Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président
La mission procède à l'audition, sous forme de table ronde, des syndicats de biologistes médicaux libéraux : Dr François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes (SDB), Dr Jean-François Perotto, vice-président du syndicat des laboratoires de biologie clinique (SLBC), Dr Claude Cohen, président du Syndicat National des Médecins Biologistes, Mme Stéphanie Haim‑Boukobza, membre du conseil d'administration et M. Julien Kimson Nguyen, membre du bureau du syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM).
Après que les premiers cas de Covid ont été identifiés sur le territoire français, l'institut Pasteur a rapidement mis au point un test de diagnostic par RT-PCR. Les tests de dépistage du Covid-19 ont pourtant été déployés moins vite que l'on aurait pu l'espérer sur le territoire.
Nous aimerions avoir votre analyse des facteurs qui peuvent expliquer ce retard. Quelle est, par ailleurs, la qualité des tests utilisés ? Comment sont-ils contrôlés ? On sait que l'Espagne a commandé des centaines de milliers de tests qui se sont révélés inutilisables. Comment et quand les laboratoires de ville ont-ils été mobilisés pour participer au dépistage ?
De plus en plus de personnes se font tester, et l'on constate un allongement des délais. S'il fallait accroître le dépistage, comment en assurer le bon déroulement ?
Avant de vous laisser la parole, je vais vous demander, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. François Blanchecotte, Claude Cohen, Jean-François Perotto, Mme Stéphanie Haim-Boukobza et M. Julien Kimson Nguyen prêtent serment.)
Nous avons été en première ligne dans la gestion de la crise, mais avons eu bien des difficultés à mettre en route les examens que le Gouvernement nous demandait de faire, pour des raisons techniques, administratives et réglementaires.
Nous ne pouvons réaliser de tests sans que l'arrêté qui en précise les modalités de remboursement ne soit publié au Journal officiel. Celui-ci est paru le 7 mars 2020, pour application au 8 mars. Commander des tests et acheter des matériels sans savoir ce qui était remboursable a déjà rendu les choses difficiles.
Ensuite, un examen de biologie doit être validé par la Haute autorité de santé (HAS), après avis du centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires. Comme en Allemagne d'ailleurs, il n'y a pas eu de lanceur d'alerte et quand nous sommes arrivés sur le marché alerte la demande mondiale était déjà très importante et les possibilités limitées car l'arrêté initial n'autorisait l'utilisation que de six réactifs différents. Nous avons dû batailler pour élargir le champ des produits ouverts aux laboratoires privés. Le 29 mars, nous avons obtenu une autorisation pour trente-quatre tests. Sur un marché soumis à une forte demande mondiale, où l'offre était restreinte et les possibilités d'achat limitées, nous nous trouvions donc dans des conditions très défavorables.
En outre, l'arrêté réglant les modalités de remboursement par l'assurance maladie a visé des tests de dépistage par deux épitopes différents, alors que les tests utilisés par la plupart des laboratoires équipés en biologie moléculaire n'avaient qu'une seule détermination – ils n'étaient donc pas remboursables. La tâche était donc très compliquée pour les laboratoires privés. Nous avons bataillé avec la Haute autorité de santé (HAS), en vain, et aujourd'hui, certains laboratoires qui auraient pu pratiquer ces tests n'en ont pas eu la possibilité ; le secteur public a pu continuer à les utiliser, a priori, mais, dans le privé, nous étions soumis aux règles de remboursement par la sécurité sociale.
Les marchés d'écouvillons ont été préemptés, soit par d'autres pays qui mettaient plus d'argent sur la table, soit, peut-être, par les autorités, de sorte que nous avons rencontré des difficultés d'approvisionnement. Les délais de livraison sont passés de huit à quinze jours, puis à trois semaines. Nous avons donc démarré dans des conditions très difficiles.
Concernant l'accréditation, 117 plateformes sont autorisées en France. Cela fait plus de vingt ans, depuis 1999, que notre syndicat demande des extensions d'autorisations en biologie moléculaire ! Si l'on doit apprendre quelque chose de cette crise, c'est qu'il faut moderniser nos équipements d'examens biologiques en les orientant vers la biologie moléculaire.
Enfin, les laboratoires privés étant chargés d'assurer les examens biologiques courants, nous avons dû, par précaution, fermer des sites ou réserver certaines heures aux prélèvements de dépistage du Covid.
La bataille des masques, vous l'avez vécue. Le biologiste médical ne figure pas dans le code de la santé publique à la différence du pharmacien, du médecin, ou de la sage‑femme. Au début, les pharmaciens ne nous en délivraient pas. Nous avons dû batailler avec le cabinet du ministre pour obtenir des masques à la fois pour les biologistes et pour les techniciens – ceux-ci les ont obtenus fin avril. Pendant tout ce temps, c'était le système D afin de travailler de façon correcte et de protéger nos salariés de la contamination pour qu'ils assurent l'activité de biologie courante.
Et puis, nous avons redécouvert les strates administratives, les codécisions, les batailles entre administrations avant qu'une décision cohérente ne soit prise. Durant des semaines, on nous a demandé des données dans un sens et dans l'autre, à différents niveaux de l'État et des régions. Quand vous avez des centaines de patients à prélever, vous avez autre chose à faire que de répondre aux demandes permanentes de communication de statistiques. Si le Ségur de la santé pouvait déboucher sur quelque chose, cela pourrait être la simplification des décisions en période de crise, avec la mise en place d'un interlocuteur unique.
Comme je n'ai jamais entendu un responsable politique remercier les personnels de laboratoire, je voulais le faire devant vous. Ils sont sur le pont depuis quatre mois. Nous avons détecté des milliers de cas positifs, et il n'y a jamais eu un mot pour nous. Seuls comptent les soignants, dont acte, mais il a bien fallu pourtant faire les diagnostics.
J'énumérerai les difficultés que nous avons rencontrées, dans l'espoir qu'elles ne se reproduisent pas.
Nous, biologistes, nous n'existons pas, et nos salariés, encore moins. Pour avoir du personnel dans les laboratoires, c'était et cela reste la croix et la bannière. Essentiellement féminin, notre personnel avait bien du mal, sauf peut-être dans les petites villes, à obtenir des places en crèche et devait rester chez lui pour garder les enfants. Nous avons également des personnels à risque, notamment diabétiques, dont la reprise du travail est ralentie par la difficulté à obtenir des rendez-vous avec le médecin du travail. Sans son autorisation, ce personnel ne peut reprendre son activité.
S'agissant des masques, nos confrères officinaux ne nous ont pas facilité la tâche. Si vous aviez de bonnes relations avec le pharmacien, vous pouviez en trouver, mais ce n'était pas toujours le cas. Nous avions tout de même des sources d'approvisionnement parallèles pour avoir les équipements de protection individuelle et le matériel de prélèvement. Mais si l'on pouvait considérer que notre personnel et nous-mêmes existons, cela nous arrangerait.
Le financement a aussi donné lieu à des cafouillages. Entre ordres et contre-ordres, nous ne savions plus qui avait droit au remboursement et qui n'y avait pas droit. Nous étions très sollicités et notre personnel n'y arrivait pas. En tant que vice-président d'une commission de hiérarchisation des actes de biologie médicale (CHAB), j'ai regretté que ni les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ni les professionnels n'aient été consultés avant la mise en place du remboursement du diagnostic du Covid par RT-PCR, afin d'éviter que certains éléments des textes ne soient sujets à interprétation. Il est dommage que l'on se passe de notre expertise pour clarifier les choses.
La question reste encore de savoir qui va payer. L'enveloppe de biologie médicale est dédiée au remboursement des tests courants et elle est limitée. On ne sait toujours pas sur quel budget les tests covid vont être remboursés. Une réunion était prévue avec le directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), M. Nicolas Revel, mais il a été nommé directeur de cabinet du Premier ministre. Nous attendons donc que la sécurité sociale revienne vers nous. Il est hors de question que la biologie médicale de base, les glycémies, le cholestérol et autres, finance les tests Covid dont le nombre risque d'exploser, d'autant que ces analyses ne sont pas très rémunératrices.
Depuis un an, nous demandons le remboursement du dépistage de la grippe par RT‑PCR. Le problème deviendra aigu si, d'ici à cet hiver, le remboursement du dépistage de la grippe par RT‑PCR, bien plus fiable que les tests actuellement remboursés, n'est pas prévu au même titre que celui du Covid car nous aurons besoin de faire des diagnostics différentiels.
Un courrier indécent du Comité français d'accréditation (COFRAC) menaçait les laboratoires de lever leur accréditation. Les laboratoires sont suffisamment adultes ! Nous savons ce qu'est la validation de méthode et nous ne nous sommes pas lancés à l'aveugle dans les diagnostics par RT-PCR. Nous avons pris huit à quinze jours pour maîtriser pleinement les techniques. Dans notre métier, on ne peut employer une nouvelle technique du jour au lendemain. Nous devons garantir la sécurité et la qualité.
Il y a malgré tout un point positif. Comme on nous demandait d'alimenter les bases de données à partir de diverses sources, quelqu'un a eu la bonne idée de créer le système d'information et de dépistage (SIDEP). Mis en place en une quinzaine de jours, en parfaite concertation avec le ministère, les biologistes et les fournisseurs d'informatique, il nous a simplifié la vie, car le travail administratif peut prendre plus de place que le travail technique et médical.
En province, nous avons travaillé en bonne intelligence avec les agences régionales de santé (ARS), les centres hospitaliers universitaires (CHU) et autres structures concernées de l'État. Nous souhaitons que cela perdure, ainsi que la mise en place de structures d'échange.
Le prix du test RT-PCR en France étant le plus bas d'Europe, nous avons peiné à obtenir des réactifs pendant la crise, car les fournisseurs les vendaient aux pays qui les payaient plus cher. Nous avons soulevé le problème auprès des autorités, en vain.
Nous avons attendu longtemps la validation des tests. Nous en achetions sans savoir s'ils seraient validés. Une fois la validation intervenue, tous les tests achetés pour rien ont été perdus.
Encore aujourd'hui, la fourniture de masques n'est pas obligatoire pour les secrétaires. J'en disposais en tant que médecin et je leur en fournissais, mais les biologistes n'en avaient pas. Il est anormal de ne pas protéger ceux qui sont en première ligne.
Tous les laboratoires ne disposaient pas des moyens nécessaires pour réaliser ces tests. Le nombre des sites qui en avaient la capacité était limité.
On nous a d'abord dit qu'il fallait faire de la sérologie : les laboratoires ont acheté, de tous côtés, des tests de sérologie non validés, sans savoir s'ils étaient efficaces. Puis la fiabilité de la sérologie a été contestée. Encore aujourd'hui, faute de recul, des incertitudes demeurent en matière d'immunité et de contagiosité. Il n'a pas été facile de gérer cet aller-retour, sachant que certains laboratoires ont dû acheter des appareils spécifiques qui sont devenus inutiles.
Merci de nous recevoir. Les biologistes sont souvent des professionnels invisibles et on nous fournit rarement l'occasion de nous exprimer.
Nous avons identifié deux phases. L'une, qui nous a beaucoup retardés, de pénurie jusqu'au mois d'avril, marquée par des difficultés d'approvisionnement en équipements de protection individuelle, en réactifs et en appareils. Faute de réactifs, nous avons cherché à modifier notre panel analytique ou à changer de fournisseurs. La demande était forte et, pour des raisons de prix, les marchés étrangers étaient souvent préférés.
Nous avons aussi eu à faire face à un manque de ressources humaines. Le personnel de laboratoire étant majoritairement féminin, nous avons eu des arrêts de travail pour défaut de garde d'enfant ou covid.
Nous avons pâti d'une lenteur dans la validation des techniques par le CNR. Les biologistes sont pourtant aptes à valider une méthode, et nous nous sommes étonnés de devoir attendre un avis, dont les rapports n'ont d'ailleurs pas encore été publiés.
On a également observé, pendant cette période de pénurie, une légère défiance envers le secteur privé, qui n'a pas été sollicité immédiatement au profit du secteur hospitalier. C'était d'autant plus curieux que, grâce à leur maillage et à leur expertise, les laboratoires privés peuvent être force de diagnostic.
La phase actuelle est plutôt marquée par des tensions en matière de personnel, sur lesquelles nous reviendrons.
Très tôt, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a dit : « tests, tests, tests ! », mais jamais : « biologistes ! » ou : « techniciens de laboratoire ! ». Pourtant, sans eux, pas de tests. Dès la fin du mois de février, plusieurs laboratoires privés ont proposé aux ARS ou à la direction générale de la santé (DGS) de tester les patients par RT-PCR, mais il a fallu patienter, patienter, patienter… Or nous savons maintenant que c'est au début qu'il aurait fallu être incisif dans les « tests, tests, tests ».
Il y a eu une forme d'hospitalocentrisme, alors que nous échangions beaucoup avec nos confrères virologues hospitaliers et nos confrères de la société française de microbiologie. Nous étions techniquement prêts. Pourquoi nous a‑t‑on demandé d'attendre ?
Les biologistes ont organisé des drives et déclenché une mobilisation sans précédent, travaillant sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dimanche et jours fériés. Nous avons voulu associer les techniciens aux prélèvements, car pour prélever, il faut des bras, mais on nous a dit qu'ils n'avaient pas le droit de faire des prélèvements nasopharyngés. C'est devenu possible, mais un peu tard, le pic de l'épidémie étant passé.
La liste limitative des tests validés par la DGS nous a beaucoup bloqués en période de pénurie. Les chercheurs de l'Institut Pasteur sont certes des chercheurs remarquables, mais les professionnels du diagnostic, ce sont les biologistes médicaux – nous.
L'hospitalicentrisme a été conforté par la réalisation des plateformes Covid de type Beijing Genomics Institute (BGI), très coûteuses et peu efficaces.
Depuis des années, nous essayons vainement d'obtenir l'intégration du test de dépistage de la grippe dans la nomenclature des actes de biologie médicale. Nous sommes prêts. Les infections respiratoires concernent tout le monde. Pourriez-vous nous aider à avancer sur ce point ?
Élément positif, grâce au SIDEP, nous avons gagné cinq ans en matière d'informatisation. Le SJBM espère que l'informatisation sera étendue à toutes les autres maladies à déclaration obligatoire afin d'être utile à la santé publique.
Aviez-vous connaissance d'une doctrine établie en 2013 imposant aux employeurs de disposer de matériels pour protéger leurs employés ?
Il est maintenant possible de prélever dans un lieu différent de celui de l'analyse et de faire appel à des techniciens, afin d'obtenir une capacité de test maximale. Que pensez‑vous de la possibilité de réaliser des tests sans prescription ? Que pensez-vous des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) ? Quelles sont vos propositions pour améliorer la capacité de test, du point de vue de l'amplitude d'ouverture des laboratoires, de la facilité et de la rapidité d'accès aux tests et de leur qualité ?
. Comme toute société accréditée, nous devons jeter ce qui est périmé. Nous avons jeté des masques qui dataient de l'époque d'une ministre devenue ministre de la culture. Nous avons des logiciels de gestion de stocks.
Concernant la doctrine de 2013, nos laboratoires n'étaient pas du tout avertis de l'obligation de rééquipement et d'achat de masques en quantité suffisante. Nous nous sommes approvisionnés sur les marchés afin de protéger tous nos salariés, de sorte qu'il n'y a eu aucun mort dans notre métier, ni parmi les personnels ni parmi les biologistes.
Le Président de la République a pris une décision politique qui doit être mise en œuvre. Nous discutons avec l'assurance maladie pour étendre le champ des préleveurs, non seulement aux techniciens de laboratoire mais aussi, par convention, aux sapeurs-pompiers, à la Croix Rouge et au personnel médico-social. Pour opérer des prélèvements sur beaucoup de gens, il faudra multiplier les points de prélèvement et assouplir leurs conditions.
Les drives, d'ailleurs créés à la demande des biologistes par la modification d'un arrêté, provoquent des files de voitures parce que nous ne faisons pas les patients à l'intérieur des laboratoires. Des queues se forment à Paris, un peu moins en province. Après que quelqu'un s'est assis, son siège doit être désinfecté. Si l'on veut faire du dépistage de masse, il faudra trouver de grands espaces ouverts, constituer des équipes et être capable de renseigner le SIDEP, tuyau très efficace auquel les 402 sociétés françaises de laboratoires privés, connectées à 100 %, font remonter au jour le jour le nombre de tests effectués et le nombre de cas positifs. Il ne faut pas dégrader la qualité du traitement administratif, sinon on dépistera mais on ne saura pas qui l'a été.
Certains choix sont opérés par les ARS. À Montargis, le directeur général de l'ARS Centre‑Val de Loire, craignant la formation de clusters, a voulu dépister toute la population. Sur 4 600 prélèvements, il y a eu deux résultats positifs. Dans les Hauts-de-France, 300 000 bons de dépistage gratuit ont été distribués. Les biologistes, qui font jusqu'à 600 prélèvements par jour, n'ont pas trouvé un seul cas positif. Un dépistage de masse ne suffit pas, il faut faire des recherches. Si les autorités politiques n'invitent pas à se protéger au sortir d'un test, une semaine plus tard, ce sont toujours 66 millions de Français qu'il faudra tester, et ainsi de suite. On n'y arrivera pas. Si on veut faire des dépistages massifs, il faut avoir un plan B d'organisation de masse et employer les grands moyens : plateformes téléphoniques pour la répartition, pré‑saisie des renseignements dans le SIDEP, peut-être par un pré-accueil par les laboratoires.
Les clusters de Corse et de Bretagne résultent de réunions organisées pour des mariages. Un homme âgé de 70 ans a été testé positif après que sa petite fille a fait la fête à Narbonne. Il faut demander clairement aux Français de se protéger et imposer des mesures de protection dans les locaux fermés. Cette décision aurait dû être prise au lendemain du déconfinement. On aurait alors pu faire des tests massifs et isoler les personnes positives. Le système de suivi des cas contact fonctionne très bien.
Je suis tellement remonté contre les TROD que je n'en dirai rien ici. Mon collègue Jean Canarelli, le conseil de l'Ordre national des médecins et tous les syndicats de médecins se sont déjà prononcés : c'est un gadget pour pharmaciens – on voit dans La Nouvelle République d'aujourd'hui que le président de l'Ordre des pharmaciens d'Indre-et-Loire confond IgM et IgG. À un moment donné, il faut être sérieux dans ce pays !
Depuis le 13 mai, date depuis laquelle nous rendons publics tous nos résultats, nous avons réalisé 2 millions de tests PCR et seulement 144 000 tests sérologiques, technique de rattrapage qui ne peut servir à établir un diagnostic initial. La stratégie du ministre des solidarités et de la santé est clairement fondée sur la RT-PCR. Peut-on passer au prélèvement RT-PCR salivaire, afin d'éviter le désagrément du prélèvement nasopharyngé ? Olivier Véran a indiqué que la commission du CNR réfléchissait à cette possibilité. Nous attendons la réponse.
Je ne parlerai pas de deuxième vague mais d'une vague qui a commencé à arriver après le déconfinement. Est-on capable de l'enrayer et de contenir des clusters ? Sans doute est-ce à cela qu'il faut répondre.
. Le problème aujourd'hui, est celui du prélèvement. Nous avons demandé au ministre de pouvoir passer au prélèvement de gorge, beaucoup plus facile et plus rapide. Il a répondu que le CNR n'était pas d'accord. Je ne peux croire que nous prenions autant de retard sur l'Allemagne, l'Autriche et la Grèce.
. Les quatre cinquièmes des pays européens le pratiquent ! Nous soulevons le problème car nous manquons de personnel.
Les pharmaciens ont été autorisés à réaliser des TROD ; ils ne servent strictement à rien ! La HAS indique que le TROD, qu'il soit positif ou négatif, doit être contrôlé en laboratoire par un test ELISA. Ajoutez à cela que les gens ne savent pas s'ils sont immunisés ou non. Je ne comprends pas qu'on maintienne l'accès aux TROD en pharmacie. C'est un problème de santé publique.
. Conforté par ma pratique quotidienne, je suis moins pessimiste quant à la possibilité de faire des prélèvements. C'est la gestion administrative qui devient épineuse. On nous a demandé de procéder à 500 prélèvements dans une zone touristique ; avec deux autres biologistes, nous les ferons en quatre à cinq heures. Mais comment effectuer le recueil de tous les renseignements nécessaires – origine des personnes, conditions de logement, etc. – qui sont d'autant plus justifiés que l'acte est soumis à remboursement ? Pour faire le million de tests par semaine qu'on nous demande, il faut prendre des rendez-vous, accueillir les personnes et saisir tous les renseignements. La presse en fait état : les standards des laboratoires sont déjà embolisés. Si le Gouvernement souhaite réaliser autant de tests, il faudrait nous aider à en assurer la logistique administrative. Sinon, nous ne pourrons pas y arriver.
. Pour nous aussi, les TROD sont un non-sens, puisque la matrice sang total est moins performante que la matrice sérum centrifugé. De surcroît, les pharmaciens, qui ne font pas quatre ans d'internat, ne sont pas à même d'interpréter une sérologie et une cinétique. Et puisque la HAS recommande de contrôler un TROD, positif ou négatif, par une analyse en laboratoire, il n'intervient que comme un artefact dans le circuit du patient.
En matière de personnels, nous sommes passés de la période de confinement marquée par des indications prioritaires de PCR à une période de « tests, tests, tests ». Aux potentiels clusters et autres cas suspects, se sont ajoutés les départs en vacances à l'étranger. Désormais, toutes les compagnies aériennes demandent un test PCR de moins de soixante‑douze heures. L'activité des blocs opératoires ayant repris, la demande de tests PCR est devenue massive. Il manque une doctrine claire pour la priorisation des tests.
Nous avons pâti d'une saturation de nos capacités en Île‑de‑France et en Mayenne par défaut de coordination. La CNAM a envoyé des bons de dépistage à 3,3 millions de Franciliens sans en informer les laboratoires : nos standards ont explosé ! Entre nos personnels en burn‑out et ceux qui devaient partir en vacances, nous nous sommes retrouvés démunis. Les laboratoires libéraux se sont organisés. Dans notre petite structure d'une quinzaine de sites, nous en avons fermé deux pour les transformer en centres covid. Nous avons remplacé notre équipement. Chaque laboratoire agit à la mesure de ses moyens, mais rares sont ceux qui peuvent hisser leurs capacités de dépistage à l'échelle de la ville, du fait d'injonctions administratives de plus en plus lourdes et de difficultés techniques.
Une première réponse serait la mise en place de structures coordonnées associant plusieurs laboratoires pour la mise en commun de moyens. En l'état, les laboratoires privés ne peuvent répondre individuellement aux dépistages massifs qui leur sont demandés.
. La difficulté majeure est la capacité de réaliser tous les tests. Il faudrait établir une hiérarchie et tester en priorité les personnes présentant des symptômes. Est‑ce à nous de réaliser les tests de familles, parfois très agressives, qui veulent rentrer dans leur pays ? Ne vaut-il pas mieux agir pour protéger la population ?
. Beaucoup considèrent le test nasopharyngé comme le gold standard. Si les tests salivaires ne présentaient pas l'inconvénient d'un défaut de sensibilité, nous les aurions adoptés depuis longtemps. Le CNR ou la société française de microbiologie doivent se positionner et fournir un avis clair, car la littérature médicale est contradictoire.
Initialement, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommandait une stricte hiérarchisation des personnes à tester. C'est pourquoi de nombreuses personnes contaminées n'ont jamais pu être testées, et dès lors la sérologie permettait des examens rétrospectifs. Nous sommes tombés dans l'excès inverse. Quand on trouve moins de 1 % de résultats positifs, cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Les autorités doivent fixer un ordre de priorité, afin que nous puissions gérer correctement les flux et faire de la médecine raisonnée.
. Nous pouvons être en capacité d'effectuer un million de tests par semaine, mais nous devons aussi continuer à assurer la biologie courante de ville. Après avoir laissé tomber les patients pendant trois mois, nous avons constaté une recrudescence d'infarctus, de troubles liés au diabète et d'autres pathologies à grande échelle. Dans la clinique de province où se trouve mon laboratoire, le service des urgences avait pratiquement arrêté son activité et le service d'oncologie n'avait pas accueilli de nouveaux patients. Nous devons gérer quotidiennement le tout-venant et faire les tests covid. Ne plus soigner notre patientèle pour se consacrer aux seuls patients covid créerait un problème de santé publique beaucoup plus général.
. D'abord, je vous remercie pour le rôle que vous et vos collaborateurs avez joué dans cette crise.
Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé au début. Avant la mise en place de la plateforme SIDEP, sur les deux premières semaines de mars, 12 940 tests ont été réalisés en France, contre 250 000, soit vingt fois plus, en Allemagne – cela pourrait expliquer la différence de létalité. Comment hiérarchisez-vous les difficultés cumulées que vous avez mentionnées depuis que l'Institut Pasteur a élaboré le test ? Est-ce un problème administratif ? J'ai du mal à comprendre en quoi l'attente de l'arrêté de financement par la CNAM a été bloquante et a retardé l'achat de réactifs et de consommables.
. La difficulté provenait moins du retard de remboursement, puisqu'on pouvait faire le test hors nomenclature, que du retard des autorités pour annoncer quels tests pouvaient être utilisés. Nous avons attendu longtemps la validation des tests.
. Les tests de l'Institut Pasteur lui sont propres. Pour notre part, nous achetons des tests commerciaux. Nous n'avons pas les enzymes nécessaires à la duplication, comme Didier Raoult à Méditerranée Infection. Il a fallu attendre l'arrêté pour savoir quels réactifs acheter. La liste publiée le 13 mars n'en comporte que six et il a fallu attendre fin mars pour la voir étendue à trente-quatre. Nous étions dans un marché tendu pour les six réactifs autorisés. Si vous n'utilisiez pas ceux de la liste, vous n'étiez pas remboursé. De plus, nous n'avions pas affaire aux importateurs courants, mais au marché chinois, les grandes firmes ayant développé des tests bien plus tard, ce qui explique techniquement la limitation de départ.
. La commission de hiérarchisation des actes de biologie médicale intervient après avis de la HAS, tandis que la DGS valide la liste des tests. Le CNR des virus des infections respiratoires valide encore d'autres éléments.
. La HAS a établi un cahier des charges pour la validation d'un réactif. Le CNR teste des réactifs dont il fournit la liste à la DGS, qui la publie en accord avec l'HAS et le CNR.
S'agissant du plus grand nombre de tests pratiqués par l'Allemagne, je rappelle qu'au début, les laboratoires privés n'étaient pas associés aux diagnostics et que nous avons été confrontés à une pénurie de réactifs. De plus, tous les laboratoires n'étaient pas équipés d'extracteurs et de machines de PCR capables de traiter de très gros débits. La technique du CNR, dite « maison », est fiable mais elle est inadaptée aux gros volumes et aux diagnostics de masse. Enfin, le HCSP avait établi une priorisation des tests qu'en tant que professionnels du diagnostic nous nous devions de respecter.
. Au début, il était interdit à certains laboratoires privés de pratiquer des tests PCR. La justice a même été saisie pour permettre à des laboratoires privés de participer à l'effort.
L'équipement varie beaucoup d'un laboratoire à un autre, en fonction de sa taille et du nombre de patients à traiter. Certains, équipés d'automates fermés fonctionnant à faible cadence et utilisant des réactifs peu adaptables doivent attendre que le fournisseur sorte sa trousse pour se lancer dans l'analyse. D'autres, plus gros et plus vétustes, sont adaptables à d'autres trousses de réactifs. Ce sont ces difficultés d'approvisionnement en réactifs et de validation des tests par le CNR qui ont provoqué un important retard au départ.
. Jusqu'au 8 mars, les laboratoires de ville ne pouvaient pas faire de tests ; ceux-ci étaient réservés à l'hôpital.
Avant de lancer ce type d'analyses avec ce type de machines, il faut huit à quinze jours pour valider les techniques. Le COFRAC a beau dire que nous faisons n'importe quoi, nous faisons bien les validations, et c'est ce qui a encore provoqué du retard. Nous avons reçu le feu vert pour faire les tests en ville le 8 mars et il a fallu attendre encore quinze jours pour rendre les premiers résultats. Nous avons perdu pratiquement un mois, depuis l'apparition des premiers cas au mois de février.
. Vous estimez qu'on a perdu un mois. Considérez‑vous qu'il y avait un blocage administratif ? Que faut-il modifier dans la chaîne de décisions ? Que faut-il fluidifier ? Quelle a été la relation avec le secteur public ?
. J'ai oublié de mentionner l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), sans laquelle il n'y a pas le marquage CE dont ont besoin des laboratoires français comme bioMérieux. Cela aussi, il faut un certain temps pour l'obtenir.
Généralement, dans la gestion d'une crise, les responsables se réunissent pour prendre une décision puis celle-ci est appliquée. Là, nous avons été pris dans un jeu de construction nécessitant les autorisations d'untel et d'untel, en espérant que les administrations veuillent bien travailler ensemble. Nous aurions voulu avoir un interlocuteur qui s'exprime au nom de tous, comme ce fut le cas pour la construction du SIDEP avec Santé publique France. Grâce à Laura Létourneau et Raphaël Beaufret, nous avons conçu en moins d'un mois un serveur capable de recueillir toutes les données, alors qu'il faut normalement trois ans. Ce projet a vu le jour parce que tous les acteurs ont contribué dès le départ. Pour le reste, nous avons fait face à un empilement de décisions et de délais. Quand une agence répond dans un délai de quinze jours et une autre, d'une semaine, cela crée un flou nuisible à l'efficience sur le terrain.
Les biologistes privés accueillent 500 000 Français par jour. Nous avons été des élèves des professeurs de l'hôpital, mais l'ambulatoire, c'est nous. Nous sommes capables d'organiser et d'assurer ces soins. Encore faut-il que les choses soient clairement écrites afin que nous puissions agir efficacement et rapidement.
De même, pour l'avenir, nous n'agirons pas efficacement sans une réelle coordination avec l'ARS, l'hôpital et tous les acteurs de terrain. Depuis l'arrêté paru le 10 juillet au Journal officiel, les techniciens ont le droit d'opérer des prélèvements, mais aujourd'hui, 22 juillet, nous attendons encore la tarification.
. Nous réalisons quatre à six fois plus de tests que les biologistes hospitaliers, mais des retards de décision et d'application ont eu lieu. L'Allemagne a commencé à tester en janvier, parce qu'un proche de la Chancelière a estimé qu'il fallait le faire et parce qu'il existe dans ce pays une industrie du réactif qui a vendu toute sa production aux biologistes allemands. Pour l'avenir, il faut corriger nos erreurs, êtres plus rapides et plus réactifs.
. L'enveloppe allouée à la biologie médicale a pratiquement diminué. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) est de 2,3 %, contre seulement 0,2 % pour la biologie médicale. Vous le savez, plus un système doit être rentable, moins il est résilient. Nous avons continué de fonctionner à qualité constante avec des moyens en diminution, ce qui nous a obligés à être très rentables. Par exemple, nous avons conclu des contrats de réactifs pour des automates fermés, inadaptables à d'autres réactifs. Contraindre la biologie à être compétitive a entraîné un défaut d'adaptabilité.
. Le problème est d'ordre industriel. La France ne produit plus rien. Nous avons pris conscience de notre dépendance de la Chine, et pas seulement pour la biologie. Il nous faut absolument reconstruire une industrie du réactif.
. Le professeur Delfraissy, président du Conseil scientifique, disait qu'en appelant anonymement plusieurs laboratoires parisiens, il n'avait obtenu de rendez-vous qu'à six jours. Quelle est la cause de ces délais, au cœur de l'été, alors que l'objectif national est la réalisation de 700 000 tests par semaine ?
. J'ai dit, il y a deux mois, que la difficulté n'était pas de disposer de 700 000 tests puisque, comme nous l'avons dit à la radio et à la télévision, nous avons tellement de stocks que certains pourraient même se périmer. La difficulté, c'est la concentration d'un grand nombre de patients dans une zone géographique dans un temps déterminé. Il y a une durée incompressible. Le traitement d'un patient prend cinq minutes, le temps d'effectuer le prélèvement, de nettoyer la salle et d'enregistrer l'acte, soit douze patients à l'heure. Avec trois salles de prélèvement, la capacité est de trente-six patients à l'heure. Faut-il ouvrir vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui n'est pas le cas d'ailleurs des hôpitaux ?
Le cas de Paris est emblématique, avec la décision de tester 1,3 million de personnes dans trente-deux communes de la grande couronne. M. Delfraissy n'est pas le seul à avoir essayé d'obtenir un rendez-vous ; tous les journalistes l'ont fait. Des structures sont capables de prendre les gens sans rendez-vous, mais il faut un appui. Notre branche ne compte que 40 000 personnes. L'hôpital de mon département a procédé à trente-cinq embauches ; moi, avec déjà 385 salariés, je ne peux pas me permettre d'embaucher trente-cinq personnes. Qu'en ferai-je dans deux mois ? Devrai-je les renvoyer ? Non seulement il nous faut des moyens économiques, mais nous avons besoin d'une aide administrative. Quand une vague arrive, il faut la traiter. Des structures organisées ayant maintenu du personnel ont pu étendre leurs jours d'ouverture. Le ministre a dit que dans certains laboratoires, les plages d'ouverture étaient limitées à une heure, ce qui est insuffisant pour faire de la PCR.
Je serai curieux de connaître le nombre de cas positifs dépistés sur le 1,3 million de personnes contrôlées en Île‑de‑France. Le cluster qui apparaît à l'occasion d'un mariage n'est-il pas plus intéressant à dépister que 100 000 personnes dont 1 ou 2 % sont positives ? Ne vaudrait-il pas mieux faire des dépistages dans des zones de tourisme ou contrôler préalablement les saisonniers qui vont venir faire les vendanges, par exemple ? La question est de savoir ce que l'on fait, sinon, vous pourrez dépister chaque semaine les 66 millions de Français. Il faut trouver un équilibre entre les moyens mis en œuvre et l'objectif à atteindre, en agissant de façon séquencée. À Paris, certaines structures peinent à accueillir suffisamment de gens.
. Le ministre nous a fait la même remarque au sujet du délai d'attente de six jours. Nous regardons pourquoi cela s'est anormalement passé, dans le souci de rectifier cette situation, mais cela ne peut se faire en un jour.
Je tiens à dire objectivement que si, au début de la crise, le Gouvernement ne nous a pas sollicités, il ne s'adresse désormais plus qu'à nous.
. Professionnels de santé, nous sommes aussi des dirigeants de PME. Nos capacités d'adaptation en matière d'équipement et de ressources humaines ne sont pas extensibles. Nous pouvons difficilement multiplier le nombre de nos salariés pour prélever à hauteur de ce qui nous est demandé, notamment en période de vacances.
En France, un seul industriel, bioMérieux, produit un test PCR. Tous les autres étant à l'étranger, nous devons les faire venir dans un contexte de querelles entre pays. Or pour ces industriels, le marché français n'est pas le plus intéressant, car le niveau de remboursement y est le plus faible.
Les tests ont donné lieu à de nombreuses polémiques, qui ont provoqué des retards.
La première, parallèle à celle sur l'utilité des masques, portait sur l'utilité des tests. Début mars encore, les tests PCR étaient prétendus inutiles pour les personnes asymptomatiques et même pour celles présentant de faibles symptômes comme une petite toux ou une petite fièvre. Ils ne devaient être utilisés qu'en réanimation.
La deuxième polémique portait sur les sérologies. Sollicité pour faire du dépistage dans des EHPAD, on m'a dit que cela ne servait à rien et que, de toute façon, on n'y pratiquait pas plus de deux tests. On a vu le résultat. Dans le département des Vosges et la région du Grand Est, 61 % des EHPAD ont été contaminés et, comme au niveau national, la moitié des morts en sont issus.
Il y a eu, enfin, la polémique sur le remboursement, dont les modalités relevaient d'une véritable usine à gaz.
La pandémie arrive fin décembre 2019. Le génome est séquencé par les Chinois le 7 janvier. On déplore le premier mort en France, un Chinois, le 15 février, et le premier mort français, le 25 février. Le 16 mars, l'OMS recommande la généralisation des tests et, le 17 mars, débute le confinement. Autrement dit, jusqu'au 17 mars, rien ne s'est passé chez nous. J'ai vu hier, 21 juillet, le premier dépistage massif dans le département des Vosges – sept mois après le lancement de l'alerte !
Une autre cause de retard est liée à la polémique sur la certification, fusée à trois étages : l'ANSM pour le marquage CE, le CNR puis la DGS. J'ai des exemples de tests validés par le CNR, utilisés en Allemagne depuis le début février et qui sont toujours bloqués en France, ce qui doit vous pénaliser.
. Le directeur général de la santé, spécialiste des pandémies, a beaucoup publié sur la doctrine de 2013. La nouvelle majorité arrivée au pouvoir en 2017 a‑t‑elle informé votre profession de ce changement de doctrine ?
S'agissant de la campagne visant à tester 1,3 million de personnes dans trente-deux communes de la région parisienne, je crois savoir que les professionnels de santé en ont été informés le vendredi pour le mardi. Ils disent que le problème n'est pas l'information mais la concertation. Rien n'est décidé en collaboration, tout est affaire d'oukaze d'une administration très centralisée.
En Espagne, la stratégie en matière de tests est totalement différente. Face à la possibilité d'une deuxième vague, ne pourrait-on envisager une stratégie européenne pour définir la nature des tests et les stratégies de campagne, au moins dans les départements frontaliers, théâtres d'allers-retours permanents ?
De grands groupes industriels français sont installés dans nos territoires. J'ai la chance d'avoir Total dans ma circonscription. Je crois savoir que des mesures de vigilance y sont instaurées et qu'ils sont en train de traiter avec votre profession pour organiser des campagnes pour leurs salariés. Quelles sont vos relations avec les grandes entreprises qui pallient les défaillances de l'État ?
J'entends que l'organisation territoriale de la santé n'est pas satisfaisante, qu'elle a même été perturbante au début de la crise et qu'il y a matière à améliorer vos relations avec les ARS, mais aussi avec les agences spécialisées dans vos domaines d'activité. Quelles mesures devrions-nous prendre, en tant que législateurs, pour améliorer votre partenariat avec ces agences, tant au quotidien qu'en cas de crise épidémique ?
J'ai décelé une forme de polémique après que des conseils départementaux ont proposé les services de leurs laboratoires au Gouvernement, qui les a refusés avant de les accepter. Cela peut-il résoudre le problème de l'analyse ?
Enfin, il y a le problème de l'ouverture de nos frontières avec certains pays. Que faire dans les aéroports pour être efficace sans asphyxier votre pratique quotidienne ? J'ai retenu trois témoignages. Pour l'un, en France, c'est l'ouverture totale, les gens atterrissent sur le territoire national, s'éparpillent et sont perdus de vue, alors que, dans tous les pays sérieux, quiconque arrive d'un pays épidémique est testé et tracé. Le professeur Éric Caumes, spécialiste des pathologies infectieuses et tropicales de l'hôpital de La Pitié‑Salpétrière, dresse ce constat : « Dans mon service, la moitié des patients reviennent de l'étranger, l'autre moitié sont des cas de transmission autochtone ». Une source aérienne confie encore qu'au mois de juillet, sur un vol Alger‑Paris, environ un tiers des passagers était atteint du covid-19. Certains étaient très malades, toussaient. Ils étaient venus se faire soigner en France. La plupart étaient de nationalité française. Mais à l'arrivée à l'aéroport, assez peu de contrôles, assez peu de tests, assez peu d'isolement. Que faire dans les aéroports pour éviter le risque épidémique majeur ?
Infirmière libérale depuis de nombreuses années, je suis surprise de votre discours, j'ai plutôt l'impression que les laboratoires sont des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Il y a eu une évolution majeure avec la disparition des laboratoires familiaux, des toutes petites entreprises de trois à cinq salariés, phagocytées par d'énormes maisons employant 250 à 1 000 biologistes, sans parler des personnels de prélèvement. L'avantage de cette évolution, c'est la capacité de faire face à des investissements ou de prendre des parts dans des entreprises qui fabriquent des réactifs et des machines. Je m'étonne donc de vous entendre faire état de moyens limités.
Avez-vous le sentiment d'avoir pesé sur la non-ouverture des laboratoires départementaux et des laboratoires vétérinaires ? En Allemagne, les laboratoires vétérinaires ont été directement ouverts. Pourquoi cette décision a‑t‑elle été retardée ?
Votre profession doit s'honorer à dénoncer des mauvaises pratiques. À Saint‑Tropez, dont je suis députée, dans des ghettos de riches ont été pratiqués des tests privés sans autorisation ni remboursement. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Je précise à M. Habib que, s'agissant de la doctrine de 2013, nous auditionnerons les personnes en place à cette époque.
Effectivement, sur la doctrine de 2013, la question est bien celle de l'information.
La concertation est, pour nous, la clé de l'efficience. Les relations fonctionnent bien avec certaines ARS parce qu'il y a chaque semaine des conversations téléphoniques entre le CHU, l'ARS, les CPAM, les biologistes privés et publics. En France, le dogme sacro‑saint de l'autonomie de l'ARS prévaut, mais chacune ne peut pas faire ce qu'elle veut. Notre profession est répartie entre 4 000 laboratoires sur le territoire national. Comment fait‑on à Sainte‑Maure‑de‑Touraine, proche de la Nouvelle‑Aquitaine, en face de deux décisions différentes ? Il faut assurer une cohérence et instaurer une homogénéité des décisions et des relations.
On peut regarder ce que font nos voisins. Un lot de 640 000 tests non évalués et non fiables commandé par l'Espagne a été retourné pour cause de sensibilité de 30 %. Nos collègues danois et suédois ont de belles réussites mais aussi des échecs. En Allemagne, où on a beaucoup testé, de nouveaux clusters apparaissent. Même si la santé n'est pas une compétence européenne, pour être élu et président de la commission des affaires européennes de l'union nationale des professions libérales (UNAPL), j'appelle à une cohérence en matière de santé européenne. En cas de crise, nous devons tous nous mobiliser.
En ce qui concerne le dépistage des salariés, bien des groupes, comme la BNP, ont lancé des campagnes. C'est une responsabilité de l'entreprise. Notre objectif et la commande du ministre étaient de prioriser la santé des Français et non celle des groupes. C'est quand nous avons eu trop de tests et que la demande s'effondrait, que nous avons invité des entreprises à le faire.
Nous devons être en relation avec les agences. Dans certains groupes de travail, nous avons réussi à simplifier notre relation avec les ARS et les agences spécialisées. La délégation ministérielle du numérique en santé a réussi à rassembler tout le monde afin de faire avancer un projet de façon concertée.
J'ai été un des premiers, en Indre-et-Loire, à contracter avec le laboratoire vétérinaire du conseil départemental. Il s'agit de leur transmettre la phase analytique, puisque le biologiste est légalement responsable de la phase pré-analytique de prélèvement et de la signature du résultat. Dans ce département s'est posée la question de la liaison informatique entre notre laboratoire et le laboratoire vétérinaire. Nous avons signé une convention qui n'a pas été utilisée mais qui pourrait l'être pour des campagnes massives de tests. Les biologistes n'ont pas du tout agi contre les laboratoires départementaux.
Dans les aéroports, clairement, il faut contrôler. Il faudrait faire 30 000 tests par jour, contre 2 000 actuellement. Des laboratoires sont installés à Orly et à Charles‑de‑Gaulle et dans toute la France. Nous essayons de contrôler les entrants.
Je ne parlerai ni de Saint-Tropez ni de Paris Match. C'est un monde auquel je n'appartiens pas. Ce genre d'avantage pour privilégiés ne concerne pas la majorité des Français.
Je me bats depuis vingt ans contre la concentration. En France, sept groupes majeurs représentent 70 % de la biologie française. À un moment, certains ont décidé d'évoluer vers une biologie industrielle, sans le dire. Les plateformes et le matériel que nous avons achetés ne sont pas à la portée de laboratoires de trois ou quatre personnes. Nous nous sommes tous associés, moi le premier dans l'Indre-et-Loire. Nous avons un laboratoire de vingt-huit sites qui réalise un chiffre d'affaires de 35 millions d'euros. Nous avons pu investir. La Cour des comptes s'apprête à venir nous examiner. Nous montrerons nos chiffres en toute transparence. Mais le coût de notre investissement sur les tests ne sera rentabilisé qu'au mois de novembre. Aujourd'hui, nous travaillons à perte. Nous avons pu le faire grâce à notre trésorerie et pas pour dégager un gain financier.
À l'ARS Île-de-France, la communication fonctionne, il y a régulièrement des réunions de 150 personnes. Mais les ARS étant indépendantes et différentes, une harmonisation serait nécessaire.
Des entreprises nous ont demandé de faire des tests PCR et sérologiques, mais le ministère nous a invités à privilégier les patients.
Quant aux laboratoires vétérinaires, en l'absence d'accréditation, ils ne pouvaient traiter que la partie technique et ne sont pas beaucoup intervenus.
S'agissant des aéroports d'Orly et de Roissy, les gens qui veulent prendre l'avion sont obligés de faire un test soixante-douze heures avant leur départ mais à ceux qui arrivent en France, personne ne demande rien, alors qu'ils sont potentiellement contagieux. On leur propose de faire un test, mais les neuf-dixièmes ne le font pas. Il faut impérativement dépister en France les passagers arrivant de pays extérieurs à l'Europe qui sont en zone rouge ou orange.
Les représentants des syndicats de biologistes ici présents sont opposés aux trois phases de consolidation intervenues dans le milieu de la biologie médicale. Dans les années 2000, il y avait beaucoup de biologistes indépendants. Aujourd'hui, la plupart des laboratoires sont détenus par des fonds étrangers. Ce sont des entreprises industrielles dans lesquelles les biologistes n'ont plus leur mot à dire au sujet de l'équipement et de la stratégie. Il existe encore des laboratoires PME, dont celui dont je fais partie. En raison de leur puissance industrielle et des capitaux qu'ils peuvent lever pour s'équiper rapidement, les grands groupes ont leur mot à dire. Mais les petits laboratoires, par leur adaptabilité et leur capacité de pénétration du milieu de la santé, peuvent toucher beaucoup de patients. Nous avons regretté que les parts sociales des laboratoires soient passées des professionnels de santé aux fonds de pension, ce que toutes les personnes présentes ont combattu, mais les deux modèles peuvent cependant s'associer et être efficients.
Je suis d'accord avec le docteur Cohen. En tant que biologiste libéral exerçant en Île‑de‑France, nos relations ont été excellentes avec l'ARS, mais toutes les ARS n'avaient pas les mêmes stratégies.
Je travaille dans deux régions, la Nouvelle‑Aquitaine et l'Occitanie. En Occitanie, nous avons travaillé ensemble naturellement, parce que nous avons des relations privilégiées avec l'ARS et une connaissance de proximité. Il faudrait que des comités de crise sanitaire permanents puissent réunir les acteurs qui sont impliqués : pour nous, ce sont les présidents des unions régionales des professionnels de santé (URPS), avec un représentant de l'ordre et un représentant des CHU. On peut mailler tout le territoire en concertation et agir en fonction des besoins, puisqu'il y a des zones plus en tension que d'autres.
Des entreprises de grande taille se sont développées, c'est vrai mais même s'il y a moins de 500 entreprises de biologie médicale en France, il y a toujours plus de 4 000 sites. Nous sommes toujours présents partout sur le territoire. Une entreprise de dix biologistes comme celle dans laquelle j'ai commencé n'aurait pas pu réaliser les investissements nécessaires à la RT-PCR. C'est bien parce que nous avons de grosses structures que nous avons pu prendre en charge autant de volume et d'activité.
Dans le Limousin, nous avons été peu affectés par le covid, mais de nouveaux cas viennent d'apparaître, qui sont le fait de gens rentrant de pays en zone rouge. Une de ces personnes est allée à un enterrement et on est à peu près sûr qu'il va y avoir un cluster. Il faut tester les gens qui rentrent en France. Il faut insister sur les gestes barrière et tester un maximum de personnes ciblées.
De nombreuses interfaces existent déjà entre les biologistes, les médecins généralistes et des organismes de tutelle comme les URPS et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). On pourrait commencer par faire appel à de tels organes pour coordonner une réponse harmonieuse.
Médecin généraliste de formation, j'habite en Asie où j'ai pu observer la gestion de la crise. Cette mission d'information doit nous aider à comprendre ce qu'il serait opportun de modifier, d'améliorer pour mieux gérer une éventuelle crise ultérieure.
Les automates que vous utilisez sont-ils réservés aux tests covid ou pourraient-ils servir à d'autres tests ?
L'inadéquation existant au début entre les kits de diagnostic et les appareils d'analyse était-elle évitable ?
Vous critiquez la procédure d'évaluation des nouveaux tests. Comment celle-ci peut-elle répondre à vos attentes et à celle des patients ?
Puisqu'un afflux de patients est possible, comment avez-vous prévu de vous coordonner entre vous pour améliorer la gestion du flux des demandes de tests ? J'imagine qu'un laboratoire saturé peut passer la main à un autre.
Comment absorber la forte demande de dépistage par les laboratoires afin d'éviter de trop longs délais d'attente ? Convient-il d'élargir les critères de prescription du dépistage au-delà des cas symptomatiques, par exemple, aux personnes souhaitant rendre visite à des personnes à risque ?
Le Gouvernement a prévu de tester 700 000 personnes par semaine. Ancien chef d'une petite PME, je m'étonne de vous entendre dire qu'il est compliqué d'embaucher. Vous vous avez les tests mais vous dites que ce n'est pas rentable ; vous n'avez pas le personnel suffisant mais vous ne pouvez pas embaucher. On a l'impression d'être dans une impasse. Pouvez-vous rassurer les Français ?
Qu'il s'agisse des masques ou des tests, le constat est le même : manque d'anticipation, changement de doctrine, acteurs pas informés, ordres et contre-ordres, absence d'autonomie. La logistique de distribution des masques a été compliquée à mettre en œuvre, et vous rencontrez des difficultés analogues pour les tests. L'arbre décisionnel très compliqué engendre du retard et un manque de réactivité.
Est-il judicieux de tester un grand nombre de personnes pour un taux de positivité de 1 %. Préconisez-vous de prioriser, et qui doit le faire ? Ne serait-il pas nécessaire de développer une action pédagogique au sujet du test négatif ? Des personnes testées négatives considèrent le problème comme résolu, alors que ce résultat n'est que ponctuel et qu'elles peuvent être testées positives une semaine plus tard.
Les deux excès sont constatés : d'un côté, des gens testés négatifs se croient entièrement immunisés et, de l'autre côté, dans des EHPAD, des patients à la sérologie positive continuent à être testés presque chaque semaine. Une cartographie des personnes pour lesquelles ce n'est plus utile devrait être établie. On a beau être dans une logique de tests, tests, tests, nous avons besoin d'un cadre et d'une priorisation.
Pour ce qui est du manque d'anticipation et de l'alternance d'ordres et de contre‑ordres, honnêtement, nous n'avions jamais vécu une telle situation – de la grippe H1N1 ou d'autres épidémies, aucune n'avait eu cette ampleur. Nous sommes mieux armés qu'au début pour réagir et tracer les patients positifs, mais pour être plus efficace, il faudrait davantage informatiser – c'est ce que préconise notre syndicat. Le SIDEP est une grande réussite. Continuer à disposer d'un dossier médical partagé informatique éviterait des redondances et de faire vingt sérologies VIH de suite pour un patient connu comme positif. Nous devons vraiment entrer dans le XXIe siècle !
Tous les laboratoires n'avaient pas les équipements nécessaires. Certes, il y a eu une concentration, mais des laboratoires des grands groupes ont été très performants pour tester massivement.
Comment mieux cibler ? Effectivement, les retours de voyage peuvent figurer dans le cadre à fixer.
Quant à embaucher, dans mon laboratoire, nous avons voulu recruter massivement des techniciens et des infirmières, mais ils sont très difficiles à trouver. Même si on en a la volonté, il n'est pas si facile d'embaucher.
Ce n'est pas un problème d'argent : on ne trouve ni infirmières ni techniciens ! Nous allons désormais accepter toutes les personnes qui souhaitent faire des tests sans ordonnance. Des gens inquiets ne seront-ils pas tentés de revenir plusieurs fois ?
Non seulement nous rencontrons des difficultés pour trouver des personnes compétentes, mais il faut assurer leur formation et les habiliter. Une secrétaire a besoin d'un mois de formation en plus de sa formation initiale. De même, les techniciens doivent-ils être habilités à nos techniques et à nos méthodes de travail. La formation interne est chronophage ; il faut y déléguer des personnels ce qui, dans une période de tension, est compliqué.
Nous avons des automates de grosses cadences, « ouverts », sur lesquels plusieurs techniques peuvent être adaptées. Heureusement, nous n'aurons pas que le covid à traiter. C'est pourquoi j'ai évoqué l'urgence d'organiser le dépistage de la grippe saisonnière. Ces appareils pourront le faire puisque la technique est comparable. On n'utilise pas les mêmes amorces ni les mêmes réactifs, mais de même que l'on effectue des dosages de cholestérol et de glycémie sur la même machine, on peut faire sur celles-ci une PCR de grippe, de clostridium difficile ou de paludisme. Nous avons aussi des petites machines « fermées » pour répondre aux urgences. Dans la clinique où je travaille, pour faire le tri des patients, les urgentistes ont besoin de savoir s'ils sont atteints du covid ou, en hiver, de la grippe. Comme on n'utilise pas le même type d'appareil pour agir au coup par coup et pour traiter de gros volumes, nous devons disposer des deux équipements pour répondre aux besoins de la population
À l'évidence, il faudra cibler les patients pour ne pas emboliser le système. Nous sommes harcelés d'appels téléphoniques plus ou moins pertinents. Il faut hiérarchiser les besoins.
Utiliser les mêmes automates, les convertir, pouvoir faire d'autres tests dessus, c'est ce qu'il faudrait faire.
Parallèlement, il faut faire évoluer la nomenclature des actes. Il y a toujours un expert de la HAS pour s'opposer, par exemple, à la remise en question de la vitesse de sédimentation, devenue obsolète. Cette crise peut être l'occasion de la remettre à plat et d'évoluer vers la validation de la biologie moléculaire que nous réclamons depuis 1999. La biologie moléculaire apporte des réponses très performantes : aux urgences, on peut analyser du liquide céphalo‑rachidien en une heure et poser un diagnostic de méningite. Dans le privé, contrairement au public, nous devons pouvoir le facturer mais, pour cela, il faut que l'acte soit répertorié.
Les journalistes parisiens ont constaté les délais d'attente dans les laboratoires. Cela dépend de chaque groupe. Certains se sont organisés pour embaucher, d'autres ont ouvert des plages plus grandes. Il faudra bien s'interroger collectivement sur la façon d'absorber une quantité énorme de patients dans un temps très court. À la rentrée, si la vague continue à monter, il faudra envisager des dépistages de plus grande ampleur, et tous les acteurs, privés et publics, devront être présents.
Je m'interroge sur le fait de retenir le critère des cas symptomatiques. Des patients qui viennent dans notre laboratoire pour un bilan banal de prévention sont asymptomatiques positifs sans que nous le sachions. Certes, il faut prioriser les personnes symptomatiques et les cas R0 envoyés par les médecins, mais il faut faire attention à tout le monde, et c'est ce qui entraîne des queues dans la rue. Dans l'Indre-et-Loire, nous avons très peu de cas, pourtant, chaque matin, une vingtaine de personnes font la queue devant mon laboratoire. Posez-vous la question politique de l'organisation du dépistage massif. Ce n'est pas tout de prendre des décisions puis de nous laisser faire. Il faut des directives claires. Au début, nous n'avions le droit de dépister que certaines personnes ; les autres devaient payer faute d'ordonnance. Il y avait une distorsion. Aujourd'hui, nous avons le droit de dépister, sur un billet d'avion, les patients français qui vont dans les îles, mais de nombreux autres partent ailleurs. Dépister, oui ; organiser, oui. Critériser ? Cela doit être clairement défini.
Je comprends la question relative aux critères d'embauche des entreprises, mais comment faire quand le volume des prescriptions d'actes augmente de 3 % par an alors que nous n'avons que 0,15 % d'autorisation d'augmentation ? On nous a demandé d'embaucher des qualiticiens, des ingénieurs qualité, des gestionnaires de stocks, des coursiers. Pour la première fois depuis une dizaine d'années, nous avons embauché des infirmières. Le prix des réactifs et les charges augmentent, mais l'augmentation du chiffre d'affaires est limitée à 0,15 %. Nous ne pouvons embaucher de façon extensible sans risquer de mettre en péril l'entreprise. Je rappelle que, conformément aux accords de branche, nous avons augmenté les salaires au 1er juillet et que nous devons respecter nos engagements en matière d'intéressement et distribuer des primes covid. Nous avons complété les salaires à 16 % et recouru au chômage pendant très peu de temps, entre le 17 mars et fin avril.
Quant au manque d'anticipation, la guerre se prévoit ; il aurait fallu s'organiser dès les mois de janvier et février. Dans certains EHPAD où nous sommes intervenus, les ARS ne connaissaient même pas les noms des résidents, dans d'autres, des personnes ont été testées plusieurs semaines de suite. En arrivant dans un établissement, nous devons savoir qui contrôler.
Il faut vraiment communiquer, effectivement, pour éviter de revenir à une pédagogie du VIH. Des gens venaient au laboratoire pour se faire contrôler puis, après avoir eu un comportement à risque, revenaient trois semaines plus tard, et ainsi de suite.
Concernant les infirmières, nous avons signé avec le syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL), l'organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (ONSIL) et la fédération nationale des infirmiers (FNI) un accord de revalorisation de l'AMI à 3,10 euros. J'ai plaidé auprès du directeur de la CNAM pour la création d'une clé spécifique afin que les infirmières puissent prélever dans les drives et les laboratoires, mais l'ordre des infirmiers s'y est opposé. Une infirmière ne peut pas être payée directement par un laboratoire. Chaque soir, elle doit remettre la liste des patients qu'elle a traités, faire le décompte sur son ordinateur et envoyer la facture de prélèvements à la sécurité sociale. Nous n'avons pu non plus résoudre le problème des remplaçantes.
Il y a quinze jours, Daniel Villers a déclenché un « plan blanc » des personnels libéraux. En cas de crise, une organisation libérale doit être capable de prendre le relais. Quand notre laboratoire a annoncé qu'il allait faire appel à des infirmières libérales, nous avons reçu quatre-vingt-quatre demandes de formation – nous couvrons, il est vrai, différents départements. Il est normal que les infirmières libérales soient intéressées. Comme leur activité était réduite, elles étaient contentes de trouver à travailler avec nous. Je suis d'accord avec vous, le système libéral doit être organisé et privilégié mais si on nous donne une ville de 250 000 habitants à dépister, les infirmières libérales et les biologistes ne pourront pas le faire seuls. Il faut une organisation coordonnée des soins.
Après la crise, beaucoup de structures, petites ou grandes, se sont équipées d'automates à petite et haute cadence ouverts, alors que nous avions principalement des automates fermés. Encore faut-il qu'à faible cadence, ces automates soient rentables en répondant à un besoin local précis. Je ne sais pas s'il est pertinent de tester le tout-venant. Nombre de biologistes sont favorables à un ciblage des aéroports et des personnes qui ont participé à des regroupements.
Le recours aux infirmières libérales était déjà administrativement très lourd et leur activité libérale a depuis repris. Il y a un délai de latence, nos ressources humaines ne sont pas instantanément extensibles. Un mois à un mois et demi est nécessaire pour former des collaborateurs.
Comme le docteur Blanchecotte, notre syndicat estime qu'il faut mieux coordonner les biologistes, les médecins et les ARS. Il existe des réseaux, capitalistiques, comme UNOVIE, ou de biologistes indépendants, comme le LBI, mais ils communiquent assez mal entre eux. Articuler leurs réponses coordonnées sur un lieu particulier peut être profitable. Si on lance des campagnes de dépistage à l'échelle d'une ville, un seul laboratoire ne pourra pas y arriver.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 18 heures
Présents. – Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Jean‑Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, M. David Habib, Mme Michèle Peyron.
Excusé. - M. Olivier Becht.