Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Mercredi 3 novembre 2021
La séance est ouverte à seize heures quarante
Présidence de M. Meyer Habib, président
Bonjour commissaire. Je vous remercie de vous être déplacé. L'objectif de notre commission est de voir s'il y a eu des dysfonctionnements de la police (d'où la raison de votre présence aujourd'hui), mais aussi à celui de la justice ou encore du point de vue médical. Finalement nous recherchons ce qui n'a pas fonctionné à quelque niveau que ce soit, pour faire la lumière sur cette triste affaire dans laquelle une femme a perdu la vie, massacrée alors que jusqu'à vingt-six policiers étaient présents sur place : trois initialement, six rapidement, puis de plus en plus. C'est la raison pour laquelle nous avons auditionné les primo-intervenants. Vous-même, n'étiez pas sur place.
Avant de vous donner la parole pour quelques minutes de propos liminaires et que Mme la rapporteure ainsi que nos collègues vous posent leurs questions, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. N. prête serment.)
Je vous invite à faire un bref propos liminaire sur les faits et votre propre intervention dans la salle de commandement lors de cette terrible soirée : ordres donnés, informations recueillies, sentiment que vous avez eu au fur et à mesure de ces dramatiques minutes…
Cette nuit, j'assurais l'intérim du chef du service de nuit de l'agglomération. Je suis commissaire du service de nuit de la Seine-Saint-Denis. Je suis donc basé dans ce département et y travaillais le soir des faits. Mon collègue étant absent, je le remplaçais et assurais son intérim. Cette nuit, j'ai été appelé par la salle de commandement de Paris, qui a fait état d'un homme s'étant introduit d'un appartement pour séquestrer une famille réfugiée dans une pièce. La salle de commandement m'a indiqué que la BAC 75 de nuit et leur commissaire se transportait sur les lieux. J'ai répondu que je m'y rendais également. Pendant mon trajet, j'ai entendu le message des collègues policiers, qui venaient de découvrir une dame au sol dans la cour intérieure du bâtiment. Ils précisaient qu'elle était très gravement blessée. Quand je suis arrivé, les services de secours et les pompiers prenaient en charge cette dame. La situation qui m'a été exposée était qu'un homme s'était introduit dans l'appartement d'une famille, qu'il empêchait de sortir. Il m'a été dit que cet homme tenait des propos incohérents et qu'il avait poussé des cris.
À quel moment êtes-vous arrivé ? Le premier appel a eu lieu à 4 heures 21 du matin, la première BAC arrive à 4 heures 24, la deuxième, trois minutes après. La défenestration de Mme Halimi est perpétrée six minutes après cela. Était-elle déjà morte lorsque vous êtes arrivé ?
Quand je suis arrivé, elle avait déjà été défenestrée. Quand j'ai été avisé, les collègues étaient déjà sur place. J'ai été appelé parce que la situation était bloquée et qu'il convenait de mettre en place une colonne d'effraction pour entrer dans les lieux. Aux horaires auxquels se déroulent les faits, cette colonne relève de la BAC 75 de nuit. En tant que chef du service de nuit d'agglomération par intérim, il s'agit de mes effectifs. C'est pourquoi je me suis transporté de la Seine-Saint-Denis à Paris 11ème arrondissement. Le délai de transport a duré dix minutes à un quart d'heure. Je ne pourrais pas vous indiquer plus précisément le temps que cela m'a pris pour arriver.
À mon arrivée, il y avait deux situations d'urgence : la dame défenestrée, dont nous ne savions pas qu'il s'agissait de Mme Halimi (au départ certains évoquaient une dame asiatique), malheureusement blessée très gravement et inconsciente, prise en charge par les pompiers et le Samu, et l'appartement de la famille dans lequel l'individu s'était introduit. Je me suis consacré à ce second cas. L'individu était présenté comme très agité et proférant des propos menaçants. Au fur et à mesure des informations reçues, j'ai fini par comprendre que le même homme était responsable des deux situations, et qu'il était passé de balcon en balcon. L'appartement de l'homme donnait également sur la façade, et il avait pu réaliser ce passage de balcon en balcon.
À ce moment, sachant que Mme Halimi était soignée par les services d'urgence, ma principale préoccupation a été de m'occuper de la famille. J'ai en effet craint que l'individu ne commette de nouveaux actes contre la famille, qu'il réussisse à entrer dans la pièce dans laquelle ses membres étaient réfugiés et qu'il ne les défenestre à leur tour. Ces personnes disposaient de leur téléphone et avaient pu appeler le 17. D'après les collègues présents derrière la porte, la famille ne faisait pas état de nouveaux cris. Ces personnes ne semblaient pas paniquées. La situation semblait figée. C'est pourquoi l'idée qui a prévalu a consisté à mettre en place un lot de sauvetage sous les fenêtres de cette famille, puis à entrer dans les lieux pour interpeller l'homme. C'est ce qui a été fait. Les pompiers étaient déjà sur place avec leur autorité. Ils ont installé le lot de sauvetage en quelques minutes, avec les coussins gonflables. Dès que ceci a été fait, l'intervention a eu lieu. Les policiers sont entrés très rapidement et ont maîtrisé le monsieur.
En ce qui me concerne, je menais l'opération, non derrière la porte mais sur la voie publique aux côtés des autres autorités, dont les pompiers. Il me semble que l'appartement dans lequel sont entrés les policiers était celui de la famille séquestrée.
J'ai fait venir les moyens d'effraction, mais ce n'est pas ce qui nous a occasionné un délai. Nous avons attendu l'installation du lot de sauvetage, et sommes entrés dès qu'il a été prêt.
Dans le procès-verbal de retranscription, il ressort que l'état-major dit de façon claire aux primo-intervenants après leur arrivée sur les lieux, qu'en cas de séquestration si des appels au secours sont entendus et en cas de nécessité, il convient de casser la porte. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait en dépit de cette instruction, qui semble claire pour une personne qui n'est pas policier et qui lit le procès-verbal ? Il y a six policiers derrière la porte des Diarra, qui communiquent avec le brigadier-chef que nous avons auditionné. Ils lui disent que l'individu n'est pas armé. C'est dans le procès-verbal. Ils lui indiquent également que la personne est seule. Très rapidement, les policiers sont au nombre de six derrière la porte, avant que trois ne redescendent au rez-de-chaussée. Ils ont les deux clés de l'appartement, qui leur ont été envoyées avec le vigic, mais ne s'en servent pas. Ils n'ouvrent pas la porte avec les clés, alors que l'écoute des audios démontre clairement qu'il a leur a été demandé de casser la porte en cas de nécessité. N'y-a-t-il pas un dysfonctionnement ?
L'important dans cette instruction donnée par radio est la mention « en cas de nécessité ». J'ai l'expérience d'une situation dans laquelle les policiers sont entrés dans un appartement où se déroulait un différend violent. Un homme menaçait de jeter sa compagne par la fenêtre. Les policiers se sont procuré les clés par l'intermédiaire du gardien et ont appelé le Raid, qui a mis le temps de la route pour arriver. Dans cette attente, les policiers locaux ont pris la décision d'entrer. Malheureusement, cette intervention a déclenché la défenestration de la dame, qui est morte.
Par conséquent, l'appréciation « en cas de nécessité » est très importante. Lorsque l'autorisation est donnée aux policiers présents derrière la porte d'intervenir en urgence, ces derniers restent néanmoins ceux qui apprécieront la situation. S'ils n'ont pas de bélier leur permettant de casser la porte rapidement, si par exemple ils sont contraints de donner de nombreux coups dans la porte, ils prennent le risque que l'individu ne s'affole.
Certes, mais il se trouve au troisième étage. Mes collègues ont appris après coup, que cette personne avait déjà commis une défenestration. Le risque du déclenchement d'une intervention pas assez foudroyante est qu'il ne se retourne contre la famille. Un enfant de dix ans était présent dans la pièce dans laquelle était réfugiée la famille. L'appartement se trouvant au troisième étage, les conséquences auraient été redoutables. Il est donc possible que la salle radio ait demandé aux policiers d'intervenir en cas de nécessité, car cela ne leur est pas interdit. Néanmoins il n'est pas envisageable de leur commander d'intervenir immédiatement alors qu'on n'est pas soi-même derrière la porte. Les policiers sont très expérimentés, et se trouvent à même d'apprécier quasiment seconde par seconde le déroulement de la situation.
Une fois que l'assassin a passé le balcon, après avoir récité les sourates du Coran et dit « allahu akbar » à plusieurs reprises, il entre dans l'appartement de Mme Halimi, qui dort. Il la réveille, la frappe, l'emmène sur le balcon et la scène dure une quinzaine de minutes. Elle hurle. Au moins trois personnes du quartier – voire quatre – appellent le 17. Certains proposent même aux forces de police de venir chez elle, car ils se trouvent dans l'immeuble d'en face. La personne indique qu'elle habite en face, qu'elle voit toute la scène et propose aux policiers de leur ouvrir.
Pendant quinze minutes, une femme est frappée et massacrée, avant la défenestration. L'assassin, prévenu de la présence de la police, répond : « Dites à la police qu'elle va se suicider. » Il tient ce propos à deux reprises, avant de la défenestrer lui-même.
Cette scène a duré quinze minutes. Je ne parle pas du temps du début, où l'assassin était chez les Diarra, se changeait et faisait ses prières. Je parle du moment où l'assassin a escaladé le balcon du troisième étage et s'est introduit dans l'appartement de Mme Sarah Halimi en déclarant, notamment : « J'ai vu une Torah ». Puis il commence à la frapper.
Pendant ces quinze minutes, que se passe-t-il sur les ondes de la police ?
Je ne peux parler à la place de mes collègues auditionnés précédemment. À titre personnel, lorsque je me suis mis en mouvement depuis le département 93, je n'avais pas cette information.
Nous sommes appelés, au début, pour la « séquestration » de cette famille. Les policiers se concentrent sur cet appartement à propos duquel ils sont appelés. Les témoins voient se dérouler des choses et appellent la police, mais malheureusement il ne s'agit pas d'un numéro de téléphone direct vers les policiers que vous avez auditionnés avant moi. Ces derniers se trouvent derrière la porte, ont les moyens d'intervenir, sous réserve qu'ils puissent le faire rapidement. C'est encore autre chose.
Peut-être les avaient-ils. En tout état de cause, ces policiers ne disposaient pas de l'information concernant Mme Halimi. Moi-même, quand je me suis mis en mouvement, je ne l'ai pas.
Les policiers n'ont pas cette information et sont concentrés sur la famille Diarra. Ils veulent éviter que l'individu ne commette des violences sur cette famille.
Malheureusement, oui. Ils n'ont pas d'autre information. D'après les éléments que j'ai pu recueillir de mes collègues avec lesquels j'ai discuté à bâton rompu, ils n'ont pas connaissance des évènements qui se déroulent dans l'appartement de Mme Halimi. Ils ne savent pas, parce qu'ils n'ont pas été mis au courant. Ils ne peuvent donc pas intervenir. La première fois que les policiers ont connaissance de l'affaire concernant Mme Halimi, c'est quand ils découvrent son corps au sol.
Elle hurle pendant un quart d'heure, le quartier est réveillé mais les neuf policiers sur place ne l'entendent pas.
Matériellement, c'est tout à fait possible au vu de la configuration des lieux. Vous la connaissez, peut-être.
Nous allons nous rendre sur place. Je m'y suis déjà rendu à deux reprises mais nous allons y retourner.
Avec le vigic, les collègues montent vers l'appartement des Diarra. Ils se trouvent dans le couloir. Je ne sais pas si l'agression de Mme Halimi est en cours ou si elle a déjà eu lieu, mais on n'en parle pas. Matériellement, il est tout à fait possible, dans un immeuble récent, que la présence dans les parties communes ou sur la voie publique, ne permette pas d'entendre ce qui se passe de l'autre côté, dans une cour intérieure.
Après les terribles attentats du 13 novembre et du Bataclan, à la suite de la commission d'enquête initiée par l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur a décidé de changer la doctrine d'intervention, en demandant notamment aux policiers, en cas d'urgence, d'aller au contact et d'intervenir. J'étais moi-même présent à Beauvau, à l'invitation du ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve et en présence des principales forces d'intervention, en ce jour où il a demandé de façon très officielle, à la police nationale et aux brigades d'intervention, de changer leur doctrine, pour aller au contact en cas de besoin. C'était en 2015-2016. Les faits concernant Mme Halimi se sont déroulés en 2017, donc après que cette nouvelle doctrine a été établie et décidée par le ministre de l'Intérieur, à la suite de la commission d'enquête. Pensez-vous que jusqu'à présent, les policiers ont fait leur cette doctrine ?
Je ne vois pas de contradiction entre l'action des policiers ce soir-là, et cette fameuse doctrine. Les policiers n'avaient pas l'information que l'agression de Mme Halimi était en cours, alors qu'ils se trouvaient à proximité. Dès qu'ils ont été avisés de ce qui était arrivé, les soins sont arrivés très rapidement. C'est pourquoi les policiers se sont concentrés sur la situation en cours, c'est-à-dire celle de la famille Diarra. Là, ils ont appliqué la doctrine. Quand j'arrive sur place, on me demande si je souhaite l'intervention de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI), qui est une unité de troisième niveau, comme le Raid. Le soir des faits, les unités sous mon commandement étaient celles de deuxième niveau, à l'instar de la BAC. La salle radio avait indiqué aux collègues de la BAC d'intervenir sans attendre, en cas de nécessité : c'est typiquement la nouvelle doctrine.
Quand on me demande si je souhaite l'intervention de la BRI, je réponds par la négative parce que l'individu n'est pas fiché S, ne porte pas d'arme feu. Nous ne sommes pas dans un contexte dans lequel nous ne pouvons pas intervenir. Je considère donc que nous pouvons y aller. C'est ce que nous avons fait. Nous n'avons perdu aucune seconde sur cette intervention. Par conséquent, nous avons appliqué la doctrine. J'insiste sur le fait que selon moi, le danger principal menaçant la famille Diarra était une défenestration. L'individu n'avait pas d'arme à feu mais avait déjà prouvé qu'il était capable de défenestrer une personne. Ma principale crainte était qu'il ne parvienne à pénétrer dans la pièce où était réfugiée la famille, et qu'il ne recommence avec elle. Il convenait donc de mettre en place un lot de sauvetage, dans l'hypothèse où notre intervention déclencherait une attaque contre la famille. Dans ce cas, les gens pourraient tomber sur un coussin gonflable. Dès que l'installation de ce coussin a été effectuée, la police est immédiatement entrée.
Après avoir entendu vos collègues, j'ai le sentiment que l'intervention sur place a été effectuée de manière cohérente, conformément à ce qu'ils doivent faire et en fonction des informations dont ils disposent. La difficulté tient au fait que la police intervient sur une première affaire de séquestration. Dans le même quartier, se déroule ensuite une affaire de femme battue. Bien entendu au début, personne n'est en mesure de comprendre qu'il s'agit de la même affaire. Sans mettre en cause qui que ce soit, il est peut-être possible d'identifier un dysfonctionnement lors de l'appel à la salle de commandement. Des voisins appellent du 23 rue du Moulin-Joly, c'est-à-dire la rue parallèle à la rue de Vaucouleurs, en signalant que dans l'immeuble d'en face, une femme est en train de se faire battre. Or aucune réaction ne se produit de la part de la salle de commandement. Il est vrai que dans le même temps, une voiture essaie de fuir dans un autre quartier de Paris et que la séquestration de la rue de Vaucouleurs est en cours. Il ressort de la lecture du compte rendu, qu'une femme est signalée battue au 23 rue du Moulin-Joly, sans que la police n'envoie de patrouille. Malheureusement, nous savons tous que faute d'effectifs, la salle de commandement est contrainte de hiérarchiser les interventions.
Pouvez-vous confirmer qu'en fonction du nombre d'équipages disponibles, les interventions sont hiérarchisées ?
Bien sûr. C'est tout le travail de la salle de commandement, qui doit faire l'usage le plus efficace possible des moyens à sa disposition. Les policiers intervenus pour la famille Diarra n'étaient présents que pour cette affaire. Effectivement, la situation Halimi se déroulait juste à côté, mais elle n'a pas été portée à leur connaissance.
Les appels au 17 parviennent à une plateforme téléphonique couvrant toute l'agglomération parisienne, qui retransmet les demandes d'intervention aux salles radio opérationnelles. Ce sont ces dernières qui missionnent les équipages, en priorisant le nombre de personnes et le type d'équipage par rapport à un autre. Tel est le principal travail de la salle radio : l'utilisation la plus efficiente possible des moyens à sa disposition. Je ne connais pas la décision prise lorsque la salle radio a eu connaissance de l'agression de Mme Halimi, mais c'est effectivement de son ressort.
J'ai étudié le dossier et passé des dizaines d'heures à essayer de comprendre. Quand la voisine appelle une première fois la salle de commandement pour dire que Sarah Halimi est en train d'être massacrée, la salle répond « C'est pour le différend familial. On est au courant. » Il est vrai qu'il est facile de qualifier les faits après coup, quand on connaît la réalité de ce qui s'est passé. Néanmoins, je vous communique les faits tels que retranscrits dans les auditions. Les témoins appellent car une femme est en train de se faire massacrer. La personne du 17 – qui reçoit de nombreux appels – pense qu'il s'agit d'un différend familial déjà connu. Y a-t-il eu a minima une erreur d'appréciation.
Il est très difficile pour moi de répondre à la place des gens qui se trouvent à la salle de commandement ce soir-là. La situation est exceptionnelle. C'est celle d'une personne qui passe d'un balcon à un autre pour commettre une sorte de crimes en série, qui bouge énormément. Cette personne se trouve dans un appartement familial avec femme et enfants. On imagine tout de suite qu'elle risque de recommencer, de sorte qu'on se concentre sur cette situation.
Si les policiers présents derrière la porte de la famille Diarra avaient entendu des cris dans l'immeuble voisin, ils ne seraient pas restés sourds. Ils s'y seraient rendus. Or ils n'avaient pas l'information de violences sur un balcon. Moi-même, qui suis arrivé plus tard, je n'en disposais pas. Lorsque la situation a été portée à ma connaissance, elle ne concernait que la famille dans l'appartement. Je n'ai établi le lien que bien plus tard.
Je comprends bien la hiérarchie des différents appels, et le fait que la rue du Moulin-Joli ne soit pas identifiée comme parallèle à la rue de Vaucouleurs.
Quand vous arrivez, le drame a déjà eu lieu. Vous rendez-vous dans l'appartement des Diarra quand l'individu est interpellé ?
Je suis monté pour me rendre derrière la porte et essayer de repérer la présence d'appels au secours, qui nous feraient intervenir dans l'urgence. Je constate qu'il n'y a plus aucun bruit. On m'a déjà rendu compte que Mme Halimi était grièvement blessée, au sol. Pour les Diarra, la situation semble, pour le moment, figée. Je ne voulais surtout pas que l'individu défenestre une personne de la famille Diarra, et que celle-ci soit blessée grièvement ou ne décède. J'ai ensuite évolué partout dans le voisinage, y compris dans l'appartement de la famille du jeune homme puisqu'il y avait un point de vue. Dans la mesure où il était passé de ce balcon à celui de Mme Halimi, je me suis rendu sur les lieux. C'est à cette occasion que j'ai vu brièvement le jeune homme, le tueur, sur son balcon.
Mon jugement sur cet individu n'est pas très différent du vôtre, je pense. Quand l'interpellation a lieu, je suis de retour sur la voie publique pour organiser le dispositif. Quand je donne l'ordre, les policiers entrent dans l'appartement et interpellent l'assassin.
Il s'agit de la BAC 75 de nuit, qui est équipée et dispose des moyens nécessaires. La BAC est entrée en force pour interpeller l'individu et rendre leur liberté aux membres de la famille Diarra.
Président, permettez-moi de dire à titre liminaire, avec un grand respect pour la commission et pour la fonction que vous honorez, qu'autant je suis à l'aise avec toute question posée sur l'affaire, qu'en revanche, je me désolidarise totalement des insinuations qui peuvent être proférées à l'occasion de certaines questions. Ici, tout le monde a du respect pour notre institution et pour les corps que nous interrogeons.
M. le commissaire, vous avez évoqué les protocoles d'intervention en cas de nécessité. Effectivement, nous avons beaucoup débattu à ce sujet et interrogé ceux qui occupaient votre place précédemment. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces protocoles d'intervention applicables en cas de nécessité ? Vos collègues nous ont indiqué ne pas avoir entendu d'appel à l'aide. Vous avez relaté une intervention qui s'est avérée beaucoup plus dangereuse en l'absence d'appel au secours. Est-ce que l'intervention automatique est une garantie de sauvegarde et de protection de la victime, ou malheureusement peut-elle représenter un risque supplémentaire ajouté à une situation déjà dangereuse ?
Comment sont conçues les formations pour ces policiers, même si j'ai entendu qu'ils sont profondément aguerris et qu'ils connaissent des situations de stress régulières ? Nous souhaiterions savoir comment l'évaluation de ces situations est travaillée au sein de votre corps, afin que nous puissions en tirer des enseignements pour l'avenir.
Concernant la communication, qui constitue notre deuxième point d'attention, vous avez parfaitement décrit l'existence de deux affaires. Vous indiquez que l'intervention concerne l'appartement des Diarra, sans qu'un lien ne soit établi immédiatement avec l'affaire Halimi. Pour autant, les policiers nous indiquent être équipés d'oreillettes, et qu'ils ont des échanges avec les conférences de secteur. Or jamais l'information ne peut être transmise. Pensez-vous qu'à l'avenir, il s'agisse d'un élément sur lequel nous devrions tous collectivement travailler pour optimiser la communication entre des affaires, pour lesquelles les interventions sont simultanées ? Pourrions-nous en tirer des bénéfices supplémentaires ?
Concernant l'intervention immédiate et le bénéfice de la vitesse, il est évident que plus nous pourrons aller vite et en sécurité et plus nous le ferons. Tous les jours, des policiers pratiquent des milliers d'interventions de flagrant-délit. Lorsqu'une agression se produit, ils interviennent. En revanche dans le cas d'une situation bloquée avec un risque vital pour les personnes – puisqu'il y a déjà eu un meurtre dans cette affaire – nous savons que la personne est violente et dangereuse. Il ne s'agit donc pas de faire n'importe quoi. Il s'agit de monter l'opération en réfléchissant de façon pertinente. Cela ne signifie pas perdre du temps, mais parfois dans l'organisation les étapes à mener prennent un certain temps. Ce temps est indispensable. À défaut, le risque que nous ferions courir aux gens pourrait être supérieur aux bénéfices, à un instant T. Bien entendu, si les gens commencent à crier au secours et que l'individu est à leur contact, nous intervenons. Les collègues interviennent dans ce cas avec leurs moyens. Peut-être auront-ils des difficultés à ouvrir la porte. S'ils ont une clé, c'est mieux. S'ils entrent, peut-être l'individu s'en prendra-t-il aux personnes avec un couteau ou autre, ou tentera de les défenestrer. Voyez-vous, tel est le genre de calcul que nous effectuons.
En somme, nous faisons une arborescence des situations et prenons nos décisions en fonction. En revanche, nous ne pouvons pas nous précipiter tête baissée. Des policiers très expérimentés doivent être capables d'évaluer, avant même mon arrivée sur place, s'il est nécessaire d'intervenir immédiatement ou s'il est préférable d'attendre pour faire baisser le niveau de risque. En l'espèce, intervenir dans cet appartement sans lot de sauvetage installé en bas, c'est prendre le risque d'une défenestration ou que quelqu'un soit tué. C'est aussi simple que cela. Pour l'affaire de la famille Diarra, il convenait donc d'évaluer le niveau de risque et de prendre une décision en conséquence.
Concernant la communication, il faudrait que tous les policiers travaillent sur une seule et même conférence radio pour avoir la même information. C'est la seule condition pour que chacun dispose du même niveau de connaissance. L'inconvénient pourrait être d'entraîner rapidement une cacophonie dans toute la zone de défense, rendant difficile le tri d'information.
En tant que chef du service de nuit de l'agglomération par intérim, j'ai une écoute sur la conférence de l'agglomération, c'est-à-dire la conférence à compétence zonale sur la zone de défense. Les communications sur cette conférence sont brèves et limitées. Si tous les policiers parlaient sur la même conférence, il s'agirait d'une cacophonie impossible à suivre matériellement. C'est pourquoi nous sommes obligés de diviser les conférences en appréciant le juste niveau, soit par arrondissement, district ou département. Les choix sont opérés selon l'expérience des policiers, en fonction de la densité de population sur un secteur et du nombre d'appels. Dans cette organisation, il peut arriver que certaines informations passées sur une conférence radio, ne passent pas sur celle d'à côté. C'est pour cette raison que les informations ne sont pas diffusées immédiatement car elles doivent être répercutées par un opérateur qui entend la conférence A et la conférence B.
Il est rare que des policiers présents sur une intervention ne soient pas informés d'une situation se déroulant à côté, mais cela peut arriver. Dans le 93, il avait été procédé à un redécoupage des conférences entre le district d'Aubervilliers et celui de Pantin. La nationale 2 se trouvait entre les deux. Or le bassin de délinquance couvre les deux communes. Pendant plusieurs nuits, nous avons constaté que des affaires se déroulaient d'un côté, sans que nous soyons au courant de l'autre. C'est pourquoi très rapidement, nous sommes revenus au système ancien. Il peut donc arriver que des fréquences radio mal découpées occasionnent des difficultés. Nous ne sommes pas toujours au courant de toutes les affaires qui se déroulent au même moment sur le territoire. Nos états-majors communiquent avec nous par radio.
Dans cette affaire cette nuit-là, pensez-vous que les faits ont été tragiques mais qu'il n'y avait pas de meilleure façon de procéder en termes de communication, pour établir plus rapidement le lien entre les faits des deux appartements ?
Peut-être cela aurait-il pu être amélioré. Il est sûr que depuis cette période, l'organisation de la salle de commandement à Paris a été revue. Nous sommes passés à un niveau dirigé. Désormais, les conférences locales qui envoient les forces sur le terrain se trouvent physiquement dans la même salle que la conférence zonale qui m'a avisé le soir des faits. Il est évident que cette mesure, qui a été prise il y a deux ans, est de nature à améliorer la communication de l'information. Les gens se trouvent physiquement au même endroit et s'entendent parler.
Merci M. le commissaire de votre présence. Le sens de notre commission est de trouver ce qui peut être amélioré. À ce stade, je note deux erreurs humaines que je qualifie, sans les juger. En premier lieu, le brigadier est en possession des clés mais ne se rend pas compte qu'il les a dans la main. En second lieu, la salle de contrôle n'évalue pas bien la situation. Rétrospectivement, c'est beaucoup plus facile de le constater. Nous avons le sentiment que la salle de contrôle ne comprend pas bien la situation et c'est pour cela que nous insistons. Il semble que tout le quartier – ou à tout le moins une partie des témoins – ait compris, sauf les policiers.
Vous êtes appelé et décidez de vous rendre sur place. Vous comprenez par conséquent très rapidement que la situation est grave. Ce n'est pas celle de Mme Halimi (que vous découvrirez plus tard), mais la situation de séquestration qui vous décide à vous transporter sur place.
Quelles conséquences tirez-vous ? Nous avons très bien perçu les mesures que vous avez prises dans les règles de l'art, et vous avez en partie répondu à Mme Coralie Dubost sur les fréquences radios. Dans ce cadre, aurait-il fallu une fréquence radio zonale d'intervention pour que les vingt-six policiers soient sur la même fréquence ? Est-ce le cas aujourd'hui, ou serait-ce une évolution intéressante à mettre en place ? Y a-t-il autre chose que vos équipes auraient dû mieux faire ?
De plus, existe-t-il des éléments, à la suite de votre expérience de cette nuit du 4 avril 2017 (à laquelle, j'en suis certain, vous avez beaucoup repensé depuis) que vous ou l'équipe que vous aviez sous votre commandement, auriez pu mieux faire ?
Concernant la conférence d'intervention pour les collègues sur place, elle n'était pas vraiment nécessaire. Je me suis rendu sur les lieux pour être au contact physique avec les policiers que vous avez auditionnés et les gens de la BAC 75 de nuit, car il est plus facile de passer les ordres à la voix. J'ai retranscrit ces mêmes ordres par radio à l'intention de la salle, pour qu'elle puisse tenir un chronomètre des opérations menées. Le problème ne réside pas là. À mon arrivée, les collègues locaux et les policiers de la BAC 75 N m'ont fait un compte rendu rapide de la situation. Nous n'avons donc pas perdu de temps à cet égard. Le découpage d'une fréquence à l'extrême pour vingt-six personnes (dans une sorte de système de talkie-walkie ) pourrait être utile pour passer des informations uniquement sur l'intervention. En revanche, il est préférable que la mise en place de l'opération elle-même intervienne par la conférence de travail habituelle, pour que la salle entende. Une conférence pour les vingt-six policiers uniquement n'aurait pas apporté grand-chose car tout le monde était en contact sur le terrain.
À la question de savoir si nous pourrions changer quelque chose à l'avenir, je vais peut-être vous décevoir. Je rencontre des difficultés à imaginer, avec les informations dont nous disposions, comment il nous aurait été possible d'agir différemment. Que des témoins voient une situation, c'est possible. Cependant lorsque l'appel est adressé au 17, il n'est pas toujours aisé d'en comprendre la teneur. Les gens se trouvent souvent dans une grande panique, et parfois ils sont dans la confusion. La situation est différente quand ces mêmes personnes se trouvent auditionnées, bien plus tard, dans un bureau de la police judiciaire et qu'elles affirment avoir appelé la police. Il est vrai qu'elles l'ont fait, mais au moment de l'appel, leurs propos étaient-ils réellement exploitables ? Je continue à penser que si les informations avaient été exploitables, elles auraient été immédiatement exploitées.
Si nous avions eu une chance de sauver Mme Halimi, nous nous y serions tous attelé. Nous n'avons pas eu cette information, même si des personnes ont vu des choses. La teneur des propos rapportés ne m'est pas connue. Selon moi, les personnes destinataires de l'information ont fait du mieux qu'elles le pouvaient, avec les moyens dont elles disposaient.
En revanche, l'idée du réseau dirigé que j'évoquais précédemment, est très importante. Cette mesure, qui a déjà été prise, est de nature à favoriser la circulation de l'information. Désormais, nous disposons d'une salle radio unique, avec les conférences de district effectuées physiquement au même endroit que la salle qui m'a mis en mouvement. Par conséquent, les signaux faibles pourront sans doute remonter plus rapidement puisque les occupants de cette salle se trouvent en proximité les uns des autres.
Je vous remercie M. le commissaire pour les éléments que vous apportez, qui seront précieux pour l'avancement de nos travaux. Vous avez dit tout à l'heure avoir vu l'assassin. Comment l'avez-vous perçu ?
Il est passé sur le balcon. Je l'ai vu. Il tenait des propos en langue arabe dans une sorte de logorrhée. Cela n'était pas très cohérent. Il ne s'adressait pas à nous, et regardait ailleurs. Il avait du sang sur les manches. Ensuite il a disparu et est rentré. Par conséquent, son comportement était anormal. Il ne s'est jamais adressé à nous, il parlait tout seul. Je crois que cela correspond à ce que les gens ont entendu derrière la porte, de mots en arabe.
Merci pour ces précisions. À vous entendre, il y a une séparation entre les deux affaires, c'est-à-dire celle de la séquestration qui n'en était pas une, puisque les Diarra nous ont expliqué qu'ils lui avaient ouvert parce qu'ils le connaissaient. Ils pensaient que Traoré était pourchassé. Puis les Diarra se sont réfugiés dans une chambre car il était très agité. En réalité pendant quinze minutes, les témoins appellent et parlent d'une malheureuse qui se fait massacrer. Ces personnes, que nous allons auditionner, parlent de cris de chien et de chat qui baissent au fur et à mesure, de hurlements. Les témoins appellent la police, comme le réflexe de tout citoyen en situation de crise. Heureusement que dans de telles situations nous pouvons compter sur notre police, que nous aimons et respectons. Accessoirement, je précise que je vis avec notre police depuis des années. Ne pensez-vous pas qu'une mauvaise appréciation a pu se produire, consistant à ne pas comprendre qu'à la même adresse, à la même heure d'une même nuit, un lien pouvait être établi entre une famille censée être séquestrée et une femme agressée ?
Le massacre de cette malheureuse dure quinze minutes. Les fonctionnaires de police présents dans la cour ne peuvent pas ne pas entendre. Certes, il est très compliqué d'intervenir sans autorisation de la hiérarchie. D'ailleurs à ce propos, qu'est-ce qui s'est dit au sein du commandement pendant ces quinze minutes ? Peut-être me direz-vous qu'il ne s'est rien dit parce que vous ne saviez pas, en raison de votre concentration unique sur la pseudo-séquestration des Diarra. En fait, si seule la séquestration de cette famille avait eu lieu, aucune commission d'enquête n'aurait été constituée. Nous ne serions pas devant vous aujourd'hui. Aucun dysfonctionnement ni décès ne se seraient produit. Il s'avère qu'une Française a été massacrée et tuée en plein Paris, parce que juive. Nous essayons de comprendre pourquoi. Y a-t-il eu un dysfonctionnement ? Pourrons-nous éviter la reproduction d'une telle situation pour tout citoyen et citoyenne dans le futur, quelles que soient ses origines ? Tel est notre unique objectif.
Nous souhaiterions aussi savoir si, à votre avis, il serait nécessaire de faire évoluer la doctrine, par exemple pour que les ordres soient passés plus rapidement ? À l'inverse, pensez-vous que toutes les procédures et doctrines existantes sont satisfaisantes ?
Je ne peux répondre à la place de mes collègues du 17, qui reçoivent les témoignages des personnes en direct, ni à celle de mes collègues de la conférence radio locale qui se trouvent en lien avec les personnes du 17. Je ne sais pas de quels éléments ils ont eu connaissance. Je ne suis pas en mesure de vous dire s'ils les ont bien exploités. Je suis désolé de ne pouvoir répondre.
Tout le monde aurait préféré sauver Mme Halimi. Je préfère le rappeler parce que parfois, je me demande si c'est clair. Mes gars, qui sont des frères d'armes, n'ont pas assisté à cette situation. Si tel avait été le cas, les messages seraient remontés très vite et je sais bien qu'ils auraient réagi de manière forte. Bien sûr que la situation, si elle avait été connue, aurait été prise en compte sans tarder. Or elle n'avait pas été portée à leur connaissance au moment où ils sont intervenus pour l'affaire Diarra. Si une information est parvenue à la police au sujet de Mme Halimi – je ne doute pas de la parole des témoins – il est un fait qu'entre ce que les gens disent et l'information traitée, un grand gap peut intervenir.
C'est évidemment très compliqué. Chacun en est conscient. Il ne faut pas que persiste un malentendu sur ce point.
Des violences conjugales aperçues de l'autre côté de la rue ou une bagarre impliquant un monsieur qui s'en prend à une dame, se produisent quasiment chaque nuit. Notre sujet est de savoir si nous pouvons nous y rendre, et quelle en est l'adresse. En l'espèce, la situation qui a donné lieu à l'intervention de mes collègues et à la mienne, est celle de la séquestration de la famille Diarra. Il est aisé de la banaliser après coup. Il y a cet homme qui tient des propos incohérents en arabe dans l'appartement d'une famille, elle-même réfugiée dans une chambre avec son enfant de dix ans. En arrivant, je suis avisé que cet homme a déjà défenestré quelqu'un. Par conséquent selon moi, la situation d'urgence est de mettre en place l'intervention chez les Diarra. Dans l'intervalle, tous les secours avaient pris en charge Mme Halimi. J'espère qu'il ne subsiste plus le moindre doute à ce sujet. Je peux vous dire que les policiers, de la position où ils se trouvaient, n'ont pas vu l'agression de M. Traoré sur Mme Halimi qui se déroulait sur le balcon, Si tel avait été le cas, nous aurions parfaitement pu monter deux colonnes, en laisser une chez les Diarra et foncer rapidement chez Mme Halimi. Nous n'aurions pas attendu une seule seconde. Or cette information est apparue beaucoup plus tard.
M. le commissaire, nous entendons vraiment tout ce que vous nous dites, et comprenons qu'il est difficile de réécrire l'histoire. Je suppose que c'est le message que vous tentez de nous transmettre. Néanmoins, nos questions sont motivées par la contradiction existant, d'une part entre des témoins, qui disent avoir tout entendu, voire tout vu, et d'autre part, les hommes présents sur le terrain, qui ne voient pas ni n'entendent. Nous nous demandons alors comment il est possible que deux situations totalement différentes et parallèles coexistent sur le même terrain, en ce même lieu et en ce même temps.
Quand nous vous écoutons, de même que vos collègues précédemment, nous entendons régulièrement employer les termes de « concentration », « protocole », « remontée d'information » et d'« action en fonction de ces informations ». Pensez-vous qu'à l'époque (ou aujourd'hui si une évolution s'est produite) les mécanismes de fonctionnement, les protocoles par lesquels vous évaluez les situations, laissent de la place à l'instinct, à la compréhension et la lecture de l'environnement, et à l'évolution instinctive des hommes sur place pour passer d'une situation à une autre conformément à un ressenti ? Finalement, les témoins ont transmis du ressenti, par comparaison avec ce que les hommes de terrain n'avaient pas, c'est-à-dire l'information.
Le fait de laisser le primo-intervenant aller jusqu'au bout de son intervention, sans le retenir au motif que des collègues plus équipés arriveront prochainement, est acté par écrit depuis le nouveau schéma national d'intervention postérieur aux attentats du Bataclan. D'ailleurs même antérieurement à ce nouveau schéma, des policiers ont pu intervenir sans attendre les ordres de leur hiérarchie. Dans cette affaire, la salle radio a même verbalement indiqué qu'en cas de nécessité, il fallait entrer chez la famille Diarra. Jamais le message inverse d'attendre l'arrivée du commissaire, n'a été délivré. Quand mes collègues sont arrivés chez les Diarra, ils n'ont pas entendu la situation de l'affaire Halimi. Je ne sais pas s'il est avéré que ce meurtre a eu lieu concomitamment à leur présence sur place.
Dans ce cas, lorsque les policiers se trouvent derrière la porte de la famille Diarra ou sur la voie publique, il n'est pas exclu qu'ils n'aient pas entendu des faits se déroulant dans la cour intérieure. C'est très certainement ce qui s'est passé.
Vous avez raison pour les policiers stationnés derrière la porte des Diarra. Ils l'ont bien expliqué, et nous n'avons aucune raison de ne pas les croire. Néanmoins, il est certain que des fonctionnaires de police sont ensuite descendus dans la cour. Or pendant quinze minutes, il est difficile de comprendre qu'ils n'aient rien entendu. Telle est la question précise que nous nous posons.
Si vous le permettez, je tiens à rendre un vibrant hommage aux primo-intervenants du Bataclan, qui ont « contrevenu » aux ordres d'appeler les brigades d'assaut, et qui ont pénétré dans le Bataclan. Par leur bravoure, ces policiers ont tué l'un des assassins et peut-être fait en sorte que des centaines de morts de moins ne soient à déplorer. Nous ne pourrons jamais oublier l'action de ces « super-héros ». Dans un cadre différent, nous tentons de comprendre les raisons pour lesquelles les choses se sont passées de façon autre pour Mme Halimi. Nous intervenons dans un unique but d'amélioration, mais ne ferons hélas pas revivre cette malheureuse.
Vous indiquez qu'un policier est allé dans la cour. Or c'est à cette occasion qu'il a découvert Mme Halimi au sol. Aucun des policiers intervenants n'a assisté en direct aux coups portés sur le balcon, car dans le cas contraire les fonctionnaires seraient intervenus de façon certaine.
Une fonctionnaire de police, de façon certaine, a déclaré avoir entendu les cris de Mme Halimi.
Il est possible qu'ils n'aient pas fait le lien avec la situation. Face à l'information d'une agression en cours avec un danger vital pour les personnes, il est certain que les policiers interviennent. C'est la question centrale. Tout le monde se demande si ce soir-là, les policiers auraient pu agir différemment : mon appréciation est que tel n'était pas le cas.
Concernant le Bataclan, des armes à feu sont présentes. Lorsque le collègue de la BAC de Paris arrive sur place avec son chauffeur, les tirs sont en cours. Il a déjà l'information selon laquelle de nombreux tirs se sont produits aux terrasses, sur la voie publique, avec de nombreuses victimes. Il savait aussi qu'un attentat avait eu lieu au Stade de France. Par conséquent, les éléments d'une tuerie en cours sont connus.
En l'espèce, si les policiers présents chez les Diarra avaient su que le meurtre de Mme Halimi était en cours, ils auraient agi. C'est évident. Pour les Diarra, dont la situation présentait un risque, nous avons agi. Il n'y avait donc aucune raison de ne pas agir. Les ordres avaient été donnés dans ce sens, « en cas de nécessité ». Nous parlons ici de l'affaire Diarra.
Je l'ignore. Je sais que nous disposions des moyens de forçage mais j'ignore s'ils les ont utilisés. Je ne peux vous répondre parce que j'étais placé en position de commandement des opérations de police. Je ne me trouvais donc plus derrière la porte, puisque j'étais redescendu pour organiser les opérations. Je tenais à assurer le recueil possible des personnes si elles avaient dû être défenestrées. Bien entendu, comme je l'ai souligné, il est toujours possible de banaliser après coup l'affaire Diarra en se demandant pourquoi les forces de police ne se sont pas concentrées sur Mme Halimi.
Les Diarra ont indiqué qu'il n'était pas violent avec eux et qu'il n'était pas armé. Un fonctionnaire a parlé avec cette famille à plusieurs reprises. Il est très heureux que les Diarra n'aient pas été agressés, qu'ils aient pu se réfugier dans une chambre, dont ils ont coincé l'entrée avec des meubles. La police sécurise la porte mais n'intervient pas. Manifestement, les fonctionnaires ne savent pas qu'une femme est en train de se faire agresser de l'autre côté. C'est ce que vous expliquez et nous en prenons acte.
Commissaire, ne vous méprenez pas sur nos questions. Les propos de notre collègue Laetitia Avia et de M. le président constituent un point central. Vous êtes policier en intervention. Je suis député parisien et ai passé plusieurs nuits avec la BAC de nuit. Vous, policiers, avez un courage bien supérieur au nôtre. Vous forcez vraiment notre admiration, je vous l'affirme très sincèrement.
En l'espèce, nous ne parvenons pas à comprendre un point. Un brigadier-chef très expérimenté récupère un vigic avec des clés, mais ne se rend pas compte qu'elles sont en sa possession. Il nous explique en effet que son premier réflexe, après avoir pénétré dans l'immeuble avec ce courage d'y aller, est de descendre pour recevoir des ordres. Au fond, à force de rechercher un ordre après l'autre, ne perd-on pas la notion de la simplicité ? Un policier récupère un trousseau de clés qui va lui servir lors d'une intervention, il est en compagnie de ses collègues. Il prend alors l'initiative d'entrer sans attendre toute une série de commandements. Je répète que nous n'avons aucune sorte de jugement, car nous sommes incapables de faire ce que vous faites.
Dans la continuité de ce qu'exprime M. Sylvain Maillard, peut-être faudrait-il donner la possibilité aux primo-intervenants, qui sont des fonctionnaires de police mais aussi des pères de famille recevant un salaire et ne pouvant se permettre de commettre une erreur, d'intervenir en toute confiance dans ce type de situation, sans les ordres de la hiérarchie.
Je vais réitérer mon propos qui n'a peut-être pas été assez clair. Ils avaient l'autorisation d'intervenir en cas de nécessité, qui leur avait été passée sur les ondes. Les policiers sont derrière la porte et apprécient la situation seconde par seconde. Or parfois, l'extrême vitesse peut entraîner des conséquences catastrophiques, à l'instar de l'affaire de Dugny que j'évoquais précédemment. L'individu voit les policiers entrer, il jette la femme par la fenêtre et elle meurt. Elle avait dix-sept ans. Par conséquent, les policiers prennent ce risque en compte. N'écoutant que leur courage et n'évaluant pas assez bien les risques de leur intervention, ils pourraient aussi créer un suraccident. Nous laissons les coudées franches aux policiers, qui disposent d'une grande autonomie dans nombre de situations. Je peux ne pas être appelé pendant des nuits entières, parce que des centaines de policiers font leur devoir sans faire remonter le flagrant délit à la hiérarchie. Que ce soient des coups de couteaux ou des règlements de comptes à la kalachnikov, les policiers interviennent sans attendre ma permission.
Dans cette affaire, les policiers ont évalué la situation. Il ne s'agit pas d'une histoire de clés. Dans l'affaire de Dugny, les policiers avaient aussi la clé. Ils ont ouvert et le monsieur a jeté la dame par la fenêtre. Ce cas est très connu chez nous, et nous souhaitons éviter qu'il ne se reproduise. En revanche en cas d'appels au secours concomitants, qui sont la preuve que la situation a évolué en aggravation, les policiers agiront dans tous les cas. Dans l'affaire Diarra, les policiers ont estimé avoir le temps de monter une opération en ayant fait baisser le niveau de risque au plus bas pour tout le monde.
Vos explications sont extrêmement claires, ce dont je vous remercie. Il avait été indiqué, par votre prédécesseur, qu'après avoir entendu M. Traoré émettre des sons en arabe, seul le silence était présent. Dès lors pour eux, il n'y avait pas d'état de nécessité caractérisé. Nous confirmez-vous que telle est bien la situation que vous évoquez ? Confirmez-vous qu'en l'absence d'appels au secours et d'un état de nécessité caractérisé, le protocole imposait de sécuriser le palier et d'attendre l'intervention de l'équipe appelée par la salle de commandement ?
C'est tout à fait cela. La famille avait appelé le 17 et se trouvait en contact avec nous. Ils n'ont pas paru affolés. En revanche en ce qui me concerne, j'ai estimé que le danger était réel puisqu'une personne avait déjà été assassinée par l'individu. Le seul délai à notre intervention a été la mise en place du lot de sauvetage, pour tenir compte de la hauteur de trois étages.
Je considère par conséquent que les policiers avaient l'opportunité, s'ils le devaient, d'intervenir. Ils ont bien fait de surseoir lorsqu'ils ont constaté qu'il n'y avait plus aucun bruit. S'ils étaient entrés avec la clé, ils auraient pris un gros risque dans cet appartement situé en hauteur. Le pari aurait été osé. Selon mon interprétation, ils ont bien fait d'attendre.
Merci M. le commissaire. Nous arrivons au terme de cette audition. Je pense que grâce au temps que vous avez passé avec nous, nous avons mieux compris les choses. Je voulais réitérer notre reconnaissance à notre police, que nous aimons et respectons. Nous avons conscience du travail phénoménal qu'ils accomplissent dans des conditions très compliquées, tout au long de l'année. Merci de vous être déplacé.
La réunion se termine à dix-sept heures cinquante. Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Laetitia Avia, Mme Aurore Bergé, Mme Coralie Dubost, Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, M. Richard Lioger, M. Sylvain Maillard, Mme Florence Morlighem, M. François Pupponi
Excusé. - Mme Sandra Boëlle