Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Réunion du lundi 4 janvier 2021 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • protestant
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La réunion

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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Lundi 4 janvier 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

La commission spéciale procède à l'audition de M. François Clavairoly, président, et M. Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique de la Fédération protestante de France.

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Mes chers collègues, pour notre cinquième audition des représentants des cultes, nous recevons M. François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, et M. Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique.

Merci, messieurs, pour le document présentant l'avis de la Fédération protestante de France sur le projet de loi que vous nous avez fait parvenir.

Je vous laisse la parole pour un bref exposé liminaire.

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François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous fournir l'occasion de nous exprimer. Je sais que vous recevrez des représentants de toutes les obédiences maçonniques, mais je n'ai pas vu dans la liste des auditions à venir des représentants des associations d'éducation populaire ou qui travaillent auprès des réfugiés ou les demandeurs d'asile, qui sont pourtant directement concernées par le projet de loi. Cela est peut-être prévu.

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Pour éviter tout faux débat et à l'attention de celles et ceux qui nous regardent sur le site internet de l'Assemblée nationale ou sur La Chaîne parlementaire, je précise qu'au-delà des auditions menées par notre commission spéciale dans son format complet, les rapporteurs, qui suivent un ou plusieurs chapitres du texte sur des thématiques particulières, notamment celle des associations, conduisent des auditions spécifiques de représentants plus directement concernés.

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François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France

J'en suis très heureux, car ces associations sont directement concernées par ce projet de loi.

En introduction, j'évoquerai trois éléments de réflexion, afin de montrer l'esprit dans lequel nous œuvrons et la perspective qui est la nôtre : le premier est marqué du sceau de la confiance, le deuxième de celui de la laïcité, le troisième de celui de la liberté.

Nous souhaitons depuis toujours être, avec beaucoup d'autres, des acteurs responsables dans la construction d'une société de confiance. La confiance appelle chacune et chacun à s'insérer dans un processus, une histoire, un devenir commun mobilisant les forces, les bonnes volontés, les compétences, les valeurs. Ici, le protestantisme apporte son expertise, ses qualités, sa longue et douloureuse histoire, mais aussi son attachement indéfectible aux principes de la République.

La confiance ne signifie pas la naïveté. Dans le temps que nous vivons, la vigilance est de mise et ce projet de loi rappelle la réalité des dangers et des risques encourus par notre société si elle ne se dote pas de moyens pour lutter contre ceux qui veulent mettre en cause ses principes fondamentaux par la violence, le radicalisme, la terreur. Pour ma part, j'ai eu à maintes reprises l'occasion de dire combien nous devons lutter contre l'extrémisme se réclamant de l'islam et le projet politique qu'il veut mettre en œuvre.

Confiance et vigilance ne sont donc pas contradictoires mais créent l'équilibre, la force d'une société et sa qualité en termes de démocratie et de sauvegarde des libertés. À cet égard, la laïcité est la clé qui permet l'expression de cette démocratie et de cette liberté.

Je ne veux pas rappeler l'action décisive des protestants dans ce chemin difficile mais salutaire qui a abouti à la loi de 1905, ni qu'un protestant conventionnel comme Boissy d'Anglas souhaitait déjà la séparation des Églises et de l'État en 1795. Je veux seulement dire combien cette séparation doit être effective et intelligente, de sorte que la loi ne soit ni intrusive ni contraignante. Je veux dire aussi que la garantie de la liberté de culte n'est pas une sorte de pétition de principe abstraite qu'il suffirait d'invoquer comme un refrain, mais qu'elle ne va pas sans les conditions pratiques et juridiques de son exercice.

Nous considérons que le projet de loi visant à conforter le respect des principes de la République, non seulement demande ce respect à ceux qui le lui rendent déjà depuis son origine, notamment les protestants et les juifs, à ceux qui sont précisément dans le cadre de la loi de 1905 et la respectent, mais les contraint et les contrôle plus que de mesure. Alors que les cibles devraient être ceux qui ne respectent pas suffisamment la loi, nous voici visés, juifs et chrétiens. Alors que cette loi devait être attrayante pour de futurs signataires que nous attendons tous, notamment les musulmans, voici la religion rendue encore plus sujette à surveillance et à contrôle. La voici comme assignée à résidence à l'obscurantisme, à l'irrationnel, donc au soupçon, et non perçue comme une ressource ancienne et riche de sens, une ressource de soin et une ressource de paix, comme c'est le cas dans la plupart des démocraties et comme le Président de la République l'a lui-même rappelé, lors de son premier discours prononcé devant un culte, à l'occasion de la célébration des cinq cents ans de la Réforme, organisée par la Fédération protestante de France en 2017.

La liberté d'association, la liberté de culte ne peuvent et ne doivent pas être les victimes directes d'une telle visée. Cela voudrait dire que le législateur baisserait pour la première fois les yeux devant ceux qui n'attendent que cela, devant la menace et les risques, afin que la République recule sur ses libertés.

Nous sommes une minorité, nous sommes même, selon les sociologues, une ultra-minorité, et nous sommes bien conscients de ce fait. Mais nous sommes aussi porteurs de cette exigence de liberté. La loi est la loi de tous, y compris des minorités, et elle doit être égale pour tous, non discriminante et juste. Je souhaite vraiment que notre propos soit entendu et que nos propositions soient étudiées et prises en compte, au nom même de ces libertés.

Le protestantisme alerte et conteste – c'est le sens du document que nous vous avons remis. Mais il veut aussi et surtout construire ce projet de loi dans l'équilibre et la confiance, non dans le déséquilibre et la défiance. Ce serait alors une étape malheureuse de l'histoire de notre démocratie. C'est la raison pour laquelle je vous remercie une nouvelle fois de nous recevoir pour nous entendre.

M. Jean-Daniel Roque, président de la commission droit et liberté religieuse de la Fédération protestante de France, a élaboré, avec une équipe, le texte que nous vous avons transmis.

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Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique de la Fédération protestante de France

Nous souhaitons présenter deux considérations relatives aux associations cultuelles régies par le titre IV de la loi du 9 décembre 1905 : pourquoi un régime particulier a-t-il alors été créé ? Quels sont les avantages spécifiques dont bénéficient ces associations ?

Au XIXe siècle, les édifices servant à l'exercice public d'un culte appartenaient soit aux collectivités territoriales, soit aux établissements publics du culte. Lorsqu'un établissement public est dissous, il appartient à l'État de procéder à la réaffectation de ces biens. Or, en 1905, le législateur a décidé de déroger à ce principe et a chargé les établissements eux-mêmes de transférer la propriété ou l'affectation de ces biens aux associations cultuelles à créer. Cette procédure particulière a justifié la création du régime particulier des associations cultuelles.

Mais l'histoire est venue doublement modifier ces prévisions, d'une part, par le refus du culte principal de procéder à cette création, et, d'autre part, par le développement sur le territoire métropolitain de cultes qui, postérieurs à 1905, ne pouvaient pas bénéficier de telles attributions ou affectations. Ainsi, aujourd'hui, et j'insiste sur ce point, si 90 % des édifices du culte catholique sont la propriété des communes ou de l'État, pour les cathédrales, ce n'est le cas que pour 12 % des édifices du culte protestant, 3 % du culte juif et 0 % de tous les autres cultes.

Le Conseil constitutionnel a inscrit la liberté d'association parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Dans ces conditions, qu'est-ce qui justifie l'application d'un régime particulier à des associations qui ne sont nullement concernées par la situation à l'origine de ce dispositif particulier ? C'est vraisemblablement pour répondre à cette question que sont fréquemment mentionnés les avantages dont jouiraient les associations cultuelles.

Pour aborder ce point, il importe de prendre en compte la situation constatée en 2020 pour l'ensemble des associations et de distinguer entre les dispositions dont bénéficient un grand nombre d'associations, et autres personnes morales, et celles dont ne bénéficient que les associations cultuelles. Dans la première catégorie, est ouverte à toute association la possibilité de recevoir des dons manuels et d'établir des reçus fiscaux et, à tout organisme privé d'intérêt général, la possibilité de la garantie d'emprunt par l'État ou d'un bail emphytéotique. Est également ouverte à un grand nombre d'associations la possibilité de recevoir des dons et legs, puisque celle-ci est largement étendue par la loi du 31 juillet 2014, et l'exonération des droits de mutation, comme le montre la longue liste de l'article 795 du code général des impôts. C'est dire que bénéficient aux seules associations cultuelles la libre disposition d'un nombre, variable selon les cultes, d'édifices publics du culte et l'exonération de taxe foncière édictée initialement pour éviter l'assujettissement des communes à une taxe leur revenant, étendue par la suite au regard du principe d'égalité de traitement des différents cultes.

Mais il convient de rappeler qu'à cette situation particulière correspond l'interdiction de mettre à disposition de manière régulière et privilégiée un local pour l'exercice du culte, alors même que 85 % des associations sont hébergées dans des locaux municipaux.

Nous souhaitons donc que l'équilibre qui caractérisait la loi du 9 décembre 1905 soit rétabli par le législateur et non que soient multipliées les contraintes sans effet proportionné sur l'objectif, que nous partageons, de lutter contre le terrorisme ou le séparatisme.

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Messieurs, le document que vous nous avez remis présente un grand intérêt pour nos débats, ce qui n'exclut pas la possibilité de contradictions avec certains de vos interprétations.

Vous considérez que le projet de loi est susceptible de porter atteinte à la liberté fondamentale de culte. Sur quels éléments concrets fondez-vous vos inquiétudes ?

Reprenant un terme de l'avis du Conseil d'État du 3 décembre dernier, vous évoquez « l'ingérence » de la puissance publique dans l'organisation interne du culte, notamment au travers de l'article 26 du projet de loi, qui imposerait la création d'organes délibérants spécifiques au sein des associations cultuelles, c'est-à-dire des conseils d'administration. Cette disposition, qui se veut une mesure de protection à l'égard de minorités qui prétendraient prendre le pouvoir au sein de l'association, pose problème au culte protestant. À vos yeux, quel autre dispositif permettrait d'atteindre un objectif que, j'imagine, vous partagez totalement ?

Ma troisième question est plus délicate, car elle fait l'objet d'inquiétude au sein même du protestantisme, porte sur la place de certains courants évangéliques minoritaires, dont on connaît à la fois le grand dynamisme et certaines dérives. Quelle est la position de la Fédération protestante à l'égard de ces courants ?

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En France, l'instruction est obligatoire, pas la scolarisation. De ce fait, les parents ont une liberté de choix d'enseignement entre l'école publique, l'école publique sous ou hors contrat, et l'instruction à domicile. Des systèmes de contrôle veillent à ce que chaque type d'enseignement respecte le droit de l'enfant à l'instruction, ainsi que des normes minimales de connaissances définies par le code de l'éducation. En ce qui concerne l'instruction en famille, le dispositif de déclaration datant de 1882 serait remplacé par un dispositif d'autorisation, laquelle sera délivrée en fonction des motifs du choix de l'instruction en famille, qui ne pourront procéder de convictions politiques, philosophiques ou religieuses des parents. Que pensez-vous du système de l'instruction en famille ?

Pour les écoles privées hors contrat, un régime de fermeture administrative est prévu pour des établissements où l'on constaterait des dérives ou des manquements réitérés à la réglementation. Pour les écoles sous contrat avec l'État, l'enseignement devra désormais être conforme ou en référence avec les programmes de l'enseignement public. Pourriez-vous faire un bref état des lieux de l'enseignement privé protestant et nous donner votre avis sur ces nouvelles dispositions ?

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Je n'ai pas eu le privilège de lire votre document, mais je sais que vous avez récemment déclaré que ce projet de loi limitait la liberté de culte, principalement du vôtre.

En quoi l'article 27 du projet de loi sur l'obligation de déclaration au préfet, d'ailleurs assouplie après avis du Conseil d'État, gêne-t-il particulièrement le culte protestant ?

En quoi l'article 28, sur la possession des biens immobiliers acquis à titre gratuit, qui élargit les ressources des associations cultuelles, ce qui fait par ailleurs débat, pourrait-il poser problème au culte protestant ?

Pourquoi pensez-vous que les articles 33 et 34 visant à renforcer les obligations comptables seraient plus un tracas que l'expression d'une simple volonté de transparence, que nous pourrions tous partager ?

L'article 35 concerne les ressources en provenance d'un État étranger ou d'une personne morale étrangère ou d'une personne physique non résidente en France. Il prévoit une disposition permettant à l'autorité administrative de s'opposer au bénéfice de ces ressources si les agissements d'une association font peser une menace réelle. Je ne vois pas, là encore, ce qui pourrait gêner le culte protestant.

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Vous avez souligné la nécessité d'entraver la progression de l'islamisme qui s'infiltre dans tous les milieux et profite de la liberté de culte pour propager un islam moins religieux que politique, une idéologie qui, du reste, considère les autres religions comme des ennemies. La religion que vous représentez n'a aucune difficulté à respecter la suprématie des principes et des lois de la République mais, comme les catholiques, les juifs et les bouddhistes, vous craignez de faire les frais d'une loi qui, destinée à lutter contre l'islamisme, pourrait aboutir à restreindre la liberté religieuse, notamment l'exercice de votre culte. Dans les différents articles dans lesquels vous vous êtes exprimés, vous avez clairement parlé d'une loi « limitante et intrusive qui manque sa cible ».

Avez-vous engagé avec les autres confessions un travail partenarial, puisque votre constat est le même, pour apporter d'autres réponses auxquelles le législateur pourrait légitimement s'intéresser ?

L'article 1er du projet de loi prévoit la neutralité religieuse des personnes ou des structures ayant une mission de service public. Or, depuis la loi Debré, les écoles confessionnelles exercent une mission dans le cadre du service public de l'éducation, même si ce sont des établissements privés. Avez-vous exploré juridiquement le risque d'une neutralité qui pourrait être imposée aux enseignants, ce qui contreviendrait à l'esprit même de vos établissements ?

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Les difficultés que vous pointez rejoignent celles qui nous sont apparues à la lecture du projet de loi. Le protestantisme étant historiquement le champion de la séparation entre le religieux et le politique, il est normal que vous soyez plus virulents que d'autres. On dit que le protestantisme est dans la loi de 1905, mais vous êtes aussi dans la loi de 1901. Je pense notamment à certaines de vos associations, telle la Cimade. Ce projet de loi prétend éviter que la religion devienne politique. Dans la tradition protestante, des acteurs, à travers leurs organisations, en particulier celles de la loi de 1901, s'engagent dans la société. Or qu'est-ce que faire de la politique, sinon s'engager dans la société ? Vous sentez-vous protégé par le dispositif actuel ?

Seriez-vous prêts à considérer la question posée à notre République comme un signe des temps et ce texte utile pour ce qui se passe aujourd'hui et ce qui se passera demain si on en exonérait ceux qui n'ont pas posé de problème depuis un siècle ? Vous évoquez un contrôle accru de l'État : c'est bien ce qu'on recherche. On veut que certaines associations arrêtent de jouer les couleuvres entre différentes législations. Comment disposer d'un outil adapté à la situation de 2021 sans contrecarrer ce qui s'est passé pendant un siècle ?

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Lors de son audition, le ministre de l'intérieur, reprenant les mots d'Aristide Briand à propos de la loi de 1905, a parlé d'un projet de loi de liberté. Est-ce votre appréciation ? Ou considérez-vous que ce projet, substantiellement remanié par rapport à la rédaction transmise au Conseil d'État, modifie l'équilibre de la loi de 1905, de celles de 1901 et de 1907 ?

Quelle est votre appréciation de la procédure de déclaration d'une association cultuelle, de la procédure de vérification de l'objet cultuel d'une association dans le cadre de la loi de 1901 avec la décision, éventuellement aléatoire pour le représentant de l'État, de se prononcer sur le caractère cultuel de certaines activités ? Y voyez-vous le risque que soient reconnus, à rebours de la loi de 1905, des cultes stricto sensu ?

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J'ai relevé dans votre propos introductif le terme d'« ultra-minorité » utilisé par de prétendus sociologues pour désigner les protestants. Dans une démocratie apaisée, toutes les minorités doivent être prises en considération, et peut-être plus que d'autres groupes, afin de protéger leur liberté de conscience. Nous sommes tous très attachés à la liberté des citoyens de croire ou de ne pas croire. La laïcité, c'est la protection de la liberté pour chaque citoyen de croire ou de ne pas croire et la prise en considération de tous les points de vue, d'où qu'ils viennent.

Je voudrais vous interroger sur l'évolution de la société française, de notre nation. Comment percevez-vous les changements intervenus dans le domaine de la laïcité, notamment dans les nouvelles générations ? Comment percevez-vous la radicalisation, dans votre religion ou dans d'autres, en particulier l'islam, qui représente un vrai danger ? Le législateur doit toujours décider avec sang-froid, raison et sens de la justice. Quels sont pour vous les points positifs du texte et les points de réserve ? Quelles modifications au texte présenté par le Gouvernement attendez-vous du législateur ?

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Je partage largement votre diagnostic global sur le texte, puisque vous indiquez : « Nous regrettons l'esprit de soupçon et de contrôle qui inspire ce projet de loi et doutons de sa capacité à contribuer à bâtir une société de confiance ». Pour moi, ce n'est pas un doute, mais une certitude. Beaucoup de confessions dont nous avons entendu des représentants font le même constat : pour lutter contre une petite minorité de l'islam fondamentaliste, on s'attaque à tout le monde.

À l'article 6, vous critiquez l'expression « sauvegarde de l'ordre public », que vous proposez de remplacer par « sauvegarde de la sécurité publique ». Je n'approuve ni l'un ni l'autre. Ce n'est pas aux associations cultuelles de s'occuper de l'ordre public, c'est une compétence de l'État.

Considérer que la vérification par les services fiscaux de la régularité des reçus émis par les associations cultuelles porte atteinte à la liberté de conscience et à la liberté de culte me paraît excessif. S'il s'agit de contrôler que les montants figurant sur les reçus sont ceux qui ont été versés à l'association cultuelle, cela me paraît tout à fait normal. En revanche, si le malheureux inspecteur des impôts doit vérifier que l'association est bien cultuelle, c'est-à-dire que les fonds collectés, ouvrant droit à avantage fiscal, ont bien été utilisés à des fins cultuelles, vous avez raison.

Le libre exercice du culte est effectivement atteint par un agrément administratif temporaire. Cet incroyable renouvellement tous les cinq ans fait de toutes les confessions des suspects et a un effet ravageur dans l'opinion publique.

Enfin, à ma grande surprise, vous n'évoquez pas l'instruction en famille (IEF). Est-ce qu'exclure cette possibilité « lorsque les motivations des familles sont philosophiques, religieuses ou politiques » ne constitue pas une atteinte manifeste à la liberté ? Cela signifie que l'IEF sera refusée à une famille protestante souhaitant éduquer son ou ses enfants pour une motivation religieuse, et qu'il lui faudra invoquer un problème psychologique, par exemple, pour obtenir l'autorisation.

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Je partage beaucoup des critiques exprimées dans votre document et dans la tribune que vous avez signée. L'article 26 vous vise tout particulièrement, vous qui désignez le ministre du culte. Je peux comprendre que ce qui est présenté comme un dispositif anti-putsch sera inefficace et viendra vous tracasser inutilement.

L'article 6 prévoit un contrat d'engagement républicain à l'ensemble du mouvement associatif et pas seulement cultuel. Votre critique est en-deçà. Je connais la loi, les citoyens doivent la respecter. Le protestantisme a une longue histoire d'attachement à la République. Les principes exprimés il y a deux cents ans et la manière dont la République se définit ont fortement évolué.

Votre document me semble comporter une erreur. La question des biens de rapport est traitée à l'article 28 et non, comme vous le dites, à l'article 31. Dans les auditions que j'ai organisées, le bénéfice des biens de rapport a souvent été présenté comme une demande des fédérations protestantes. J'y suis hostile car je pense que cela modifie l'association cultuelle. Les fidèles financent le culte. Si on demande à des associations cultuelles de gérer les biens de rapport, l'exercice d'un culte peut se transformer en activité commerciale, ce qui me semble totalement contraire à l'esprit de la loi de 1905, qui établit une claire distinction. Quel est votre regard sur ce sujet ?

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On dit souvent que le sujet du texte est l'islam de France en général, les dérives intégristes ou islamistes, et les difficultés d'organisation de ce culte historiquement récent. Mais on voit émerger sur le territoire, notamment dans les grandes villes, des communautés protestantes liées à une émigration de pays anglophones ou ayant une forte imprégnation culturelle anglo-américaine très différente de celles traditionnellement implantées en France. Des règles d'organisation de la liberté de culte veillant à éviter des dérives, ne pourraient-elles concerner aussi ces communautés émergentes ?

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François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France

M. Roque répondra sur les questions plus précises notamment celle concernant les biens de rapport. Il y a effectivement un malentendu sur la demande qui n'en est pas une de la Fédération protestante et les choses seront clairement expliquées.

Il est patent que la compréhension de la laïcité a changé. Elle est passée d'un principe à une sorte de valeur, une idée générale, un nez en cire à tordre en fonction de ses propres objectifs. N'étant plus perçue comme un principe juridique et politique mais comme une valeur, elle est instrumentalisée par des discours émanant aussi de responsables politiques et d'élus. Monsieur le président, vous y faites directement écho en évoquant des milieux évangéliques issus de la migration anglo-saxonne, alors qu'il s'agit de protestants français ou étrangers, chrétiens, citoyens ou non de ce pays, pas tous issus de la migration et encore moins de la migration anglo-saxonne. Ils viennent du Congo, du Cameroun, du Togo, de la Chine, du Brésil, de Corée. Cette multitude de réalités socioculturelles et spirituelles ne représente nullement une menace ou un danger. Ce sont des populations qui exprimaient leur foi dans leur pays depuis des décennies et des siècles et qui, arrivés ici, essaient de vivre la même chose.

Entendons-nous, les évolutions sociologiques concernant la religion sont étudiées au microscope par les spécialistes. Dieu sait si, dans le protestantisme, nous en avons ! Je pense au travail de l'École pratique des hautes études, au professeur Baubérot qui y travaille depuis des années, à Valentine Zuber, à Jean-Paul Willaime, qui nous tiennent informés de ces évolutions au millimètre. S'il y a un laboratoire sociologique qui a bien fonctionné depuis trente ans, c'est bien le laboratoire de la sociologie religieuse.

Parce que nous connaissons ces sujets, nous n'en tirons pas de conséquences idéologiques pour faire croire à une menace pour la République, ses valeurs ou ses principes. Non, les évangéliques ne sont pas une menace pour la République. Je le dis ici, il ne faut pas exagérer ! Ça suffit, ce discours de soupçon à l'égard du christianisme dans sa version évangélique !

En revanche, et nous en avons parlé avec les partenaires religieux, en particulier musulmans, la menace existe d'un extrémisme se réclamant de l'islam ayant, lui, un projet non religieux mais politique visant à remettre en cause les principes républicains. Nos amis musulmans en sont tout à fait conscients. Ils sont les premiers concernés par ce projet et ce danger qui déstabilisent un certain nombre d'associations. D'où, ce texte de loi. De fait, l'islam doit trouver sa place, assurée dans le cadre législatif proposé par la République.

L'un des objectifs du texte était de rendre attrayante la loi de 1905, mais toutes les mesures précédemment évoquées vont dans le sens inverse. En renforçant le contrôle, en accumulant les dispositions de vérification, on ne la rend plus du tout attractive. Les partenaires musulmans avec lesquels je dialogue, et non des moindres, le disent : plus ça va et moins nous sommes intéressés par ce dispositif, de sorte que nous resterons sans doute en loi de 1901, ou plutôt en loi de 1907, c'est-à-dire celle à caractère cultuel. Après tout, la loi de 1905 a pour objet exclusif le culte. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le christianisme a créé des associations loi de 1901, associations caritatives, éditions, associations missionnaires, autant d'actions considérées comme cultuelles mais dans le cadre de la loi républicaine. Heureusement que cela fonctionne dans le cadre de cette distinction. Je ne citerai que la Cimade ou les entraides que l'on trouve aussi du côté catholique, comme le Secours catholique. Les associations loi de 1901 sont véritablement le lieu d'expression de l'engagement citoyen des chrétiens dans la société.

Effectivement, la menace existe, mais le projet de loi vise ceux qui précisément jouent le jeu de la République. Avec les catholiques, nous l'avons remarqué tout de suite. Avec Mgr Moulins-Beaufort et avec M. Haïm Korsia, que vous avez entendus ce matin, nous nous sommes dit : que prévoit ce projet de loi sinon un surplus de contrôle pour ceux qui jouent le jeu ?

Et si d'autres, c'est-à-dire les musulmans, acceptaient les dispositions de la loi de 1905 ? Je vous l'ai dit : leur religion est faite. Ils ne sont pas du tout attirés par ce projet de loi. D'ailleurs, si une religion n'y trouve pas son bien, il faudra bien que la République, dans sa sagesse et dans sa souplesse, accompagne cette évolution et trouve des solutions, comme elle l'a fait dans sa grande sagesse et dans sa grande souplesse en 1907, puis en 1924 en créant les associations diocésaines qui, je le rappelle, ont pour objet, non pas le culte, mais la gestion des biens de l'église. La République peut s'adapter. Elle est forte, elle est tenace, elle est sage. Elle peut accueillir tous ses enfants, même les derniers arrivés. Ils sont pourtant là depuis longtemps. Au temps de l'Algérie française, on les avait oubliés, puisque la loi de 1905 ne s'y est pas appliquée, et des musulmans étaient déjà là depuis une centaine d'années. Le projet de loi vise un sujet mais en frappe un autre.

Chrétienne, juive, musulmane ou bouddhiste, toutes les confessions se sentent bien dans ce pays et dialoguent entre elles. Nous avons la chance dans cette République d'avoir un lieu de dialogue et de préparation de ces sujets. Nous en avons beaucoup parlé, même dans un temps de crise comme celle du covid. Nous ne nous sommes pas entendus sur un texte commun, mais celui que nous présentons est en grande partie le fruit de nos réflexions communes. Je sais que catholiques, juifs, musulmans, bouddhistes s'y retrouvent pour une bonne part.

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Contrairement à ce que vous avez dit, je n'ai pas parlé de menace. Par ailleurs, nous auditionnons des représentants de chaque culte afin qu'ils puissent s'exprimer en leur nom propre et au regard de leurs préoccupations. Seul le hasard de l'agenda et un empêchement du président du Conseil français du culte musulman nous ont empêchés de l'auditionner en début d'après-midi. J'ajoute que l'Assemblée nationale vote des lois de portée générale. Mais nous avons le souci de regarder comment elles s'appliquent à chacun, en fonction de son histoire ou de sa structuration.

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Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique de la Fédération protestante de France

Je commencerai par les deux points positifs de ce projet de loi, c'est-à-dire l'article 32 et l'article 28.

L'article 32 rétablit une disposition qui avait été supprimée, permettant à des personnes morales – fondations, congrégations, associations ou associations de droit local – recevant des libéralités d'être exonérées de la possibilité de préemption par le maire. Ce droit important a été supprimé à la suite d'un mauvais concours de circonstances. Or il est arrivé qu'un maire exerce son droit de préemption alors qu'une personne avait décidé de donner un bien à une association d'entraide ou humanitaire. Si cela se comprend du point de vue du maire, cela pose un problème au regard de la volonté de la personne qui avait consenti cette libéralité.

Par ailleurs, lorsque des associations cultuelles se regroupent, celles appelées à disparaître font donation à celle qui reste. Or nous avons eu le cas récent d'un maire qui a voulu profiter de la situation pour préempter le temple. Il était certes peu utilisé, mais la loi prévoit au moins deux utilisations par an et une tous les semestres.

Ces deux exemples concrets expliquent que nous ayons insisté pour le maintien de l'article 32, qui devrait figurer, selon nous, dans le titre Ier et non dans le titre II.

Quant à l'article 28, la loi de 1901 interdisait toute propriété de bien non conforme à l'objet de l'association. Cette règle s'appliquait au domaine cultuel et nous ne l'avons jamais contesté.

Toutefois, en 2014, la loi relative à l'économie sociale et solidaire a modifié l'article 6 de la loi de 1901 et étendu à tous la possibilité de posséder des biens de rapport dès lors qu'ils figuraient dans l'énumération au b du 1 de l'article 200 du code général des impôts, ce qui était une manière discrète d'exclure les associations cultuelles, puisqu'elles sont mentionnées au e du 1 dudit article. Nous sommes remontés jusqu'au Premier ministre pour obtenir des explications mais nous n'en avons jamais reçu. Qu'on nous explique en quoi cette exclusion est justifiée ou qu'on y mette fin ! Depuis 2015, en effet, certains préfets, au vu de la modification de l'article 6 de la loi de 1901, ont contesté la qualité cultuelle de certaines associations. Dans notre document, nous citons l'exemple d'un bâtiment de trois niveaux : un rez-de-chaussée accueillant une salle de réunion, un premier étage abritant un presbytère et un deuxième étage destiné à un second presbytère du temps où il y avait deux pasteurs. Il se trouve qu'il n'y en a plus qu'un et que le deuxième étage est loué. Or le préfet, appliquant les textes, considère qu'il est interdit de louer le bien et en conteste la qualité cultuelle. Or si la qualité cultuelle est contestée, l'association cultuelle ne peut plus être membre de l'union, et son ministre du culte n'est plus ministre du culte, puisque la jurisprudence de la Cour de cassation est limitée au cultuel, et ainsi de suite.

Je pourrais malheureusement citer bien d'autres exemples du même ordre. C'est parce que nous sommes soumis à ces difficultés depuis 2015 que nous insistons pour qu'il soit mis fin à cette exclusion. Nous ne souhaitons pas avoir des biens de rapport de quinze étages. Nous voulons juste pouvoir louer le bien dont nous sommes propriétaires.

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Nous avions compris que vous étiez demandeurs d'une clarification législative et juridique permettant à des associations cultuelles de posséder des biens de rapport.

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Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique de la Fédération protestante de France

Nous sommes demandeurs parce que, depuis 2015, nous rencontrons des difficultés à la suite du vote de la loi de 2014.

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Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique de la Fédération protestante de France

En ce qui concerne l'enseignement, lorsque les écoles ont été laïcisées, sous la IIIe République, les protestants en avaient environ 1 650. Ils les ont toutes laïcisées sans en créer de privées. C'était une décision initiale forte, peu surprenante puisque correspondant au choix politique des protestants d'adhérer à l'école publique laïque. Depuis lors, moins d'une quarantaine d'établissements privés ont été créés, certains sous contrat, d'autres hors contrat. Dans notre document, nous n'avons pas pris position sur cette question, car si la première rédaction du projet de loi nous avait inquiétés, celle du texte diffusé après le Conseil des ministres du 9 décembre nous est apparue acceptable. Il était surprenant que l'on mette en cause les choix religieux.

Nous nous demandons d'ailleurs pourquoi seules les associations à finalité religieuse sont menacées dans ce texte. Ainsi, s'il est problématique que de l'argent provienne de l'étranger, il n'a jamais été prouvé qu'il nous était majoritairement destiné. Nous en serions très heureux, mais ce n'est pas le cas. En revanche, des articles de presse récents indiquent que des sommes bien plus importantes bénéficient à des clubs sportifs ou à des activités culturelles. Pourquoi ne viser que les associations cultuelles, alors que l'argent venant de l'étranger touche d'autres domaines beaucoup plus importants ?

Nous considérons que ce texte porte atteinte à la liberté du culte car si aucune de ses mesures ne porte atteinte à la liberté de culte, leur ensemble posera des problèmes à la vie associative. Pour qu'il y ait une vie associative, il faut en effet des volontaires. Des gens voudront-ils encore l'être au vu de la multiplication des exigences ? Et que dire de la sanction d'une amende de 9 000 euros pour les administrateurs qui n'appliqueraient pas toutes les règles comptables ? Pourquoi seuls les administrateurs des associations cultuelles auraient-ils droit à ce traitement de faveur, alors que la jurisprudence des tribunaux et les décisions des cours régionales des comptes montrent que nous sommes loin de figurer en tête des associations qui ne respectent pas la loi ?

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Le moins qu'on puisse dire, messieurs, c'est que vous ne nous laissez pas indifférents. Mais rassurez-vous, nous n'avons rien contre les protestants ni contre aucune autre religion, puisque notre République protège précisément les religions.

Je suis député d'une circonscription comprenant la ville de Bourges, où Jean Calvin est venu étudier en 1529, et Sancerre, dont le piton a été assiégé entre 1572 et 1573 par les troupes royales. Pour la petite histoire, les catholiques n'ont pas pris la fuite mais se sont solidarisés avec les huguenots assiégés. Il y eut plus de 600 morts, mais c'était il y a 450 ans. La République française, notamment grâce à la loi du 9 décembre 1905, protège la liberté absolue de conscience. Il n'y a plus de guerres de religion dans notre pays, contrairement à ce que voudrait nous faire croire Jean-Luc Mélenchon. Il n'y a plus de religion d'État et toutes les religions sont traitées à égalité.

Si l'islamisme est l'ennemi, les règles que nous allons adopter doivent s'appliquer à tous sans discrimination. Oui, des lieux de culte sont utilisés par ceux qui cherchent à fragmenter la nation française et à fomenter des attentats sur notre territoire ! En l'occurrence, les plus menacés ne sont pas les associations cultuelles, mais les citoyens français. Certains voient même leur vie retirée en sortant du collège où ils enseignent. Il ne faut donc pas inverser la charge.

Vous êtes attachés à une vision libérale de la laïcité – vous avez cité l'un de vos inspirateurs, Jean Baubérot. Mais souffrez que nous ayons une vision républicaine de la laïcité !

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Un certain nombre de députés qui siègent dans l'hémicycle.

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Certains députés, qui ont voix au chapitre comme les autres.

Messieurs, quelle est votre définition de l'activité cultuelle ? Par ailleurs, je reviens sur une question posée par mon collègue Francis Chouat à laquelle vous n'avez pas répondu : en quoi les articles 27 et suivants empêcheraient-ils l'exercice du culte protestant ?

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Je vous remercie, messieurs, pour la qualité de votre document et la clarté de l'expression de vos inquiétudes qui rejoignent celles des représentants des autres religions que nous avons entendus tout au long de la journée. Cela me conduit à vous interroger sur les modalités de concertation et de préparation du texte. Nous nous trouvons, en effet, face à des points de blocage importants. Vos échanges avec les représentants des ministères ont-ils donné lieu à des avancées ? Que souhaitez-vous pour l'avenir ? Vous avez écrit : « Par cette tribune, le protestantisme français demande qu'avant la publication des décrets, une réelle et constructive concertation ait lieu ». Comment celle-ci pourrait-elle être organisée ? Le Parlement pourrait-il y être associé ?

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Si l'objectif visé par ce texte est partagé, vous craignez qu'il ne soit pas atteint et d'en faire les frais. Sachez que cette inquiétude est aussi la mienne et celle de mon groupe.

À mon sens, vision libérale et vision républicaine ne sont pas opposées. Les religions n'ont pas à s'excuser d'exister. Par ailleurs, je rejoins la préoccupation exprimée par Xavier Breton : pourquoi ce projet de loi suscite-t-il autant de résistance de la part des représentants du culte que vous êtes ? La loi de 1901 permet l'engagement citoyen des chrétiens dans la société française. Ce projet de loi pourrait-il limiter cette action citoyenne essentielle ? Vous avez cité la Cimade, je pense également aux associations diocésaines qui font un travail remarquable auprès des déboutés du droit d'asile. Quels risques, selon vous, ce projet de loi fait-il encourir à cette indispensable action d'humanité ?

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On ne peut nier que la multiplication des Églises et des courants évangélistes ouvre la porte à des dérives. Même si le problème ne se pose pas en France, dans les pays anglo-saxons et de plus en plus en Europe, des dérives évangélistes extrémistes et suprémacistes sévissent, en particulier sur internet, lieu de propagation d'une idéologie haineuse et d'endoctrinement aux conséquences désastreuses. Je rappelle que le terroriste qui a commis les terribles attentats de Christchurch avait été endoctriné et radicalisé sur internet par un évangéliste extrémiste. En tant que culte organisé en France, quelles sont vos préconisations pour nous prémunir contre de telles dérives, pour la protection des esprits et la sécurité de tous ?

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La disposition relative au droit de préemption soulève deux problématiques. D'une part, faute de pouvoir l'exercer, un maire pourrait être empêché de réaliser un aménagement urbain du fait de la présence d'un lieu de culte. D'autre part, le code de l'urbanisme est souvent le seul moyen d'empêcher l'implantation d'une mosquée où l'on pratique un islam radicalisé. Après que les services de renseignement ont alerté sur un risque, la préfecture demande souvent au maire de recourir au code de l'urbanisme et au droit de préemption pour prévenir l'implantation d'un lieu de culte. C'est pourquoi je suis surpris de voir réintroduite cette disposition dans le projet de loi. J'en comprends la logique mais il faut trouver un juste milieu pour éviter ces deux écueils. Tel qu'il est rédigé, le texte ouvre la porte à de nombreux risques.

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Vous avez mis en cause les dispositions du chapitre II du titre II relatives au contrôle des financements étrangers du culte au-delà de 10 000 euros et indiqué que des associations culturelles ou sportives, comme de grands clubs de football, en bénéficiaient dans des proportions bien plus grandes. Considérez-vous que ces dispositions d'ordre public devraient être étendues à d'autres associations ? Elles le sont pour les associations mixtes, où l'activité cultuelle est distincte des autres.

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Il me semble que nos invités de la Fédération protestante, tout en ayant des convictions spirituelles, sont des défenseurs de cet oxymore qu'est la laïcité républicaine. Je reste attaché à la loi de 1905, compromis qui repose sur un équilibre dont l'un des éléments est la liberté d'organisation du culte, dans le respect de la loi. Toute ingérence du pouvoir politique sur l'organisation du culte m'a toujours semblé incompréhensible au regard de la religion et de la République même.

Concernant l'article 28, vous regrettez une forme d'injustice et un déséquilibre, accentué par la loi Hamon. Mais loi Hamon ou pas, le problème posé par la mise à disposition d'un appartement rendu vacant par le départ d'un des deux pasteurs reste entier. Ne pourrait-on trouver une astuce pour y remédier, comme faire gérer cet appartement par une association ? Je serai sensible à des propositions de nature à éviter le retrait scandaleux du caractère cultuel de l'association par le préfet. Pouvez-vous nous redonner votre position sur ce sujet car il m'a semblé que tout en n'étant pas demandeur de cet article 28, vous en étiez un défenseur, pour une raison de justice.

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Ne faut-il pas abroger le régime de la loi de 1905 et placer tout le monde sous le régime de la loi de 1901 ? Nous pataugeons, et s'il n'y avait qu'un seul régime, toutes ces questions ne se poseraient plus.

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Nous aurons un débat sur les associations. Certains se sont exprimés dans un sens mais en tant qu'ancien élu local, j'ai le souvenir de souhaits allant dans un sens différent. Pour certaines collectivités, les associations culturelles sont utiles pour financer du cultuel qui ne dit pas son nom. Ne l'oublions pas en évoquant les différences entre les associations. Je m'étonne qu'on puisse envisager de tout basculer en loi de 1901.

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François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France

Vous avez dit qu'il ne fallait pas inverser la charge et que la victime était la République.

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François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France

Je rappelle que les musulmans n'exercent pas leur culte sous le régime de la loi de 1905. Le projet de loi concerne les religions qui utilisent le dispositif de la loi de 1905, en vigueur depuis cent quinze ans. Ne faisons pas un procès aux musulmans qui n'ont pas encore intégré ce régime. Ce texte vise au contraire à leur tendre la main pour les inviter à faire comme tout le monde et à utiliser le dispositif républicain que leur offre la loi de 1905.

Le Conseil d'État, et non simplement la Fédération protestante, relève une modification de l'équilibre. Je reprends les termes de son avis : « Le projet de loi alourdit les contraintes pesant sur les associations cultuelles et modifie l'équilibre opéré en 1905 par le législateur entre principe de liberté de constitution de ces associations et nécessaire encadrement du fait qu'elles bénéficient d'avantages publics ».

On peut lire encore à propos d'un autre article : « Le Conseil d'État constate que le projet conduit à imposer des contraintes importantes à une majorité d'associations cultuelles ou à objet mixte de toutes confessions dont les agissements, de même que le comportement des ministres du culte et des fidèles sont dans leur grande majorité respectueux des règles communes. » Il ne s'agit pas d'inverser la charge, mais de dire que l'ensemble de ces dispositions renforce le sentiment des religions, en l'occurrence, des protestants, des catholiques et des juifs, que le législateur les soupçonne, a priori, de ne pas être respectueuses et qu'il faudrait conforter leur respect des principes républicains, alors que nous nous employons précisément à les respecter depuis que la République existe. C'est surprenant pour les chrétiens que nous sommes.

Je rappelle qu'il y a quatre évangélistes, Matthieu, Marc, Luc et Jean, et que ceux qui sont de confession protestante de tendance évangélique s'appellent en effet évangéliques. On parle d'Églises évangéliques, de membres évangéliques, de théologie évangélique. Votre raccourci est proprement scandaleux. On ne saurait comparer le suprémacisme blanc avec les Églises évangéliques qui sont en France depuis le XIXe siècle ! Je rappelle que l'Église baptiste est membre de la Fédération protestante de France depuis 1916 et que, sans la Première Guerre mondiale, elle nous aurait rejoints avant. L'Armée du salut, dont étaient issues les premières femmes pasteurs, est présente en France depuis la fin du XIXe siècle. S'il vous plaît, cessez de faire de tels raccourcis ! Si, ici même, à l'Assemblée nationale, ces raccourcis sont repris, où cela s'arrêtera-t-il ? Connaissez-vous une association ou un organisme qui n'ait pas causé de dégâts dans son histoire ? Toutes les associations ont, à un moment donné, commis des erreurs – je n'en citerai aucune ici.

En tout état de cause, ce n'est pas le sujet. Il s'agit plutôt de savoir comment la loi, fabriquée ici, va garantir à la fois la liberté et l'exercice du culte. J'entends que la Constitution garantit la liberté de culte, mais il faut aussi garantir les conditions de son exercice. Or l'accumulation de telles mesures apparaît si contraignante que des petites associations cultuelles vont être mises en difficulté. Elles seront obligées, tous les cinq ans, de prouver qu'elles sont bien cultuelles. Ce processus, qui contraint, n'est pas à la hauteur d'un projet de loi ayant pour objectif la lutte contre les séparatismes.

S'il y a bien des confessions étrangères à la logique du séparatisme, ce sont bien les confessions chrétienne et juive. C'est par les associations, la prédication, la catéchèse ou l'enseignement que se transmet aux générations futures le message de la citoyenneté, de l'intégration et de la responsabilité républicaines. Si la loi contraint ceux qui portent ce message, la promesse républicaine ne sera plus portée, y compris dans ces lieux privilégiés à cet égard.

Enfin, comme le disait M. Roque, nous serions très heureux de recevoir les sommes venues de tel pays lointain pour nous aider à entretenir notre patrimoine immobilier ou à élaborer de beaux projets de présence chrétienne dans le pays. Au-delà, la question est de savoir ce qui justifie ce traitement différencié pour les associations cultuelles.

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Jean-Daniel Roque, membre du bureau et conseiller juridique de la Fédération protestante de France

Je souhaite revenir sur l'article 27. Actuellement, toute association qui se déclare en préfecture, reçoit dans les cinq jours un récépissé. Et si son comportement ne respecte pas la loi ou ses statuts, le préfet peut intervenir. Nous sommes entièrement d'accord avec cette disposition. Malheureusement, le texte prévoit de la remplacer par une autre donnant au préfet une capacité d'appréciation. S'agissant d'une création, on se demande d'ailleurs à partir de quoi, la justice se prononçant sur des faits et non sur des intentions. Nous parlons d'expérience car nous avons connu un tel dispositif entre 1988 et 2007. Le préfet d'un département important avait alors contesté la qualité cultuelle d'une association qui existait depuis 1561, parce qu'au titre de ses recettes, elle avait mentionné l'organisation de repas paroissiaux. L'argument du directeur des services fiscaux, validé par le préfet, était que ce n'était pas prévu dans la loi de 1905. C'était exact, mais combien d'associations organisent des repas paroissiaux qui ne sont pas plus prévus par la loi de 1901 que par celle de 1905 ? Pour passer outre l'opposition du préfet, il a fallu remonter jusqu'au Premier ministre, qui a réglé l'affaire en une demi-journée. Mais est-ce vraiment au Premier ministre de s'occuper d'une telle question ? Pour avoir vécu ce système, nous avons pu mesurer combien il n'était ni heureux ni efficace.

L'article 27 prévoit en outre qu'au bout de cinq ans, l'objet cultuel d'une association devra faire l'objet d'une vérification.

La question des biens de rapport est difficile. D'abord, une situation comme celle que j'ai décrite est parfois temporaire. Un logement peut rester vacant pendant un, deux ou trois ans, puis recevoir de nouveau un ministre du culte. La transmission du bien n'est donc pas la solution adéquate. Ensuite, nous avons, comme d'autres cultes, créé une fondation reconnue d'utilité publique à laquelle nous transmettons des biens dont nous sommes sûrs qu'ils ne serviront plus jamais au culte. Le système fonctionne très bien puisqu'elle a elle-même créé une soixantaine de fondations. Mais une fondation reconnue d'utilité publique qui perçoit des loyers ne peut, de par ses statuts, soutenir une association cultuelle. La bonne solution, qui n'est ni dans la situation actuelle ni dans celle proposée, reste à inventer par la concertation. Si nous en sommes à la souhaiter c'est qu'elle n'a pas encore eu lieu. À une époque, le bureau central des cultes tenait des réunions avec l'ensemble des cultes sur toutes ces questions, ce qui est d'ailleurs à l'origine des circulaires de 2011, 2012 et 2013. Ce n'est plus le cas, ce que nous regrettons. Nous sommes obligés de vous dire que l'absence de concertation ne nous a pas permis de soumettre nos propositions, qui auraient pu être retenues.

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Monsieur le pasteur Clavairoly, vous jugez anormal que tel ou tel propos soit tenu dans cette enceinte. À l'Assemblée nationale, tout peut être dit, la liberté d'expression est totale et nul ne peut être poursuivi pour ses propos.

En outre, les députés sont dans leur rôle lorsqu'ils rapportent dans les commissions et dans l'hémicycle ce qu'ils constatent ou analysent. Si nous avons le sentiment que telle réalité doit être dite, il est normal que nous l'exprimions avec nos mots. Bien sûr, nous n'avons pas tous la même analyse d'un problème. Certains ont l'impression qu'il est nié, d'autres qu'il est survalorisé. Cela fait partie du débat. À nous ensuite de proposer des solutions, qui sont toujours débattues.

Vous avez regretté l'absence de concertation. Nous le répercuterons à l'exécutif. C'est aussi pour cela que nous conduisons ces auditions. Dans le processus législatif, nous revendiquons une forme de concertation informelle. Cela peut déboucher sur des amendements présentés par des collègues ou au nom de la commission, visant à enrichir ou modifier le texte en fonction des propos des uns et des autres, et pas uniquement les représentants des cultes.

Vous avez souligné des points techniques. Beaucoup d'entre nous sont attachés précisément à résoudre de tels problèmes.

Au passage, le fait que j'en sois à mon troisième mandat de parlementaire me permet de dire que le financement des cultes est un sujet récurrent depuis plusieurs décennies, souvent du fait de l'émergence du culte musulman en France, mais pas seulement. Les gouvernements précédents ont préféré évacuer, contourner, éviter le problème. Ce que vous avez dit sur l'évolution de la loi en 2014 mériterait d'être précisé – il ne s'agit pas de jeter la pierre à quiconque. En tout cas, cela montre que chaque fois qu'était abordée une question touchant au financement, on préférait passer à autre chose.

Ce que vous avez indiqué sur les immeubles de rapport prouve qu'il y a un problème à régler. Certains prétendent qu'une nouvelle loi n'est pas nécessaire et qu'il suffit d'appliquer les textes existants. Mais tout ce que vous venez de dire conforte plutôt notre volonté de régler les problèmes en suspens par des dispositions législatives qui, avant d'être adoptées, sont débattues. Je le répète, le rôle de l'Assemblée nationale, c'est de débattre et de décider. Décider sans débattre ne serait pas démocratique, mais débattre sans décider, ne relèverait plus de la politique, y compris dans une commission.

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Monsieur le président, vous avez raison de rappeler que l'Assemblée nationale est un lieu de confrontation et qu'il faut savoir entendre des mots qui n'ont pas une coloration scandaleuse mais qui sont prononcés dans le souci de relayer certaines préoccupations.

Le projet de loi prévoirait une obligation de déclaration préalable valable cinq ans. En l'état du droit, le dépôt statutaire en préfecture est suivi d'un rescrit administratif ou fiscal valable cinq ans qui permet à l'association de savoir si elle bénéficie de la qualité cultuelle. La détermination de la qualité cultuelle d'une association existe déjà. Elle est postérieure au dépôt en préfecture tandis que le nouveau dispositif prévoit une analyse a priori pour sécuriser aussi bien les associations que l'État qui a son rôle à jouer en matière de contrôle.

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du lundi 4 janvier 2021 à 17 heures

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, Mme Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Annie Genevard, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. Yves Hemedinger, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet

Assistait également à la réunion. - Mme Liliana Tanguy