Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mardi 14 décembre 2021 à 18h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • OTAN
  • présidence
  • souveraineté

La réunion

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La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.

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À compter du 1er janvier prochain, la France assurera, pour la treizième fois, la présidence du Conseil de l'Union européenne, dont les grandes orientations ont été présentées la semaine dernière par le Président de la République.

Nous étions convenus, Madame la ministre, que vous viendriez présenter devant la commission les priorités de la présidence française de l'Union européenne (PFUE) en matière de défense, avant qu'elle ne commence.

Votre audition est d'autant plus importante que le Président de la République a fait de la pleine souveraineté européenne le premier des axes de la PFUE. Si elle revêt certes plusieurs aspects, la confortation de notre souveraineté suppose l'approfondissement de l'Europe de la défense, que le chef de l'État souhaite voir entrer dans « une phase plus opérationnelle ». Elle n'implique en aucun cas, le chef de l'État l'a encore rappelé, une diminution de l'utilité et de l'efficacité de l'OTAN, qu'elle devrait au contraire encore renforcer.

Ceci doit d'abord être le cas dans le domaine des opérations, déjà nombreuses et diverses, qu'il s'agisse des opérations maritimes Atalanta ou Irini ou des missions de formation de l'Union européenne – European Union Training Missions (EUTM) – au Mali, en République centrafricaine, au Mozambique ou en Somalie. Nous avons d'ailleurs décidé de la création d'une mission d'information sur les opérations extérieures de l'Union européenne, conjointe avec la commission des affaires européennes et confiée à Mmes Aude Bono-Vandorme et Marianne Dubois.

Je ne doute pas non plus que la mission d'information sur les enjeux de défense en Méditerranée – conduite par MM. Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer – et celle sur les enjeux de défense dans l'espace baltique conduite par MM. Jean-Charles Larsonneur et Charles de La Verpillière, aborderont les menaces qui pèsent aux frontières de l'Europe et les moyens d'y répondre. Toutes ces missions présenteront leurs conclusions en février.

Je n'oublie pas non plus la situation toute particulière dans laquelle se trouvent les Balkans occidentaux, en proie à une lutte stratégique opposant la Chine, la Russie ou encore la Turquie. La réaction de l'Union européenne est attendue. C'est pourquoi je me félicite de l'annonce de l'organisation d'un sommet sur cette question en juin prochain.

L'approfondissement de l'Europe de la défense doit également être mené dans le domaine capacitaire. En la matière, s'il faut nous féliciter d'avancées importantes – Fonds européen de la défense (FED), initiative européenne d'intervention, coopérations structurées – comme de l'investissement que la Commission a décidé de réaliser dans le domaine spatial, la route est encore longue et… parfois tortueuse ! J'en veux pour exemple certaines initiatives conduisant de fait à exclure d'une partie des financements européens l'industrie de défense et, ce faisant, à créer les conditions de l'affaiblissement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne et de notre autonomie stratégique. Nous examinerons d'ailleurs demain matin une proposition de résolution européenne que j'ai élaborée avec M. Jean-Louis Thiériot, cosignée par un très grand nombre de nos collègues de tous les bancs.

Après l'annonce – certes attendue – du choix du F35 par les autorités finlandaises, nous ne pouvons également que regretter que nos partenaires européens ne fassent pas plus souvent le choix du Made in Europe pour leurs équipements de défense.

Plus largement, des questions se posent sur nombre de programmes conduits en coopération – du système de combat aérien du futur (SCAF) au système principal de combat terrestre ou Main Ground Combat System (MGCS).

La mise en cohérence des stratégies nationales et leur dépassement par un horizon européen commun constituent précisément l'une des ambitions de la boussole stratégique, dont l'adoption est attendue en mars prochain. Nous fondons beaucoup d'espoir sur cet outil qui ouvre la voie à une souveraineté stratégique européenne communément acceptée.

L'Europe semble à la croisée des chemins car, comme vous l'avez récemment déclaré, Madame la ministre, dans un contexte marqué par la désinhibition de nos compétiteurs stratégiques, « soit l'Europe fait face, soit l'Europe s'efface ». Je ne saurais trouver meilleure formule pour décrire les défis que nous devrons relever au cours des prochains mois.

Avant de vous céder la parole, permettez-moi de vous faire part, en mon nom et celui de mes collègues, de notre profonde indignation et de notre honte face aux dégradations inacceptables commises dans la nuit de dimanche à lundi sur le site du Mont-Valérien.

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Florence Parly, ministre des Armées

Je vous remercie de m'offrir une fois de plus l'opportunité de faire, ensemble, un point sur les enjeux de défense de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, qui commencera dans quelques jours.

Jeudi dernier, le Président de la République a eu l'occasion d'en présenter les grandes priorités. Et si l'on devait résumer en une seule phrase l'objectif de cette présidence, il s'agit, pour reprendre les mots du Président de la République, de « passer d'une Europe de coopération à l'intérieur de notre frontière à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin ».

Pour le dire autrement : il est temps que l'Europe s'assume. Elle est en effet, depuis trop longtemps, une puissance qui s'ignore. Nous voulons d'une Europe qui agit pour elle-même et qui ne subit pas les appétits et les priorités des autres. Nous voulons d'une Europe capable de parler d'une seule voix, de porter ses valeurs, de défendre ses intérêts, partout où ils se trouvent dans le monde. Nous voulons enfin d'une Europe pleinement capable de protéger ses citoyens.

L'Europe que nous voulons n'est pas une incantation. Nous la construisons avec beaucoup de détermination, depuis près de cinq ans. Pour ce qui est de l'Europe de la défense, ces dernières années ont marqué un véritable tournant. Avant le discours fondateur du Président de la République en 2017 à la Sorbonne, le concept de défense européenne recouvrait une réalité, certes, mais une réalité encore trop timide. Son histoire restait marquée par des échecs et par des rendez-vous manqués ainsi que par des ambitions non réalisées, comme celle de la Communauté européenne de défense en 1954, et plus près de nous celle de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo en 1998. Cette dernière posait certes les bases d'une politique européenne de sécurité et de défense. Elle fixait l'objectif de moyens militaires « autonomes » et « crédibles » pour l'Union européenne, moyennant d'ailleurs une hiérarchisation implicite entre l'Union européenne d'un côté et l'OTAN, de l'autre. Pour autant, cela n'a pas empêché la défense européenne de continuer sa traversée du désert…

En 2016 déjà, la stratégie globale de l'Union européenne introduisait un concept qui sera trop longtemps resté, si je puis dire, un gros mot à Bruxelles : celui d'autonomie stratégique. Mais c'est 2017 qui aura constitué le véritable tournant, car c'est précisément depuis que notre environnement stratégique ne cesse de se dégrader que la construction de la défense européenne connait un véritable élan. Nous avons accompli de nombreux progrès pour renforcer notre souveraineté, grâce à une méthode pragmatique fondée sur un principe simple : ce qui compte, c'est l'action. Depuis 2017, nous agissons ensemble, que ce soit dans le cadre de l'Union européenne ou dans des cadres ad hoc. Nous sommes déployés au Sahel, en République centrafricaine (RCA), en Méditerranée ainsi que dans le golfe arabo-persique.

Depuis 2017, nous nous équipons ensemble. Nous sommes engagés dans des programmes pour fournir à nos armées des équipements de pointe – je pense notamment au SCAF. Nous avons par ailleurs créé le Fonds européen de la défense, qui fait de l'Union l'un des trois principaux investisseurs en matière de recherche et de technologie en Europe.

Depuis 2017, nous développons une culture stratégique commune même si ce processus, je vous l'accorde, est encore loin d'être achevé. Les événements récents en Afghanistan ont cependant montré à quel point il est nécessaire que nous développions notre analyse partagée des menaces et des risques qui peuvent nous conduire à agir.

Nous sommes donc pleinement mobilisés pour faire de la présidence française du Conseil de l'Union européenne un grand succès de l'Europe de la défense. Nous travaillons depuis longtemps à son bon déroulement et je suis en contact étroit avec mes homologues allemand, portugais et slovène. Ils ont présidé le conseil avant nous ; leur expérience et leurs connaissances nous sont précieuses.

Avant de vous présenter nos six grandes priorités dans le domaine de la défense, je voudrais partager avec vous quelques idées sur la souveraineté européenne et vous dire ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas. La souveraineté européenne n'est pas une barrière autour de notre territoire : la défense de l'Europe ne se joue pas uniquement à ses portes. Elle se joue aussi au Sahel, dans le golfe de Guinée, en Indopacifique. Elle se joue sur la mer, dans les airs, dans l'espace cyber, dans l'espace exo-atmosphérique, dans l'espace informationnel et, même, sur le terrain des normes. J'y reviendrai car c'est un sujet que nous souhaitons placer au cœur de notre présidence.

Lorsqu'on parle de souveraineté européenne, ou a fortiori d'autonomie stratégique, certains ont tendance à assimiler ces notions au protectionnisme. Pourtant, il ne s'agit pas du tout de protectionnisme, ni de prendre le risque de s'isoler du reste du monde. Il s'agit d'être un partenaire crédible et, quand on est un partenaire crédible ou qu'on aspire à le devenir, il faut pouvoir s'appuyer sur des partenariats équilibrés. Lorsqu'un équipement comporte des composants américains, il est soumis à des réglementations telles que l'International Traffic In Arms Regulations (ITAR), ce qui veut dire que les États-Unis exercent un droit de veto sur certaines de nos exportations de défense. C'est une contrainte majeure pour notre base industrielle et technologique de défense. Or, cela a été dit à maintes reprises devant cette commission, nous avons besoin d'une industrie européenne forte pour donner à l'Europe les capacités militaires dont elle a besoin. C'est pourquoi nous devons travailler avec les États-Unis pour faire évoluer la situation. Les Américains eux-mêmes ont intérêt à voir les Européens assumer pleinement leurs responsabilités et, d'ailleurs, ils le reconnaissent. C'est le sens de la déclaration conjointe adoptée par le Président des États-Unis et le Président de la République française, le 29 octobre dernier.

Qu'est-ce que la souveraineté européenne ? La souveraineté, c'est une liberté : la liberté de décider, la liberté de choisir, la liberté d'agir. La liberté de décider s'acquiert avec la capacité à disposer, en amont des crises, d'une appréciation commune de la menace. C'est l'objet de la première priorité de la présidence : fixer un cap avec l'adoption par l'ensemble des États membres de la boussole stratégique. C'est un document qui doit fixer le niveau d'ambition de l'Union en matière de sécurité et de défense. Ce ne sera pas un rapport de plus, mais un véritable plan d'action concret et le premier Livre blanc de la défense pour l'Union européenne.

Notre deuxième priorité sera de promouvoir les opérations conjointes, conventionnelles ou hybrides, afin de rendre l'Union européenne plus réactive. Il s'agira notamment de travailler sur les synergies entre les opérations de l'Union européenne et celles des coalitions européennes ad hoc, telles que la task force Takuba au Sahel.

Nous travaillerons aussi au développement d'une capacité de déploiement rapide. Là non plus, ce n'est pas une énième tentative de créer une force permanente sur le papier. L'idée est bien de travailler de façon très concrète sur ce qui manque aux Européens pour agir dans le monde réel, par exemple dans le domaine des capacités de transport aérien.

Enfin, nous mettrons l'accent sur les menaces hybrides, une réalité de plus en plus présente et tangible : il s'agira donc de développer une boîte à outils pour se défendre contre ces menaces, notamment pour lutter contre les manipulations de l'information.

Notre troisième priorité sera de défendre avec fermeté nos intérêts dans les espaces communs contestés, qu'il s'agisse des mers, du cyberespace ou de l'espace exo-atmosphérique. Sur les mers, nous développerons la présence maritime coordonnée déjà expérimentée dans le golfe de Guinée et renforcerons nos capacités de surveillance. L'Union européenne se dotera d'une politique de cyberdéfense et, dès 2022, elle organisera des exercices conjoints dans le cyberespace. Dans le domaine spatial, nous proposerons également l'élaboration d'une stratégie spatiale européenne de défense d'ici 2023, en tirant les bénéfices de la stratégie spatiale de défense nationale que je vous avais présentée en 2019.

Pour être libres d'agir, et libres d'agir ensemble, il ne suffit pas uniquement d'avoir la même appréciation des menaces ou des stratégies communes. Il faut aussi des outils et des équipements communs. J'ai souvent eu l'occasion de le dire ici : les Européens disposent de dix-sept types différents de chars de combat lourds – quand les États-Unis n'en ont qu'un seul –, de vingt-neuf types différents de destroyers et de frégates – lorsque les États-Unis n'en ont que quatre –, et de vingt types différents d'avions de combat – quand les États-Unis en ont six –, et ce ne sont que quelques exemples. C'est donc l'objet de la quatrième priorité : il s'agit de nous doter de nouvelles capacités communes pour avoir les moyens d'agir et de réduire nos dépendances. Celles-ci sont particulièrement marquées dans certains domaines – j'ai cité tout à l'heure le transport stratégique, on pourrait aussi parler des drones.

Enfin, nous le savons, et nous l'avons encore largement exprimé lors du forum innovation défense, l'innovation est la clé de la supériorité sur le terrain, et celle de la puissance industrielle. C'est pour cette raison que c'est l'une de mes grandes priorités au ministère des armées depuis 2017, et l'un des axes forts de la loi de programmation militaire (LPM). Face à des compétiteurs comme la Chine, nous n'avons guère le choix : nous devons faire ensemble. Ce sera donc notre cinquième priorité : encourager l'innovation, notamment par la création, au sein de l'Agence européenne de défense, d'un Innovation Defense Hub.

Enfin, notre sixième priorité sera d'approfondir nos partenariats, tout en nous assurant de leur équilibre. C'est valable évidemment pour le premier d'entre eux, le partenariat transatlantique. Celui-ci ne peut que bénéficier d'une Europe plus forte, comme l'a souligné la déclaration commune cosignée par le Président de la République et le président Biden fin octobre.

À tous ceux qui voient dans le projet européen un risque de duplication, je le dis et je le répète : n'ayez pas peur ! Vingt et un pays membres de l'Union européenne sont aussi membres de l'Alliance atlantique. Quel intérêt pourraient-ils bien avoir à dupliquer, au sein de l'Union européenne, ce dont ils disposent déjà dans le cadre de l'OTAN ? Nous ne contestons ni le rôle de l'OTAN comme pierre angulaire de notre défense collective dans la zone euro-atlantique, ni son rôle de creuset militaire de l'interopérabilité, qui a permis à nos récentes opérations d'être efficaces. Mais nous sommes convaincus que les deux organisations sont complémentaires et que la coopération entre elles est un élément fondamental pour faire face aux menaces. Dans ces conditions, l'élaboration en parallèle du prochain concept stratégique de l'OTAN et de la boussole stratégique de l'Union européenne constitue une opportunité unique de renforcer cette complémentarité.

Évidemment, nos partenariats ne se limitent pas à la relation transatlantique. D'autres liens doivent être renforcés si nous voulons être en mesure de contribuer à la stabilisation de notre environnement, proche ou moins proche. L'Afrique devra faire l'objet d'une attention toute particulière. Les destins de nos deux continents sont étroitement liés. Face aux crises au Sahel, en RCA, au Mozambique, nous devons être en mesure de répondre ensemble, dans le cadre d'un partenariat équilibré. Nous devons travailler au renforcement de nos relations économiques, politiques et de défense avec les pays de l'Indopacifique, si nous voulons être en mesure de garantir le libre accès des voies maritimes dans cette zone, si important pour l'économie mondiale, et si nous voulons être en mesure de relever les grands défis en matière de sécurité.

Les six priorités que je viens d'énoncer pour la présidence française de l'Union européenne en matière de défense feront partie intégrante de la boussole stratégique. Elles poursuivent toutes un objectif : mieux protéger les Européens, en nous donnant les moyens d'agir ensemble, en nous donnant les moyens de nous défendre dans les espaces contestés et en favorisant nos coopérations et l'approfondissement de nos partenariats.

La boussole stratégique sera en quelque sorte notre guide. Encore une fois, ce ne sera pas un rapport de fond de tiroir, dont l'ambition s'amenuise à mesure que les années passent. Car il y aura un suivi étroit de la tenue des engagements qui y figureront : chaque année, un état des lieux de sa mise en œuvre sera présenté par le Haut représentant, en consultation avec la Commission et l'Agence européenne de défense.

Pour terminer, je voudrais rappeler que souveraineté et naïveté font rarement bon ménage : nous devons veiller à ne pas nous démunir face à nos compétiteurs, en pensant avec la meilleure foi du monde agir pour le bien commun. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) placeraient la défense dans la catégorie des activités non-durables, ce qui aurait pour conséquence de dissuader les investisseurs de financer les industries de défense. Si nous nous mettons à considérer que la défense de nos citoyens n'est pas une activité durable, alors nous ne durerons pas bien longtemps…

Il est temps que l'Europe s'assume. Mais il faut aussi que nous nous donnions les moyens d'assumer cette Europe. Pour protéger nos valeurs, nos sociétés démocratiques, ainsi que la prospérité de nos économies, il est temps que nous embrassions pleinement la souveraineté européenne. Cette ambition sera au cœur des priorités que nous porterons dans le domaine de la défense dans le cadre de notre présidence.

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Madame la ministre, je vous remercie pour cet exposé. Le 15 novembre dernier, le chef de la diplomatie européenne, M. Josep Borrell, a présenté devant les ministres des affaires étrangères européens les orientations stratégiques de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. Ce document, baptisé boussole stratégique, dont vous nous avez déjà beaucoup parlé, montre un véritable volontarisme de la part de l'Union européenne, dans un contexte tendu à l'est de l'Europe. La Biélorussie cherche à faire pression sur l'Europe par l'instrumentalisation de milliers de demandeurs d'asile et la Russie, qui approvisionne en gaz toute l'Union européenne, a bien compris l'importance géopolitique, stratégique et financière de l'énergie.

Le 22 mars prochain, le Conseil européen doit adopter un Livre blanc de la défense et de la sécurité, qui propose notamment de définir le cap pour notre future coopération permanente structurée. La volonté française d'aller vers l'autonomie stratégique de l'Europe est-elle un manque de confiance ou une volonté de se démarquer de l'OTAN ? Quels seront les rapports entre la future coopération permanente et l'OTAN ? Quelles seront les futures relations entre l'Union européenne et les États-Unis après la constitution du pacte AUKUS ?

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Nous avons écouté avec attention votre exposé liminaire. C'est un catalogue très ambitieux, mais irréaliste. Les six priorités de la présidence française de l'Union européenne devraient, selon vous, se traduire ou se concrétiser dans la boussole stratégique. Vous me permettrez, je l'espère, d'exprimer quelques doutes. Les connaisseurs de la machinerie européenne, dont je ne fais pas partie, savent que les pouvoirs du Conseil européen sont relativement limités dans ce domaine par rapport à ceux de la Commission et du Parlement européen. En outre, cela implique un temps long, alors que le temps de la présidence française de l'Union européenne est compté, entre 1er janvier et le 30 juin. Il ne vous aura pas échappé que vous disposerez de trois mois utiles, sauf si le Président de la République renonce à être candidat à l'élection présidentielle – je ne crois pas que ce soit son intention.

Peut-être faudrait-il se fixer des objectifs moins ambitieux mais plus réalistes ? Il faudrait d'abord faire avancer plus rapidement les grands programmes d'armement, notamment le MGCS, le char du futur et le système de combat aérien du futur. Où en est-on ? Quelles actions concrètes comptez-vous entreprendre pour les faire progresser pendant notre présidence ?

En outre, des crises sont en cours : nous avons subi la crise migratoire à la frontière biélorusse ; nous nous sommes aussi aperçus à l'occasion d'une mission en Estonie que les pays de l'espace baltique redoutent une agression de l'Ukraine par la Russie en janvier ou février. Quelles initiatives comptez-vous prendre ?

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La défense prendra, nous n'en doutons pas, une grande place dans les priorités de la prochaine présidence française de l'Union européenne. J'étais à vos côtés au début du mois, Madame la ministre, au Forum international de Dakar, tout comme Mme la présidente, et je souhaitais vous interroger de nouveau sur les perspectives européennes dans la bande sahélo-saharienne, et même au-delà. Nous avons tous conscience d'un risque de débordement de la menace terroriste vers d'autres États, tels que le Bénin, le Togo, la Côte d'Ivoire ou le Sénégal. En lien avec le G5 Sahel et les alliés, l'Europe a tout intérêt à bien saisir ce qui se joue avec Barkhane, alors que, dans le même temps, tout laisse penser que la Russie avance masquée dans la région. L'Europe dispose d'un levier pour agir, la task force Takuba, dont le commandement, jusqu'à présent assuré par la France, a été récemment attribué à un officier suédois. C'est non seulement une première, mais aussi un symbole fort alors que le contexte régional change. Comment Takuba pourrait-elle évoluer dans un avenir proche ? Peut-on envisager des relais de nature à renforcer la lutte contre la contagion jihadiste ?

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La rédaction d'un Livre blanc européen de la défense – d'une boussole stratégique – s'inscrit dans un contexte de dégradation de l'environnement international. L'Union européenne doit montrer ses capacités à faire face à des menaces directes et indirectes et aller vers une véritable autonomie stratégique.

Les menaces se multiplient et il est urgent que l'Union européenne réaffirme sa présence dans des zones stratégiques comme l'Indopacifique, après la signature du pacte stratégique associant l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, et excluant l'Union européenne.

Il convient de regarder au plus près de nos frontières européennes : les conflits se dessinent entre la Russie et l'Ukraine dans les Balkans occidentaux ; les attaques du régime biélorusse maintiennent une pression extrême à nos frontières et appellent une stratégie commune. Quelle est la position de la France face à ces menaces ? Quelles réactions et quelles mesures pour protéger l'Union européenne ?

L'un des points importants de la boussole stratégique est la création d'une capacité autonome européenne de déploiement rapide, composée de 5 000 soldats d'ici 2025. Si nous ne pouvons évidemment que soutenir cette initiative qui va dans le sens d'une autonomie stratégique, l'idée n'est pas nouvelle et n'a jusqu'à présent jamais réussi à avancer. Comment comptez-vous dépasser les obstacles tels que la réticence de certains alliés européens ou la réaction de l'OTAN ?

Si la publication du Livre blanc européen permet d'entrevoir des pistes de travail, notamment à l'horizon 2025, ne serait-il pas nécessaire et opportun de fixer des objectifs et des ambitions communes à plus long terme, même si le cadre temporel de notre présidence est restreint ?

Enfin, j'aimerais rappeler l'importance de la prise en compte du défi climatique. La présidence française est une occasion unique de créer une dynamique européenne afin de prendre en compte la transition écologique de nos armées au niveau industriel et stratégique, mais aussi la question géostratégique. La transition énergétique est un enjeu majeur. Comment comptez-vous l'aborder ?

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En 2022 seront élaborés deux documents cadres essentiels : la boussole stratégique de l'Union européenne, prévue pour le mois de mars, et le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique, prévu pour le mois de juillet. La concomitance de ces travaux nous donne l'occasion de renforcer leur cohérence. L'OTAN demeure au fondement de la défense collective du continent européen et du lien transatlantique : il convient donc de renforcer la concertation politique en son sein tout en réaffirmant le pilier européen de défense et de sécurité. Une déclaration UE-OTAN visant à assurer une meilleure articulation entre les deux organisations doit d'ailleurs être publiée d'ici à la fin de l'année.

À cet égard, je souhaiterais évoquer la question de la planification capacitaire. L'Union européenne a développé de nombreux instruments tels que la coopération structurée permanente (CSP), qui ne revêt d'ailleurs pas qu'une dimension capacitaire, le Fonds européen de la défense ou le plan de développement capacitaire élaboré par l'Agence européenne de défense. Le NATO Defence Planning Process (NDPP) de l'OTAN est plus contraignant et favorise implicitement les équipements américains. Quelles propositions la France formulera-t-elle pour favoriser l'émergence d'une véritable BITD européenne au service de l'ambition capacitaire du continent ?

Un autre sujet structurant est celui des menaces hybrides, que vous avez mentionnées. Dans le cadre des discussions sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN, on évoque la possibilité de créer, aux côtés de la défense collective, de la sécurité coopérative et de la gestion de crise, une quatrième tâche dédiée à la résilience afin de faire face aux menaces situées en deçà de l'article 5 du traité de l'Atlantique nord en termes d'agression militaire. Vous avez indiqué que ces nouvelles formes d'agression figureraient aussi dans la boussole stratégique, et vous avez bien voulu préciser les priorités françaises en matière d'espace et de cyber.

S'agissant de notre environnement stratégique, mes collègues vous ont déjà demandé de quelle manière la présidence française aborderait le sujet ukrainien et les menaces russes. Par ailleurs, il semble que le document cadre européen en cours de négociation ne mentionne pas explicitement la Turquie, un pays qui appartient pourtant à l'OTAN. Comment aborderez-vous la question de la superposition de nos alliances, qu'elles reposent sur l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne, sur l'article 5 du traité de l'Atlantique nord ou sur des accords bilatéraux tels que l'accord de défense que nous avons conclu avec la Grèce ?

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Le rapport annuel de l'Agence européenne de défense, qui regroupe les vingt-sept États membres de l'Union à l'exception du Danemark, note que les budgets militaires ont augmenté mais que les dépenses communes, qui traduisent la collaboration entre les pays membres pour mutualiser les projets et partager les coûts, ont diminué. Dans ces conditions, comment la France peut-elle créer une véritable dynamique industrielle française et européenne de défense et permettre à l'Union européenne de se positionner comme une puissance capable d'assurer son autonomie stratégique ?

En outre, selon le rapport du comité de réflexion présidé par M. Thierry Chopin, conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors, installé par M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, dans la perspective de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, l'« Europe puissance » sera l'un des grands thèmes du prochain semestre. Le rapport recommande notamment de ne pas s'éparpiller et de se concentrer sur la recherche d'avancées relatives au Fonds européen de la défense et sur des projets de cybersécurité. Qu'en pensez-vous ?

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Vous êtes condamnée à essayer de faire tenir des ronds dans des carrés, car il ne peut y avoir d'Europe de la défense – les tentatives aboutissent depuis des années à des résultats piteux. En effet, la défense est une prérogative souveraine des États ; or la souveraineté, quelle que soit la définition que vous en donniez, trouve son fondement dans le peuple et il n'y a pas « un » mais « des » peuples européens. Dès lors, il est impossible de concilier Europe de la défense et principes élémentaires de la vie démocratique.

Par ailleurs, les traités européens et la pratique d'un bon nombre d'États parmi nos plus proches alliés nous empêchent de construire une Europe de la défense, car celle-ci est subordonnée aux orientations fixées par les États-Unis via l'OTAN – vous l'avez vous-même reconnu. Comment donc être souverain dans le cadre de l'OTAN ?

L'expression la plus claire de cette indisponibilité des États européens a été formulée par l'ancienne ministre de la défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer : « Il faut en finir avec l'illusion d'une autonomie stratégique européenne. » Les documents stratégiques états-uniens sont tout aussi formels : l'émergence d'une Europe autonome sur le plan géopolitique ne doit pas être permise, et l'Allemagne est le meilleur relais de cette stratégie. On est loin de la déclaration conjointe des présidents Biden et Macron, mais vu le contexte dans lequel cette dernière a été obtenue, comment la croire ? Alors que tout est fait, dit et pensé, en France, depuis des années, pour faire reposer la construction européenne sur le prétendu couple franco-allemand, on mesure que tout ce qui pourra être revendiqué comme une avancée ne sera en réalité que poudre aux yeux – il s'agira, d'une certaine manière, de bomber le torse et de faire la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron aux frais du contribuable… Personne n'est dupe, et les multiples trahisons allemandes de ces dernières années sont éloquentes !

L'Europe de la défense, c'est tout au mieux une stratégie de mutualisation des dépenses et des équipements dont la France imagine tirer un avantage financier. C'est une illusion, voire une malhonnêteté. Les autres États européens ne seront pas les financeurs de la BITD française – les échecs du Rafale en Europe en sont une illustration.

Dans ces conditions, je n'ai guère de question à vous poser. La France insoumise considère que la France doit défendre elle-même ses intérêts et nouer des partenariats ad hoc en matière de défense. Se lier les mains dans une Europe de la défense qui n'est pas faite pour défendre les intérêts du peuple français est tout bonnement une mauvaise idée.

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Nous recevons chaque semestre un excellent document détaillant la position française sur les sujets européens d'actualité. Dans le chapitre « Action communautaire pour l'Europe et la défense », on peut lire : « Le Président de la République avait exprimé le souhait que soit créé, à terme, un budget de défense commun. Dans cette optique, la France soutient le Fonds européen de la défense, dont le budget devra en outre bénéficier à l'industrie française, contribuer à la relance économique post-covid-19 et renforcer l'autonomie stratégique européenne. La France reste vigilante à ce que la participation des entités contrôlées par des États tiers ne puisse être envisagée qu'au cas par cas et dans le cadre de conditions et garanties strictes. » Je ne comprends pas cette dernière phrase. Est ensuite détaillée la position des partenaires : « Globalement, la nécessité de renforcer la défense européenne est reconnue par l'ensemble des États membres. Cependant, le développement d'un volet communautaire de la défense européenne a fait l'objet de divergences de vues entre les États membres. Un premier groupe d'États est désireux de renforcer l'ambition générale sur la défense, quand d'autres souhaitent en rester à l'existant. La France est en tête des premiers, soutenant une ambition forte pour le Fonds européen de la défense et un approfondissement de l'autonomie stratégique européenne avec l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la République tchèque et, dans une moindre mesure, la Grèce et Chypre. Les seconds, parmi lesquels se trouvent la Pologne, la Lituanie, la Lettonie ou encore les Pays-Bas, adoptent généralement cette position parce qu'ils privilégient l'OTAN, sont soucieux de préserver leur souveraineté ou perçoivent peu de perspectives de retombées industrielles. »

J'ai trouvé, Madame la ministre, que vous faisiez preuve d'un très grand optimisme. Vous avez insisté plusieurs fois sur l'importance du partenariat transatlantique et de la déclaration conjointe des présidents Biden et Macron. Vous vous êtes félicitée d'une immense avancée historique dans les relations que nous entretenons avec les États-Unis. À la fin de votre propos liminaire, vous avez cependant affirmé que souveraineté et naïveté ne faisaient pas bon ménage. Ne pensez-vous pas que votre optimisme s'apparente à de la naïveté s'agissant des évolutions possibles de nos relations avec les États-Unis dans le cadre de l'OTAN ?

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Florence Parly, ministre des Armées

Plusieurs d'entre vous m'avez interrogée au sujet de l'OTAN et de l'autonomie stratégique de l'Union européenne. Je le répète, vingt et un États membres de l'Union européenne appartiennent également à l'Alliance atlantique : ceux-là ont donc un intérêt certain à essayer d'adopter des positions convergentes dans chacune des deux organisations. Je rappelle également, sans réticence aucune, que l'OTAN est la pierre angulaire de notre défense collective et que l'article 5 du traité de l'Atlantique nord nous permet de constituer cet actif très précieux qu'est l'interopérabilité entre nos armées – c'est ce qui nous a permis de déployer rapidement, avec soixante-douze heures de préavis, le raid Hamilton en Syrie en 2018. En outre, vous le savez, la France est un membre actif de l'OTAN, et lorsque j'entends certains douter de notre fiabilité et de notre engagement dans l'Alliance atlantique, je ne manque pas de rappeler que nous sommes engagés dans de très nombreuses opérations et missions, notamment en Estonie, dans le cadre de la présence avancée renforcée, mais aussi, par le passé, dans les Balkans et en Afghanistan. Du reste, le général Philippe Lavigne, que votre commission a souvent auditionné, est désormais commandant suprême pour la transformation de l'OTAN.

L'Union européenne et l'OTAN, qui ont chacune leur raison d'être, sont complémentaires. Cette complémentarité, nous devons la développer de plus en plus dans le cadre des défis hybrides, ou duaux, touchant à la fois les domaines civil et militaire. Dans le domaine civil, l'Union européenne a développé depuis plusieurs décennies des compétences et savoir-faire qu'on ne peut pas balayer d'un revers de main. C'est notamment le cas dans le secteur spatial, un domaine dual par excellence. Alors que l'espace exoatmosphérique devient un milieu de confrontation potentielle, il est naturel que l'Alliance atlantique s'empare également de ces questions ; il faut alors organiser les choses de telle sorte que l'OTAN puisse capitaliser sur les investissements réalisés de longue date par l'Union européenne et intégrer à ces derniers la dimension confrontationnelle pour laquelle elle est tout à fait légitime. Il en va de même dans le domaine cyber, où la complémentarité doit être recherchée et peut produire des résultats très utiles.

Non, Monsieur Chassaigne, je ne suis pas du tout naïve lorsque je me réfère à la déclaration conjointe des présidents Biden et Macron. Il est important que le président des États-Unis ait reconnu personnellement le rôle et la place de la défense européenne dans notre sécurité collective, alors qu'on entend souvent, au sein de l'Alliance atlantique, des voix nous dire que l'Union européenne ne sert à rien et que l'OTAN fait tout. L'exemple du domaine spatial que je viens de citer montre précisément que les choses ne sont pas aussi simples. Je le dis sans naïveté, cette déclaration conjointe est intervenue dans un contexte particulier, après la crise très difficile qu'a entraînée l'annonce de l'AUKUS et qui n'est d'ailleurs pas totalement résolue. J'espère qu'elle nous permettra de dépasser les propos de séance qui, au lieu de nous encourager à développer nos complémentarités, ne cessent de pointer du doigt les possibles duplications. Je suis contre les doublons, qui ne sont que de la déperdition d'argent et d'énergie, mais on ne peut prétexter sans cesse des éventuelles évolutions futures de l'Alliance atlantique pour interdire à l'Union européenne de faire ce qu'elle fait depuis des années.

Monsieur de la Verpillière, vous vous êtes montré sceptique quant à nos priorités, que vous jugez trop ambitieuses. Peut-être est-ce de ma faute, car j'ai oublié de préciser que la boussole stratégique fixerait des ambitions pour les dix prochaines années. Il ne s'agit évidemment pas d'en assurer la mise en œuvre intégrale au cours des six prochains mois. D'ailleurs, ces priorités ne sortent pas de nulle part – elles sont le résultat d'un travail intense mené par nos prédécesseurs, c'est-à-dire par les présidences allemande, portugaise et slovène, pour ne citer que les trois dernières – et leur mise en œuvre sera entre les mains des présidences qui nous succéderont. Après les progrès concrets, tangibles, réalisés au cours des cinq ou sept dernières années, il nous faut passer à la vitesse supérieure. Il y a eu de très longs débats, au sein de l'Union européenne, sur le bon dosage de ces ambitions, qui doivent rester réalistes car des objectifs inatteignables nuiraient à la crédibilité de l'Union ; cependant, après l'expérience douloureuse que nous avons vécue cet été avec l'évacuation de Kaboul et de l'Afghanistan, chacun convient que le moment est venu de fixer un niveau d'ambition élevé. Nous verrons comment tout cela sera mis en œuvre, mais si nous ne définissons pas dès à présent les outils et moyens qui permettront d'atteindre nos objectifs, ces derniers risquent de ne pas être atteints. Or nous avons l'intention de développer les opérations menées conjointement, sur le terrain, ainsi que les projets capacitaires, lesquels constituent un socle indispensable pour atteindre nos ambitions. Nous avons également besoin de nous appuyer sur des partenariats et une culture stratégique commune.

Le SCAF et le char de combat du futur sont deux très grands projets de coopération avec des partenaires européens importants, l'Allemagne et l'Espagne.

Le 30 août dernier, j'ai signé avec mes deux homologues allemande et espagnole le troisième arrangement d'application relatif au programme SCAF, qui vise à cadrer nos travaux pour les mener jusqu'à leur terme. Nous souhaitons qu'un démonstrateur puisse voler à l'horizon 2027, une échéance proche compte tenu de l'ampleur des travaux. Nous avons quasiment tout réglé ; il nous manque un seul contrat, le principal, dont l'élaboration prend du temps du fait de sa complexité et qui concerne le « pilier » dédié à l'avion de combat. Je rappelle que le programme SCAF va au-delà d'un simple avion de combat : il s'agit en fait d'un « système de systèmes » qui intègre l'équivalent de drones ainsi que des capacités de communication et d'échange de données. Si les choses sont difficiles, c'est parce que nous sommes exigeants sur un principe essentiel : nous voulons un leader par grand domaine, avec des responsabilités bien identifiées. En effet, dans le passé, d'autres programmes n'étaient pas fondés sur ce principe de responsabilisation des industriels, ce qui a conduit à des dépassements de budget, à des glissements de calendrier et à des difficultés à livrer l'ensemble des fonctionnalités opérationnelles requises. Je le répète, il est très important que nous ne fléchissions pas sur ces principes fondamentaux essentiels à l'efficacité et au bon déroulement d'un programme majeur pour nos forces et nos industriels. J'espère que ce dernier contrat pourra être notifié au cours du premier semestre 2022.

S'agissant du char de combat du futur, la situation est assez différente. Alors que le programme SCAF est conduit sous leadership français, la réalisation du char de combat du futur se fait sous leadership allemand. Aujourd'hui, la balle est dans le camp des industriels allemands, en particulier de Rheinmetall, qui doivent se mettre d'accord sur la répartition des différentes tâches. Pendant ce temps, nous avançons sur la question de l'architecture du système. Ces travaux se poursuivront jusqu'à la mi-2022 au niveau des équipes étatiques française et allemande.

Vous avez raison, Madame Poueyto, c'est un symbole très fort que de voir un officier suédois prendre le commandement de la force Takuba, qui participe à l'opération Barkhane. C'est la preuve que nous sommes en train d'européaniser notre action militaire au Sahel et que ces coalitions ad hoc, qui s'ajoutent aux formats que l'Union européenne peut par ailleurs développer en son sein, apportent une contribution tout à fait tangible et concrète sur le terrain. Onze pays sont aujourd'hui engagés dans la force Takuba. Ils seront quinze dans quelques mois pour mener des opérations de combat aux côtés des forces armées maliennes. Dans la perspective de l'évolution de notre dispositif militaire au Sahel, Takuba doit jouer un rôle croissant en fournissant un soutien crédible aux Maliens. Votre question sur l'évolution prochaine de cette force doit s'inscrire dans le cadre des réflexions que nous menons plus largement sur l'Afrique de l'Ouest.

Plusieurs d'entre vous m'avez interrogée sur la capacité d'action rapide qui figure dans le projet de boussole stratégique. Les mots sont très importants : il ne s'agit pas d'une force mais d'une capacité d'action. Nous devons d'abord nous demander ce qui nous empêche d'agir ; c'est pourquoi je disais tout à l'heure que ce travail sur la boussole stratégique nous permet aussi de mettre le doigt sur ce qui nous fait défaut et nous rend plus vulnérables. Notre objectif est de disposer, à horizon 2025, d'une capacité d'action pouvant aller jusqu'à 5 000 hommes mais, d'ici là, nous devons d'abord nous efforcer de combler nos lacunes capacitaires – je pense notamment au transport stratégique et aux drones –, de renforcer en particulier nos capacités de commandement, de développer notre culture stratégique et opérationnelle et d'améliorer nos processus décisionnels. En effet, la lucidité est de mise et chacun a pu constater que le processus de décision politique au niveau de l'Union européenne était trop lent.

J'ai évidemment limité mon propos aux questions de défense, mais le climat doit aussi être un enjeu de la présidence française de l'Union européenne. En novembre, dans le cadre du Forum de Paris pour la paix, nous avons lancé l'initiative « changement climatique et forces armées », qui regroupe vingt-cinq pays signataires et vise tant à mieux appréhender l'impact du réchauffement climatique sur les tensions et les crises futures qu'à étudier comment nous pouvons réduire notre propre empreinte environnementale lorsque nous déployons des forces, en particulier sur des théâtres d'opérations extérieures. Puisque vous avez travaillé sur ces sujets, Madame Santiago, vous avez pu constater que nos armées s'efforcent d'innover et de réduire au minimum les prélèvements d'eau et de matériaux nécessaires à la construction d'infrastructures afin de préserver des ressources précieuses pour les populations locales.

S'agissant de la gestion de crise, je ne reviendrai pas sur ce que j'ai déjà dit : nous devons non seulement accélérer le processus de décision politique, mais également développer les capacités qui nous manquent, notamment en matière de commandement, ainsi qu'une culture stratégique et opérationnelle commune.

L'Initiative européenne d'intervention (IEI) a produit bien plus de résultats que nous pouvions en attendre. Rappelez-vous le scepticisme des différents États membres lorsque cette initiative a été lancée. C'est lorsque nous avons expliqué qu'il s'agissait de mettre autour d'une même table des États à la fois politiquement volontaires et militairement capables que nous avons éveillé l'intérêt d'un certain nombre de pays et que nous nous sommes interrogés sur notre capacité à développer des actions selon un large spectre de scénarios d'intervention. Nous avons commencé modestement, en travaillant sur des scénarios plutôt centrés sur une aide à apporter à des populations frappées par des catastrophes naturelles, à l'image de ce qui s'est passé aux Antilles et dans les Caraïbes en 2017 après le passage de l'ouragan Irma, puis nous nous sommes enhardis et avons fini par développer des scénarios plus exigeants.

Si la force Takuba ne peut être considérée comme une opération de l'IEI, elle n'en est pas moins issue de réflexions et d'échanges qui ont eu lieu entre les partenaires de l'IEI ; de toutes les instances existantes, c'est celle où les échanges sont les plus libres, spontanés, sans aucun formalisme. Ainsi, lors de la dernière réunion de l'IEI, les pays engagés au Sahel et partenaires dans le cadre de la force Takuba ont eu l'idée d'entamer une démarche politique commune qui s'est traduite par une lettre remise par neuf ambassadeurs à la junte malienne.

Pour ma part, je considère donc l'IEI comme l'une des grandes réussites de ces dernières années : elle est un excellent laboratoire qui nous permet de réfléchir aux éventuelles interventions à mener et d'identifier avec lucidité ce qui nous bride dans notre capacité d'action. Il faut continuer à encourager le dialogue dans cette enceinte car c'est là que, de manière très pragmatique, notre culture stratégique commune se développe et s'enrichit. Du reste, alors que le Royaume-Uni n'est plus membre de l'Union européenne, il continue de participer activement à l'IEI : ce forum nous permet donc également de poursuivre le dialogue avec les Britanniques.

J'en viens à la question de la Turquie et de la bonne articulation entre les différentes alliances que nous avons conclues. La Turquie est un membre historique de l'Alliance atlantique, à laquelle elle a adhéré en 1952. J'admets qu'il s'agit d'un allié difficile, pour ne pas dire turbulent. La présence de la Turquie au sein de l'OTAN a ses bons côtés – nous avons utilisé des bases turques pour nos opérations en Afghanistan –, mais ce pays a aussi eu des comportements que je qualifierais de déplacés, notamment vis-à-vis de notre frégate Courbet en juin 2020. Il fait partie des acteurs qui bloquent les progrès que j'appelle de mes vœux en termes de complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN. Nous cherchons donc à contourner ces blocages institutionnels et à créer des coopérations de fait entre l'Union européenne et l'OTAN sur des sujets concrets où des synergies s'imposent tels que le cyber, l'espace, la résilience et l'innovation.

Monsieur Favennec-Bécot, on lit effectivement, ici ou là, que les dépenses de défense ont diminué, mais je ne comprends pas bien d'où viennent ces chiffres. Permettez-moi d'utiliser d'autres sources, celles de l'OTAN. Je rappelle que vingt et un membres de l'Alliance atlantique sont aussi membres de l'Union européenne. Dans la mesure où les dépenses des alliés ont fortement progressé globalement, on voit mal pourquoi un sous-échantillon de vingt et un membres – même porté à vingt-sept – pourrait lui-même voir ses dépenses décroître. Il faut prendre les chiffres avec des pincettes. J'ai rencontré nombre de nos partenaires européens au cours des quatre dernières années : aucun n'a fait diminuer ses dépenses de défense.

Les rythmes de croissance sont plus ou moins soutenus selon les pays mais tous ont pris conscience qu'il est nécessaire d'investir dans la défense si nous voulons assurer notre sécurité. Les outils de défense ne sortent pas de nulle part. Ce sont bien les forces de chacune des nations, de chacun des membres de l'Alliance atlantique qui constituent son armature. Il en va de même pour l'Union européenne, même si celle-ci commence à se doter d'outils de financement qui permettent de développer des projets en commun, tels que le Fonds européen de la défense. C'est tout à fait nouveau et il faut s'en féliciter.

Vous dites qu'il ne faut pas s'éparpiller, qu'il faut miser sur des projets susceptibles de nous donner une supériorité dans quelques domaines stratégiques, comme le cyber. Nous sommes d'accord : il faut orienter les projets – qu'ils soient développés dans le cadre de la coopération structurée permanente ou du Fonds européen de la défense – vers des domaines qui nous donnent une vraie capacité de différenciation. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il y a désormais une revue régulière des projets développés dans le cadre de la coopération structurée permanente : on vérifie s'ils avancent, on supprime ceux qui n'avancent pas et on concentre nos efforts là où c'est nécessaire.

Monsieur Lachaud, vous ne m'avez pas vraiment posé de questions ; vous avez plutôt fait des remarques et pris position. Je n'adhère pas à la démonstration que vous nous avez faite : vous dites qu'il ne peut pas y avoir d'Europe de la défense, parce qu'elle serait contraire au principe de la souveraineté nationale. Il ne s'agit pas de diluer la souveraineté nationale dans la souveraineté européenne, mais de construire une souveraineté européenne, partout où l'échelon européen a un sens. Vous citez une déclaration de mon ex-collègue allemande, Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, mais vous oubliez de dire que si elle a tenu ces propos, c'était pour mieux privilégier l'Alliance atlantique, et elle seule. Vous omettez également de dire que le nouveau gouvernement allemand n'est pas du tout sur la même ligne. Vous regardez vers le passé, au lieu de regarder vers l'avenir.

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Vous avez déjà en partie répondu à la question que je voulais vous poser, concernant la capacité de projection rapide. La France est-elle favorable à l'utilisation des groupements tactiques, c'est-à-dire des battlegroups, comme base de départ de cette prochaine capacité de projection rapide – sachant qu'ils n'ont jamais fait la guerre ?

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Je voulais vous interroger sur la compatibilité entre la souveraineté stratégique européenne et la souveraineté nationale. Je n'y reviens pas, puisque vous avez déjà répondu à cette question – sans avoir d'ailleurs totalement levé mes doutes, ni mes craintes sur le sujet.

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Je vous remercie, Madame la ministre, pour ce beau plaidoyer en faveur d'une Europe de la défense qui prend ses responsabilités, notamment en matière d'autonomie stratégique. Vous avez parlé, Madame la présidente, de la nécessité d'avoir une industrie de la défense Made in Europe. À cet égard, j'aimerais revenir sur le partenariat stratégique qui nous lie à la Grèce. Alors que cette dernière a commandé à la France trois – et peut-être quatre – frégates, pour un montant de 3 milliards d'euros, nous avons été troublés d'entendre le gouvernement américain déclarer qu'il était lui aussi prêt à vendre des frégates à la Grèce. Vous avez évidemment démenti cette annonce, comme le gouvernement grec, mais un trouble demeure. Pouvez-vous expliquer les raisons obscures qui ont poussé les autorités américaines à faire cette déclaration ? Sommes-nous assurés, si ce n'est de la fidélité, du moins de la sincérité des Grecs dans cette affaire ? Nous avons déjà été échaudés…

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Avec la crise liée à la covid-19, la notion d'autonomie stratégique s'est étendue à de nombreux domaines, notamment à la politique industrielle et commerciale, alors même que, dans son acception première, cette expression renvoie au domaine militaire. Pour éviter qu'elle ne devienne insaisissable, il semble pertinent de préciser ce qu'elle englobe, en matière de défense. On notera au passage que la notion d'autonomie stratégique tend parfois à être remplacée par celle de souveraineté européenne, voire de capacité et de liberté d'action, si bien que nos concitoyens ont du mal à s'y retrouver. Une clarification paraît donc nécessaire. Madame la ministre, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « autonomie stratégique » et « souveraineté européenne » ? Et pouvez-vous nous dire comment l'Europe compte atteindre un plus haut degré d'autonomie stratégique ?

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Quelle part notre marine nationale va-t-elle prendre dans la défense européenne au cours des prochains mois ? Depuis que les Anglais sont partis, la marine française est la seule, en Europe, à pouvoir être présente sur les mers, sous les mers, de la mer vers la terre et même dans les airs. La France est aussi le seul pays qui possède à la fois un porte-avions et un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE).

Vous avez évoqué rapidement la notion de présences maritimes coordonnées. À ce sujet, j'aimerais saluer le succès de l'exercice Polaris 21, auquel plusieurs d'entre nous ont assisté à bord du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre. C'est un très bon exemple de coopération, puisque cette opération a associé des Britanniques, des Américains, mais aussi des Grecs, des Italiens et des Espagnols. Ce fut un vrai succès.

J'aimerais, enfin, évoquer la directive sur le temps de travail. La présidence française de l'Union européenne ne pourrait-elle pas être l'occasion d'aller vers un assouplissement de l'application de cette directive ? J'étais hier à Brest : un amiral me disait qu'un patrouilleur allemand a besoin, pour remplir l'ensemble de ses missions, de sept équipages s'il veut respecter les règles relatives au temps de travail.

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Vous nous avez présenté un programme dense et ambitieux. Or nous sommes désormais tous d'accord pour dire que ce dont l'Europe de la défense a besoin, c'est d'ambition.

Le 30 août 2021, vous avez signé avec vos homologues allemande et espagnole un accord sur le système de combat aérien du futur. Vous l'avez déjà évoqué, mais pouvez-vous nous donner davantage d'informations sur le chapitre financier ? Le Fonds européen de la défense finance les projets associant au moins trois pays de l'Union. Le SCAF bénéficiera-t-il d'investissements du FED ? Plus globalement, pour tous les projets industriels de défense, les apports du FED viendraient-ils compenser proportionnellement les investissements nationaux ou financer directement les industriels ?

Le FED a pour ambition, en créant des synergies entre les pays européens, de produire un effet de levier et de renforcer ainsi la rentabilité et l'attractivité économique des projets industriels européens de défense, par rapport aux projets nationaux. Concrètement, comment ce fonds pourrait-il nous aider à convaincre collectivement, à long terme, des pays amis et traditionnellement plus atlantistes, comme l'Espagne et le Portugal, de coopérer davantage avec la France ou l'Allemagne, dans un objectif de renforcement de l'autonomie stratégique de l'Union ? En quoi la présidence française de l'Union européenne pourrait-elle nous permettre de travailler sur le FED pour faire avancer cette cause ?

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La France prône depuis longtemps le multilatéralisme à toutes les échelles – européenne, indopacifique, mondiale – et, d'une manière générale, elle soutient l'autonomie stratégique de ses partenaires. Il paraît donc logique qu'elle ait elle-même pour objectif de renforcer sa propre souveraineté. À cet égard, la représentation nationale ne peut que se féliciter du lancement, le 16 novembre dernier, des trois satellites de capacité de renseignement électromagnétique spatial (CERES) depuis le centre spatial guyanais. Pouvez-vous nous en dire plus, Madame la ministre, sur ce lancement qui apparaît comme un élément majeur de notre indépendance stratégique ? La France acquiert-elle, de fait, une place prépondérante dans le domaine du renseignement d'origine spatiale parmi les États membres de l'Union européenne ?

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Je souhaite vous interroger sur la stratégie de l'Union européenne dans l'Indopacifique. Sans revenir sur la déconvenue que la France a connue dans l'affaire AUKUS avec l'Australie, il nous faut définir le rôle que l'Union européenne veut et peut jouer dans la région. L'interdépendance de l'Europe avec la Chine s'illustre par les flux physiques d'approvisionnement en composants stratégiques et en ressources énergétiques, agricoles ou autres, qui transitent essentiellement par les détroits de Malacca, de la Sonde et de Taïwan – d'où l'importance de garantir la liberté de navigation dans cette vaste zone. Or la stratégie indopacifique annoncée par le Conseil européen nous laisse un peu sur notre faim. En effet, il y est fait mention de partenariats économiques et d'aspects normatifs, certes très importants, mais la dimension stratégique de la sécurisation des flux par une présence maritime coordonnée des États membres n'y est pas clairement explicitée. Il est vrai qu'à l'exception de la France, qui tire sa légitimité de ses territoires ultramarins et de la capacité de sa marine à projeter ses forces dans cette région du monde, nos partenaires européens, eux, sont peu présents, et ne disposent que de moyens très limités.

Dans ce contexte, et dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, comment la France peut-elle soutenir l'ambition de l'Union, développer un véritable système d'alliances, au-delà des seuls partenariats économiques, et garantir ainsi la préservation des intérêts stratégiques de l'Europe ? En matière de sécurité, est-il envisageable de se rapprocher du Quad, qui réunit les États-Unis, le Japon, l'Inde et l'Australie ? L'Union européenne ne devrait-elle pas concentrer ses efforts sur les voies d'accès à l'océan Indien, en garantissant la sécurité maritime du détroit d'Ormuz ou en luttant contre la piraterie dans le golfe d'Aden, qui débouche sur la Méditerranée – une autre zone prioritaire, s'il en est, de l'Union européenne ?

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Le 1er janvier 2022, et pour six mois, la France exercera la présidence française de l'Union européenne, avec un projet fort en matière de souveraineté. Grâce à l'impulsion du Président de la République, l'Europe a mis en œuvre son premier budget militaire commun, une initiative européenne d'intervention et plusieurs programmes communs d'armement franco-allemands, qui ont ensuite été ouverts à d'autres États membres. La présidence française permettra également de définir concrètement les orientations et les choix que nous voulons faire pour notre défense, en tant qu'Européens.

Le 15 septembre, à l'occasion de son discours sur l'état de l'Union, Mme Ursula von der Leyen a rappelé la nécessité de développer un écosystème européen de la défense. Plus que d'un écosystème, c'est d'une réelle Union européenne de la défense dont nous avons besoin. La présidente de la Commission européenne a également annoncé qu'un sommet de la défense européenne se tiendrait pendant la présidence française de l'Union. Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des éléments sur les thématiques concrètes qui seront discutées lors de ce sommet ? Votre ministère et nos armées saisiront-ils cette occasion pour sensibiliser et coordonner les actions des armées européennes sur la transition écologique et énergétique ?

Je tiens à cet égard à féliciter les différents régiments qui rendent compte, sur les réseaux sociaux et dans la presse, des actions qu'ils mènent pour la protection et la valorisation de la faune et de la flore sur les emprises militaires, comme cela a été préconisé dans les rapports sur la transition écologique.

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L'adoption par le Conseil européen de mars 2022 de la boussole stratégique sera l'occasion d'affirmer des orientations et des ambitions stratégiques communes en matière d'armement, d'exercice et de partenariat conjoints. Madame la ministre, pourriez-vous nous faire un point d'étape concernant l'article 42-7 du traité de Lisbonne, relatif à la défense mutuelle ?

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Florence Parly, ministre des Arméees

Si les battlegroups n'ont pas été utilisés jusqu'à présent, c'est faute d'une volonté politique en ce sens. La capacité de réaction rapide repose sur un certain nombre d'outils. Certains existent déjà : ce sont des coalitions ad hoc, comme Takuba, ou des missions et des opérations de la police de sécurité et de défense commune (PSDC), comme les missions de formation de l'Union européenne. D'autres outils sont par ailleurs en train de voir le jour, comme la facilité européenne pour la paix, qui est déjà une réalité, mais dont l'extension à la fourniture d'armes létales sera bientôt une réalité. Les battlegroups pourraient également être l'un de ces nouveaux outils.

J'en viens à la question du partenariat franco-grec et, plus précisément, au statut de l'offre qui a été faite par les États-Unis. Je vous rappelle que nous avons conclu un accord avec la Grèce pour l'acquisition de trois frégates de défense et d'intervention (FDI), potentiellement complété par une quatrième en option. Cet accord est sur le point d'être définitivement validé, puisqu'il doit passer devant le Parlement grec avant d'être examiné par la Cour des comptes grecque, comme cela avait été le cas il y a un an, lorsque nous avions conclu le contrat pour la fourniture d'avions Rafale. Nous sommes dans la phase finale de la validation définitive.

Dans ce contexte, comment doit-on comprendre l'annonce américaine ? Dans une phase antérieure du processus, il avait été question que les États-Unis vendent des frégates à la Grèce et le Foreign Military Sales, un dispositif qui leur est propre, exigeait que le Congrès américain donne son approbation au principe d'une possible acquisition par la Grèce de frégates américaines. Après la phase administrative, le projet est arrivé devant le Congrès, qui l'a validé. Mais, entre-temps, la Grèce s'est engagée vis-à-vis de la France. Je répète que l'annonce qui a été faite est simplement l'aboutissement d'un processus qui s'est achevé devant le Congrès. L'accord conclu avec la France n'est nullement menacé.

Faut-il parler d'autonomie stratégique ou de souveraineté européenne ? Les querelles lexicales sont fréquentes entre partenaires. Peu importe que l'on préfère une expression ou l'autre ; l'essentiel, c'est la liberté de décider, de choisir et d'agir. Il faut avoir des processus de décision plus rapides, être capables d'équiper nos forces ensemble et avoir des matériels dont nous maîtrisons la technologie, ce qui suppose de développer une base industrielle et technologique de défense européenne et d'investir beaucoup dans le domaine de l'innovation.

Certains préfèrent la notion d'autonomie stratégique, d'autres celle de souveraineté européenne. Pour ma part, je pense que l'essentiel, c'est l'action. Je constate que les Européens se sont bien approprié la notion de « souveraineté européenne ». À la faveur de la crise sanitaire, ce terme de « souveraineté » a pris un sens très concret pour chacun d'entre nous.

J'en viens aux liens entre la marine nationale et l'Union européenne. Nous avons une marine de combat et souhaitons protéger les espaces communs maritimes. C'est une priorité que les Européens se sont fixée. De ce point de vue, la présence maritime coordonnée qui est expérimentée dans le golfe de Guinée va nous permettre d'envisager des extensions. Et, pour anticiper sur une autre question qui m'a été posée, il est vrai que l'Indopacifique constitue un espace privilégié pour le déploiement d'une présence maritime coordonnée. Nous sommes déjà impliqués dans des opérations européennes en Méditerranée, avec la mission Irini pour le contrôle et la surveillance des côtes libyennes, mais aussi avec l'opération Atalante dans l'océan Indien, qui a permis de lutter contre la piraterie.

Au-delà de ces opérations européennes, que nous voulons développer, il est vrai que nous avons, au sein de notre marine, des outils qui nous permettent de fédérer un certain nombre d'Européens dans le cadre de coopérations. C'est particulièrement vrai de notre groupe aéronaval, qui a réalisé il y a peu de temps un exercice assez exceptionnel, en réunissant des navires espagnols, britanniques, grecs, italiens et américains. L'objectif est de pousser plus loin ces exercices, et tout déploiement du porte-avions doit être une occasion de développer ces coopérations, notamment avec les Européens. Enfin, le fait de pouvoir partager des équipements communs, comme des frégates de défense et d'intervention avec la Grèce, est aussi un gage de coopération renforcée pour l'avenir.

La directive sur le temps de travail est une question extrêmement importante. J'ai rappelé qu'il était nécessaire de ne pas nous laisser affaiblir par des normes ou des directives qui pourraient contrecarrer la volonté des Européens d'avancer dans le domaine de la défense. La France a fait part à la Commission européenne des difficultés qu'elle aurait à appliquer cette directive à ses forces armées et lui a demandé d'insérer une clause dérogatoire, ou « opt-out », dans le rapport que celle-ci doit remettre sur l'application de la directive. Ce mécanisme permettrait aux États membres qui le souhaitent de préserver leur liberté d'appliquer, ou non, la directive à leurs forces armées. En tout cas, il me paraît extrêmement important de pouvoir préserver, à l'échelle européenne, cette capacité d'action dont j'ai longuement parlé.

Le programme spatial CERES a effectivement un caractère tout à fait exceptionnel, car la France est le seul pays en Europe à déployer une capacité opérationnelle de renseignement d'origine électromagnétique depuis l'espace. C'est un fait unique, qui va considérablement accroître nos capacités de renseignement et permettre à notre pays de disposer d'une plus grande autonomie pour apprécier certaines situations et prendre des décisions. On voit bien, dans les crises que nous traversons en ce moment, combien il est précieux de détenir un renseignement qui nous soit propre, un renseignement souverain, et de confronter nos analyses et nos points de vue avec du renseignement produit par d'autres pays et d'autres alliés. C'est la loi de programmation militaire que vous avez votée qui a permis, tout récemment, l'aboutissement de ce programme.

J'ai déjà partiellement répondu au sujet de l'Indopacifique. Il nous paraît important, dans le domaine de la sécurité et de la défense, de conserver une position équilibrée vis-à-vis de la Chine. Mais nous devons aussi être capables de proposer de nouveaux exercices conjoints, d'organiser des escales dans les pays de la région indopacifique, d'amplifier le déploiement naval des différents États membres dans la région – j'ai mentionné l'extension du concept de présences maritimes coordonnées à l'Indopacifique – et de renforcer les capacités des différents pays partenaires. Être capable d'avoir une présence maritime européenne significative dans l'Indopacifique est un objectif extrêmement important, et nous y veillerons, puisque nous y participons, à titre national, de façon très régulière et constante.

Je vous remercie de noter les efforts qui ont été réalisés par nos armées dans le domaine du développement durable, des énergies renouvelables, ainsi que de la préservation de la biodiversité. J'ai déjà rappelé l'initiative que nous avions prise en ce sens, avec vingt-quatre autres pays. Je vous renvoie aussi à l'objectif plus global qu'a rappelé le Président de la République la semaine dernière, lorsqu'il a présenté les priorités de la France pour la présidence de l'Union européenne : il a appelé de ses vœux, non seulement une France plus verte, mais aussi une Europe plus verte. Chacun d'entre nous doit y veiller, dans ses responsabilités respectives, et c'est ce que nous faisons au sein du ministère des armées.

Comment faire jouer la solidarité entre les États membres de l'Union européenne et l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne ? Cet article n'a été invoqué qu'une seule fois, par la France, lorsqu'elle a subi les attentats de novembre 2015. Depuis, des retours d'expérience ont été produits, qui ont fait apparaître une certaine lourdeur dans la mise en œuvre du processus, et des pistes ont été proposées pour le fluidifier. Nous sommes en train de réfléchir à la manière d'améliorer les conditions d'activation de l'article 42-7 ; le service européen pour l'action extérieure prépare un manuel pratique. La France souhaite que plusieurs exercices d'activation de cet article soient réalisés, notamment dans le domaine du cyber, afin d'éprouver l'utilité et l'efficacité de ce manuel et d'opérationnaliser l'assistance mutuelle que nous nous devons.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, je vous remercie pour l'exhaustivité de vos réponses et le temps que vous nous avez consacré.

Je veux souligner la grande cohérence des objectifs que vous avez exposés.

Ils s'inscrivent au demeurant dans le droit fil des travaux que nous avons menés depuis 2017 – l'actualisation de la revue stratégique et la loi de programmation militaire, notamment –, en lien avec la commission des affaires européennes, dont je salue également le travail.

Renforcer la place de l'Europe au sein de l'OTAN est vraiment une chose à laquelle nous devons continuer de travailler : il n'y a pas d'autre alternative.

Nous avons par ailleurs beaucoup travaillé, au sein de notre commission, à la directive sur le temps de travail et nous saluons l'idée qui consiste à insérer une clause d' opt-out, qui préserverait la capacité opérationnelle de nos forces.

Je retiens, enfin, ce qui me paraît le plus important : le slogan d'une Europe puissante, libre de ses choix et maître de son destin. Si nous n'agissons pas collectivement, il ne nous restera plus qu'à subir les choix de ceux qui décideront de notre destin. À cet égard, la figure de Charles de Gaulle peut nous inspirer.

On dépend toujours de quelqu'un ou de quelque chose, mais nous nous devons de construire cette Europe puissante, et je sais que la présidence française y contribuera. Je sais aussi, Madame la ministre, que vous y prenez une part extrêmement active. Merci pour votre travail et l'énergie que vous y mettez. Elle sert nos armées et elle nous oblige.

La séance est levée à vingt heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Françoise Ballet-Blu, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Jean-Jacques Bridey, M. André Chassaigne, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Catherine Daufès-Roux, M. Rémi Delatte, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Philippe Meyer, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, M. Gwendal Rouillard, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Stéphane Trompille, M. Charles de la Verpillière, M. Stéphane Vojetta

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Bernard Bouley, M. Christophe Castaner, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Claude de Ganay, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Christophe Leclercq, M. Gilles Le Gendre, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, Mme Monica Michel-Brassart, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, Mme Laurence Trastour-Isnart

Assistait également à la réunion. - Mme Natalia Pouzyreff