La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
Audition, ouverte à la presse, de Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes, sur le suivi du plan d'action relatif à l'Accord Économique et Commercial Global avec le Canada (AECG CETA) et la préparation de l'étude d'impact qui sera jointe au futur projet de loi de ratification.
Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes, afin de l'entendre au sujet du suivi du plan d'action relatif à l'Accord économique et commercial global avec le Canada (AECGCETA) et la préparation de l'étude d'impact qui sera jointe au futur projet de loi de ratification.
Notre invitation a été motivée, madame la secrétaire générale, par la mission de coordination qui vous a été confiée par le Premier ministre pour la rédaction de l'étude d'impact devant accompagner le futur projet de loi de ratification de l'Accord économique et commercial global avec le Canada, dit CETA. Notre commission avait demandé au Premier ministre la mise en place de cette mission de coordination : en effet, dans la mesure où le Parlement va devoir se prononcer sur le projet de ratification du CETA, il nous semblait indispensable qu'il puisse disposer d'une étude d'impact exemplaire, à la fois par sa méthodologie et par son exhaustivité. Nous avons formulé notre demande à la suite d'un constat partagé par tous les députés de cette commission, à savoir le caractère insatisfaisant et lacunaire des études d'impact réalisées jusqu'ici, tant au niveau européen que national, en amont des accords commerciaux européens.
Le Premier ministre nous en a donné acte, en indiquant dans un courrier que l'étude d'impact devait être suffisamment fine pour porter un éclairage pertinent sur les effets économiques attendus du CETA sur les différents secteurs de l'économie française, et que cette étude d'impact, qui serait confiée à des experts indépendants, devrait contenir une estimation des effets pour chacune des régions. Le Premier ministre disait également vouloir permettre à la représentation nationale de contribuer au cahier des charges de l'étude.
Je rappelle que nous avions eu, début juin, un échange en bureau élargi avec les experts du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), chargé de la partie économétrique de cette étude. À cette occasion, nous avions constaté un large décalage entre les souhaits que nous avions exprimés et ce que les experts se déclaraient en mesure d'intégrer à l'étude d'impact. Nous avions également été surpris que le CEPII se soit contenté de recevoir la Direction générale du Trésor, ce qui constituait de notre point de vue une commande plutôt vague et informelle.
Nous sommes très heureux de voir qu'il y a maintenant, en votre personne, un pilote dans l'avion des études d'impact ! Ce que nous souhaiterions savoir aujourd'hui, c'est où nous en sommes de la préparation de l'étude d'impact et quels sont les paramètres économétriques. Ces paramètres ont-ils évolué ? Disposera-t-on bien d'une étude d'impact, filière par filière ? Les éléments promis seront-ils effectivement intégrés ? Quel bilan peut-on dresser du plan d'action gouvernemental relatif au CETA et de l'entrée en application dite provisoire du CETA depuis le 21 septembre 2017 ?
Par ailleurs, il me semble important d'élargir nos débats à la politique commerciale européenne dans son ensemble, puisque nous aurons, le moment venu, à évoquer d'autres accords. Le Conseil européen des ministres du commerce qui s'est tenu en mai dernier a décidé de renoncer à la mixité pour certains accords commerciaux – ce que, personnellement, je regrette. L'accord signé avec le Japon en juillet n'est donc pas mixte, et d'autres, en cours de finalisation avec Singapour et le Vietnam, ne le seront pas non plus. Il me semble donc plus important que jamais que les parlements nationaux soient en mesure d'exprimer leur point de vue le plus en amont possible, et évidemment d'avoir accès au contenu des mandats et aux documents de négociation.
Le Gouvernement s'est fixé pour objectif que les futurs accords commerciaux comprennent des engagements contraignants, par exemple que le non-respect éventuel de l'Accord de Paris par un partenaire puisse justifier une suspension de l'accord commercial avec lui ou un recours à l'arbitrage interétatique prévu par ce type d'accord. Quelles avancées a-t-on pu constater en la matière dans les accords récemment signés ou en cours de finalisation ? Que pouvez-vous nous dire des négociations en cours ou prévues avec différents pays ou blocs de pays d'Amérique latine ? Je rappelle à ce sujet qu'un nouvel accord commercial avec le Mexique a été annoncé, et que les négociations avec le MERCOSUR apparaissent difficiles.
La responsabilité nouvelle qui est la vôtre, et votre présence parmi nous, constituent l'aboutissement d'un long travail préparatoire. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous entendre sur tous les points que j'ai évoqués. Je vous donne la parole pour un exposé liminaire, avant que nous n'ouvrions un débat sous la forme d'un échange de questions et de réponses.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation. C'est avec grand plaisir que j'ai accepté de venir vous rendre compte de l'action du Gouvernement sur la mise en oeuvre du plan d'action du CETA, notamment de la préparation de l'étude d'impact qui sera publiée au moment de la ratification de l'accord. Comme vous le savez, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), placé sous l'autorité du Premier ministre, est chargé de la coordination interministérielle sur les questions européennes, et garant de la cohérence des positions françaises portées à Bruxelles – une attribution d'autant plus importante dans les matières dites de compétence exclusive. La coordination interministérielle prend tout son sens dans le cadre de ces accords de commerce, qui ont des implications en matière d'agriculture, d'environnement, de choix de société, et qui peuvent concerner aussi bien nos régions métropolitaines que nos départements d'outre-mer. Je vais aujourd'hui vous faire part de quelques avancées puisque, si le SGAE est chargé de faire le lien avec les administrations et les institutions européennes, il doit également rendre compte devant le Parlement national et la société civile – c'est tout le sens de ma présence devant vous.
Comme vous le savez, le Président de la République a la conviction qu'il faut redéfinir le cadre de la politique commerciale européenne – le statu quo n'est pas une option. Dans le discours qu'il a prononcé à la Sorbonne le 26 septembre 2017, il y a tout juste un an, le Président avait exprimé sa volonté de rendre la politique commerciale plus équitable, plus transparente, plus cohérente avec le Marché unique, mais aussi plus exigeante, surtout en matière sociale et environnementale.
Les accords de commerce créent des opportunités pour nos entreprises, donc pour l'emploi en France. Ainsi, les possibilités offertes par l'accord entre l'Union européenne et la Corée du Sud ont permis, depuis 2011, une augmentation de plus de 59 % des exportations de l'UE vers la Corée. On a également constaté une augmentation de 7 % des exportations européennes vers le Canada, un an après l'entrée en vigueur provisoire du CETA, notamment pour ce qui est des produits pharmaceutiques, des parfums, des cosmétiques et du prêt-à-porter. Les bénéfices de l'accord profitent directement aux entreprises françaises, qui affichent une augmentation de 43 % de leurs exportations pour les parfums et eaux de toilette, de 11 % pour les vins et de 41 % pour les accessoires de véhicules.
Notre objectif est que ces accords de commerce n'aient pas seulement pour objet de promouvoir le libre-échange et l'augmentation du volume du commerce, mais aussi le juste échange : en d'autres termes, nous souhaitons que ces accords soient cohérents avec nos choix collectifs et qu'ils agissent aussi comme des leviers nous aidant à atteindre nos objectifs en matière de développement durable.
Cette véritable refondation de la politique commerciale – que nous préférons désigner par l'expression « nouvelle approche de la politique commerciale » pour ne pas effrayer nos partenaires européens, qui ne voient pas d'un très bon oeil notre volonté de refondation – a d'abord pour objet de continuer à ouvrir de nouveaux marchés pour nos entreprises, comme celui du porc ou du boeuf en Chine, ou celui des fromages au Canada.
Au-delà du volume des échanges, nous souhaitons également améliorer la qualité de ceux-ci. Pour défendre et promouvoir des normes sanitaires, sociales, environnementales et climatiques, nous voulons protéger notre agriculture tout en lui offrant la possibilité d'accéder à de nouveaux marchés, dont notre agriculture a énormément besoin, et en promouvant notre modèle de production ou notre modèle d'indication géographique, comme nous avons pu le faire dans le cadre de l'accord avec le Canada. Nous voulons évidemment que ces accords de commerce protègent le principe de précaution, et favorisent la mise en oeuvre de l'Accord de Paris et le plein respect des conventions internationales de l'Organisation internationale du travail (OIT). Enfin, ces accords doivent, autant que possible, impliquer les parlements nationaux et la société civile.
Tout ce que je viens de vous décrire représente un véritable changement de paradigme, auquel nous nous sommes attelés il y a maintenant plusieurs mois, et dont nous commençons à voir les résultats. Alors même qu'on assiste à des mouvements géopolitiques de grande ampleur, et que les États-Unis jouent clairement la carte de l'affrontement commercial et de l'unilatéralisme, du côté des Européens la philosophie est radicalement différente : il s'agit d'utiliser le commerce non pas comme une arme de guerre, mais comme un moyen de défendre et d'exporter nos normes et nos valeurs de développement durable. Nous avons engagé un dialogue soutenu avec la Commission européenne sur le nouveau paradigme que nous nous efforçons de mettre en place et, si elle se montre sensible à notre discours, la convaincre pleinement nécessite un effort permanent de notre part.
Comme vous le savez, le CETA est un accord très important, et nous nous sommes engagés très tôt par la mise en place d'un dispositif particulier, à savoir une commission indépendante chargée d'évaluer l'impact attendu de l'entrée en vigueur du CETA sur l'environnement, le climat et la santé. Pour ce qui est de notre plan d'action, je dirai que l'idée est d'aboutir à une mise en oeuvre aussi exemplaire que possible, afin que nous soyons en mesure de nous servir de cet accord comme d'un modèle à partir duquel il pourrait être possible de construire une nouvelle manière de faire du commerce et de conclure des accords de commerce à l'avenir. En ce sens, l'accord avec le Canada constitue un premier pas décisif vers la politique commerciale nouvelle que nous promouvons.
Je vais vous donner quelques chiffres montrant que la mise en oeuvre du CETA commence à produire ses effets positifs. Comme vous le savez, si le Canada a imposé des droits de douane très élevés – plus de 200 % – sur les fromages en provenance de l'Union européenne, il a ouvert des contingents extrêmement élevés pour l'importation de ces produits, en particulier pour les fromages français. Ces contingents ont rapidement été saturés – ils l'étaient à hauteur de 96 % dès l'année dernière. Les résultats sont également très bons pour les produits laitiers, ainsi que pour les vins et spiritueux. À ce jour, le CETA produit donc des résultats indéniablement bénéfiques pour nos exportations.
Après avoir évoqué les différents axes de notre plan d'action, je dresserai un état des lieux de la préparation de l'étude d'impact – que vous souhaitez aussi robuste et éclairante que possible, madame la présidente, afin d'en faire un modèle pour les accords qui seront conclus à l'avenir entre l'Union européenne et des pays tiers, notamment le Royaume-Uni à l'issue du processus de retrait de ce pays de l'Union européenne.
Pour ce qui est du plan d'action, je vous renvoie au site du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui met régulièrement à jour un tableau de suivi. Le premier axe consiste à s'assurer que le CETA fera l'objet de modalités d'application exemplaires pour garantir que les normes sanitaires et environnementales seront appliquées, qu'elles seront préservées et qu'elles ne seront pas menacées des recours abusifs d'investisseurs étrangers.
Comme je vous l'ai dit, le taux d'utilisation des contingents de produits agricoles octroyés par l'Union européenne au Canada est extrêmement faible. Ainsi, pour ce qui est du boeuf et du porc, il est intéressant de constater qu'entre janvier et août 2018 le Canada n'a exporté vers l'Union européenne que 446 tonnes équivalent-carcasse (TEC) de boeuf sur un contingent ouvert de 45 000 tonnes, et 351 tonnes équivalent-carcasse de porc sur un contingent ouvert de 75 000 tonnes : comme vous le voyez, pour l'instant, la mise en oeuvre de l'accord profite bien plus aux partenaires européens du Canada qu'à lui-même : on ne peut pas dire qu'on assiste à une déferlante de viande canadienne en Europe ! Il y a une raison très simple à cette situation, c'est que le Canada n'est pas encore en mesure d'exporter massivement ses produits vers l'Union européenne.
En effet, nous avons imposé un certain niveau de normes, et les filières canadiennes d'exportation de viande bovine ou de viande porcine ne remplissent pas, pour le moment, les conditions leur permettant de satisfaire à ces normes ayant pour objet de garantir le respect de la totalité des standards de protection des consommateurs européens – par exemple, le Canada ne possède pas de filière de production de boeuf garantie sans hormones de croissance, ni de filière de production de porc sans ractopamine. Les services du ministère de l'économie et des finances exercent une surveillance permanente sur ce point, afin que nous soyons immédiatement informés de l'éventuelle mise en place par le Canada d'investissements visant à la mise en place de filières répondant aux exigences européennes, ce qui me permet de vous indiquer qu'il n'a pas été entrepris grand-chose par nos amis canadiens à ce jour.
À l'inverse, les chiffres portant sur l'utilisation des contingents ouverts par les Canadiens pour l'importation de produits européens montrent qu'au bout d'un an de mise en oeuvre provisoire, l'application du CETA est bénéfique aux Européens, puisque sur un contingent ouvert de 18 500 tonnes de fromage, nous en avons exporté 5 000 tonnes à ce jour – quant au contingent au prorata, il a été utilisé presque en totalité.
Pour le moment, nous n'avons donc aucun motif d'inquiétude, ni pour les exportations, ni pour les importations.
Le respect d'un certain nombre de normes sanitaires et phytosanitaires est un point que nous avons pris soin de mettre en avant dans la négociation et dans le texte de l'accord, de façon à ce qu'on ne puisse pas remettre en cause un principe fondamental du Marché intérieur dans l'Union européenne, selon lequel tout produit importé au sein de l'Union européenne doit impérativement être sûr et ne représenter aucun danger pour la santé des consommateurs. Il s'agit là d'un principe très fort – que nous défendons également dans le cadre de la négociation du Brexit –, et qui ne peut souffrir aucune espèce d'exception.
En matière alimentaire, cela implique que les filières étrangères de denrées d'origine animale ne peuvent exporter vers l'Union européenne qu'après l'obtention d'une autorisation de la Commission européenne, délivrée à la suite d'un audit sur place effectué par la direction générale Santé de la Commission, et dont l'issue est soumise à l'appréciation des États membres. Nous demandons que des audits et des contrôles soient faits régulièrement auprès de nos partenaires commerciaux et, pour vous donner un ordre d'idée, la Commission a effectué plus de cinquante audits en pays tiers en 2016. Celui qui a été réalisé au Canada a donné des résultats satisfaisants, et nous avons demandé à la Commission d'en refaire un en 2019, afin d'être en mesure de vérifier l'évolution de la situation entre 2016 et 2019.
Sur la base de ces audits, les services de l'État contrôlent, lors de leur entrée sur le territoire de l'Union européenne, toutes les denrées alimentaires d'origine animale : elles font l'objet d'un contrôle documentaire systématique, et de prélèvements effectués de façon aléatoire en fonction d'une analyse des risques. Ces contrôles, mis en oeuvre par le ministère de l'agriculture et ses services chargés de la sécurité sanitaire, sont renforcés en cas de suspicion de non-conformité ou lorsque certains risques sont identifiés en amont, la plupart du temps dans le cadre de la coopération douanière mise en place entre les pays partenaires. Si la détection d'une non-conformité peut conduire à la perte d'autorisation d'exporter, je précise qu'à ce jour, aucun incident n'a été relevé avec le Canada. Enfin, l'ensemble des denrées alimentaires importées font également l'objet de contrôles aléatoires lors qu'elles se trouvent sur le Marché intérieur, tout au long de la chaîne de distribution – comme c'est le cas, d'ailleurs, pour les produits européens En France, ces contrôles sur le Marché intérieur sont mis en oeuvre à la fois par le ministère de l'agriculture et par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en fonction des compétences de chacun.
Il va de soi que, pour ce qui est des produits venant du Canada, l'Union européenne se tient prête, en cas de difficulté, à prendre les mesures autorisées par le droit de l'Union pour inspecter et éventuellement bloquer les produits canadiens qui ne seraient pas conformes aux réglementations européennes, notamment en matière d'usage des hormones de croissance ou d'étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Je précise que les services de l'État chargés des contrôles réglementaires, que ce soit la direction générale de l'alimentation (DGAL), la DGCCRF ou encore les douanes, vont faire l'objet de renforts particuliers dans le contexte de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Nous aurons des contrôles supplémentaires à effectuer, mais nous serons encore mieux équipés et mieux dotés en personnels – des recrutements sont prévus par le prochain projet de loi de finances.
Nous finaliserons prochainement les modalités de la mise en place du tribunal d'investissement du CETA. Nous voulons, là aussi, mettre en place un modèle exemplaire, pouvant servir de base à d'autres accords. Nous avons défendu la mise en place d'un code de conduite qui comporte des règles éthiques strictes concernant les juges de ce tribunal d'investissement, notamment l'obligation pour les membres du tribunal de se soumettre à des obligations de transparence sur leurs intérêts passés ou présents, afin d'éviter tout conflit d'intérêts. Bien entendu, nous souhaitons que toute violation de ce code de conduite fasse l'objet de sanctions efficaces, pouvant aller jusqu'à la révocation du juge par l'Union européenne et par le Canada. Des textes sont actuellement discutés au Conseil et soumis à la partie canadienne et, si tout va bien, nous devrions parvenir à un accord courant 2019, en tout état de cause avant l'entrée en vigueur du tribunal d'investissement.
Par ailleurs, nous travaillons intensément avec le Canada sur la mise en place de ce qu'on appelle le « veto climatique », c'est-à-dire un mécanisme d'interprétation conjointe contraignante, qui permettra d'apporter une garantie additionnelle à notre droit à réguler. C'est là un sujet central du plan d'action du CETA, sur lequel nous avons effectué, depuis plusieurs mois, un vrai travail de fond avec la Commission afin de répondre aux inquiétudes exprimées par la société civile à ce sujet. Je le répète, le CETA garantit le droit de l'Union européenne, des États membres et du Canada à réguler pour des objectifs légitimes des politiques publiques. Un investisseur privé canadien qui attaquerait, par exemple, une législation environnementale française, n'aurait aucune chance de gagner.
Si on cite souvent les actions intentées par Philip Morris contre l'Australie et contre l'Uruguay, on oublie de préciser que ces actions se sont soldées par des décisions en défaveur du fabricant de cigarettes. En tout état de cause, le mécanisme que nous voulons mettre en place avec le Canada doit permettre la mise en place d'une protection additionnelle du droit à réguler, en permettant à l'Union européenne ou au Canada de confirmer à tout moment d'un commun accord la compatibilité avec le CETA de mesures d'intérêt général que nous serions amenés à prendre pour éviter tout recours contre de telles mesures devant le tribunal des investissements. En pratique, nous allons nous mettre d'accord sur un certain nombre de législations qui ne pourront pas être attaquées – notamment des législations environnementales ou contre le changement climatique dans le cas de l'Accord de Paris, mais aussi, plus largement, des législations relatives à la protection de la santé publique ou des consommateurs, à la protection sociale ou à la promotion de la diversité culturelle.
Après la phase actuelle de travail intense avec la Commission, nous passerons à la phase, sans doute tout aussi difficile, de discussion au Conseil. Dans la mesure où nos partenaires européens seront d'accord, nous pourrons ensuite travailler concrètement avec le Canada. D'après ce que nous savons de nos contacts bilatéraux avec le Canada, ce partenaire partage complètement notre souhait de veiller au mieux à la protection de son propre droit à réguler : c'est donc un intérêt bien compris des deux partenaires de l'accord de commerce que de travailler en ce sens et d'aboutir à un résultat exemplaire. D'ailleurs,le 26 septembre dernier, en marge de la première réunion du comité mixte réunissant l'Union européenne et le Canada et des discussions sur la mise en oeuvre de l'accord, les deux parties ont réaffirmé leur volonté de coopérer pour mettre en place de façon effective l'Accord de Paris, ce qui constitue une avancée importante.
Notre objectif est de parvenir à ce que le mécanisme d'interprétation conjointe contraignante soit adopté pour le début 2019, en sanctuarisant des législations sur le développement durable. Il n'y a pas de craintes à avoir par rapport à ce délai, dans la mesure où il ne sera pas mis en place de tribunal d'investissement sans qu'il y ait eu une ratification totale de l'accord. Notre ambition est par ailleurs de faire en sorte que ces règles de procédure s'appliquent également aux autres accords d'investissement actuellement négociés par l'Union européenne.
Pour le suivi de cet accord de commerce, il est prévu une gouvernance assez classique, réunissant l'Union européenne, la Commission et le Canada au sein du comité mixte, mais aussi de treize sous-comités sectoriels, dont plusieurs sont ouverts aux États membres, notamment le comité sur les investissements et le comité sur les questions sanitaires et phytosanitaires – nous avons expressément demandé à y participer. Je précise que tous ces comités et ces réunions sont préparés par la Commission avec le Conseil et qu'aucun des comités ne peut, dans le cadre de son travail d'échange permanent entre les deux parties à l'accord, modifier le cadre juridique européen. Par ailleurs, un effort de transparence a été accompli, puisque les ordres du jour de ces réunions et les comptes rendus sont publiés par la Commission, qui les fait figurer sur la page de la direction générale Commerce consacrée au CETA.
Le deuxième axe du plan d'action consiste à mettre en oeuvre des actions complémentaires au traité pour renforcer la coopération internationale sur les enjeux climatiques. À ce titre, nous avons signé au mois d'avril dernier un partenariat autour de neuf engagements concrets. Nous allons ainsi mener un travail très important avec le Canada au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI) afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre résultant du transport international.
Le troisième axe du plan d'action, qui concerne la prise en compte du développement durable dans les futurs les accords de commerce, a également permis quelques avancées. Cependant, je ne vous cacherai pas que nous avons du mal à imposer à Bruxelles l'idée selon laquelle les accords de commerce doivent contribuer de façon effective au relèvement des standards sociaux et environnementaux, en revêtant un caractère contraignant : c'est un sujet sur lequel nous bataillons encore, même si c'est un combat que nous menons de façon isolée.
Malgré ces difficultés, nous avons pu engranger, depuis un an, un certain nombre d'avancées significatives dans d'autres discussions – discussions déjà en cours d'accords de commerce, ou discussions de mandat de négociation.
L'accord entre l'Union européenne et Japon, signé le 17 juillet dernier, comporte ainsi un engagement explicite à respecter et à mettre en oeuvre de manière effective l'accord de Paris. Il comporte également une référence expresse au principe de précaution, ce qui répond à une demande très forte de la société civile et des parlements nationaux, notamment le parlement français, un engagement à respecter des normes fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des clauses promouvant la responsabilité sociale des entreprises et les investissements responsables, ainsi que des mécanismes permettant à la société civile de surveiller le respect des engagements pris dans le domaine du commerce et du développement durable.
Dans le cadre de l'accord que l'Union européenne et Singapour devraient signer très prochainement, sans doute le 18 ou le 19 octobre prochain, nous avons aussi obtenu toutes ces avancées, avec en plus l'inclusion de règles spécifiques pour les biens verts : des barrières non tarifaires seront levées plus facilement pour des biens qui contribuent à la lutte contre le changement climatique et à la protection de l'environnement. C'est une nouveauté que nous avons pu introduire.
Quant à l'accord conclu par l'Union européenne et le Mexique le 21 avril dernier, nous avons pu y inclure, dans le chapitre dédié à l'énergie, des dispositions qui promeuvent le développement des énergies renouvelables. C'est aussi notre demande dans les négociations avec le MERCOSUR, qui se passent moyennement bien, de même que dans celles avec le Chili, dont l'objet est de moderniser un ancien accord.
Nous avons également pu intégrer de nombreux éléments de cette nouvelle approche de la politique commerciale dans les mandats de négociation avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande que nous avons discutés et adoptés au mois de mai dernier. Ainsi avons-nous obtenu des clauses de réduction des émissions pour le transport international – c'était important, vu la distance qui nous sépare géographiquement de ces partenaires commerciaux –, des dispositions permettant, c'est assez nouveau, la prise en compte des standards sociaux et environnementaux pour l'accès aux marchés publics et celle des contingents agricoles octroyés et obtenus dans les négociations précédentes. Ce dernier point est essentiel parce qu'il correspond à une demande sur laquelle nous n'avons pas fini de « batailler » à Bruxelles : la question de la détermination d'une enveloppe globale de contingents. Il s'agirait de faire que la Commission, dans ces négociations multiples qu'elle mène parfois sur plusieurs fronts, tienne compte de l'ensemble des contingents déjà octroyés et obtenus afin de déterminer le niveau admissible d'ouverture de nouveaux contingents au moment de négocier de nouveaux accords. Tenir compte, lors de la négociation de nouvelles ouvertures de marchés, de ce qui a été fait précédemment peut paraître de bon sens, mais cela n'allait, et ne va, pas forcément de soi. Nous demandons donc à la Commission européenne de mettre en place ce mécanisme d'enveloppe globale pour que puissent être comptabilisés l'ensemble des engagements, y compris les engagements multilatéraux pris dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Par ailleurs, comme vous le savez, le Conseil a pris des mesures pour améliorer la transparence des négociations. Tous les mandats de négociation – UE-Chili, UE-Australie, UE-Nouvelle-Zélande – ont été publiés in extenso.
Deux points restent très difficiles. Nous avons beaucoup de mal à convaincre nos partenaires que les chapitres consacrés au développement durable doivent avoir un caractère contraignant. C'est un combat très compliqué, qui n'est pas terminé.
Par ailleurs, nous déployons aussi des efforts à tous les niveaux, du Président de la République jusqu'à l'expert qui travaille dans les groupes techniques sur ces questions pour l'inclusion de l'Accord de Paris parmi les éléments essentiels des accords de l'Union européenne. Cette inclusion permettrait à l'Union européenne de suspendre un accord de commerce avec un partenaire qui sortirait de l'accord de Paris ou qui en violerait les obligations juridiquement contraignantes. Au niveau technique, nous avons essayé de trouver les formulations juridiques les plus adaptées, les plus appropriées à cet objectif. Au niveau politique, nous avons fait valoir aussi la valeur symbolique de cette décision : ce sera un signe fort de l'engagement de l'Union européenne dans la lutte contre le changement climatique. Une majorité, voire une très forte majorité, de nos partenaires européens, restent réticents à lier politique commerciale et politique climatique. Nous n'en restons pas moins mobilisés et déterminés.
Cela se traduit par un refus de négocier tout accord de commerce avec des partenaires qui ne seraient pas engagés, résolument, comme nous, dans la lutte contre le changement climatique. Cela exclut par exemple clairement que l'on aboutisse, dans le cadre du dialogue qui a été engagé avec les États-Unis à la suite de la déclaration conjointe faite par l'Union européenne et les États-Unis à Washington à la fin du mois de juillet dernier, à la négociation d'un véritable accord de commerce sur le modèle du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP).
Beaucoup de nos idées, de vos idées, mesdames et messieurs les députés, font donc leur chemin chez nos partenaires, parfois difficilement, mais nous nous battons. J'ai compté, au bout d'un an, qu'une quinzaine de nos propositions ont pu être reprises dans cette nouvelle approche de la politique commerciale.
Des études d'impact comme celles qui ont accompagné les précédents projets de loi de ratification des accords de commerce ne seraient pas à la hauteur des attentes, nous le savons. Notre souhait est d'avoir désormais d'autres outils, des études d'impact d'un nouveau genre, et de renouveler l'exercice. Nous voulons donc vous fournir, à l'occasion de l'examen pour la ratification de l'accord avec le Canada, une nouvelle génération d'études d'impact, complémentaires de celles faites, notamment, par la Commission européenne.
Nous avons confié au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) la réalisation d'une étude « classique », pour vérifier l'équilibre général de l'accord. Plusieurs réunions de cadrage avec le CEPII ont permis de fixer les grandes lignes de cet exercice. Nous lui avons quand même demandé, quitte à bousculer un peu ses habitudes, d'aller au-delà de ce qu'il fait habituellement. Nous lui avons ainsi demandé d'intégrer et de tenir compte, dans son modèle statistique, de l'ensemble des enchaînements économiques liés à la réduction des droits de douane et des barrières non tarifaires entre l'Union européenne et le Canada, notamment afin d'évaluer l'impact du CETA sur le volume des échanges, le produit intérieur brut (PIB), le pouvoir d'achat et l'emploi par rapport à un contrefactuel. En termes géographiques, le modèle utilisé pour l'étude d'impact du CEPII divise le monde en vingt-sept grandes régions, la France ne sera qu'une seule d'entre elles, mais nous avons demandé au CEPII un affinage pour que vingt-six secteurs soient particulièrement étudiés, notamment ceux de la viande rouge, de la viande blanche, des produits laitiers, des céréales et du sucre. Ce sont là des nouveautés par rapport à nos demandes habituelles. Ce modèle de référence du CEPII sera encore amélioré pour inclure les scénarios du respect de l'Accord de Paris et du prix du carbone, et pour mesurer les effets du CETA sur les émissions de CO2, de méthane, de gaz fluoré et de protoxyde d'azote. En résumé, cela permettra de mesurer l'empreinte carbone de l'accord avec le Canada. Les effets en termes d'émissions liées au transport international devraient également pouvoir être pris en compte.
En plus de cette étude d'impact du CEPII « augmentée », à la suite de votre demande, nous avons décidé d'essayer de mesurer plus finement, au niveau microéconomique, l'impact de l'accord entre l'Union européenne et le Canada. Le CEPII se situera un peu au niveau « macro » ; l'idée est d'avoir une étude d'impact un peu au niveau « micro » – je caricature un peu, cela permet de comprendre. Comme l'étude du CEPII ne descendra pas au niveau des régions, elle sera complétée par une étude « micro », qui le fera, comme vous l'avez demandé, notamment pour évaluer l'impact sur le secteur de la viande rouge, en essayant peut-être d'aller un peu plus loin si c'est possible, mais je vous expliquerai les contraintes auxquelles nous sommes soumis.
La décision a été prise durant cet été de confier une mission à des inspections, non pas le CEPII, ni un organe indépendant, mais des inspections d'administration expertes soit de la chose statistique soit de la chose environnementale ou agricole – l'inspection des finances, le conseil général de l'environnement et du développement durable, le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux. Elles ont été mandatées pour essayer de mener cette étude par filières agricoles au niveau régional. L'objectif de cette mission dirigée par Anne Perrot, inspectrice générale des finances, est de cartographier les données disponibles et de proposer à l'administration des pistes pour analyser de manière plus granulaire l'impact de l'accord sur cinq filières que nous avons identifiées comme « sensibles », particulièrement exposées à la concurrence des flux d'échanges internationaux : viande bovine, viande porcine, viande de volaille, éthanol et sucre. Cette mission a vocation à rendre un rapport préliminaire à la fin de l'année ou au début de l'année 2019.
Cette cartographie visera à réunir l'ensemble des données disponibles mais il faut rester modeste, car il n'est pas simple de les réunir. Ce sont des données dont disposent le ministère de l'agriculture, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les douanes, la Commission européenne, mais aussi des organisations publiques, des fédérations professionnelles, voire des entreprises privées. Nous allons essayer de recenser ces données, de croiser ces sources et d'établir une mesure réelle aussi précise et détaillée que possible des volumes d'importation en France dans ces cinq filières sensibles. Nous n'avons pas d'observatoire, d'endroit qui centralise la mesure statistique de ces échanges commerciaux pour affiner, notamment, au niveau infranational. Les données statistiques sont partielles, et nous avons donc demandé à cette mission de faire ce travail de recensement et de « recollecte », de rassemblement des données ; c'est inédit, c'est innovant, et il faut être conscient de la difficulté de la mission. J'ai encore vu Anne Perrot il y a deux jours, qui me disait que c'était quand même une entreprise de grande envergure, mais elle a bien compris que le sens de cette démarche est de faire quelque chose qui puisse être applicable bien sûr au CETA mais aussi, ensuite, à d'autres accords. L'idée est de construire un outil pour disposer de ces données.
Par exemple, certaines importations destinées au marché français n'entrent pas par les frontières françaises. C'est l'« effet Rotterdam » : une fois que la marchandise qui vient du Canada en destination de la France est arrivée à Rotterdam, elle arrive sur le territoire français mais elle n'est plus estampillée comme provenant du Canada, elle arrive via le marché intérieur. C'est d'ailleurs là que se doivent se mettre en place les contrôles dont je vous parlais tout à l'heure, non seulement au titre de la frontière, mais au titre du marché intérieur. Il va falloir appréhender cet « effet Rotterdam », en corriger les effets et, finalement, retracer les flux à partir de données dont nous ne disposons que de façon imparfaite. Je place donc personnellement beaucoup d'espoir dans ce travail. Cette mission de sept personnes, qui travaillent à plein-temps sur le sujet, est très motivée ; nous allons essayer de faire un travail sérieux. Nous leur avons également demandé de proposer une méthode de gouvernance, pour mettre en place cet observatoire des prix et des quantités et pouvoir mesurer l'impact des accords commerciaux sur nos filières les plus sensibles.
Voilà ce que j'avais à vous dire de nos efforts en faveur de cette nouvelle approche en matière de politique commerciale et sur ces études d'impact, dont j'espère qu'elles vous permettront très bientôt d'appréhender beaucoup mieux les conséquences sur nos échanges de cet accord de commerce.
Merci beaucoup, madame la secrétaire générale. Je prends acte de l'ensemble de ces améliorations en cours. Nous verrons ce qu'il en sera mais nous souhaitons effectivement une nouvelle génération d'études d'impact. Si nous commençons peut-être à construire et à penser les études d'impact de façon différente, c'est déjà une très bonne chose ; il faut sortir des études d'impact habituelles de la Commission européenne qui, honnêtement, n'étudient aucun impact – au niveau national en tout cas.
Et, la création, à terme, d'un véritable observatoire pérenne sur les impacts des échanges commerciaux pour la France serait une avancée démocratique considérable. Un observatoire outillé pour mesurer et suivre au fil du temps ces effets, notamment avec la montée en puissance de la filière bovine canadienne, me semblerait un progrès tout à fait substantiel.
Merci, chère Sandrine Gaudin, pour votre intervention.
Effectivement, depuis un an que cet accord est en place, nous pouvons nous satisfaire de l'absence de crise sanitaire ou de scandale, c'est une bonne chose, mais cela ne doit pas nous conduire à nous désarmer ou à prendre du retard dans nos travaux d'accompagnement : tout peut arriver à tout moment et compliquer notre agenda commercial, les ratifications et la perception des citoyens. Je suis ravi que le CETA reste l'objet de cette attention, alors même que ce n'est plus lui qui focalise, la négociation terminée, l'attention proprement politique. C'est vraiment essentiel, parce que si nous ne préparons pas l'atterrissage correct du CETA, la suite sera encore plus difficile.
Je me satisfais avec vous du fait que les exportations françaises et européennes se passent plutôt bien. Nous ne nous satisfaisons pas d'une diminution des importations depuis le Canada puisque nous n'avons pas une approche mercantiliste : ce doit être un accord « gagnant-gagnant » pour les deux parties. Espérons que ce qui est en train de se passer ne démotive pas trop les Canadiens dans l'accompagnement du dispositif.
En ce qui concerne la communication et la méthode, nous avons besoin de plus de simplification, de plus de synthèse, de plus de compréhension de ce qui avance et de ce qui n'avance pas. Les tableaux, c'est bien, c'est un premier progrès. Ce que vous avez dit est intéressant mais complexe pour se faire une idée un peu générale. Vous avez dit de façon très claire quels étaient les deux points difficiles : l'Accord de Paris et le caractère contraignant des stipulations relatives au développement durable.
Nous n'avons pas un temps infini à consacrer à ces sujets. Si nous pouvions voir plus clairement ce qui est avance et ce qui n'avance pas, cela nous aiderait à mieux à communiquer, à comprendre les interpellations dont nous continuons à être les destinataires de façon extrêmement régulière.
Par ailleurs, il est beaucoup question des pressions canadiennes dans les comités à propos de la réglementation du glyphosate en Europe. Cela nous inquiète beaucoup ; vous connaissez un peu notre attitude par rapport au glyphosate et l'engagement du président et du gouvernement sur la question. Que se passe-t-il donc ?
Nous n'avons pas beaucoup parlé des propositions faites par la France, notamment par le Président de la République, répétées à l'occasion de son discours à la Sorbonne et ailleurs, à propos du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne. C'est pourtant un sujet très important.
Vous avez cité de nombreux accords qui reprennent en tout ou partie les avancées du CETA. Nous aurions vraiment besoin de savoir, accord par accord, ce qu'ils comportent de plus ou de moins que le CETA, de façon très synthétique.
Merci beaucoup, madame la secrétaire générale, pour votre intervention.
Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés note trois grandes nouveautés par rapport à la pratique antérieure des accords : tout d'abord, une vision claire de la corrélation entre les accords de Paris et les accords commerciaux, qui est la vision du Président de la République, qui l'a exprimée sans ambiguïté et qui marque une avancée ; ensuite, le fait qu'un membre du Gouvernement présente, comme M. Lemoyne s'est engagé à le faire et le fait, à notre commission les mandats avant qu'ils ne soient validés, suivant une logique qui existe déjà en Allemagne, en vertu de laquelle l'exécutif vient échanger et ne nous laisse pas seulement spectateurs du processus ; enfin, ce que vous venez de nous dire sur la structuration des études d'impact. Effectivement, des études d'impact européennes sont intéressantes mais elles ne permettent pas de répondre aux questions ; c'est sur la viande bovine française que nous sommes interrogés dans nos circonscriptions. Ce sont là des avancées majeures.
J'appelle cependant votre attention sur plusieurs points.
Je crois comprendre que l'étude d'impact sur le CETA n'aura pas de volet sanitaire. Quelques points restent cependant matière à interrogations. Je songe aux antibiotiques, avec des impacts peut-être un peu plus difficiles à contrôler. Faudrait-il envisager cela à l'avenir ? Personnellement, un accord avec le Canada ne m'inspire guère d'inquiétudes de ce point de vue. En revanche, d'autres régions du monde n'ont pas du tout les mêmes références et normes sanitaires.
Nous avons évidemment beaucoup de mal à nous faire une idée de notre marge de manoeuvre. La position française est claire, l'absence d'enthousiasme de nos partenaires européens l'est également. Pour avoir passé quelques mois au cabinet de Peter Mandelson, alors commissaire au commerce extérieur, j'ai un peu vu, « côté Commission », comment cela se passait. Certes, ce n'est pas une Europe fédérale, mais c'est quand même une Europe à la compétence très exclusive en la matière. Quelle est donc la réalité de nos propres leviers d'action ? Autrement dit, nos intentions pourront-elles se traduire dans les faits ?
Quant aux États-Unis, j'ai bien compris votre message, très clair : pas d'accord avec les États-Unis s'ils ne sont pas partie à l'Accord de Paris. Cette position française peut-elle devenir réalité européenne ?
Madame la secrétaire générale, le groupe UDI, Agir et Indépendants souscrit aux propositions de la présidente de notre commission relatives aux études d'impact. Et, de ce point de vue, cela fait du bien d'entendre votre réponse. Nous avons effectivement besoin d'une nouvelle vision, d'une nouvelle approche en matière d'études d'impact. Votre propos est plutôt rassurant à cet égard.
Il est également rassurant de constater qu'au bout d'un an c'est plutôt au bénéfice des Européens que l'accord s'applique. Un certain nombre d'entre nous ne sont pas vraiment surpris : nous avons bien senti qu'il y avait beaucoup d'inquiétude en France, mais celle ressentie au Canada était encore bien plus forte – nos amis canadiens avaient effectivement des raisons d'être inquiets. Quant à la filière bovine, qui a fait couler beaucoup d'encre et suscité beaucoup de fantasmes, il n'est pas mauvais de rétablir un peu les faits et les chiffres que vous avez donnés sont éloquents.
En revanche, l'« effet Rotterdam », pour reprendre votre propre expression, m'inspire plus d'inquiétude. Quelles sont donc vos préconisations ? Comprenons que nos paysans en ont assez de voir importer sur notre continent un blé d'ailleurs qui n'est pas l'objet des contrôles et des normes auxquels ils sont astreints. Je suis sceptique quant aux contrôles. Il nous faut des propos fermes et un peu moins généraux sur l'« effet Rotterdam », particulièrement en ce qui concerne les contrôles.
Tout d'abord, évitons les faux débats : nous, députés du groupe Socialistes et apparentés, sommes favorables à l'ouverture et à de justes échanges entre les pays et entre les peuples, mais à condition que les accords respectent les droits humains, préservent la santé, la biodiversité et les équilibres écologiques et éliminent le dumping social et fiscal. Sinon à quoi bon ?
En l'occurrence, le CETA ne semble pas remplir ces conditions. Nous aurons largement l'occasion d'y revenir lors de la campagne des élections européennes, mais l'Europe peut et doit imposer ces règles à une mondialisation devenue déloyale et destructrice de l'environnement. Il faut faire des règles de l'OIT et de l'Accord de Paris des standards auxquels aucun accord ne doit déroger. Est-ce trop demander ? Nous ne le croyons pas.
À vous écouter, en ce qui concerne le CETA, tout va bien, mais, à la même époque, l'année dernière, nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion de faire part de l'inquiétude que nous inspirait le CETA, pour la protection de l'environnement, pour les conséquences sur les produits français et pour les risques sur la souveraineté des États et leur capacité à légiférer. Le rapport publié alors par les experts confirmait largement ces inquiétudes.
Le ministre de l'écologie nous avait alors présenté un plan d'action, qualifié par les associations d'enfumage – et dont la mise en oeuvre était plus qu'hypothétique selon les propres propos du ministre. Nicolas Hulot s'est-il trompé et la France a-t-elle mis en oeuvre les mesures annoncées ? La question reste ouverte. Délibérément, je ne reviens pas sur le problème démocratique que pose cette mise en oeuvre anticipée du CETA car ce n'est pas forcément à vous-même, madame la secrétaire générale, qu'il faut poser cette question.
En revanche, qu'en est-il du véto climatique annoncé, pour que les États puissent continuer à légiférer pour la protection de l'environnement ? L'affaire de la compagnie pétrolière Vermilion laisse peu de doutes sur la réalité du risque. Une menace de cette entreprise pétrolière de recourir à l'arbitrage privé n'a-t-elle pas amené le Conseil d'État à demander au Gouvernement de revoir le projet de loi Hulot sur les hydrocarbures ?
Deuxième question, qu'en est-il de la promesse de ne pas laisser entrer sur notre sol, des produits toxiques ? Vous l'avez dit et tout le monde le partage tout produit importé dans l'Union européenne doit être sûr et ne présenter aucun danger, évidemment. Vous nous dites, il n'y a eu aucun incident, mais alors quid des céréales canadiennes traitées à l'atrazine, interdite en France sur nos marchés ? Y sont-elles ou pas ? Est-il exact que le colza génétiquement modifié canadien arrive sans obligation d'étiquetage ? Quel contrôle est mis en place par exemple sur le saumon transgénique canadien ? Et je me joins à toutes les questions posées sur le fameux « effet Rotterdam ».
Ensuite, qu'en est-il de l'intégration de l'accord de Paris et de la nécessaire prise en compte de la protection de l'environnement ? Ce que vous avez dit ne peut que nous inquiéter.
Dernière question, qui n'est peut-être pas de votre compétence, pourquoi repousser le débat parlementaire sur la ratification du CETA ? On dit que le Gouvernement attendrait – vous l'avez confirmé d'ailleurs – le résultat de l'étude d'impact, mais quand on sait que ce que le Gouvernement a fait du rapport d'experts qu'il avait lui-même commandé en 2017 et qu'il s'était engagé à prendre en compte, il est difficile de croire que c'est bien la raison qui le pousse à empêcher le débat parlementaire.
C'est à tous ceux qui nous ont alertés qu'iront mes plus vifs remerciements. Pendant cette négociation ultra-secrète du CETA, je me rappelle – même si, moi-même, n'ayant pas été réélu, je ne siégeais pas – les nombreux députés qui interpellaient le Gouvernement pour demander où elle en était. Chaque fois, c'était « secret défense » ou « dès que nous avons des éléments, nous vous les communiquons » ! Et, aujourd'hui, on loue une extrême transparence… Quel contraste ! Nous devons cette évolution à la mobilisation des organisations non gouvernementales (ONG), des citoyens, des syndicats agricoles, de toutes les associations de protection de l'environnement, des députés qui, à un moment donné, ont pris conscience du problème, de la commission des affaires étrangères, qui s'en est saisi, a posé des questions pertinentes et n'a pas succombé aux propos selon lesquels tout irait bien, tout serait contrôlé, le CEPII, très proche du Premier ministre, serait un organisme indépendant, avec ses études auxquelles personne ne comprendra rien… Cela commence à se clarifier, car vous avez donné une feuille de route beaucoup plus précise et beaucoup plus utile aussi pour travailler politiquement à l'examen de ce traité dans nos régions et au plus près du terrain. Félicitations, mais, pour l'instant, nous en sommes aux annonces.
Vous avez dit que tout ce qui entrait sur le territoire français devait être conforme à la réglementation française. Député du port du Havre, je vois ce qui entre sur le territoire français, et je ne pense pas que les importations de drogue soient conformes à la réglementation française et européenne, et pourtant « ça passe ». Je ne crois pas que les produits toxiques, les contrefaçons de jouets, de vêtements, etc., soient conformes à la réglementation européenne, et pourtant ça passe et en grande quantité !
Cela veut dire que nous avons tellement supprimé d'emplois dans la douane, aux frontières françaises puis européennes, que l'Europe était tellement adepte du libre-échange qu'elle en a supprimé ses organismes de contrôle et ces contrôles étatiques protecteurs.
En outre, l'Europe n'applique pas les mêmes règles. Qu'est-ce que l'« effet Rotterdam » sinon le fait que les marchandises ne subissent pas les mêmes contrôles au port du Havre que dans celui de Rotterdam ? Comment l'Europe, qui se dit une, peut-elle appliquer plusieurs réglementations différentes à ses frontières ? Outre que ce n'est pas acceptable, c'est aussi déloyal car en fin de compte, chacun sait bien que le chemin le plus court du Canada à l'Europe passe aujourd'hui par Rotterdam alors que géographiquement, il devrait passer par Le Havre ! Pourquoi les marchandises ne passent-elles pas par Le Havre ? Parce que les contrôles effectués à Rotterdam ne sont pas les mêmes.
Reste la question du tribunal d'exception. Vos analyses, madame la secrétaire générale, ne me rassurent pas. La Cour européenne de justice existe. Pourquoi n'a-t-elle pas établi en lien avec son équivalent canadien un mécanisme qui permettrait de rendre la justice sur les différends relatifs à ces traités ? Ces tribunaux d'affaires ne sauraient nous satisfaire ; il faut travailler davantage.
J'ajoute, pour avoir été co-rapporteure sur la question de l'harmonisation des douanes en Europe, que les différences qui existent entre l'ensemble des ports sont colossales. Il n'existe pas d'harmonisation européenne des contrôles aux douanes. À la question des modalités de contrôle – nature, effectifs, procédures – s'ajoute celle de la différenciation des contrôles. C'est une urgence dont il faut se saisir.
Vous avez déclaré, madame la secrétaire générale, qu'il faudrait tenir compte des effets des traités entre pays tiers sur les accords bilatéraux que nous concluons. Or, le Canada vient de signer avec les États-Unis l'AEUMC – l'Accord États-Unis-Mexique-Canada – qui facilite l'entrée au Canada d'un surcroît de produits laitiers américains, et qui supprime notamment les produits de classe 7 concernant le lait biofiltré. Cela devrait nous être favorable puisque la réglementation canadienne l'interdit. Le Canada achète nos appellations d'origine protégées (AOP) reconnues, dont il est friand. Nombreux sont toutefois les économistes qui s'inquiètent des incidences de ce nouvel accord sur le volet laitier du CETA. Comment tenir compte de ces incidences dans notre propre étude d'impact ? Si des effets néfastes étaient avérés, quelles mesures d'ajustement pourrions-nous proposer à nos partenaires canadiens ?
La semaine dernière, j'ai dit ma satisfaction qu'un accord international, en l'occurrence l'accord conclu avec la République de Cuba, ne fasse pas du libre-échange l'alpha et l'oméga des relations internationales et mette davantage l'accent sur la coopération politique et culturelle que sur d'éventuelles barrières commerciales. Cette semaine, nous revenons à l'inverse sur la première année d'application partielle du CETA : aussi baroque que cela paraisse, en effet, cet accord décrié s'applique en partie avant même sa ratification.
Cette particularité est un problème démocratique en soi mais d'autres sujets de préoccupation existent. Le 18 avril dernier, j'ai interrogé le ministre du commerce international du Canada, François-Philippe Champagne, sans être pleinement rassuré par ses réponses concernant les aliments qui sont produits dans son pays avec l'un des quarante-deux herbicides interdits en France – comme l'atrazine – et dont l'importation reste autorisée, ou encore sur les produits contenant des OGM sans que cela ne soit explicitement mentionné.
Nos alertes semblent en partie utiles : après avoir signalé les problèmes d'exploitation du gaz de schiste et des sables bitumineux, des informations font état de recommandations visant à ce que le CETA ne contredise pas les objectifs de l'Accord de Paris concernant la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Il convient donc de ne pas relâcher la pression et de maintenir notre vigilance pour que le CETA ne produise pas d'effets néfastes sur nos productions ou sur la santé des consommateurs. C'est pourquoi je m'interroge sur les raisons qui justifient le report du processus de ratification du traité après les prochaines échéances européennes. J'espère qu'il n'existe des raisons objectives justifiant un tel décalage et qu'il ne s'agit pas d'un moyen malicieux visant à ce que le sujet ne pèse pas sur la campagne électorale.
Vous nous indiquez, madame la secrétaire générale, que les exploitations agricoles canadiennes sont contrôlées selon les normes européennes, ce que l'on nous a en effet déjà confirmé. Au-delà des produits utilisés, qu'en est-il des conditions d'élevage ?
Deuxième point : le CETA est globalement positif pour l'économie française et européenne. Vous avez rappelé l'augmentation des exportations et les pourcentages de quotas utilisés par les uns et les autres. Votre rôle consiste à défendre les intérêts français. Pourquoi le Parlement français n'a-t-il pas été sollicité en amont, pendant le quinquennat précédent, soit dans le cadre d'un groupe de travail soit dans celui de la commission, qui est l'une des mieux placées, pour avancer ensemble, pour nouer une véritable discussion et pour dessiner une vision commune, plutôt que de nous imposer un traité dont 97 % sont déjà acceptés ? Autant dire que notre ratification ne servira à rien. Une fois de plus l'Europe porte un regard hautain sur les parlements nationaux. Cela me pose un problème, eu égard à notre rôle de représentation des territoires et du pays.
Il y a un an, 90 % des dispositions de l'AECG étaient mises en oeuvre. Nous sommes très loin du raz-de-marée annoncé par de nombreuses personnes ! Nous avons d'ailleurs entendu bien des choses dans cette même salle. Pour mémoire, les exportations de l'Union européenne vers le Canada ont augmenté de 7 %, et les exportations françaises ont augmenté de 5 % ; inversement, les importations en provenance du Canada ont diminué de 3 % dans l'UE et de 9 % en France.
La semaine dernière, j'ai assisté à l'inauguration d'une usine de biométhane dans ma circonscription. Une petite entreprise active dans ce secteur s'apprête à doubler ses effectifs, passant de cinq à dix personnes, grâce à l'AECG et la possibilité qu'il lui offre de gagner des marchés au Canada. Nous constatons donc sur nos territoires les bénéfices que produisent de tels accords multilatéraux.
Un an après l'entrée en vigueur provisoire de l'AECG, l'Institut Veblen pour les réformes économiques et la Fondation pour la nature et l'homme, créée par Nicolas Hulot, ont publié un communiqué de presse conjoint intitulé : « Un bilan inquiétant » et comportant une annexe qui recense les entités de coopération réglementaire instituées par l'Accord dont six – parmi lesquelles figurent le Forum de coopération en matière de réglementation ou le Comité du commerce des marchandises, par exemple – n'ont pas encore programmé de réunions. Quelle est votre opinion ?
Avant son entrée en vigueur partielle, le 21 septembre 2017, le CETA avait suscité de nombreuses interrogations que les premières données chiffrées dont nous disposons permettent d'éclaircir. Je ne reviens pas sur ces chiffres que vous avez évoqués, madame la secrétaire générale, et qui parle d'eux-mêmes. La défiance et le scepticisme peuvent désormais faire place à une vigilance résolue et sereine. En effet, le dialogue et la coopération interétatiques constituent la seule réponse viable aux grands défis du XXIe siècle. Le protectionnisme et le repli identitaire ne sont que des leurres non seulement politiques mais aussi économiques.
Une parfaite illustration de cette assertion se retrouve par-delà les Alpes : alors même que le gouvernement italien annonçait dans un premier temps, par la voix de l'un de ses ministres, son intention de refuser toute ratification du CETA, il semblerait que les retombées positives de l'Accord aient incité le ministre italien de l'agriculture à revenir sur les propos de son collègue.
Cette digression étant faite, je souhaiterais avoir votre éclairage, madame la secrétaire générale, sur ceux de nos partenaires européens qui seraient enclins à refuser la ratification du CETA et, le cas échéant, les points de butée pouvant susciter une telle réticence. De façon subsidiaire, je souhaiterais également obtenir des précisions sur les actions complémentaires au CETA et plus particulièrement celles qui touchent à la coopération bilatérale en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de l'environnement.
Ma question porte sur les exportations canadiennes de productions bovines vers la France. Ce sujet suscite une profonde inquiétude sur les territoires, en particulier les plus spécialisés d'entre eux dans le centre de la France. Je constate que la législation française et européenne oblige les éleveurs, qu'il s'agisse de conditions d'élevage ou de traçabilité des produits. Cela correspond à une demande des consommateurs. Vous nous dites que la faiblesse des exportations canadiennes dans ce secteur s'explique parce que les standards de production canadiens ne sont pas au rendez-vous. Ces standards, nous les connaissons : ils sont très proches de ceux qui existent en Amérique du Nord en général. On voit mal comment les techniques de production en vigueur au Canada pourraient rejoindre les standards de production européens. Je m'interroge donc sur la pertinence de l'Accord en la matière. Vous nous dites que des moyens sont mobilisés pour garantir le respect des normes. Là encore, je suis perplexe : nous sommes à court de moyens en France même ; comment pourrions-nous aller vérifier comment la viande bovine est produite au Canada ? Notre handicap initial est tel que je ne vois guère comment nous pourrions le combler, et comment nous pourrions annoncer de manière crédible au consommateur que les produits français et canadiens partiront demain sur la même ligne de départ.
J'ajoute une remarque supplémentaire : la loi sur le secret des affaires pourrait empêcher de faire la transparence sur ces questions. Avez-vous examiné l'impact de cette loi sur les contrôles et la transparence prévus par ce traité ?
Avant de redonner la parole à Mme la secrétaire générale, je précise que la commission entendra M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, le mardi 16 octobre, avant le Conseil « Commerce ». Nous allons d'ailleurs systématiser ce rendez-vous qui me semble très important. Cela signifie que M. Lemoyne répondra sans doute le 16 octobre à certaines des questions qui ont été posées aujourd'hui.
Je laisserai en effet le secrétaire d'État répondre aux questions d'ordre politique, en particulier celles qui concernent le calendrier de ratification et les scénarios possibles en cas de non-ratification.
J'admets volontiers le caractère parcellaire des propos que j'ai tenus aujourd'hui concernant les contrôles sanitaires, l'effectivité de la vérification des produits entrant sur le territoire national ou européen en provenance du Canada au regard des normes européennes en matière de protection sanitaire et de sécurité, d'interdiction des OGM ou encore au sujet du saumon transgénique, du boeuf aux hormones, de la ractopamine, des bovins nourris aux farines animales, des pesticides interdits dans l'Union européenne comme l'atrazine, des animaux nourris aux activateurs de croissance et aux antibiotiques. Tous ces produits sont interdits sur le territoire de l'Union européenne. Par conséquent, les importations contenant ces types de produits ou ayant fait l'objet de ces types de procédés ont interdites. Certes, les contrôles ne sont jamais parfaits ; il y a en effet de la drogue qui entre par le port du Havre. Il n'en reste pas moins qu'il existe des normes dont le respect est mesuré par des contrôles. Les cas de fraude existeront toujours, mais l'objectif est d'aboutir à une harmonisation forte via le code des douanes communautaire, un dispositif somme toute assez lourd. Je prends néanmoins note de vos remarques et de vos doutes, car la confiance des citoyens européens est indispensable en ce qui concerne les effets des produits – en particulier alimentaires – entrant sur le territoire européen sur la sécurité et la santé. Je vous assure que tout ce qui est interdit est interdit, et les contrôles sont effectués de façons à ce que ces produits n'entrent pas dans l'Union européenne.
À ce jour, l'utilisation du glyphosate n'est pas interdite. Vous avez évoqué la pression exercée par le Canada : il ne s'agit pas de pression mais de simples questions que le Canada nous adresse légitimement quant aux intentions de l'Union concernant l'éventuelle interdiction de ce produit. En tout état de cause, nous tirerons les conséquences des décisions que nous prendrons sur le glyphosate ; si cette substance est interdite en France, il sera également interdit d'importer des produits la contenant. Il y aura donc un lien direct de cause à effet entre les volets interne et externe, mais l'interdiction n'est pas en vigueur à ce stade.
Mes propos sur l'« effet Rotterdam » n'étaient pas critiques, mais sans doute reflètent-ils une forme de doute : étant donné la dimension du port, les contrôles s'y effectuent peut-être dans des conditions plus difficiles qu'ailleurs. Il existe néanmoins un effet statistique : lorsque les produits entrent sur le territoire français, on ignore s'ils arrivent directement du Canada ou via Rotterdam. Or, les statisticiens analysent ces données, notamment celles du ministère de l'agriculture, pour retracer clairement l'origine de certains produits, même en cas de détour du trafic en raison de l'effet d'attraction de grands ports qui absorbent davantage d'échanges commerciaux que les ports français – je déplore comme vous que le port du Havre n'ait pas, hélas, le même niveau de compétitivité que celui de Rotterdam.
Oui, mais il n'a pas la même attractivité.
Il n'est pas défendu par les autorités de son pays comme Rotterdam l'est par les siennes !
Il me semble que le port du Havre est défendu, comme tous les ports français.
Il est en voie de correction.
La question de la marge de manoeuvre dont nous disposons à Bruxelles pour peser sur la Commission européenne et les autres partenaires est importante. Le commerce extérieur est un domaine de compétence exclusive : depuis 1957, nous avons confié cette compétence exclusive à la Commission européenne. Les accords commerciaux sont donc ratifiés par le Parlement européen ; le contrôle démocratique n'est donc pas nul. En l'occurrence, le Parlement européen s'est prononcé sur l'AECG. Par ailleurs, nous pesons de plus en plus et de mieux en mieux sur ce que fait la Commission. Mme Malmström sait tout l'intérêt pour la Commission, dans un contexte global, de défendre les valeurs et standards internationaux en matière sociale et environnementale. Nous travaillons avec la Commission en ce sens.
D'autres États membres sont moins conscients de cet intérêt, pour diverses raisons. Dans ces domaines, les décisions se prennent à la majorité qualifiée. En ce qui concerne par exemple la possibilité d'imposer des clauses essentielles relatives au respect de l'Accord de Paris, nous n'avons pas souhaité passer au vote car nous serions en minorité. Nous préférons donc prolonger la discussion pour éviter de provoquer un vote qui nous placerait dans une situation difficile et qui nous rendrait impuissants. Nous poursuivons donc notre travail de conviction. Cela vous semble peut-être long, trop long, mais ce temps de négociation est nécessaire pour éviter une décision sur laquelle nous serions minoritaires.
Nous disposons de peu de leviers, mais la Commission, de plus en plus, est notre alliée. C'est capital, car c'est elle qui détient la prérogative de négociation en matière commerciale. Cela étant, nous ne faisons pas tout, et nous ne faisons pas seuls avec la Commission.
A priori, l'étude d'impact n'englobera pas les questions sanitaires et phytosanitaires, car elles relèvent d'une réglementation européenne. De deux choses l'une : soit la réglementation est respectée, soit elle ne l'est pas – mais elle est censée l'être. Il n'y aura donc pas d'impact à mesurer ; l'étude d'impact n'est pas conçue en ce sens. Elle sert à évaluer des flux et des effets quantitatifs sur des filières, sur leur éventuelle restructuration ou dégradation, et sur l'emploi, mais pas sur les questions sanitaires.
La négociation sur le veto climatique avec la Commission européenne – et demain avec le Canada – avance bien. Il faut encore convaincre l'une et l'autre pour aboutir à une interprétation commune de ce droit à réguler, et surtout les exceptions applicables à ce futur tribunal en matière d'investissements. Les progrès sont lents – c'est une question très difficile – mais réels.
Un dernier mot sur la transparence et la communication. J'ai conscience que mon propos est sans doute trop rapide. Les acquis que nous avons obtenus accord après accord et lors des derniers mandats sont très nets. Le rattrapage se fait donc progressivement – je pourrai éventuellement y revenir avec M. Maire.
J'ai demandé à l'équipe de sept personnes à plein temps qui en est chargée – vous voyez que nous mobilisons une énergie importante sur cette étude – de rendre un premier rapport intermédiaire en fin d'année ou en début d'année prochaine. L'identification des sources statistiques, la réconciliation, l'« effet Rotterdam » : ce ne sont pas des sujets simples. J'en saurai davantage en tout début d'année prochaine, éventuellement avant Noël. Je pourrai alors venir vous en parler.
Je constate que le travail accompli par notre commission a porté ses fruits et j'en suis très heureuse. Je vous remercie des améliorations réelles ou en projet que vous avez décrites. Nous jugerons de leur effectivité, mais j'estime d'ores et déjà que l'état d'esprit est positif. Nous serons naturellement heureux de vous accueillir de nouveau pour nous présenter ce premier rapport partiel, sans attendre la fin du processus. Prenons rendez-vous pour le début de l'an prochain ; il sera très utile, en effet, d'examiner ce qui a bien fonctionné dans la première partie de cette étude et ce qui peut encore être amélioré, et de le faire en lien avec la commission.
L'ambassade du Canada a communiqué de nombreux chiffres en matière commerciale. Sont-ils fiables, correspondent-ils à ceux dont vous disposez et pouvons-nous les diffuser ?
Nous travaillons très bien avec le Canada et avec son ambassade en France, qui publie des plaquettes vantant les mérites du CETA. Je pense que ses chiffres sont fiables, car elle effectue un travail très rigoureux.
Je rappelle simplement que, sur toutes les questions relatives à la viande bovine et porcine, les chiffres d'aujourd'hui ne seront pas ceux de demain ni d'après-demain. Comme nous l'ont expliqué nos partenaires canadiens, leurs filières ne peuvent pas exporter car elles ne se sont pas encore adaptées à nos normes. Ce n'est qu'une fois transformées – le processus est pour partie en cours – qu'elles pourront exporter. Nous n'aurons donc les chiffres définitifs plus tard.
Le rapport intermédiaire de l'étude d'impact sera-t-il rendu public ? Quel est le calendrier de l'étude d'impact complète ?
Le rapport intermédiaire ne sera pas rendu public car, par définition, il est en construction. Il n'y aurait guère de sens à publier un document qui relève d'un processus en cours et qui se nourrira des observations que vous formulerez concernant l'étude d'impact.
Quant à l'étude définitive, le CEPII nous a également promis un document pour le début 2019, suite à quoi un travail de réconciliation sera nécessaire. Je ne peux donc pas vous donner de date ; mieux vaudrait interroger le ministre.
Nous lui poserons la question le 16 octobre. La commission pourrait avoir sa propre idée quant à la meilleure date possible de publication de l'étude d'impact.
Combien d'exploitations agricoles canadiennes peuvent aujourd'hui exporter vers l'Europe de la viande conforme aux normes européennes ? On entend dire qu'elles seraient moins d'une centaine. Avez-vous un chiffre précis ?
Je ne dispose pas d'un chiffre précis mais elles doivent être très peu nombreuses. Le Canada n'exporte que quelque 400 tonnes de viande alors que son contingent est cent fois plus élevé. À l'évidence, les filières canadiennes ne sont pas prêtes à saturer les quotas.
En évoquant l'entrée de drogues et aux produits illicites, je ne voulais évidemment pas stigmatiser mon port du Havre : ces produits entrent partout. J'ajoute qu'à Rotterdam, les contrôles diffèrent selon qu'il s'agit de produits qui sont destinés aux Pays-Bas ou qui ne font qu'y transiter – ce qui est injuste. La France, en revanche, s'honore de faire preuve de la même vigilance concernant les produits qui entrent en France et ceux qui y transitent.
Enfin, les interpellations que nous vous adressons sur le CETA sont liées au fait que c'est le premier accord de cette nature dont nous nous saisissons. Le Canada en tant que tel n'est pas visé. Il faut exercer la même vigilance sur tous les traités internationaux. Je fais cette précision pour que nos « cousins canadiens » ne se sentent pas persécutés par la commission des affaires étrangères.
La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 18 h 05
Présents. - Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, Mme Laurence Dumont, M. Michel Fanget, M. Bruno Joncour, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Maurice Leroy, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Christophe Naegelen, Mme Marielle de Sarnez, M. Sylvain Waserman
Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Clémentine Autain, M. Moetai Brotherson, Mme Anne Genetet, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, M. Jérôme Lambert, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Frédéric Petit, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, M. Bernard Reynès, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, M. Guy Teissier
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Lagleize