Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Réunion du mardi 23 novembre 2021 à 18h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • BAC
  • CLE
  • appartement
  • diarra
  • halimi
  • immeuble
  • kobili traoré
  • sarah halimi
  • traoré
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    MoDem    UDI & indépendants    Les Républicains  

La réunion

Source

Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Mardi 23 novembre 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures vingt-cinq

(Présidence de M. Meyer Habib, président)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Michel Cadot, vous étiez le préfet de police au moment des faits qui intéressent cette commission d'enquête. C'est à ce titre que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Michel Cadot prête serment.)

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

J'étais préfet de la police à Paris de juillet 2015 à avril 2017. J'ai quitté ce poste treize jours après le meurtre de Mme Sarah Halimi, suite à un accident qui m'a contraint à une hospitalisation de plusieurs mois. J'ai ensuite été nommé préfet de Paris et de l'Île-de-France. Actuellement, je suis délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (DIJOP).

Quatre ans et demi après les événements, je garde en mémoire l'horreur et la colère que la mort indigne et brutale de Mme Sarah Halimi a provoquées en moi. J'ai une pensée pour sa famille dans ces circonstances.

S'agissant de cette affaire et des éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice, je me permets d'indiquer qu'en ma qualité de préfet de police, j'avais la conviction que cette attaque posait d'abord la question de la prise en compte du traitement des personnes en situation de troubles psychiatriques graves, tant sur la voie publique que dans des espaces privés. Il s'agit de questions de prévention, de politiques psychiatriques et possiblement de mesures législatives concernant l'éventuelle pénalisation en cas de conséquence criminelle lors d'un état volontaire de non-conscience ou de démence. C'est le sujet du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure qui est pour une part lié à la commission parlementaire que vous avez constituée. Ces sujets concernent les policiers car, dans la vie courante, dans une agglomération comme celle de Paris, de nombreuses interventions sont impactées par des personnes sous traitement ou en situation de détresse psychologique. Ces phénomènes récurrents justifient que des prises en charge psychiatriques soient proposées comme solution durable à ces situations individuelles.

Concernant ma responsabilité directe, c'est-à-dire l'intervention des services de police la nuit du meurtre de Mme Sarah Halimi, j'en ai été informé au matin, à mon arrivée au bureau à 7 heures 30. Le déroulement des faits qui s'étaient produits durant la nuit m'a alors été présenté, avec un compte-rendu de tous les événements survenus dans l'agglomération parisienne ainsi qu'une fiche de signalement concernant cette affaire.

Cette opération, dont j'ai retrouvé les détails, s'est déroulée dans l'exact respect des règles et procédures en vigueur. À 4 heures 22, un appel a été adressé à police secours par la famille Diarra, qui était séquestrée par M. Kobili Traoré avec un enfant, au 26 rue de Vaucouleurs dans le 11e arrondissement de Paris. Il s'agit d'un ensemble de logements sociaux constitué de trois immeubles, des fenêtres donnent sur la rue et des balcons sur l'arrière des bâtiments. La police est arrivée rapidement, en trois ou quatre minutes. Il s'agissait de la brigade anticriminalité (BAC) de nuit du 11e arrondissement. Elle était constituée de trois policiers en civil qui patrouillent de nuit dans la sectorisation qui leur est allouée. Elle a rapidement été renforcée par un second équipage à 4 heures 30. Les délais d'intervention de la police ont donc été rapides.

Les règles prévues par les procédures en cas de prise d'otage ou de séquestration ont été mises en œuvre. Il s'agit d'opérer un repérage rapide des lieux, de sécuriser, de demander des renforts au besoin, de rendre compte et d'apprécier l'urgence d'une intervention. Les policiers conduits par le brigadier-chef se sont rendus au troisième étage sur le palier de l'appartement de la famille Diarra. Ils ont entendu les vociférations de M. Kobili Traoré. La famille Diarra était enfermée et barricadée dans une chambre avec l'enfant. Il a été considéré que la situation était momentanément figée. Aux yeux des policiers, il n'y avait pas de menace imminente ou avérée qui aurait justifié une intervention immédiate. Ils avaient demandé des moyens pour procéder à une intervention (un vérin) et des renforts. Ils ont effectué le tour des lieux et, à 4 heures 35, le brigadier-chef de la BAC s'est rendu dans la cour. Il n'a rien constaté sur les balcons. C'était sans doute quelques minutes avant que Mme Sarah Halimi ait été projetée du balcon par son agresseur. Je considère que cette intervention, qui a abouti à une situation dramatique et tragique, s'est effectuée conformément aux règles requises des primo-arrivants.

Parallèlement, à partir de 4 heures 39, un premier appel a été adressé à police secours par une voisine située à l'arrière du bâtiment, qui signalait qu'une femme se faisait frapper sur le balcon. Puis, à 4 heures 40, un appel a été adressé aux pompiers signalant la chute d'une femme depuis un balcon. La chute est intervenue quelques minutes après le premier appel signalant un autre fait à une autre adresse. Les policiers primo-arrivants sur les lieux n'ont pas eu connaissance de la fuite de M. Kobili Traoré par le balcon, de son attaque rapide à l'encontre de Mme Sarah Halimi dans son sommeil et de son meurtre.

Cette note est directement adressée aux autorités administratives. Elle était connue du parquet puisqu'il s'agissait d'une affaire judiciaire traitée par la deuxième direction de la police judiciaire (DPJ) de la préfecture de police. J'ai eu quelques contacts dans la journée avec le directeur du cabinet du ministre, comme l'imposent les règles en matière de sécurité d'une ville aussi importante que Paris et son agglomération.

La deuxième alerte portant sur l'agression de Mme Sarah Halimi est intervenue une ou deux minutes avant sa défenestration. Entre le premier appel et la défenestration, il s'est écoulé moins de vingt minutes. La famille Diarra avait pu jeter un trousseau de clés contenant un passe magnétique par la fenêtre pour permettre aux policiers d'accéder à l'immeuble. Ce trousseau a été récupéré par les forces de police. La progression criminelle très rapide de M. Kobili Traoré n'était pas connue des intervenants. Les policiers n'avaient pas conscience de l'existence d'une menace autre que celle de la séquestration pour laquelle ils avaient été appelés.

Cette période a été profondément marquée par de nombreux actes terroristes. Quinze jours plus tard, des policiers ont été attaqués sur l'avenue des Champs-Élysées. Un des policiers a été directement atteint. Les services de police et les BAC de nuit, qui interviennent régulièrement dans des circonstances difficiles, réussissent souvent à apaiser les conflits et les violences. Je rends hommage à leur action. En écoutant l'audition du brigadier-chef, réalisée par votre commission, j'ai pu constater qu'il s'agissait d'un professionnel de grande qualité qui avait été très marqué par ce drame qu'il n'a pas pu empêcher.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque la BAC du 11e arrondissement arrive à 4 heures 24, au 26 rue de Vaucouleurs, M. Tiéman Diarra lance un trousseau de clés qui comporte deux clés, dont celle de son domicile et un passe magnétique qui permet l'accès à l'immeuble. Très rapidement, les policiers sont sur le palier où ils entendent des cris en arabe. Lorsque le brigadier en charge du dispositif rédige son compte rendu, nous savons, car cela a été précisé par la famille Diarra, que la personne qui les séquestrait était seule et non armée. Les policiers ont l'autorisation de casser la porte : « s'il s'agit d'appels au secours et qu'il s'agit d'une tentative de séquestration, en cas de nécessité tentez de casser la porte ». Ils disposent des clés, mais ne s'en servent pas. Le brigadier nous a expliqué qu'il n'avait pas eu le réflexe d'utiliser les clés, car il n'avait pas ressenti d'urgence.

Vous avez indiqué, M. le préfet, que le temps écoulé était assez court. Toutefois, une victime a été massacrée pendant vingt minutes. Les témoins ont eu l'impression que cette attaque avait duré une heure, alors que neuf policiers se trouvaient sur les lieux. Comment expliquez-vous qu'à ce stade, ils n'entrent pas dans l'appartement ?

Depuis les attentats du Bataclan, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, après une demande que j'avais formulée, a changé la doctrine d'intervention de la police. Désormais, elle impose aux policiers, lorsque c'est possible, d'aller au contact. Entre le début et la fin de l'intervention, il s'est écoulé une heure avant l'interpellation de M. Kobili Traoré.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Dans ce type de situation, on ne refait pas la mission à la place des policiers. Ils sont dans l'action. Ils peuvent éventuellement avoir ou non l'excellent comportement qui convient. Vous considérez qu'il existe une solution idéale et automatique. Toutefois, ce n'est pas aussi simple.

Lorsque les policiers arrivent dans l'immeuble, ils ne le connaissent pas et ils ne disposent pas des plans de l'appartement. Ils ne savent pas si M. Kobili Traoré est violent ou armé. Vous m'informez que cela leur a été précisé. Or cela n'a jamais été mentionné dans les documents dont je dispose. Je considère que cette BAC a appliqué les consignes.

Vous faites référence à la circulaire du 19 avril 2016 concernant les tueries de masse et non les prises d'otages. L'enjeu, lors d'une prise d'otage, consiste dans un premier temps à négocier avec le preneur d'otage. L'état de démence de M. Kobili Traoré ne le permettait pas. La situation était figée, la famille n'était pas menacée, elle était barricadée. Les policiers ont demandé des moyens pour briser la porte, car ils n'ont pas réalisé qu'ils détenaient les clés. Nous ne pouvons pas, a posteriori, dire au brigadier-chef ce qu'il aurait pu faire. En outre, il ne savait pas que Mme Sarah Halimi était menacée. Cette agression a duré quelques minutes : il a entendu dans l'immeuble le bruit dans l'appartement des Diarra et c'est quelques minutes après que M. Traoré est passé de l'autre côté pour aller chercher dans son sommeil la malheureuse Mme Halimi, la violenter, la porter sur le balcon et la jeter.

Aucune faute n'a été commise par les policiers. La circulaire à laquelle vous faites référence et à la rédaction de laquelle j'ai participé prévoit, si possible, l'attaque de la police lors d'une tuerie de masse. Si la situation est en action, il est préférable d'intervenir même si cela constitue un risque pour les personnes concernées. Il ne s'agit pas d'une intervention complète, ni de se substituer aux services spécialisés qui mettent à l'abri les otages. Le soir des attentats du Bataclan, le commissaire a pris ce risque. Il a été admirable. Il a agi en fonction de son approche de la situation sur le terrain. Dans le cas de la famille Diarra, les policiers ont appliqué les circulaires en vigueur pour une situation où il n'existe pas de menace immédiate, c'est-à-dire la maîtrise de l'environnement, la prise de renseignements et l'appel de renforts. La famille Diarra n'avait pas connaissance de l'attaque en cours sur Mme Sarah Halimi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un témoin qui réside en face de l'appartement de Mme Sarah Halimi a assisté au massacre de cette dernière. Nous l'avons auditionné. Les deux appartements sont séparés par un terre-plein permettant de passer d'un appartement à l'autre. Ce témoin a appelé à trois reprises la police pour les avertir et leur proposer d'utiliser son appartement. Lors d'un de ses appels, le policier qui répond indique à ce témoin que, s'il s'agit du différend familial rue de Vaucouleurs dans le 11e arrondissement de Paris, les forces de police sont déjà au courant. Ce témoin explique appeler pour un autre événement.

Les témoins ont eu l'impression que l'agression de Mme Sarah Halimi a duré une heure et non vingt minutes. Nous essayons de trouver des réponses. À aucun moment, les forces de l'ordre n'ont utilisé ce témoignage ni cet appartement. Comment l'expliquez-vous ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je ne peux l'expliquer qu'avec les données dont je dispose et qui correspondent aux notes des services de la préfecture de police. Selon ces dernières, l'appel auquel vous faites référence a été passé à 4 heures 39. Cette conversation a duré quatre minutes. Un second appel à 4 heures 40 signale la chute d'une femme de son balcon. Cet appel n'est pas reçu par les policiers sur place. Sinon, ils auraient immédiatement réagi. Cet appel a été adressé au centre de commandement, la plateforme d'appel qui reçoit les appels de nuit de toute l'agglomération parisienne. Les personnes qui ont reçu ces appels ont essayé de vérifier s'il s'agissait du même lieu. Un autre numéro d'immeuble a été donné lors du premier appel.

Cette affaire est dramatique, cette mort est insoutenable. Je partage votre volonté de faire en sorte que ce type de situation se reproduise le moins possible. Pour autant, la faute n'en revient pas aux policiers qui sont intervenus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous éprouvons un grand respect à l'encontre des forces de police. L'erreur est humaine. Nous cherchons les éventuels dysfonctionnements dans la gestion de cette affaire. Le citoyen peut légitimement s'interroger sur la présence de neuf policiers sur place et leur inaction alors qu'une femme est massacrée. Les témoins ont indiqué entendre les hurlements de Mme Sarah Halimi depuis leur appartement malgré la présence de double vitrage.

Vous nous expliquez que cette intervention s'est déroulée normalement. La police était sur place très rapidement. Pourtant, Mme Sarah Halimi a subi des actes de barbarie pendant vingt minutes avant d'être défenestrée. Je peux imaginer qu'un citoyen se questionne sur la survenue de ces événements.

Le policier avait les clés et a demandé un pied de biche. Pourtant, il n'ouvrira pas la porte. M. Kobili Traoré n'était pas armé.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Comment savez-vous que Mme Sarah Halimi a été torturée pendant vingt minutes ? L'appel signalant son agression date de 4 heures 39, soit dix-sept minutes après l'appel portant sur la séquestration de la famille Diarra pour lequel les policiers sont intervenus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La famille Diarra a appelé la police à 4 heures 20.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

La BAC est arrivée aux alentours de 4 heures 25. Ces appels sont enregistrés. La police judiciaire a vérifié. Les heures sont précises, il ne s'agit pas de celles conservées dans un souvenir. Indéniablement, il s'agit d'un acte barbare qui me révolte. Cependant, le comportement des policiers primo-arrivants a été conforme à la doctrine.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous pensé qu'il s'agissait d'un acte terroriste ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je pense qu'ils étaient dans un contexte de menace terroriste permanente. Il existait beaucoup de craintes. J'ai été amené à quitter mon poste en 48 heures, sans prendre aucun document avec moi, en raison de ce contexte de menaces terroristes fondées. Je n'ai plus suivi la procédure après le 17 avril. J'avais pris contact avec les représentants officiels de la communauté juive pour leur exprimer ma compassion et ma proximité. Puis, vous m'avez régulièrement évoqué ce dossier dont je ne mésestime pas le caractère dramatique et sans doute antisémite de la part de l'agresseur. Les policiers ont-ils pensé être confrontés à un terroriste ? Ils ont pu avoir cette crainte. Du moins ont-ils pu penser que M. Kobili Traoré était armé et qu'il pouvait tirer au travers de la porte.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La famille Diarra a indiqué aux policiers que M. Kobili Traoré n'était pas armé. Ils leur ont fourni les clés de leur appartement.

Nous pouvons imaginer que, si l'intervention avait été plus rapide et que les policiers avaient ouvert la porte de l'appartement de la famille Diarra, la mort de Mme Sarah Halimi aurait pu être évitée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre audition va nous permettre d'éclairer les travaux de notre commission d'enquête sur la gestion de ces événements par les forces de police pendant et après les faits. La question des enseignements à tirer de ces interventions et investigations internes est importante pour savoir si la police a considéré qu'il y a eu ou non des dysfonctionnements. Votre présence en tant que haut fonctionnaire expérimenté est aussi l'occasion de faire un point sur la relation entre la police et la justice dans le cadre de l'enquête.

Quelles décisions avez-vous eu à prendre pendant les faits et dans les jours qui ont suivi ? Pouvez-vous nous fournir un éclairage sur l'absence de lien entre les deux interventions (la séquestration de la famille Diarra et l'agression de Mme Sarah Halimi) ? Pourquoi aucun policier n'était-il posté dans la cour ? Y a-t-il eu des investigations ultérieures de la police ? Quel est votre avis sur la procédure permettant d'émettre un doute sur la capacité d'une personne interpelée à être placée en garde à vue ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je n'ai pas pris de décision dans la nuit puisque je n'ai eu connaissance des faits que le lendemain matin. Le préfet de police est réveillé uniquement lors de situations plus lourdes en termes de conséquences. Il existe derrière lui une chaîne hiérarchique : son directeur de cabinet et les services en charge. S'il y avait eu, pour la police, un dysfonctionnement de l'action des forces de l'ordre, il aurait été signalé et l'information serait remontée à des échelons plus élevés. Je n'ai pas été amené à intervenir pendant la nuit. C'est à mon arrivée au bureau que j'ai pris connaissance des fiches de la nuit qui sont diffusées quotidiennement et automatiquement de façon à ce que la direction générale de la police, son ministre de tutelle et son cabinet soient informés des événements.

Une enquête judiciaire était conduite par mes services et plus exactement par la deuxième DPJ. Un juge d'instruction allait être rapidement désigné sous l'autorité du parquet de la République. La décision de l'internement à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (I3P) est du ressort de la préfecture de police. Elle est prise par le commissaire qui doit faire valider par le préfet, sur présentation d'un certificat médical, toute prolongation au-delà de 24 heures de cet internement. La procédure a été parfaitement respectée et appliquée.

J'ai pris des attaches avec les représentants de la communauté juive dès que le caractère antisémite du crime a été soupçonné.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous été sollicité dans le cadre de l'enquête ? Avez-vous été surpris de l'absence de reconstitution ? Si elle avait eu lieu, vos équipes auraient-elles été amenées participer ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je n'ai pas été saisi sur ce sujet.

En cas de reconstitution, sous l'autorité judiciaire, les fonctionnaires de police ayant conduit l'opération auraient été concernés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si nous nous remettons dans le contexte de l'époque, les faits ont eu lieu le 4 avril 2017. L'attentat sur l'avenue des Champs-Élysées a lieu le 20 avril 2017 et nous étions dans un contexte d'élection présidentielle.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

J'ai été hospitalisé le 16 avril 2017 à la suite d'une chute grave qui m'a immobilisé à l'hôpital pendant deux mois.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il n'y a pas de rupture de service public à votre niveau de responsabilité.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

J'ai considéré qu'il était nécessaire que, dès le mercredi suivant, le préfet de police soit remplacé, car à tout moment, il existait un risque terroriste sérieux. Les préfets sont logés et mon déménagement s'est opéré dans les 48 heures, de manière urgente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le contexte de l'époque, vous quittez votre poste avant qu'un attentat terroriste ait lieu. La commission d'enquête a le sentiment qu'il n'a pas alors été véritablement question de cette affaire. Quel était le « bruit de fond » de cette affaire avant votre départ ? S'agissait-il d'un dossier d'importance dans vos rapports avec le directeur de cabinet de votre ministre de tutelle ? Dans le contexte présidentiel, avez-vous subi une pression pour que cette affaire ne soit pas trop utilisée, voire qu'elle soit amoindrie ? Nous avons tous le souvenir de l'influence de faits de dernière minute sur les résultats d'une élection présidentielle, notamment en 2002.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Lorsque j'étais toujours en poste, je n'ai reçu ni orientation ni message lié aux échéances électorales à venir. J'ai reçu les éléments fournis par mes services. Ils confirmaient un tragique concours de circonstances. Ces informations confirmaient une temporalité de vingt minutes entre l'arrivée de policiers et une autre affaire : la chute mortelle de Mme Sarah Halimi. Les policiers ont sécurisé une situation figée. J'ai noté dans le relevé que le brigadier-chef s'était rendu dans la cour à 4 heures 35.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question concerne la place de cette affaire dans le cadre de vos relations avec le ministre notamment.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

J'entretenais une relation confiante et proche avec les représentants de la communauté juive.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous reçu les membres de la communauté juive ? Ou s'agissait-il d'un entretien téléphonique ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je n'en garde pas un souvenir précis. Nous nous voyons régulièrement. Une sectorisation de Paris permettait un quadrillage régulier de certains quartiers par les forces de police et les militaires du plan Vigipirate. Il ne se passait pas deux mois sans que nous nous entretenions en réunion. Je recevais régulièrement des appels des représentants de la communauté juive. Je leur ai fait part de ma vigilance et de ma proximité. Le sujet ne m'est pas apparu non plus, s'agissant de mes interlocuteurs, comme un sujet de préoccupation majeure à ce moment-là, avant l'enquête judiciaire. Je n'ai jamais eu le détail de l'enquête judiciaire, car je n'étais plus en poste. Cet éclairage m'a conduit à être sensibilisé sur le dossier. Il se passe beaucoup d'événements la nuit s'agissant d'une plaque de sept millions d'habitants. Des attaques et des situations sont plus ou moins tragiques. Celle-ci l'est tout particulièrement, d'autant que des policiers étaient sur place et qu'ils n'ont pas pu intervenir. M. Kobili Traoré aurait également pu être armé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cela figure dans le dossier. La famille Diarra dialogue avec les policiers par la fenêtre de leur appartement donnant sur la rue. Ils avertissent les policiers que M. Kobili Traoré est seul et non armé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis élu de Paris et j'ai eu l'honneur de travailler avec vous lorsque vous étiez préfet de police. Cette commission enquête sur d'éventuels dysfonctionnements. À ce stade, je suis admiratif du travail des policiers, qui est difficile. Cependant, trois points m'interpellent. Le premier point concerne le trousseau de clés. Le brigadier-chef, que nous avons auditionné, avait en main lors des faits un trousseau de clés. Il disposait d'un passe-magnétique qu'il a utilisé pour ouvrir la porte de l'immeuble, mais il n'a pas réalisé qu'il possédait également une clé lui permettant d'entrer dans l'appartement de la famille Diarra. Il semble que son obsession ait été de redescendre pour échanger avec sa hiérarchie. Sur ce point précis, sans incriminer qui que ce soit, n'y a-t-il pas un souci de prise de décision au regard de la présence des clés ? Pourquoi ces trois policiers ne sont-ils pas entrés dans l'appartement ?

Nous nous sommes rendus sur les lieux. Il y avait donc une prise d'otage et beaucoup de policiers présents. Il existe trois points d'entrées possibles : les fenêtres donnant sur la rue, la porte d'entrée et la cour des bâtiments. On est conduit à penser qu'il n'y a pas de policier dans la cour. Tout le monde entend les cris de Mme Sarah Halimi, mais aucun policier n'en parle. Ils n'étaient donc pas présents à cet endroit. N'y a-t-il pas eu un problème de compréhension de la topologie des lieux ?

Vous étiez préfet de police et vous disposez d'un certain recul par rapport à votre fonction. N'y a-t-il pas eu de dysfonctionnement au centre d'appel ? Des policiers sont présents dans une rue, une femme appelle pour signaler un acte violent dans la rue d'en face, mais les services au centre d'appel ne feront jamais le lien. La police disposait de toutes les informations. Cependant, les policiers n'ont pas reconstitué l'histoire à temps. Sur ces points, des améliorations sont-elles possibles ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Les appels au centre de commandement correspondent aux numéros d'urgence 17 ou 18. Il s'agit d'un point central du dispositif où les appels sont régulés et où les demandes peuvent faire que les forces spéciales soient conduites à intervenir. C'est un lieu stratégique et crucial. Deux équipes ont été contactées au 17, les forces de police, et au 18, les sapeurs-pompiers de police, qui relèvent également de l'autorité opérationnelle du préfet de police. Il s'agissait de deux équipes avec des officiers communs au centre d'appel, mais ces équipes n'étaient pas fondues. Avec le général qui commandait la brigade et le directeur de la sécurité publique qui coordonne les BAC pour les brigades de nuit, nous avons modifié le système et avons instauré des binômes. Tous les appels étaient pris par deux personnes : un policier et un pompier afin de mutualiser le maximum d'informations. Sur le centre d'appel, il y a eu des améliorations qui étaient déjà de mise en avril 2017. Elles ont été renforcées avec un agrandissement des salles et l'extension à tous les arrondissements et aux trois départements de la petite couronne. Ce n'était pas le cas lors de mon départ. Je n'avais pas pu conduire la réforme à son terme.

J'ai passé des nuits dans les centres de commandement afin de permettre l'évolution du dispositif. Les appels sont souvent très confus pour des situations graves comme des accidents d'avion, de train, des attaques diverses ou encore des prises d'otages qui se terminent par des échanges de tirs. Il est nécessaire de clarifier les informations. Les personnes qui reçoivent les appels sont formées en ce sens. Elles disposent de fiches et leur comportement leur est enseigné. Régulièrement, les propos des appelants sont désorganisés. Le rôle de ces opérateurs est de faire le tri et de réconcilier les informations lorsqu'il s'agit d'adresses proches. Au regard du compte rendu et du timing qui m'ont été remis, je constate que le temps écoulé entre l'appel de la voisine signalant l'agression sur le balcon et la chute de Mme Sarah Halimi était de deux à trois minutes. La période précédente était consacrée à la sécurisation de l'immeuble pour une intervention concernant une famille, séquestrée par quelqu'un de menaçant, bien que la famille ait signalé qu'il n'était pas armé. Néanmoins, l'absence d'arme ne pouvait être une certitude.

Concernant l'absence d'utilisation des clés, cela demeurera un mystère. Dans l'action, des fautes peuvent être commises. Le brigadier-chef n'a pas réalisé qu'il avait les clés puisqu'il a demandé des éléments complémentaires pour entrer dans l'appartement.

Quant aux points d'entrée, le brigadier-chef s'est rendu dans la cour à 4 heures 35. Il n'a rien constaté. Peut-être aurait-il été préférable de placer quelqu'un dans la cour. Là encore, cela relève du pouvoir d'appréciation du brigadier-chef.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout le quartier a entendu les cris de Mme Sarah Halimi. Cependant, les policiers en action n'ont rien entendu. Un policier indique qu'il s'agissait de cris de femme. Il est légitime de se poser ces questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il nous est apparu que si vous étiez dans la rue de Vaucouleurs ou devant la porte de l'immeuble, vous n'entendiez pas les cris. Les cris étaient audibles dans la cour.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le brigadier-chef a envoyé des hommes dans la cour.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

À 4 heures 35, le brigadier-chef rejoint rapidement la cour, il regarde et repart pour rendre compte. Il n'y avait, à ce moment-là, ni cri, ni quelqu'un sur le balcon. Six minutes après, un témoin signale la chute d'une femme. C'est à ce moment que les policiers auraient pu réagir s'ils avaient entendu.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette présence des policiers interroge. Pour pouvoir apporter des réponses claires, des éléments précis sont nécessaires. Ces derniers ressortent de la procédure et des auditions précédentes. Plusieurs policiers ont été entendus et notamment celui qui a reçu le Vigik. Il a indiqué ne pas se souvenir de la présence de clés. Lorsque nous regardons la procédure, nous pouvons nous interroger, puisque les policiers de la BAC sont entrés de force dans l'appartement de la famille Diarra pour y procéder à l'interpellation de M. Kobili Traoré. Si ces clés avaient été entre les mains des policiers, ils n'auraient pas utilisé la force pour pénétrer chez la famille Diarra. Dans une autre cote de la procédure, il est bien indiqué que les effectifs de la police intervenant ont dû forcer la porte. D'ailleurs, nous avons pu constater que la porte était cassée. Compte tenu des éléments que nous vous fournissons aujourd'hui, il me semble important de revenir sur cet élément.

Concernant les appels téléphoniques, à 4 heures 41, un témoin indique qu'une personne est tombée. D'autres appels postérieurs font référence à une personne brutalisée qui crie. Dès lors que dans l'immeuble voisin, une femme était agressée, pourquoi les forces de l'ordre ne sont-elles pas intervenues ? Compte tenu des circonstances, il semble important de préciser à cette commission si l'entrée dans les lieux aurait pu être différemment appréhendée. Sur les conditions d'intervention en cas de séquestration, il nous a été donné l'exemple de policiers qui étaient entrés dans un appartement avec des clés. L'auteur de la séquestration aurait alors jeté sa victime par le balcon. Lors de ce type d'intervention, il convient de vérifier la présence de conditions d'urgence.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et de cette procédure, pensez-vous que des données pourraient être utilisées par notre commission pour que notre rapporteur dépose des propositions de modifications ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je vous remercie de rappeler ces éléments de procédure dont je n'ai pas connaissance. Dans une certaine mesure, ces données confirment la bonne fois des policiers dans cette affaire. Les instructions actuellement utilisées pour ce type de situation se réfèrent à des circulaires de 1997. Quand la situation est figée, quand il n'existe pas de menace immédiate sur les personnes séquestrées, alors rien ne justifie une intervention à chaud. Les principes de proportionnalité et de nécessité doivent s'appliquer. Si les policiers avaient su que Mme Sarah Halimi était menacée, il y aurait eu nécessité, ce qui aurait justifié une intervention de leur part.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez indiqué qu'à 4 heures 35, un policier était dans la cour. À 4 heures 37, un témoin a appelé les services de police et leur a précisé avoir été réveillé par des hurlements.

Une des primo-intervenantes nous indique : « Nous avons rejoint nos collègues au troisième étage. Sur le palier, les collègues déjà présents sécurisaient la porte. À mon arrivée, j'ai perçu du bruit comme des cris de remue-ménage. Je ne peux identifier le moment, mais cela provenait d'assez loin. Une chose est sûre, c'est que ces cris ne provenaient pas de derrière la porte. Je l'ai dit à mes collègues et suis redescendue pour voir d'où venaient ces bruits. » Je vous lis le procès-verbal et vous donne des éléments.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Je ne sais pas comment répondre à la demande de Mme la députée sur les améliorations à apporter à la doctrine actuelle concernant la prise d'otage. Cette question relève des autorités désormais en charge. On ne peut entrer dans un niveau de précision excessif, car chaque situation de fait est différente. Nous ne pouvons nous en tenir qu'à des principes généraux. Ceux-ci sont clairs : il faut prendre connaissance des lieux ; disposer des moyens suffisants pour intervenir ; s'assurer de la capacité de mobiliser des moyens spécialisés si nécessaire ; essayer de mettre un terme à l'acte de violence ou au différend. La plupart des situations se règlent ainsi. En l'absence d'urgence, de danger actuel ou immédiat, ou de menace sur la vie de tiers impliqués, rien ne justifie une intervention, si les conditions de sa préparation n'ont pas été faites correctement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aucun d'entre nous n'était présent. Par conséquent, il demeure difficile de se replacer dans l'état d'esprit et les moyens d'action de ceux qui étaient sur place. Dans la nuit du 4 avril 2017, il existe deux affaires, une séquestration et un fait encore flou concernant une femme battue en un lieu qui n'est pas clairement localisé. Le lendemain, on sait qu'il s'agit d'une même affaire. À partir de là, quels sont vos échanges avec vos équipes ? Pendant la période où vous demeurez préfet de police et, ensuite dans vos autres fonctions, lorsque l'affaire Sarah Halimi vous est évoquée, quels sont les éléments mis en place pour retracer le déroulé de cette soirée et la conjonction entre les deux affaires ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Dans ce type de situation, le préfet de police se fonde sur les comptes rendus qui lui sont adressés. Les deux affaires ont été prises en compte avec quelques minutes de différence. Il y a eu des cris dont je n'ai pas eu connaissance. Nous étions dans un délai court pour une intervention sur une personne dont il apparaissait qu'elle était possiblement armée. Mon rôle était de vérifier s'il existait une faute dans le comportement de mes services. Ce n'est pas le cas. Ils ont agi rapidement. Le meurtre de Mme Sarah Halimi est intervenu en dehors de leur connaissance. Le positionnement dans l'immeuble relève de la responsabilité du chef de l'opération qui assure une intervention sécurisée de ses équipes. Il s'agit de quelqu'un qui a une bonne réputation, qui est sérieux. Il était militaire auparavant. Je considère qu'il n'y a pas eu de dysfonctionnement dans la mise en œuvre de cette intervention par mes services.

Je considère, à titre personnel, que ce crime est affreux et je ressens peine et colère vis-à-vis de ce drame. Néanmoins, je n'étais pas sur place. Peut-être aurais-je réagi autrement. J'ai souvenir d'opérations précédentes dont j'ai pris le commandement. Lors de ces interventions, vous réagissez avec vos tripes. Quand vous reconstituez les événements, vous pensez que vous auriez pu faire autrement. Dans cette affaire, entre le moment où l'équipage est arrivé sur place et la défenestration de Mme Sarah Halimi, il s'est écoulé seize minutes. Ce délai est extrêmement court pour ce type de situation. En outre, la BAC n'est pas armée pour ce type d'opération. J'ai écouté l'audition du brigadier-chef. Il est d'une grande honnêteté morale et porte sans doute le poids de ces événements. Pour autant, nous ne pouvons pas dire qu'il y a eu faute. Si le préfet de police remet en cause chacun de ses services alors même que ses propres instructions ont été respectées en suivant à la lettre les circulaires, alors le système ne peut plus fonctionner.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'auteur est interpelé, il est placé en garde à vue. Vos services constatent que cette personne ne peut pas être entendue. Quelqu'un prend la décision de lui faire subir des examens médicaux. M. Kobili Traoré est placé à l'I3P et ensuite par décision de l'État dans un centre psychiatrique. Le premier expert le rencontre un mois plus tard et diagnostiquera une bouffée délirante aiguë et une possible irresponsabilité. L'arrêt de la chambre d'instruction du 19 décembre 2019 indique la même chose. Tous les psychiatres entendus par cette commission pointent, comme fait générateur de leur analyse, la décision prise en garde à vue de ne pas entendre l'auteur des faits. Au même moment, l'audition des membres de la famille Diarra permettra de préciser que M. Kobili Traoré tenait des propos incompréhensibles. Il parlait du diable, du Coran. La décision de mettre fin à la garde à vue conduira au placement en institut psychiatrique de M. Kobili Traoré. Quel est le processus qui a été suivi ? Ce monsieur ne s'expliquera jamais devant les forces de police. Comment, lors d'une expertise un mois et demi après les faits peut-on saisir l'état psychologique de la personne ? Je souhaite vous entendre sur cette partie. Il me semble qu'il s'agit du fait générateur des expertises qui suivront et probablement de la décision de justice indiquant que M. Kobili Traoré était irresponsable.

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Lorsque l'interpellation est effectuée à 5 heures du matin, il est placé en garde à vue au commissariat du secteur. Un service judiciaire a été désigné pour mener l'enquête et effectuer les premières investigations. Ils l'entendent alors tenir des propos sur les sourates. Ils comprennent que le voisinage avait peur de M. Kobili Traoré, qui avait parfois un comportement incohérent. Lorsqu'ils ont souhaité l'auditionner, il tenait des propos confus et illogiques. Ils ont considéré que son état de santé psychique ne permettait pas de l'auditionner immédiatement. Le commissaire a prononcé une hospitalisation d'office. Cette dernière ne peut excéder 24 heures et a lieu à l'I3P. Au-delà, elle doit être prolongée par le préfet. Ce service relève d'une compétence médico-légale. Il est dirigé par un médecin-chef psychiatre et relève de la direction des transports et de la protection de la population de la préfecture de police. Il s'agit alors d'une phase administrative qui durera jusqu'au 5 avril. Lorsque M. Kobili Traoré est retiré de l'I3P, il est placé dans un hôpital psychiatrique. Il s'agit d'un placement judiciaire. Il demeurera à l'hôpital de Saint-Maurice, sans être auditionné, jusqu'au 14 avril. Ces éléments relèvent d'une procédure judiciaire sur laquelle je ne peux donner davantage d'informations. Sans doute, son état de fébrilité ne permettait pas de l'auditionner. À partir du 5 avril, il ne s'agissait plus d'une décision temporaire.

L'I3P permet de mettre à l'abri des personnes en état de violence ou de démence tel qu'on ne peut pas les maintenir en garde à vue. Cette procédure ne me paraît pas en cause dans cette affaire puisque les délais légaux ont été respectés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes collègues sont revenus plusieurs fois sur le fait que les policiers ne sont pas entrés dans l'appartement alors qu'ils en détenaient les clés. La notion de guet-apens est-elle prégnante dans vos fonctions ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Le policier doit sécuriser l'intervention. Dans le cas d'une personne en état de démence pouvant être violente et armée, une intervention mal préparée peut conduire à la mise en danger des personnes. La famille Diarra s'était barricadée pour se protéger d'un individu qu'elle connaissait et qui était menaçant. Il est possible d'intervenir dans certaines situations et selon l'appréciation des lieux. Il est généralement recommandé de faire appel à des services spécialisés. Il aurait été possible d'appeler la brigade de recherche et d'intervention (BRI), qui est une brigade judiciaire équivalente au groupe de recherche assistance intervention dissuasion (RAID) ou au groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), avec une compétence parisienne. Elle serait arrivée beaucoup plus tard. Ils ne l'ont pas fait, ils ont demandé un renfort de la BAC 75. Elle est départementale et mieux armée. C'est une BAC de cette nature qui est intervenue au Bataclan lors des attentats terroristes. Oui, il existe un risque que chacun appréhende. La responsabilité est celle du chef d'équipage. Lorsque la BAC 75 est arrivée, le brigadier-chef s'est mis à l'écart. Je ne suis pas certain qu'il ait compris le drame qui s'était joué avec M. Kobili Traoré.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'interpellation de M. Kobili Traoré a eu lieu à 5 heures 36. Je compare ce qui n'est pas comparable, puisque j'évoque une tuerie de masse. Sans ce policier de la BAC au Bataclan, qui a pris une initiative alors que rien n'était sécurisé, il y aurait eu des centaines de victimes en plus. Il nous a expliqué que s'il ratait le chef des terroristes, il était mort. Cette initiative est salutaire. Il faut donc rendre hommage à la police et à certains de vos hommes.

Lorsque je lis les rapports de police, il est indiqué : « Une des personnes nous lance un vigik pour que nous puissions entrer dans l'immeuble. » Un autre témoignage indique : « Notre souci c'est que nous étions bloqués à l'extérieur de l'immeuble. Je leur ai demandé l'ouverture de la porte. Alors elle nous a lancé un vigik par la fenêtre. » Or il ne s'agit pas uniquement d'un vigik, mais d'un trousseau de clés. Y a-t-il eu une volonté de dissimuler des choses ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

J'exclus qu'il y ait pu avoir une quelconque volonté de tromper la commission ou l'enquête judiciaire. Le vigik est accroché avec des clés. Le brigadier-chef n'a pas réalisé qu'il disposait d'une clé puisqu'il a demandé des moyens d'intervention. Il n'a pas dit qu'il le faisait pour renforcer une protection. Ils ont considéré qu'il n'y avait pas de danger. Entre-temps, malheureusement, M. Kobili Traoré est entré dans l'appartement de Mme Sarah Halimi, l'a agressée et l'a tuée. Je pense qu'ils sont eux-mêmes meurtris par cet enchaînement du processus criminel de M. Traoré. Et même s'ils avaient eu conscience qu'il s'agissait de clefs, était-ce ce qu'il fallait faire sans menace sur la famille à ce moment ? Ils ont pu penser que cela n'était pas souhaitable. J'ai compris qu'ils n'avaient pas compris ou oublié peut-être qu'ils avaient un trousseau avec des clefs qui leur avait été envoyé par la famille.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avec le recul, pensez-vous que les moyens mis en œuvre lors de cette intervention étaient proportionnés, appropriés et adaptés ?

Permalien
Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris

Avec la mort de Mme Sarah Halimi, je ne peux pas vous dire que les moyens étaient adaptés. Néanmoins, ils étaient en nombre suffisant. Les policiers sont arrivés très vite. La configuration des lieux ne leur a pas permis de procéder à l'interpellation plus rapidement. Je ne peux pas vous apporter d'autres éléments que l'enchaînement des faits et des informations dont ils disposaient alors et qui étaient celles de la séquestration d'une famille. Il s'agit d'un immeuble qui n'est pas aisément identifiable par un primo-arrivant. J'ai le souvenir d'incendies dans ce type de quartier où la maîtrise des lieux n'est pas simple. Après coup, il est facile de refaire le film. Cependant, on ne refait pas une intervention, on la vit avec une conscience aiguë des responsabilités et sans volonté de dissimulation vis-à-vis de la hiérarchie ou de la justice.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinquante-cinq. Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Laetitia Avia, Mme Aurore Bergé, Mme Sandra Boëlle, Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, M. Brahim Hammouche, M. Sylvain Maillard, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris

Excusée. - Mme Constance Le Grip