Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mardi 12 novembre 2019 à 19h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SGG
  • bilan
  • permanente
  • qualitatif
  • réglementaire

La réunion

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La séance est ouverte à 19 heures 10.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend Mme Valérie Létard, sénatrice, présidente de la délégation du bureau du Sénat chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle.

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Madame Létard, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de commencer nos travaux par une série d'auditions générales, afin de mieux comprendre la vie de la loi après sa promulgation au Journal officiel, c'est-à-dire lorsqu'il revient au pouvoir exécutif de prendre les mesures réglementaires nécessaires, puis de l'appliquer sur le terrain. Notre objectif est de mettre en lumière les points de blocage et leurs causes, afin d'essayer de fluidifier l'ensemble, pour s'assurer que la volonté du législateur est respectée.

Ce souci anime depuis longtemps le Sénat et se traduit par la publication d'un rapport d'information sur le bilan annuel de l'application des lois, dont vous êtes actuellement l'auteure. Au-delà de ce travail, que vous conduisez en collaboration avec les commissions, nous sommes intéressés par ce que fait le Sénat en matière de suivi de l'application des lois, tant au niveau national que, le cas échéant, à l'échelle des territoires.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse, retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Permettez-moi, tout d'abord, de saluer la démarche de l'Assemblée nationale visant à améliorer l'application des lois dans nos territoires et pour nos concitoyens. Cette préoccupation est partagée par le Sénat et également par le Gouvernement. Il semble inacceptable aux yeux des parlementaires et de nos concitoyens que la loi votée ne soit pas appliquée dès que promulguée ou, à tout le moins, dans un délai raisonnable.

Depuis 1971, le Sénat procède au contrôle de l'application des lois au travers d'un bilan annuel. Qu'analysons-nous sous ce terme ? Ce bilan s'intéresse à la notion de mesures réglementaires d'application attendues par une loi, soit chaque fois que le législateur – nous – inscrit dans la loi « les modalités d'application du présent article sont définies par un décret en Conseil d'État » ou encore « dans des conditions fixées par arrêté, tel article de loi s'applique ». Nous tirons deux résultats principaux de cette notion. D'abord, le taux d'application des lois, qui est le ratio du nombre de mesures d'application attendues prises sur le nombre de mesures d'application attendues totales. Lors du dernier bilan, 589 mesures réglementaires étaient prévues par les lois votées lors de la session 2017-2018 ; 453 ont été prises ; le taux d'application est donc de 78 %. Le délai moyen de prise des textes réglementaires d'application, qui est le deuxième aspect que nous constatons, était de quatre mois et dix-sept jours, un délai particulièrement court au regard de toutes les étapes du processus d'élaboration d'un texte réglementaire.

Ce mode de calcul présente, à mon sens, deux avantages majeurs. Le premier est celui de la cohérence de la statistique dans le temps. La seule modification qu'ont connue les statistiques du Sénat depuis 1971 est la date butoir pour calculer ce taux. Jusqu'en 2011, le rapport était publié au début de l'année n + 1. Depuis les lois de la session 2011-2012, le bilan se fait au 31 mars de l'année n + 1. Ce délai prend en compte l'objectif de six mois que s'est fixé le Gouvernement afin de prendre les textes d'application des lois, dans la circulaire du Premier ministre de 2008. Le deuxième avantage est celui de la comparaison possible avec le travail réalisé par le secrétariat général du Gouvernement (SGG). Afin de pouvoir contrôler le Gouvernement, il est nécessaire que nous parlions de la même chose.

Nous sommes conscients, néanmoins, des inconvénients que présente ce mode de calcul. Il y en a quatre. Premièrement, comme il s'agit d'un ratio mathématique, il ne prend pas en considération l'importance relative des textes réglementaires pris ou non pris. Ma collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, observait, lors de la dernière communication devant la commission : « un seul décret manque et c'est parfois tout un pan de la loi qui n'est pas applicable », et quelquefois pas des moindres.

Deuxièmement, notre taux d'application des lois peut augmenter, non parce que le nombre de mesures prises a augmenté mais parce que le nombre de mesures attendues a diminué. Ainsi, la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR, a vu son taux d'application augmenter significativement à la suite de la promulgation de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, non pas grâce à l'accélération de sa mise en oeuvre, mais en raison de l'abrogation de certaines dispositions rendant dix-sept mesures d'application de la garantie universelle des loyers sans objet. L'article 154 de la loi ELAN a tout simplement abrogé cette garantie qui, de fait, n'a jamais été appliquée.

Troisièmement, ce taux d'application ne prend pas non plus en compte les articles ne nécessitant pas de mesure d'application. Dans notre classification, une loi est dite non mise en application si aucune des mesures réglementaires attendues n'a été prise. Toutefois, pour ces lois, les articles d'application directe sont applicables. En ce qui concerne les délais, par définition, un délai moyen cache des disparités importantes. Ainsi, onze mesures d'application de lois votées lors des sessions 2017-2018 ont été prises dans un délai supérieur à un an. De manière symptomatique, deux décrets ont été pris en décembre 2018 pour une loi votée en 2010, et ce sous la pression d'une décision du Conseil d'État. En outre, par définition, le délai moyen ne prend pas en compte les mesures qui n'ont pas été prises.

Quatrièmement, sa nature mathématique fait que ce taux permet seulement un contrôle quantitatif, et non qualitatif, de la prise des textes d'application. Nous procédons à des rectifications à la marge, par exemple en ne comptabilisant pas une mesure dont nous estimerions qu'elle ne respecte pas la volonté du législateur. Au-delà de ce décompte, un examen qualitatif de chacune des mesures est donc nécessaire. Chacune des commissions s'y emploie à l'occasion de ce bilan, mais aussi au quotidien, à travers les groupes de travail, les rapports d'information et les travaux législatifs. Pour chaque disposition modifiée, nous revenons sur l'état du droit en vigueur. En outre, le Sénat vient de modifier son règlement afin de prévoir que le rapporteur d'un texte se voie confier la tâche de suivre l'application de la loi qu'il a rapportée. Par exemple, Mme Estrosi Sassone vient d'annoncer, en réunion de bureau de la commission des affaires économiques, qu'elle allait approfondir très rapidement un volet de la loi ELAN dont elle a été la rapporteure, concernant la vente de logements sociaux. Voilà comment est approfondi, par un travail qualitatif complémentaire des commissions, le rapport global quantitatif.

Pour ce qui est de la méthode, depuis le départ, ce travail repose sur les commissions permanentes, mieux à même de suivre les lois qui relèvent de leur secteur et qu'elles ont eu à examiner. De manière très concrète, lorsqu'une loi est votée, toutes les occurrences de textes réglementaires d'application, ainsi que les demandes de rapports et d'ordonnances sont recensées. Chaque jour, les secrétariats des commissions examinent le Journal officiel pour voir si les textes attendus ont été pris. C'est un travail fastidieux mais essentiel si l'on veut vraiment être au fait et pouvoir ensuite travailler avec le secrétariat général du Gouvernement pour préparer ce contrôle.

Au début du mois d'avril, nous procédons à un recoupage des statistiques avec le SGG. Il s'agit de voir où se situent les différences entre les décrets pris selon le Gouvernement et ceux pris selon le Sénat, puis d'expliquer ces divergences. Il peut s'agir d'une erreur matérielle – un décret qui n'a pas été vu ou un même décret qui répond à plusieurs mesures d'application d'une loi sans que cela soit indiqué dans les visas ; elle est alors rectifiée. Il peut s'agir aussi de divergences plus politiques, soit que le Sénat estime que le décret pris ne respecte pas totalement la volonté du législateur, soit que le Gouvernement considère la mesure comme déjà satisfaite par une mesure antérieure à la loi mais que le Sénat ne partage pas cet avis. On essaie alors, dans les échanges avec le SGG, de trouver une cohérence dans l'analyse.

Entre la mi-avril et la mi-mai, chaque président de commission présente devant sa commission un bilan d'application des lois relevant de sa compétence. Depuis quelques années maintenant, nous procédons à une audition du secrétaire général du Gouvernement. Ce rendez-vous, désormais traditionnel, est important puisqu'il permet de faire le point, dans des conditions un peu plus informelles qu'en séance, sur tel ou tel décret ou rapport manquant. Il s'agit d'une audition de qualité, technique et parfois vive. Elle se tient en présence de tous les présidents de commission qui en profitent pour interpeller le SGG sur les questions qualitatives les plus saillantes de leur contrôle. Comme nous l'indiquait celui-ci lors de la dernière audition, elle est également l'occasion pour l'administration de faire le point sur des décrets ou rapports en attente sur lesquels leur attention a été appelée. Je souligne, au passage, la qualité du dialogue que nous entretenons sur ce sujet avec le secrétariat général du Gouvernement, et le travail très important effectué par les administrations pour que les textes réglementaires soient pris, et rapidement.

La dernière étape du bilan annuel d'application des lois est le débat en séance, avec le ministre chargé des relations avec le Parlement. Depuis deux ans, il se déroule sous la forme de questions-réponses, propice à un débat plus interactif et peut-être plus technique. Ce travail de suivi de l'application des lois me paraît essentiel. Nous constatons, ces dernières années, des efforts importants consentis par les gouvernements, de tout bord politique, pour améliorer le taux d'application et les délais de prise des textes réglementaires. J'aime à penser que le travail effectué par le Sénat est une utile stimulation, que l'on pourrait comparer, dans l'univers des entreprises privées, avec la pratique du name and shame. À l'approche de la publication du bilan de l'application des lois, on sent une émulation dans le travail en amont. Pour le coup, ce compte rendu public est un aiguillon positif, et le Sénat, et plus globalement le Parlement, font oeuvre utile en réalisant ce travail.

J'ajoute que plusieurs décrets ou rapports en attente nous parviennent régulièrement à chaque exercice ou sont publiés après l'audition du secrétaire général du Gouvernement, ou juste avant le débat en séance. D'ailleurs, on nous apporte des compléments par rapport à l'audition précédente.

J'en viens à mon rôle dans l'élaboration de ce bilan. J'ai demandé aux commissions de se pencher de manière plus approfondie et de me faire remonter des éléments relatifs à une thématique que j'ai choisie. Pour les bilans 2018 et 2019, la thématique était celle des ordonnances. Nous nous sommes rendu compte que le recours aux ordonnances n'entraînait pas une effectivité plus rapide de la norme. De fait, le temps constaté entre la demande d'habilitation et la prise de l'ordonnance est trois fois plus élevé que le délai moyen de vote d'une loi pendant la session 2016-2017 ! On peut bien nous dire que légiférer par ordonnance permet d'aller plus vite et de faire changer plus rapidement les choses au bénéfice de nos concitoyens, une ordonnance nécessite aussi des décrets et des arrêtés, donc un même cheminement qui demande, en l'occurrence, trois fois plus de temps.

Je conclurai mon intervention par trois regrets, qui sont autant de moyens de renforcer le travail de contrôle de l'application des lois.

Tout d'abord, le Gouvernement ne suit pas la prise des arrêtés d'application prévus par les textes. Or ce nombre est significatif : ils étaient plus de soixante lors de la session 2017-2018, c'est-à-dire 10 % des mesures attendues. En fait, le SGG suit les décrets pris par le Premier ministre, mais pas les arrêtés, qui sont pris par les ministères. Pour ces 10 %, les commissions du Sénat doivent solliciter directement les ministères afin d'avoir les éléments.

Ensuite, je regrette le taux désespérément faible des rapports dits de l'article 67 de la loi de 2004 de simplification du droit. Cet article impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l'application de la loi six mois après son entrée en vigueur. Ce document mentionne les textes réglementaires publiés, les circulaires édictées pour la mise en oeuvre de ladite loi ainsi que, le cas échéant, les dispositions de celle-ci qui n'ont pas fait l'objet de textes d'application nécessaires, et en indique les motifs. Ce travail, s'il est fait dans les délais, doit nous permettre de comprendre pourquoi telle ou telle mesure n'a pas été prise. Or le taux de remise de ce document administratif est à peine de 35 %. Il est parfois remis avec un retard excessif. Le rapport relatif à la mise en application de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, qui reconnaissons-le, n'est pas une petite loi, a ainsi été remis quarante-huit mois après sa promulgation, perdant ainsi une grande partie de son intérêt, les choses étant déjà mises en musique.

Enfin, sur le site Légifrance, l'échéancier des décrets d'application gagnerait à être mis à jour plus régulièrement, par souci de transparence vis-à-vis de nos concitoyens. Je prendrai un seul exemple : l'échéancier des décrets d'application de la loi ELAN indique toujours, à la date du 4 novembre, pour la mesure réglementaire relative au 2° du I de l'article 68 : « Publication envisagée en mars 2019 ».

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Je vous remercie beaucoup pour cette présentation globale, qui illustre la qualité du travail qui est mené au Sénat.

Au cours de la précédente législature, j'ai effectué, avec Régis Juanico, une mission importante sur la fabrication de la loi. Nous aussi avions engagé le suivi de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques en amont de la publication du décret. Cela s'est révélé efficace, car, bien que n'étant pas toujours parvenus à éviter le décret contra legem, nous avons contribué à son atténuation. Ce dispositif, qui bouscule l'administration, est très intéressant en ce qu'il permet au Parlement de veiller lui-même à ce que l'esprit du législateur soit respecté dans le décret. Nous ne pouvons pas l'entreprendre sur tous les textes, mais nous souhaiterions pouvoir le développer.

Le travail que vous faites est considérable, et il conviendrait que l'Assemblée nationale puisse s'en emparer aussi. Le secrétaire général du Gouvernement nous a donné des chiffres tout à fait élogieux sur l'efficacité du Gouvernement en matière de publication de décrets. Nous ne les discutons pas. Avez-vous constaté des différences d'appréciation sur l'état d'avancement de parution des textes réglementaires par rapport à ce que pouvait observer le SGG ?

Votre travail est, en quelque sorte, préparatoire à la mise en application d'une loi sur le territoire. Vous qui êtes très proches des territoires, avez-vous élaboré des dispositifs pour contrôler la façon dont cette loi y est concrètement appliquée ? La proposition de la sénatrice Dominique Estrosi Sassone s'inscrit peut-être dans ce schéma-là.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

C'est vraiment au niveau des commissions permanentes que le travail est fait, surtout depuis que notre règlement prévoit que le rapporteur d'une loi en assure le suivi, au moins sur les points principaux. On ne peut pas le faire sur l'ensemble d'un texte, car nous avons des moyens limités, ce qui est sans doute aussi le cas à l'Assemblée nationale. Le calendrier annuel de suivi des textes des commissions permanentes est bien chargé, et elles sont parfois amenées à cibler les parties de la loi qui semblent les plus sensibles, les plus complexes à appliquer, celles sur lesquelles nous avons des remontées des territoires – comme vous l'avez dit, les députés et les sénateurs ne sont pas totalement hors-sol et ils entendent des choses lorsqu'ils travaillent avec les élus des collectivités. Ce renforcement du lien du rapporteur au texte, depuis le rapport qu'il en fait au nom de sa commission jusqu'au suivi de son application concrète sur le terrain, auquel s'ajoutent les contributions des différents élus des commissions permanentes, est vraiment la source du suivi de l'application de la loi du point de vue qualitatif. En outre, au moment de l'élaboration de notre bilan annuel d'évaluation, qui prend en considération l'aspect quantitatif, chaque président de commission permanente peut faire la synthèse de son propre domaine et se concentrer sur des manques qualitatifs essentiels sur certains points, quand bien même 80 % ou 90 % des décrets d'application seraient parus.

Vous m'interrogez sur la différence d'appréciation de l'état d'avancement de la parution des textes entre le SGG et le Sénat. Au Sénat, le travail des commissions avec les administrateurs part de la structure du texte de loi : à chaque fois, nous le décortiquons en recherchant les mesures nécessitant un décret ou un arrêté ; nous faisons notre propre analyse. Le SGG, lui, demande aux ministères concernés quels décrets ils comptent prendre. Dès le départ, nous n'avons donc pas la même démarche. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, c'est juste que nous avons une méthode d'approche différente. Mais cette différence a ceci d'intéressant que nous pouvons, avec nos propres éléments d'appréciation, discuter, débattre et effectuer un travail de mise en cohérence des deux approches, grâce auquel, en général, tout le monde retombe sur ses pattes. Cela permet aussi de clarifier des situations, tantôt par une contribution du Sénat, tantôt par un éclairage du SGG que le Sénat n'avait pas. En tout cas, cela nous permet d'être en phase. Je précise que le questionnaire est envoyé en amont, et les ministères sont consultés sur les décrets et les arrêtés pris.

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Au fil de nos auditions, il m'apparaît que deux grands sujets se dégagent. Le premier est le suivi de l'application des lois par les chambres. D'après ce que vous dites, vous avez un temps d'avance sur nous. L'Assemblée nationale pourrait tout à fait s'inspirer de cette utile stimulation sénatoriale, que je trouve bienvenue et nécessaire. En la matière, nous avons en effet des marges de progression. Cela dit, le travail que font l'Assemblée nationale et le Sénat me semble voué à rester toujours un peu statistique, même si auditionner le SGG, pousser le Gouvernement en communiquant davantage – ce que vous appelez le name and shame – est utile et doit être approfondi.

Le deuxième sujet est, et de plus en plus, le ressenti de nos concitoyens. On a beau travailler dans les chambres, c'est dans nos territoires que l'on doit travailler davantage. Nous avons demandé au directeur de la modernisation et de l'administration territoriale, que nous avons auditionné avant vous, s'il lui semblait pertinent d'impliquer davantage les parlementaires aux côtés des préfets, des recteurs, des directions départementales des finances publiques (DDFIP), bref de tous ceux qui représentent l'État et sont chargés d'appliquer les réformes dans les territoires, pour ce suivi de l'application des lois et s'assurer du bon ressenti des citoyens. Pensez-vous que ce soit le rôle des députés et des sénateurs ? Là où le bât blesse, c'est que la volonté du législateur n'est pas ressentie. La question n'est pas de savoir si ce que nous votons est bien ou non, mais si la cible est atteinte. Ce n'est pas parce que 98 % des décrets sont publiés que les citoyens ressentent l'effectivité des réformes votées par le Parlement. Il faut donc « descendre dans le tuyau territorial » et aller au plus près de l'État dans les territoires.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

L'application effective de la loi et son ressenti par nos concitoyens sont effectivement une question centrale, mais la solution n'est pas simple et je ne sais pas quel est le meilleur moyen d'y parvenir. La loi est complexe et son application l'est davantage encore. Certaines lois se prêtent à une sensibilisation, à une information ou une communication que l'on doit certes toujours améliorer, mais pas d'autres, par exemple, des lois sur l'urbanisme comme la loi ELAN qui est très complexe. Je pense que le premier rôle du parlementaire est de faire de la pédagogie dans les territoires et d'expliquer les lois qu'il a votées. C'est un travail que nous devons tous faire.

Quant à l'application réelle de la loi, il y a une limite au contrôle que l'on peut faire. Certes, nous disposons d'éléments qui nous permettent de pousser le Gouvernement à aller toujours plus loin, sur l'aspect tant qualitatif que quantitatif – car vous avez compris que le Sénat agit sur ces deux leviers. Le levier qualitatif est pris en main par les commissions, qui creusent, vérifient sur pièces et sur place, vont dans les territoires rencontrer les préfets, les opérateurs et les acteurs de tel ou tel texte de loi. Mais cet exercice a ses limites, car si l'on peut savoir quels décrets sont parus – c'est un peu plus compliqué en ce qui concerne les arrêtés –, ce n'est pas suffisant. Un exemple m'a encore été donné récemment, avec le droit à l'image des sportifs, qui montre que ce n'est pas parce qu'un décret a été pris qu'il pourra s'appliquer immédiatement : en l'espèce, il doit ensuite se traduire dans le règlement des différentes fédérations sportives. On peut faire tout ce qu'on veut, aller porter la bonne parole, mais c'est le rôle du ministre, et peut-être ensuite du préfet, de talonner, d'aiguillonner, de mettre en ordre de marche les fédérations sportives. Pour notre part, nous pourrions peut-être utilement regarder comment les ministères nous rendent compte de la façon dont chaque fédération sportive va traduire ce décret d'application dans son propre règlement, puisque c'est une responsabilité qui leur a été déléguée.

L'autre limite, c'est le travail du juge administratif. Il ne faut pas outrepasser les responsabilités des uns et des autres. Certes, je ne réponds pas bien à votre question, monsieur le rapporteur, mais j'essaie de vous dire comment je sens les choses.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Je ne suis pas persuadée que les choses iraient mieux en étant aux côtés du préfet. Ce dont je suis certaine, c'est que chaque texte a une traduction différente. Le Parlement a un rôle d'aiguillon, de contrôle, d'évaluation qui mérite d'être toujours approfondi, renforcé, parce que c'est peut-être le moyen le plus efficace d'accompagner utilement le Gouvernement pour faire entendre l'intérêt de nos concitoyens. Lorsqu'on vote une loi, on veut qu'elle soit appliquée conformément à ce que le législateur a imaginé. Toutes les étapes, que nous devons construire en cohérence entre l'Assemblée nationale et le Sénat, doivent nous assurer que tout se passera bien de l'amont à l'aval, et, si ce n'est pas le cas, que les justifications soient fournies, car si certains décrets ne paraissent pas pour des raisons purement techniques, ce n'est pas le cas de tous. Aussi faut-il que les commissions permanentes aient le temps et les moyens de creuser.

Nous avons eu récemment un débat sur une question de ce type avec le ministre du Logement. On ne peut pas appliquer une partie essentielle de la loi tant que tel décret n'est pas paru, ni l'appliquer concrètement sur le terrain. Pour mettre une loi en musique jusqu'au bout, il faut user de tous les outils, de tous les moyens. On ne peut pas appliquer une partie de la loi et en mettre une autre « au chaud » pour plus tard. Si on a voté une loi, c'est pour qu'elle soit appliquée dans son ensemble. En la matière, le Parlement est dans son rôle et il doit le jouer jusqu'au bout.

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Vous avez raison, l'idée n'est absolument pas d'expliquer de façon descendante tous les détails d'une loi – de toute façon, c'est incompréhensible et on n'y parviendrait pas. La direction interministérielle de la transformation publique a identifié une soixantaine de sujets issus des lois, qui « parlent » à nos concitoyens. Je pense que l'on peut s'en saisir, avec les préfets, pour en faire des objectifs de résultat, et suivre leur progression. Bien sûr, on ne peut pas le faire avec tous les articles d'une loi et s'assurer qu'ils sont tous appliqués, mais c'est possible avec des sujets parlants et aisément compréhensibles pour nos concitoyens.

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Dans votre rapport d'information sur le bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2019, vous prenez comme exemple de délai de publication excessif celui de la loi Grenelle 2, qui a été votée en 2010 et dont deux dispositions n'ont été prises qu'en 2018, « certainement grâce à une injonction du Conseil d'État ». Que pensez-vous du fait que le juge administratif puisse nous suppléer en matière de contrôle de l'application de la loi ? Est-il fréquent que des gens saisissent ainsi le juge ? De quel type de recours s'agit-il ? Quel est votre regard sur ce recours, in extremis, au juge administratif ?

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Les parlementaires n'ont pas de pouvoir coercitif et ne peuvent rien imposer au Gouvernement. Il est donc heureux que des butoirs existent, des dispositions permettant d'assurer un certain contrôle de légalité. Le travail du juge est complémentaire du nôtre.

Pour le reste, je crois beaucoup à la communication. Notre réunion est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Au Sénat, nous retransmettons également tous nos débats sur le contrôle de l'application de la loi, et je vous prie de croire que nombre de nos concitoyens et des acteurs de la société civile prennent notre travail en considération et lisent nos bilans d'application des lois. Or on note que le Gouvernement agit de plus en plus vite : cela montre que la publicité du travail parlementaire a un impact réel.

Mais lorsque nous sommes allés au bout de ce que nous avons le droit de faire, le juge peut effectivement intervenir, et c'est une bonne chose.

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Madame la vice-présidente, vous donnez envie d'être sénateur ! Votre action me paraît remarquable et nous devrions effectivement nous en inspirer, comme le rapporteur l'a suggéré.

J'aimerais faire une petite remarque, avant de vous poser mes deux questions. Il existe à l'Assemblée nationale un comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, qui ne remplit malheureusement pas ses missions parce qu'il est totalement déconnecté des commissions permanentes. Avez-vous un équivalent au Sénat ou bien vous êtes-vous servi, dans le règlement intérieur, des commissions permanentes pour faire ce travail d'évaluation et de contrôle ? Le rôle de ce comité ne porte pas exactement sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, puisqu'il intervient après l'entrée en application des lois.

Ma première question concerne les moyens d'évaluation et de contrôle du Parlement. Au moment des débats sur le projet de réforme constitutionnelle, l'idée avait été avancée de créer une agence d'évaluation ou de donner la possibilité au Parlement de recourir à la Cour des comptes, afin de le doter d'une autonomie d'expertise. Qu'en pensez-vous à titre personnel et quelle est la position du Sénat sur cette question ? Cette proposition avait suscité des tensions, parce que d'aucuns y voyaient une remise en cause de la séparation des pouvoirs. Cet argument est-il parfois avancé par le SGG dans les échanges que vous avez avec lui ? Lorsque nous l'avons auditionné, cet argument n'a pas été soulevé et cela m'a un peu étonné.

Deuxièmement, au-delà du travail quantitatif que vous menez, et même de votre travail qualitatif, vous paraîtrait-il envisageable que les rapporteur chargés de veiller à l'application d'un point précis de la loi aillent voir in situ, au sein de l'administration centrale ou des services déconcentrés, comment la loi est appliquée ? Ils pourraient travailler de manière souple, par exemple en binômes associant un membre de la majorité et un membre de l'opposition, et ils seraient dotés de l'autorité que leur conférerait l'Assemblée nationale ou le Sénat. Ils reviendraient avec des éléments qualitatifs, y compris en matière de gestion des ressources humaines – injonctions contradictoires, adéquation homme-poste, organisation de l'État... Il s'agirait de voir comment la loi est concrètement appliquée, d'un point de vue plus qualitatif.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Pour répondre à votre première question, c'est effectivement par le règlement que nous avons renforcé les moyens de nos commissions permanentes en matière de suivi de l'application des lois.

Quant aux déplacements in situ, les missions d'information nous permettent déjà de faire ce genre de travail. Les membres de la commission des finances ont également la possibilité de faire des contrôles sur pièces et sur place.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Nous pouvons compter sur nos administrateurs et nous sommes également dotés de quelques moyens qui nous permettent d'aller chercher à l'extérieur un soutien et une ingénierie sur des points précis lorsque c'est nécessaire.

Faut-il que nous nous dotions d'une entité propre ou bien que nous nous appuyions sur une entité existante, que nous pourrions saisir en tant que de besoin et qui fournirait au Parlement une évaluation indépendante ? Cette question n'est pas tranchée. Sachez, en tout cas, que nous avons déjà des moyens budgétaires, certes modestes, mais qui nous permettent, quand nous en avons besoin, de demander une expertise complémentaire externe.

Les moyens propres du Sénat nous permettent, par ailleurs, de mener un certain nombre de missions de terrain. Avec ma collègue Annie Guillemot, sénatrice socialiste, nous avons mené, il y a deux ans, une évaluation de la mise en oeuvre de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy. Alors que nous étions de sensibilités politiques opposées, il n'y avait pas l'épaisseur d'un papier à cigarette entre nous. En effet, lorsqu'on se rend sur le terrain, on voit les mêmes choses et on en tire les mêmes conclusions.

Quand nous en avons le temps, les moyens et la possibilité, nous constituons de tels binômes. Ou bien c'est le rapporteur seul qui se déplace. Récemment, mes collègues Alain Chatillon, du groupe Les Républicains, et Martial Bourquin, du groupe socialiste et républicain, ont réalisé un travail commun au sein de la commission des affaires économiques. Ces initiatives permettent d'aller au fond des choses, au plus près du terrain.

En tout cas, nous n'avons pas, aujourd'hui, de moyens dédiés, et nous réfléchissons, nous aussi, à cette question. Pour l'heure, nous devons nous appuyer sur nos administrateurs. Si nous voulons faire appel à une entité externe, nous devrons nous doter de moyens significatifs. Il est indéniable que cela renforcerait l'indépendance d'analyse et d'évaluation du Parlement dans son ensemble et que nos deux assemblées gagneraient encore en efficacité.

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Votre exposé est passionnant et je me dis, en vous écoutant, que le Sénat a de l'avance sur nous, même si l'Assemblée nationale réalise chaque année deux rapports importants sur l'application des lois de finances et celle de la loi de financement de la sécurité sociale. Celui réalisé par rapporteur général du budget est à la fois quantitatif et qualitatif et aborde de très nombreux sujets.

Je voulais vous interroger sur le nouveau conseiller dont nos ministres vont être dotés, et qui sera chargé du suivi et de l'exécution des réformes. Il assurera le service après-vote et s'assurera, avec nous, que les réformes que nous votons trouvent une vraie traduction dans la vie des Français. Je voulais avoir votre sentiment sur l'utilité d'avoir de tels conseillers au sein des ministères alors que, constitutionnellement, le rôle de contrôle est une prérogative du Parlement.

Ma deuxième question concerne la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC), dont plusieurs dispositions visaient à fluidifier l'entrée en application des textes de loi. Nous avions même songé à introduire des délais très stricts pour la parution des décrets. Avez-vous le sentiment que cette loi a un peu changé les choses ou pas du tout ?

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Vous avez évoqué votre rapport sur la loi Lamy. Plutôt que sur le contenu de ce rapport, je voudrais vous interroger sur ce qui en a résulté. Qu'est-ce qu'on en a fait ?

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

C'est une commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ESSOC. Après son adoption, chacune des commissions permanentes a été chargée du suivi de la partie du texte qui la concernait directement.

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Nous procédons de la même façon à l'Assemblée nationale.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

S'agissant du nouveau conseiller auprès des ministres, tout dépend de ce que l'on attend de lui. Attend-on qu'il soit un facilitateur auprès du Parlement, ou bien qu'il informe les citoyens sur les lois, leur application et leurs effets ? Ce travail de pédagogie est tout à fait nécessaire, mais si ce nouveau conseiller est aussi un interlocuteur privilégié du Sénat et de l'Assemblée nationale, et s'il peut donner aux parlementaires des informations sur l'état d'avancement de l'application des lois, c'est formidable ! Il nous serait vraiment utile d'être en prise directe avec les ministères et d'avoir un interlocuteur unique, susceptible de faciliter le travail parlementaire de contrôle et de suivi. Nous ne pouvons rien dire, à l'heure qu'il est, de cette nouvelle mesure, mais nous verrons bientôt le type de relations qui peuvent s'établir entre l'administration du Sénat et ce nouveau conseiller. Nous sommes favorables à tout ce qui est susceptible d'accroître la transparence et l'efficacité.

J'en viens à la question relative à mon rapport sur la loi Lamy. En tant que parlementaires passionnés par notre engagement et soucieux de respecter ce que nos concitoyens ou nos grands électeurs attendent de nous, à savoir que nous nous investissions et que nous fassions remonter les besoins qui s'expriment sur le terrain, nous devons absolument, quand nous effectuons une mission d'information ou un rapport sur l'application des lois, aller sur le terrain. Avec Annie Guillemot, j'ai fait le tour de tous les sites majeurs de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) du pays, du Nord au Sud. Nous y avons passé du temps et investi de l'énergie, nous sommes allées dans les quartiers et nous avons rencontré tous les acteurs de la politique de la ville : les collectivités locales, les services de l'État, les préfets, les associations.

Nous avons rédigé un rapport détaillé et c'est maintenant au Gouvernement et aux ministres concernés d'y puiser des idées. Au sein même du Sénat, nous veillons à donner une traduction à nos rapports : nous formulons des propositions qui peuvent devenir des amendements lorsque des textes nous sont soumis, notamment des lois de finances. Il nous arrive aussi de prendre l'initiative législative, quand c'est utile. Nous nous efforçons également, je le répète, d'informer les ministres de notre travail, pour qu'ils en tiennent compte dans l'élaboration de leur politique. Ils le font parfois, pas toujours : c'est le jeu. Si nous ne faisions pas toutes ces missions sur le terrain, nous ne pourrions pas faire autant de propositions. Ce travail n'est jamais perdu, car il éclaire aussi les commissions dans leur travail.

J'ai été la rapporteure d'une mission d'information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIème siècle : avec des collègues de toutes les sensibilités politiques, nous avons passé six mois sur le terrain et nous sommes tous tombés d'accord, comme à chaque fois que nous allons sur le terrain. Nous avons rendu des conclusions, qui ont récemment donné lieu à un débat. Nous espérons seulement que ces conclusions seront prises en considération : elles vont dans le sens de l'intérêt de notre pays et de la défense de nos intérêts industriels.

Le travail, au Sénat, se fait généralement d'une manière collégiale. Nous estimons que notre rôle est de rassembler un maximum d'éléments de terrain et de les porter au niveau supérieur. Nous le faisons toujours avec le même engagement, la même passion et le même entrain, même si nous sommes parfois un peu déçus de ce qui en ressort, mais c'est le jeu politique.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Jamais !

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Madame la vice-présidente, je voudrais revenir sur le rapport que le Gouvernement est censé publier six mois après l'entrée en vigueur d'une loi, en vertu de l'article 67 de la loi de 2004 de simplification. Vous nous avez expliqué, et c'est un peu effrayant, que cette règle n'est presque jamais observée.

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Ce rapport n'est remis dans les délais que dans 35 % des cas.

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Le but de ce rapport est précisément de se faire une idée de l'application des lois, mais vous semblez dire qu'il ne sert pas à grand-chose. Voyez-vous un moyen d'améliorer les délais de publication de ce rapport ou bien considérez-vous qu'il est sans utilité ?

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Comme je vous l'indiquais dans mon propos liminaire, le fait de disposer, six mois après l'adoption d'une loi, d'un rapport sur son niveau d'application faciliterait beaucoup notre travail d'évaluation. Si les gouvernements successifs ont maintenu ce délai de six mois, c'est qu'ils le jugeaient raisonnable. Ce ne sont pas les parlementaires qui ont imposé que les décrets et les arrêtés nécessaires à l'application d'une loi paraissent dans les six mois suivant son adoption : c'est au niveau gouvernemental que ce cadre a été fixé.

Il nous serait tout aussi utile de disposer systématiquement, au bout de six mois, d'un état de l'art précis et détaillé, que nous pourrions ensuite compléter. Un tel document fournit des éléments qui permettent, année après année, d'évaluer qualitativement et quantitativement la façon dont le texte chemine. C'est un outil qui doit garantir la lisibilité et la transparence de l'action du Gouvernement.

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Ne pensez-vous pas que la plateforme du SGG relative à l'état de publication des décrets pourrait être améliorée et partagée avec tous ? Nous faisons un travail de titan chacun dans notre coin : les sénateurs et les députés travaillent chacun de leur côté, le SGG gère sa plateforme de façon très technique, et tout cela donne le sentiment d'une débauche d'énergie. Nous pourrions peut-être mettre nos énergies en commun. Je précise que ce sont des questions, et non des jugements de valeur.

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Pourquoi, selon vous, ce rapport n'est-il que rarement remis dans les temps ? Qu'est ce qui bloque ?

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Il peut y avoir des tas d'explications différentes. Nous n'avons pas de pouvoir de coercition sur le Gouvernement : s'il ne veut pas nous remettre le rapport dans les six mois, nous ne pouvons rien faire.

Madame la présidente, il est vrai que le SGG fait, de son côté, un travail important, puisqu'il recense tous les décrets signés par le Premier ministre. Mais il ne prend pas en compte les arrêtés et ne va pas chercher les informations auprès des ministères.

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Les ministères pourraient nous donner ces informations !

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On le leur demande, mais ils ne le font pas systématiquement. Dans la pratique, comme nous faisons une évaluation annuelle, ils savent qu'on va leur demander des informations et s'y préparent.

Le SGG est, par définition, au service du Gouvernement. Il importe que le Parlement, dans sa mission de contrôle, forge ses propres méthodes d'analyse et ses propres critères de bonne application de la loi, afin de rester absolument indépendant. Nous devons évidemment travailler en bonne intelligence avec le SGG, et c'est ce que nous faisons, mais nous devons aussi conserver nos propres outils d'analyse, qui sont les garants de notre indépendance. C'est un travail certes très fastidieux, mais le Sénat et l'Assemblée nationale le font chacun à leur manière.

Ce qui est certain, c'est que le Gouvernement fait un vrai travail de clarification et qu'il s'efforce d'avancer sur cette question de l'application de la loi. Nous remercions tous les jours le SGG de travailler en bonne intelligence avec le Sénat, mais le Sénat, comme l'Assemblée nationale, doit préserver ses outils d'analyse.

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Il est vrai que le Sénat et l'Assemblée nationale ont des pratiques assez voisines. Lorsqu'une commission permanente publie un rapport d'application, six mois après l'entrée en vigueur d'une loi, elle fait le même genre de travail que celui que vous avez décrit. Mais nous ne le faisons pas sur toutes les lois.

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J'aimerais ajouter un complément de réponse à M. Frédéric Descrozaille, qui m'a interrogée au sujet de la Cour des comptes. Celle-ci est certainement très utile pour évaluer l'efficacité économique d'une politique, mais pas forcément pour contrôler l'application de la loi.

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J'aimerais revenir sur le rapport que le Gouvernement est censé remettre dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de la loi. Le secrétaire général du Gouvernement nous a assuré à plusieurs reprises, les yeux dans les yeux, que 90 % des décrets sont publiés dans les six mois qui suivent l'adoption d'une loi. Il nous l'a dit sur tous les tons. Dans ces conditions, je ne comprends pas ce qui empêche la publication du rapport d'application : qu'est-ce qui bloque ?

Il nous a dit aussi, et cela m'a un peu choquée, que 98 % des décrets envoyés au Conseil d'État sont retoqués, parce qu'ils ne sont pas conformes au texte législatif. J'en viens donc à m'interroger sur le sens des statistiques. Si 90 % des décrets paraissent effectivement dans les temps, mais que 98 % d'entre eux sont jugés non conformes par le Conseil d'État, il y a un problème… Cela pourrait, en tout cas, expliquer pourquoi un nombre très limité de décrets a une application concrète au bout de six mois.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

L'article 67 de la loi de 2004 prévoit qu'un rapport d'application de la loi soit publié dans les six mois suivant sa date d'entrée en vigueur. Nous constatons que ce n'est que rarement le cas, puisque seuls 35 % des rapports sont remis en temps et en heure. Je ne sais pas l'expliquer et j'ignore, par exemple, si les ordonnances sont comptabilisées.

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À l'Assemblée nationale, les commissions permanentes désignent un rapporteur qui, au bout de six mois, établit un rapport sur l'application de la loi. C'est le même genre de travail que celui que vous avez décrit, puisque le rapporteur recense les décrets et arrêtés d'application. Mais ces rapports ne sont pas suffisamment valorisés, alors même qu'ils sont beaucoup plus intéressants que le rapport du Gouvernement, qui est généralement assez indigent. Il est vrai que l'Assemblée nationale est davantage tournée vers la prospective, mais nous devrons aussi recentrer notre action sur ces questions.

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Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

Je crois qu'il faut marcher sur deux jambes : l'évaluation et le contrôle de l'application de la loi sont tous deux indispensables. Nous devons aller au bout de l'exercice. Il y a aussi un travail à faire sur les études d'impact. Le Parlement doit avoir les moyens de mesurer les conséquences de ce qu'il vote.

La séance est levée à 20 heures 15

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Frédéric Descrozaille, M. Fabien Gouttefarde, M. Régis Juanico, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, M. Vincent Thiébaut, Mme Cécile Untermaier, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Corinne Vignon

Excusé. - M. Charles de la Verpillière