Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 20 avril 2021 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • artificielle
  • intelligence
  • régulation
  • souveraineté
  • télétravail
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de Mme Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale à l'économie, l'industrie, le logement et le numérique, et de M. Nicolas Blanc, délégué national au numérique, de la confédération française de l'encadrement–confédération générale des cadres (CFE-CGC)

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

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Chacun connaît la confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC), syndicat fondé en 1944, représentatif au niveau national interprofessionnel. Nous accueillons Mme Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, et M. Nicolas Blanc, délégué national au numérique, de ce syndicat.

Vous vous intéressez au sujet de la souveraineté numérique. Vous nous avez d'ailleurs adressé une contribution écrite au titre de la mission d'information, ce dont nous nous remercions, et à travers vous, les personnes de votre organisation qui y ont contribué.

Nous attendons de cette audition d'aborder, en particulier, les aspects socio-économiques de la souveraineté numérique : les enjeux de formation, de conditions de travail, de féminisation d'un secteur numérique qui reste aujourd'hui largement masculin. Nous sommes heureux de pouvoir vous entendre.

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À titre liminaire, je souhaiterais soulever trois sujets pour introduire notre échange.

Le premier concerne votre approche de la notion de souveraineté numérique, question véritablement rituelle lors de nos auditions, et qui procède de la grande diversité de définitions qui peuvent exister de ce concept. Comment la définissez-vous ? Quel regard portez-vous sur sa montée en puissance dans le débat public en France et en Europe ? De façon complémentaire, je souhaiterais que vous nous dressiez un état des lieux de nos forces et de nos faiblesses dans ce domaine afin que nous revenions ensemble sur les constats que vous avez posés dans votre contribution.

Le second sujet concerne la formation. Il nous intéresse au premier chef puisqu'il n'existe pas de souveraineté numérique sans compétences. Comment jugez-vous notre capacité à former les salariés à ces savoir-faire parfois très évolutifs ? Selon vous, ces compétences sont-elles suffisamment disponibles dans certaines filières, telles que les télécommunications ?

D'une façon générale, comment percevez-vous la numérisation rapide du travail qui est intervenue pendant la crise sanitaire, avec un recours massif au télétravail, lequel présente des avantages, certes, mais peut être aussi source de difficultés pour certains salariés ?

Enfin, quelles propositions formuleriez-vous au sujet de la souveraineté numérique ?

Afin de mener à bien cette mission d'information, nous avons fait le choix d'adopter une approche pragmatique et opérationnelle. C'est pourquoi il est important pour nous que vous nous indiquiez les points qui vous sembleraient les plus pertinents à traiter afin d'améliorer le cadre existant et de renforcer notre autonomie technologique.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

La CFE-CGC s'intéresse déjà depuis de nombreuses années à l'évolution de la numérisation dans le travail. Elle a d'ailleurs initié plusieurs conférences sur le thème de l'Intelligence artificielle. Nous avons rédigé une charte éthique et numérique « RH » afin d'accompagner les salariés sur l'ensemble des questions, notamment éthiques, liées à l'utilisation de leurs données personnelles. Au mois de juin 2020, nous avons postulé à un projet européen, « SéCoIA Deal : servir la Confiance dans l'Intelligence artificielle par le dialogue », qui a récemment démarré. Nous sommes le chef de file de ce projet, avec plusieurs partenaires syndicaux français, notamment l'U2P, et européens. La CFE-CGC est également partie prenante, aux côtés du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), dans un engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC). Tel est le cadre de nos préoccupations et de nos réflexions sur le thème du numérique.

Notre réflexion nous a conduits à véritablement voir le numérique comme un espace à conquérir et à façonner, un petit peu à l'image de la conquête spatiale. Cela signifie qu'il « embarque » l'ensemble des sujets traditionnels de régulation et de réorganisation territoriale. Il s'avère donc extrêmement important de garantir notre souveraineté numérique, c'est-à-dire d'assurer la pérennité de notre développement économique pour les années à venir. Le numérique représente un moteur indispensable à la croissance future. Ce constat renvoie à l'exigence d'assumer des choix politiques, dans le contexte actuel où nous ne sommes pas en situation de force sur le plan technologique.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Je vous remercie de nous avoir permis de porter nos propositions.

L'idée de conquête de territoire est essentielle. La CFE-CGC se positionne sur la notion d'une défense de nos intérêts, tant nationaux qu'européens, afin de protéger nos compétences, nos entreprises, etc. Il importe de conquérir ce territoire-là parce que, actuellement, d'autres acteurs captent cette valeur et il nous appartient de poser un constat clair de cette captation.

Une étude de BearingPoint, publiée dans « Médias et publicité en ligne », en 2018, a montré que ces nouveaux acteurs modifient et bouleversent les équilibres. À titre d'exemple, l'arrivée de la publicité en ligne a capté un transfert massif des investissements de cette nature. Les acteurs historiques, les producteurs de valeur, qui représentent 80 % des contenus, ne perçoivent plus que 25 % de la valeur de cette publicité en ligne. Un puissant déséquilibre s'est créé. En outre, sur la période comprise entre 2010 et 2017, les investissements dans la presse ont diminué de 50 %.

Le capitalisme de surveillance, qui a été mis en avant par Shoshana Zuboff, révèle une véritable bascule. Le monde qui a suivi les évènements du 11 septembre 2001 a généré une captation sans régulation des données, qui a permis de « profiler », au sens commercial. Cela a conféré à la publicité en ligne un avantage comparatif considérable par rapport à l'existant, aux médias traditionnels et à la publicité classique.

En vingt ans, on a laissé se créer sans régulation d'énormes mastodontes, tels que Google qui, en 2020, représentait 87 % des recherches sur Internet aux États-Unis et 92 % des recherches mondiales. Neuf produits de Google (dont les principaux sont Android, Chrome, Gmail et YouTube) comptabilisent plus d'un milliard d'utilisateurs. Ils ont généré en 2019 cent quatre-vingt-deux milliards de dollars de chiffre d'affaires, soit quarante milliards de bénéfice net, et une valorisation boursière de neuf cent quatre-vingt-treize milliards de dollars. Total, l'entreprise française qui a affiché le plus important bénéfice net en 2019, annonçait dix milliards de dollars. Amazon représente entre 65 et 70 % du commerce en ligne aux États-Unis et déjà 20 % en France.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Ce partage de la valeur rebat complètement les cartes à la fois économiques et sociales. Dans le domaine de la construction automobile, l'arrivée des données répartira la valeur entre le constructeur automobile, la plateforme de données, le fournisseur des capteurs, voire l'assureur. Un nouvel écosystème s'est construit sur la base de ces données et il convient de répartir, de manière correcte, la valeur créée. Cette distribution de la valeur représente un véritable enjeu.

S'agissant de l'emploi, autre véritable enjeu, nous nous orientons vers une polarisation des emplois. La confédération française de l'encadrement souhaite que cette tendance génère des emplois hautement qualifiés. Nous vous avons transmis une note relative au constat que nous avons posé sur la filière télécoms qui, selon des données fournies par l'INSEE et la DARES, a perdu en dix ans 25 % de son poids relatif en effectifs salariés. Ce constat s'inscrit dans les faiblesses de nos secteurs d'activité.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

La souveraineté numérique constitue un nouveau territoire à conquérir, c'est-à-dire qu'il est essentiel de disposer d'une infrastructure et des outils indispensables à l'occupation de cet espace numérique. Un déséquilibre s'est créé et il nous appartient de le corriger.

Afin d'acquérir cette nouvelle infrastructure et de maîtriser les données, la régulation européenne et la régulation française permettent de réglementer ce monde dans lequel toute donnée devient une valeur marchande alors qu'initialement elle est une propriété.

Il convient également d'assurer la sécurité. Les attaques cyber se multiplient dans l'ensemble de notre pays. Ce nouveau territoire à conquérir comporte des risques. Comme l'a récemment rappelé M. Guillaume Poupard, la virtualisation des réseaux favorise les risques de cyber attaques. Il nous appartient donc de créer, de gérer et d'assurer cette sécurité. L'Europe a proposé une régulation de la 5G dans laquelle il importe que nous nous inscrivions.

Force est de constater que la situation est très complexe. Nous sommes également acteurs dans le domaine de l'Intelligence artificielle, dans lequel l'Europe a initié une régulation qui commence à se décliner. Il convient également de progresser dans les domaines de la 5G, de la blockchain et de l'informatique quantique ou calcul quantique.

Le constat éclairé posé par la CFE-CGC montre que la France dispose d'atouts. La compétence des ingénieurs français est reconnue. En atteste d'ailleurs l'installation par Facebook d'un centre de recherche sur l'Intelligence artificielle en France. Nous comptons des entreprises du numérique de taille suffisante pour construire les infrastructures : OVH – qui a tenu un rôle important dans GAIA-X, Athos, Thales, etc. Nous disposons de véritables forces industrielles qui nous permettent de construire cette souveraineté, tant à l'échelle française qu'européenne, si ces constructions peuvent s'assembler avec d'autres entreprises.

Notre patrimoine de données est très riche. Le Health Data Hub contient des données de santé qu'il importerait de valoriser.

Notre épargne et notre écosystème financier sont suffisamment solides pour accompagner le développement de l'économie du numérique. Il conviendrait de la valoriser et de la mobiliser pour cette souveraineté numérique qui nous concerne tous. La CFE-CGC estime qu'il est indispensable de sensibiliser l'ensemble des Français, à tous les niveaux, afin qu'ils comprennent l'importance que revêt cette souveraineté.

Nous accusons également des faiblesses. La souveraineté numérique représente un concept très protéiforme qui intègre différents intérêts d'autonomie stratégique au niveau de l'État. Cependant, au niveau interministériel, force est de constater que les logiques de souveraineté diffèrent et plus encore au niveau européen, car chaque pays développe son propre concept de souveraineté numérique. Nous espérons qu'à l'occasion de sa présidence de l'Union européenne, début 2022, la France se posera en acteur dans ce domaine, mais actuellement, il n'existe aucune vision commune européenne de la souveraineté numérique.

Les décideurs publics ne sont pas suffisamment sensibilisés aux forts enjeux économiques nationaux et collectifs de la perte de souveraineté. La puissance publique doit être exemplaire. Nous ne comprenons pas la posture de la banque publique d'investissement (Bpifrance) face au Health Data Hub, à l'hébergement des prêts garantis par l'État (PGE) par Amazon, etc. La souveraineté numérique impose un équilibre.

S'agissant des télécoms, nous constatons un défaut de soutien efficace au développement dans nos territoires.

Les règles de concurrence ne sont pas très claires, notamment vis-à-vis des États-Unis.

Notre puissance financière est très faible en regard des moyens financiers apportés par l'État américain où la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) est omniprésente. L'Europe s'organise sur l'innovation de rupture, mais nous sommes toujours en rattrapage.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Forts de ce diagnostic, nous avons formulé un certain nombre de propositions. La première consisterait à sensibiliser les décideurs à ces enjeux par la pédagogie centrée, non seulement sur des conséquences économiques et sociales, que nous avons précédemment mentionnées, de notre perte de souveraineté, mais également sur les évolutions du monde, afin de mieux le comprendre. Par exemple, le fonctionnement des algorithmes modifie considérablement le jeu concurrentiel et il s'avère indispensable de communiquer quant à ces enjeux.

Afin de pallier l'absence de cohérence, il est important également de mettre en œuvre un pilotage et nous proposons de recréer le Commissariat au Plan et de construire un véritable plan de conquête de l'espace numérique et de notre souveraineté numérique, à l'instar de la démarche initiée dans le passé afin d'assurer l'autonomie du pays en matière de techniques d'information (Plan Calcul).

Nous suggérons également de créer un cadre cohérent, avec une régulation adaptée, en organisant un écosystème propice à une mutualisation des technologies, en construisant une infrastructure qui permette de comprendre le fonctionnement des algorithmes, en élaborant une politique de données d'intérêt général efficace qui placera la création de valeur au niveau de l'analyse des données et non plus au niveau de leur détention. Cet enjeu est très important dans les réflexions en cours à Bruxelles relativement aux données extra-financières, à la construction de ce pilier de l'analyse et de la comptabilisation extra-financière, afin d'assurer notre souveraineté. Nous défendons l'idée d'un European Cloud Act, sur le modèle du Small Business Act, afin de pouvoir assurer et garantir non seulement la protection des données de chaque citoyen, mais également la protection de nos start-up, mais en cohérence avec une épargne drainée qui accompagnerait le développement des entreprises. En effet, les quelques maillons existants méritent d'être renforcés.

Il serait souhaitable de dresser un bilan des mesures de protection déjà mises en place.

Nous suggérons de nous appuyer sur nos atouts, en les gardant à l'esprit, et de nous émanciper d'un environnement technologique qui ne nous est pas favorable, puisque 90 % des données personnelles sont stockées dans un cloud étranger. Nous préconisons que nos décideurs publics deviennent les porte-étendards de nouveaux choix assumés qui s'appuieraient sur des entreprises françaises ou européennes et proposeraient des solutions technologiques alternatives aux GAFAM. Il importe de donner de la visibilité à des solutions technologiques numériques françaises. L'exemple de Dassault Systèmes est intéressant parce que, grâce à une acquisition, cette entreprise a créé une plateforme sur laquelle ont été développés plus de la moitié des essais thérapeutiques liés aux vaccins. Nous disposons d'atouts. Il importe de nous appuyer dessus et de les disséminer.

S'agissant de l'épargne, nous avançons une proposition visant à reconstruire une forme de nouveau capitalisme français, mais en drainant l'épargne et en associant la garantie de l'État pour les apports en fonds propres, telle que l'a d'ailleurs proposée le rapport de France Stratégie sur la compétitivité des entreprises.

S'agissant de nos compétences, il nous semble très important de les protéger afin d'éviter que le cas de Nokia ne se renouvelle. Notre compétence existe et il convient de la préserver.

Nous envisageons la formation et l'accompagnement à ces transformations de compétences comme une hybridation. Cela signifie qu'il importe de conserver la compétence de cœur de métier à laquelle s'ajoutera la compétence de la donnée à différents niveaux, entre la culture data et un niveau beaucoup plus important.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

S'agissant de Nokia, nous constatons une mutation d'un réseau purement télécoms vers un réseau virtuel. Cette évolution requiert de nouvelles compétences dans le upskilling, qui consiste pour les ingénieurs déjà en poste à acquérir de nouvelles compétences, et dans le reskilling, qui vise à former les nouveaux ingénieurs du futur sur les réseaux 5G totalement virtualisés. Ces compétences nouvelles constituent un véritable enjeu. Le centre de recherche et développement et le centre de cyber sécurité de Nokia sont simultanément impactés. La cyber sécurité s'avère essentielle afin que nous soyons en capacité de « tuiler » ces compétences et, surtout, de les préserver. Des actions ont été initiées dans ce sens, mais le maintien de ces compétences s'avère complexe. Je pense notamment à Qualcomm, une entreprise américaine, qui reprend une partie des capacités. Il convient de prendre conscience qu'à défaut de disposer d'une véritable filière télécoms, nos compétences nous échappent.

S'agissant de la cyber sécurité, Alcide, entreprise française, est en passe d'être rachetée par des capitaux étrangers. Il convient de se donner les capacités de réagir. Le décret Montebourg et ses extensions existent, certes, mais les levées de fonds présentent des risques, car elles ne font pas obligatoirement l'objet de contrôles. Des entreprises nous échappent lors d'importantes levées de fonds. Dataiku est passée sous pavillon américain et elle est dorénavant domiciliée aux États-Unis alors qu'initialement, cette entreprise a été incubée et innovée en France. Dataiku représente malgré tout un échec français.

La souveraineté numérique n'a pas de sens si elle ne s'inscrit pas dans une dimension européenne. Certaines initiatives françaises sont reprises au niveau européen. En matière de données, la France a une influence normative. En effet, la République des données de 2016 a repris la notion de donnée à forte valeur ajoutée dans le Data Governance Act. Le constat selon lequel nos propositions pertinentes remontent au niveau européen est donc positif. Le rapport de M. Éric Bothorel contient également des éléments très intéressants. L'Open data France nous a permis de prendre une avance réglementaire. Certains éléments sont repris dans la norme européenne.

La communication de la Commission européenne Shaping Europe's Digital Future constitue malgré tout un cadre européen très complet. Il conviendrait que nous l'intégrions et le déclinions au niveau local. La Toolbox 5G de l'Union européenne représente un cadre de réglementation très intéressant qui permettra de disposer d'un réseau sécurisé et d'une norme européenne respectée. Le cybersecurity package européen, décliné en 2017-2019, a été étendu avec la new strategy cyber européenne. Une logique intéressante s'inscrit également dans la stratégie française cyber avec le développement d'une filière française, l'investissement d'un milliard d'euros et le développement d'une véritable culture cyber dans les entreprises. L'enjeu d'acculturation aux risques cyber est également intéressant.

Sur le plan des compétences, le Digital Skills and Jobs Coalition mène une réflexion globale sur les modalités d'acquisition des compétences numériques. Il en existe une déclinaison française, pilotée par le MEDEF, qui se matérialise par « Perspectives IA » qui représente une appropriation générale de l'Intelligence artificielle. En outre, la participation à un engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) nous permet d'essayer de structurer la filière de l'Intelligence artificielle en France.

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Vous avez dressé un constat sur l'état actuel de la situation. Vous avez notamment évoqué Amazon qui représente actuellement au moins 65 % du commerce aux États-Unis, mais uniquement 20 % en France.

Ne pensez-vous pas que cette évolution semble tellement inévitable que s'y opposer serait peine perdue ? Ne serait-il pas préférable d'accompagner cette transformation plutôt que de s'y opposer et de quelle manière pourrions-nous l'accompagner ? À titre d'exemple, la pandémie a montré qu'Uber avait révolutionné non seulement le domaine de la livraison, mais également le monde du travail. La justice a repris la main en requalifiant, dans différents pays, les travailleurs d'Uber comme salariés.

Du point de vue de la centrale syndicale que vous représentez, est-il impératif de combattre cette évolution, d'ériger des murs, ou est-il préférable de l'accompagner ? Comment pouvons-nous la réguler ? Quelles protections pourrions-nous ériger et nous y tenir ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Il serait souhaitable de formuler des propositions alternatives, telles qu'une régulation économique. La mise en place d'audits, l'identification de sanctions, l'exigence d'une transparence des algorithmes permettraient d'atteindre au cœur de l'impact du jeu concurrentiel. À titre d'exemple, Uber ne tire aucun bénéfice des taxis. Il existe un jeu de concurrence qui, selon nous, est faussé. Autoriser un audit et obtenir une transparence des algorithmes constitueraient un élément-clé qui permettrait de comprendre le modèle économique, son fonctionnement et la répartition de la richesse. Dès lors, il devient possible de comparer le modèle salarial à celui de type Uber. Uber n'acquitte aucun impôt et n'est pas rentable. Il constitue un prédateur économique.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

La part de marché prise par Amazon n'est pas dérangeante, mais l'abus de position dominante l'est. Le problème réside dans le droit de la concurrence. En effet, nous constatons un abus de dépendance économique parce que les entreprises qui occupent sa market place sont dépendantes d'une augmentation d'Amazon qui décide de plus ou moins ponctionner les revenus. Il s'agit donc bien d'un abus de dépendance économique. L'abus de position dominante constitue une référence à la souveraineté économique (marché primaire/marché secondaire). Quand Amazon propose l'Amazon premium, il se positionne obligatoirement comme dominant, c'est-à-dire qu'il utilise son pouvoir de marché pour influencer un autre marché, à savoir celui de la vidéo à la demande (VOD). Seule une régulation permettrait de supprimer ces distorsions de concurrence. À défaut, c'est impossible. La régulation s'impose à nous.

En outre, les aspects liés au code du travail sont très opaques. Nous rencontrons des difficultés à entrer dans ce périmètre afin de le réglementer. La réglementation doit intervenir non seulement au niveau concurrentiel, mais également au niveau du code du travail. Il est essentiel que ces entreprises respectent la réglementation en place.

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Comment une centrale syndicale approche-t-elle ces évolutions du marché du travail, les opportunités d'emploi, l'accompagnement des publics éloignés du numérique qui, à la suite d'incidents professionnels, sont contraints de retrouver du travail, etc. ? Comment appréhendez-vous la situation actuelle ? Quel type de formation continue pourrions-nous mettre en œuvre ? Comment une centrale syndicale accompagne-t-elle les salariés ? Quels conseils leur prodigue-t-elle ? Comment appréhendez-vous la situation actuelle dans votre participation aux différents organismes de formation professionnelle ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

J'ai évoqué précédemment la notion d'hybridation. Nous évoluons d'un territoire vers un autre. Les compétences des ingénieurs doivent être préservées, mais il convient de les compléter par hybridation de sorte que leurs compétences initiales puissent s'exercer pleinement dans le territoire numérique. Nos collègues de Nokia et de la métallurgie, dans leur plan de sauvegarde d'activité avaient proposé une initiative intéressante qui consistait à conserver les compétences « cœur de métier » acquises, à procéder à un tuilage de deux ou trois ans, dans le cadre d'un groupement d'intérêt public qui aurait regroupé plusieurs entreprises, et à accompagner la mise en place de la 5G, notamment dans l'industrie, puisque la croissance s'y annonce forte. Ce projet, proposé par la CFE-CGC, n'a malheureusement pas été retenu. Dès lors, ces ingénieurs qui sont des spécialistes de la 5G devront se reconvertir, probablement dans le big data, aux frais du contribuable. Ils perdront une partie de leurs compétences, alors que nous proposions une alternative. Nous estimons qu'il est essentiel de garantir cette continuité de passage vers ce nouveau territoire. Il nous semble indispensable de préserver les compétences numériques qui permettent d'évoluer dans les secteurs un peu brouillés de l'espace numérique.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

J'ai évoqué la notion d'acculturation qui consiste également à comprendre la réalité. L'arrivée de l'Intelligence artificielle a été abordée comme susceptible de générer potentiellement la disparition de l'emploi, etc. L'impact sur les salariés a été puissant. Dès lors, nous avons initié des cycles sur l'Intelligence artificielle et rédigé une charte éthique et numérique afin de, non seulement nous approprier ces sujets, les comprendre, mais également être capables de les expliquer. Nous nous positionnons dans une logique de transmission et de sensibilisation des salariés, puis d'accompagnement dans les formations.

Nous nous attachons à identifier les impacts sur l'emploi. L'Intelligence artificielle se concentrant sur le travail à faible valeur ajoutée, cela permet de développer de nouvelles compétences que nous accompagnons.

La charte que nous avons mise en place vise également à sensibiliser les directions des ressources humaines (DRH). En effet, il convient d'accompagner non seulement les salariés, mais également les DRH vers les nouvelles gestions prévisionnelles des emplois et des compétences. Nous disposons de modèles plus agiles et nous les accompagnons dans la mise en place d'un numérique au service de tous.

Cette acculturation permet de circonscrire un terrain propice à la formation au numérique et d'éviter que la peur conduise à l'incompréhension des sujets.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Le numérique ne nous fait pas peur. Nous essayons de le comprendre et nous observons qu'il génère de prodigieux gains de productivité. Notre projet européen vise à identifier ces gains de productivité afin de le poser en véritable moteur de l'accompagnement de la transformation et des compétences. Les nouveaux modèles économiques partagent différemment la valeur ajoutée et ils deviennent ensuite un moteur d'identification de l'ensemble des transformations.

Différents observatoires de métier ont mené des études relatives à l'impact de l'Intelligence artificielle sur les métiers (banque, commerce, télécoms). Les résultats sont parfois surprenants. Les transformations ne sont pas toujours aussi importantes qu'attendu, parce que les compétences « métier » demeurent. Lorsque les impacts sont identifiés, il convient d'harmoniser les aspects économiques, l'accompagnement et le dialogue social.

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Les entreprises, notamment les TPE-PME, sont-elles suffisamment numérisées ou conscientes de la nécessité qui s'imposera à elles d'entrer dans la numérisation ?

La nécessité absolue d'accompagnement des salariés vers le numérique est-elle bien intégrée dans les entreprises, qu'il s'agisse d'acquérir des compétences en interne ou d'assurer leur éventuelle employabilité future ?

Le numérique ne représente-t-il pas un moyen pour des entreprises de trouver des compétences dont elles ne disposaient pas auparavant et qu'elles ne trouveraient pas obligatoirement sur le marché, du fait du déficit de compétences incluses dans la formation initiale des salariés ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

La plupart des grandes entreprises sont conscientes des enjeux. S'agissant des petites et moyennes entreprises, nous constatons des chaînes de valeur totalement déséquilibrées. En effet, les donneurs d'ordres exercent un véritable pouvoir sur les PME et les contraignent. À titre d'exemple, General Electric a demandé à l'ensemble de ses sous-traitants de réduire leur facture de 20 %. Cet exemple est représentatif de la réalité économique du tissu des PME. Dès lors, si les PME sont conscientes qu'il est indispensable de progresser vers le numérique, elles n'en ont pas obligatoirement les moyens. Il appartient à l'État d'aborder le sujet en écosystème afin de permettre aux petites entreprises d'en profiter et de ne pas être complètement étouffées. Je rappelle que les PME représentent le plus important pourvoyeur d'emplois en France.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Les PME sont les laissées pour compte de la souveraineté numérique. Il n'existe actuellement aucune logique d'organisation. Les PME s'orientent vers des outils gratuits et elles se numérisent comme elles peuvent.

En revanche, les grands groupes ont pris la mesure de la transformation numérique, de la transformation digitale. La difficulté réside dans le choix entre une numérisation progressive et une bascule radicale vers des modèles plus orientés sur l'Intelligence artificielle. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GEPC) n'est pas encore généralisée. Il est complexe de mesurer l'impact sur les emplois et les GPEC sont construites à horizon de deux ou trois ans. Or nous avons besoin d'une plus grande agilité afin d'être très réactifs. Il conviendrait de mesurer l'impact de l'Intelligence artificielle sur chaque emploi et chaque année, ce qui représente également une transformation technologique complexe.

Je suis très critique des écoles de l'Intelligence artificielle de Microsoft. Si le secteur public n'agit pas, le secteur privé agit. Or les certifications de ces écoles de l'Intelligence artificielle sont uniquement des certifications Microsoft. Nous formerons donc des Data Scientists de Microsoft. L'université de la Sorbonne propose un master Microsoft Learning. Il convient de prendre conscience que Microsoft pénètre tous les niveaux en France, y compris le secteur de la formation. Le logiciel utilisé pour l'école à la maison, Blackboard, est américain et il est hébergé par Amazon Web Services. Ce constat relève de la problématique de souveraineté. Nous sommes acteurs de la mise en place de la formation pour les enjeux numériques.

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Selon vous, quel est le périmètre du rôle de l'État ? Vous avez évoqué le rachat d'entreprises de haute technologie et des start-up françaises par des Américains. Vous avez également évoqué l'éducation, Blackboard, Microsoft, AWS, etc. Jusqu'où l'État peut-il intervenir ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Nous disposons d'une épargne importante, ce qui représente un atout formidable. Cependant, la réglementation bancaire est extrêmement contraignante. Il n'est pas possible de vendre un produit extrêmement risqué à un client qui n'a pas démontré qu'il comprenait et acceptait le risque. Nous pensons que l'État doit pouvoir accompagner en posant sa garantie et ce serait un moyen de drainer cette épargne et de lui donner du sens au service de notre souveraineté numérique. Il conviendrait d'étudier l'ensemble des étapes du financement des entreprises afin d'identifier des possibilités d'action. Le rôle de l'État consiste à assurer une cohérence globale et à faire en sorte que nous disposions de tous les outils à tous les niveaux, via Bpifrance. Cet exemple pourrait être dupliqué.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Nous considérons qu'il appartient à l'État de protéger les compétences. L'exemple de Nokia montre que cette perte de compétence en matière de recherche et développement en 5G et de cyber sécurité est malgré tout très frustrante, alors que la cyber sécurité devient un enjeu de société majeur. Nokia affiche la volonté de créer un centre de cyber sécurité, mais il n'a pas communiqué d'échéance.

Il revient également à l'État d'harmoniser les secteurs, d'agir dans une logique intégrée. Nous disposons de compétences éparses, mais d'aucune véritable filière 5G.

En outre, la situation actuelle est susceptible de générer de nouveaux plans sociaux chez Nokia, qui progresse dans toute l'Europe et qui fonctionne selon une logique mondiale, dépassant notre souveraineté nationale.

La force de l'État réside dans sa capacité à gérer les compétences au niveau national et au niveau local. La consolidation des résultats de l'EDEC par filière et par secteur nous permettra d'obtenir une vision complète de la situation. En effet, il s'avère complexe pour les entreprises de se projeter à cinq ou dix ans en matière de nouvelles compétences liées à l'Intelligence artificielle ou pour ce qui concerne les besoins qui seront les leurs à l'arrivée de jeunes salariés. Il convient donc de trouver cet équilibre entre le travail initial de prospective, mené par les organisations syndicales et patronales dans l'EDEC, et les propositions de formations aux nouvelles compétences.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Il appartient à l'État d'édicter une feuille de route et d'assurer la cohérence d'un ensemble qui se présente actuellement en « silos » afin de gagner en efficacité.

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Pensez-vous que l'État se structure autour du numérique ou bien estimez-vous qu'il fait preuve d'une trop grande dispersion ?

Sur quelles trajectoires jugeriez-vous souhaitable d'agréger l'ensemble de l'État ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Certaines actions ont été initiées, mais nous n'avons pas le sentiment qu'il existe une véritable feuille de route qui coordonne l'ensemble. Nombreux sont ceux qui s'émeuvent que nos données de santé soient hébergées par Microsoft via le Health Data Hub ou Doctolib. Pour autant, le droit ne s'y oppose pas. L'évolution de cette situation relève d'un choix politique complexe qui mérite des explications. Ce choix n'ayant pas été véritablement affirmé, la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et le Conseil d'État ont pris position, puis la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a finalement refusé de transmettre les données de santé pour un hébergement par Microsoft. Force est donc de constater que nous ne disposons d'aucune vision claire et assumée. L'état des lieux est ce qu'il est et il convient de l'assumer.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

S'agissant de l'Intelligence artificielle ou de la cyber sécurité, les logiques européennes ont évolué, en regard des importants enjeux liés à la souveraineté. La France intègre ces logiques, en cohérence avec le cadre européen, et ce constat est positif pour nos partenaires. L' open data s'inscrit vraiment dans le Data Governance Act. Nous investissons dans l'interopérabilité et la cyber sécurité et nous construisons progressivement une véritable doctrine. Néanmoins, l'urgence ne peut pas constituer une priorité absolue et il importe de tenir compte des enjeux de souveraineté et de proposer une solution à décliner selon un calendrier déterminé. Il est incompréhensible que l'État, via Bpifrance, et sous couvert d'accélérateur numérique, propose à des PME d'héberger leurs données sur Amazon Web Services et qu'elles se retrouvent finalement sur la market place d'Amazon.

Il est regrettable que, d'une part, nous construisions une véritable doctrine cohérente, la notion de souveraineté numérique étant prégnante et la puissance publique s'engageant dans cette dimension, avec une volonté de sensibilisation et d'investissements à tous les niveaux, et que, d'autre part, nous encouragions le Health Data Hub. C'est choquant.

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Les outils législatifs résultent de choix sociaux, culturels, historiques, etc. Vous avez évoqué les acteurs américains du numérique, mais il existe également des acteurs dans d'autres pays, tels que la Chine, qui proposent des approches différentes. Que proposez-vous afin d'harmoniser ces approches ? Est-il souhaitable d'harmoniser l'ensemble de ces visions ou bien est-il préférable que nous tracions notre propre voie ? Quelles modalités de régulation suggèreriez-vous ? Les projets vous semblent-ils suffisants ? Selon vous, quelle serait la meilleure échelle ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Il convient de cesser de nourrir des illusions. Il ne sera pas possible de construire une régulation impliquant les deux blocs que vous avez évoqués, la Chine et les États-Unis. La meilleure échelle serait européenne.

Trois textes permettent une forme de régulation : le Data Governance Act, le Digital Services Act et le Digital Markets Act. Le Digital Governance Act est assimilable, pour l'économie, au Règlement général sur la protection des données (RGPD) applicable à la vie privée. Il devrait permettre d'établir une véritable économie de la donnée. Ensuite, il conviendrait de pouvoir accéder aux algorithmes et de construire une autorité de régulation intermédiaire entre l'autorité de la régulation de la concurrence et la CNIL. Le travail d'une telle autorité permettrait de comprendre l'ensemble des effets des algorithmes, notamment sur le jeu concurrentiel, le nerf de la guerre.

S'agissant des données, il convient de mener une politique d' open data correctement ciblée qui permette de déplacer le niveau de création de valeur de la détention de la donnée, puisque les données sont alors ouvertes, vers l'analyse de la donnée. Cela constituerait un moyen pour les Européens de combler leur retard.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Il importe que nous nous inscrivions dans un cadre de régulation au niveau européen, car cela permettrait d'établir un véritable rapport de force. La déclinaison de la réglementation actuelle est complexe à opérer au niveau local. Toutefois, dans son rapport, M. Éric Bothorel s'inscrit au-delà de ce qui est proposé par le Data Governance Act pour l'Europe. La France est en avance sur certains points et elle dispose d'une force normative. À titre d'exemple, la loi pour une République numérique, promulguée en 2016, s'est avérée pertinente et elle est devenue normative au niveau européen. Bien qu'il fasse l'objet de nombreuses critiques, le projet GAIA-X, initié par l'Europe, propose une alternative vraiment intéressante, une troisième voie européenne. L'Europe propose des services et met en place un cahier des charges exigeant, notamment dans le domaine du stockage des données, dans la logique du cloud de confiance que nous avons essayé de mettre en place en France. La France a un rôle à jouer au niveau européen pour influencer les doctrines.

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Cela signifie-t-il que nous devions mettre des valeurs dans cette fameuse troisième voie européenne ? Trouverons-nous cette troisième voie grâce à la transcription des valeurs européennes dans le cadre réglementaire et législatif ? Vous avez évoqué l'exemple de la donnée. En ce qui concerne les valeurs, nous n'avons pas la même conception que les Américains qui considèrent que la donnée appartient à celui qui l'a collectée. À l'inverse, les Chinois estiment que la donnée appartient à l'État. L'Europe pose que la donnée appartient soit à la personne et non pas à celui qui l'a collectée, soit à un collectif, c'est-à-dire à celui qui l'a collectée mais de manière à l'intégrer à un ensemble qui sera exploité dans l'intérêt général.

Au-delà de la donnée, ces exemples peuvent-ils être déclinés sur d'autres sujets du numérique tels que l'Intelligence artificielle, le quantique, les réseaux sociaux, etc. ? Est-ce la bonne voie ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

C'est clairement la bonne voie. En ce qui concerne la donnée, le RGPD a posé les bases en reconnaissant la propriété de la personne. Ce postulat nous différencie du modèle chinois, basé sur le crédit social et donc l'appartenance des données à l'État, ou du modèle américain dans lequel la donnée appartient à son collecteur.

Notre organisation syndicale CFE-CGC est convaincue du pouvoir du collectif de la donnée. Ce thème constitue l'orientation à long terme des réflexions de notre syndicat. C'est pourquoi nous réfléchissons à cette valeur économique et à cette redistribution, au partage des richesses.

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Discutez-vous de ce positionnement de la CFE-CGC avec les autres centrales syndicales françaises et européennes ? Quelle est la position de vos homologues des autres centrales ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Nous échangeons avec nos homologues des autres centrales syndicales. Cependant, s'agissant de la donnée, nous affichons notre spécificité parce que nous nous y sommes intéressés très tôt. Nous avons élaboré un projet avec nos homologues syndicaux, y compris européens. Nous sommes également partenaires de la chaire « Gouverner l'organisation du numérique » à Nanterre où nous sommes aux côtés de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (UGICT). Néanmoins chaque organisation syndicale a une perception un peu différente du numérique.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a organisé des discussions, notamment sur l'Intelligence artificielle.

Il existe une différence de maturité entre nous. À travers notre charte éthique et numérique, nous souhaitons impacter la notion de valeurs. Le RGPD a vraiment ouvert la troisième voie et il est devenu un avantage concurrentiel. Certaines entreprises mettent le RGPD en avant. La troisième voie existe et il faut poursuivre dans cette direction pour l'Intelligence artificielle, une Intelligence artificielle de confiance, parce que cela a du sens. La confiance est essentielle et c'est pourquoi nous souhaitons accompagner ces grandes mutations au sein des entreprises et les expliquer aux salariés. À titre d'exemple, la confiance constitue la base du télétravail.

Telles sont les valeurs que nous souhaitons mettre en œuvre. Dans tous les domaines, la troisième voie permettra, par la régulation, de circonscrire un cadre dans lequel se développera une confiance régulatoire afin de progresser.

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La pandémie a mis en exergue les difficultés à fonctionner, rencontrées par certaines entreprises ou administrations. Le télétravail a été mis en œuvre dans l'urgence pour pallier ces difficultés. Quelles conséquences en tirez-vous, bien que la pandémie ne soit pas terminée ? Quelle est votre vision de l'avenir relativement au travail via le numérique ? Dans une entreprise normale, comment fonctionnent le télétravail, le distanciel, le management ? Qu'attendez-vous des pouvoirs publics à ce sujet ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

La CFE-CGC considère que le télétravail, tel qu'il a été mis en place à l'occasion de la pandémie, constitue un télétravail contraint. À titre d'exemple, dans mon entreprise, nous n'avons pas appliqué l'accord relatif au télétravail, mais le plan de continuité d'activité, c'est-à-dire la poursuite de l'activité à domicile. Cette distinction est importante, car le télétravail n'a pas été déployé, lors de la pandémie, dans les conditions dans lesquelles la CFE-CGC souhaite qu'il s'applique. En effet, nous estimons que, pour rester efficace, le télétravail peut être autorisé pour deux jours par semaine, ainsi que le démontrent la plupart des études menées à ce sujet. Nous ne sommes pas favorables à un télétravail à temps plein, parce que nous considérons que le présentiel est important.

Des défaillances majeures ont été enregistrées. Je me souviens notamment de la fameuse fusée américaine qui a explosé et la recherche des causes a montré que l'accident avait trouvé son origine lors d'une réunion tenue en conférence téléphonique au cours de laquelle, malheureusement, les intervenants n'avaient pas identifié l'ensemble des signaux faibles. Cet évènement démontre toute l'importance d'une présence physique aux réunions au cours de laquelle des échanges sont initiés.

Pour ce qui concerne l'avenir, je pense que seront mis en œuvre des modes de travail que nous qualifierons d'« hybrides ». En effet, un total retour en arrière n'est pas envisageable et un certain nombre de réunions se dérouleront à distance afin d'éviter les déplacements. Il serait néanmoins essentiel de préserver le présentiel.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

La mise en place du télétravail a été laborieuse, car elle s'est déroulée sur la base de préconisations. Les choix n'ont pas été très clairs alors que dans certaines régions, telles que la région parisienne, l'intérêt sanitaire aurait pu conduire à imposer le télétravail.

Toutefois, le télétravail produit un impact à long terme : perte du collectif, isolement, etc. La difficulté réside dans la gestion du télétravail dans la durée. En outre, la représentation syndicale est complexifiée par la perte du collectif.

Enfin, des négociations d'accords étaient en cours et nous pouvions supposer que les employeurs avaient pris conscience d'un certain nombre de points. Pourtant, le ticket restaurant a dû faire l'objet de jurisprudences afin de déterminer les droits de chacun. Le télétravail est basé sur la confiance, mais il demeure essentiel que le salarié soit autorisé à discuter sereinement de son accompagnement.

Le télétravail comporte des aspects ergonomiques et de conditions de travail. Il est important de le mettre en œuvre dans de bonnes conditions, sachant que nous venons de subir les pires modalités du télétravail. Le télétravail nécessite non seulement un accompagnement dans la durée, mais également un accompagnement financier, qui doit être négocié et faire l'objet d'un accord. Nous sommes au cœur des discussions et nous constatons une certaine frilosité.

Quoi qu'il en soit, le télétravail se développera, y compris pour des emplois jugés initialement non télétravaillables. Finalement, avec de l'agilité, le télétravail a été ouvert à de nombreux emplois. Il convient dorénavant de lui construire un nouveau cadre plus réglementaire.

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Lors du premier confinement, le télétravail était obligatoire. Lors du deuxième confinement, le nombre de télétravailleurs a diminué. Cela signifie que certaines entreprises avaient demandé à leurs salariés de travailler en présentiel. Le gouvernement a imposé un télétravail obligatoire, dès lors qu'il s'avérait possible, lors du troisième confinement. Le télétravail a-t-il un avenir ou bien, culturellement, la France y serait-elle un peu réfractaire ?

Au-delà des problématiques d'accords, les entreprises sont-elles prêtes pour le télétravail ?

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

La mutation avait débuté avant la crise sanitaire. Il existe désormais non seulement une véritable culture du télétravail, mais également une réelle demande. Nous avons passé un cap.

Cependant, le cadre demeure très important. Un accord relatif au télétravail permet de limiter le nombre de jours de télétravail. Les réflexions doivent être menées en bonne intelligence afin de fixer un cadre dans lequel chacun établira ensuite un auto-diagnostic et choisira autant que faire se peut son fonctionnement.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Le nécessité du présentiel s'est également exprimée. La pandémie nous a surpris et a conduit les entreprises à organiser des plans de continuité d'activité. La banque, par exemple, a été considérée comme une organisation d'importance vitale (OIV) parce qu'il était important d'assurer une présence sur les sites. Ce choix s'est révélé salutaire pour les salariés, parce que certains ne parvenaient plus à déconnecter. L'être humain ressent le besoin quasiment physique d'entretenir des interactions sociales qui n'existent malheureusement pas via la vidéo et qui, malgré tout, représentent un gage d'efficacité.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Le télétravail a été rendu possible par les outils utilisés dans les entreprises et force est de constater que l'omniprésence de Microsoft a permis le déploiement de Teams qui s'est développé de façon spectaculaire.

Cependant, la situation nous a rendus encore plus dépendants à l'égard de ces outils. Il conviendrait que nous soyons capables de développer des alternatives. Actuellement, l'écosystème Microsoft est mis en place dans les grandes entreprises et il fournit l'ensemble des outils. Certes, c'est très fluide. Teams permet de créer sa gestion de projet, Outlook gère les boîtes e-mail, etc. Nous sommes accompagnés dans cette logique, mais notre dépendance est considérable.

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Souhaitez-vous que nous traitions d'autres sujets que nous n'avons pas encore soulevés ?

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Je souhaiterais aborder la féminisation des métiers à laquelle nous sommes d'autant plus attentifs qu'elle a régressé dans les métiers du numérique. Les femmes étaient plus nombreuses dans le passé dans ces métiers. Il est important de retrouver cet équilibre. Un univers uniquement masculin ne porte pas le même regard et cela impactera l'Intelligence artificielle. L'équilibre contribuera à sensibiliser aux enjeux du numérique. Le secteur du numérique n'enferme pas. Au contraire, il ouvre de nombreuses opportunités. Il convient de développer une pédagogie qui attirera le public féminin vers ces métiers du numérique dans son ensemble.

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Nicolas Blanc, délégué national au numérique de la CFE-CGC

Je souhaiterais mettre en avant l'écosystème open source en France. L' open source a été identifié comme une véritable stratégie de souveraineté. Le conseil national du logiciel libre (CNLL), union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert, est l'organisation représentative en France des entreprises de la filière open source. Il regroupe près de trois cents entreprises structurantes du domaine de l' open source et il importe de le valoriser. Ces entreprises sont également membres de l'association professionnelle européenne du logiciel libre (APELL). L'écosystème se structure et il importe de le souligner.

En France, certaines initiatives sont intéressantes. L'initiative « Libre », notamment, a mis en place une agrégation d'outils open source qui constituent une alternative intéressante aux GAFAM.

Il me semble essentiel de sensibiliser les grandes entreprises à notre dépendance aux grands outils, aux grands éditeurs, en priorité américains. J'espère que le dossier de GAIA-X génèrera une nouvelle confiance et conduira les entreprises à évoluer.

La souveraineté est l'affaire de tous.

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Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, chargée de l'économie, de l'industrie, du logement et du numérique, CFE-CGC Caisse d'Épargne Rhône Alpes

Notre réflexion a progressé et nous avons enrichi la note que nous vous avions transmise. Nous vous transmettrons une note actualisée.

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Je vous remercie beaucoup pour ce temps que nous avons partagé. Il était important pour nous de connaître les réflexions de la CFE/CGC sur ce sujet.

La séance est levée à onze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du mardi 20 avril à dix heures

Présents. – MM. Philippe Latombe, Jean-Luc Warsmann

Excusée. – Mme Frédérique Dumas