que pendant toute la période de transition, un certain nombre de Françaises et de Français vont devoir cotiser plus, sans se créer de droits supplémentaires, ce qui est d'ailleurs une belle entorse au principe que vous affichez, selon lequel un euro cotisé produit les mêmes droits. De fait, un euro cotisé ne produira pas les mêmes droits pour tous pendant la période de transition.
Par ailleurs, vous créez ici une faculté, et non une obligation, ce qui introduit une rupture d'égalité. Nous aimerions savoir ce qui la motive. Enfin, et une fois de plus, vous ne donnez aucun chiffrage : on ignore tout du coût de cette disposition pour laquelle vous prévoyez, en outre, des exonérations de cotisations sociales. Pourrions-nous avoir des chiffres et connaître les modalités de mise en oeuvre de cette mesure ? Le Gouvernement a-t-il l'intention, comme il l'avait fait pour les heures supplémentaires ou pour la prime exceptionnelle, de ne pas compenser ces exonérations ? Si tel est le cas, c'est à l'ensemble des assujettis sociaux que vous les ferez payer.
Avec cet amendement, vous élargissez encore un peu plus le champ de vos ordonnances : vous ajoutez un tuyau dans l'usine à gaz, qui commence à fuir de partout. Cette mesure mériterait au moins quelques lignes ou un petit tableau dans un coin de l'étude d'impact. Vous ne vous êtes pas donné cette peine et c'est une nouvelle preuve de l'impréparation de ce projet de loi et du flou dans lequel vous nous maintenez.
Vous nous avez habilement rétorqué, monsieur le secrétaire d'État, que le référendum, comme les ordonnances, dessaisit le Parlement d'une partie de son pouvoir. C'est de la rhétorique ! La réalité, c'est que vous nous empêchez d'exercer notre droit. Lorsqu'on nous dessaisit de notre pouvoir pour recourir aux ordonnances, c'est à votre profit ; lorsqu'on nous dessaisit de notre pouvoir pour recourir au référendum, c'est au profit de celles et ceux qui nous ont élus. Ce n'est pas tout à fait la même chose ! La question à poser au référendum est assez simple : « Êtes-vous pour ou contre ce projet ? » Vous l'avez mis sur la table et vous voulez qu'on en discute : soumettez-le au peuple ! Vous saurez alors si vous avez, ou non, une majorité en faveur de ce texte.
Cette disposition est excellente, car elle va protéger le pouvoir d'achat et le salaire net des salariés des régimes concernés. Il est essentiel de ne pas amputer le pouvoir d'achat de personnes dont les conditions salariales ne sont pas toujours optimales. Je salue la volonté du Gouvernement de préserver leur pouvoir d'achat et leur net à payer et de veiller ainsi à ce que la transition vers le nouveau régime de retraite universelle soit plus douce et plus juste pour eux aussi.
Monsieur le secrétaire d'État, il y a tout de même des trous dans la raquette ! Premièrement, vous dites que les employeurs prendront en charge les écarts de cotisations salariales pendant la période de transition : cela entraînera, de fait, une augmentation du coût du travail. Vous dites, deuxièmement, que cette prise en charge pourra faire l'objet d'une exonération, mais vous n'expliquez pas comment cette exonération de cotisations sera compensée. Allez-vous faire comme pour le budget de la sécurité sociale ? L'État va-t-il, oui ou non, compenser ces exonérations, comme le prévoit la « loi Veil » ? S'il ne le fait pas, il risque de creuser le déficit.
M. Gérard Cherpion a demandé tout à l'heure si nous avions des ressources nécessaires pour accompagner ces régimes spéciaux pendant la période de transition au-delà de quinze ou vingt ans. Aujourd'hui, l'État verse déjà des subventions importantes pour équilibrer le système : nous n'allons donc pas créer de charges supplémentaires.
Monsieur Quatennens, vous parlez de dispositions à géométrie variable, et c'est effectivement le cas, parce que nous sommes partons de situations très différentes, qu'il s'agisse du taux de cotisations ou de l'assiette, qui peut ou non inclure les primes. Nous devons tenir compte de toutes ces spécificités.
Vous contestez, comme M. Boris Vallaud, les exonérations de cotisations sociales, comme si nous faisions rentrer le loup du capitalisme dans la bergerie. Je vous rappelle que nous parlons de professions dont vous n'avez pas cessé de prendre la défense : la SNCF, la RATP, les industries gazières et électriques, les clercs de notaires, les marins, les ouvriers d'État, pour ne citer qu'eux. Je ne crois pas que ces entreprises, ou ces institutions, se caractérisent par un capitalisme effréné.
Cet amendement est le symétrique de celui qui donne la possibilité à l'État d'accompagner la prise en charge des primes pour éviter toute baisse de pouvoir d'achat. Une trajectoire de rapprochement des taux de cotisation va être définie et l'employeur pourra prendre en charge les écarts de cotisation : c'est une manière de rendre cette transition la plus douce possible et d'éviter qu'il y ait des perdants. C'est notre souci majeur.
Avis favorable.
Monsieur Cherpion, nous pouvons garantir que l'ensemble des régimes spéciaux disposeront des subventions nécessaires. À compter de 2025, il y a aura une intégration financière au régime à points des différents régimes existants. Les régimes spéciaux continueront de recevoir une subvention pour équilibrer leurs comptes en fonction de la trajectoire financière de leurs besoins, pour les assurés nés à partir de 1975 dont les cotisations seront versées au système universel des retraites mais aussi pour les assurés nés avant 1975.
L'amendement du Gouvernement est énorme et la réponse de M. Turquois me paraît particulièrement éloquente. Pour limiter l'amputation du pouvoir d'achat à laquelle procède votre réforme, vous proposez d'intégrer les primes des fonctionnaires, mais nous ne savons pas à quelle hauteur, car ce sont les ordonnances qui en décideront. Pour le secteur privé, comment allez-vous faire pour régler la question des écarts de cotisation sociale ? Selon les termes de l'amendement, les employeurs « peuvent » les prendre en charge. Le loup est énorme : vous causez une baisse du pouvoir d'achat, vous comptez sur les employeurs pour la limiter sans aucune certitude qu'ils le feront, et s'ils le font, des exonérations viendront les récompenser, qui creuseront encore des trous supplémentaires. Cet amendement est significatif de l'impréparation de ce projet de loi et de l'usine à gaz dont il va affecter le secteur privé et pas seulement l'État employeur.
J'aimerais bien savoir à quel moment j'ai parlé de loup capitaliste entrant dans les entreprises relevant des régimes spéciaux. Dans la dernière loi de financement de sécurité sociale – et chacun s'en est ému –, vous n'avez pas compensé les exonérations de cotisations sociales s'agissant des heures supplémentaires et de la prime exceptionnelle, ce qui explique une part du déficit, y compris celui de 2025 puisqu'une part de ces exonérations concernaient l'assurance vieillesse. Plusieurs centaines de millions d'euros sont en jeu et vous ne nous donnez pas de précisions. Pourtant, ces exonérations sont susceptibles d'aggraver le déficit dans le futur système, ce qui vous servira de prétexte pour modifier l'âge d'équilibre, l'indexation de la valeur de service du point. Tout cela n'est pas neutre et nous sommes en droit de vous poser des questions, en particulier sur les volumes en jeu.
L'explication que vous nous donnez est une forme d'aveu. Vous insistez sur votre volonté de prendre en compte la trajectoire des besoins et de travailler à une transition plus douce. Autrement dit, vous voulez rendre la dégradation promise moins visible. Ce faisant, vous reconnaissez qu'il y aura une perte sèche pour les salariés concernés. Par ailleurs, nous ne pouvons mesurer l'impact financier de ces mesures puisque l'amendement du Gouvernement n'est accompagné d'aucun chiffrage précis.
La discussion prend un tour général alors que l'article 19 porte sur la transition longue pour les régimes spéciaux. Rappelons l'enjeu financier : les 6,2 milliards d'euros consacrés au versement des pensions sont compensés à hauteur de 4,2 milliards par l'État. Ce qui nous est proposé ici pour accompagner les salariés n'a pas d'impact budgétaire, contrairement à ce que certains d'entre vous prétendent, puisque ces sommes viendront en déduction des compensations actuellement versées par l'État.
La commission adopte l'amendement.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 6308 de M. Éric Coquerel, n° 6325 de M. Alexis Corbière, n° 6359 de M. Bastien Lachaud et n° 6546 de Mme Bénédicte Taurine.
Nous nous opposons à ce qu'une ordonnance décide que les cotisations doivent être assises sur les rémunérations au lieu de l'être sur un pourcentage des salaires, gratifications et avantages de toute nature.
Le 10 janvier dernier, le Président de la République a déclaré : « Je pense qu'il faut sur quelques mesures en appeler à un référendum, car c'est ce qui permettra de partager avec tout le monde la préoccupation sur le sujet. ». Il évoquait la convention sur le climat. Pourquoi ne pas faire un référendum aussi au sujet des retraites, qui suscite une grande controverse dans notre pays ? J'aimerais que M. le rapporteur m'éclaire pour que je sois moins bête ce soir – ce qui est peut-être un travail difficile.
Le Gouvernement, plutôt que de supprimer le régime de retraite des clercs de notaires, devrait le généraliser, car il est favorable aux assurés. Je tiens toutefois à rappeler que les clercs et employés des offices notariaux ne bénéficient que du régime de retraite de base et ne sont pas concernés par les retraites complémentaires. Je ne suis pas sûr qu'on puisse les classer parmi les plus privilégiés des Français. Au lieu de décider de leur sort à travers une ordonnance, il faudrait laisser se prononcer le Parlement ou bien le peuple, à travers un référendum.
Monsieur Coquerel, vous vous étonnez que le secteur privé ne soit pas, comme l'État et les employeurs publics, acteur de la phase de transition, mais les salariés du privé cotisent déjà au taux cible de 28,12 %, ce qui n'est pas le cas des libéraux – du moins pas de tous –, pour lesquels est également prévue une transition longue.
Monsieur Dharréville, vous parlez de « dégradation promise » comme si la transition prévue avait pour but de l'amortir. N'oublions pas que la dégradation existe déjà puisque ces régimes sont en déficit et qu'ils doivent recevoir une subvention de l'État pour être à l'équilibre. Nous ne voyons pas pourquoi les contribuables devraient aider certains régimes spéciaux au lieu d'assurer un équilibre d'ensemble. Nous voulons que les mêmes règles s'appliquent à tous.
Monsieur Lachaud, vous soulignez que les clercs de notaires n'ont rien de privilégiés puisqu'ils n'ont pas de complémentaire. Je vous engage à travailler davantage le fond du texte : les régimes spéciaux sont des régimes intégrés, qui comprennent à la fois la retraite de base et la retraite complémentaire. Et ce n'est pas autre chose que nous proposons dans le système universel.
Vous parlez de « taux cible », monsieur le rapporteur, et je doute que de telles formules éclairent le débat public. Ma question portait sur le fait que si vous donnez aux employeurs une simple possibilité de prendre en charge les écarts de cotisation, l'acquisition des points risque de ne pas être garantie.
Vous avez beaucoup défendu votre réforme en instrumentalisant les régimes spéciaux. Les supprimer permettrait, selon vous, de réaliser des économies puisqu'ils coûtent très cher. En réalité, vous êtes en train de faire la démonstration contraire : la transition coûtera chaque année au moins aussi cher. Pour sortir de cette contradiction, nous vous demandons deux choses extrêmement simples : premièrement, un chiffrage ; deuxièmement, un éclaircissement sur la manière dont seront gérées les inégalités. L'amendement gouvernemental indique que les employeurs « peuvent prendre en charge » les écarts de cotisation, ce qui implique que certains pourraient ne pas le faire. Pour défendre le projet, vous mettez régulièrement en avant l'argument selon lequel les mêmes règles doivent s'appliquer à tous et là, vous instaurez une règle qui produit des inégalités. Nouvelle contradiction !
La commission rejette les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques n° 6309 de M. Éric Coquerel, n° 6326 de M. Alexis Corbière, n° 6360 de M. Bastien Lachaud et n° 6547 de Mme Bénédicte Taurine.
Dans Les Échos, le président du Conseil supérieur du notariat déclarait : « La profession souhaite éviter une baisse des pensions et parer le risque démographique en ajoutant la capitalisation à la répartition », et exprimait ses craintes devant le risque de division des clercs de notaires. Certains des avantages conquis de ce régime de retraite, notamment la possibilité de partir plus tôt, devraient être généralisés plutôt que d'être supprimés.
Nous ne voyons pas l'intérêt de supprimer ces régimes spéciaux. Les clercs de notaires constituent une catégorie professionnelle de plus à être opposée à la réforme. Raison supplémentaire d'organiser un référendum qui vaut mieux qu'une ordonnance dans une république.
Monsieur le rapporteur, parler du fond, c'est exactement ce que nous voulons. Le problème, c'est qu'à force de nous faire légiférer par ordonnance, vous nous en empêchez. Traitons du régime des clercs de notaires en mettant sur la table tous les éléments. Que le Parlement tranche au lieu de laisser au Gouvernement un blanc-seing ou bien organisons un référendum.
Monsieur Coquerel, je ne vois pas pourquoi vous faites semblant de ne pas comprendre l'expression de « taux cible ». C'est un terme clair pour tous les membres de cette commission qui sont censés avoir travaillé sur le projet de loi. Nous ne nous exprimons pas sur un plateau de télévision.
Monsieur Saulignac, pour nous, la fin des régimes spéciaux n'est en aucun cas motivée par la volonté de faire des économies. Nous visons l'équité entre tous. Nous ne voyons pas pourquoi les contribuables devraient continuer à permettre à certaines catégories de nos concitoyens de partir dans des conditions particulières. Cela dit, ces conditions particulières étant partie intégrante de leur contrat de travail, nous prévoyons une transition longue pour que la sortie des régimes spéciaux se fasse de la façon la plus douce et apaisée possible.
Comme vous vous relayez au sein de La France insoumise, certains d'entre vous n'ont pas entendu les explications fournies au sujet des ordonnances. Si nous avions intégré ces dispositions dans la loi, chaque taux aurait fait l'objet de centaines d'amendements de votre part, ce qui aurait abouti à des millions d'amendements. Vous dénaturez le travail parlementaire et nous n'abordons que l'écume du texte au lieu d'examiner son fond.
Vous proposez d'étendre à tous les assurés le régime de clercs de notaires, comme vous l'avez fait auparavant pour le régime du Port autonome de Strasbourg, qui compte 156 cotisants et 203 bénéficiaires. Comment vous considérer avec sérieux ? Nous voyons bien que le but de La France insoumise n'est pas d'améliorer la rédaction du texte. Vous appelez de vos voeux un référendum. Comme il est toujours formulé sous forme d'opposition entre deux thèses, il n'y a pas de synthèse possible. Seul le débat parlementaire permet d'y parvenir.
Si nous avons déposé 19 000 amendements, c'est parce que nous considérons que le Gouvernement ne respecte pas la démocratie et le travail parlementaire. Il a choisi la procédure accélérée et a rédigé une étude d'impact truquée vivement critiquée par le Conseil d'État. Vous nous accusez d'un manque de sérieux alors que nous avons présenté, en décembre, un contre-projet extrêmement précis, qui contient des propositions financées.
Plus de 1,8 million de personnes sont descendues dans la rue en une seule journée et certains de nos concitoyens ont fait cinquante-deux jours de grève. Ce que veulent ceux qui se mobilisent si fortement, ce n'est pas l'équité mais l'égalité. Dans la rue, en dansant, en chantant, en signant des pétitions, ils réclament le droit à une pension digne. Vous parlez, monsieur le rapporteur, de « transition apaisée ». Comment serait-ce possible quand plus de la moitié des Françaises et des Français sont opposés à la réforme ? La seule solution lorsqu'il y a un conflit de légitimité aussi fort, c'est soit le retrait du texte, soit le référendum pour laisser le peuple décider.
Pour l'heure, nous sommes dans le cadre du débat parlementaire et nous allons le poursuivre. Par le passé, des oppositions ont obtenu le même effet d'obstruction en déposant 3 000 amendements. Il ne s'agit pas de faire le concours Lépine du nombre d'amendements déposés pour faire entendre sa voix.
La commission rejette les amendements.
Elle passe aux amendements identiques n° 6310 de M. Éric Coquerel n° 6361 de M. Bastien Lachaud, n° 6429 de Mme Mathilde Panot, n° 6463 de M. Adrien Quatennens et n° 6548 de Mme Bénédicte Taurine.
M. le rapporteur affirme que la suppression des régimes spéciaux n'est pas motivée par la volonté de faire des économies. Citons donc Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics : « On a du mal à comprendre pourquoi l'État verse chaque année 8 milliards d'euros sur nos impôts pour équilibrer [les régimes spéciaux]. En économisant ces 8 milliards d'euros, on pourra financer les mesures d'égalité sociale que prévoit notre réforme. ». Le problème, c'est que ces mesures d'égalité sociale, nous les cherchons toujours. Nous voyons bien que, de l'aveu même du ministre du budget, ce sont les économies que vous visez. C'est la raison pour laquelle nous nous opposons à la suppression du régime spécial des clercs de notaires.
Madame la présidente, nous ne prétendons pas participer à un concours Lépine des amendements. Nous ne jouons pas. Ce week-end, j'ai rencontré des forestiers, notamment des bûcherons. Savez-vous que leur espérance de vie moyenne est de 57 ans et que leur espérance de vie en bonne santé est de 52 ans ? Les régimes spéciaux se justifient par des raisons historiques et des facteurs de pénibilité. Pour les gens, ce n'est pas un problème qu'il existe différents régimes. Ils embrassent une profession en sachant dans quelles conditions ils l'exerceront et partiront à la retraite. Vous vous plaisez à dire que vous voulez faire une réforme « juste », une réforme « universelle ». Les Françaises et les Français qui contestent massivement votre réforme vous appellent à faire preuve de réalisme.
Nos collègues qui mettent en cause notre énervement devant l'étude d'impact truquée de mille pages, que nous avons pris le temps d'étudier, devraient aussi prendre le temps d'étudier les quarante pages de notre contre-projet. Ils verraient qu'en consacrant plus de ressources aux retraites, nous parvenons à un système qui permet de fixer l'âge de départ à 60 ans et qui fait en sorte que personne ne parte avec une pension inférieure au SMIC et qu'aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté. Vous faites l'inverse : vous adaptez le système au niveau des ressources que vous voulez constant. Pour vous, la variable d'ajustement, c'est la vie des gens. Pour nous, c'est ce qui prime, raison pour laquelle nous mettons la comptabilité à son service. Notre contre-projet montre que, par ailleurs, il n'y a pas besoin de changements révolutionnaires pour financer un système digne de retraite. À travers ce projet, nous voyons bien que vous voulez organiser un rempart durable pour éviter le partage des richesses. Les actifs se retrouvent les seuls à payer, en devant moduler l'âge auquel ils partiront.
Les régimes spéciaux coûtent 8 milliards d'euros au titre de la contribution d'équilibre. Le régime des mines compte 1 370 cotisants pour 241 000 retraités ; celui des industries électriques et gazières 38 000 cotisants pour 180 000 retraités ; celui de la SNCF 141 000 cotisants pour 250 000 retraités ; celui de la RATP 42 000 cotisants pour 50 000 retraités. Il nous paraît anormal que les finances publiques, donc les contribuables, financent l'équilibre de tous ces régimes alors que l'équité commande que l'ensemble des actifs finance l'ensemble des pensions. Comme le dit Gérald Darmanin, ces 8 milliards permettront de financer la réforme. C'est précisément les conditions financières du passage d'un régime à un autre que nous étudions à travers ces articles. À terme, dans vingt ou vingt-cinq ans, une fois la transition effectuée, ces 8 milliards pourront être consacrés à d'autres politiques sociales, qu'il s'agisse de la dépendance, du quatrième âge ou de l'hôpital – les besoins ne manquent pas.
Madame Panot, votre exemple des bûcherons est très intéressant. Je l'ai cité moi-même, car une partie de mon activité est liée à la production du bois. Je sais qu'ils sont exposés à de multiples dangers, entre les chablis et les chutes hasardeuses d'arbres, et aux vibrations permanentes des tronçonneuses. Bien sûr qu'il faut tenir compte de ces éléments, mais de façon équitable, toutes professions confondues. Ils doivent être intégrés dans les conditions de travail et dans les conditions de départ à la retraite.
Avis défavorable aux amendements.
M. Darmanin est allé un peu vite en besogne car les 8 milliards devront toujours être versés pour financer les pensions des assurés des régimes spéciaux déjà à la retraite. Il n'y aura pas d'économies de court terme possible.
Par ailleurs, j'aimerais savoir ce que deviendront les réserves provisionnées hors bilan par certaines grandes entreprises comme EDF ? L'État les reprendra-t-il ?
En matière de pénibilité, la piste évoquée jusqu'à présent par votre majorité est plutôt de limiter la possibilité d'exercer certains emplois au-delà d'un certain âge et d'aider à la reconversion et à la formation de ceux qui les occupaient. Là, monsieur le rapporteur, vous semblez envisager la possibilité de prendre en compte la pénibilité dans les conditions de départ à la retraite. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Par ce mécanisme, vous fiscalisez, au moins de manière temporaire. Vous venez de le reconnaître, monsieur le rapporteur. N'oublions pas que la situation que vous décrivez est aussi le résultat de choix politiques qui renvoient à une responsabilité de l'État : externalisations, privatisations, extinctions programmées de statuts. Tout cela concourt au déséquilibre financier. Vous en faites abstraction alors que cela mériterait débat. Vous venez de confirmer que vous entendez récupérer une somme qui aurait dû être consacrée au financement des pensions des régimes spéciaux. Vous pouvez toujours dire que cet argent sera utile ailleurs mais nous savons à qui vous le prenez. Sur tout cela, l'ordonnance reste peu claire.
La commission rejette les amendements.
Puis elle adopte l'article 19 modifié.
Avant l'article 20
La commission est saisie des amendements identiques n° 7934 de M. Éric Coquerel, n° 7935 de M. Alexis Corbière, n° 7937 de M. Bastien Lachaud, n° 7941 de Mme Mathilde Panot, n° 7943 de M. Adrien Quatennens et n° 7948 de Mme Bénédicte Taurine.
Par nos amendements, nous visons à modifier l'intitulé de la section 3 au profit de cette formulation : « Dispositions applicables aux travailleurs non-salariés visant à les précariser davantage ». Vous prétendez défendre une vision universelle mais vous ne prenez en compte ni les inégalités de carrière, ni les situations particulières liées à la pénibilité du travail qui aboutissent le plus souvent à des inégalités d'espérance de vie. Dans notre système actuel, 37 % des femmes et 15 % des hommes perçoivent une pension inférieure à 1 000 euros bruts. Avec la mise en oeuvre d'un système par points, leur situation s'aggravera, d'où le nouvel intitulé que nous proposons.
Nous faisons un travail sémantique important. Nul n'est censé ignorer la loi et tout le monde est censé la comprendre : il faut donc que les intitulés soient justes. C'est la raison de notre amendement de suppression, car, en matière d'universalité, c'est la précarité pour tous que vous proposez. Tout cela s'inscrit dans la continuité : la réforme Balladur, en 1993, avec le passage aux vingt-cinq meilleures années, avait entraîné une dégradation de 6 % des pensions de retraite. Vous continuez dans cette voie et, évidemment, nous ne vous soutenons pas.
La section 4 accroîtra la précarité des indépendants. Ainsi, l'article 22 vise à appliquer, pour la cotisation minimale, un taux de 25,31 % contre 17,75 % actuellement à l'ensemble des artisans, commerçants et indépendants. Pour ceux qui ont les plus faibles revenus, cela entraînera une augmentation de leurs cotisations. Cela concernera 21 % des artisans et des commerçants, soit 230 000 personnes, et 10 % des professions libérales, soit 83 000 personnes ; au total, plus de 300 000 personnes verront leurs cotisations très fortement augmenter et, par conséquent, leur niveau de vie très fortement diminuer. Cela accroîtra les inégalités, car ces personnes déclarent moins de 1 PASS de revenus.
Puisque les mots de La France insoumise ne vous parlent pas, je citerai le Conseil d'État, qui a pointé les défauts graves du système de retraite à points : « Il pénalise en revanche les carrières complètes pendant lesquelles les assurés connaissent des années d'emploi difficiles, associées au versement des cotisations nettement moins élevées que sur le reste de leur carrière, dont la règle de prise en compte des vingt-cinq meilleures années, applicable au régime général et dans les régimes alignés, supprimait les effets pour le calcul de la pension de retraite. Enfin, il retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n'est plus exprimée à raison d'un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l'équilibre financier global du système. » Nous proposons donc de supprimer l'ensemble de ce texte afin d'en rediscuter parce que nous sommes opposés au principe même de la retraite à points.
Baisser le niveau des pensions et faire travailler les Français plus longtemps pour restreindre la part des richesses consacrée aux retraites et encourager la capitalisation, ce n'est pas un projet très enthousiasmant. Il fallait donc un habillage pour tenter de convaincre les Français : ce fut l'universalité. Le problème, c'est qu'après la publication de l'avis du Conseil d'État, tout le monde a compris que l'universalité n'était qu'un alibi. Il n'y a pas d'universalité ; il ne pouvait pas y en avoir venant de cette majorité, qui s'est chargée de casser le code du travail, cette fameuse règle commune qui s'appliquait à tous, pour faire autant de règles différentes qu'il y a d'entreprises. C'est donc bien un trompe-l'oeil, un élément de langage qui est aujourd'hui tombé. La bataille de l'opinion est perdue parce que 61 % des Français sont opposés à la réforme : où en serions-nous si les choses avaient été dites clairement ? Avec cet amendement, nous procédons donc à une forme de clarification.
Vos amendements ont pour objet de rédiger ainsi l'intitulé de cette section : « Dispositions applicables aux travailleurs non-salariés visant à les précariser davantage ». J'en déduis que c'est le titre de votre contre-projet !
Quand on paye de faibles cotisations sur de faibles assiettes, comme c'est le cas de nombreux libéraux, commerçants, artisans, agriculteurs, on a de faibles droits. Un effort contributif doit donc être fait, car on privilégie souvent le solde sur son compte à vue en fin de mois plutôt que la constitution de droits pour la retraite. S'il n'y a pas une forme d'obligation, on arrive à l'âge de la retraite avec des droits très faibles et donc des pensions très faibles, à l'origine de véritables situations de précarité. Nous voulons mettre en place des cotisations minimales avec un taux minimal. Cela peut demander un effort pour certaines professions mais, parallèlement, nous mettons en place des minima contributifs pour essayer de concilier des activités souvent difficiles, pas toujours très rémunératrices, et la constitution de droits. C'est un vrai progrès en matière de protection sociale parce que toutes les professions libérales n'ont pas de très hauts revenus.
Nous ne parlons pas assez aux artisans, aux commerçants et aux professions libérales, qui sont les grands gagnants du régime que nous voulons mettre en place. Nous proposons une simplification de l'assiette sociale ; c'est une revendication de très longue date de l'ensemble des indépendants. Cette assiette est pensée pour que cela soit neutre pour les artisans et les commerçants, qui ne débourseront pas 1 euro de plus et qui se créeront énormément de nouveaux droits à la retraite. Je souhaite leur adresser ce message, parce qu'ils n'en sont pas forcément conscients : cette réforme aidera beaucoup les artisans et les commerçants à se constituer une retraite. Pour l'ensemble des professions libérales, notamment médicales, il n'y aura pas de hausse des cotisations : ils vont donc y gagner. Disons bien à toutes ces populations que cette réforme est aussi faite pour eux !
Pour démontrer à quelque profession que ce soit qu'il y aura des gagnants, encore faut-il ne pas geler les âges d'équilibre dans les études d'impact, faute de quoi la démonstration serait artificielle. Mais admettons : si une grande majorité des Français est perdante, il y aura quelques gagnants, sans doute très anecdotiques, très temporaires aussi, de votre système de retraite par points.
Puisque notre collègue Fabre vient d'adresser un message aux artisans et aux commerçants, je veux en faire autant, au nom du groupe de La France insoumise : en tant qu'artisans et en tant que commerçants, vous avez intérêt à ce que les Français gagnent bien leur vie et à ce que les retraités de ce pays ne soient pas précarisés avec des pensions de misère ou obligés de cotiser dans des systèmes par capitalisation. Si vous voulez que vos affaires fonctionnent, il faut que les gens aient de bons revenus. Or le système de retraite que préparent M. Macron et sa majorité va appauvrir les retraités de ce pays. Comme artisans et commerçants, vous n'y avez donc pas intérêt.
En ce qui concerne le corps médical, oui, les cotisations risquent d'être réduites – on a évoqué 15 % à 20 % de cotisations en moins par rapport à celles versées aujourd'hui. En revanche, les pensions seront considérablement réduites puisqu'elles passeraient d'un niveau moyen de 2 600 euros à 2 000 euros. Pour notre part, nous sommes partisans de constituer un socle commun universel jusqu'à 1 PASS et, au-dessus de ce seuil, de maintenir les régimes spécifiques avec leurs cotisations actuelles.
La commission rejette les amendements.
Section 4 : Dispositions applicables aux travailleurs non-salariés
Article 20 : Dispositions relatives aux cotisations des travailleurs non-salariés
La commission est saisie des amendements identiques n° 7395 de M. Éric Coquerel, n° 7396 de M. Alexis Corbière, n° 7398 de M. Bastien Lachaud, n° 7402 de Mme Mathilde Panot, n° 7404 de M. Adrien Quatennens, n° 21103 de M. Boris Vallaud et n° 22462 de M. Pierre Dharréville.
Il s'agit de supprimer l'article 20. Selon vous, « avec cette règle d'équité, près de 75 % des travailleurs indépendants cotiseront au même niveau et, à revenus identiques, ouvriront les mêmes droits à retraite que les salariés ». Pourquoi cela ne concernerait-il pas l'ensemble des indépendants si cela vise à l'équité ? De plus, cette disposition encourage les travailleurs indépendants à recourir à la capitalisation. Enfin, pour les conjoints collaborateurs, qui sont souvent des femmes, le calcul des cotisations reste le même qu'aujourd'hui, de même que les pensions extrêmement faibles, ce qui a des conséquences défavorables pour l'indépendance des femmes.
Nous nous interrogeons sur le caractère inéquitable de cet article puisque tous les travailleurs indépendants ne sont pas concernés. Surtout, cette technique entérinera de nouveau la possibilité d'exonération de cotisations. Il est proposé que les travailleurs indépendants cotisent uniquement sur la part salariale des cotisations ; puisqu'ils cotisent moins, ils s'ouvriront moins de droits que les salariés ayant des revenus identiques. Les travailleurs indépendants auront donc tout à intérêt à recourir à la capitalisation pour compléter leurs revenus. Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l'article 20.
L'article 20 est intéressant parce qu'il remet en cause les éléments de langage du Gouvernement. Les travailleurs indépendants jusqu'à 1 PASS cotiseront jusqu'à 28,31 % ; entre 1 et 3 PASS, le taux sera de 12,94 %, c'est-à-dire 10,13 points qui ouvriront des droits et 2,81 points qui seront la part de solidarité – c'est dire déjà si ces dispositions s'écartent du régime universel !
On peut d'ailleurs prolonger ce constat : la part des cotisations créatrices de droits dans le total des cotisations est plus faible pour les indépendants entre 1 et 3 PASS que pour les salariés, puisque la part de solidarité est plus importante. Un euro cotisé ne créera pas les mêmes droits : pour quels motifs vous écartez-vous de cette règle que vous avez faite vôtre, notamment au regard des règles constitutionnelles ?
Dernier constat, nous avons entendu le secrétaire d'État valoriser un « bon taux de rendement à 5,5 % » : mais ce bon taux, c'est seulement sur la partie contributive ! Le vrai taux de rendement prend aussi en compte la partie non contributive. Et pour les indépendants entre 1 et 3 PASS, le taux de rendement est encore plus faible, loin des 5,5 % que vous affichez !
Cet article prévoit que les travailleurs indépendants cotiseront à un taux unique de 28,31 % jusqu'à un revenu égal au plafond annuel de la sécurité sociale. Pour certaines catégories d'indépendants, cela correspondra à un doublement des cotisations, sans y gagner en prestations. Cela soulève donc la question du taux de rendement : je sais que vous avez du mal à répondre à cette question qui vous déplaît. Cela témoigne de l'impréparation de ce projet, comme vous l'ont fait savoir certaines professions libérales mobilisées contre ce projet – ce dont vous n'avez pas réellement tenu compte.
L'article 20, sous réserve d'adaptations, applique les règles de cotisation du système universel de retraite à l'ensemble des travailleurs non salariés – indépendants, agriculteurs, libéraux. Les taux actuels sont très variés et s'appliquent à des assiettes très différentes. Ils auront vocation à rejoindre le taux d'objectif de 28,12 % au niveau du plafond de la sécurité sociale ; entre 1 et 3 PASS, ce sera le taux appliqué à la part salariée. En effet, tous ces indépendants sont à la fois leur propre employeur et leur propre employé : c'est une particularité dont nous avons voulu tenir compte en appliquant le taux du régime universel jusqu'à 1 PASS, et un taux réduit – celui de la part salariée uniquement – entre 1 et 3 PASS.
Madame Panot, vous avez parlé des conjointes collaboratrices : je vous rejoins sur ce point. Je défendrai moi-même un amendement sur ce sujet. En effet, elles cotisent peu, n'ont que très peu de droits à la retraite et se retrouvent de ce fait dans des situations parfois très compliquées.
Monsieur Quatennens, vous avez dit que tous les travailleurs indépendants n'étaient pas concernés : je n'ai pas compris le sens de votre interpellation ; je suppose que vous y reviendrez.
Monsieur Vallaud, vous avez indiqué qu'un euro cotisé n'ouvrirait pas les mêmes droits : c'est faux ! On cotise sur une assiette moindre mais chaque euro cotisé donne le même nombre de points. Le taux appliqué à l'assiette n'est pas le même mais un euro cotisé donne les mêmes droits.
Avis défavorable à ces amendements.
J'ai dit que cela ne concernait pas tous les travailleurs indépendants parce que c'est écrit dans votre projet de loi. On peut lire dans l'exposé des motifs de l'article 20 : « Avec cette règle d'équité, près de 75 % des travailleurs indépendants cotiseront au même niveau [...]. »
Un mot pour le député Jean-Pierre Door, qui s'interrogeait sur les médecins. J'ai reçu trois organisations représentantes des médecins : il n'y a pas de débat sur le fait qu'ils cotiseront moins dans le système futur et sur le maintien des dispositifs de prise en charge par l'assurance maladie des prestations complémentaires vieillesse. En outre, la comparaison des différents cas-types a démontré que la réforme se faisait toujours au bénéfice des médecins : proportionnellement, la baisse des pensions sera toujours moindre que la baisse des cotisations. Si, par ailleurs, ils souhaitent maintenir un haut taux de cotisation pour financer un régime complémentaire, il leur appartient d'y réfléchir.
Sur la différence de cotisations des indépendants jusqu'à 1 PASS et entre 1 et 3 PASS, il ne vous aura pas échappé que les professions libérales payent aussi bien la part salariale que la part employeur : ils supportent donc une double charge. Pour des raisons évidentes de viabilité économique, nous avons fait en sorte d'adapter le taux pour les professions libérales. Au-delà de 1 PASS, le taux correspond donc au taux salarial, comme pour les salariés. Et au-delà de 3 PASS, ils payent, comme les salariés, la cotisation de solidarité de 2,81 % sans limite. Nous définissons donc des règles communes mais, et c'est bien normal, nous les adaptons à la réalité économique de ces professions libérales, adaptation que vous appeliez vous-mêmes de vos voeux lorsque nous avons débattu de la situation des avocats. La cohérence intellectuelle que vous appelez de vos voeux devrait donc vous amener à vous rallier à cette position.
Je constate que personne n'a contredit le fait que le bon taux de rendement à 5,5 % n'est pas le taux de rendement dont bénéficieront les indépendants.
Il n'y a rien de mystérieux en la matière : le taux de rendement a été calculé sur la base des cotisations contributives, soit 5,5 %. La part non contributive participe à la solidarité nationale – j'espère que cette dimension ne vous avait pas échappé. Il est souhaitable que l'ensemble de nos concitoyens contribuent à la solidarité. Si tel n'était pas le cas, cela signifierait que l'on ne se considère pas comme un citoyen qui participe au vivre ensemble : je ne suis pas sûr que tel soit votre état d'esprit mais j'ai peur que votre façon d'approcher les chiffres ne le laisse penser. Si vous vouliez procéder ainsi, le taux de rendement serait légèrement inférieur d'environ 10 %.
La commission rejette les amendements.
Les travaux, suspendus à onze heures dix, sont repris à onze heures trente.
La commission est saisie des amendements identiques n° 6778 de Mme Mathilde Panot et n° 6785 de Mme Bénédicte Taurine.
Je me réjouis de constater que le rapporteur rejoint ce que je disais sur les conjointes collaboratrices. Je ne sais pas si un amendement d'appel suffira pour régler cette question. J'aimerais connaître l'avis du secrétaire d'État sur ce sujet.
Par ailleurs, certaines questions sont restées sans réponse. Ainsi, aucun des artisans et commerçants n'a intérêt à ce que ce pays comprenne un taux de retraités sous le seuil de pauvreté de 15 % ou 20 %, comme c'est le cas dans les régimes à points et ouvrant à la capitalisation. En effet, si les retraités n'ont pas un niveau de vie digne, cela se répercutera très fortement sur leur activité. De plus, il y a un problème de logique dans l'universalité : à partir de trois plafonds de sécurité sociale, la cotisation ne sera plus la même.
Il est important d'intégrer l'ensemble de nos concitoyens, notamment les travailleurs non salariés. Beaucoup d'entre eux ne touchent que de très petites retraites : en leur permettant de se constituer davantage de droits, nous tentons à terme de résoudre ce problème et, à court terme, de mettre en oeuvre le minimum contributif.
Avis défavorable.
Le secrétaire d'État a consenti à dire que 5,5 % n'était pas le vrai taux de rendement et qu'il serait inférieur de 10 %, soit environ 5 %. S'agissant des indépendants entre 1 et 3 PASS, il est même en dessous de 5 % : j'aimerais en connaître le taux. Enfin, j'aimerais qu'il me soit confirmé que ce taux pourrait être encore plus faible avec la nécessité de maintenir l'équilibre financier du système.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6874 de Mme Mathilde Panot et n° 6881 de Mme Bénédicte Taurine.
Nous continuons à dire que le régime que vous proposez aux travailleurs non salariés ouvrira à la capitalisation, ne respectant pas les règles d'égalité dont vous vous prévalez. Je repose la question sur les conjointes collaboratrices : que va-t-il se passer puisque rien ne va changer pour elles ? Leurs pensions resteront toujours extrêmement faibles, alors que vous prétendez que les femmes seront les gagnantes de cette réforme. J'aimerais savoir ce que vous allez faire sur cette question, hors l'amendement que le rapporteur nous a indiqué vouloir déposer.
Monsieur Vallaud, le taux de rendement est bien à 5,5 % sur la partie contributive, que l'on soit en dessous ou au-dessus du plafond. Le taux de 5,5 % est calculé en se fondant sur l'espérance de vie : quel que soit votre nombre de points, le taux est de 5,5 % sur la partie contributive, celle qui crée des droits, donc sans tenir compte du taux de solidarité de 2,81 %.
Je vous assure, madame Panot, que le sujet des conjoints collaborateurs me tient à coeur. Je l'avais abordé sous l'angle agricole parce que je vois dans quelle précarité peut mener ce statut. Nous en reparlerons après l'article 20 ; il y aura sûrement un long débat sur ce sujet complexe.
Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques n° 6891 de Mme Mathilde Panot et n° 6898 de Mme Bénédicte Taurine.
L'article 20 concerne les travailleurs indépendants, notamment les exploitants agricoles. Sauf erreur de ma part, les agriculteurs qui partiront à la retraite avant 2022 ne seront pas concernés. Comment seront revalorisées leurs retraites, que l'on sait très faibles ?
Je sais, madame Taurine, que vous êtes, comme moi, très sensible à la condition des agriculteurs. À ce stade, le projet de réforme concerne des futurs retraités. Théoriquement, si l'on avait déroulé la logique de cette réforme jusqu'au bout, cela aurait concerné les assurés partant à la retraite à partir de 2037. Nous avons voulu marquer notre intérêt pour la situation des agriculteurs partant à la retraite à partir du 1er janvier 2022 : je suis dans l'obligation de reconnaître que ceux qui sont déjà en retraite ou qui partiront avant cette date ne sont pas concernés.
La commission rejette les amendements.
Elle passe aux amendements identiques n° 6908 de Mme Mathilde Panot et n° 6915 de Mme Bénédicte Taurine.
Je reviens sur la question de l'ouverture à la capitalisation. Il est proposé que les travailleurs indépendants cotisent à hauteur de la seule part salariale ; puisqu'ils cotisent moins, les travailleurs indépendants s'ouvriront moins de droits que les salariés ayant des revenus identiques. Cette disposition encouragera donc les travailleurs indépendants à recourir à la capitalisation ; cela est directement en lien avec l'article 65 du projet de loi, qui annonce clairement la couleur. Le secteur de l'assurance est appelé à se mobiliser afin que ce dispositif se généralise et que l'économie française bénéficie ainsi du dynamisme de l'épargne retraite généré par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », qui prévoyait justement une plus grande défiscalisation des produits d'épargne retraite. Malgré tout ce que vous dites sur votre attachement au système par répartition, nous allons vers une ouverture à la capitalisation et, par conséquent, à un régime par capitalisation.
Avis défavorable.
Je rappelle à notre collègue Mathilde Panot que nous avons justement eu ce débat hier soir. Nous avons d'ailleurs signifié que nous retirions l'article 65 – encore faut-il y arriver ! Nous déposerons un amendement avec Paul Christophe visant à la suppression de l'article 65. Je tiens à rappeler notre surprise de voir le groupe de La France insoumise, si attaché à la répartition, défendre coûte que coûte le système par capitalisation de la Banque de France : il serait bon d'avoir une cohérence d'ensemble !
Je comprends que vous vouliez retirer l'article 65, car il se voit comme le nez au milieu de la figure ! C'est un véritable révélateur d'une partie de votre projet. Que vous le retiriez par un amendement en dernière minute n'enlève rien à la réalité des intentions qu'il affichait. Peut-être même y reviendrez-vous par la suite. Tout cela demeure sur la table, et vous ne supprimez pas le problème en supprimant l'article 65.
La commission rejette les amendements.
Elle est saisie des amendements identiques n° 6925 de Mme Mathilde Panot et n° 6932 de Mme Bénédicte Taurine.
Vous annoncez le retrait de l'article 65 par un amendement qui sera défendu à la fin, mais la question reste entière pour les dispositions qui ont été votées dans la loi « PACTE », qui comporte déjà une ouverture vers la capitalisation. Plus largement, la manière dont vous avez conçu ce système, avec les plafonds de la sécurité sociale, pousse déjà à la capitalisation ; c'est le cas pour les cadres gagnant de hauts revenus. Puis viendra la généralisation de la capitalisation. Quant au système de retraite de la Banque de France, puisque nous sommes opposés au recours aux ordonnances – ce n'est pas une surprise – nous sommes opposés à ce que des dispositions le concernant soient prises par ordonnances, qui dessaisissent le Parlement.
En détaillant les régimes spéciaux profession par profession, nous avons démontré hier que nous voulions remettre en question ce projet de loi et, par conséquent, reprendre pour chaque profession le régime de retraite qui conviendrait selon nous. Par conséquent, il n'y a pas de problème de cohérence.
Tous les amendements qui viennent d'être défendus traduisent une conviction politique que nous ne partageons pas : avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 12804 de M. Jean-Paul Mattei.
Je constate – hélas ! – que le nombre des amendements de La France insoumise ravale les nôtres au rang d'amendements d'appel. Celui-ci vise à prévoir une dégressivité des cotisations entre 1 et 2 PASS, afin de tenir compte de l'impact de celles-ci sur les professions libérales, notamment les avocats. Nous devons avoir une réflexion sur les cotisations et appliquer un abattement sur ces cotisations pour les premières tranches.
J'ai déposé un amendement après l'article 20 afin d'obtenir un rapport sur tous ces sujets. Les professions libérales évoluent, des structures se mettent en place ; nous devons avoir une réflexion de fond sur leur statut. Ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera pas dans vingt ans ; il y a vingt ans, les professions n'étaient pas du tout organisées de la même manière.
Je suis défavorable à l'amendement mais très favorable à l'idée d'un rapport pour étudier les évolutions, notamment sociétaires, dans l'organisation de ces métiers.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle discute des amendements identiques n° 2996 de M. Stéphane Viry, n° 6959 de Mme Mathilde Panot et n° 6966 de Mme Bénédicte Taurine.
Notre groupe ne rejette pas le système de retraite universel, qui peut être logique. Nous proposons toutefois une architecture totalement différente, à deux étages, avec un régime universel couvrant de 0 à 1 PASS, des régimes complémentaires au-dessus pour les travailleurs non salariés, pour les salariés avec l'AGIRC-ARRCO, et pour les salariés de la fonction publique ainsi que des régimes spécifiques pour certaines professions. Tout à l'heure, M. le secrétaire d'État a évoqué la possibilité, au-dessus de 3 PASS, d'ouvrir à des régimes complémentaires : c'est une forme de capitalisation. Nous, nous souhaitons nous arrêter à 1 PASS.
L'étude d'impact ne mentionne pas les indépendants de façon suffisamment claire. Comme le souligne Le Monde, « Les types de carrières sont variés : salariés du privé et du public, bas et hauts revenus, personnes avec et sans enfant, trajectoires linéaires et ascendantes (avec une forte hausse de revenus entre le début et la fin de carrière). Ces cas types n'ont pas de valeur représentative de la population française : certaines catégories d'actifs ne sont d'ailleurs pas étudiées, comme les travailleurs indépendants. » Il est difficile de savoir pour quoi nous votons puisque l'étude d'impact n'est absolument pas claire ni représentative de ce que vivront les centaines de milliers d'indépendants dans notre pays.
Ces amendements défendus par les Républicains et La France insoumise sont certes identiques, mais ils ont des finalités différentes. Les Républicains sont en phase avec les arguments qu'ils ont déposés depuis le début du texte ; ils ont une vraie cohérence. La France insoumise a une autre cohérence, qui consiste à supprimer alinéa après alinéa. J'ai proposé que l'on dépose un amendement agrégeant tous les alinéas, de façon à n'en avoir qu'un seul par article, mais apparemment cela n'est pas possible !
De mon point de vue, la notion de cas-type est une construction intellectuelle qui n'est pas la bonne. C'est un peu comme si chacun faisait de son propre parcours un cas-type et l'appliquait dans le futur régime pour savoir s'il serait gagnant ou perdant. Or le but est que tout le monde ait les mêmes règles de base à l'avenir : on ne refait pas le jeu avec sa propre histoire. Je suis défavorable à cette approche par cas-type passé et défavorable aux amendements de suppression.
À propos de cas-types, on pourrait parler de ceux que le Gouvernement a présentés aux Français et à la représentation nationale ! Ces cas-types, dans lesquels on doit pouvoir se projeter, sont des situations extrêmement favorables : la carrière commence systématiquement à 22 ans ; chacun valide quatre trimestres par an ; les rémunérations sont enviables pour beaucoup de salariés ; surtout, l'âge d'équilibre est gelé à 65 ans. Vos cas-types sont en réalité largement biaisés. Les Français attendent les simulateurs individuels qui leur permettent vraiment de calculer ce qu'ils vont gagner à la retraite. Mais, en réalité, vous ne pouvez pas répondre à cette question puisque vous allez baisser le niveau des pensions à mesure que le temps va passer, par le décalage de l'âge d'équilibre. Vous ne pouvez pas vous engager sur un taux de remplacement, un niveau de vie ni même un âge de départ.
Je regrette que le rapporteur n'ait répondu qu'à un groupe politique. L'amendement de M. Mattei et celui de M. Viry ont le même objectif. C'est un signe fort que nous plaidons tous pour un socle de définition, même si nous divergeons sur les modalités d'application. Nous sommes d'accord sur les trois catégories : le privé, le public et les travailleurs indépendants. Notre système est plus cohérent. C'est pourquoi je soutiens l'amendement de M. Viry.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 22596 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.
L'article 20 prévoit que les travailleurs indépendants cotisent au même niveau que les salariés et leurs employeurs, jusqu'à un revenu égal à celui du plafond annuel de la sécurité sociale – environ 40 000 euros. Ensuite, entre 1 et 3 PASS, ils cotisent uniquement sur la part salariale. L'amendement propose d'abaisser le niveau supérieur de revenus à 1,5 PASS, et non plus 3.
Monsieur Door, monsieur Mattei, monsieur Cherpion, votre idée m'interpelle. En tant qu'agriculteur, je me suis posé la question. Dans le système actuel, même quand on réalise de bons résultats, le plafond limite notre possibilité d'acquérir des droits. Il faut certes tenir compte de la spécificité de ces professions libérales, à la fois employeurs et employés. Mais, si elles réalisent des résultats conséquents – ce qui peut arriver –, pourquoi ne cotiseraient-elles pas sur la même base ? Je n'ai pas encore tranché, c'est pourquoi je suis plutôt défavorable à votre amendement. Mais je vous propose d'engager ensemble la réflexion d'ici à la séance.
J'entends la réponse du rapporteur. Il est « interpellé » et fait preuve d'ouverture. Beaucoup de nos collègues sont conscients du caractère aléatoire de l'activité, et donc des revenus, de certains indépendants. Nous souhaitons que ce soit pris en compte. Je propose de retirer l'amendement et de faire progresser la cause des indépendants avec les groupes qui le souhaitent, dans une rédaction qui agréerait le rapporteur et le Gouvernement. Soyons oecuméniques !
L'amendement est retiré.
L'amendement défendu par M. Benoit est proche du mien. J'avais rencontré M. Delevoye sur le sujet et aucun argument ne permet d'expliquer pourquoi on est allé jusqu'à 3 PASS pour les indépendants et libéraux... Nous devons réexaminer ce point, et souhaiterions que le plafond soit fixé à 1 PASS.
Ces structures économiques particulières nécessitent certains ajustements. Différents groupes le disent et c'est une nouvelle fois la démonstration de l'ineptie du nouveau système. Votre « machin » ne marche pas ! Dès que nous abordons un cas particulier, nous nous en rendons compte. Vous multipliez les dérogations pour ensuite expliquer que le système est formidable puisqu'il prend en compte chaque spécificité !
La commission en vient aux amendements identiques n° 6970 de M. Alexis Corbière, n° 6976 de Mme Mathilde Panot, n° 6978 de M. Adrien Quatennens et n° 6983 de Mme Bénédicte Taurine.
Nous l'avons déjà dit et je le répète pour les indépendants, s'ils cotisent moins, ils auront moins de droits. C'est un encouragement à trouver d'autres solutions, et cela favorise donc la capitalisation. Nous y sommes totalement opposés. C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'alinéa 8.
La capitalisation, on ne la retrouve malheureusement pas seulement à l'article 65 du projet de loi. Elle était déjà présente dans la loi « PACTE », elle l'est aussi à l'article 13, à l'article 15 et au présent article. Pourquoi n'en voulons-nous pas ? Parce que la moindre brèche conduira à sa généralisation et que nombre de nos concitoyens n'auront plus des niveaux de pension dignes. En outre, en cas de crise financière, l'argent des Français, placé dans des fonds de pension, va s'envoler.
Hier et ce week-end, certains dans la majorité raillaient le lien que nous faisions entre le projet de loi et l'écologie. Ce matin, des militants écologistes viennent d'envahir le siège de BlackRock, actionnaire de Bayer, de Monsanto, de Vinci ou de Total. Regardez ce qui se passe en Australie : les fonds de pension détruisent nos possibilités de vivre dignement !
Cet article constitue un encouragement à la capitalisation. Vous vous en défendez régulièrement, prétendant que le projet de loi a vocation à sauver le système par répartition. Certes, votre système par points reste un régime par répartition, car les actifs continueront bien à payer les pensions des retraités, mais il encourage le développement de la capitalisation par deux moyens : le fameux âge d'équilibre, qui nécessitera d'avoir capitalisé pour avoir un bon niveau de pension à l'âge légal de départ à la retraite, et le plafonnement pour les hauts revenus. Votre réforme n'est que l'étape intermédiaire nécessaire avant de basculer définitivement et complètement dans la capitalisation !
Monsieur le rapporteur, je suis d'accord avec vous, les pensions des agriculteurs actuellement à la retraite sont nettement insuffisantes. Vous indiquez qu'il serait bon d'y travailler ultérieurement. J'estime, au contraire, que, plutôt que de proposer votre réforme, vous auriez dû d'abord vous occuper de ces personnes en grande difficulté.
Ces amendements sont l'illustration même de la méthode de travail de La France insoumise. On supprime !
Mme Panot a parlé des enjeux climatiques, importants, et Mme Taurine, des agriculteurs. Je connais son attachement à ce sujet. L'alinéa 8, dont vous demandez la suppression, est précisément celui qui crée la cotisation de solidarité de 2,81 % sur les revenus des indépendants ! Contrairement à vous, qui ne faites que parler, nous essayons d'agir et de créer de la solidarité : je vous rappelle que le taux n'est que de 2,30 % actuellement. Demain, cette solidarité permettra aux futurs retraités de l'agriculture de vivre mieux puisque la cotisation en question va financer le minimum contributif. C'est déjà un progrès ! Bien sûr, on peut toujours, comme vous, voir le verre à moitié vide !
On entend des arguments démagogues, parfois incohérents, parfois cyniques et souvent méprisants. S'agissant des fonds de pension, je vous rappelle que la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique (PREFON) en est un, qui a été créé le 8 mai 1964 à l'initiative de quatre syndicats, et qui est cogéré par les partenaires sociaux. La Retraite additionnelle de la fonction publique en est un autre. Obligatoire, ce fonds perçoit 1,75 milliard d'euros par an et draine environ 26 milliards de fonds cogérés par les partenaires sociaux. Personne ne s'en plaint ! Vous le voyez, un système universel par répartition fort et solide peut parfaitement coexister avec des fonds de pension permettant aux personnels concernés de percevoir des retraites additionnelles de bon niveau. Vous n'en avez d'ailleurs jamais demandé la suppression. Soyez cohérents ! Si les fonds de pension sont néfastes, demandez la suppression de ces deux fonds !
Il ne me semble pas avoir été méprisante envers les agriculteurs lorsque j'ai fait observer que leurs revenus sont actuellement insuffisants. Nous en avons largement discuté avec le rapporteur : il sait que le problème n'est pas tant leur niveau de retraite que celui de leur revenu. Les projets de loi dont nous avons précédemment débattu auraient pu être l'occasion d'améliorer ce revenu – en validant le principe de prix planchers par exemple. À l'occasion de l'examen du présent article, qui les concerne, je saisis l'occasion pour soulever à nouveau le problème, c'est tout.
La commission rejette les amendements.
Elle passe aux amendements identiques n° 6987 de M. Alexis Corbière, n° 6993 de Mme Mathilde Panot, n° 6995 de M. Adrien Quatennens et n° 7000 de Mme Bénédicte Taurine.
Monsieur Fuchs, je ne m'amuserai pas à vous renvoyer les messages d'amitié que vous nous avez transmis... Nous ne nions pas l'existence de la PREFON ou d'autres dispositifs identiques. Mais pourquoi existent-ils ? Ils compensent les faibles rémunérations de nos fonctionnaires, le gel de leur point d'indice, etc. Ils permettent une légère amélioration de leur sort, mais ils créent des inégalités, d'autant qu'il s'agit de stratégies individuelles d'épargne. C'est pourquoi nous ne sommes pas favorables à leur développement. Nous souhaiterions, au contraire, réintégrer tous ces dispositifs dans un système de retraite commun. On pourrait alors parler d'un système universel ! Vous le voyez, nous sommes cohérents : nous voulons mettre fin au gel du point d'indice des fonctionnaires, augmenter leur rémunération et leur permettre de disposer d'une retraite sans avoir à mettre en oeuvre des stratégies d'épargne individuelles.
Nous débattons là d'une rupture majeure de notre pacte social. Quel sera le paysage post-réforme dans vingt à cinquante ans, dans un contexte d'urgence écologique ? Je reviens aux fonds de pension. Tout le monde a malheureusement pu observer de près ce qui se passe en Australie. Les méga-feux qui s'y propagent depuis trois mois ont mis en lumière un manque cruel d'eau. Pourtant, un fonds de pension canadien a trouvé le moyen d'acheter l'eau australienne, qu'il revend à prix élevé à des fermes australiennes qui font pousser des orchidées, ensuite envoyées aux quatre coins du monde en avion ! Est-ce l'avenir que nous réservons aux générations futures ? Doit-on s'accommoder d'un monde où les fonds de pension continuent de mettre la main sur des ressources aussi essentielles à la vie ?
Monsieur Fuchs, il faudrait plutôt s'interroger sur ce que viennent compléter ces régimes complémentaires par capitalisation : un système par répartition déjà insuffisant. On ne peut donc pas s'en réjouir et votre projet de loi va aggraver la situation ! D'après vous, quel secteur économique se réjouit de l'adoption de ce projet de loi ? Il n'y en a qu'un et il le fait avec beaucoup d'ostentation, c'est celui des fonds de pension, des assurances et des banques ! De savoir 330 milliards d'euros gérés par des syndicats de travailleurs, c'est insupportable pour eux ! Depuis des décennies, ils cherchent à récupérer une partie de ces fonds et, incontestablement, même si vous ne transformez pas notre système en un régime par capitalisation, vous transférez une part du pactole vers la capitalisation. D'ailleurs, ils vous disent déjà merci !
Madame Taurine, je me suis probablement mal exprimé et m'en excuse. Je connais votre souci des questions agricoles et des agriculteurs de votre circonscription. Je vous l'accorde, le projet de loi interfère avec de nombreuses politiques publiques et la pension n'est que le reflet, parfois déformé, des conditions dans lesquelles s'est déroulée la carrière : c'est vrai pour le niveau de revenu des agriculteurs, pour celui des commerçants, pour les inégalités hommes-femmes. En général, les faibles pensions sont effectivement le reflet de faibles revenus ou celui de faibles cotisations – puisqu'il existait des dispositions particulières. Notre projet s'inscrit dans un ensemble de politiques publiques visant à résoudre les problèmes, y compris ceux en lien avec l'urgence écologique. Nous ne nions pas l'importance de tous ces sujets, mais le projet de loi qui nous occupe concerne les retraites et la mise en place d'un système universel.
Je suis donc défavorable à vos amendements.
L'article 20 est relatif aux travailleurs non salariés et nous discutons de la PREFON... C'est un système tout à fait intéressant, mais il ne concerne pas les travailleurs non salariés ! À l'inverse, nous n'avons toujours pas la réponse de M. le secrétaire d'État sur les propositions de MM. Mattei, Viry et Benoît concernant ces derniers. Le rapporteur est « interpellé », il nous l'a dit. Qu'en est-il de M. Pietraszewski ?
La commission rejette les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 667 de M. Stéphane Viry.
Le taux de cotisation des salariés est de 25,31 % jusqu'à 3 PASS, auquel s'ajoute une cotisation de solidarité de 2,81 %, déplafonnée. Cette dernière n'apportant pas de droits, les travailleurs indépendants sont pénalisés par rapport aux salariés. L'amendement vise donc à ce que, jusqu'à 3 PASS, les travailleurs indépendants paient une cotisation de solidarité sur leurs revenus égale à la part de cotisation – 40 % – applicable aux salariés, soit 1,124 % au lieu des 2,81 % prévus.
Je vous avoue qu'il m'a fallu lire plusieurs fois l'amendement pour en comprendre l'objectif... La cotisation de solidarité représentant 10 % du taux de cotisation de 28,12 %, pour les indépendants, vous souhaitez qu'au-delà du plafond, étant donné qu'ils ne payent que la part salariale, la cotisation de solidarité soit calculée sur cette assiette. J'y suis défavorable, car il s'agirait d'une rupture d'égalité. Le taux de la cotisation de solidarité est le même, quelles que soient les rémunérations. En outre, le taux global de cotisation et le taux de la cotisation de solidarité ne sont pas liés, contrairement aux apparences. Si, demain, le premier venait à augmenter, le projet de loi ne prévoit pas que le second soit modifié.
Nous l'avons déjà souligné, les professions libérales ont une double casquette, à la fois employeur et salarié. L'amendement vise à retrouver un équilibre entre ces deux casquettes, afin que les indépendants ne soient pas taxés au maximum.
Nous sommes conscients qu'il ne faut pas fragiliser la viabilité économique de ces structures et nous y sommes très vigilants : c'est pourquoi le taux sera différent au-delà de 1 PASS puisqu'il n'inclura plus que la part salariale de la cotisation vieillesse.
M. Door, vous souhaiteriez que les indépendants ne paient qu'une portion de la cotisation de solidarité. Mais, le rapporteur l'a également rappelé, cette cotisation est à taux unique, car elle est l'expression de la solidarité nationale. Elle n'est pas calculée en proportion d'une autre cotisation, comme vous sembliez le penser. Un tel dispositif serait d'ailleurs probablement inconstitutionnel.
Pourquoi avoir choisi 3 PASS, et non 1 PASS comme le plaident Les Républicains ? Nous souhaitons que les indépendants partagent la même vision du bien commun que les autres professions. Votre position politique – je dirai même programmatique – est claire : vous estimez qu'au-delà de 1 PASS, on ne devrait plus être dans le régime de base, mais laisser les professions s'organiser ou faire perdurer ce qui existe.
Ce n'est pas notre lecture. Nous ne sommes pas opposés à ce que les professions s'organisent et ne voulons mettre en difficulté personne, mais nous estimons que la transformation du système de retraite est nécessaire du fait de l'évolution sociétale et de la transformation du marché de l'emploi dans notre pays. Ainsi, aujourd'hui, un médecin peut alternativement ou concomitamment être salarié et libéral. Olivier Véran pourra vous le confirmer, et il n'est pas un cas unique ! Les parcours professionnels peuvent changer pendant quarante-deux ou quarante-trois ans.
Nous devons répondre à ces évolutions et le système par points le permet : quel que soit son statut, un actif se verra appliquer les mêmes règles. Ce système sera donc plus lisible et plus cohérent que les régimes actuels.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 9044 de M. Jean-Pierre Door.
Monsieur le secrétaire d'État, vous le savez, nous ne sommes absolument pas d'accord avec vous. Vous touchez à des régimes spécifiques, qui n'ont rien demandé à personne et qui sont autonomes depuis des années. Ils disposent de réserves importantes de trésorerie et sont capables de payer les pensions de leurs mandants. Ils sont déjà solidaires « intraprofessionnellement », mais également avec la Nation puisqu'ils versent une contribution parfois plus de quatre fois supérieure à celle des autres salariés ! Ils sont donc autonomes mais responsables.
L'amendement est similaire au précédent : la cotisation de solidarité n'apportant aucun droit supplémentaire aux travailleurs indépendants, nous souhaitons qu'ils soient traités équitablement par rapport aux salariés. Sinon, il s'agira d'un impôt supplémentaire...
Exceptionnellement, je vais contredire le secrétaire d'État, qui estime qu'Olivier Véran n'est pas un cas unique. Je ne suis pas d'accord ; il est unique, d'autant qu'il sera l'unique rapporteur du projet de loi organique, si nous arrivons à l'examiner !
Des régimes qui n'ont rien demandé, je l'entends ; des régimes bien gérés, assurément. Mais soyons objectifs, la première raison de leur bonne gestion est liée à la démographie des professions concernées, qui n'est pas déclinante. Ce ne sera peut-être pas le cas demain, car les métiers changent et la révolution numérique va probablement entraîner l'évolution rapide de nombreux métiers.
Enfin, la solidarité intraprofessionnelle que vous avez évoquée sera toujours possible. Quant à la solidarité extraprofessionnelle par la compensation démographique, nous en avons parlé hier – mais peut-être n'étiez-vous pas là. Le Conseil d'orientation des retraites l'a rappelé lors de son audition, elle est extrêmement complexe à mettre en oeuvre et ponctionne beaucoup les régimes dont la démographie est positive tout en apportant très peu à ceux dont les pensionnés sont plus nombreux que les cotisants.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement, puis, suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette l'amendement n° 3508 de M. Stéphane Viry.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7021 de M. Alexis Corbière, n° 7027 de Mme Mathilde Panot, n° 7029 de M. Adrien Quatennens et n° 7034 de Mme Bénédicte Taurine.
L'inscription dans la loi des 3 PASS pour les indépendants nous semble problématique : nous ne partageons pas votre analyse. En outre, cela va pousser des commerçants et des indépendants vers le système par capitalisation, que nous jugeons nuisible.
Le déficit est un de vos arguments pour expliquer la nécessité d'une réforme. Mais le déficit annuel des régimes représente à peine 1 % du montant total des retraites versées en 2018, soit l'équivalent d'un découvert mensuel de 15 euros pour un salaire de 1 500 euros. Il n'y a pas de quoi crier « faillite » !
Pour autant, nous ne défendons pas le statu quo. En effet, fin 2016, 31 % des retraités – 38 % des femmes et 23 % des hommes – percevaient une pension totale inférieure ou égale à 1 000 euros brut par mois, et 15 % des retraités avec une carrière complète se trouvaient dans cette situation. Votre projet de loi va aggraver la situation de nombreux salariés, qui ne seront plus capables de remplir les conditions d'une carrière complète pour obtenir les 1 000 euros que vous leur promettez !
Depuis ce matin, nous discutons de la suppression de différents régimes mais, en réalité, vous peinez à répondre à la question fondamentale que se posent les Français : à quel âge vais-je pouvoir partir et avec quel niveau de pension ? Pouvez-vous prendre des engagements, notamment concernant les taux de remplacement ?
Nous sommes opposés à ce plafond de 3 PASS. C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'alinéa.
Monsieur Quatennens, effectivement, 1 % de 1 500 euros fait bien 15 euros. Mais, à ce niveau de revenu, les témoignages sont récurrents dans les médias : 10 euros comptent. En outre, 1 % de 320 milliards représentent tout de même 3 milliards d'euros, qui pourraient utilement financer de nombreuses politiques publiques !
Avis défavorable.
Nous n'allons pas débattre de milliards, monsieur le rapporteur, car nous pourrions y passer beaucoup de temps. En outre, ce déficit est le fruit d'une construction politique d'exonération de cotisations. Je vais me contenter d'évoquer un régime spécial dont nous n'avons pas parlé ce matin : celui des retraites chapeaux. Avez-vous une idée du volume des encours bancaires de ces retraites ? Elles représentent 42 milliards, et vous mégotez pour un déficit de 8 à 17 potentiels milliards d'ici à 2025 ! Il y aurait là quelques points de produit intérieur brut à récupérer, malencontreusement passés des poches du travail à celles du capital. Cela permettrait de financer un système de retraite dans lequel les Français pourraient partir à un âge décent, avec un niveau de pension digne.
La commission rejette les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 3679 de M. Stéphane Viry.
Notre amendement a toujours le même objectif. L'architecture que nous proposons reposerait sur deux étages : un régime universel jusqu'à 1 PASS, puis des régimes complémentaires pour chacune des trois grandes catégories d'actifs, les salariés continuant à bénéficier de l'AGIRC-ARRCO et les non-salariés de leurs caisses complémentaires.
Je ne peux que saluer votre persévérance et votre cohérence. Mais ma réponse sera cohérente avec les précédentes : avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient aux amendements identiques n° 7044 de Mme Mathilde Panot, n° 7046 de M. Adrien Quatennens et n° 7051 de Mme Bénédicte Taurine.
Après l'alinéa 10, l'amendement n° 7044 vise à insérer un alinéa réintroduisant dans ce projet de loi les quatre critères de pénibilité que votre Gouvernement et votre majorité ont décidé de supprimer dès le début de la législature.
Nous souhaitons que soit prise en considération la pénibilité à laquelle sont soumis certains professionnels. L'amendement tend à ajouter un paragraphe en ce sens.
Vous nous reprochez d'avoir supprimé quatre critères de pénibilité. Nous voulons des mesures permettant de prendre en charge la pénibilité qui soient applicables, ce que n'étaient pas les dispositions en question. En outre, nous souhaitons étendre le bénéfice du compte professionnel de prévention (C2P) à la fonction publique. Plus généralement, je vous invite à aborder la question dans le cadre du titre II.
Avis défavorable.
Effectivement, que vous ayez supprimé quatre critères de reconnaissance de la pénibilité n'encourage pas la confiance des Français s'agissant de ces voeux pieux de prendre en compte celle-ci dans le système de retraite prétendument universel. Quant à nous, nous aspirons à étendre la reconnaissance de la pénibilité à des secteurs dans lesquels elle n'existe absolument pas, notamment s'agissant du port de charges lourdes. C'est le cas des infirmières, par exemple, à commencer par celles qui travaillent dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes : faire la toilette de personnes extrêmement dépendantes peut être assimilé au port de charges lourdes. De tels éléments pourraient tout à fait être comptabilisés. N'essayez pas de faire croire aux gens qu'on est capable d'avoir un niveau de détails extrêmement précis sur leur activité, mais que, bizarrement, on aurait des difficultés à mesurer la pénibilité sur la base de critères clairement établis. Notre rôle de parlementaires, je le répète, est d'étendre la reconnaissance de la pénibilité par l'attribution de trimestres à des professions qui n'en bénéficient pas actuellement.
La pénibilité fait partie des questions qui ont été abordées lors des nombreux échanges que nous avons eus avec les représentants des travailleurs indépendants et des professions libérales, notamment l'Union des entreprises de proximité. Le projet de loi ne prévoit pas en tant que tel l'accès au compte professionnel de prévention, mais il ouvre la porte et, je le répète, cela fait partie des sujets de discussion. La profession nous a adressé des demandes en ce sens – assez récemment, je le souligne. Nous pourrions engager la réflexion sur la réparation au titre de l'incapacité permanente. Comme vous le savez, les éléments posturaux sont pris en compte dans le tableau des maladies professionnelles. Il y a encore du travail à faire sur la question, notamment pour identifier les ressources, en termes de cotisations, pour les uns et pour les autres.
Monsieur le rapporteur, vous critiquez assez souvent ce que vous considériez comme étant une lourdeur du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), et vous faites assez régulièrement référence à votre expérience personnelle en disant combien, dans votre profession, son application était complexe. Mais vous auriez pu réformer le C3P, alléger la procédure, modifier les dispositions pour le rendre opérationnel. Or, au prétexte de cette lourdeur, vous avez en quelque sorte jeté le bébé avec l'eau du bain, puisque vous avez purement et simplement supprimé les critères de pénibilité. Comprenez que, dans ces conditions, on soit pour le moins interrogatif, pour ne pas dire suspicieux, quant à votre intention de réintroduire des critères. On voit très bien que vous avez besoin de rassurer l'opinion en lui disant que votre souhait est de tenir compte de la pénibilité. Quant à nous, nous croyons que votre intention est absolument inverse.
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite les amendements identiques no 7055 de M. Alexis Corbière, no 7061 de Mme Mathilde Panot, no 7063 de M. Adrien Quatennens et no 7068 de Mme Bénédicte Taurine.
Au-delà de l'ouverture du quinquennat par la suppression de quatre critères de pénibilité par le Gouvernement, c'est le principe même de votre démarche, notamment à travers le système des points, qui nous pose problème : la question de la pénibilité est ainsi individualisée, alors qu'il faudrait envisager les critères de pénibilité de manière collective et en étendre la prise en compte, comme le disait mon collègue Adrien Quatennens. Si l'on en reste à un système qui confie aux entreprises l'évaluation de la pénibilité dans le cadre du C2P, c'est inefficace : il faut, au contraire, une gestion collective de la question, fondée sur des critères communs à plusieurs professions – les charges lourdes concernent aussi bien les infirmières que bien d'autres professionnels, notamment les déménageurs.
En réalité, dans votre projet de loi, aucune prise en compte supplémentaire de la pénibilité n'est prévue. In fine, l'égalité mise en avant par le Gouvernement ne concernera que la baisse des pensions ; pour la pénibilité, nous attendons toujours des dispositions claires. Comme il en a été pour la revalorisation des salaires des fonctionnaires, notamment des enseignants, tout cela est parfaitement hypothétique ; rien de précis ne permet de sortir des voeux pieux au regard de la prise en compte de la pénibilité dans certains métiers. Or il faut des mécanismes qui confèrent des droits supplémentaires pour les métiers pénibles, car le système actuel ne le permet pas.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, la pénibilité sera abordée dans le titre II. Je suis extrêmement favorable à une approche collective de la pénibilité. Pour prendre une fois encore l'exemple des métiers agricoles –n'ayant pas la prétention de connaître tous les métiers, je m'en tiens à ce que j'ai observé –, il est difficile d'avoir une approche individuelle pour des aspects certes pénibles mais très ponctuels. Une approche moyenne peut être intéressante, quitte à être complétée par une approche individuelle pour d'autres aspects, car, dans une entreprise, on ne fait pas tous la même chose et de la même façon tout au long de la journée.
J'émets un avis défavorable sur vos amendements. Cela dit, la pénibilité est un enjeu vraiment important, et je vous invite à échanger davantage sur la question avec Jacques Maire quand nous en arriverons aux articles qui s'y rapportent directement. Il maîtrise le sujet mieux que moi, et des dispositions spécifiques sont prévues, qu'il est important d'expliciter.
La commission rejette les amendements.
Elle passe aux amendements identiques no 7078 de Mme Mathilde Panot, no 7080 de M. Adrien Quatennens et no 7085 de Mme Bénédicte Taurine.
Il s'agit de supprimer l'alinéa 12 de l'article 20.
Il est extrêmement satisfaisant que M. le rapporteur soit favorable à une approche collective, et nous aurons effectivement une discussion sur le sujet. Cela rend d'autant plus incompréhensible la suppression, en 2017, des quatre critères que sont les charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et le risque d'exposition aux agents chimiques dangereux, qui, pour le coup, permettaient d'avoir une telle approche. Nous devons élargir encore davantage cette approche, notamment avec la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle, comme nous l'avions proposé au début de l'année 2018. Nous sommes encore très loin de reconnaître la pénibilité comme il le faudrait et, malheureusement, dans le projet de loi, le compte n'y est pas du tout.
S'agissant de la pénibilité, il convient de noter qu'à travers ce projet de loi, on demande pour l'essentiel aux actifs de travailler plus longtemps pour atteindre l'âge où ils pourront partir à la retraite au taux plein, alors que, dans le même temps, les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles, et les exigences envers les travailleurs toujours plus élevées, avec des conséquences que l'on connaît bien : la pénibilité a souvent des conséquences sur les corps et sur la capacité des travailleurs à poursuivre leur activité. D'où le phénomène des carrières hachées, et surtout, passé un certain âge, l'usure. On sait, par exemple, qu'au-delà de 50 ans, les chômeurs ont un niveau d'employabilité considérablement amoindri ; qu'un actif sur deux, lorsqu'il atteint l'âge de la retraite, n'est plus en emploi, et qu'il y a plus de 300 000 chômeurs de plus de 60 ans dans notre pays. Le projet de loi aura donc des effets en cascade : la non-reconnaissance de la pénibilité, conjuguée à la suppression de certains régimes qui étaient une contrepartie – ils permettaient à certaines personnes, au vu de leurs conditions de travail, de partir plus tôt –, va aggraver considérablement la situation, y compris s'agissant du chômage des seniors.
L'alinéa 12 concerne la cotisation d'assurance vieillesse des conjoints collaborateurs des travailleurs indépendants.
Alors que nous attendions une rénovation du régime de calcul de la retraite des conjoints, qui sont souvent des femmes, rien ne changera avec ce système : comme dans les autres professions, les femmes ne seront pas mieux rémunérées avec votre réforme. C'est pour le moins surprenant.
Comme je l'ai dit à Mme Panot, il s'agit là d'une question à laquelle je suis sensible. Le statut des conjoints collaborateurs a été très utile, notamment dans le secteur de l'agriculture mais aussi chez les commerçants et les artisans, pour donner aux conjoints – qui sont, en effet, le plus souvent des femmes – une protection juridique et sociale. Toutefois, le statut maintient aussi ces personnes dans une forme de précarité. Elles peuvent faire face à de grandes difficultés, notamment en cas de séparation vers l'âge de 40, 45 ou 50 ans. En effet, les conjoints d'indépendants et les conjoints d'agriculteurs se retrouvent avec très peu de droits à retraite acquis. Je souhaite donc que nous nous penchions sur la question. À cette fin, je défendrai l'amendement no 22668, portant article additionnel après l'article 20. Il s'agira d'un amendement d'appel. Je vois l'intérêt du statut, mais je vois aussi la nécessité de le faire évoluer.
J'émets donc un avis défavorable sur vos amendements visant à supprimer l'alinéa 12, car un certain nombre de personnes bénéficient de ce statut, mais il me semble nécessaire d'étudier la question de façon approfondie.
Si Mme Taurine a bien lu l'étude d'impact – quand bien même elle penserait que celle-ci est truquée –, elle y a vu que le futur système universel de retraite réduirait les écarts de pension entre hommes et femmes de 3 à 5 points en pourcentage : la pension moyenne des femmes nées en 1975 représente 88 % de celle des hommes avec le nouveau système, contre 85 % avec le système actuel ; pour la génération 1990, la proportion serait de 86 %, contre 81 % sans la réforme.
Mme Vignon, qui a le mérite, comparativement à beaucoup de ses collègues de la majorité, d'être une grande ambassadrice du projet de réforme des retraites, vient de dire à ma collègue que celle-ci pense que l'étude d'impact est truquée. Non, nous ne le pensons pas : c'est un fait, et nous l'avons déjà dit. Vous devriez, d'ailleurs, vous en offusquer vous aussi, car, tout comme nous, vous êtes parlementaire. C'est une publicité mensongère, non une étude d'impact sincère. À l'article 10 du projet de loi, l'âge d'équilibre est décalé génération après génération. Or, dans l'étude d'impact, il a été gelé à 65 ans. Nous pouvons donc, effectivement, dire que cette étude d'impact est truquée, puisqu'elle permet de présenter des cas-types plus favorables que la réalité. De fait, si on applique tout simplement les dispositions du projet de loi, que vous défendez brillamment, on obtient beaucoup plus de cas défavorables – une majorité, même.
J'ai bien entendu ce que vient de dire notre collègue Mme Vignon concernant les écarts de retraite entre les hommes et les femmes, mais c'est un autre problème que celui dont il est question ici. La question qu'elle aborde se pose effectivement, et doit être résolue de façon générale, mais nous traitons ici des conjoints – ou conjointes – collaborateurs de professions libérales, pour lesquels un autre système doit être mis en place. Autrement dit, ce n'est pas du tout la même chose, et on est en train de tout mélanger.
Je voudrais commencer par une remarque de forme, une fois de plus : certaines prises de parole n'ont rien à voir avec les amendements déposés. Il faudrait tout de même s'astreindre à une méthode de travail cohérente. Certains ont parlé de pénibilité, alors qu'il s'agit, à cet alinéa, des conjoints collaborateurs. À cet égard, je voudrais rappeler que les dispositions de l'article 8 de la loi « PACTE », relatives aux conjoints collaborateurs, ont inscrit dans le marbre une mesure sociale qui a été saluée par tout le monde. Ne commencez donc pas à dire que nous ne nous préoccupons pas des conjoints : c'est nous qui avons instauré le dispositif en vertu duquel, à défaut d'avoir choisi entre trois statuts, ils sont considérés comme des conjoints salariés. Ce fut une avancée législative considérable.
La commission rejette les amendements.
La séance est levée à douze heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 10 février 2020 à 9 heures 30
Présents. - M. Didier Baichère, M. Thierry Benoit, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Céline Calvez, M. Lionel Causse, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Catherine Fabre, M. Bruno Fuchs, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, Mme Marie Lebec, Mme Constance Le Grip, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Thierry Michels, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Adrien Quatennens, M. Hervé Saulignac, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Didier Le Gac, M. Jean François Mbaye, Mme Valérie Rabault
Assistaient également à la réunion. - M. Éric Coquerel, M. Alexis Corbière, M. Bastien Lachaud, M. Jérôme Lambert, M. Christophe Naegelen, Mme Mathilde Panot, Mme Bénédicte Taurine