Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 14h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ANSES
  • animale
  • anti-vectorielle
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  • lutte anti-vectorielle
  • moustique
  • résistance
  • vecteur
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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

Mercredi 10 juin 2020

La séance est ouverte à quatorze heures dix.

(Présidence de Mme Ramlati Ali, rapporteure, puis de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la commission d'enquête)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition de M. Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques (DER) au sein de l'Anses, Mme Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs à la DER et du Pr Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé (LERES), co-directeur de l'équipe Évaluation des expositions et recherche épidémiologique sur l'environnement, la reproduction et le développement de l'Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET).

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Nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles.

Nous allons entendre aujourd'hui les représentants de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) : M. Roger Genet, directeur général, M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques, Mme Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs au sein de l'Anses, et le Professeur Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses, directeur du laboratoire d'études et de recherche en environnement et santé, co-directeur de l'équipe Évaluation des expositions et recherche épidémiologique sur l'environnement, la reproduction et le développement de l'Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET).

Dans le cadre de ses missions d'expertise, l'Anses exerce depuis 2018 une mission d'évaluation des risques dans le domaine des vecteurs et de la lutte anti-vectorielle (LAV), à la fois en santé humaine, santé animale et santé végétale. Une feuille de route Vecteurs 2019-2022 devrait détailler les actions qu'elle compte mener.

Madame et messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions. Je vais vous passer la parole pour des interventions liminaires d'une dizaine de minutes qui précéderont notre échange sous forme de questions et réponses. Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, madame et messieurs, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent serment.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Merci de cette invitation à venir exposer cette mission, qui apparaît comme une mission nouvelle de l'Anses depuis 2018, mais qui s'inscrit en réalité dans la continuité des travaux de l'Anses.

Vous avez d'ailleurs eu l'occasion d'entendre au cours de vos auditions deux éminents chercheurs de l'agence. Le virologue Stéphan Zientara est venu faire un exposé sur les maladies vectorielles, notamment en santé animale et Pascal Boireau, vice-président du Haut-Conseil des biotechnologies, également directeur de notre laboratoire de santé animale de Maisons-Alfort est intervenu sur les nouvelles techniques de lutte comme technique de l'insecte stérile. Ils ont donc déjà eu l'occasion de présenter les travaux auxquels concourt l'agence.

Préalablement, je tiens à préciser que les quatre personnes qui représentent ici l'agence ont toutes des déclarations publiques d'intérêts mises à jour qui sont sur le site du ministère de la Santé, soit en tant que personnel de l'agence, soit en tant qu'expert auprès de l'agence. Nous n'avons aucun lien d'intérêt sur les sujets que nous allons vous présenter et dont nous allons débattre ici.

Les activités de l'agence en matière d'expertise se sont renforcées en 2018, mais force est de constater que l'agence, par ses activités de recherches de références, est un acteur important pour acquérir des connaissances nouvelles sur les vecteurs et sur les maladies vectorisées, notamment en santé animale et en santé des végétaux.

Dans nos laboratoires, nous avons produit des articles scientifiques et des travaux de recherche sur les maladies vectorisées. Nous avons parlé de la maladie de Schmallenberg, mais aussi de la peste porcine africaine et d'autres maladies vectorisées sur lesquelles nos laboratoires travaillent en santé animale et en santé des végétaux. Par exemple, la bactérie Xylella fastidiosa, qui affecte les oliviers dans le sud de l'Italie, est une maladie qui est vectorisée par des insectes. D'autres maladies en santé des végétaux sont également vectorisées, comme la nématode du pin, qui affecte le Portugal et l'Espagne et qui est à nos portes, dans les Pyrénées. Nos laboratoires travaillent sur les vecteurs qui propagent ces maladies bactériennes ou virales.

Nous sommes également en charge de l'évaluation des produits biocides qui concourent à la lutte anti-vectorielle et qui sont utilisés par les services de lutte anti-vectorielle.

Dans le cadre de l'évaluation de ces produits pour le compte du ministère de l'Environnement, l'agence, depuis sa création, participe à ces travaux sur l'évaluation de l'efficacité et des risques liés à ces produits biocides.

Depuis 2016, cette activité s'est renforcée puisque les ministères nous ont transféré la responsabilité de délivrer des autorisations de mise sur le marché des produits biocides utilisés pour la lutte anti-vectorielle. Nous avons également été amenés à donner des avis sur un certain nombre de produits utilisés en cas d'épidémie, de dengue par exemple dans les départements d'outre-mer, notamment en Guyane, où un certain nombre de produits peuvent être utilisés pour prévenir la propagation de ces vecteurs.

Un autre élément de nos activités concourt également à ces travaux sur les vecteurs. Nous sommes agence de financement au travers du programme national de recherche environnement-santé-travail, financé par l'agence, pour le compte des ministères de l'Environnement et du Travail, depuis le lancement du premier plan santé au travail et du premier plan national santé-environnement. Au travers de cet appel à projets santé-environnement et santé-travail, nous avons chaque année des projets de recherche proposés à l'agence. Au cours de ces dernières années, les lettres d'intention de projets de recherche se sont multipliées : 14 en 2018 et 28 en 2019, avec un taux de sélection qui a augmenté. Six projets en relation avec la connaissance des vecteurs, des maladies vectorielles ou la lutte anti-vectorielle ont été financés par le programme national de recherche en 2018 et en 2019.

Au-delà de ces activités qui sont propres à l'agence, elle assurait également le suivi technique, administratif et financier du Centre national d'études des vecteurs (CNEV), créé après la crise du chikungunya à La Réunion, à l'instigation des experts de l'époque qui avaient proposé d'accroître la surveillance sur les maladies vectorisées et de créer le Centre de recherche et de veille de l'océan Indien à La Réunion et le Centre national d'études des vecteurs autour des équipes de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), partiellement du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et de l'Entente interdépartementale de démoustication (EID) Méditerranée.

Les ministères avaient confié à l'Anses le rôle d'assurer le suivi technique et le secrétariat du comité de pilotage de ce CNEV.

Cette activité s'est déroulée entre 2007-2008 et 2018, au moment du transfert officiel de l'expertise à l'agence, puisqu'en novembre 2014, les ministères de la Santé et de l'Agriculture ont commandité à leurs corps d'inspection générale une mission d'inspection pour évaluer les travaux du CNEV.

Dans leur rapport, les inspecteurs généraux ont à la fois souligné la qualité du travail réalisé par le CNEV mais aussi quelques faiblesses, en recommandant notamment d'intégrer les missions d'évaluation scientifique et d'évaluation des risques au sein d'une agence nationale pour pérenniser ces activités, mais aussi pour séparer les activités d'évaluation des risques et de gestion des risques. Au sein du CNEV, nous avions un mélange entre les gestionnaires de risques que sont les services de lutte anti-vectorielle, directement impliqués dans la mise en œuvre des politiques de lutte anti-vectorielle, et les équipes de recherche publique, notamment de l'IRD et du Cirad.

Au sein de ce rapport d'inspection, des propositions demandaient le maintien sur le territoire national des compétences disponibles en France sur la question des vecteurs en prônant également un renouvellement régulier des comités d'expertise – les membres du CNEV étaient limités à quelques équipes de recherche dont la composition ne variait pas. Ce rapport recommandait également de mobiliser l'ensemble des experts sur la question des vecteurs au niveau national, sans se limiter à la région méditerranéenne. Il proposait enfin d'élargir la question des vecteurs, qui était très focalisée sur la santé humaine et un peu sur la santé animale à la santé des végétaux, et donc de se tourner vers l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et vers le Cirad dans sa branche agronomique, pour avoir une dimension transversale de l'évaluation des risques sur les maladies vectorisées dans une approche One Health – une seule santé : santé humaine, santé animale, santé de notre environnement.

C'est bien dans cet esprit que les ministères ont demandé à l'Anses d'étudier la possibilité de reprendre cette activité d'expertise scientifique de façon transversale puisque l'Anses dispose de comités d'experts sur la santé animale, sur la santé des végétaux et sur les biocides qui participent à la lutte anti-vectorielle. Il s'agissait d'essayer de créer une activité d'expertise transversale qui permette d'aborder la question des vecteurs de façon moins segmentée.

Dans cette discussion que nous avons eue avec les ministères en 2016 et 2017, l'Anses a souligné le besoin de maintenir des liens forts avec la communauté scientifique et avec les gestionnaires de la lutte anti-vectorielle, et également de pouvoir soutenir, par des moyens financiers, les travaux de recherche qui étaient nécessaires à son expertise.

La décision de transfert a été prise par les ministères, avec une date de mise en œuvre au 1er janvier 2018, qui était le premier jour de notre nouveau contrat d'objectifs et de performance. Ce nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'agence 2018-2022 inclut un certain nombre d'indicateurs en matière de vecteurs, qui sont liés à cette nouvelle mission d'expertise et d'appui scientifique et technique.

Les ministères ont également décidé d'accroître les moyens financiers liés à cette activité. Auparavant, 410 000 euros transitaient par l'agence pour financer le CNEV. Nous sommes aujourd'hui à un montant global de 540 000 euros, dont 270 000 euros en provenance du ministère de la Santé et 270 000 euros en provenance du ministère de l'Agriculture, qui a donc accepté d'augmenter sa contribution financière.

Cela permet de financer quelques projets scientifiques de recherche supplémentaires du programme national de recherche environnement-santé-travail.

Cette activité est donc tout à fait opérationnelle. Un appel à candidatures a été lancé dès début 2018. Le groupe d'experts a été formalisé en milieu d'année 2018. Il est présidé par le professeur Philippe Quenel, ici présent. La vice-présidence de ce comité d'experts a été confiée au directeur de l'unité mixte de recherche de l'IRD qui était impliqué dans le CNEV, pour assurer la continuité de ses travaux.

Nous avons d'autre part passé une convention avec le Vectopole Méditerranée, qui rassemble les équipes de recherche de l'IRD, du Cirad et d'autres acteurs de la lutte anti-vectorielle, comme EID Méditerranée. Ils ont tenu leur premier colloque en septembre 2019 qui a été soutenu par l'agence, pour qu'elle soit en capacité de faire part de ces travaux d'expertise et surtout de mobiliser les équipes scientifiques pour produire des connaissances qui sont indispensables à l'activité d'expertise que nous conduisons.

Dès début 2019, l'Anses a concrétisé, avec les ministères de la Santé et de l'Agriculture, une feuille de route Vecteurs sur les principaux travaux attendus pour les prochaines années avec les ministères de la Santé et de l'Agriculture.

Mes collègues pourront détailler de façon plus spécifique ces différents axes de la feuille de route, en réponse à vos questions.

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Merci de ce propos liminaire assez explicite et clair. Cependant, pour notre rapport, j'ai une série de questions à vous soumettre afin d'avoir des précisions.

Lors de sa création en 2010, l'Anses avait-elle des compétences en matière de lutte anti-vectorielle ? A-t-elle mis en œuvre des expertises ou des actions relatives à la lutte contre les moustiques entre 2010 et 2016 ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Il est clair que l'Anses n'avait pas et n'a pas de compétences en matière de lutte anti-vectorielle, mais en matière d'évaluation des risques liés aux vecteurs. Le cas échéant, l'agence peut émettre des avis qui sont des évaluations sur des scénarios de gestion. Elle peut évaluer la pertinence et l'impact de scénarios de lutte anti-vectorielle qui sont proposés par les gestionnaires de risques, c'est-à-dire les ministères en premier lieu, les administrations déconcentrées de l'État, les services départementaux ou régionaux, voire les services de lutte anti-vectorielle. Par contre, elle n'a pas pour mission de proposer ou de mettre en œuvre la lutte anti-vectorielle.

C'était bien l'objectif recherché par les ministères, avec ce transfert. Il s'agit de séparer l'évaluation du risque et la mise en œuvre des scénarios de gestion, de façon à ne pas avoir de conflits d'intérêts dans la mise en œuvre de tel ou tel scénario de gestion sur la lutte anti-vectorielle.

Je vais peut-être passer la parole à Matthieu Schuler, puisque ce sont ses travaux, mais nous avons déjà mis en œuvre des expertises entre 2010 et 2016, avec une évolution depuis 2016.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Avant que la mission Vecteurs, dans les termes précisés tout à l'heure par Roger Genet, ne soit confiée à l'agence, des situations ont déjà conduit les ministères, en particulier le ministère chargé de l'agriculture, à saisir l'agence sur des problématiques liées à des dangers sanitaires dont les mouvements sont occasionnés par des vecteurs.

Nous avons mené un certain nombre d'évaluations de risques sur la fièvre catarrhale ovine, la leucose bovine, sur tout un tas de maladies qui ont été traitées dans le cadre de notre collectif en santé et bien-être des animaux ; ces évaluations nous avaient déjà conduit à mettre en œuvre un certain nombre de méthodes d'évaluation sur comment un insecte ou un pathogène peut être vectorisé par les insectes et quels sont les moyens pour s'en prémunir, ou en tout cas les dispositifs les plus adaptés, auxquels nous répondions à travers ces saisines.

C'était également le cas dans le domaine de la santé des végétaux. Avant 2018 existait déjà un collectif sur l'évaluation des risques biologiques et microbiologiques liés aux vecteurs qui peuvent aussi nuire aux végétaux. Roger Genet a cité Xylella fastidiosa tout à l'heure, nous avons récemment traité d'autres impacts viraux, comme la maladie du Huanglongbing qui s'attaque aux agrumes, ou plus récemment encore, la mouche Bactrocera dorsalis qui peut être un vecteur de maladies pour les fruits, qui ont occasionné des saisines de l'agence en urgence.

Tout ceci se situe avant que la mission Vecteurs ne soit installée. À partir de 2018, lorsque le groupe de travail présidé par Philippe Quenel a été mis en place, nous avons répondu à des sollicitations qui couvraient deux types de travaux, ceux de fond et ceux méthodologiques. Ce sont les quatre axes de la feuille de route du programme de travail de l'agence que Johanna Fite détaillera après.

Les travaux d'expertise que nous menons sont caractérisés par ces deux types de besoins.

Nous avons besoin d'approches sur le long terme, notamment de travaux d'ordre méthodologique pour savoir comment évaluer une stratégie de lutte anti-vectorielle. La problématique de la lutte anti-vectorielle est à la fois de protéger l'homme, l'animal ou les végétaux du danger, tout en veillant à ce que les moyens mis en œuvre ne viennent pas causer des dommages plus importants.

L'autre partie de l'activité de l'expertise de l'agence est de faire face à des besoins à plus court terme.

C'était d'ailleurs assez symbolique et illustratif que la première saisine à laquelle le groupe de travail présidé par Philippe Quenel a eu à faire face soit une saisine en urgence autour d'une problématique à La Réunion qui a nécessité des contacts rapprochés avec les acteurs, notamment l'agence régionale de santé (ARS).

Cela a donné la tonalité vis-à-vis du groupe de travail quant à la nécessité de faire face à la fois à des travaux de fond pour progresser dans les méthodes de lutte et à des besoins d'urgence auxquels nous répondons lorsque nous sommes sollicités.

Je peux peut-être passer la parole à Johanna Fite ou Philippe Quenel pour qu'ils expliquent les quatre axes de la feuille de route ?

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Cela fait partie de notre questionnement, nous en parlerons plus tard.

À la suite du rapport d'expertise de l'IRD de 2009 La lutte anti-vectorielle en France, un Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV) a été mis en place. Comment a-t-il été mis en place ? Sous quelle forme juridique ? Quelles étaient les responsabilités de l'Anses vis-à-vis du CNEV ? Quels moyens lui ont été alloués ? Que pensez-vous des actions qui ont été menées par le CNEV ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Le rapport fourni par l'IRD en 2009, qui a donné naissance au CNEV, s'appuie sur les travaux du professeur Didier Fontenille qui, comme je l'indiquais tout à l'heure, était l'un des quatre experts diligentés par les ministères de la Santé et de la Recherche en 2006, dans le cadre de l'épidémie de chikungunya, à La Réunion.

Didier Fontenille, expert très réputé, a proposé la mise en place d'un pool d'expertise rassemblant des laboratoires de recherche publics et des acteurs de lutte anti-vectorielle pour proposer aux ministères, mais aussi aux agences comme Santé publique France, une capacité d'expertise sur la question des vecteurs, très centrée sur la santé humaine et un peu sur la santé animale.

C'est donc une convention qui a permis au ministère de la Santé et au ministère de la Recherche j'imagine – je ne suis pas un expert du statut juridique du CNEV – la création de ce centre, qui n'était pas un établissement public mais une structure coopérative. Cela a été relevé par les missions d'inspection. Cette activité n'était pas organisée comme un établissement et reposait sur un tout petit nombre de personnels, puisque trois équivalents temps plein étaient financés dans le cadre du CNEV. Cette toute petite structure n'offrait donc pas de garanties en termes de sûreté et de solidité juridique, pour assurer sur le long terme les activités attendues d'un centre d'expertise sur les vecteurs.

Considérant que l'Anses avait une mission dans le domaine de la santé environnementale, dans le domaine des produits utilisés sur la lutte anti-vectorielle, dans le domaine de la santé des végétaux et de la santé humaine, cette activité d'expertise lui appartenait complètement.

Je souligne d'ailleurs que lors du transfert de cette mission au 1er janvier 2018, nous n'avons pas modifié les statuts et les missions de l'agence prévus par décret, puisque nous avons considéré que c'était déjà intégré dans les missions existantes de l'agence. Comme nous l'avons souligné, nous avions déjà réalisé un certain nombre de travaux.

Le CNEV disposait d'un certain nombre de moyens financiers. Comme ce n'était pas une structure juridique, ces moyens passaient par l'Anses qui, au travers d'une convention signée entre l'IRD et l'Anses, reversait les moyens financiers aux équipes et assurait le secrétariat du comité de pilotage. Il s'agissait d'une structure coopérative, comme il en existe beaucoup dans le domaine de la recherche, mais qui n'était pas forcément adaptée à la production d'une expertise et à faire un appui aux politiques publiques sur le long terme. C'est une structure qui avait dès le départ une vocation à être transitoire, en attendant de pouvoir donner une stabilité.

Sur les moyens financiers dédiés au CNEV, l'Anses disposait de deux sources de financement, environ 262 000 euros en provenance du ministère de la Santé, correspondant à la masse salariale de trois équivalents temps plein et 140 000 euros en provenance de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture, pour un budget total de 400 000 à 410 000 euros, qui au travers d'une convention, étaient reversés à l'IRD pour le fonctionnement du CNEV.

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En 2016, les missions du CNEV ont donc été transférées à l'Anses. Une évaluation des résultats obtenus par le CNEV a-t-elle été préalablement réalisée ? Quel bilan faites-vous de l'action du CNEV ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Il ne m'appartient pas de juger le bilan produit par mes collègues de l'IRD et du CNEV.

Avec un regard extérieur, et je crois que le rapport d'inspection de 2014 le souligne très bien, nous pouvons dire que cette activité a permis de structurer des forces de recherche publique et des experts des services de lutte anti-vectorielle pour produire des avis, notamment sur l'efficacité des dispositifs de lutte anti-vectorielle ou d'autres questions plus fondamentales, de mobiliser les équipes de recherche publique pour aborder cette question, notamment à l'IRD ou au Cirad, mais comme ce sont des unités mixtes, également des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou d'autres universités.

De fait, nous constatons aujourd'hui que lorsque nous lançons un appel à projets de recherche sur la question des vecteurs, nous avons beaucoup de réponses. Cette structuration de la communauté a permis de fédérer une communauté, de les intéresser au sujet et de diriger leurs travaux sur les questions des vecteurs, des maladies vectorisées et de la lutte anti-vectorielle.

Indéniablement, le CNEV a eu une action extrêmement positive pour fédérer la communauté de recherche. Je pense qu'il faudrait demander aux gestionnaires de risques, le ministère de la Santé, Santé Publique France, ce qu'ils pensent des avis qui ont été rendus pour leurs propres actions. Globalement, dans le rapport d'inspection de 2014, je n'ai pas vu de critiques sur la qualité des avis qui ont été rendus, mais plutôt des inquiétudes portant sur une structure souple et assez localisée sur les questions autour de la bordure méditerranéenne, fédérant des équipes sur un cercle restreint autour de Montpellier et Marseille, et cantonnée à la question de la santé humaine et de la santé animale.

L'objectif de ce transfert a été d'une part, de séparer les questions d'évaluation de risques des questions de mise en œuvre des scénarios de gestion de la lutte anti-vectorielle, de façon à éviter tout conflit d'intérêts, puisqu'elles ne donnent pas à voir des gens impliqués dans les scénarios de lutte, qui interfèrent sur l'évaluation du risque ou des scénarios, même s'ils sont bien entendu auditionnés par nos comités d'experts.

D'autre part, il s'est agi d'accentuer le bassin de recrutement de façon à avoir un organisme national qui puisse mobiliser tous les experts du domaine, et pas seulement ceux autour de la région méditerranéenne, sachant que nos propres laboratoires, notamment à Maisons-Alfort, ou ceux de l'INRAE qui travaillent sur l'éthique ou d'autres maladies vectorisées étaient très peu sollicités par le CNEV. Cela a donc permis d'avoir une mobilisation de l'ensemble des experts du domaine et d'étendre la question de la lutte anti-vectorielle et des vecteurs d'une approche de la santé humaine vers la santé animale, végétale et environnementale.

Ce sont ces recommandations du rapport d'inspection qui ont conduit les ministères à demander à l'Anses d'assumer cette nouvelle mission avec un léger renforcement des moyens du ministère de l'Agriculture qui a augmenté sa contribution pour qu'elle soit équivalente à celle du ministère de la Santé. Le budget est passé de 410 000 euros en 2017 à 540 000 euros aujourd'hui ; ce qui nous a permis de financer des travaux par des conventions de recherche que nous passons avec les équipes de recherche, notamment celle du Vectopole montpelliérain, pour produire des connaissances qui seraient utiles aux travaux d'expertise pour lesquelles nous sommes saisis.

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Faudrait-il un organisme chargé de l'expertise contre les vecteurs ? Si oui, à quelle échelle : nationale ou européenne ? Faut-il combiner recherche, expertise, conseil et actions sur le terrain ? Que pensez-vous des actions menées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Je pense que cette idée de regrouper dans une même structure à la fois les questions d'évaluation et de mise en œuvre, voire de coordination des organismes de lutte sur le terrain est totalement orthogonale avec les choix qui ont été faits et même avec ce qui se passe au niveau international. De façon générale, en termes de sécurité sanitaire, l'organisation qui se met en place au niveau international, c'est la séparation entre l'évaluation scientifique des risques et la mise en œuvre des politiques de gestion des risques qui relèvent des décideurs publics et des services sur le terrain, en l'occurrence, de lutte anti-vectorielle.

Je pense que cela ne va pas dans le sens de l'Histoire ni de l'intérêt collectif d'avoir une structure qui s'occuperait de tout.

Au contraire, le fait d'avoir une évaluation indépendante permet d'avoir un regard distancié sur la façon dont les politiques sont mises en œuvre, sur leur impact et sur des scénarios de gestion. D'autant plus que les comités d'experts des structures d'évaluation scientifique des risques sont des comités qui sont renouvelés de façon régulière avec un mandat défini. Ils se tiennent au courant de la littérature mondiale au plus haut niveau en permanence, ce qu'une petite structure aurait bien du mal à faire.

L'autre raison, c'est que la question des vecteurs en soi est une question totalement transversale et nous le voyons bien au sein de l'agence. C'est-à-dire que précédemment, dans notre comité d'experts santé animale et bien-être animal, nous traitions des maladies vectorisées en santé animale. Dans le comité d'experts spécialisés en santé des végétaux, nous traitions des maladies vectorisées en santé des végétaux. Dans le comité Biocides qui s'occupe des produits de lutte anti-vectorielle, nous traitions également cette question. Évidemment, ces comités ne se parlent pas.

L'objectif était donc bien d'avoir un comité d'experts transversal qui puisse s'interfacer avec les comités sectoriels et donner une vision globale et intégrative de ces différentes dimensions.

De façon générale, cela rejoint la problématique de l'agence et sa priorité à développer une approche, une seule santé – One Health – en intégrant les questions de santé humaine aux questions de santé environnementale, de santé animale et de santé végétale.

Pour la structure européenne, je déclare mon incompétence et je vais laisser mes collègues s'exprimer.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Un autre élément important est aussi à prendre en compte pour la sectorisation des compétences confiées aux différents acteurs. Les nouveaux textes et en particulier le décret sur la lutte anti-vectorielle de 2019 prévoient que les agences régionales de santé organisent la lutte anti-vectorielle sur le terrain. Pour ce faire, elles peuvent également faire appel à des structures aussi bien publiques que privées pour la composante technique, technologique et pour la lutte à proprement parler.

De ce fait-là, il est important, pour le ministère de la Santé et les agences, de pouvoir disposer d'une évaluation qui ne soit pas dépendante des acteurs techniques et technologiques.

C'est à mon avis un élément à prendre en compte dans la construction.

Ceci étant, il est vrai qu'il est important pour ces acteurs privés qu'une forme d'expertise technique puisse se développer, différente de notre expertise scientifique, notamment sur le développement des méthodes ou l'évaluation de l'efficacité.

Ce sont des choses que nous observons dans d'autres composantes et que l'agence a l'habitude d'évaluer, notamment dans le domaine de l'élevage ; un certain nombre d'instituts techniques travaille sur les différentes familles d'élevage. Ces ressources sont importantes à organiser pour que l'expertise scientifique puisse ensuite s'appuyer sur des données objectivées et objectivables.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

L'Anses a bien entendu moins de contacts avec le Centre européen de prévention et contrôle des maladies – European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC), qui est une agence européenne de prévention des crises, que ne peut en avoir Santé Publique France, qui est plus son pendant. L'agence a des relations très étroites avec un certain nombre d'agences communautaires, comme l'Autorité européenne de sécurité des aliments ou l'Agence européenne des produits chimiques, sur les produits biocides. L'ECDC n'a pas du tout un rôle équivalent à l'Anses, il ne produit pas d'évaluation des risques en matière de lutte anti-vectorielle, il n'intervient pas non plus dans la lutte anti-vectorielle. Il produit, je pense, des travaux de cartographie, pour donner des lignes directrices au niveau européen, sur la surveillance des infestations de certaines populations de moustiques. Je n'ai pas le détail des travaux, mais mes collègues pourraient peut-être compléter.

C'est une structure dont les missions ne sont pas redondantes ni avec ce qu'était le CNEV ni avec les missions de l'Anses.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Je pense qu'il est important, au niveau européen, d'organiser un partage de l'information sur l'évolution de la présence des vecteurs. On le voit aussi dans d'autres maladies vectorielles, comme la peste porcine africaine qu'a citée tout à l'heure Roger Genet. C'est important que les pays s'informent mutuellement et partagent la même information sur où en est le front de progression du vecteur, de manière à ce que ceux qui sont un petit peu en aval du front se préparent et apprennent éventuellement de leurs collègues les bons moyens de prévention.

C'est à ce titre-là qu'un dispositif de partage est important sur la surveillance de l'évolution du champ d'emprise des vecteurs.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Si nous regardons la crise du chikungunya en 2006, nous voyons tout l'intérêt de la coordination internationale et de l'ECDC, qui est l'agence de prévention des risques infectieux au niveau européen, puisque lorsque nous avons eu une augmentation des cas de chikungunya à La Réunion en 2006, nous nous sommes rendu compte qu'en Afrique de l'Est ou à Madagascar, nous avions eu une augmentation des cas dans les semaines ou les quelques mois qui avaient précédé ; faute d'une très bonne coordination entre les agences internationales comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'ECDC au niveau européen et les agences françaises, nous avons vu assez tardivement la montée en puissance de l'infection à La Réunion.

Nous voyons bien tout l'intérêt qu'avait le Centre de recherche et de veille de l'océan Indien qui avait été créé à La Réunion pour essayer d'avoir une vision globale de ces émergences au niveau de la zone, puisque les régions tropicales sont des zones d'émergence et que nos territoires, à la fois côté Atlantique avec la Guyane et les Antilles et de l'autre côté, avec Mayotte et la Réunion, sont des points capitaux pour pouvoir regarder les émergences. Dans ces zones, la coopération internationale est absolument cruciale en termes de surveillance épidémiologique pour pouvoir se préparer à des scénarios épidémiques.

C'est là où l'ECDC et les agences internationales comme l'OMS peuvent vraiment jouer un rôle, en termes de prévention des crises et de préparation à la gestion de crises.

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Le programme de travail 2020 de l'Anses rappelle que l'intégration récente de la mission Vecteurs dans les activités de l'Anses est une occasion supplémentaire d'appliquer le concept One Health dans la démarche d'évaluation des risques. Ainsi, l'approche transversale adoptée par l'Anses, qui allie santé publique, santé animale et environnementale, permet une étude plus approfondie des risques sanitaires posés par les vecteurs ainsi que l'évaluation des politiques de lutte anti-vectorielle. Comment cela se traduit-il dans l'organisation de l'Anses ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Dans l'organisation de l'agence, nous avons mis en place un groupe de travail spécifique Vecteurs. Je vais peut-être passer la parole directement à mes collègues pour qu'ils puissent s'exprimer sur le sujet de l'organisation que nous avons mise en place et de la réactivité nécessaire.

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Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs

La prise en compte des aspects One Health passe par la multidisciplinarité au sein du groupe de travail (GT) Vecteurs, puisque nous avons des experts en santé humaine, en santé animale et en santé des végétaux, en épidémiologie, en écologie et en sociologie notamment. Cette multidisciplinarité permet d'avoir une approche globale des questions liées au risque vectoriel et à la lutte anti-vectorielle.

Ensuite, les travaux du groupe de travail sont également présentés à d'autres collectifs d'experts, qui sont eux-mêmes multidisciplinaires, à savoir un collectif d'experts spécialisés en santé animale, en santé des végétaux ou sur les biocides selon les expertises que nous avons à traiter.

En général, nos travaux prennent en compte les aspects environnementaux, les effets de la lutte anti-vectorielle sur l'environnement, sur la biodiversité. Selon les sujets, nous avons des paragraphes dans nos rapports.

Actuellement, nous avons des travaux méthodologiques, dont nous pourrons peut-être parler plus en détail, sur l'évaluation des stratégies de lutte anti-vectorielle, Nous sommes en train d'essayer de développer une méthode d'évaluation systémique de la LAV pour prendre en compte à la fois son efficacité, ses effets sur l'environnement, sur la biodiversité et son acceptabilité. Nous sommes en train de réfléchir à des indicateurs et des critères pour prendre en compte tous les aspects de la lutte anti-vectorielle qui vont au-delà des aspects sur la santé humaine.

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Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses

Par rapport à cette démarche One Health, je pense qu'il faut aussi avoir en tête que cela signifie avant tout de rendre opérationnelle et tangible la multidisciplinarité, voire l'interdisciplinarité. Le concept est très beau, il est très intéressant, mais dans la réalité, il n'a de sens que s'il y a une volonté de tous les experts et chercheurs de réfléchir et de construire de manière commune une démarche collective. C'est tout le sens de ce qui est conduit au sein des comités d'experts et des groupes de travail au sein de l'Anses : la notion d'expertise collective. L'expertise collective, cela veut dire ne pas imposer un point de vue, c'est savoir écouter d'autres disciplines, savoir prendre en compte d'autres regards, d'autres façons de penser, d'autres façons de travailler.

Je pense qu'à l'Anses, les comités d'experts ont cette particularité de s'inscrire dans cette démarche. Comme l'a dit ma collègue Mme Fite, au GT Vecteurs, nous sommes 22 experts avec un profil incroyable et très diversifié. Nous apprenons les uns des autres. Par exemple, je suis médecin épidémiologiste, spécialiste en santé publique et médecine tropicale, la santé végétale n'est pas quelque chose qui m'est immédiatement compréhensible, la santé animale, un peu plus, mais c'est quand même encore très éloigné de mon champ de compétences.

Dans ce groupe, nous avons vraiment toutes les disciplines nécessaires à la compréhension globale des sujets. Une dynamique très positive d'écoute respective s'est mise en place. Elle nous fait progressivement évoluer et penser collectivement de manière plus riche.

Je prends simplement quelques exemples. Dans les travaux que nous conduisons, entre la manière dont la question est formulée au départ et la manière dont elle évolue au cours du travail, c'est tout à fait significatif de voir que ces changements sont très liés à cette approche dite One Health, mais qui est ni plus ni moins la traduction d'une capacité à penser collectivement avec des disciplines différentes.

Je pense que c'est vraiment un atout pour les travaux des experts qui répond pleinement à la mission de l'agence de s'inscrire dans cette démarche.

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Quels sont les travaux d'expertise produits par ce groupe de travail ? Quels sont les résultats en termes de conseil à la prise de décision publique ?

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Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs

Dès sa mise en place début juin 2018, le groupe de travail a été saisi en urgence par rapport à l'épidémie de dengue qui était en cours à La Réunion, sur le risque d'importation de vecteurs en provenance de La Réunion vers la métropole. Nous avons produit une première saisine en urgence et une deuxième immédiatement après, sur l'évaluation de la stratégie de LAV qui était mise en œuvre pour lutter contre l'épidémie de dengue, avec une série de recommandations à destination des opérateurs et des acteurs de terrain, que ce soit en termes de lutte anti-vectorielle, de mobilisation sociale notamment et aussi des propositions de recherche.

Nous avons notamment souligné à cette occasion qu'il était très important de mener des travaux sur l'évaluation de l'efficacité des stratégies de LAV, que ce n'était pas un travail que nous pouvions faire en urgence et qu'il fallait vraiment lancer des travaux méthodologiques sur l'évaluation des stratégies de LAV, parce qu'il faut savoir que les stratégies sont la composante de plusieurs actions, que ce soient des actions de lutte mécanique pour lutter contre les gîtes larvaires, les actions de lutte chimique à base de biocides, les actions de mobilisation sociale pour fédérer la population sociale, les acteurs de terrain, etc.

Il est très difficile d'évaluer des stratégies dans leur ensemble. C'est pourquoi nous avons besoin de travaux méthodologiques. C'était l'une de nos recommandations fortes à l'occasion de cette expertise.

Ensuite, nous avons également mené récemment une évaluation sur les vecteurs susceptibles de transmettre la peste porcine africaine en métropole. C'est un travail qui a été publié cette année à destination des acteurs de terrain, notamment de la direction générale de l'alimentation (DGAL), pour essayer de prévenir le risque au cas où nous aurions des cas de peste porcine dans nos élevages.

Récemment, nous avons publié une autre expertise en urgence sur la lutte contre la dengue en période de pandémie de Covid-19 et sur l'évaluation de la balance risque-bénéfice pour la population générale et les travailleurs à poursuivre ou à stopper les actions de lutte anti-vectorielle en pleine épidémie. Ce rapport a conclu à la nécessité non seulement de poursuivre les actions, mais aussi de les renforcer pour lutter contre la dengue, puisque les enjeux sanitaires et le risque de dengue sont très importants, surtout en outre-mer. Nous avons proposé des adaptations pour que les travailleurs soient protégés du risque lié au SARS-CoV-2 mais continuent à avoir des actions de lutte anti-vectorielle sur le terrain.

Voilà les principaux rapports. Nous en avons récemment publié toute une série mais ceux-ci ont directement conduit à des recommandations utiles dans des situations d'urgence sanitaire.

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Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses

Au-delà des recommandations émises par les experts, il me semble qu'il y a un point important à souligner.

Il est souvent attendu du groupe d'experts que je préside d'apporter des réponses opérationnelles pratiques à des questions de terrain. C'est souvent l'attente des opérateurs et aussi du ministère.

Il me semble que l'enseignement à tirer des principales expertises que nous avons menées jusqu'à ce jour est qu'avant de pouvoir proposer des réponses opérationnelles et pratiques sur le terrain, il y a une étape absolument fondamentale qui n'a jamais été menée au bout, aussi bien en France qu'à l'étranger, qui est l'évaluation de l'efficacité réelle des mesures de lutte anti-vectorielle pour contrôler les phénomènes épidémiques. Je vous parle essentiellement aujourd'hui des arboviroses.

En outre-mer, que ce soit dans les Amériques, dans l'océan Indien, dans le Pacifique, en métropole dans le sud de la France, un certain nombre d'actions sont conduites en s'appuyant sur des lignes directrices telles qu'elles ont été proposées par l'OMS, par l'ECDC ou par d'autres structures internationales, mais ces lignes directrices n'ont jamais été formellement évaluées quant à leur efficacité sur le terrain.

Récemment, au sein de notre groupe de travail, une équipe de recherche a fait le bilan de la littérature internationale sur cette question, dans une revue qui a été publiée en 2018, selon un comité de lecture qui traduit bien la qualité des résultats, qui souligne l'absence très importante d'essais contrôlés menés sur le terrain pour évaluer toutes ces questions. Nous avons pu mesurer cette difficulté quand nous avons été saisis par le ministère pour répondre en urgence à l'évaluation de la stratégie telle qu'elle avait été menée à La Réunion fin 2017 et début 2018 pour faire face à la première vague épidémique de dengue et savoir quelles recommandations il fallait faire pour une deuxième vague probablement attendue suite à l'été austral.

Énormément d'actions avaient été menées, énormément de moyens avaient été mobilisés par l'agence régionale de santé (ARS), par ses partenaires, les collectivités territoriales, aussi bien dans la lutte anti-vectorielle que dans la mobilisation sociale, mais nous n'avions aucune évaluation réelle de ces activités quant à leur efficacité. Fort de ce constat, la priorisation qui a été donnée au sein du GT, a été de travailler à l'élaboration de ce qui a été évoqué par Mme Fite, soit un outil qui permettrait effectivement aux opérateurs de pouvoir autoévaluer leur stratégie. Une stratégie de LAV c'est un ensemble d'actions de lutte contre les vecteurs, de lutte contre les LAV, lutte physique, lutte chimique, de mobilisation sociale, d'animation aussi des collaborations intersectorielles et intra sectorielles. La stratégie, c'est l'ensemble de toutes ces composantes. Pour cela, nous avons besoin de référentiels qui vont permettre d'évaluer précisément quelles sont les actions qui sont les plus performantes, dont le coût est le plus efficace.

Nous avons lancé un travail depuis plus de six mois pour lequel nous pensons avoir besoin d'encore environ douze mois, qui va être de proposer aux opérateurs un guide d'évaluation conjointe, c'est-à-dire avec une première phase d'autoévaluation par les opérateurs, de leur stratégie au regard de la situation locale, avec la prise en compte à la fois de la situation entomologique, de la situation épidémiologique, de la situation économique et de la situation environnementale, pour inscrire leur stratégie dans la réalité locale. C'est fondamental de leur donner les outils pour évaluer par eux-mêmes leurs actions et confronter cette évaluation avec une évaluation externe par un groupe d'experts, de façon à arriver à un diagnostic conjoint et à une évaluation commune qui va permettre, d'une certaine manière, de conduire progressivement à une amélioration continue de la qualité des actions.

Comme cela a été dit, la démarche du groupe de travail est vraiment de s'appuyer sur les connaissances scientifiques et sur le développement de méthodes scientifiquement fondées qui vont permettre de fournir aux opérateurs les outils dont ils ont besoin pour identifier les meilleures stratégies et les faire évoluer au cours du temps. C'est un point qu'il me semblait important de souligner parce qu'il me semble que nous sommes parfois un peu trop sollicités pour apporter des réponses rapides, opérationnelles, auxquelles il est très difficile de répondre tant que nous n'avons pas développé tous ces outils.

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À ce propos, connaissez-vous l'outil Arbocarto qui a été mis en place à La Réunion et est-ce que cela va dans le sens des évaluations de la LAV que vous évoquez ?

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Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses

Oui, absolument, vous avez raison de souligner ce point.

Si effectivement aujourd'hui nous n'avons pas les outils d'évaluation, nous avons quand même des données sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour travailler. Que ce soit à La Réunion ou aux Antilles, il existe des systèmes d'information qui ont été développés à la fois par les services de lutte anti-vectorielle, mais également par Santé Publique France, qui permettent d'avoir des bases de données dans le domaine de l'entomologie et de l'épidémiologie, de les rendre interopérables, de les fusionner et de pouvoir les utiliser pour pouvoir réaliser des évaluations.

Au sein du groupe de travail, nous avons d'ailleurs proposé de faire un travail de collaboration avec les équipes de La Réunion dans le cadre d'un contrat de recherche et développement, qui a été confié à l'IRD, pour pouvoir faire ce travail que les opérateurs n'ont pas le temps de faire ou n'ont pas forcément toujours les compétences requises ou les bases scientifiques pour le faire, de travailler en collaboration avec eux pour exploiter de manière approfondie ces bases de données qui ne vont pas forcément répondre à toutes les questions que nous nous posons, mais qui sont très riches et qui devraient permettre de jeter les bases des premières approches d'évaluation des actions.

Ce travail est en cours, il a été lancé et nous travaillons de manière étroite avec La Réunion, ce qui devrait nous permettre, par exemple, d'évaluer l'efficacité des pulvérisations nocturnes. Est-ce vraiment efficace en période épidémique ou pas ? Aujourd'hui, nous n'avons pas la réponse. Est-ce qu'il vaut mieux aller intervenir sur tous les cas biologiquement confirmés uniquement ou faut-il intervenir sur les cas groupés de cas cliniquement évocateurs ? C'est une deuxième question, par exemple, sur laquelle nous n'avons pas de réponses claires aujourd'hui.

Il s'agit bien effectivement, dans l'ensemble des actions qui sont mises en œuvre par la lutte anti-vectorielle, d'aller identifier celles qui sont les plus efficaces en termes de réduction de l'incidence de la maladie, mais également en termes de mobilisation des moyens qui sont nécessaires. Est-ce qu'aujourd'hui, la mobilisation sociale par les activités de porte-à-porte, par la mobilisation communautaire est quelque chose qui est plus efficace, par exemple que la lutte anti larvaire ? C'est quelque chose qu'il faut aussi comparer.

Avec ces données, je pense que nous allons pouvoir commencer à avoir des éléments de réponse qui vont aider les opérateurs de demain à avoir des stratégies beaucoup plus ciblées, beaucoup plus efficaces.

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La surveillance entomologique est l'une des prérogatives de l'Anses dans le cadre de la lutte anti-vectorielle. Quels sont les objectifs de surveillance fixés par l'Anses ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Je vais laisser la parole à Johanna Fite. Il est clair que dans le cadre du transfert de mission, nous avons dans un premier temps repris les sites qui avaient été développés par le CNEV, notamment pour faire du repérage et du suivi, notamment sur le territoire métropolitain, d'un certain nombre de populations de moustiques.

En matière de surveillance épidémiologique, l'Anses est impliquée dans des plateformes d'épidémio-surveillance dans lesquelles elle intervient comme co-coordinateur avec le ministère de l'Agriculture et avec l'INRAE en santé animale, en santé des végétaux et en sécurité des aliments.

Pour ce qui nous concerne, il s'agit principalement de la santé animale et santé des végétaux, qui sont des plateformes qui réunissent à la fois les agences d'expertise, des organismes de recherche et les acteurs de terrain, les organisations de défense sanitaire par exemple. En matière de surveillance, le point important est d'avoir un recueil de données et qu'il y ait donc des déclarations, des cas. Nous ne pouvons pas faire ça de façon descendante. Il faut qu'il y ait une démarche volontaire pour déclarer les cas et pouvoir faire du repérage.

Au travers de conventions, nous soutenons le développement d'initiatives de sites qui permettent aussi de mobiliser une recherche participative pour que tous les concitoyens contribuent à accroître la connaissance sur un certain nombre de populations, notamment de moustiques, et que nous ayons une meilleure connaissance au niveau du terrain.

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Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs

En métropole, nous nous intéressons au moustique tigre Aedes albopictus qui fait l'objet d'une surveillance active par les opérateurs depuis 1998. Cela a permis d'observer son arrivée en métropole en 2004. Depuis 2014, ce dispositif est complété par un système de surveillance dit passive, c'est-à-dire un site internet qui a été développé par le CNEV à la demande du ministère de la Santé, sur lequel tout citoyen peut aller déclarer la présence du moustique tigre sur sa commune et envoyer une photo lorsqu'il l'a observée. Cette photo est ensuite transférée par le site internet, dont nous avons récupéré l'exploitation depuis 2018 avec le transfert de la mission. Cette photo est transférée au système d'information SI-LAV du ministère de la Santé, qui compile aussi toutes les données envoyées par les opérateurs sur les traitements de LAV qui sont effectués.

Le dispositif de surveillance passive dont nous avons la charge a été développé pour voir la progression du moustique tigre sur le territoire métropolitain uniquement, à une époque où il était en train de s'implanter et nous avons pu observer la progression de son expansion. Aujourd'hui, plus de la moitié des départements sont colonisés par le moustique tigre et nous nous interrogeons sur les objectifs de cette surveillance que nous pourrions améliorer et élargir. Une réflexion est inscrite à notre feuille de route et fait actuellement l'objet d'un stage pour faire évoluer les objectifs de ce dispositif et l'étendre à d'autres vecteurs d'intérêt, comme Aedes japonicus par exemple ou d'autres vecteurs invasifs que nous avons déjà observés.

Pour l'instant, ce dispositif est uniquement adapté à la métropole, mais il pourrait aussi être utilisé par l'outre-mer pour faire de la surveillance sur les autres territoires français.

Nous sommes en train d'envisager une réflexion sur la mise à jour de ces objectifs et de ce dispositif vers une nouvelle version de ce site de surveillance passive.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Autant, l'Anses opère conjointement avec d'autres acteurs des plateformes d'épidémio-surveillance en santé animale, santé végétale et pour cette surveillance entomologique mais, bien entendu, l'épidémio-surveillance en santé humaine reste une mission fondamentale de Santé publique France.

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La résistance des vecteurs aux produits insecticides est un enjeu de taille pour la lutte anti-vectorielle. L'Anses dispose-t-elle de données à ce sujet ? Dans quelle mesure et par quels moyens l'Anses surveille-t-elle ce phénomène de résistance ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Vous savez que la nouvelle réglementation sur les produits biocides au niveau européen est entrée en application depuis quelques années. Tous les produits utilisés pour la lutte anti-vectorielle doivent bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché, et donc à chaque fois d'une évaluation des risques et du couple efficacité-risque, qui est conduite par la direction d'évaluation des produits réglementés de l'Anses, qui évalue ces produits biocides.

Nous délivrons donc des autorisations de mise sur le marché, pour les usages pour lesquels nous pouvons noter une efficacité et une absence de risques inacceptables dans le cadre des usages qui sont autorisés.

Ce système nous permet d'avoir une évaluation très précise des produits, et le cas échéant, sur saisine des ministères, de pouvoir donner un avis sur des dérogations d'usage qui pourraient être autorisées pour lutter de façon à pouvoir intervenir avec des outils adaptés, en situation épidémique avec des produits qui ne sont pas dénués de tout risque, mais dont l'usage pourrait être justifié pour protéger la population en cas de risque, même si nous avons un impact environnemental.

L'agence a tous les moyens, produit par produit, de mesurer et de suivre à la fois l'impact environnemental et l'impact sur la santé et d'intervenir en autorisant ou en interdisant ces différents produits.

La deuxième partie de votre question portait sur les phénomènes de résistance. Évidemment, l'agence a ses propres laboratoires. Nous travaillons notamment sur la résistance aux produits phytosanitaires et biocides du côté des végétaux, nous travaillons sur la résistance aux antibiotiques ou aux produits utilisés en lutte anti-vectorielle également, mais nos travaux ne sont pas les seuls en France. Beaucoup de laboratoires de recherche à l'INRAE, au CNRS, dans les universités, travaillent sur ces questions de résistance vis-à-vis des produits. Nous sommes un acteur parmi d'autres sur cet aspect particulier.

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Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs

Une saisine cosignée par la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) nous a été envoyée récemment, et un appel à candidatures d'experts vient d'être clos, pour mettre en place un groupe de travail sur la question de la résistance et de la surveillance de la résistance.

La première étape de ce travail consistera à élaborer des lignes directrices pour la surveillance des résistances des insectes vecteurs aux biocides sur les territoires français et la deuxième partie de ce travail s'intéressera au développement de stratégies d'utilisation des biocides en phase épidémique et inter épidémique pour limiter l'apparition de nouvelles résistances, en mettant en œuvre par exemple des produits alternatifs aux pyréthrinoïdes et à la deltaméthrine en particulier.

Le groupe de travail cherchera également à comprendre les freins au déploiement de nouvelles molécules, en alternative à la deltaméthrine, pour comprendre pourquoi il n'y a pas de nouvelle demande d'autorisation de mises sur le marché pour d'autres substances.

Les travaux vont démarrer, le groupe de travail sera mis en place en septembre. Les travaux sont attendus d'ici deux ou trois ans.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Indépendamment du travail scientifique qui va être mené par ce groupe, dans le cadre de la saisine qui nous a été confiée, je pense qu'il y aura aussi une question du côté des gestionnaires, donc des ministères, pour savoir sur qui pèse in fine l'obligation de produire de la surveillance et de la donnée autour de la montée des résistances.

Effectivement, comme l'a rappelé Roger Genet tout à l'heure, un produit biocide dispose d'une autorisation que nous émettons ex ante, avant qu'il ne soit utilisé.

Or, la résistance est un phénomène que nous allons observer au fur et à mesure du temps, qui n'est pas forcément complètement prévisible. Je pense que si le dispositif veut vraiment être efficace, il y a probablement un dosage qui doit être défini par la puissance publique, entre les obligations qui vont peser sur celui qui met en marché, de manière à ce que lui aussi fasse sa part de vérification que des résistances n'augmentent pas versus ce que peut faire l'action publique, l'Anses, les agences d'expertise et les ministères.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

À l'aune de ce que nous pouvons par exemple observer sur l'utilisation des antibiotiques ou des produits phytosanitaires – la réglementation européenne le prévoit d'ailleurs pour les produits phytosanitaires – un facteur pour limiter la montée en puissance des résistances, qui est un phénomène tout à fait naturel qui va intervenir spontanément, est d'avoir une palette d'outils chimiques et de molécules chimiques différentes qui peuvent être utilisées de façon alternative. Évidemment, plus le nombre de molécules qu'on utilise est limité, plus on va soumettre l'environnement à un stress par rapport à une molécule donnée et plus on va accroître les phénomènes de résistance.

Il est clair que dans la lutte anti-vectorielle, l'objectif de limiter l'augmentation des résistances consiste à pouvoir disposer d'une palette de produits chimiques variés ou de lutte biologique, mais de varier les stratégies de lutte de façon à limiter l'exposition des vecteurs à une molécule unique et limiter le phénomène de résistance. Si nous n'arrivons pas à faire cela, nous aurons forcément des phénomènes de résistance qui vont s'accroître et de plus en plus de mal à contrôler les populations de vecteurs qui circulent.

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Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses

En complément de ce que vient de dire M. Genet, que je partage pleinement, je pense qu'au-delà de la palette, c'est aussi la manière dont on utilise ces substances dans le temps. Nous savons très bien qu'une utilisation raisonnée, fractionnée dans le temps permet aussi d'avoir des retours en arrière sur la résistance. Cela veut dire aussi que c'est à la fois un choix dans la palette des produits, mais dans leur utilisation temporelle qui est tout à fait capitale.

Il faut aussi souligner que ces biocides doivent être exclusivement réservés à la lutte anti-vectorielle et pas utilisés pour les usages contre les nuisants. C'est quelque chose d'important, c'est-à-dire que la nuisance sans conséquence sanitaire doit faire appel à d'autres techniques de contrôle pour réserver ces quelques biocides que nous avons encore, qui sont très limités, aux usages spécifiques de la lutte anti-vectorielle. C'est vraiment un point sur lequel il faut être très vigilant parce que l'arsenal thérapeutique, d'une certaine manière, est très limité.

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Madame, vous nous avez expliqué tout à l'heure que vous avez mis en place un portail de signalement du moustique tigre permettant aux utilisateurs de signaler la présence d'un moustique tigre.

Comment évaluez-vous l'efficacité de cette initiative ? Le portail est-il beaucoup utilisé ? Quels sont les obstacles à une plus grande utilisation ou une meilleure efficacité ?

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Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs

C'est le CNEV qui a développé cet outil en 2014 ; nous l'avons repris en 2018. À ce jour, il a fait l'objet d'environ 45 000 déclarations, 900 la première année, un peu plus de 5 000 en 2018 quand nous l'avons repris parce que nous avions fait une publicité particulière à ce moment-là. Ces deux dernières années, nous sommes plutôt autour de 3 000 déclarations par an.

Il a rempli son usage puisqu'il a permis d'observer l'expansion du moustique tigre sur le territoire métropolitain, objectif pour lequel il avait été créé. Comme je le disais tout à l'heure, cet objectif aujourd'hui mérite d'être revu, réactualisé.

Comment permettre une meilleure efficacité ? Tout dépend des objectifs qu'on se fixe et de la publicité que l'on fait autour du site. Nous pouvons mener des campagnes, mais cela dépend de ce que l'on souhaite faire. Est-ce que l'on souhaite aussi avoir un usage pour la recherche des données collectées ? Il faut y réfléchir. Pour l'instant, ce n'est pas fait. Ces données servent à être transmises à la DGS pour que les opérateurs sachent s'il y a des moustiques tigres dans leur département et à ce moment-là, ils ajustent leur stratégie de LAV, lorsqu'il y a des cas importés d'arboviroses.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Permettez-moi de compléter. Là, nous parlons des moustiques. Il y a d'autres initiatives pour d'autres vecteurs. L'INRAE et l'Anses ont développé une application qui s'appelle CiTIQUE, qui est disponible aujourd'hui sur les grandes plateformes de téléchargement et qui permet à tout un chacun de déclarer précisément le site où il a été contaminé, mordu par une tique et de déclarer ces tiques. C'est un outil important dans le plan de lutte contre la maladie de Lyme par exemple.

Ces applications correspondent à un objectif, comme l'a dit Johanna Fite, très précis. Nous avons une très forte adhésion du public, le cas échéant, sur les tiques peut-être plus que sur les moustiques, parce que c'est assez difficile d'attraper un moustique et la caractérisation du moustique par la photo, surtout quand il est écrasé, n'est pas aisée. Nos concitoyens sont assez friands de participer à ce type d'initiatives qui peuvent être extrêmement utiles. Il faut voir jusqu'où on va.

C'est vrai que l'application moustique, sous le contrôle de Johanna, donne une vision plus qualitative que quantitative. Cela nous permet de savoir si le moustique est remonté dans telle région, dans telle commune, pas quantitativement du nombre de piqûres ou du nombre de moustiques. Nous avons une approche plus qualitative que quantitative.

Sur l'application CiTIQUE, nous avons une approche qui est géo-référencée, nous arrivons à voir à la fois le nombre de personnes qui déclarent, qui traduit quand même d'une certaine façon la pression qu'exercent les tiques au niveau local et là où ils se sont fait piquer ou mordre par rapport à une promenade. Nous avons des cartographies qui donnent à la fois une vision géographique et quantitative de la pression.

Chaque application a évidemment ses avantages et ses inconvénients. Je pense que nous n'en sommes vraiment qu'au démarrage. Les applications comme celles-ci fleurissent, nous en avons pour la caractérisation des plantes et des animaux. Ces initiatives vont se multiplier. La question est de savoir, comme Johanna Fite l'a dit, ce que nous voulons en faire. Si nous voulons en faire un outil de veille et de lutte qui peut être vraiment très compliqué, il faut vraiment que la population joue le jeu. Il faut arriver à géo-référencer les déclarations. Il faut être sûr que le moustique qui a été capturé correspond bien à la bonne espèce. Cela peut être très compliqué pour ne pas avoir de faux résultats. Est-ce que nous voulons en faire un outil pour produire des données pour les laboratoires de recherche, pour la recherche, pour la surveillance ?

Les initiatives qui ont été prises, l'une par le service de lutte anti-vectorielle Loire-Atlantique, qui a développé une application, l'autre par le CNEV, ont chacune leur utilité. Elles sont limitées dans leur usage et nous réfléchissons pour voir si, à l'instar de CiTIQUE, il serait opportun de notre côté d'aller plus loin sur une application. Mais il faut bien définir le cahier des charges pour voir quelle peut être l'utilité pour le gestionnaire de risques ou pour la recherche.

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En cas de crise sanitaire liée aux vecteurs, par exemple une épidémie de dengue, quels sont les leviers d'action de l'Anses ? Quel a été le rôle de l'Anses dans la gestion des crises sanitaires liées aux vecteurs depuis 2016 ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

C'est important de le redire, l'Anses n'est pas chargée de la gestion de la crise ni de la gestion du risque. C'est vraiment la responsabilité des ministères que de décider, sur la base d'un éclairage qui est donné par l'évaluation scientifique que nous produisons, de prendre des décisions sur les scénarios à appliquer. L'Anses peut être saisi en amont, sur des scénarios de gestion et donner un avis sur l'impact de scénarios de gestion ou en aval pour essayer de mesurer l'efficacité des dispositifs de lutte anti-vectorielle. Elle peut aussi être saisie pour donner un avis sur une dérogation d'usage, pour quantifier l'impact pour tel ou tel produit pour lutter dans une période épidémique, dans une crise. Elle peut être saisie en pré-crise, nous avons par exemple rendu des avis sur des écorces de pin contaminées par des vecteurs des nématodes du pin pour essayer de quantifier le risque d'importation sur le territoire national d'un risque existant ailleurs. C'était le cas aussi pour la peste porcine africaine, où nous avons été saisis en urgence pour rendre un avis en 48 à 72 heures. Sur la peste porcine africaine, pendant la crise, nous avons rendu plus d'une dizaine d'avis en trois mois, des avis que nous rendions en 48 ou 72 heures pour essayer de quantifier le risque lié à des scénarios. Nous avons mis des barrières pour limiter l'accès des sangliers qui venaient de Belgique, donc d'un territoire contaminé, vers la France. Quelle était la probabilité que tel scénario de gestion permette de freiner le risque d'importation ?

Johanna Fite évoquait également tout à l'heure quelques saisines sur des risques en période épidémique.

Nous sommes vraiment là pour faire une graduation du niveau d'incertitude dans une approche probabiliste de la survenue d'un risque ou de l'augmentation d'un risque par rapport à des scénarios de gestion. C'est principalement cela qu'on nous demande en cas de crise. Nos comités d'experts font des recommandations aux pouvoirs publics, mais il appartient aux pouvoirs publics de prendre des décisions, de les appliquer ou pas.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Je pense qu'il y a aussi un autre point sur lequel nous pouvons avoir un apport. Johanna Fite a exposé tout à l'heure les deux premières saisines du GT Vecteurs, qui étaient des saisines en urgence liées à la situation de La Réunion. Mais je trouve aussi intéressant de regarder un peu quel a pu être notre apport dans la récente saisine en urgence également, sur les besoins de lutter contre la dengue dans le contexte de la Covid-19. C'est un avis très récent qui a une autre vertu, celui de la prise de recul.

Dans les semaines et mois qui nous ont précédés, l'attention globale des pouvoirs publics, des autorités sanitaires, était à l'évidence sur les problématiques de Covid-19. Le travail du GT Vecteurs et l'expertise de l'agence ont montré que lorsque l'on mettait sur la table l'importance relative en termes de conséquences sanitaires, la réponse était presque évidente. Oui, il ne faut surtout pas relâcher l'attention sur la partie lutte contre la dengue, parce que pour que les graphiques de la dengue et de la Covid-19 soient sur la même figure et que les choses soient rapprochables, il fallait multiplier l'échelle entre cinq et dix.

Tout à l'heure, Philippe Quenel parlait de l'importance de la lutte intégrée. La lutte intégrée, c'est aussi faire en sorte que la population entende en permanence des messages sur l'attention à apporter à la dengue. Or, l'espace médiatique était saturé par la problématique de la Covid-19 C'était effectivement une des recommandations que je trouvais tout à fait justifiée et intéressante. C'est là que la prise de distance peut apporter aux gestionnaires. Comme l'espace est saturé par des messages relatifs à la Covid-19, l'attention et la mobilisation sur un sujet qui a une grande importance et sur lequel il ne faut surtout pas relâcher l'attention, diminue mécaniquement.

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Pour organiser et coordonner ces travaux en matière de lutte anti-vectorielle, l'Anses a rédigé le 18 février 2019 une feuille de route en matière d'expertise sur les vecteurs pour la période 2019/2022 dont le détail ne semble pas avoir été publié sur son site.

Cette feuille de route, comme vous le savez, prévoit ainsi notamment de mêler des travaux méthodologiques destinés à évaluer l'efficacité et l'impact des actions de lutte anti-vectorielle, de réaliser des évaluations des risques en fonction de situations épidémiques, de travailler sur la problématique de la résistance des moustiques vecteurs aux différents insecticides ou encore à l'amélioration de la surveillance spatio-temporelle des vecteurs.

Pouvez-vous nous communiquer le détail de cette feuille de route ? Comment va-t-elle être mise en œuvre ? Avec quels moyens dédiés ?

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

D'abord, je tiens à dire que l'agence a une transparence totale sur ses travaux. Chaque avis de l'agence ou chaque note d'appui scientifique et technique est publié sur notre site Internet et envoyé aux ministères qui sont les commanditaires. Dans 80 % des cas, ce sont les ministères qui nous saisissent, même si les parties prenantes ou les autres établissements publics peuvent aussi nous saisir. Tous nos travaux sont rendus publics sur notre site Internet.

Nous établissons chaque année un programme de travail qui est revu chaque année mais qui a une perspective pluriannuelle et qui est voté par notre conseil d'administration dans lequel nous avons une représentation des parties prenantes de la société, puisque nous avons une gouvernance « grenelienne ». Notre programmation est donc discutée avec les parties prenantes, aussi bien les organisations environnementales, les organisations professionnelles, représentants de l'Assemblée des départements de France et de l'Association des régions de France. Nous avons un dialogue avec tous les acteurs de la société, puis un vote de notre programme de travail annuel, qui lui, est communiqué.

Par contre, en l'occurrence, le ministère nous avait demandé de proposer une feuille de route, ce que nous avons fait sous forme d'un courrier adressé au ministère qui n'avait pas vocation à être publié, mais il est disponible au titre de la communication des documents administratifs. Madame la Rapporteure, nous vous le communiquerons sans aucun problème. Comme tous les autres, ce document est tout à fait disponible, simplement, il n'est pas rendu public en tant que tel, puisque ce n'est pas un document contractuel.

Pour le détail de cette feuille de route, je vais laisser la parole à Johanna Fite ou à Matthieu Schuler.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

Johanna Fite va présenter les quatre axes qui structurent cette feuille et vous verrez que nous avons déjà évoqué un certain nombre de thèmes au cours de nos échanges.

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Johanna Fite, responsable de la mission Vecteurs

Rien de secret dans cette feuille de route : quatre axes figurent au programme de travail.

Le premier axe, ce sont des travaux méthodologiques et de développement d'outils. Nous l'avons amplement dit au cours de cette audition, le GT souhaite développer des outils pour évaluer les stratégies de lutte anti-vectorielle. Ce travail est en cours et devrait être rendu public dès l'année prochaine, en 2021.

Ensuite, le deuxième axe, ce sont des travaux d'évaluation des risques liés à la transmission d'agents pathogènes, que ce soit en santé humaine, animale ou végétale. Nous avons déjà publié plusieurs expertises, notamment sur les vecteurs de la peste porcine africaine par exemple ou sur les risques liés à la dengue pendant l'épidémie de la Covid-19. Nous nous positionnons aussi en anticipation de certains risques, puisque nous nous sommes autosaisis pour une expertise liée aux risques en lien avec les tiques du genre Hyalomma marginatum. Un appel à candidature va être publié aujourd'hui ou demain pour la constitution d'un nouveau groupe de travail qui rentre dans cet axe.

Le troisième axe, ce sont des travaux en évaluation des stratégies de lutte anti-vectorielle mises en œuvre dans différents contextes. Nous l'avons déjà fait à La Réunion en 2018, mais pour mener ce genre de travaux d'évaluation des stratégies, nous avons besoin d'outils que nous sommes en train de développer. Nous commençons par développer les outils avant de mener des travaux d'évaluation des stratégies. Dans ce cadre-là, nous pouvons quand même mettre aussi la saisine sur la surveillance des résistances et le développement de stratégies d'utilisation des biocides.

Enfin, le dernier axe de nos travaux, c'est la surveillance spatio-temporelle des vecteurs. Nous avons déjà parlé du site signalement-moustique. Nous avons un stage en cours sur le sujet et des travaux d'expertise qui devraient faire l'objet d'une saisine prochainement pour revoir les objectifs de la surveillance des vecteurs en France.

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Vous ne nous avez pas parlé des moyens dédiés.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Ce sont les moyens de l'agence, puisque cela rentre complètement dans nos missions. Nous avons la mission Vecteurs qui est dirigée par Johanna Fite, avec une collègue pour l'animation du GT Vecteurs. Évidemment, les collègues du GT sont sollicités pour tout ce programme de travail et cela rentre dans notre programmation et dans les moyens de l'agence.

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Merci pour toutes vos explications. J'avais deux petites questions.

Si vous observez que finalement, la résistance aux produits phytosanitaires est répartie de manière inégale en fonction de la régularité des usages, peut-être des précautions n'ont pas été prises suffisamment tôt pour réserver certains produits dans certaines applications ? Ce phénomène est un peu connu en antibiorésistance ; quand on regarde la carte, elle n'est pas du tout uniforme.

Deuxièmement, M. Quenel, pourriez-vous me donner un exemple concret de ce que vous évoquiez tout à l'heure sur cette lutte contre le travail en silo qui est toujours un peu compliqué chez les scientifiques ? Plus vous vous spécialisez, plus vous êtes amené à travailler en silo. Un exemple concret serait utile pour nous.

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Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses

Sur le premier point, effectivement, la distribution spatiale de la résistance aux biocides est très contrastée. Aujourd'hui nous n'avons qu'une seule famille utilisable, celle des pyréthrinoïdes, et plus particulièrement la deltaméthrine.

À ce jour, sur les dernières données dont nous disposons à La Réunion, qui datent maintenant de 2018, le niveau de résistance était très faible. Par contre, quand nous nous projetons en Guyane, la résistance est entre 40 et 50 %. Elle est également élevée aux Antilles, aux alentours de 20 à 30 %.

Sachant que nous avons des variations dans le temps puisque, comme vous le savez, la situation aux Antilles est endémo-épidémique pour la dengue, avec des épidémies qui surviennent à peu près tous les trois ou quatre ans. Selon l'ampleur de l'épidémie et les usages de ces biocides à chaque épidémie, le niveau de résistance fluctue aussi au cours du temps.

Nous avons vraiment une situation très hétérogène. C'est pourquoi aussi, il me semble important de souligner le fait que les stratégies de lutte anti-vectorielle, si elles doivent être pensées de manière coordonnée à l'échelle du pays, doivent être menées et ancrées dans la réalité des territoires. La situation de La Réunion n'est pas la même que celle de Mayotte ; la situation de Mayotte, même si nous faisons souvent la comparaison entre Mayotte et la Guyane, n'est pas celle de la Guyane ; la Guyane n'a rien à voir avec les Antilles ; et les Antilles n'ont rien à voir avec le Pacifique non plus, parce que l'épidémiologie n'est pas la même, parce que la situation entomologique n'est pas la même, les situations économiques ne sont pas les mêmes, les densités de population ne sont pas les mêmes.

Votre question est très importante. Je pense que nous avons aujourd'hui la préoccupation que l'ensemble du pays, dans tous les territoires, soit prêt pour faire face à ces phénomènes épidémiques. Il y a la nécessité d'avoir un dispositif coordonné, homogène, au sens homogène pour chacun des territoires qui sont comparables, pour que nous ne fassions pas de choses différentes quand ce n'est pas justifié ; mais il faut que cette stratégie s'ancre dans la réalité des territoires. C'est quelque chose d'extrêmement important. Pour ce faire, il doit y avoir une très bonne collaboration entre les services de l'État, notamment les ARS, mais aussi les collectivités territoriales, les opérateurs de démoustication et les structures de recherche qui sont impliquées localement et qui vont produire des données très utiles à l'élaboration des stratégies.

La question que vous posez est très importante pour la résistance, mais pas que pour elle, également pour l'ensemble de la stratégie de lutte anti-vectorielle.

Pour ce qui est de l'exemple tangible de ce qu'est l'interdisciplinarité dans un collectif, vous me prenez un petit peu de court.

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Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses

J'évoquais tout à l'heure le travail que nous avons fait sur dengue et Covid-19. Si nous segmentons l'analyse scientifique de chacune des maladies, nous ne pouvons pas aboutir au résultat que le groupe a produit, à savoir : prise de recul sur l'efficacité de la lutte dans chacun des domaines. Mais quand nous les mettons ensemble au même moment, dans un même espace à la fois social et médiatique, il y a besoin de prendre ce recul.

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Philippe Quenel, président du groupe de travail Vecteurs de l'Anses

Nous sommes toujours sur une question qui me semble centrale, vous l'aurez compris, c'est l'évaluation des stratégies de lutte anti-vectorielle. Si nous réfléchissons de manière sectorielle, les entomologistes vont penser indicateur entomologique, densité de vecteurs, taux de contamination des vecteurs, réplication des vecteurs, compétence vectorielle. Ils vont avoir un certain nombre d'indicateurs.

Les épidémiologistes vont réfléchir en termes d'incidence, incidence de la maladie, dynamique de l'épidémie, morbidité associée à l'épidémie, mortalité.

Puis nous avons aussi la composante sociale du phénomène. Les sciences sociales et humaines vont penser acceptabilité des stratégies, adhésion de la population, empowerment des populations dans la définition même des actions à mettre en œuvre, dans leur appropriation.

Puis nous avons la dimension économique du problème. Nous avons aussi les conséquences environnementales, la contamination du milieu, la contamination des activités bio par exemple, qui sont développées, l'impact sur les abeilles par exemple.

Ce sont typiquement ces questions-là qui sont débattues de manière collective dans le GT, qui vont permettre d'avoir une vision assez systémique et d'aller chercher un ensemble d'indicateurs qui vont nous permettre d'avoir une vision globale, réellement stratégique et pas sur des objectifs un peu trop sectorisés qui ne répondent pas à la problématique dans son ensemble.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Si vous me permettez, une remarque finale.

Je pense que votre question est importante parce qu'elle touche au cœur de la raison de ce transfert. C'est-à-dire que c'est très difficile de faire de la recherche interdisciplinaire et de faire travailler ensemble, en co-construisant un objet de recherche, des scientifiques de disciplines différentes. Nous nous sommes tous essayés à cela. Nous faisons souvent du pluridisciplinaire ou du multidisciplinaire chacun dans notre coin en essayant de recoller les morceaux, mais essayer de construire ensemble un programme de recherche dans une vision interdisciplinaire est très compliqué.

Par contre, l'expertise collective repose sur une vision pluri- et interdisciplinaire. Nous mettons ensemble des gens de disciplines différentes et nous les faisons réfléchir, chacun avec son prisme, à une question qui leur est posée.

Chez nous, l'expertise se construit comme cela. Je crois que c'est une des raisons pour lesquelles nous avons transféré cette expertise à une agence qui repose sur des collectifs d'experts, de façon à sortir d'un cadre qui est restreint par les compétences des unités de recherche qui composaient le CNEV.

La difficulté est qu'il n'y a pas de scission entre les deux. C'est-à-dire que nos comités d'experts ne peuvent porter une appréciation et faire des recommandations que par rapport à un état qui est publié dans la littérature. Pour cela, il faut que les équipes de recherche publient.

Nous avons pu avoir le sentiment, au moment du transfert, qu'il y avait un risque de désappropriation des gens qui avaient été à l'initiative du CNEV, qui disaient : « mais nous, organisme de recherche, avons contribué à créer ce pool d'expertise et maintenant, on nous dit que c'est l'Anses ».

Une convention avec le vectopole Sud s'est structurée. Nous soutenons leurs travaux de recherche. Dans cette convention, nous avons prévu des moyens pour organiser un colloque annuel de façon à animer cette communauté scientifique, à les soutenir parce que nous avons besoin de leurs travaux, parce que c'est comme cela que nous éclairons.

De la même façon, nous avons besoin de financer la recherche. J'étais dans un autre rôle en 2006 pour la crise du chikungunya. À l'époque, les quatre experts qui avaient été mandatés avaient fait des propositions qui ont été mises en œuvre, dont la création de ce centre de recherche et de veille de l'océan Indien qui devait être étendu aux Antilles. Finalement, la crise est passée, nous sommes passés à autre chose, la pression est moins forte sur ces sujets-là. Il ne faut pas oublier que ces crises reviennent régulièrement et qu'il faut soutenir des moyens de veille épidémiologique, des outils de production de connaissances sur les maladies, sur les vecteurs.

Cela a été très bien dit par Philippe Quenel, nous avons besoin d'une approche qui intègre les sciences économiques et sociales dans cette dynamique-là. Il y a des travaux sur ces sujets pour savoir comment les citoyens vivent cette lutte anti-vectorielle et quels sont les meilleurs outils pour qu'elle soit mise en œuvre.

Nos moyens restent très limités sur notre capacité à financer des travaux de recherche, soit par des conventions de recherche et développement, soit dans le cadre du programme national de recherche en environnement santé-travail. On voit une montée des offres, les lettres d'intention ont plus que doublé en deux ans.

Dans le projet de loi de programmation pour la recherche, l'ANR devrait avoir dans les trois ans qui viennent une augmentation très conséquente de son budget d'appels à projets. Il est très important que les agences de financement nationales prennent en compte cette question des vecteurs dans toutes leurs dimensions de santé humaine, animale et végétale, dans les priorités de leurs programmes de recherche.

Seule une masse critique suffisante d'équipes de recherche nous rend capables de construire des programmes européens et internationaux. C'est très important que le soutien à la recherche dans ce domaine ne vienne pas que lorsqu'il y a une crise sanitaire, mais soit pérennisé.

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Je soutiens beaucoup l'Institut technique supérieur de l'abeille et des pollinisateurs (ITSAP), qui est d'ailleurs un des seuls laboratoires européens à être capable de qualifier la toxicité des néonicotinoïdes, en tout cas du retour à la ruche sur les abeilles. Ils sont attachés à l'INRAE mais c'est vrai que nous avons en France la chance d'avoir des laboratoires d'exception qui permettent de modéliser des expérimentations de nouveaux produits, de qualifier des produits phytosanitaires, en tout cas de dire si oui ou non le retour à la ruche est possible quand ce produit est pulvérisé à proximité d'une colonie d'abeilles sauvages ou domestiques.

Je trouve que c'est intéressant de pouvoir croiser sur des chemins différents des visions stratégiques de la recherche française,

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Il faut assurer le continuum de la recherche fondamentale à la recherche finalisée. L'ITSAP est un institut technique ; nous avons une convention-cadre avec eux, puisque notre laboratoire de recherche de Sophia-Antipolis est le laboratoire de référence de l'Union européenne sur la santé des abeilles. Nous avons un continuum entre les deux pôles de recherche publique, l'INRAE à Avignon, l'Anses à Sophia-Antipolis, en lien avec l'ITSAP, qui peut faire des recherches beaucoup plus appliquées.

Notre laboratoire coordonne tous les travaux épidémiologiques sur la mortalité des abeilles au niveau européen. Nous avons besoin de ces acteurs de terrain. Cela fait un écosystème. Si nous n'avons pas une masse critique, nous ne sommes pas capables de proposer des programmes de recherche au niveau européen et d'être financés. C'est très important que ces sujets-là soient soutenus et que nous ayons les financements de la recherche.

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Roger Genet, directeur général de l'Anses

Merci beaucoup de votre écoute.

La réunion s'achève à quinze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 14 h 10

Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Sereine Mauborgne

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon