La réunion débute à 20 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne MM. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, et Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, accompagnés de MM. Michel Delpuech, préfet de police de Paris, Eric Morvan, directeur général de la police nationale, du Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale et de M. Alexis Marsan, commissaire divisionnaire, chef d'état-major adjoint à la Direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris, sur les événements survenus à l'occasion des manifestations dites « des gilets jaunes ».
Mes chers collègues, chacun sait ce qui s'est passé ces dernières semaines, en France hexagonale et dans les outre-mer, à l'occasion des manifestations dites « des gilets jaunes », en particulier à Paris les samedis 24 novembre et 1er décembre derniers.
Il faut, bien sûr, condamner les violences que rien ne peut justifier, et je pense que tous les députés présents ce soir s'associeront à moi pour rendre un hommage appuyé aux policiers, aux gendarmes et aux pompiers pour le professionnalisme dont ils ont fait preuve dans des conditions extrêmement difficiles.
Dans ce contexte, il est normal, sinon indispensable, que la représentation nationale soit informée sans délai sur les modalités selon lesquelles ces rassemblements ont été gérés par les services relevant du ministère de l'Intérieur, sur les dispositifs juridiques et opérationnels mobilisés, et sur les atteintes aux personnes et aux biens constatées : telle est la raison d'être de cette audition.
Nous accueillons ce soir M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris, M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, ainsi que M. Alexis Marsan, commissaire divisionnaire, chef d'état-major adjoint à la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris.
Après un propos liminaire de M. le ministre et de M. le secrétaire d'État, nous passerons directement aux questions posées par les députés, sans interventions liminaires des groupes politiques. Notre réunion devra être terminée pour vingt et une heures trente, puisque c'est l'heure à laquelle il nous faudra retourner dans l'hémicycle où nous continuerons à débattre des projets de loi relatifs à la programmation et à la réforme de la justice.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, vous avez souhaité que nous puissions intervenir devant votre commission sur les événements survenus ces derniers jours et liés à ce mouvement dit « des gilets jaunes ». Les scènes survenues samedi à Paris, mais aussi dans de nombreuses autres villes de France – pas seulement les plus grandes villes –, sont d'une violence rarement atteinte. Des symboles de la République, de notre histoire et de notre patrimoine ont été souillés de façon inacceptable et odieuse, ce qui nous inspire colère et honte.
Ce soir, nous intervenons devant vous « à chaud », quarante-huit heures à peine après les événements que nous avons connus à Paris et en région, et alors même que d'autres se poursuivent. Laurent Nunez et moi-même, ainsi que toutes les forces du ministère de l'Intérieur, sommes actuellement dans le temps de l'action, mais nous allons nous efforcer de répondre à vos questions aussi complètement que possible.
Comme vous, madame la présidente, je souhaite rendre hommage aux forces de l'ordre. Nous assistons depuis deux semaines, notamment samedi dernier à Paris, mais également à Narbonne, au Puy-en-Velay, à Albi, à Tarbes, à Bordeaux et à Troyes, à des attaques délibérées contre les institutions républicaines et leurs symboles, mais aussi contre notre économie et contre les droits fondamentaux, tel celui de pouvoir circuler librement. Nous avons été particulièrement touchés par les violences commises samedi dernier : je pense à celles ayant porté atteinte à l'Arc de Triomphe, qui a été profané, aux préfectures qui ont été attaquées, vandalisées et incendiées, mais aussi aux menaces proférées à l'encontre de parlementaires, dont certains ont même vu leur permanence attaquée.
Comme l'a fait ce midi le Président de la République, je tiens à rendre solennellement hommage devant vous, les représentants de la Nation, à tous les personnels de mon ministère, préfets et agents des préfectures, policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers, qui ont tous fait face à ce déchaînement de violence. Mobilisées depuis de longs mois pour protéger notre pays du terrorisme, nos forces de l'ordre ont rempli leur mission avec abnégation, courage et professionnalisme.
Je veux rendre un hommage particulier aux compagnies républicaines de sécurité (CRS) et aux escadrons de gendarmerie mobile (EGM) aujourd'hui engagés en métropole et outre-mer au maximum de leurs capacités : leur endurance et leur courage doivent être salués. Je veux également rendre hommage aux hommes et aux femmes des unités de terrain au sein de la sécurité publique, de la préfecture de police et des groupements de gendarmerie. Les membres des compagnies d'intervention et des services généraux, qui ne sont pas tous des spécialistes du maintien de l'ordre, se sont pourtant mobilisés, n'hésitant pas à prendre leur casque et leur matériel pour prêter main-forte à leurs collègues et camarades et tenant ferme face aux attaques d'ultras sans vergogne, que ce soit à Charleville-Mézières, à Toulouse, à Saint-Étienne ou à Avignon – je ne peux, hélas ! pas citer toutes les villes concernées, tant elles ont été nombreuses. Partout, ce sont des pavés, des marteaux et des barres métalliques qui ont servi de projectiles ; des frondes ont été saisies, et certains personnels de nos forces ont été blessés, parfois très grièvement, des cocktails Molotov et des bombes agricoles ont été utilisés.
Je pense aussi aux familles de ces femmes et de ces hommes dont je connais l'engagement, et dont le comportement nous honore tous en ce qu'il constitue une démonstration exemplaire de ce que signifie la fidélité aux valeurs qui fondent notre société. S'attaquer à ces femmes et à ces hommes qui faisaient rempart, c'est s'attaquer à la République, mais c'est aussi s'attaquer à des personnes qui mettent leur vie en danger pour protéger notre sécurité au quotidien, c'est s'attaquer à des pères et à des mères de famille. Ceux qui pensent qu'au fond, tout cela n'est pas bien grave, doivent l'entendre : ce à quoi nous avons assisté samedi est extrêmement grave, honteux et indigne de notre pays et de notre histoire.
Le mouvement des gilets jaunes se distingue très nettement des mouvements revendicatifs que l'on a pu connaître par le passé sur plusieurs points, ce qui complique tout à la fois l'appréhension du sujet et l'organisation de notre défense.
La première chose que je retiens, c'est l'évolution et la dérive de ce mouvement, dont je vais rappeler l'historique.
Samedi 17 novembre, 282 000 personnes participaient à des actions et à des rassemblements dans toute la France. Même si 10 % seulement des manifestations avaient été déclarées, il s'agissait dans la grande majorité des cas d'un mouvement pacifique et bon enfant. Certes, on relevait des actes de blocage et des tensions, mais les manifestants n'avaient pas alors pour objectif de se livrer à des actes de violence. Dès le samedi matin, j'ai donné des instructions très claires pour que nos forces de l'ordre aillent systématiquement les protéger afin d'éviter qu'il y ait trop d'accidents graves – ce qui n'a pas empêché qu'il y en ait tout de même quelques-uns, parfois mortels. La première mission de nos forces de l'ordre a donc été de sécuriser les plus de 1 200 lieux de manifestation, à chaque fois que cela était possible.
L'absence de déclaration et, plus largement, la désorganisation caractérisant le mode opératoire des manifestations, ont mis en danger les personnes y prenant part, mais aussi les autres usagers de l'espace public. Au cours de la journée de samedi, une personne a trouvé la mort et 388 autres ont été blessées. Durant la semaine, le mouvement s'est poursuivi avec une baisse d'intensité : on dénombrait 46 000 manifestants le dimanche, 27 000 le lundi, 34 000 le mardi, et 15 000 le mercredi – niveau de mobilisation qui s'est maintenu jusqu'au week-end suivant.
Le samedi 24 novembre, le mouvement a basculé dans la violence. Alors que 166 000 personnes manifestaient sur le territoire national certains se sont livrés à des exactions, destructions et pillages dans plusieurs quartiers de Paris, notamment celui des Champs-Élysées. Face à l'absence d'organisation et à des appels à manifester à Paris, nous avions proposé un rassemblement sur le Champ-de-Mars. Tôt le matin, des éléments proches de l'ultra-droite ont attaqué le périmètre de protection mis en place autour des institutions de la République, sur le rond-point des Champs-Élysées. Par un effet de contagion ou d'opportunisme, d'autres groupes ont ensuite multiplié les attaques contre les forces de l'ordre sur l'avenue des Champs-Élysées, ce qui a donné lieu à 103 interpellations à Paris. Durant la semaine qui a suivi, la mobilisation n'a cessé de décroître, alors que les points de tension se multipliaient : 12 000 à 17 000 personnes, selon les jours, ont été recensées sur les différents points de blocage.
La journée de samedi dernier, le 1er décembre, a constitué un moment paroxystique de violence. Des scènes d'une rare brutalité se sont produites dans plusieurs quartiers de la capitale, mais aussi en province. Nous avons comptabilisé 136 000 participants, et 682 interpellations ont été effectuées dans toute la France, dont 412 à Paris – un chiffre qui n'avait jamais été atteint précédemment. Par ailleurs, 207 gilets jaunes ont été blessés, ainsi que plus de 200 policiers sur le plan national – alors qu'au début du mouvement, ce sont principalement les membres des forces de l'ordre qui étaient blessés. Cette journée très tendue a en effet donné lieu à des comportements nécessitant une réaction de la part des forces de maintien de l'ordre, donc à des blessures plus graves et en plus grand nombre de part et d'autre. Ce nombre record de blessés et d'interpellations constitue le signe d'une radicalisation violente qui n'est contestée par aucun observateur.
La bascule s'est effectuée dès la première semaine, avec un changement très net de physionomie sur le plan sociologique, mais aussi sur le plan géographique – le mouvement qui, au départ, concernait tout le territoire de manière uniforme, s'est essentiellement concentré à l'ouest d'une ligne Amiens-Grenoble. Par ailleurs, alors que les cibles majoritaires des perturbations étaient initialement les voies de communication, progressivement, des centres économiques et logistiques, notamment des dépôts pétroliers, ont été visés. Samedi dernier, un nouveau palier a été franchi avec des exactions commises à l'encontre des symboles de l'État – mairies, trésoreries, préfectures, permanences parlementaires. Un point est cependant demeuré constant, à savoir le blocage et la dégradation des barrières de péage, parfois même leur destruction, notamment à Virsac, en Gironde, où je me suis rendu, à Narbonne ou à La Ciotat.
Il faut également noter l'incapacité du mouvement à se structurer et à faire émerger un ou plusieurs leaders capables de dialoguer avec les institutions, d'organiser la sécurité des rassemblements, de venir en préfecture et de préparer les manifestations de voie publique. En l'absence d'organisateurs responsables et de déclarations des manifestations, l'État se retrouve seul à gérer un mouvement totalement désorganisé, avec toute la difficulté que cela implique. Cela se ressent immédiatement sur le terrain : faute de service d'ordre, personne n'est là pour canaliser les manifestants, qui se trouvent livrés à eux-mêmes sur la voie publique, parfois sur des voies à grande circulation où ils mettent tout le monde en danger, y compris eux-mêmes, en se réunissant dans des lieux totalement inadaptés aux rassemblements revendicatifs car beaucoup trop dangereux. Vous connaissez les conséquences dramatiques de cet état de fait : trois décès, tous occasionnés sur des barrages routiers, et 1 032 blessés, dont 39 graves.
Dans ce contexte, l'action des forces de l'ordre est d'une rare complexité. En effet, les très nombreux barrages routiers nécessitent une mobilisation éclatée en une multitude de points : il faut protéger tout à la fois les manifestants et les usagers, éviter les tensions entre les uns et les autres tout en assurant sa propre protection face à des comportements violents. Par ailleurs, l'absence d'organisation a permis aux éléments les plus violents de s'infiltrer dans les rassemblements de gilets jaunes ; ce noyautage entraîne de plus en plus souvent un effet de meute, une manipulation des manifestants et la dérive progressive du mouvement vers une radicalisation violente. À Paris comme en région, cela se traduit par l'attaque en règle et systématique de nos forces de l'ordre et des bâtiments publics. Ces actions violentes s'accompagnent d'obstructions aux secours, à Paris, mais aussi au Puy-en-Velay, où le véhicule des pompiers qui tentait de s'approcher de la préfecture pour éteindre l'incendie qui y avait été allumé en a été empêché pendant un long moment – je précise que les personnes incriminées n'étaient pas des ultras, coutumiers de ces comportements, et que les faits sont d'autant plus préoccupants que des personnels se trouvaient à l'intérieur du bâtiment lorsque celui-ci a été incendié.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vais compléter les propos de monsieur le ministre de l'Intérieur en rappelant que la stratégie mise en oeuvre par notre ministère respecte les principes généraux du maintien de l'ordre en France, qui consistent à la fois à permettre la libre expression des opinions et à préserver les vies humaines en cas de troubles.
Comme l'a dit monsieur le ministre, nous devons respecter un principe fondamental, celui de la liberté de s'exprimer, de manifester ses opinions, de se rassembler et de défiler. Cependant, cette liberté ne peut s'exercer que dans un cadre juridique bien défini, nécessitant que chaque manifestation fasse l'objet d'une déclaration adressée au préfet territorialement compétent, qui en accuse réception. Lorsque le rassemblement prévu est significatif, qu'il rassemble un grand nombre de personnes ou qu'il emprunte un itinéraire compliqué à gérer, les services de police prennent habituellement contact avec les organisateurs afin de déterminer le nombre de participants et les mesures d'encadrement à prendre en compte, qui consistent bien évidemment en des mesures de protection des personnes et des biens.
Le préfet est habilité à prendre des mesures limitant cette liberté de manifestation et pouvant aller jusqu'à l'interdiction en cas de risque insupportable de trouble à l'ordre public – une notion définie par la jurisprudence. Bien sûr, avant d'en arriver à l'interdiction, et c'est très fréquemment le cas à Paris, il y a toute une gradation de mesures, qui peuvent consister à définir un itinéraire spécifique convenu avec l'organisateur et des lieux à éviter – notamment certains quartiers. En l'occurrence, les gilets jaunes ont jeté leur dévolu sur des quartiers qui, traditionnellement, ne font jamais l'objet de déclarations de manifestation.
Comme vous le savez, tout est question de proportionnalité, et la situation est systématiquement appréciée au cas par cas pour trouver un équilibre entre l'exercice de la liberté de manifester et d'expression et le respect et la préservation de l'ordre public. C'est en vertu de ces principes de liberté et de gradation des mesures de maintien de l'ordre qu'il a été décidé de ne pas interdire la manifestation du 1er décembre, en dépit des incidents survenus le week-end précédent. Un périmètre contrôlé a donc été défini sur les Champs-Élysées, tenant compte donc des incidents survenus la semaine passée, tandis qu'un périmètre d'exclusion de manifestation a, lui, été maintenu dans le but de protéger les institutions de la République, à commencer par le palais de l'Élysée et l'Assemblée nationale.
Toutes les manifestations d'envergure nationale ou internationale, ainsi que celles qui présentent un risque particulièrement élevé de trouble à l'ordre public, font naturellement l'objet d'un suivi attentif. De ce point de vue, le ministre de l'Intérieur et moi-même faisons application des principes que tous nos prédécesseurs ont scrupuleusement observés, consistant à fixer un cap, à définir des priorités et à répartir les moyens en fonction de l'événement à encadrer. Il revient aux préfets, responsables de l'ordre public au sein des départements, d'assurer sur le terrain l'exécution de cette stratégie de maintien de l'ordre. Chaque préfet définit donc les dispositifs de sécurité et prend les décisions opérationnelles qui s'imposent, en s'appuyant sur les services de police et de gendarmerie.
Notre conception du maintien de l'ordre est simple : correspondant à la doctrine appliquée en France depuis des décennies, elle repose sur une exigence, limiter au maximum les contacts physiques et les violences que ceux-ci peuvent entraîner. Cela passe par un maintien à distance des manifestants afin d'éviter les affrontements et les atteintes corporelles. Naturellement, il y a intervention systématique des forces de l'ordre en cas de trouble à l'ordre public ou en cas de débordements. Le fait de se tenir à distance n'exclut pas une intervention rapide quand il y a des troubles et des incidents, comme on a pu le voir le 1er décembre. Cela passe par un ensemble de moyens et de techniques d'intervention proportionnés, destinés à repousser et à éloigner les fauteurs de trouble. Comme vous l'aurez compris, nous avons essentiellement deux préoccupations : premièrement, permettre aux manifestants pacifiques de s'exprimer librement et en toute sécurité ; deuxièmement, réduire au maximum le risque, pour les manifestants comme pour les membres des forces de l'ordre. C'est dans cet esprit que nous avons abordé les jours passés avec les autorités ici présentes, et c'est dans cet esprit que nous aborderons les prochaines journées.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez expliqué avoir dû faire face à des manifestations d'un genre particulier, sans organisateurs, donc sans responsables bien définis, et ne faisant pas l'objet d'une déclaration, ce qui les rend très difficiles à canaliser. On a pu assister à des actes très violents dès neuf heures du matin, notamment à proximité de l'Arc de Triomphe, et il est apparu que le fait d'avoir bloqué les Champs-Élysées avait eu pour conséquence une concentration des manifestants autour de la place Charles-de-Gaulle.
Aviez-vous pris conscience du fait que la fermeture des Champs-Élysées pourrait occasionner le blocage autour de l'Arc de Triomphe ? Par ailleurs, compte tenu de ce blocage et des événements auxquels il a donné lieu, comment se fait-il que vous n'ayez pas réussi à évacuer les manifestants, qui sont restés sur place une grande partie de la journée, causant des dommages qui nous ont tous scandalisés ?
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, au nom du groupe La République en Marche, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la présidente de la commission des Lois et d'être aujourd'hui présents pour cette audition qui, faisant suite aux terribles scènes de violence vécues samedi à Paris et dans les territoires, s'inscrit dans le cadre de la mission de contrôle du Gouvernement par la représentation nationale.
Je veux commencer par saluer le travail et le dévouement admirable de nos forces de l'ordre et de sécurité, mais aussi rappeler l'exigence de responsabilité qui est la nôtre : nous souhaitons nous tenir loin des polémiques politiciennes et voulons simplement être éclairés sur les faits qui se sont déroulés samedi.
Depuis plusieurs semaines, les députés de la majorité rencontrent de nombreux Français, gilets jaune ou non, qui viennent leur faire part de leurs difficultés. C'est leur voix que nous portons, mais c'est aussi la voix des Français qui, même si certains considèrent que la colère exprimée est légitime, refusent la mise à sac des quartiers de Paris ou d'ailleurs, refusent la destruction des symboles de notre République, refusent les morts et les blessés, et refusent la violence dans toutes ses expressions.
J'en viens aux questions que je souhaite vous poser. Dans quel cadre légal s'est déroulée la manifestation de samedi aux Champs-Élysées ? Quelle était la nature de vos contacts avec les organisateurs de la manifestation ? Pouvez-vous nous dire quelle est la proportion de casseurs par rapport à l'ensemble des manifestants ? Nous avons tout entendu dire sur le profil des casseurs – ultra-droite, black blocks, gilets jaunes radicalisés, pilleurs coutumiers des manifestations… Pouvez-vous nous dire qui ils sont exactement ? Enfin, en fonction de ces informations, pouvez-vous nous indiquer quelles seraient les évolutions du dispositif si une nouvelle manifestation devait se produire samedi prochain ?
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, les samedis 24 novembre et 1er décembre derniers, les policiers et les gendarmes, mobilisés pour assurer le maintien de l'ordre, ont dû faire face à une violence inédite depuis des décennies. Le groupe Les Républicains condamne avec force ces violences et rend hommage au professionnalisme et au courage des hommes et des femmes qui y ont été confrontés dans le cadre de leur mission. Néanmoins, monsieur le ministre, nous voulons aussi dire solennellement ce soir que cette situation traduit un échec de la stratégie du maintien de l'ordre que vous avez mise en oeuvre. Vous avez parlé de stratégie et c'en est une en effet, puisqu'il y a des moyens et des pratiques pour maintenir l'ordre et pour contenir, si ce n'est éviter les violences.
Ce qui s'est passé samedi dernier à l'Arc de Triomphe, symbole éminent de notre République, traduit votre échec, ce qui me conduit à vous interroger sur l'affectation des moyens que vous avez choisis. Pour la première fois, vous avez en effet décidé de mettre en place des périmètres de protection ou d'exclusion beaucoup plus larges qu'à l'ordinaire, ce qui vous a conduit à déployer des forces considérables afin de protéger ces périmètres et d'effectuer des filtrages – mission qui, vous en convenez, est très différente de celle du maintien de l'ordre proprement dit. À croire certains syndicats, alors que le préfet de police avait à sa disposition 3 000 hommes et femmes des forces mobiles – CRS et gendarmes mobiles –, il semble que 2 500 de ces forces mobiles aient été utilisées de façon statique pour faire du filtrage, plutôt que d'être employés à suivre les évolutions des manifestants : ainsi, 500 hommes ont dû contenir à eux seuls les violences qui se sont exercées autour de ces périmètres interdits d'accès, inhabituellement larges.
Monsieur le ministre, avez-vous ce soir le sentiment d'un échec de la stratégie de maintien de l'ordre que vous avez déployée ?
Monsieur le ministre, je ne connais pas de personnes qui considèrent que ce qui s'est passé samedi dernier n'est pas grave. Effectivement, ce qui s'est passé samedi dernier est très grave, et les membres du groupe Socialistes et apparentés ont été les premiers à condamner les exactions d'un certain nombre de personnes dont le comportement mérite d'être qualifié de criminel. Comme les orateurs qui m'ont précédé, je veux saluer celles et ceux qui étaient en charge de représenter la République dans ces moments très particuliers – policiers, gendarmes, pompiers, sans oublier les forces sanitaires qui ont accompagné ces événements.
Cela dit, force est de constater ce qui est un échec de plus pour ce gouvernement et cette majorité. Et si je ne connais pas de personnes qui considèrent que ce qui s'est passé samedi dernier n'est pas grave, je ne connais pas de ministre qui ne fasse pas le lien entre ce qui s'est passé et le climat social qui règne dans ce pays depuis trois semaines, un climat auquel le gouvernement et la majorité restent sourds. Avez-vous disposé, avant samedi, d'informations sur la participation de mouvements d'ultra-droite à cette journée ? Si oui, quelles dispositions avez-vous prises pour y faire face ?
Pour ce qui est du dispositif mis en place, confirmez-vous les chiffres avancés par M. Ciotti, autrement dit le fait que 500 fonctionnaires seulement aient été opérationnels, et considérez-vous que ce chiffre soit à la hauteur des événements que nous avons connus ?
Enfin, à supposer qu'une nouvelle manifestation ait lieu à Paris le week-end prochain, ce que pour ma part je ne souhaite pas, pouvez-vous nous dire quel est l'état des forces de police en termes de fatigue, de mobilisation et de capacité à réagir à des faits qui pourraient malheureusement se répéter ?
Monsieur le ministre, le groupe UDI, Agir et Indépendants s'associe aux encouragements qu'il convient d'adresser aux membres des forces de l'ordre et dénonce le fait que nous nous trouvons, à l'issue du troisième samedi de manifestation, face à un phénomène extrêmement difficile à endiguer, ce qui inspire un fort sentiment d'échec. Les chiffres sont alarmants, tant en ce qui concerne l'ampleur des moyens déployés que le nombre de personnes ayant été blessées ou ayant même perdu la vie.
Puisqu'on en parle très peu, je veux évoquer ce qui se passe outre-mer, notamment à la Réunion, où la situation est très grave. La ministre des Outre-mer a eu le courage de se rendre sur l'île et de rencontrer des manifestants pour engager le dialogue, mais une grande incertitude pèse sur ce qui va se passer à La Réunion samedi prochain. Pouvez-vous nous indiquer si nous serons en mesure, ne serait-ce qu'en termes d'effectifs, d'assurer la sécurité de nos concitoyens ?
Enfin, si vous vous retrouvez certes en aval, pour endiguer ce phénomène, on ne peut laisser passer cette audition sans songer à l'amont, et encourager le Gouvernement et sa majorité à y réfléchir, à quelques jours des prochaines manifestations, à entendre la voix des manifestants et à prendre au plus vite – si possible dès demain – des décisions fortes reconnaissant la gravité de la situation et le fait que nous allons droit dans le mur ; il faut un moratoire pour ramener l'apaisement nécessaire à la discussion.
Monsieur le ministre, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je condamne également avec la plus grande vigueur les violences auxquelles nous avons assisté récemment, notamment au cours du dernier week-end, et je salue le courage des membres des forces de l'ordre qui, avant même que ne surviennent ces événements, étaient déjà soumis à un niveau élevé de stress et de fatigue en raison des nombreuses heures supplémentaires et des difficiles conditions de travail qui leur sont imposées. Quel que soit le sens de la mission de ces personnels chargés de maintenir l'ordre dans notre pays, leur résistance physique et psychologique a ses limites, ce qui me conduirait à éprouver une certaine inquiétude si la situation actuelle devait perdurer.
Tous les responsables de la police que j'ai interrogés sont d'accord pour considérer qu'il n'y a pas de solution purement sécuritaire à la crise que connaît notre pays : seule une réponse politique pourra faire retomber les tensions. Comme nous l'avons dit au Premier ministre, que nous avons rencontré aujourd'hui, il est urgent que le Gouvernement apporte cette réponse politique, car les risques sont grands d'une contagion et d'une extension de la violence. Si le département de Seine-Saint-Denis, dont je suis député, était jusqu'à présent assez peu concerné par les manifestations des gilets jaunes, on y dénombre depuis ce matin vingt-cinq lycées bloqués, et des affrontements se sont produits entre des lycéens et les forces de l'ordre. En l'absence de réponse politique à la hauteur, il est à craindre que le mouvement des gilets jaunes ne fasse la jonction avec d'autres prenant naissance au sein des jeunes et des quartiers, ce qui aboutirait à une situation extrêmement difficile à maîtriser.
Du fait de ma formation politique, je suis sans doute l'élu dans cette assemblée qui a le plus d'expérience des manifestations et des services d'ordre : autant dire que je ne méconnais pas les difficultés que pose le maintien de l'ordre, à plus forte raison lors de rassemblements inorganisés. Cela étant, attachons-nous à apporter rapidement une réponse politique à la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Je m'associerai en partie à ce que vient de dire mon collègue Stéphane Peu. La formule que nous avons employée – il n'y a pas d'ordre public sans justice sociale – se réalise sous nos yeux : le sentiment d'injustice sociale traduit un désordre public. Oui, les gens surgissent ainsi, sur la scène publique, dans l'espace public, sans organisation, parce qu'ils sont pris aux tripes et qu'ils ont envie de défendre une revendication qui leur semble juste et légitime. Et cela, on ne sait pas le gérer, en tout cas pas avec des moyens d'ordre public. En réalité, si les choses se poursuivent, et vous le savez, monsieur le ministre, aucun dispositif policier ne sera capable de les contenir et l'on ira de débordements en débordements.
Comme tout le monde ici, j'estime que les policiers doivent avoir notre soutien dans cette épreuve très compliquée. Mais nous devons aussi penser aux manifestants qui se retrouvent à respirer du gaz lacrymogène, à cette personne âgée décédée à Marseille après avoir reçu une grenade lacrymogène. Ces personnes sont parfois les oubliées de vos grands discours.
Il faut arrêter de mettre de l'huile sur le feu, ce qui concourt à radicaliser le processus. Lorsque des lycéens, qui manifestent plutôt pacifiquement, se font gazer comme ce matin, il n'est pas étonnant qu'ils reviennent encore plus mécontents. Vous avez commencé par dire qu'une manifestation sur les Champs-Élysées était hors de question ; mais on sait très bien que les gens se ficheront d'une interdiction… Puis quelques jours après, vous avez offert une porte de sortie en expliquant que l'on pourrait se réunir au Champ-de-Mars. Ce n'était pas le bon signal ; le signal de fermeté n'est pas entendu et, du coup, n'est pas respecté.
J'ai une question concrète à vous poser : va-t-on continuer d'utiliser ces grenades, qui ont déjà arraché trois mains, dont celle d'un policier à La Réunion ? Il va falloir, à un moment donné, en finir avec ce type de matériel !
Sans vouloir écarter le sujet, ou émettre un jugement sur ceux qui se sont exprimés sur ce thème, je ne parlerai pas de la réponse sociale et m'en tiendrai à l'objet qui nous rassemble ce soir, en l'occurrence les questions d'ordre public.
Il faut partir des faits, monsieur Bernalicis ; et si on part des faits, on ne peut pas affirmer qu'une femme est morte à cause d'une grenade lacrymogène. Il semble qu'elle ait été victime d'un choc opératoire, une enquête est en cours et le procureur a demandé à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) de travailler sur ces éléments. Nous ferons toute la lumière sur cet accident ; mais prenez garde à ne pas vous emballer et à qualifier des faits d'une façon qui ne correspond pas à la réalité. Vous avez évoqué le sort d'un policier à La Réunion, avec lequel j'ai eu l'occasion de m'entretenir longuement. Dois-je préciser qu'il se trouvait dans sa voiture lorsqu'il a été attaqué et caillassé ? Pour se défendre, il n'a eu d'autre choix que de sortir son arme ou d'utiliser une de ces bombes lacrymogène dont vous me demandez s'il faudrait les supprimer. Il a choisi, à juste titre, une réponse proportionnée, et a sorti cette grenade qui l'a blessé. Pour repousser les attaques dont elles font l'objet, nos forces doivent utiliser des moyens, et les bombes lacrymogènes en font partie.
Il faudra en effet s'interroger sur la doctrine et la revoir en profondeur dans la perspective de samedi prochain. S'il ne s'agit pas, dans une audition publique, d'indiquer la façon dont nos forces de l'ordre protégeront la capitale et les autres villes, je vous donnerai quelques éléments.
Je suis obligé de vous dire, monsieur Bernalicis, que si les revendications justes et légitimes ne doivent pas être tues, aucune ne peut justifier la violence et la volonté de tuer. Car c'est aussi à cela que nous avons eu affaire : la volonté de tuer, et de tuer nos forces de l'ordre.
Madame la présidente, je veux vous dire la difficulté qui est celle de gérer un site. Si les ministres qui se sont succédé place Beauvau ont toujours voulu éviter qu'il y ait des manifestations sur les Champs-Élysées, c'est qu'ils connaissaient les risques que cela représente – pas moins de vingt-quatre accès, une avenue très large et des effets de déport pouvant entraîner les dommages que nous avons constatés ce week-end. C'est la raison pour laquelle j'ai immédiatement écarté ce lieu. Certains, ensuite, ont soutenu le choix de ce lieu, le message s'est répandu sur les réseaux sociaux sans que personne n'en assume la responsabilité. C'est d'ailleurs ainsi que sont organisées les manifestations – une question a été posée à ce sujet : il a suffit qu'un message, posté sur un réseau social, désigne un lieu emblématique, en l'occurrence celui-là.
J'ai fait le choix, et je l'assume, de tendre la main aux gilets jaunes pour que la manifestation, qui n'a jamais été autorisée sur les Champs-Élysées, puisse se dérouler dans de bonnes conditions le samedi 24 novembre. Nous avons opté pour un modèle que nous appliquons le 14 juillet ou le 31 décembre, celui de la « fan zone », mobilisant les mêmes forces de sécurité. Ce site, madame la présidente, n'était pas bloqué, mais ouvert au public. Les personnes devaient simplement ouvrir leur sac pour que l'on vérifie qu'il ne contenait pas d'armes par destination et, dans certains cas, présenter leurs papiers d'identité si les policiers jugeaient utile de procéder à un contrôle.
Entre 500 et 700 manifestants ont accepté d'ouvrir leur sac, parce qu'ils venaient manifester. Si d'autres, d'entrée de jeu, ont fait le choix de ne pas passer ces contrôles, c'est précisément qu'ils portaient des armes par destination. Ces personnes se sont mobilisées sur les Champs-Élysées dès 7 heures, et jusqu'à 8 heures 50, heure à partir de laquelle – M. le préfet de police complétera mon propos – elles ont commencé à attaquer brutalement nos forces.
Madame la présidente, l'Arc de Triomphe a une valeur symbolique, touristique et patrimoniale. Deux forces étaient présentes sur le site, qu'elles ont sans relâche tenté de sécuriser. Elles ont été attaquées à de nombreuses reprises, ont perdu le site pour se protéger et sauver des vies, et l'ont reconquis six fois, dans une logique de combat – il n'y a pas d'autre mot. À chaque fois, les adversaires ont reculé dans les rues adjacentes et ont provoqué les dégâts que l'on sait. Toute la difficulté résidait dans le fait qu'il fallait alors déplacer les forces pour intervenir, et faire face à des violences systématiques et très fortes.
Ces deux forces, qui, traditionnellement, suffisent pour sécuriser sans difficulté l'Arc de Triomphe, ont reculé face à ce déferlement de haine et de violence – vous avez vu les images. J'ai eu l'occasion de le leur dire, en des termes sûrement peu politiquement corrects : « En vous écartant, vous avez sauvé des vies ». Le symbole est aussi lourd de sens pour moi que pour chacune et chacun d'entre vous ; mais jamais, tant que je serai ministre de l'Intérieur, je n'accepterai l'idée qu'un policier meure pour sauver un bâtiment, aussi symbolique soit-il.
Madame Guévenoux, vous m'avez interrogé sur le cadre légal ; mais le plus souvent, il n'y en a pas. Parce que la liberté de manifester est une liberté absolue, le principe en droit est que l'État, en la personne du préfet, n'autorise pas la manifestation, mais qu'il en accepte la déclaration. Il ne s'agit pas d'autoriser, mais d'enregistrer. Dans la plupart des cas, une solution est trouvée avec les organisateurs. Plusieurs manifestations devaient se tenir à Paris samedi, dont une organisée par la CGT. Elle s'est parfaitement bien déroulée. Nous avions un interlocuteur, un organisateur, un service de sécurité et le schéma avait été discuté. Il arrive qu'il y ait des débordements, mais ce n'est jamais le fait des manifestants, plutôt de personnes infiltrées.
Il n'y a donc pas de cadre légal et c'est l'État qui prend en charge les conséquences financières de ces manifestations. Nous avons entamé les démarches dès ce matin auprès des commerçants ; je viens de rencontrer les maires d'arrondissement et la maire de Paris pour débuter le travail d'évaluation des dégâts.
Vous m'avez demandé quelle était la part des casseurs, des éléments de l'ultra-gauche et de ceux de l'ultra-droite. Cette observation découle d'une connaissance empirique de la situation. Nous pourrions en parler longuement, mais le débat n'est plus de savoir si ce sont des ultras qui se sont infiltrés. Il y avait ce week-end entre 3 000 et 5 000 personnes qui étaient dans une logique de casseurs. Certains étaient des ultras, nous les connaissons. Mais s'ils ont pu tenter de guider le mouvement, ils ne s'en sont jamais rendus maîtres. Nous avions repéré des éléments de l'ultra-droite tenter en début de matinée d'emporter le mouvement, sans y parvenir. J'espère que je suis clair en vous disant cela. Dans la journée, ce sont des personnes de l'ultra-gauche, connues de nos services, qui sont intervenues, mais elles n'ont pas gagné non plus le mouvement. Puis en fin de journée, des casseurs sont venus, par opportunisme financier, par approche crapuleuse, profiter du désordre, casser et voler les boutiques.
Les personnes à l'oeuvre samedi appartenaient à différentes catégories, mais ce que je retiens de la manifestation, c'est qu'il n'y a pas d'un côté des manifestants expérimentés, formés dans l'ultra-droite ou dans l'ultra-gauche, qui auraient cassé, et de l'autre, les gilets jaunes. Il y avait des gilets jaunes, dont certains se sont radicalisés et, au fur et à mesure de la journée, sont devenus extrêmement violents.
Pour répondre précisément à votre question, après criblage, sur les 412 personnes interpellées, 16 seulement sont connues de nos services. Cela ne signifie pas que cette proportion se retrouve nécessairement sur le terrain : généralement, les ultras sont plus mobiles que les manifestants traditionnels et sont de ce fait plus difficiles à arrêter – appelons un chat un chat. Les enquêtes se poursuivent, les vidéos devraient nous aider à travailler. Je précise que quatorze personnes soupçonnées d'avoir cassé à l'intérieur même de l'Arc de Triomphe ont été interpellées : les forces sont parvenues à les en extraire en plein milieu de la manifestation. L'opération était très délicate et elle a été bien menée.
Tout ce que j'ai dit, monsieur Habib, montre la difficulté du renseignement. Nous connaissons certains réseaux, d'autres non. Celui des gilets jaunes n'est pas identifié, il n'est pas suivi depuis longtemps par nos services de renseignement. De surcroît, les gilets jaunes ont eux-mêmes très vite changé leur mode opératoire et ont abandonné Facebook pour des messageries cryptées. Surtout – je peux vous le dire comme ministre de l'Intérieur depuis quelques semaines, mais nous le savons tous –, notre renseignement a été fragilisé ces dernières années. Après les attentats, des investissements majeurs ont été réalisés et les efforts ont été portés sur la menace terroriste ; il me semble, mais je me trompe peut-être, que les autres formes de renseignement en ont pâti. La lutte contre le terroriste étant devenue la priorité, on a sans doute baissé la garde sur ces sujets. Cela doit nous interroger pour la suite.
Il n'en reste pas moins que le risque lié aux manifestations des gilets jaunes et aux violences avait été anticipé, je l'avais évoqué à de nombreuses reprises avec Laurent Nunez et les différentes autorités. C'est pour cette raison que nous avions adapté notre dispositif, avec une mobilisation exceptionnelle des forces de l'ordre, instauré un périmètre de protection des institutions et un filtrage des accès aux Champs-Élysées. Mais il est exact qu'il existe une part d'aléa et que le renseignement ne nous a pas permis de maîtriser de façon satisfaisante le moment précis où les violences se sont déclenchées, le lieu où les affrontements ont débuté, les personnes qui décidaient de s'y livrer, par volonté, par mimétisme ou effet d'entraînement.
Mme Maïna Sage m'a interrogé sur La Réunion, où des événements très graves se sont déroulés. Il n'y avait plus, ce matin, que 45 manifestants, répartis sur trois sites. Le port a été débloqué et les vols Air France Paris-La Réunion reprendront demain. La ministre des Outre-mer s'est rendue sur place, a su rencontrer les responsables des manifestations comme l'ensemble des élus, et a pris des engagements. On peut considérer que la situation est aujourd'hui apaisée. J'espère que cela durera.
Monsieur Peu, vous avez évoqué, au-delà de la crise politique, les lycéens qui occupaient aujourd'hui 188 lycées sur l'ensemble du territoire. Je ne parlerai pas du mouvement lui-même, mais, là encore, de la grande violence à laquelle nous avons fait face. Deux adolescents ont été brûlés, le premier avec le jerrican d'essence dont il comptait se servir pour mettre le feu à des barricades, la seconde avec une bombe insecticide qu'elle voulait transformer en lance-flammes : le problème est que lorsqu'on s'en sert ainsi, la bombe chauffe, puis explose… Ce sont des adolescents, qui ont l'âge de nos enfants, pour beaucoup d'entre nous, et qui se retrouvent grièvement blessés. Cela montre combien l'esprit de radicalisation peut peser sur une mobilisation de jeunes lycéens, que je n'imagine pas radicaux.
Vous avez parlé de la fatigue de nos forces. La mobilisation est exceptionnelle puisque ce ne sont pas moins de 75 000 policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, membres du corps préfectoral, agents des préfectures qui ont été appelés à intervenir, dans des conditions souvent très difficiles. 470 gendarmes, policiers et pompiers ont été blessés et les durées d'engagement ont atteint un niveau exceptionnel. Effectivement, la fatigue est très grande. Le Président de la République a rencontré ce midi les CRS et a tenu à passer à nos forces un message général pour les remercier de cet engagement et saluer cette mobilisation exceptionnelle.
La fatigue est liée à la fois au mode de défense stratégique que nous retenons pour traiter des manifestations, mais aussi à la fragilité de nos effectifs. Je rappelle qu'en 2008, nous avions 31 167 gardes mobiles et CRS ; leur nombre est aujourd'hui de 26 800. Il était tombé à 26 600 en 2012 et n'a pas progressé depuis, que ce soit sous le mandat précédent ou le mandat actuel. Quinze escadrons de gendarmerie ont été supprimés. Et si aucune compagnie de CRS n'a disparu, leur composition a évolué. Deux tiers d'entre elles sont passées de quatre à trois sections, soit moins de 600 hommes, ce qui change tout. J'étais ce midi à table avec des CRS ; ils m'ont parlé de ce quotidien, de ces difficultés. Peut-être devrons-nous changer nos priorités. L'ordre public est une question majeure, et très évolutive. Il nous faudra revoir à la fois notre doctrine d'emploi et les conditions d'emploi – nous allons nous y atteler.
Monsieur Ciotti, nous avons utilisé le modèle de la « fan zone », qui n'empêche pas d'ailleurs que des émeutes puissent se produire. Il nous a fallu proposer cette main tendue aux gilets jaunes, parce qu'il ne s'agissait pas pour nous, gestionnaires de l'ordre public, de faire passer un message de refus. En aucun cas, nous n'avons refusé la manifestation, nous avons cherché à la sécuriser. Vous avez posé une question sur l'utilisation « statique » de nos forces ; il me semble que vous vous trompez, et Laurent Nunez et Michel Delpech pourront vous donner des chiffres précis.
Je suis membre du Gouvernement depuis un peu moins de deux mois, mais ma longue expérience de l'ordre public m'autorise à répondre à M. Ciotti sur le caractère statique ou mobile des dispositifs.
Comme vient de le rappeler le ministre, nous avons mis en place trois niveaux : un périmètre permettant de protéger les institutions grâce à un dispositif statique, ce qui s'avérait indispensable puisque les manifestants voulaient s'en prendre au palais de l'Élysée et à l'Assemblée nationale ; une zone, l'ensemble des Champs-Élysées, dont l'accès était contrôlé, avec des effectifs également positionnés de manière statique pour assurer les fouilles ; enfin, un troisième dispositif, mobile, qui, rassurez-vous, dépassait largement les 500 effectifs que vous avez évoqués, monsieur Ciotti.
Ces policiers ont été confrontés à une violence extrême, tout aussi inédite que l'était la dissémination des groupes dans Paris. Entre le milieu et la fin de la journée, nous avons eu à faire face à plusieurs foyers d'attaques, ce qui a conduit les forces à agir progressivement et à se disperser – le préfet de police en parlera.
On ne peut pas dire que le dispositif de protection des institutions n'a été que statique. Je dois porter à votre connaissance qu'à plusieurs reprises dans l'après-midi, nos effectifs ont été attaqués de manière extrêmement violente par un certain nombre de casseurs déterminés à pénétrer dans le périmètre. Sans la robustesse du dispositif, il est probable que les manifestants auraient réussi dans leurs tentatives, avec les risques que cela comportait pour nos institutions républicaines.
M. le préfet de police va vous donner le volume précis des effectifs déployés dans le troisième périmètre. Nos forces y ont été très mobiles, elles ont pu dégager les barricades érigées par les casseurs et procéder à 412 interpellations.
À raison d'environ soixante fonctionnaires pour une unité de force mobile, il y avait sans doute 1 860 effectifs dans le dispositif que viennent d'évoquer le ministre et le secrétaire d'État : d'une part la zone de protection des institutions, qu'il était tout à fait nécessaire de mettre en place de manière robuste, face aux tentatives violentes de ces deux samedis, et notamment celles de samedi dernier à l'angle Rivoli-Concorde ; d'autre part, le filtrage au niveau des vingt-quatre points d'accès aux Champs-Élysées, ce qui a mobilisé près de 700 fonctionnaires.
Pour le reste, ce sont près de 2 000 fonctionnaires et militaires de la gendarmerie qui ont été mobilisés pour les tâches mobiles, dont les unités de forces mobiles mises à ma disposition, qui n'étaient pas engagées sur les deux dispositifs précédents. Je souligne, puisque la question a été posée, que j'ai donné l'ordre dès neuf heures de projeter à l'extérieur celles des unités que nous avions prévues en intervention dans le périmètre des Champs-Élysées.
S'ajoutaient à ces unités de forces mobiles les moyens de la direction de l'ordre public et de la circulation, notamment les compagnies d'intervention, soit presque 400 fonctionnaires avec ce que ce que nous appelons les brigades d'information des voies publiques (BIVP), les moyens très conséquents de la direction de sécurité et de proximité de l'agglomération parisienne, les compagnies de sécurisation et des fonctionnaires des brigades anti-criminalité (BAC). Enfin, nous avons mobilisé sur le terrain des fonctionnaires de la police judiciaire – en particulier de la brigade de recherche et d'intervention (BRI).
Tout cela représente donc près de 2 000 fonctionnaires, sans compter la police des transports, très présente dans les gares et qui a procédé à des interpellations, et les compagnies de circulation qui ont essayé de protéger les Parisiens au large de tous ces événements, à l'extérieur des deux périmètres que nous avons évoqués. Il n'est donc pas conforme à la réalité de dire que l'immense majorité des ressources a été gelée par les dispositifs statiques.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ma question concerne les moyens juridiques dont vous disposez et dont disposent les forces de l'ordre pour maintenir l'ordre public. Vous avez déclaré hier que rien n'était exclu, y compris une nouvelle déclaration de l'état d'urgence.
Où en êtes-vous ? Si vous envisagez un retour de l'état d'urgence en France, quelles mesures de police administrative vous sembleraient pertinentes pour maintenir l'ordre public dans le cadre de ces manifestations ?
Par ailleurs, des appels à manifester ont été lancés pour samedi prochain. Là encore, que comptez-vous faire ? À supposer que ces manifestations aient été déclarées, entendez-vous les interdire, eu égard à l'état de fatigue de nos forces de l'ordre, dont vous avez vous-même reconnu l'importance de la durée d'engagement ? Au-delà, entendez-vous interdire tout rassemblement à Paris ?
Je voudrais rendre hommage non seulement aux forces de l'ordre, mais aussi aux pompiers et aux professionnels de santé qui ont connu une journée plus que difficile ce samedi.
Monsieur le ministre, vous avez dit qu'il était légitime de protéger les institutions. Mais pour moi, l'Arc de Triomphe est une institution : c'est un périmètre sacré qui contient la dépouille du Soldat inconnu et représente l'ensemble des soldats qui sont morts pour que vive la France. Pour moi, ce périmètre ne devait pas être violé, il devait rester sacré comme l'Élysée ou l'Assemblée nationale.
Ma question est simple. Dans vos propos liminaires, vous avez déclaré que la violence allait crescendo, et c'est bien ce qui s'est passé entre le 17 novembre et le 1er décembre. Alors pourquoi ne pas avoir fait appel au groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGN) basé à Satory ?
La crise sociale et politique a franchi un degré supplémentaire ce samedi 1er décembre. Nous condamnons bien sûr cette violence inouïe et ces actes graves, et nous exprimons notre reconnaissance envers les forces de l'ordre et les sapeurs-pompiers dont on mesure l'état de fatigue et de stress. Mais nous sommes inquiets : la stratégie de maintien de l'ordre n'a pas abouti. Nous avons ressenti une grande fragilité et une forme d'impuissance, que les actes viennent démontrer. Je poserai trois questions.
Premièrement, des personnes ont été placées en garde à vue et interpellées. Je suppose que les forces de l'ordre elles-mêmes et vous-même êtes soucieux de la suite judiciaire qui a pu leur être réservée et de la célérité avec laquelle les condamnations ont pu être exécutées. Certes, la garde des Sceaux n'est pas là aujourd'hui, mais avez-vous des éléments d'information sur ce point, d'autant que nous avons noté que sur les 682 personnes arrêtées à l'occasion de la manifestation du 1er décembre, 630 avaient été placées en garde à vue, ce qui correspond à un niveau jamais atteint ? Comment vous organisez-vous, dans la mesure où la réponse judiciaire participe également de la sécurité des personnes ?
Deuxièmement, pourriez-vous nous communiquer très précisément l'état des forces de l'ordre à ce jour, police et gendarmerie ?
Troisièmement, à votre avis, faut-il faire évoluer le cadre légal du régime de la déclaration des manifestations ?
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, Paris a été livré à des hordes de sauvages. Si les gilets jaunes qui portent évidemment une colère légitime ont le droit de manifester, la République a été défigurée à l'instar de cette statue de Marianne au musée de l'Arc de Triomphe, éborgnée exactement là où deux semaines plus tôt, le monde s'était rassemblé pour célébrer le centenaire de l'Armistice. Quand les commandos s'en prennent à des lieux aussi symboliques de notre histoire, à ces lieux de mémoire, quand la propriété est violée, des magasins pillés, il n'est pas excessif de parler d'attentats et de menaces contre l'État de droit et la démocratie.
Les Français sont très inquiets. Ils ont vu parfois leur police reculer face à des fauteurs de troubles qui n'ont de respect pour rien ni personne, des individus issus de l'extrême gauche, des identitaires, des mouvements Dieudonné-Soral, etc. Ces images ont fait le tour du monde, et l'effet a été désastreux à l'étranger, où le trouble est considérable : des journalistes nous ont demandé si on était en mai 1968, si l'Assemblée allait être dissoute et si le Président allait démissionner !
Monsieur le ministre, il ne s'agit pas simplement d'une erreur de communication. Il y a eu aussi un certain dysfonctionnement dans les doctrines d'intervention et d'anticipation. Paris, ce n'est pas simplement les Champs-Élysées : il y a onze avenues autour. L'heure est évidemment à l'unité nationale, mais il nous faut dresser un bilan lucide de notre politique de sécurité.
À mon tour, je rends hommage aux forces de l'ordre. Mais comment expliquer de tels débordements, avec un dispositif de 5 000 policiers, CRS et gendarmes ? Insultées, défiées, tabassées, épuisées, nos forces de l'ordre sont aujourd'hui à bout. Le constat est sévère : des forces de l'ordre ont été déplacées mais manifestement, elles n'ont pas pu être partout ; le travail de renseignement en amont, on l'a dit tout à l'heure, s'est avéré insuffisant, en particulier sur les réseaux sociaux.
Les consignes d'intervention étaient-elles les bonnes ? Ne faudrait-il pas revoir certaines doctrines et repenser le dispositif, comme on l'avait fait à la suite des attentats terroristes ? Face au déchaînement d'une violence aussi extrême, il faut en finir avec l'impuissance !
Bien évidemment, je m'associe à mes collègues pour rendre hommage aux forces de l'ordre et au travail qu'elles mènent depuis plusieurs semaines maintenant. Nous mesurons tous la gravité de la situation. La violence est inédite, tout comme la forme de ces manifestations, sans structures ni leaders.
Je voudrais revenir sur un point un peu particulier : l'équipement de certains manifestants, qui portent des lunettes et des masques, preuve qu'ils se préparaient à cette violence, et qu'ils étaient déterminés à en découdre.
Quels dispositifs supplémentaires allez-vous mettre en place dans la perspective des prochaines manifestations qui ont d'ores et déjà été annoncées ? Envisagez-vous notamment de mieux contrôler les individus qui cachent leur visage dans l'espace public ?
Je commencerai par rappeler que samedi il y a eu des violences, que nous condamnons toutes et tous. Il y a eu aussi, selon les chiffres du ministère, plus de 130 000 personnes qui ont pu exercer de façon largement pacifique leur droit à manifester, y compris grâce aux forces de l'ordre – et c'est tout à leur honneur.
Monsieur le ministre, pour comprendre ce que l'on a vu aux Champs-Élysées et qui n'est donc pas représentatif de l'ensemble des manifestations qui se sont déroulées à Paris, il faudrait que vous vous demandiez pourquoi tant de gilets jaunes se sont radicalisés et se sont retrouvés sur cette avenue. Souvenez-vous des propos tenus en juillet dernier, au moment où nous discutions autour des manifestations du 1er mai : « S'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent me chercher ». Pour beaucoup de nos concitoyennes et concitoyens, la responsabilité est d'abord celle du Gouvernement et celle de M. Macron, et la violence une réponse symbolique face au mépris et au refus d'entendre des revendications sociales légitimes. Il était important de rappeler le contexte politique.
Monsieur le ministre, à propos de la manifestation du 1er mai dernier, vous nous aviez parlé d'un dispositif déjà impressionnant, et notamment de l'identification d'un certain nombre d'individus signalés en amont. Pourquoi, huit mois plus tard, on retrouve ces mêmes individus, sans que vous ayez pu les appréhender ?
Ensuite, certaines vidéos qui circulent, notamment sur les réseaux sociaux, montrent un usage clairement disproportionné de la force. Les services d'inspection de la police ont-ils reçu des signalements à ce propos, ou se sont-ils saisis ?
Enfin, dans le cadre de la Marche mondiale pour le climat, des manifestations sont prévues le 8 décembre. Ces manifestations, qui ont été déclarées depuis longtemps, n'ont pas directement à voir avec les appels des gilets jaunes, même s'il y a des correspondances. Seront-elles maintenues, en particulier celle de Paris.
Monsieur Gauvain, j'ai dit qu'en matière de moyens juridiques, je n'avais aucun tabou. Je le confirme : tout ce qui, dans le cadre du droit dont vous êtes les acteurs, permet de lutter contre le risque que courraient nos concitoyens doit être utilisé. Mais le fait de ne pas avoir de tabou ne veut pas dire que j'aie une préférence ; à l'heure qu'il est, je ne considère pas que l'état d'urgence serait un outil propre à renforcer suffisamment nos moyens d'intervention. Nous sommes en train d'analyser la question, à la fois sur le plan juridique et sur le plan de l'efficacité. Je n'exclus rien au moment où je vous parle, mais cela ne préjuge pas de ce que je compte mettre en oeuvre.
Faut-il interdire les manifestations ? Il faut évidemment s'interroger sur l'efficacité d'une telle mesure. Mais je tiens à vous dire que de toutes les façons, les manifestations, telles qu'elles se sont déroulées samedi dernier à Paris comme dans de nombreux endroits en France, étaient de fait interdites. Juridiquement, il s'agissait de ce que l'on appelle un « attroupement » ; quand un attroupement a pour vocation de casser, de blesser, de piller, cela devient un acte par nature interdit. Dans ces cas-là, il faut avoir les moyens de procéder à des interpellations, et on tente de se donner ces moyens-là avec les forces à notre disposition.
Cela me permet de rebondir sur les propos de Mme Obono. Madame la députée, vous avez évoqué un usage clairement disproportionné de la force. Je partage votre avis. Mais sûrement pas du même côté !
Monsieur Diard, l'Arc de triomphe était protégé par deux forces. Cela constitue une protection puissante, assurée par des femmes et des hommes qui savent en plus ce que représente symboliquement le fait de devoir reculer. Comme je l'ai dit, je ne reprocherai jamais aux femmes et aux hommes qui ont reculé de l'avoir fait, parce qu'il y allait de leur vie. Mais il est évident que l'Arc de triomphe doit être protégé.
On peut se demander pourquoi on n'a pas intégré l'Étoile dans le périmètre de la « fan zone ». J'ai rencontré tout à l'heure des maires d'arrondissement qui m'ont proposé d'y rajouter le seizième et le dix-septième. Cela amènerait à un niveau de protection impliquant un nombre de forces supérieur à celles disponibles en France ! Il faut avoir en tête que l'Étoile est constituée de douze avenues qui débouchent sur le plateau. Ainsi, tenir le plateau, c'est mobiliser douze forces, et de façon statique.
Nous avons eu cet échange tout à l'heure. Même si rien n'est arrêté à l'heure qu'il est, cela fait partie des sujets sur lesquels nous évoluerons. Le statique a ses limites. Certains voulaient s'en prendre à un symbole. Mais il y a d'autres symboles à Paris, que je ne désignerai pas pour ne pas donner d'idées. Et les symboles de la République et de notre histoire sont tellement nombreux – comme l'Assemblée nationale, le Sénat et bien d'autres – que ces manifestants auraient déplacé leur attaque.
Certains pensent que le choix des Champs-Élysées est lié à la présence de l'Élysée. Mais celles et ceux qui appellent à nouveau à la mobilisation pour venir casser à Paris samedi prochain suggèrent des lieux qui en sont très éloignés – c'est ce qui circule aujourd'hui sur les réseaux sociaux. De toutes les façons, ils auraient cherché d'autres lieux symboliques qui auraient atteint notre République. Mais bien évidemment, monsieur Diard, je partage votre émotion s'agissant de l'Arc de Triomphe.
Enfin, s'agissant du groupement blindé de gendarmerie mobile de Versailles-Satory, le directeur général de la gendarmerie nationale pourra compléter mon propos.
De la même façon, madame Untermaier, je laisserai le secrétaire d'État, Laurent Nunez, évoquer le suivi judiciaire et le cadre légal, d'autant que c'est lui qui représentait le Gouvernement lors du premier examen de la proposition de loi présentée par le sénateur Retailleau.
Je vous ai donné l'effectif de nos forces mobiles. Je vous communiquerai celui de l'ensemble des forces de police et de gendarmerie qui ont été déployées dans toute la France, sachant que toutes n'ont pas la même fonction et que certaines n'ont pas l'habitude de l'ordre public ; malgré cela, elles ont permis de sauver la sous-préfecture de Narbonne et la préfecture du Puy-en-Velay. Ces femmes et ces hommes ont su faire face, bien qu'ils n'avaient pas été formés à ce niveau de gravité et de violence.
Je peux d'ores et déjà vous indiquer que nous avons mobilisé jusqu'à 67 000 femmes et hommes – 75 000 en comptant tous les personnels administratifs complémentaires. Et je le répète, la fragilité de notre système est liée à cet épuisement dont nous avons parlé.
Monsieur Meyer Habib, faut-il revoir les doctrines d'intervention ? Oui, dans la mesure où il faut les adapter en permanence. Mais aussi parce que, face à ces nouvelles formes de violence, et je ne parle pas forcément du process désorganisé que j'évoquais dans mon propos liminaire, il faut que nous puissions disposer de moyens différents. Je l'ai dit pour le renseignement comme je le dis pour le maintien de l'ordre public : cela fait partie des chantiers que nous souhaitons ouvrir dans la mesure où nos doctrines ne sont plus adaptées à la réalité des violences dont on fait l'objet.
Madame Jacquier-Laforge, vous avez évoqué l'équipement des agresseurs. C'est ce qui explique qu'ils ne soient pas venus sur les Champs-Élysées : ils étaient là pour en découdre avec leurs formes d'armes et de protection, et c'est précisément pour cela qu'ils n'ont pas voulu passer les contrôles de sacs et se soumettre à la fouille.
Je crois avoir répondu à toutes les questions et je laisserai le soin à Laurent Nunez et à M. le directeur général de la gendarmerie nationale d'apporter les précisions qui s'imposent.
Nous allons faire évoluer notre dispositif par une mobilisation exceptionnelle de nos forces sur Paris, mais aussi en province. N'oublions jamais que la province a aussi été attaquée en de nombreux endroits, là où ce n'était pas du tout l'habitude. Nous allons travailler sur la mobilité et nous donner les moyens d'être beaucoup plus mobiles pour intervenir partout dans Paris. On peut craindre demain que ne se multiplient les lieux d'affrontement, comme ce fut déjà le cas la semaine dernière.
Mme Obono a évoqué la manifestation pacifique qui s'est déroulée la semaine dernière. J'ai pour ma part en tête la manifestation très pacifique, bien organisée, qui a eu lieu la semaine précédente à Paris, et qui a réuni sans difficulté 12 000 personnes contre les violences faites aux femmes. Au même moment, à Lyon, pendant que 200 gilets jaunes manifestaient, 6 000 personnes défilaient là encore contre les violences faites aux femmes, et cela s'est très bien passé.
Malgré tout, samedi dernier, un cortège d'environ 5 000 personnes plutôt pacifiques a été rejoint par des casseurs qui se sont ensuite dispersés sur trois sites différents, ce qui a rendu difficile l'intervention de nos forces qui l'accompagnaient. Ce cortège s'est écarté, s'est réparti de façon organisée sur trois sites et des attaques se sont alors produites sur d'autres lieux que ceux dont on parle autour de l'Étoile ou sur les Champs-Élysées.
La dernière question de Mme Obono portait sur le maintien de la Marche mondiale pour le climat. Pour tout vous dire, dans mon schéma idéal, les organisateurs seraient bien inspirés de ne pas maintenir cette manifestation – je les y invite d'ailleurs. Mais s'ils la maintiennent, nous discuterons avec eux pour la sécuriser.
Voici quelques chiffres sur les suites judiciaires de la journée de samedi. Quoi qu'en dise M. Meyer Habib qui a parlé d'impuissance, on n'a jamais vu autant de gardes à vue prises sur un dispositif d'ordre public : 412 interpellations et de très nombreuses gardes à vue, 331 gardes à vue de personnes majeures, dont 139 ont été déférées au Parquet de Paris, et 111 gardes à vue prolongées. Un certain nombre de comparutions immédiates se sont tenues, avec plusieurs audiences. Et pour faire court, je précise que cet après-midi, quatre peines de prison ferme ont d'ores et déjà été prononcées.
J'en viens à l'évolution du cadre légal du droit de manifester, qui est un sujet délicat – liberté d'expression versus respect de l'ordre public. Comme le rappelait le ministre de l'Intérieur, lors de l'examen au Sénat de la proposition de loi du président Retailleau, j'ai exprimé la position du Gouvernement. J'ai précisé que nous entendions poursuivre la réflexion sur ce thème dans le cadre d'un groupe de travail réunissant les principaux responsables des forces de l'ordre, et qu'un certain nombre de mesures mériteraient sans doute d'être retravaillées pour aboutir éventuellement à la modification des textes : ainsi la création de périmètres de protection permettant des contrôles, la possibilité donnée à l'autorité administrative d'interdire à certains individus de participer à des manifestations, ou encore la transformation en délit de la contravention pour dissimulation du visage à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique. Autant de sujets de réflexion dont nous rendrons compte au début de l'année 2019. Ce qui signifie que toute évolution n'est pas exclue.
Monsieur le député Éric Diard, vous êtes intervenu à propos du groupement blindé de gendarmerie nationale qui est stationné à Versailles-Satory. Un certain nombre d'escadrons présents ont effectivement été engagés dans de la manoeuvre à pied, qui a été évoquée par le préfet de police et le ministre de l'Intérieur. Ce groupement blindé a évidemment une composante qui permet de participer à des opérations de maintien de l'ordre à pied, mais aussi une composante blindée.
Les véhicules blindés à roues de la gendarmerie nationale doivent être engagés dans des situations particulières : face à des tirs directs sur les troupes, ils permettent de progresser sous blindage ; ils permettent aussi de pousser un certain nombre de barricades qui pourraient être installées. En l'espèce, nous n'étions pas dans ce cas de figure samedi dernier. Il n'apparaissait donc pas utile, à ce stade, d'engager des véhicules blindés. Ceux-ci restent bien entendu à disposition du préfet de police ou du Gouvernement si toutefois il y avait lieu d'intervenir à l'avenir.
Merci, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, d'être venus devant la commission des Lois.
Nous devons retourner en séance afin de poursuivre les débats sur le projet de loi sur la justice. Chaque groupe a pu s'exprimer.
La réunion s'achève à 21 heures 25.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Laetitia Avia, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Catherine Kamowski, M. Jean-Louis Masson, M. Stéphane Mazars, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Aurélien Pradié, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, Mme Maina Sage, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann
Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, Mme Sarah El Haïry, Mme Marietta Karamanli, M. Serge Letchimy, M. Patrick Mignola, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Vincent Bru, Mme Mireille Clapot, M. Michel Delpon, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Virginie Duby-Muller, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Annie Genevard, M. David Habib, M. Meyer Habib, M. Christian Jacob, Mme Amélia Lakrafi, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Claude Leclabart, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Constance Le Grip, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Nicole Le Peih, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, Mme Monica Michel, M. Éric Pauget, Mme Valérie Rabault, M. Boris Vallaud