Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 3 juin 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

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  • suez
  • veolia
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 3 juin 2021

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des finances et de la relance

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Mes chers collègues, nous auditionnons M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation. Parmi vos attributions, monsieur le ministre, figure la gestion de l'eau par les entreprises privées, d'où votre implication, notamment, lors de l'offre publique d'achat de Suez par Veolia.

Je vous laisse la parole pour une intervention liminaire, qui précédera un échange sous la forme de questions et de réponses. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit. Je vous prie de nous faire part, le cas échéant, de tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

M. Bruno Le Maire prête serment.

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Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

L'eau est un sujet d'intérêt général. C'est un bien essentiel pour nos concitoyens et un service public. Nous avons le devoir de garantir aux Français un accès de la meilleure qualité possible au meilleur prix. L'eau est effectivement un bien stratégique. L'ensemble du secteur représente 28,4 milliards d'euros – dont 30 % sont réalisés à l'exportation –, 5 000 entreprises, 124 000 emplois. C'est l'une des grandes filières industrielles du pays, qui fait appel à plus d'une centaine de métiers et comprend deux champions internationaux : Veolia et Suez.

C'est évidemment, au-delà du commerce, un enjeu majeur pour des secteurs tels que l'agriculture, l'industrie, mais aussi le nucléaire, pour le refroidissement des réacteurs. L'eau a partie liée à la souveraineté. Nous veillons à ce que la France conserve son autonomie sur la gestion de l'eau, en protégeant nos entreprises à travers le contrôle des investissements étrangers. L'eau est source de conflits dans le monde, alors que l'accès à cette ressource devrait être un droit universel. L'Agence française de développement (AFD) en a fait une priorité et investit plus de1 milliard d'euros par an pour offrir un accès à l'eau potable à des millions de personnes dans le monde.

Le dispositif économique actuel permet aux Français d'avoir accès à une offre économe et de qualité. C'est ce qui m'a toujours guidé dans les décisions que j'ai dû prendre depuis onze mois sur la question de l'eau. J'ai poursuivi plusieurs objectifs : maintenir la concurrence entre les acteurs industriels, qui est la condition permettant d'avoir le prix le plus raisonnable possible ; maintenir l'empreinte industrielle dans le pays, qui est un facteur de développement économique ; enfin, garantir l'emploi, parce que c'est l'une des grandes filières industrielles de notre nation. Tels sont les trois principes qui m'ont guidé dans toutes les décisions que j'ai prises.

La situation actuelle est satisfaisante à l'aune de ces trois critères. Nous sommes l'un des pays où l'eau est la moins chère en Europe, à savoir 4 euros le mètre cube, contre 5,21 euros en Allemagne et 6,61 euros au Danemark, d'après les chiffres de l'Office international de l'eau (OIE) pour 2017. Un parallèle peut être fait avec l'électricité, qui est, en France, l'une des moins chères d'Europe.

Nous laissons le choix aux collectivités entre l'exploitation en régie et la délégation au secteur privé. Je ne suis absolument pas favorable à la nationalisation de l'eau qui, en faisant disparaître la concurrence, pourrait conduire à une augmentation des prix et à une dégradation de la qualité de service. Le choix offert entre la régie et la délégation privée garantit le meilleur service au moindre coût pour les consommateurs et assure le respect du principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales, qui exclut l'existence d'une structure unique pour la gestion de l'eau. Je rappelle enfin que 58 % des Français sont alimentés en eau grâce à un acteur privé.

Le prix de l'eau a connu une évolution modérée au cours de la décennie précédente et continue à progresser au même rythme. Cela s'explique en particulier par l'application de nouvelles normes et de nouvelles obligations environnementales et sanitaires.

Nous avons décidé, dans le cadre du plan France Relance, de consacrer 300 millions d'euros à la modernisation des infrastructures d'eau potable, à l'assainissement et à la gestion des eaux pluviales. Au sein de cette enveloppe, 220 millions seront affectés à la seule modernisation du réseau d'eau potable. À titre d'exemple, 3 millions seront investis pour la mise à niveau d'une usine de production et de distribution d'eau potable à Touvre, en Charente.

Ces investissements me semblent indispensables pour faire face au risque de sécheresse, lutter contre les sources de contamination de l'eau et déployer des stations d'épuration plus efficaces.

Je souhaite que nos décisions continuent à être guidées par le respect de l'empreinte industrielle, le maintien de la concurrence et la préservation de l'emploi sur nos territoires.

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Quand le président du conseil d'administration d'Engie vous a-t-il informé pour la première fois de l'intention de Veolia de lancer une offre publique d'achat (OPA) ?

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Bruno le Maire, ministre

J'ai reçu, le 27 juillet 2020, M. Jean-Pierre Clamadieu, président d'Engie, qui m'a présenté les grandes orientations qu'il envisageait pour son groupe. J'ai donné mon accord pour qu'Engie se recentre sur son cœur de métier. Or, la gestion de l'eau n'en fait pas partie : c'est avant tout un grand énergéticien. Il n'a pas été question, au cours de cet entretien, de détails relatifs à des cessions, mais d'une stratégie globale visant à recentrer Engie sur ses activités principales. J'ai ensuite reçu M. Antoine Frérot, président de Veolia, le 28 août 2020, qui m'a fait part de son souhait de constituer un champion industriel de l'eau et de la gestion des déchets, par un rapprochement, puis une fusion avec Suez. J'ai indiqué dès le 28 août à M. Frérot que toute opération industrielle devait se faire dans un cadre amical. C'est la position constante que j'ai exprimée à M. Clamadieu et à M. Frérot depuis nos premiers entretiens.

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Le Premier ministre a affirmé dès le 4 septembre 2020 que « l'opération de rapprochement entre Suez et Veolia fai[sai]t sens ». En votre qualité de ministre de l'Économie, vous aviez exprimé des réserves sur le fond, tout en appelant à prendre le temps nécessaire sur un dossier aussi important. Selon vous, de quels éléments disposait le Premier ministre pour justifier son avis ?

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Bruno le Maire, ministre

Il faudrait interroger le cabinet du Premier ministre ; je n'ai pas vocation à répondre à sa place. Il faut bien distinguer le fond et les modalités de ce rapprochement industriel. On peut disputer à l'infini de l'intérêt de la création d'un géant du traitement de l'eau et de la gestion des déchets. Des arguments peuvent être avancés dans les deux sens. L'avenir dira si le rapprochement permettra – ce que je souhaite – la constitution d'un grand champion, de classe mondiale, dans ce domaine d'activité. Le Premier ministre était tout à fait fondé à donner son avis, le 3 septembre, sur ce rapprochement. Ses propos ne sont pas discutables : rapprocher des activités similaires, sur des marchés proches, a du sens. On pouvait en revanche discuter des modalités de l'opération. Celle-ci ne pouvait être qu'amicale. Or, elle a été hostile. Je le regrette. J'estime que les OPA inamicales n'ont pas leur place dans le capitalisme contemporain, et certainement pas en France. Je continue à estimer que cette opération aurait pu être menée autrement.

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Confirmez-vous que la séance du conseil d'administration d'Engie du 5 octobre 2020, qui devait acter la vente de Suez, a été repoussée d'une heure, et pourquoi ?

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Bruno le Maire, ministre

Le vote a bien eu lieu le lundi 5 octobre. Sept administrateurs se sont prononcés en faveur de la cession du bloc de Suez à Veolia, un administrateur s'est abstenu, trois administrateurs ont voté contre – dont un administrateur de l'État et l'administrateur représentant l'Agence des participations de l'État (APE) –, et deux administrateurs, représentants de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), n'ont pas pris part au vote. Vous auriez pu me demander pourquoi la réunion a connu des reports successifs. Cela s'explique par le fait que l'État s'opposait à cette décision. Nous avons essayé, pendant le week-end, de convaincre que la méthode suivie n'était pas la bonne – hélas, en vain. J'ai pris mes responsabilités en demandant aux représentants de l'État – notamment à l'administrateur représentant l'APE – de voter contre une opération qui ne remplissait pas les conditions que j'avais fixées.

Je rappelle les cinq conditions que j'avais présentées de manière totalement transparente aux présidents de Veolia et d'Engie pour donner mon accord formel à cette opération : la pérennité de l'emploi, la logique industrielle, la préservation d'une offre concurrentielle de qualité, l'intérêt patrimonial et l'amicalité de l'offre.

Un certain nombre de garanties avaient été apportées sur les trois premières conditions, mais elles n'étaient pas assez solides à mes yeux.

La seule condition réellement remplie était l'intérêt patrimonial pour l'État, puisque l'offre de Veolia portait sur un montant attractif de 18 euros par action. En revanche, le critère de l'amicalité a été bafoué. Par conséquent, conformément à ma position constante, j'ai marqué mon opposition à la cession de la participation d'Engie dans Suez.

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Pourquoi n'avoir pas fait valoir auprès de la direction d'Engie la décision rendue en référé par le tribunal de Paris, dont l'audience s'est tenue le 29 septembre 2020, qui soulignait que la cession de Suez avait été faite sans consultation préalable des instances représentatives du personnel de Suez, en violation de la loi ? Vous avez souligné qu'il ne fallait pas se précipiter sur ce dossier. L'irrespect des délais d'information et de consultation des salariés n'était-il pas une raison suffisante pour obtenir le report de la tenue du conseil d'administration ?

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Bruno le Maire, ministre

Je veille à ne pas interférer avec les décisions de justice. En ma qualité de membre du Gouvernement, je représente les intérêts de l'État. La vraie difficulté, dans cette affaire, est que l'État a à la fois un intérêt patrimonial et un rôle de gardien de l'intérêt général. Depuis que je suis ministre de l'Économie et des finances, j'ai toujours fait prévaloir le second sur le premier. En l'occurrence, la recherche de l'intérêt patrimonial aurait pu me conduire à vouloir céder la participation d'Engie dans Suez. Cette opération rapportera en effet beaucoup d'argent à Engie, dont l'État détient 23,6 %. D'autres que moi auraient peut-être suivi ce raisonnement. Mais l'intérêt général commandait que la cession soit amicale, que l'on ait des garanties solides sur l'emploi et des assurances fortes et définitives sur l'empreinte industrielle. Si je devais reprendre la même décision aujourd'hui, je la prendrais.

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Selon les informations parues dans la presse, le 2 octobre 2020, M. Clamadieu a renoncé à un contrat avec Next Decade portant sur l'importation de gaz naturel liquéfié par le terminal méthanier Rio Grande LNG, en raison de l'opposition de vos représentants au conseil d'administration, hostiles à toute importation du gaz de schiste américain. Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que M. Clamadieu s'incline devant le refus de l'État dans cette affaire et non pour la vente de Suez ?

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Bruno le Maire, ministre

Ce sont deux décisions très différentes : l'une est de nature environnementale, l'autre a un fondement patrimonial. Dès lors que la stratégie d'Engie est de se réorienter vers l'énergie et d'accélérer la décarbonation de ses actifs énergétiques, il n'aurait pas été très cohérent de continuer à s'engager dans des projets liés au gaz de schiste, manifestement contraires à la réduction de l'empreinte environnementale et à l'intérêt social de l'entreprise. Ces arguments étaient suffisants pour faire évoluer la position de M. Clamadieu.

En revanche, du strict point de vue du patrimoine et du périmètre d'Engie, la cession de la participation dans Suez pouvait avoir un sens. C'est pourquoi le président d'Engie a décidé, contre l'avis de l'État, d'aller jusqu'au vote. Je regrette que M. Clamadieu ne se soit pas rendu aux arguments de l'État, qui l'invitait à prendre davantage de temps pour réaliser cette opération dans des conditions amicales. Cela nous aurait épargné les mois de déchirement qui ont suivi entre les deux entreprises, lesquelles laisseront des traces. Ce n'est bon ni pour ces sociétés, ni pour la réputation de grande nation industrielle dont peut se prévaloir la France.

L'État avait-il le pouvoir, par son droit de vote, d'infléchir la décision du président d'Engie ? Non. Nous avions 23,6 % des droits de vote et ne pouvions recourir à l'assemblée générale, puisque les décisions de cession d'actifs se prennent en conseil d'administration et n'ont pas besoin d'être validées en assemblée générale. L'État actionnaire ne peut véritablement infléchir des décisions qui se heurtent à sa conception de l'intérêt général que lorsqu'il dispose d'une minorité de blocage. Je me suis par exemple opposé au projet de fusion entre Renault et Fiat Chrysler Automobiles (FCA) car les conditions que j'avais fixées n'étaient pas remplies. Dans mes fonctions de ministre de l'économie et des finances, j'ai toujours employé la même méthode : la clarté, la transparence, la fermeté et la constance. J'avais indiqué au président de Renault, M. Jean-Dominique Senard, que l'État ne donnerait pas son accord à la fusion si le partenaire japonais Nissan ne votait pas formellement en sa faveur. Cette condition n'ayant pas été remplie, j'ai marqué mon opposition et ai obtenu gain de cause. En effet, si le projet de fusion avait été adopté par le conseil d'administration de Renault, où l'État était minoritaire, j'aurais pu faire usage de ma minorité de blocage devant l'assemblée générale.

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Pensez-vous sincèrement que l'État a utilisé tous les moyens dont il disposait pour stopper l'OPA de Veolia sur Suez ? Il est, malgré tout, le premier actionnaire de cette entreprise stratégique qui propose des tarifs régulés. Pourquoi ne pas avoir, par exemple, demandé l'annulation du vote du lundi 5 octobre et la réunion d'un conseil extraordinaire pour suspendre la cession ?

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Bruno le Maire, ministre

La réponse à la première question est oui. L'État a fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher que cette opération se fasse dans un cadre inamical. Lors du conseil d'administration du 5 octobre, l'État est même allé jusqu'à voter contre le choix du président d'Engie. C'est le pouvoir maximal dont disposait l'État pour empêcher une opération à caractère inamical.

Après le vote, je pense que le rôle de l'État n'était pas de déstabiliser encore plus une entreprise dans laquelle il avait une participation. Un choix avait été fait, dont acte. Mais je redis que je regrette les conditions dans lesquelles l'opération a été menée.

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Vous avez rappelé tout à l'heure les votes des administrateurs lors du conseil d'administration du 5 octobre. La presse s'est fait l'écho d'un coup de téléphone de M. Alexis Kohler aux deux administrateurs de la CFDT qui ont quitté la salle. En avez-vous eu connaissance ?

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Bruno le Maire, ministre

Quand je gère un dossier, j'assume toutes mes responsabilités, madame la présidente. Contrairement à ce que je lis trop souvent ici et là, nous sommes dans un État de droit où les ministres exercent pleinement leurs responsabilités. Les décisions qui ont été prises relevaient de ma compétence. L'ensemble des autorités en ont été averties, mais ces décisions ne relevaient que de ma compétence et non de celle de la Présidence de la République.

J'ai tenu informés de mes décisions le Premier ministre, comme le Président de la République, et leurs principaux collaborateurs. C'est la pratique, saine et normale, dans l'exercice des responsabilités politiques, mais je n'ai reçu ni instruction ni demande d'intervention de la part de quelque responsable que ce soit à la Présidence de la République ou chez le Premier ministre.

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Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que plusieurs médias aient recoupé l'information ?

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Bruno le Maire, ministre

Vous interrogerez les médias : ils donneront les éléments qui leur ont permis de recouper ces informations.

J'ai suffisamment de liberté dans l'exercice de mes fonctions pour prendre les décisions en informant ceux qui doivent en connaître mais sans demander des instructions.

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M. Mestrallet a dirigé Engie pendant dix ans, et il a nommé son directeur général et son président actuel. Par ailleurs, on trouve dans le conseil d'administration du cabinet Equanim des personnes qui ont, ou ont eu, des responsabilités au sein d'Engie ou de Suez. Cela s'apparente à un système en vase clos, d'entre-soi. Cela vous paraît-il normal ?

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Bruno le Maire, ministre

Qu'il ait pu y avoir dans ce dossier un certain nombre de confusions n'a échappé à personne. Que l'État ait fait preuve de constance, de clarté et de transparence depuis le début ne doit échapper à personne non plus.

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Vous ne voulez pas développer davantage votre réponse, monsieur le ministre ?

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Bruno le Maire, ministre

Je pense qu'elle est suffisamment claire.

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Merci, monsieur le ministre, d'avoir bien voulu répondre à notre invitation.

Passons à la gestion de l'eau, publique et privée. En 2017, 70 % des services publics d'eau potable faisaient l'objet d'une gestion directe, couvrant près de 28 millions d'habitants, soit 42 % de la population française. Les services gérés en délégation représentaient 30 % du total et couvraient 58 % de la population. Comment analysez-vous les évolutions en cours dans le domaine de la gestion de l'eau et la tendance à la remunicipalisation de ces services ?

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Bruno le Maire, ministre

L'essentiel pour moi, monsieur le rapporteur, c'est que les collectivités aient le choix. Il existe un principe de libre administration des collectivités locales. Il faut qu'il y ait une concurrence – c'est un point très important dans ce domaine – et que les collectivités puissent choisir entre régie publique et délégation de service à des entreprises privées. Ce qui poserait un vrai problème, ce serait que les collectivités soient pieds et poings liés, qu'elles aient un seul choix.

Grâce aux délégations de service public, nous avons deux leaders dans les métiers de la fourniture d'eau potable et des services d'assainissement, Veolia et Suez, qui emploient massivement en France. Il y a, dans le cadre de la future structure, un partage qui permet de garantir le maintien de cette concurrence. Pour moi, elle est saine et indispensable.

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Le prix du service de l'eau, distribution et assainissement, était 5,4 % plus cher, en moyenne, selon des données de 2018, en délégation de service public qu'en régie publique. Comment expliquer cette différence ?

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Bruno le Maire, ministre

La raison principale des différences tient à des effets d'échelle qui peuvent exister selon qu'il s'agit de grosses structures ou de plus petites. Par ailleurs, l'exploitation est plus complexe dans le cadre des entreprises publiques, ce qui peut expliquer la différence de coût que vous avez signalée. Je vous redonne les chiffres : le tarif de l'eau est aujourd'hui de 4 euros le mètre cube, contre 5,21 euros en Allemagne et 6,61 euros au Danemark.

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L'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement (OSPEA) fait état d'un taux de reconduction de 84 % des délégations d'eau. Considérez-vous qu'il y a une réelle concurrence dans la procédure de marché ? Existe-t-il des accords de partage de territoire entre les grands acteurs privés ?

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Bruno le Maire, ministre

Le fait que les reconductions soient aussi importantes ne veut pas dire qu'il n'y a pas de concurrence. C'est le meilleur levier dont les collectivités locales disposent lorsqu'elles négocient les contrats : elles disent qu'il existe une alternative. C'est ce qui s'est passé à Paris en 2010, par exemple. J'ai moi-même été un élu local : c'est un point absolument clé. Il faut que chaque collectivité locale garde dans sa main l'arme qui consiste à pouvoir changer de fournisseur. Sans cette possibilité, vous ne pouvez pas renégocier vos contrats en position de force.

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Le modèle français de gestion de l'eau par délégation de service public conduit-il à l'appropriation de l'eau ou à sa financiarisation ?

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Bruno le Maire, ministre

Je ne le pense pas, car la puissance publique garde une capacité de supervision et de sanction, après examen de la qualité de l'eau. L'eau, qui a un caractère vital, reste donc contrôlée par la puissance publique.

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Qui doit financer les investissements dans les réseaux pour limiter les fuites ? Faut-il augmenter le prix de l'eau pour améliorer les performances, et le cas échéant dans quelles conditions ? Comment déterminer le coût réel du renouvellement du réseau dans la facture de l'abonné ?

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Bruno le Maire, ministre

L'État a décidé d'investir 300 millions d'euros dans le réseau au titre de France relance, ce qui me paraît un bon investissement pour garantir la qualité du réseau et des structures en France, mais nous estimons que, par la suite, le traitement de la question doit obéir à une logique de marché et de vente d'un service. D'ici à 2024, 2 milliards d'euros auront été investis dans les réseaux d'eau, notamment grâce à France relance.

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Quel bilan faites-vous de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin 1, qui a limité la durée des contrats de délégation de service public (DSP) tout en instituant une publicité et une mise en concurrence préalablement à leur signature ?

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Bruno le Maire, ministre

Je pense que le grand intérêt de cette loi est d'avoir prévu une remise sur le marché régulière, comme vous l'avez indiqué, par le renouvellement des concessions, et donc la possibilité de trouver un autre fournisseur, un autre gestionnaire. La régularité du renouvellement des contrats me paraît très saine. Cela garantit des tarifs modérés.

Pour répondre plus complètement à la question précédente, il est évident que la vente de l'eau doit obéir à une logique de marché pour que ce soit le consommateur qui paie et non le contribuable, et que le consommateur paie en fonction de sa consommation. Si on va vers une nationalisation complète et que c'est le contribuable qui paie, on ne paiera pas en fonction de sa consommation mais du niveau de la taxe ou de l'imposition. Je pense que ce serait à la fois moins juste et moins efficace.

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Les collectivités territoriales vous semblent-elles disposer des moyens humains et techniques nécessaires lors de la passation des DSP ?

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Bruno le Maire, ministre

C'est une question qui se pose principalement pour les plus petites collectivités. Je pense que les plus grandes ont les moyens d'évaluer les contrats, les services, qui leur sont proposés. Il me semble qu'il n'y a pas de difficulté particulière pour elles.

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Venons-en à la dimension fiscale et budgétaire de la politique de l'eau. Un avis du Conseil économique, social et environnemental, remis en septembre 2020, affirmait que depuis 2018 ce n'était plus principalement le budget de l'État mais celui des agences de l'eau qui finançait l'Agence française pour la biodiversité (AFB), les parcs nationaux et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Comment justifier qu'une partie des redevances des agences de l'eau soit employée pour des missions qui ne sont pas de leur ressort ?

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Bruno le Maire, ministre

Le règlement se fait par des taxes affectées. Malgré tout, c'est donc l'État qui reste derrière.

Par ailleurs, je veux battre en brèche l'idée selon laquelle l'État se désengagerait du financement de l'eau. Nous nous sommes engagés à mettre à niveau le réseau de distribution dans le cadre du plan anti-fuites qui a été annoncé par le Premier ministre en août 2018, lors des Assises de l'eau, et dont l'objectif est de diviser par deux la durée du cycle de renouvellement des réseaux. Ce plan prévoit une augmentation de 50 % des aides des agences de l'eau pour les territoires ruraux, ce qui représente un investissement de 2 milliards d'euros de ces agences pour le compte de l'État d'ici à 2024 afin de soutenir le renouvellement des canalisations. Il y a également France relance que je viens de mentionner et qui va financer, par le biais des agences de l'eau en métropole et des offices de l'eau en outre-mer, des investissements pour la modernisation des réseaux d'eau potable et d'assainissement. Toutes ces opérations doivent être engagées avant 2022, et les dernières demandes de paiement doivent être adressées avant fin 2023. Sur ce sujet, il y a aussi un engagement pérenne de l'État.

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Comment se justifie le plafond mordant qui s'applique aux redevances destinées aux agences de l'eau ? Pourquoi a-t-il été abaissé de 150 millions d'euros entre les 9e et 10e programmes pluriannuels d'intervention ?

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Bruno le Maire, ministre

C'est tout simplement parce que si le besoin de financement est plus que compensé, il est normal qu'il y ait un plafond mordant. C'est une bonne gestion des finances publiques : cela évite de constituer des cagnottes sur la base d'une taxe affectée. Ce mécanisme est classique et sain du point de vue de la bonne gestion des finances publiques.

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Certaines agences de l'eau ont déploré ce plafond mordant qui limite leur capacité d'action et d'investissement.

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Bruno le Maire, ministre

Il est assez habituel qu'on se plaigne auprès de moi de manquer de moyens financiers et qu'on demande toujours plus, mais il y a des limites à cela. Lorsque le produit d'une taxe affectée excède les besoins, il faut qu'il y ait un plafond. Sinon, on constitue, un peu partout sur le territoire français, des réserves financières qui ne sont pas indispensables.

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Comment les pollueurs qui mettent en péril la ressource en eau contribuent-ils à la préservation de cette ressource et à la restauration des milieux naturels ? Il semblerait que les principaux pollueurs ne soient pas les principaux contributeurs.

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Bruno le Maire, ministre

C'est une question évidemment essentielle pour nos compatriotes. Il existe un certain nombre de contributions, notamment dans le cadre des redevances pour pollution d'origine domestique, pour pollution industrielle ou pour pollution agricole diffuse ou liée à l'élevage, qui permettent d'internaliser la pression portant atteinte à la qualité de la ressource. Il est légitime que le principe pollueur-payeur s'applique à une ressource aussi vitale que l'eau. Les différentes redevances permettent de le faire.

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Vous avez dit, s'agissant de la fusion entre Veolia et Suez, que la parole de l'État était unique et qu'elle venait du ministre de l'économie et des finances. Pouvez-vous confirmer, s'agissant des positions de l'État dans cette affaire, qu'elle ne venait que du ministère de l'économie et des finances que vous représentez ?

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Bruno le Maire, ministre

Vous trouverez notamment des déclarations publiques du Premier ministre, en date du 3 septembre, sur le projet industriel – je les ai citées. Il y a ensuite les décisions qui sont prises. Ce qui compte, ce sont elles et leur caractère formel. La décision que l'État avait à prendre était de savoir si, dans le cadre du conseil d'administration d'Engie, il acceptait ou non la cession de la participation de cette société dans Suez. J'ai pris une décision en informant le Premier ministre et le Président de la République, mais en assumant totalement la décision en tant que ministre de l'économie et des finances. C'est ma décision et, je le redis, si j'avais à la reprendre, ce serait exactement la même.

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Y a-t-il eu au sein de l'exécutif des vents contraires à votre décision ?

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Bruno le Maire, ministre

Il y a toujours des débats sur des décisions aussi importantes, entre conseillers, entre cabinets – en l'occurrence, sur l'opportunité ou non de la cession et sur le respect des conditions que j'avais fixées. Ce sont des sujets sensibles, qui concernent des dizaines de milliers d'emplois, l'empreinte industrielle de très grandes entreprises françaises et la respectabilité de la place de Paris. Qu'il y ait eu des débats au niveau des cabinets sur la position à prendre finalement, c'est normal et cela fait partie du bon fonctionnement des institutions mais, ensuite, la décision appartient au ministre de l'économie et des finances et à lui seul. Cette décision, je l'ai prise seul, en responsabilité, et en avertissant de mon choix la Présidence de la République, comme le Premier ministre.

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À quel moment les débats se sont-ils arrêtés et la décision a-t-elle été acquise au niveau de l'État ?

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Bruno le Maire, ministre

Les débats se sont poursuivis tard, parce que l'enjeu était important, mais un consensus s'est dégagé autour de l'idée que les conditions que nous avions fixées n'étaient pas strictement remplies. Nous savions, par ailleurs, que nous nous exposions au risque que l'État soit mis en minorité. Dans le fond, la seule chose qui pouvait nous faire hésiter, c'était qu'il ne s'agissait pas d'une situation facile pour l'État actionnaire.

J'ai fait un choix. C'était ma décision, je le redis, et je pense que c'était la seule qui était bonne : j'ai préféré que l'État soit mis en minorité mais qu'il continue à défendre ses principes et les conditions qu'il avait fixées, plutôt que de rejoindre la majorité qui voulait céder les participations d'Engie dans Suez, au risque de voir bafouées quelques jours plus tard les conditions fixées.

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À l'issue de cette fusion, la concurrence sur le marché de l'eau sera-t-elle préservée ou menacée ?

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Bruno le Maire, ministre

Elle sera préservée et nous veillerons avec l'Autorité de la concurrence à ce qu'elle soit garantie.

Cette opération aurait pu être menée d'une manière totalement différente, moins tumultueuse et moins confuse. Je regrette les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée.

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Une telle fusion nécessite-t-elle la création d'une autorité de régulation de l'eau et de l'assainissement sur un plan national ou régional ?

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Bruno le Maire, ministre

La distribution de l'eau est déjà un service public. Je me méfie de la multiplication de ce type d'autorités, qui ne sont pas toutes nécessaires. Le plus important demeure le respect du principe de la concurrence, lequel garantit aux collectivités locales la liberté de choix et, aux consommateurs, les prix les plus bas.

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Quels sont les principaux risques et opportunités associés à la perspective d'une mise en concurrence dans le cadre du renouvellement des concessions hydroélectriques et d'une éventuelle gestion privée de ces dernières ?

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Bruno le Maire, ministre

En l'état, nous n'envisageons pas d'ouvrir à la concurrence la gestion des barrages hydroélectriques. Nous discutons en ce moment avec la Commission européenne.

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Vous avez commencé votre propos en évoquant la notion de souveraineté et en effet, en matière d'assainissement et de gestion de l'eau, on a tendance à considérer que tout se joue forcément à domicile. Or la situation est un peu différente en ce qui concerne la chaîne industrielle et, donc, la gestion des équipements ainsi que tout ce qui permet de parfaire l'état sanitaire et de garantir l'efficacité du service.

Quelle est la perspective stratégique de l'État en matière de gestion de l'eau et d'assainissement ? Compte-t-il peser sur l'organisation des filières et comment ? L'a-t-il déjà fait ?

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Bruno le Maire, ministre

Le rôle de l'État est de prévoir le cadre de développement le plus favorable possible pour les grandes filières stratégiques : nucléaire, énergies, agroalimentaire, aéronautique, automobile, infrastructures d'eau potable et d'assainissement.

L'État a les moyens de faire respecter le droit de la concurrence et nous utiliserons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'il en soit ainsi dans cette opération.

Le pouvoir de l'État actionnaire est quant à lui comparable à celui des autres actionnaires : quand il pèse 23 %, il pèse 23 %. S'il ne peut bloquer une décision en assemblée générale, c'est la répartition des actionnaires qui joue.

L'État a également le pouvoir – et nous en userons – de contrôler les investissements étrangers en France. Il est question de l'entrée du fonds américain GIP, favorablement connu, au capital du nouveau Suez. Cette décision sera soumise à mon appréciation au titre du décret sur les investissements étrangers en France. Nous regarderons de manière détaillée les conditions dans lesquelles cette acquisition sera possible et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour garantir l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement en eau. C'est sur le fondement de ces critères que je rendrai ma décision.

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Lors d'un déplacement à Vittel, où il existe depuis 1855 une autorisation de prélèvement dans une nappe phréatique, nous avons pu constater les problèmes qui se posent suite aux prélèvements effectués par des acteurs privés.

Vous avez dit que vous n'êtes pas favorable à une nationalisation de l'eau. La ressource, en tant que telle, est-elle concernée ? Dès lors que l'eau constitue de plus en plus un enjeu de conflits sur le plan international et que la question de la souveraineté se pose dans certaines régions françaises, pouvons-nous maintenir des doubles prélèvements, public et privé, très favorables aux acteurs privés puisqu'ils exploitent et commercialisent un bien qui appartient à tous mais sur lequel ils réalisent des bénéfices ?

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Bruno le Maire, ministre

À ma connaissance, les producteurs d'eau privés s'acquittent d'une taxe indirecte lorsqu'ils prélèvent sur une commune, ce qui est le cas à Vittel et me semble conforme à l'intérêt de la collectivité locale ainsi qu'à l'intérêt général. Il est toujours possible d'examiner le montant de cette redevance mais, en l'occurrence, je ne peux pas vous donner d'informations plus précises.

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Le problème repose sur l'exploitation de cette nappe captive, qui n'est donc pas renouvelée, et sur l'affrontement entre les intérêts d'établissements publics qui distribuent l'eau à la population et ceux d'un exploitant privé, dont les prélèvements font évidemment diminuer le niveau de cette nappe, laquelle pourrait être considérée comme un bien public et, donc, nationalisée. Il s'agit simplement d'une question de souveraineté hydraulique.

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Bruno le Maire, ministre

Plutôt que de vous donner une réponse approximative, je vous invite à poser la question à Mme Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, que vous vous apprêtez à entendre.

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À Vittel, le montant des redevances payées par Nestlé – 80 000 euros par an – est-il suffisant compte tenu de l'atteinte à la ressource ?

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Bruno le Maire, ministre

Je ne suis pas capable de vous répondre, ne disposant pas de tous les éléments du dossier. Je ne veux pas faire une réponse inexacte, surtout sous serment.

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N'hésitez pas à nous communiquer une réponse écrite.

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Bruno le Maire, ministre

Volontiers.

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Nestlé verse 4 millions à la ville de Vittel au titre de la surtaxe sur les eaux embouteillées mais aucune taxe n'étant acquittée sur les eaux exportées – jusqu'à 70 % parfois –, les effets pervers sont assez sensibles puisque les eaux partent vers l'étranger et qu'elles peuvent être renvoyées vers la France depuis l'Allemagne ou la Suisse. Êtes-vous au fait de cette situation ?

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Bruno le Maire, ministre

Je ne l'étais pas mais mes services vont instruire cette question et je vous communiquerai une réponse écrite.

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Selon la presse, M. Jean-Pierre Clamadieu serait intervenu auprès du fonds d'investissement Ardian pour le dissuader de déposer une offre, ce qu'a confirmé M. Philippe Varin, président du conseil d'administration de Suez, lors d'une audition au Sénat. M. Clamadieu aurait déclaré : « Si vous déposiez une offre, celle-ci serait considérée comme inamicale. »

La presse rapporte également que vous avez été informé de cette intervention de M. Clamadieu auprès du fonds Ardian. Avez-vous réagi ? En quoi le dépôt de cette offre concurrente pouvait-il être perçu comme inamicale ?

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Bruno le Maire, ministre

Je vous invite à interroger M. Clamadieu sur les contacts qu'il a pris. Je vous confirme que, pour ma part, j'ai été en contact avec le fonds Ardian pour lui signifier que nous n'avions aucune opposition à ce que de nouveaux concurrents déposent des offres. Je ne peux m'engager que sur ce que j'ai décidé, ce que j'ai fait ou sur les contacts que j'ai eus, pas sur ceux des autres.

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Comment expliquez-vous que Veolia ait refusé les contours de l'accord pour lequel vous avez mandaté M. Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor ? Avez-vous déjà connu une situation similaire, où les dirigeants d'une entreprise piétinent l'autorité de l'État de la sorte ?

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Bruno le Maire, ministre

Permettez-moi de vous dire que l'on ne piétine pas l'autorité de l'État. Je veille à ce qu'elle soit respectée lorsqu'il est le gardien de l'intérêt général. Ce sera vrai pour l'application du droit de la concurrence et des décrets sur l'investissement étranger en France. L'État peut être, en revanche, mis en minorité lorsqu'il est actionnaire minoritaire, ce qui soulève la question de sa place dans un certain nombre d'entreprises. Je considère qu'il ne l'a pas dans celles où il se retrouve juge et partie. J'ai essayé de clarifier la situation au début du quinquennat, par exemple avec La Française des Jeux, et il est possible de faire de même pour d'autres entreprises.

Conformément à ma position constante, nous avons essayé de rapprocher les parties afin que cette offre inamicale devienne amicale et d'apaiser les tensions, lesquelles avaient atteint un point de non-retour. M. Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor, que je remercie pour son engagement, est entré en contact à ma demande avec l'ensemble des protagonistes afin de les aider à trouver une solution amiable. Ses travaux ont permis de définir les contours du périmètre du nouveau Suez. Finalement, les deux parties n'ont pas souhaité poursuivre ces discussions et la mission du directeur général du Trésor s'est arrêtée en mars dernier.

J'ai indiqué à plusieurs reprises à la représentation nationale – Assemblée nationale et Sénat – que je ne ménagerai aucun effort pour parvenir à une solution amicale, ce qui fut le cas avec la solution proposée par le directeur général du Trésor. Je rappelle que le périmètre défini dans le cadre de la médiation de M. Moulin était plus important que celui qui a été finalement retenu. Je rappelle également que cette médiation a évidemment été réalisée à titre gracieux et qu'elle n'a coûté aucun euro au contribuable et aux deux entreprises concernées, ce qui n'est pas me, semble-t-il, le cas des autres médiations.

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Comment jugez-vous le rôle de l'Autorité des marchés financiers dans ce dossier ?

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Bruno le Maire, ministre

Cette autorité indépendante a pleinement joué son rôle et il ne relève pas de ma responsabilité d'interférer avec ses décisions. Elle est seule juge des décisions qu'elle prend.

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Vous ne souhaitez pas une gestion privée des concessions des barrages hydroélectriques mais quelles sont vos intentions en cas d'échec du projet Hercule ?

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Bruno le Maire, ministre

Il n'y a plus de projet Hercule, lequel a changé de contours et de nom pour devenir Grand Électricité de France (EDF).

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Bruno le Maire, ministre

Nous poursuivons les négociations avec la Commission européenne à ce propos et j'aurai l'occasion de recevoir lundi prochain l'ensemble des organisations syndicales pour les tenir informées de ces discussions.

La ligne rouge absolue du Gouvernement français est l'unité du groupe EDF. Nous n'y sommes pas encore mais cela demeure une ligne rouge dans notre négociation avec la Commission européenne. Je suis attaché à l'unité du groupe EDF, de ce grand service public de l'énergie, et nous ne pouvons pas nous engager dans une voie conduisant à moyen ou long termes à son démantèlement.

Nous souhaitons que les barrages hydroélectriques soient rassemblés dans une quasi-régie détenue à 100 % par l'autorité publique. Telle nous paraît être la meilleure solution en termes de souveraineté et de respect des attentes de la Commission européenne. Soit nous y parvenons dans le cadre d'une réforme plus globale d'EDF, soit il conviendra de trouver une solution plus spécifique.

Nous ne souhaitons pas ouvrir les barrages hydroélectriques à la concurrence. Nous travaillons donc sur l'élaboration d'une quasi-régie, dans laquelle les barrages seront détenus à 100 % par EDF, EDF-SA étant elle-même détenue à 100 % par la puissance publique.

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Selon un article paru dans L'Humanité du mercredi 2 décembre 2020, l'intersyndicale – Confédération générale du travail (CGT), Confédération générale des cadres (CGC), Force ouvrière (FO), CFDT – indique : « Tous les pays européens ont réussi à trouver les solutions leur permettant de verrouiller leurs marchés hydroélectriques nationaux. » De quelles solutions s'agit-il et comment les jugez-vous ?

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Bruno le Maire, ministre

De vraies différences existent entre les États européens. Je suis quant à moi attaché à la singularité du modèle français : un grand acteur énergétique, EDF, avec un mix énergétique dans lequel le nucléaire occupe une place prépondérante. Même si nous avons procédé à un rééquilibrage, je répète mon attachement à la place du nucléaire en France et au rôle de cette filière qui constitue à mes yeux le seul moyen concret et réaliste d'approvisionner notre pays en électricité – alors que les besoins augmenteront fortement dans les années à venir – à un coût compétitif tout en réduisant les émissions de CO2.

La filière hydroélectrique, qui représente 10 % à 11 % de la production d'électricité, doit s'inscrire dans le cadre de ce Grand EDF dont j'ai déjà défini les contours.

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En cas de mise en concurrence du renouvellement des concessions, comment feriez-vous face aux conflits d'usage de l'eau qui, nous le savons, se multiplieront : usages agricoles – cet été, 80 départements seraient en sécheresse –, industriels, besoins des populations et des écosystèmes, mais aussi refroidissement des réacteurs nucléaires – plusieurs sont à l'arrêt, l'été, depuis des années.

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Bruno le Maire, ministre

Nous ne souhaitons pas mettre en concurrence les barrages dans le cadre du renouvellement des concessions. D'une certaine façon, la question ne se posera donc pas tant que nous gérerons ce dossier.

De plus, il convient de faire la différence entre l'actionnariat et la régulation. La régulation de l'usage de l'eau est en effet fondamentale – nous en discutons avec la Commission européenne – pour garantir le refroidissement des centrales nucléaires et l'accès des exploitations agricoles.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de répondre à notre invitation. Nous lirons avec plaisir des compléments de réponse écrits.

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Bruno le Maire, ministre

Je vous les adresserai et je vous remercie pour la qualité de cet échange.

L'audition s'achève à quinze heures.