La réunion

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La commission spéciale procède à l'audition de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

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Mes chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, nous avons le plaisir d'accueillir, pour une audition sous forme de questions cribles, M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

Nous avions identifié, à l'occasion du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), la transformation du secteur des transports comme un puissant vecteur de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Aussi est-il naturel qu'à la suite des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, le projet de loi comporte des mesures pour accélérer la transition écologique de ce secteur. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous avons souhaité vous entendre avant le début de la discussion législative, le 8 mai.

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Plusieurs propositions de la Convention citoyenne pour le climat ont déjà été reprises, intégralement ou partiellement, dans le plan de relance : relèvement du plafond du forfait mobilités durables, développement de la filière vélo, 4,7 milliards d'euros consacrés au secteur ferroviaire, 7 milliards dédiés à la recherche dans le domaine de l'hydrogène, électrification des quais dans les ports, malus sur les véhicules polluants. Une quinzaine d'articles de ce projet de loi concernent le secteur des transports. Le Gouvernement et la majorité poursuivent l'effort engagé avec la LOM pour amplifier la mutation des déplacements de la vie quotidienne vers des modes alternatifs à la voiture individuelle et la transition vers un parc de véhicules moins « carbonés ». Il entend modifier l'organisation des transports en ville en créant des zones à faibles émissions (ZFE) dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Il prévoit d'encourager l'usage du train plutôt que de l'avion, en interdisant les vols domestiques dès lors qu'une solution ferroviaire en moins de deux heures trente existe.

Est-il possible d'évaluer, à moyen terme, les gains en réduction d'émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre des mesures du projet de loi qui concernent votre secteur, monsieur le ministre ?

Alors que les ZFE sont largement plébiscitées par les élus, pourquoi n'avoir retenu comme seuil pour leur création dans les agglomérations que 150 000 habitants ? N'aurait-il pas été plus ambitieux d'abaisser ce seuil ? Comment les collectivités territoriales ont-elles été associées aux travaux préparatoires du texte ? Si la mesure concerne les municipalités et les intercommunalités, rappelons que la région joue, depuis la LOM, le rôle de chef de file des mobilités, notamment pour ce qui concerne l'intermodalité.

Les collectivités territoriales, à qui l'on ne peut reprocher l'absence de concertation avec les usagers, s'inquiètent de la présence de citoyens tirés au sort au sein des comités des partenaires mis en place par les autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Que pensez-vous de l'article 34 ?

Enfin, l'article 37, qui prévoit d'encadrer le développement des capacités aéroportuaires pour les rendre compatibles avec nos objectifs de lutte contre le changement climatique, n'est-il pas obsolète au regard de la crise que traverse le secteur aérien ? Pas moins de 30 000 emplois seraient ainsi menacés au sein du Groupe ADP.

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports

M. le rapporteur général a raison, nous avons pris l'exercice de la consultation des citoyens très au sérieux. Sur les quarante-deux mesures présentées par la Convention citoyenne pour le climat, vingt-sept ont été mises en œuvre au bout de huit mois, notamment dans le plan de relance. Pas moins de quatorze sont intégrées dans le projet de loi dont nous discutons. Nous voulons tirer profit des progrès technologiques pour favoriser la complémentarité entre les modes de transport tout en accompagnant socialement ces grandes mutations.

Concernant les effets cumulés des mesures prises durant ce quinquennat, incluant celles du présent projet de loi, en direction du secteur ferroviaire et des transports du quotidien pour réduire au maximum les émissions de CO2, selon nos évaluations, nous devrions avoir réduit de 30 millions de tonnes nos émissions de CO2 d'ici à 2030. Le volet relatif au transport du plan de relance devrait permettre, à lui seul, de réduire nos émissions de 12 millions de tonnes. Du reste, les mesures prises portent déjà leurs fruits puisqu'en 2019, les émissions moyennes de CO2 des voitures neuves ont baissé de 13 % – 95 grammes cette année contre 110 grammes l'année dernière.

Pour définir des ZFE les plus efficaces possible, nous avons engagé, avec Barbara Pompili, une large concertation avec les associations d'élus – France urbaine, l'Association des maires de France (AMF) et des présidents d'intercommunalités – et les métropoles concernées. La fixation du seuil à 150 000 habitants permettra de toucher trente-cinq agglomérations, avec une certaine souplesse pour la mise en place de ces zones, tant au niveau des critères que des contrôles.

S'agissant de l'intégration d'habitants tirés au sort au sein des comités des partenaires mis en place par les autorités organisatrices de la mobilité, je m'en remettrai, en séance publique, à la sagesse du Parlement. La loi d'orientation des mobilités a permis de clarifier le rôle du chef de file en matière de mobilités, et des moyens très importants ont été votés pour que ces politiques puissent être pilotées au niveau régional. L'État, du reste, a pris sa part, notamment par des investissements massifs.

Le secteur aérien traverse une crise inédite : le trafic a chuté de 70 % l'an passé et nos projections nous indiquent, pour cette année, un recul de 50 % par rapport à 2019. La question de la capacité des aéroports se pose, de ce fait, beaucoup moins. Nous avons abandonné le projet du nouveau terminal T4 dans l'aéroport de Roissy, qui ne correspondait plus aux besoins de cette plateforme parisienne. Nous avons engagé des discussions avec les collectivités afin d'envisager avec elles de nouvelles synergies pour les aéroports régionaux qui ont des vocations généralistes et peinent à trouver un équilibre économique. Parallèlement, nous avons lancé une grande transformation du réseau domestique. Des lignes d'Air France seront fermées pour des raisons environnementales, d'autres pour des raisons économiques. Nous poursuivons la politique d'aménagement du territoire avec des lignes subventionnées par l'État. Plus largement, nous engageons un vaste mouvement de décarbonation du secteur aérien, et nous avons mobilisé d'importants moyens publics pour accompagner l'industrie aéronautique, les exploitants et les compagnies aériennes.

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Que penseriez-vous d'étendre les dispositions de l'article 25 aux véhicules utilitaires légers ?

Nous partageons tous l'objectif poursuivi à travers le non-remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), mais il convient d'accompagner la filière dans l'acquisition de nouveaux camions. Le plan de relance a certes consacré des moyens importants à la filière, mais nous devons être capables, dans les prochaines années, de lui offrir un spectre de solutions plus large pour soutenir sa transition énergétique. Des collègues y réfléchissent. Quel est votre avis ? Avez-vous une idée du calendrier ?

Quant au forfait mobilités durables, institué par la loi d'orientation des mobilités et dont le plafond a été relevé de 400 à 500 euros, pensez-vous, au-delà de son caractère obligatoire, que nous puissions le rendre plus ambitieux ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Il est évident que la réduction des émissions de CO2 des véhicules utilitaires légers aura un effet de décarbonation des aires urbaines denses. Nous espérons atteindre ces résultats collectivement. Les collectivités concernées ont pris des initiatives et se sont fixé des objectifs à l'horizon 2024-2026. C'est sans doute le domaine dans lequel nous pouvons obtenir les résultats les plus rapides, tant au niveau de la qualité de l'air que de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Je suis prêt à discuter avec vous de la visibilité à donner au secteur. Plus de 50 % des véhicules vendus émettent plus de 147 grammes de CO2 par kilomètre. Ce niveau pourrait être le point de départ d'une démarche ambitieuse pour déterminer une trajectoire lisible, ambitieuse et crédible.

Concernant le transport routier des marchandises et la TICPE, nous avons pris des engagements pour aider le secteur à surmonter la crise, à commencer par celui de la stabilité fiscale jusqu'en 2022. Nous voulons également construire avec le secteur sa transition écologique, essentiellement centrée sur le développement du gaz naturel pour véhicules (GNV) et le bioGNV. Comme nous l'avons fait pour les véhicules de particuliers, nous entendons actionner trois leviers : l'émergence de l'offre française, le développement des stations de recharge pour renforcer la visibilité des nouvelles énergies, et les aides financières pour accélérer le déploiement des offres alternatives. Afin de favoriser l'achat de véhicules lourds électriques ou à hydrogène, le Gouvernement octroie une aide de 30 000 euros pour l'acquisition d'autobus et d'autocars et de 50 000 euros pour l'acquisition de poids lourds. Nous avons solidifié l'offre des constructeurs français et européens afin de soutenir la filière française.

Quant au forfait mobilités durables, les avancées sont considérables, notamment grâce aux travaux que vous avez engagés à l'occasion du projet de loi d'orientation des mobilités et du projet de loi de finances. Le dispositif sera évalué en avril prochain. Nous verrons ensuite avec vous comment poursuivre cette belle aventure sociale.

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Monsieur le ministre, vous ne cachez pas votre proximité avec le secteur aérien. Que comptez-vous faire d'Air France, qui a obtenu une aide de 7 milliards pour surmonter les pertes engendrées par la crise sanitaire, alors que le plan Vélo ne s'est vu consacrer que 50 millions d'euros par an, soit moins de 1 euro par habitant, en dépit des préconisations de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) de lui dédier 30 euros par an et par habitant, soit près de 2 milliards par an ? Si vous cherchez de l'argent, demandez-en à la compagnie Hop !, filiale d'Air France, poursuivie pour fraude au chômage partiel. La compagnie Transavia, qui appartient également au groupe Air France-KLM, pourrait s'être rendue coupable des mêmes pratiques.

Quand demanderez-vous la restitution des sommes perçues frauduleusement ? Quand saisirez-vous la justice pour que ce détournement de l'argent public soit sanctionné ? Les sommes ainsi retrouvées nous permettraient de parler sérieusement du report modal. Ainsi, la prime à la conversion des véhicules n'est versée qu'à condition d'échanger une voiture contre une autre voiture. La fiscalité n'est donc pas incitative, puisqu'on ne peut pas passer de la voiture à un vélo cargo ou un vélo électrique. Proposerez-vous un tel dispositif dans le projet de loi Climat et résilience ?

Par ailleurs, l'intermodalité n'est pas encouragée. Le forfait mobilités durables n'est pas cumulable avec le remboursement d'un abonnement de transport. Allez-vous revenir sur cette mesure ?

Enfin, votre « start-up nation » a-t-elle l'intention de se saisir d'un marché en plein essor, celui du vélo, alors que l'entreprise Mercier vient de se réinstaller dans le Doubs et que l'entreprise Moustache, dans le même secteur, est devenue le leader européen des vélos à assistance électrique haut de gamme ? Comment se fait-il qu'en France, on ne produise pas un seul moteur de vélo électrique ? Seriez-vous prêt à étudier avec moi la possibilité de créer une entreprise française pour développer et fournir ces moteurs aujourd'hui achetés en Allemagne ? Non loin de chez moi, Ford a licencié 800 salariés qualifiés dont bon nombre seraient ravis de travailler dans ce site industriel qui pourrait être rapidement réinvesti par l'État.

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Il me semble que le plan de relance illustre assez bien nos priorités. Sur les 11 milliards d'euros du plan de relance, 5 sont alloués au ferroviaire, non seulement pour les projets de régénération du réseau, mais aussi pour le maintien des investissements et le renouveau d'activités importantes comme le fret ferroviaire, les travaux sur les petites lignes ou la relance des trains de nuit. Nous avons toujours voulu, dans une philosophie de complémentarité et non de concurrence, donner une priorité très marquée au système ferroviaire dans son ensemble, alors que nous l'avions trouvé en 2017 dans un état de surendettement et de délabrement avancé.

S'agissant du plan Vélo, sans entrer dans le détail, nous en arriverons, sur cinq ou sept ans selon le point de départ que l'on retient, quasiment à 1 milliard d'euros en cumulant toutes les aides – nationales et européennes, plus celles des collectivités. Ce plan est donc hors de proportions avec tout ce qui s'est fait avant, et c'est d'ailleurs le seul secteur sur lequel la Convention citoyenne sur le climat nous a donné quitus. Au moins sur ce sujet, les faits parlent d'eux-mêmes. Je suis disposé à travailler à tout ce qui pourrait relancer une activité industrielle et reconvertir des emplois chez vous autour du secteur du vélo. Vous avez mon engagement sur ce point.

La restructuration d'Air France-KLM se fait dans le cadre du droit. La ministre du travail et moi-même avons évalué les plans de sauvegarde de l'emploi qui ont été proposés, en attendant les contrôles nécessaires. Nous travaillerons encore cette semaine à obtenir un plan qui satisfasse les objectifs industriels et stratégiques de ce groupe, qui est dans une très grande difficulté, tout en maintenant le maximum de compétences, dans le respect du droit social.

Enfin, s'agissant de la prime à la conversion, j'imagine bien qu'un débat aura lieu sur son extension au vélo. Depuis l'instauration de cette prime, dont nous pensons qu'un million de Français l'auront utilisée d'ici à la fin du quinquennat, nous l'avons déjà largement renforcée, en direction, d'une part, des outremers et, d'autre part, des ménages les plus modestes. Comme pour le bonus écologique, notre démarche se veut la plus inclusive possible, de manière à permettre au maximum de citoyens français d'avoir un véhicule plus propre, en aidant plus particulièrement les moins aisés d'entre nous. C'est l'objectif de l'ensemble des dispositifs qui ont été établis depuis 2017, et singulièrement du plan de relance.

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Puisque c'est ma dernière semaine à l'Assemblée nationale, permettez-moi de dire, monsieur le ministre délégué, combien j'ai apprécié de travailler avec un homme d'ouverture comme vous, prêt à écouter, prêt à accompagner. Nous avons besoin, dans la conjoncture que nous traversons, de ministres de votre trempe.

Le titre III du projet de loi, relatif aux transports, soulève plusieurs interrogations. D'abord, l'article 25 fixe un objectif de baisse des émissions des voitures neuves en 2030. Ne peut-on profiter de l'occasion pour fixer un cap et des objectifs clairs aux constructeurs, en évitant des modifications à chaque projet de loi de finances, comme nous le faisons depuis deux ans ? Cette instabilité fiscale empêche d'optimiser la lutte contre le dérèglement climatique, en particulier s'agissant d'opérateurs comme les constructeurs automobiles.

Le chapitre II fixe des objectifs d'amélioration pour le transport routier de marchandises. Le fret est un élément central si l'on veut réduire la pollution. Quelles sont les avancées du Gouvernement sur ce point ?

Au sujet du transport aérien, je ne peux que saluer votre ambition concernant l'avion du futur à hydrogène. Les objectifs du chapitre IV me semblent aller dans le bon sens, à condition de développer un maillage conséquent et des prix attractifs des TGV, pour que le train soit l'alternative fiable à l'avion. Je crois également à la remise en état de nos lignes fines ferroviaires comme alternative à la voiture. Merci pour votre engagement dans ce domaine, et en particulier pour l'expérimentation qui va être lancée sur la ligne Loches-Tours, qui va voir circuler un train à hydrogène.

Enfin, un jeune élu régional de mon parti politique me disait récemment que pas un élu ne devrait être aux responsabilités sans avoir lu le « Résumé à l'intention des décideurs » du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Je partage les attentes de sa génération vis-à-vis de la protection de la planète. À l'heure où notre jeunesse est en plein doute, face à l'épidémie, soyons ambitieux et donnons-lui l'espoir d'un avenir et d'un environnement meilleurs.

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Madame Auconie, sachez que nous sommes nombreux à ressentir beaucoup de regrets de vous voir quitter l'Assemblée.

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Merci en effet, madame la députée, pour votre action résolue en faveur de votre territoire. Ce sera un plaisir et un honneur de continuer à travailler avec vous sur les questions de transport dans vos nouvelles fonctions.

Je partage ce que vous avez dit sur la stabilité de la législation : c'est attendu par le secteur, et c'est une des conditions de l'efficacité de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut toujours ajuster le curseur entre des cadres trop rigides et des objectifs volontaristes. Avec le malus CO2, nous avons pour la première fois un dispositif qui permet une stabilité fiscale sur trois ans, de 2021 à 2023. Cela participe à la confiance réciproque entre les acteurs et à la visibilité nécessaire pour accélérer les transitions industrielles.

S'agissant du fret et du transport routier de marchandises, nous devons travailler encore davantage sur l'intermodalité, et en particulier sur les nœuds dans lesquels arrivent les marchandises. Nous avons notamment lancé un très grand travail dans les ports, avec des actions de réinvestissement des ports et de régénération des réseaux ferroviaires et surtout des accès à ce réseau. Le plan de relance nous a permis de soutenir les opérateurs grevés dans leur modèle économique par la crise sanitaire.

Nous envisageons aussi, à la suite de débats parlementaires que nous avons eus en particulier avec Hubert Wulfranc, le fret ferroviaire dans ses différents segments de marché. Certains segments de marché ont une forme de rentabilité, comme le train massif, certains sont complètement subventionnés, comme le transport combiné ou le wagon isolé – sur lesquels l'État réinvestit. À l'échelle européenne aussi, les États travaillent à envisager des trajets plus longs et à investir substantiellement, à la fois dans le matériel roulant et dans la complémentarité des réseaux. Nous avançons sur ce sujet à l'échelle à la fois nationale et européenne.

S'agissant de l'hydrogène et du transport aérien, je vois les prochaines années comme une période de continuité et de gradation. Nous avons pris des mesures qui sont d'ores et déjà opérationnelles, notamment sur l'émergence de la filière biocarburants. Quatre sites en France vont produire massivement des biocarburants durables pour l'usage de l'aviation. Dans le même temps, nous avons lourdement investi en recherche publique avec l'ensemble des industriels du secteur pour aller vers la décarbonation – d'abord l'hybridation, puis le saut technologique vers les systèmes énergétiques à hydrogène. On voit bien, et il en est de même pour le train expérimental que vous avez cité, que l'avancée vers l'hydrogène soulève des questions à la fois de production, d'aménagement du territoire, de capacités à produire massivement de l'hydrogène décarboné… Il y a évidemment des ponts entre les différents secteurs impliqués et nous devons éviter de raisonner en silos, sous peine de les voir se livrer concurrence alors qu'ils ont le même intérêt à bénéficier rapidement d'une filière intégrale, en aval et en amont, sur l'hydrogène.

S'agissant des lignes fines de desserte du territoire, je vous remercie une fois encore de votre soutien depuis le début de notre action. Nous avançons bien. Nous avons proposé aux régions un grand plan de relance pour ces petites lignes, de 6 milliards d'euros, avec la logique suivante : l'État reprend la main à 100 % sur le réseau le plus utilisé, il permet aux collectivités qui le souhaitent d'expérimenter de nouveaux modèles de trains légers ou à hydrogène sur le réseau d'intérêt local, et il co-investit dans les lignes traditionnellement financées par les contrats de plan État-région. Sept régions ont d'ores et déjà délibéré ou signé avec l'État un tel plan de relance, pour des volumes financiers considérables. Nous espérons avoir signé avec l'ensemble d'entre elles d'ici à la fin de l'année, de manière à pérenniser ces 9 000 kilomètres de petites lignes ô combien essentielles à l'irrigation des territoires, et qui ont certainement joué un grand rôle dans le sentiment de recul et parfois d'abandon de la puissance publique. Les territoires ont besoin de ces lignes capillaires fret et de ces lignes de desserte fine.

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S'agissant des zones à faibles émissions, le projet de loi prévoit que les communes qui font partie d'une communauté d'agglomération délèguent les compétences concernées à cette dernière, mais il ne prévoit pas de volontariat. Or on peut imaginer, sur des territoires régulièrement sujets à des pics de pollution, des communautés de communes qui n'atteignent pas le seuil de 150 000 habitants et qui voudraient instaurer une telle zone. Qu'en pensez-vous ?

L'article 29, lui, demande aux régions de proposer des tarifs attractifs pour favoriser les transports collectifs par rapport aux transports individuels. Cela va tout à fait dans le bon sens, mais il me semble toutefois qu'en la matière il ne faut pas se focaliser sur le train, mais laisser la possibilité aux autorités organisatrices de la mobilité de construire leur offre avec d'autres moyens – des autobus, des camionnettes, bref du collectif sous toutes ses formes. Souvent, en milieu rural, ce sont des trains diesel qui sont utilisés : s'il y a peu de fréquentation, le bilan carbone est désastreux, il faut le dire. Envisagez-vous de donner cette liberté aux AOM ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

La loi prévoit déjà la possibilité d'instaurer une ZFE même dans les cas où ce n'est pas obligatoire. Votre préoccupation est donc satisfaite. L'idée qui a prévalu dans nos travaux préliminaires était d'atteindre la taille critique qui nous permettrait d'avoir des effets rapides sur la diminution des gaz à effet de serre, et le volontariat s'y ajoute.

S'agissant des tarifs, les AOM ont la capacité de construire leur offre de transports en commun, ferroviaires ou non, comme elles l'entendent. Si l'on étend le raisonnement, toute collectivité qui organise un service régulier peut même bénéficier du versement mobilité à hauteur de l'activité réalisée. Ces possibilités sont offertes par la loi d'orientation des mobilités et nous avons eu encore récemment une réunion de travail avec l'ensemble des associations d'élus pour les leur rappeler, dans le cadre de la prise de la compétence mobilité au 31 mars.

Concernant les tarifs ferroviaires, je rappelle incidemment que nous avons eu des discussions sur la baisse de la TVA pour le mode ferroviaire. Or il me semble qu'avant de parler de baisse de TVA, il faut redonner un peu de transparence et de visibilité aux tarifs pratiqués notamment par la SNCF. C'est un sujet récurrent. En la matière, j'ai demandé deux choses au groupe public. D'abord, je souhaite que, d'ici à l'été, un usager puisse savoir, en achetant un billet, où il se situe entre le prix le plus bas et le prix le plus haut : c'est une question de transparence tarifaire. Je souhaite aussi que, d'ici à la fin de l'année, la grille tarifaire évolue de façon à ce que des petits prix soient disponibles pendant toute la période de vente. Les opérateurs ferroviaires utilisent en effet un mode de tarification qui s'applique dans l'aérien, reposant sur l'offre et la demande et qui bien souvent fait partir les petits prix les premiers. Or comme nous savons, instruits par la crise, que les Français et en particulier les usagers du rail réservent de plus en plus tard, il est socialement nécessaire que des petits prix soient disponibles jusqu'au bout. C'est en tout cas le sens de la demande que j'ai faite, qui est en cours de traitement.

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Dans le domaine de la logistique, la France est très mal classée : au seizième rang mondial, au huitième européen. Les experts évaluent les pertes économiques qui en découlent entre 20 et 60 milliards d'euros. S'il y a des pertes économiques, c'est qu'on fonctionne mal ; si on fonctionne mal on dépense de l'énergie, on perd ou on détruit de la marchandise, on livre au mauvais endroit… et tout cela génère des gaz à effet de serre. Il faut donc travailler à rejoindre le top 5 mondial en termes de performances logistiques, pour gagner ces 20 à 60 milliards d'euros mais aussi gagner en gaz à effet de serre. Je ne perçois rien de cette orientation dans le projet de loi. Quelle est l'approche du Gouvernement dans ce domaine, quels sont les éléments spécifiques et les marges de manœuvre à prendre en compte ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Vous avez raison, le caractère stratégique du secteur de la logistique pour la France et l'Europe a été démontré par la crise actuelle. La France dispose de grands acteurs dans le domaine maritime, avec CMA-CGM, et dans le secteur terrestre, avec GEODIS. Nous avons de grands ports, qui exploitent insuffisamment leur potentiel. Nous allons donc agir sur deux pans stratégiques pour la filière logistique.

D'une part, sur les grands axes, en organisant les ports – nous avons commencé avec l'axe Seine et nous poursuivrons avec l'axe Rhône. Cela suppose de poursuivre l'amélioration des interconnexions avec les chemins de fer et de continuer à investir dans l'entretien du réseau ferroviaire. Nous espérons voir les premiers résultats tangibles sur la compétitivité de la filière dans un délai de vingt-quatre mois.

D'autre part, des résultats rapides peuvent être obtenus dans le secteur de la logistique dans les zones urbaines, où se concentrent les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre. La mise en place des ZFE participe au sens large de cette politique. D'ici à 2024-2026, il doit être possible de diviser par deux les émissions liées à la logistique urbaine, et donc d'améliorer la qualité de vie des citadins.

L'ensemble des moyens financiers est conséquent, même s'ils peuvent paraître un peu dispersés au premier abord. Ils figurent dans le plan de relance, dans les crédits consacrés aux ports de Paris Seine Normandie (HAROPA) à hauteur de 1,4 milliard d'euros, ainsi que dans les lois de finances avec les mesures concernant le « verdissement » des flottes et le suramortissement. Le moment venu, il sera intéressant d'en faire la somme, pour la mettre en regard des tonnes de gaz à effet de serre dont l'émission aura été épargnée.

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Vous êtes très attendu sur le volet transports du projet de loi. Ces dernières semaines, les organismes indépendants ont publié des avis convergents : trop peu d'ambition et des mesures qui ne permettront pas de respecter l'objectif de baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030. Bref, ce texte est trop timide selon le Conseil économique, social et environnemental, le Haut Conseil pour le climat et la Convention citoyenne pour le climat.

Le plan de relance pour le secteur ferroviaire ne permettra d'améliorer la situation qu'à la marge : sur les 4,5 milliards d'euros annoncés, 650 millions seulement constitueraient de nouveaux investissements. L'âge moyen du réseau ferroviaire français est de 29 ans, contre 17 ans en Allemagne. Alors que la France parvient difficilement à consacrer 3 milliards d'euros par an à la régénération de son réseau, l'Allemagne a annoncé en 2019 un plan record, avec 86 milliards d'euros d'ici à 2030. Son objectif est très clair : doubler la part modale du transport ferroviaire à cette échéance. Et nous ?

Rien n'a été fait dans le secteur fluvial depuis de nombreuses années. Pourquoi ne pas profiter de ce projet de loi pour développer ce mode de transport ? La France dispose de 8 500 kilomètres de voies navigables, le premier réseau d'Europe, mais nous sommes l'un des plus faibles utilisateurs du transport fluvial, avec moins de 3 % des tonnes par kilomètre transportées – principalement des céréales et des matériaux destinés au BTP, contre 7 % en moyenne en Europe. C'est affligeant !

Les professionnels du secteur ont déjà identifié des freins à lever, avec des investissements dans les infrastructures pour permettre la navigation de nuit et la mise en place d'itinéraires de délestage. Le modèle économique doit aussi faire l'objet d'un travail : les taxes d'embarquement constituent un véritable handicap et il faudrait avancer sur la contractualisation des parts modales minimales au départ des ports, à l'instar de ce qui a été réalisé à Dunkerque.

Fret ferroviaire et fret fluvial, même combat ! L'objectif doit être de ne plus dépendre des modes de transport polluants et ne respectant pas le développement durable.

Le groupe Socialistes et apparentés est déçu par le volet social du projet de loi, où ne figure pas de dispositif de prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicules émettant peu de gaz à effet de serre.

Mes questions sont simples : allez-vous permettre des évolutions de ce projet de loi ? Avez-vous pour réelle ambition de développer le transport ferroviaire et fluvial ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Si l'on fait la somme des 35 milliards d'euros de reprise de la dette de la SNCF, des 6 milliards du plan de relance et des 3 milliards par an affectés à la régénération du réseau, on aboutit à un total de 71 milliards d'euros sur dix ans en faveur du secteur ferroviaire. Il n'y a pas à rougir de notre effort financier.

En outre, nous investissons dans la décarbonation du secteur des transports, avec 2 milliards d'euros en faveur de la transition des véhicules légers et 1,5 milliard dans la recherche aéronautique, pour préparer le « saut quantique » vers l'hydrogène ; 450 millions d'euros sont également prévus au titre des investissements destinés au continuum maritime‑portuaire-fluvial. Une partie des infrastructures du réseau fluvial est en effet vétuste. Un travail a débuté avec les collectivités concernées afin de mieux identifier les canaux de fret et ceux de plaisance, en vue d'accroître la part du transport fluvial dans le cadre de la politique de report modal.

Le prêt à taux zéro existe pour l'acquisition d'automobiles, mais il concerne généralement les ménages disposant d'un bon accès au crédit ; c'est la raison pour laquelle nous avons privilégié les micro-crédits bancaires, afin de couvrir le reste à charge pour les ménages les plus modestes.

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Notre groupe soutient les objectifs poursuivis par la loi d'orientation des mobilités, notamment pour le développement des transports en commun, en particulier en milieu rural où le véhicule particulier reste encore trop souvent la norme.

Dans les Hauts-de-France, la réorganisation de la SNCF dans un but de plus grande efficacité a été conduite au détriment des territoires ruraux. Sur trois lignes secondaires, le nombre des arrêts a été divisé par trois ou quatre. De ce fait, les usagers prennent désormais leur véhicule pour se rendre en ville, avec des trajets de 20 à 40 kilomètres. C'est contraire aux objectifs que nous poursuivons.

Je m'en suis entretenu avec le président de la région et son vice-président en charge des transports, qui ont déploré ne pas avoir d'influence sur les décisions prises par la SNCF, ni les moyens financiers pour l'aider à atteindre ses objectifs, son financement relevant de l'État. Comment résoudre cette difficile équation où figurent l'État, la région et la SNCF ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Il faut considérer deux aspects distincts.

Celui du service aux usagers dépend de la région ; en relèvent les horaires, les cadences, la politique tarifaire, ainsi que la question de la desserte que vous avez soulevée.

Pour ce qui concerne les infrastructures, le plan de sauvegarde des petites lignes ferroviaires est issu d'une longue concertation menée avec les régions par le préfet François Philizot. Sept régions métropolitaines l'ont d'ores et déjà signé ou en ont délibéré, et nous sommes disposés à poursuivre les discussions avec le président de la région des Hauts-de-France pour avancer rapidement en vue de la sauvegarde de son réseau secondaire. Cela permettra d'améliorer la robustesse d'ensemble du réseau ferroviaire, et donc le service aux usagers. C'est cette logique qu'ont suivie les autres régions, pour disposer d'une visibilité à un horizon de dix ans.

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Les députés du groupe Les Républicains partagent l'objectif de décarbonation des transports, et particulièrement de ceux de marchandises. Pour y parvenir, il faut « verdir » la flotte des poids lourds. Vous avez fait un certain nombre de propositions, mais nous pensons qu'elles ne sont pas à la hauteur. Avec une aide de 50 000 euros par poids lourd, il n'est pas possible de passer à l'hydrogène, le coût d'un véhicule fonctionnant avec ce carburant étant actuellement trois à quatre fois supérieur à celui d'un véhicule diesel. Il n'est pas davantage possible de recourir à la propulsion électrique, en raison d'une autonomie insuffisante. Quelles solutions envisagez-vous ?

Alors qu'on attendait moins de CO2, vous proposez plus de taxes.

Les biocarburants auraient-ils pu être une solution de transition fiable ? Le sujet n'apparaît pas dans le projet de loi.

Une question plus marginale sur les ZFE : êtes-vous favorable à une exemption pour les véhicules de collection ou anciens, afin qu'ils puissent avoir accès aux villes ?

Le transport aérien s'achemine vers une décarbonation, avec des avions probablement beaucoup plus propres. Avant de supprimer des lignes desservant des capitales régionales, ne pensez-vous pas qu'il faudrait demander l'avis des collectivités concernées ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

La transition écologique est en cours dans le secteur du transport routier avec une utilisation croissante du GNV, dont les stations de recharge se développent. Pour accroître l'offre de véhicules, le principe d'une aide conséquente est acquis pour la production de la future génération de poids lourds français et européens, électriques ou fonctionnant à l'hydrogène. Vous avez raison de souligner que l'enjeu essentiel réside dans la constitution d'une filière de production permettant la massification de la production d'hydrogène décarboné, pour obtenir des prix concurrentiels. Les soutiens européens et franco-allemands doivent permettre d'accélérer cette transition énergétique.

J'ai déjà indiqué être favorable à des dérogations pour l'accès des véhicules anciens aux zones à faibles émissions mobilité, en recueillant l'avis des collectivités. Cela ne relève pas de la loi, mais du règlement.

S'agissant de l'interdiction des vols intérieurs lorsque des dessertes ferroviaires existent en moins de deux heures trente, nous avons réuni l'ensemble des collectivités concernées et des exploitants lors d'un conseil ministériel. La base d'un futur plan de desserte a été posée avec le groupe Air France-KLM et les autres opérateurs, en tenant compte de la reprise par le groupe Transavia d'un certain nombre de lignes actuellement exploitées par Air France. Je vous confirme que ces mesures ont été étudiées avec les collectivités concernées afin de vérifier que les solutions alternatives au transport aérien sont robustes. Les liaisons aériennes sont en effet souvent un élément d'attractivité économique, notamment dans le Massif central ; ces collectivités bénéficient à ce titre de lignes d'aménagement du territoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous nous félicitons des mesures figurant dans ce projet de loi, qui complètent les travaux entamés avec la loi d'orientation des mobilités ainsi que différentes lois de finances et confortent nos ambitions en matière de mobilités douces.

Le projet de loi habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour permettre aux régions d'instituer des contributions spécifiques assises sur les transports routiers de marchandises, dispositif s'inspirant de celui mis en place par la collectivité européenne d'Alsace. Les régions n'ayant plus aujourd'hui la compétence des routes – même si j'ai cru comprendre que le sujet sera traité dans le cadre du futur projet de loi 4D –, avez-vous conduit des concertations avec celles-ci pour trouver une articulation ?

L'un des points forts du projet de loi est de rendre obligatoire pour tous les opérateurs aériens la compensation carbone des émissions des vols intérieurs métropolitains. Cette compensation devra être dirigée vers les puits de carbone. Les forêts françaises ont besoin d'importants financements afin d'être reboisées pour les adapter au changement climatique. Comment s'assurer que les fonds issus de la compensation carbone seront bien utilisés ?

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Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

Le projet de loi « 4D » aura effectivement vocation à atteindre les objectifs que vous avez mentionnés.

La décarbonation de l'économie comprend deux volets. Le premier consiste à produire moins de carbone grâce aux sauts technologiques que sont l'hybridation et l'utilisation de l'hydrogène, ainsi qu'au travers des filières de transition, dont celle des biocarburants durables. Le second volet repose sur la compensation des émissions, qui comporte, elle aussi, des défis technologiques en ce qui concerne la séquestration du carbone – avec une recherche française très mobilisée. On observe un manque de projets français de compensation. Aussi voulons-nous les favoriser à l'occasion des discussions avec l'ensemble des filières concernées, dont l'aéronautique.